Son histoire
par Henri Wallon

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La chronique d'Eberhard Windecke
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L'œuvre du chroniqueur allemand Eberhard Windecke, où se sont préservés les témoignages qui font l'objet de la présente étude, est loin d'être inconnue, en tant qu'élément général d'information relatif aux actes de Jeanne d'Arc. Le vieil annaliste mayençais, dont le texte survit en plusieurs manuscrits, est déjà notoirement classé parmi les narrateurs contemporains de tels et tels épisodes de cette éblouissante histoire.

  La première édition imprimée de sa chronique, donnée en 1728 par Johann-Burckhard Mencke (1), édition où la fantaisie semble s'être donné libre cours. Il omettait complètement, il est vrai, en tant qu'étrangère aux annales germaniques, les chapitres du récit courant de Windecke consacrés au fait de la Pucelle. Mais, en 1834, l'ouvrage célèbre de Guido Görres, Die Jungfrau von Orléans, dont le succès fut si considérable en Allemagne, signalait, directement d'après les manuscrits subsistants, cette importante fraction négligée par le premier éditeur et demeurée insoupçonnée jusque là. Guido Görres, soit dans le cours même de l'ouvrage, soit dans un de ses Appendices, en présentait au public une transcription en allemand moderne, destinée à rendre pendant longtemps les plus appréciables services (2).
  C'est dans l'ouvrage de Guido Görres que Quicherat, en préparant les matériaux de son édition du procès de la Pucelle, rencontra le texte de Windecke. Il lui donna sa place légitime parmi les Témoignages des chroniqueurs et historiens du XV° siècle, français et étrangers, rassemblés par lui à la suite du texte latin des deux Procès de condamnaton et de réhabilitation de Jeanne d'Arc. En 1847, le recueil de Quicherat, reproduisant la transposition en allemand moderne établie par Guido Görres, accompagnée d'une notice préalable et d'une traduction française, consacrait définitivement le récit courant de Windecke comme une des sources désormais divulguées et accessibles de l'historique de ces faits.

  Depuis, ces mêmes chapitres relatifs à Jeanne d'Arc se sont trouvés reproduits, également transposés en allemand moderne, dans une édition de vulgarisation du chroniqueur mayennais, due à M. von Hagen. Insérée en 1886 dans la collection bien connue des Geschichtschreiber der deustchen Vorzeit, rééditée dans cette collection en 1899, cette publication utile à plus d'un titre, présente un ensemble beaucoup plus complet que l'édition de Mencke, mais ne parait néanmoins devoir être consultée que sous de sérieuses réserves. Enfn, dans le récent ouvrage du R.P Ayroles, la Vraie Jeanne d'Arc, vient d'être donnée, en 1898, une révision de la traduction française insérée, dans le Procès, révision qui suit, à quelques modifications près, la version du recueil de Quicherat.
  Toutefois, le récit courant d'Eberhard Windecke, ainsi mis à la portée de tous par les publications diverses qui viennent d'être citées, est loin de contenir la totalité de la relation consacrée par le chroniqueur allemand aux évènements dont l'écho parvenait alors de France, par ébranlements successifs, jusqu'aux cœur des pays rhénans.
  A côté de la narration suivie des faits, qui d'ailleurs dans la partie divulguée de l'œuvre de Windecke, se trouve arrêtée court, de la façon la plus singulière en dehors de cet exposé narratif des faits, subsistait, dans un texte plus complet encore dissimulé aux regards, toute une série de bruits, de nouvelles et de propos, recueillie sur le spectacle exaltant dont la France était alors le théâtre, spectacle qui, hors des frontières françaises, passionna l'Europe de façon bien plus pénétrante et plus aigüe qu'on ne saurait le supposer.
  En effet, dans un autre manuscrit de l'œuvre d'Eberhard Windecke, depuis longtemps conservé à la bibliothèque impériale de Vienne, où il porte actuellement le n°2913, manuscrit connu et cité depuis 1841, mais seulement examiné à fond, vers 1890, par M. Wilhelm Altmann, conservateur de la bibliothèque de l'Université de Greifswald, se rencontre, entre autres additions notoires au texte connu de l'annaliste mayençais, toute une suite imprévue mais logique, à son récit courant de l'histoire de la Pucelle, seul divulgué jusqu'ici. Ce manuscrit parait dater du milieu dit XV° siècle (peut-être de 1456), selon toute vraisemblance, il se pourrait qu'il eût une provenance strasbourgeoise. Echos, bruits rapportés, dires populaires, document officiel final, viennent y achever l'exposé d'ensemble commencé par le récit courant déjà signalé, récit dont la brusque et déroutante interruption, telle qu'elle se présentait, était bien faite pour sembler incompréhensible.
  Ainsi l'œuvre d'Eberhard Windecke consacrée à ce grand souvenir offrira désormais, par ces deux fractions ajoutées l'une à l'autre, une cohésion naturelle et un sens évident d'unité.
  La mise en œuvre de cet élément nouveau a provoqué, de la part de M. Wilhelm Altmann deux publications successives. L'une, parue dès 1891, contenait une étude spéciale de ce manuscrit 2913 de la bibliothèque impériale de Vienne, avec le texte in extenso des passages inédits qui lui sont propres. La seconde, parue en 1893, constitue une édition intégrale de l'œuvre d'Eberhard Windecke, précédée d'une introduction critique, riche en renseignements. Cette inappréciable entreprise, malgré d'inévitables défectuosités, reproduit enfin, pour la première fois, dans son savoureux dialecte archaïque du pays Rhénan, le texte complet et en mainte partie inédit du chroniqueur mayençais.
  Par une coïncidence curieuse, ces additions particulières au manuscrit 2913 de Vienne se rencontrent dans un autre manuscrit dont l'origine strasbourgeoise ne parait pas discutée, manuscrit aujourd'hui conservé à la bibliothèque de Hambourg, et dont l'intérêt a été signalé pour la première fois par U. Walther. Ce manuscrit contient également toute la partie antérieure de l'œuvre d'Eberhard Windecke relative aux actes de la Pucelle. Il paraît constitué par un recueil de mélanges, formé et transcrit au milieu du XV° siècle (peut-être en 1451), à peu près en même temps, mais un peu plus tôt que le manuscrit 2913 de Vienne, par un certain Jordan, de Strasbourg. Il présente pour son ensemble, plusieurs variantes dont le tableau est dressé dans l'appendice de l'édition de M. Altmann qui lui est spécialement consacré.
  C'est donc au milieu de l'œuvre générale et complète d'Eberhard Windecke, ainsi restituée dans son vrai jour, que viennent s'encadrer, à leur, place et à leur rang, les singuliers échos sur lesquels le travail ici entrepris attire l'attention.

  Le chroniqueur qui put ainsi recueillir ces voix de la foule, dans leur éphémère mobilité, au moment où elles parvenaient de France aux bords du Rhin, possédait à un degré assez étendu la connaissance et l'expérience de notre pays.
  Eberhard Windecke (3), cette forme paraît la préférable, né à Mayence vers 1380, d'une famille marchande, dont le logis patrimonial, situé près du Fischthor, était communément connu sous la désignation "zum Windecke", avait mené, très jeune, une existence de pérégrination et d'errance à travers l'Europe, qui l'avait familiarisé de bonne heure avec l'aspect et les mœurs de mainte contrée étrangère.
  A treize ans, il a quitté la maison paternelle, et, comme pacotilleur ou commis de marchands, reparaissant de temps à autre au pays natal de Mayence, il court les places commerciales d'Allemagne, Worms, Francfort, Nuremberg, puis circule en Bohême par Eger et Prague. En 1396, par les Pays-Bas, il gagne Paris où il fait un long séjour de trois ans, dont malheureusement il ne nous transmet que la simple mention, et d'où, en 1399, on le trouve rentré à Mayence. Très peu après, en 1400, il entre au service du duc bavarois Etienne II, de la ligne d'Ingoldstadt, le mari de Taddea Visconti et le père de la reine de France Isabeau, puis revient de nouveau en France en compagnie de son maître. Après trois ou quatre semaines d'un séjour à Paris, à propos duquel il mentionne quelques traits des rapport, réciproques du duc d'Orléans et du duc bavarois, il reprenait, par la cour ducale de Brabant, la route de Cologne, où il parvenait dans les premiers jours de novembre, et d'où il reparaissait à Mayence. Ratisbonne, puis Vienne, la Hongrie, le Frioul et Venise, le voient pérégriner de 1402 à 1410, avec Bude pour centre, affairé pour son compte, ou pour des négociants nurembergeois.
  En 1412, il est enfin entré au service de Sigismond de Luxembourg, l'entreprenant roi de Hongrie qui vient de saisir l'empire. Employé par lui comme, intermédiaire en quelques-uns de ses multiples trafics financiers, il demeure désormais de longues années durant, attaché aux affaires de trésorerie du souverain, étroitement au courant des intérêts et de la politique de la cour impériale, sans résider toutefois de manière permanente auprès du prince. Il passe avec lui, l'an suivant, dans la haute Italie, à Crémone, puis de là, pour son propre compte à ce qu'il semble, gagne la Pologne, ensuite le Brandebourg. En 1415, au fort du Concile, il apparaît à Constance, où son humeur fantaisiste compose un piquant "dit rimé des filles de joie", curieux et amusant reflet des mœurs contemporaines.
  Il est aux côtés de Sigismond, dans le long et diffïcile parcours que l'empereur entreprend à travers la France du Midi, jusque sur le territoire aragonais, à la poursuite de I'antipape Benoit XIII, pour essayer en vain de clore pacifiquement le schisme en obtenant son abdication volontaire. Il suit Sigismond à Perpignan, en 1415, puis se dirige en sa compagnie, en 1416, vers Paris et le Nord, lors du voyage de médiation politique entre France et Angleterre, que l'empereur, à la suite de la journée d'Azincourt, a greffé sur l'échec de la négociation pontificale. Il revoit Paris pour la troisième fois, excursionne entre temps en Flandre, à Bruges, rejoint à Saint-Denis l'empereur en partance pour Calais, passe avec lui en Anglelerre, repasse sur le continent, et, après divers détours, ayant touché barre à Mayence, le retrouve en 1417 à Constance, à la fin du Concile, où il voit l'élection de Martin V et la cessation du schisme.
  Expédié l'an suivant par Sigismond auprès du nouveau pontife, alors lentement en route pour Rome, il joint, par le Gothard, le pape à Pavie, l'escorte à Milan, passe auprès du marquis de Montferrat, puis du duc de Savoie par le mont-Cenis, et, après une halte à Mayence, va suivre l'empereur, l'an d'après, en Hongrie, à Bude. En 1420, il accompagne Sigismond à la tenue du Reichstag de Breslau, puis à l'expédition de Prague contre les Hussites, s'emploie en 1423-24, tant de la part de l'empereur que de l'archevêque de Mayence, à diverses négociations diplomatiques concernant la succession de Gueldre et de Juliers.
  Enfin, en 1425, il se fixe à Mayence, où la faveur impériale, non sans léser d'autres droits, lui concède la ferme d'une partie des péages du Rhin, revenu fixe et des plus enviables auquel il ajoute, semble-t-il, diverses opérations de banque. Mêlé de près, de 1428 à 1432, aux luttes politiques des factions qui se divisent la cité de Mayence, il figure comme membre de La Commission des Dix, violemment imposée par le parti des Métiers pour la réforme des finances, puis de la députation constituée pour consacrer la cessation des troubles. C'est dans sa ville natale, sauf une courte présence au Reichstag de Straubing, à la fin de 1430, qu'il passe en tout cas l'espace de temps marqué par l'apparition et les hauts faits de Jeanne d'Arc, évènements qu'il note avec une si heureuse initiative, et dont la préservation par ses soins provoque cette étude actuellement poursuivie sur son nom.
  Les dernières années de la vie d Eberhard Windecke semblent s'être passées à Mayence, occupées au soin de ses affaires et à la défense de ses intérêts privés attaqués par ses rivaux. On le trouve encore agissant à la fin de 1439. En 1440, il parait avoir cessé de vivre, la soixantaine à peine atteinte, dans la plénitude de son âge et de ses facultés.

  L'œuvre qu'il laissait, composition où les souvenirs personnels surgissent si fréquemment du corps même du récit, présente beaucoup plus l'apparence d'un assemblage de matériaux historiques relatifs au règne de l'empereur Sigismond que d'une biographie rédigée du prince. Cette biographie, limitée et arrêtée, le Sigmundbuch, le livre de Sigismond, il paraît bien avéré qu'Eberhard Windecke l'avait éditée à part, comme un extrait essentiel de son vaste recueil ; en tout cas, elle a disparu ou ne se retrouve pas. La forme unique sous laquelle l'œuvre survivante nous est parvenue, à laquelle son plus récent et savant éditeur assigne le titre de Denkwürdigkeiten (Mémorial) pour servir l'histoire de l'empereur Sigismond et de son temps, représente donc, comme son nom l'indique, un cadre extensible où viennent s'incruster, au milieu de la trame d'un récit constamment suivi, des documents, des pièces originales de toute nature, matières premières précieuses par leur diversité comme par leur authenticité, témoignages journaliers des faits contemporains de l'auteur et preuves de sa curiosité attentive à les noter, à les réunir et à les préserver.
  Les textes relatifs à l'histoire de la Pucelle, qu'Eberhard Windecke a transcrits et conservés, et tels qu'ils apparaissent dans l'édition définitive de M.Altmann, peuvent se diviser en deux reprises distinctes.
  La première série offre un récit continu, poursuivi en trois chapitres, menant les faits depuis la venue de Jeanne d'Arc auprès de Charles VII à Chinon, jusques et y compris le sacre de Reims, soit de février à juillet 1429. C'est la fraction qui a été reproduite par Quicherat, dans son recueil du Procès, d'après la transposition en allemand moderne due à Guido Görres, et qui figure aussi également transposée en allemand moderne, dans la publication de M. von Hagen.
  Cette première série était la seule connue, jusqu'à la récente édition de M. Altmann.
  La seconde série comprend, soudée à la fin de la première, une suite d'informations sans date précise, une succession d'échos et de nouvelles à caractère visiblement thaumaturgique, où semblent rassemblés intentionnellement divers faits miraculeux de l'ordre le plus excessif, propres à frapper au point le plus sensible l'imagination excitable des foules.
  C'est la fraction que le manuscrit 2913 de la bibliothèque impériale de Vienne est seule à présenter.
  Cette seconde série est celle que l'édition récente de M.Altmann a été la première à révéler, et qui parait être demeurée inutilisée jusqu'ici.
  Est-ce le caractère d'addition au récit continu, caractère que ces informations présentent à un degré assez marqué, est-ce leur forme par trop accentuée de légende, qui a fait exclure cette seconde série de la plupart des manuscrits, en ne la conservant que dans le manuscrit 2913 de la bibliothèque impériale de Vienne ? Peut-être ces deux motifs ont-ils concouru l'un comme l'autre à ce bizarre ostracisme.

  

Chapitres :

CCLIX- Ci envoia le roi de France son excellent message à la Pucelle...
CCLX- Ci envoia la Pucelle au roi une lettre où il avait à voir comment...
CCLXI- Ci chevaucha la Pucelle en France et vinrent les Anglais à grande...
CCLXII- Une copie de la lettre du roi d'Angleterre et de France au duc de...


                                         

Chap.CCLIX  - Ci envoia le roi de France son excellent message à la Pucelle, laquelle accomplit grand nombre de merveilles en France.

295 - Or sachez que, au temps même où le roi de France et les Anglais étaient en guerre, comme l'avez aussi auparavant entendu, lors surgit en Lorraine une Pucelle, qui fit merveille en France contre les Anglais, en sorte que les Anglais furent très affaiblis, et qui [aida] fort le roi de France à recouvrer sa terre, comme allez l'entendre.

  D'abord, quand la Pucelle vint au susdit roi (1), lors dut-il lui permettre de faire trois choses. La première, qu'il se démît de son royaume, y renonçât et le remit à Dieu, car il le tenant de lui. La seconde, qu'il pardonnât à tous ses sujets qui lui avaient oncques fait tort ou avaient pris parti contre lui. La troisième, qu'il s'humiliât si fort, que tous ceux qui viendraient à lui, pauvres et riches, et demanderaient grâces, il les prit en grâce, amis ou ennemis.


     (2) Virgo, puellares artus induta virili
     Veste, Dei monitu properat relevare jacentem
     Liliferum regemque suos delere nefandos
     Hostes præcipue, qui nunc sunt Aurelianis,
     Urbe sub, ac illam deterrent obsidione.
     Et si tanta viris mens est se jungere bello
     Arma sequique sua, quæ nunc parat alma Puella,
     Credite fallaces Anglos succumbere morti,
     Marte puellari Gallis sternentibus illos.
     Et tunc finis erit pugnæ, tune fœdera prisca,
     Tunc amor et pietas et cetera jura redibunt,
     Certabunt de pace viri, cunctique favebunt
     Sponte sua regi, qui rex liberabit et ipsis
     Cunctis justitiam, quos pulchra pace fovebit.
     Et modo nullus erit Anglorum pardiger hostis
     Qui se Francorum prœsumat dicere regem (3).



296 - (1) Ce sont les articles qui arrêtés ont été par ceux que le roi avait envoyés à la Pucelle pour faire information sur le fait de savoir s'il faut lui porter croyance ou non. Et c'étaient des maîtres en Théologie et autres que l'on tenait pour bons à éprouver la Pucelle (2).
  Item le roi avait entendu la nécessité de lui et de son royaume et avait considéré les continues prières envers Dieu de son peuple et de tous ceux aimant paix et justice. En ce propos il ne doit point (3) débouter ni rejeter (4) la Pucelle qui se dit être envoyée de Dieu, mais doit (5) lui donner secours, nonobstant que ses promesses soient humaines (6). Aussi ne doit-il tant tôt ni tant légèrement croire en elle (7) ; mais, en suivant la Sainte Ecriture, comme dit l'apôtre saint Paul (8) "Probate spiritus si ex Deo sint", doit-on enquérir de ses moeurs et de ses oeuvres, et par dévote oraison requérir certains signes divins ou œuvres de Dieu, par quoi on puisse éprouver qu'elle vient de Dieu (9) ; car ainsi commanda Dieu au roi Achas qu'il lui demandât signe quand il lui plairait qu'il lui donnât victoire, selon ce que fut écrit "Pete tibi signum a Deo tuo" (10) ; et aussi, de cette sorte, lui donna-t-il alors signe, et à plusieurs autres.

                   

  Item le roi a ainsi observé envers la Pucelle les deux manières de la devant dite probation, celle des sages maîtres et aussi celle de demander par oraison signe de Dieu.
  Quant à la première, il a fait éprouver la Pucelle, par sages maîtres, de sa vie, de sa naissance, de ses mœurs ou façons et de son intention, et a gardé auprès de lui la Pucelle bien par l'espace de six semaines, et l'a fait éprouver par toutes gens d'expérience, clercs, religieux et profanes, femmes et hommes, secrètement et publiquement. Et en ladite Pucelle n'a-t-on trouvé rien de mal, fors que tout bien, humilité, virginité, dévotion, honnêteté, simplicité. Et de sa naissance et de sa vie sont dites plusieurs choses qu'on tient pour vraies.

  Quant à la seconde probation, le roi lui demanda signe des choses dont elle avait charge. Sur quoi répondit la Pucelle au roi que devant la ville d'Orléans elle donnerait signe, et non auparavant (11), car ainsi Dieu l'avait ordonné.
  Comme le roi avait entendu la probation de la Pucelle, faite en tant qu'a été possible, et comment on ne trouva nul mal en elle, et apprit aussi qu'elle voulait donner signe devant Orléans, et considéré sa constance et persévérance en son propos et sa requête instante d'aller à Orléans, et qu'alors on y verrait signes de divin secours, lors conseillé fut au roi qu'il ne devait point l'empêcher d'aller à Orléans avec ses gens et devait la faire conduire honnêtement en mettant espoir en Dieu ; car, qu'on la reboute ou délaisse sans apparence de mal de sa part, ce serait répugner au Saint-Esprit et se rendre indigne de l'aide de Dieu, comme dit Gamaliel en un conseil des Juifs au regard des apôtres.


                                         

Chap.CCLX - Ci envoia la Pucelle au roi une lettre où il avait à voir comment il avait à se comporter en tous ses faits


297 - S'ensuit la lettre que la Pucelle envoya au roi. (1)

  Jésus Maria (2)   "Roi d'Angleterre, et vous duc de Bedford, qui vous dites régent le royaume de France, vous Guillaume de la Pole, comte de Suffolk, Jean, sire de Talbot, et vous Thomas, sire de Scales, vous disant lieutenants du duc de Bedford, faites raison au Roi du Ciel et à son sang royal, rendez à la Pucelle (3) ci envoiée de par Dieu les clefs de toutes les villes que vous avez prises et efforcées en France. Elle est venue de par Dieu pour réclamer pour tout le sang royal. Elle est prête de faire paix, si paix vous voulez faire, par ainsi que France vous mettiez jus et payez de ce que vous l'avez tenue (4). Et vous, archers, compagnons de guerre gentils et vilains (5) qui céans êtes devant la ville d'Orléans, allez-vous en, en nom Dieu, en votre pays ; et si ne le faites, attendez les nouvelles de la Pucelle, qui vous ira voir brièvement à votre grand dommage. Roi d'Angleterre, si ne le faites, adonc je suis chef de guerre (6) ; en quelques lieux que je vous atteindrai et vos gens en France, je les ferai issir, veuillent ou non veuillent (7) ; et s'ils ne veulent obéir, je les ferai tous occire ; et s'ils veulent obéir, je les prendrai à merci. Je suis venue de par Dieu, le Roi du Ciel, pour tous vous bouter hors de France (8) et détruire (9) de mon corps (10), avec tous ceux qui voudraient porter offense d'armes, malengin et trahisons ou autre dommage au roi de France (11). Et ne soyez pas en l'opinion que vous saurez tenir le royaume de France de Dieu, le Roi du Ciel, fils de Marie la Vierge sans tache (12), car seul doit le tenir le roi Charles, héritier d'icelui et de par Dieu le vrai (13) ; et veut le même Dieu du Ciel qu'il le possède et tienne, tel qu'il l'a reçu (14). Et [ce] lui est révélé par la Pucelle (15), laquelle Pucelle doit bientôt venir à Paris à bonne compagnie (16). Et si ne voulez croire les nouvelles de la Pucelle envoyée de par Dieu, en quelque lieu que nous vous trouverons, nous vous ferrons à horions et ferons un si grand hahay (17) que jamais en France, passé mille ans, tel grand hahay ne fut fait. Et si ne faites raison (18), lors croyez fermement que le Roi du Ciel enverra plus de force à la Pucelle que vous ne sauriez livrer en tout d'assauts avec tous vos gens d'armes (19). Et adonc verrra t-on, aux grands horions, lequel a meilleur droit, de Dieu du Ciel ou de vous. Duc de Bedford, la Pucelle vous prie et requiert que vous ne vous fassiez pas détruire. Si voulez faire raison, encore pourriez vous bien venir en sa compagnie (20), et lors les Français feront-ils un si beau fait qu'en la Chrétienté tel n'est oncques advenu. Et faites réponse à la Pucelle, si vous voulez faire paix (21), et si ne le faites, lors vous souvienne du grand dommage qui vous en doit venir.

  Écrit le mardi de la Semaine Sainte, l'an de la naissance Notre-Seigneur mil quatre cent vingt neuf."

298 - Toutes ces choses ainsi faites, la Pucelle partit de Chinon d'auprès du roi et tira vers Orléans, le 21° jour d'avril, et alla à Blois (1), et attendit les vivres et puissance qu'elle devait menerà Orléans, jusqu'au jeudi ensuivant 28° jour dudit mois. Et La Pucelle partit avec son étendard, qui était fait de blanc satin auquel était figuré Notre Seigneur Dieu séant sur l'arc-en-ciel et montrant ses plaies, et [était] de chaque côté un ange tenant un lis. Et ainsi partit la Pucelle avec son étendard, et menait avec elle le maréchal de Boussac, le sire de Gaucourt, le sire de Retz et plusieurs autres seigneurs et capitaines, en nombre de toutes gens bien trois mille, tant de cheval que de pied. Et menait aussi par la Sologne tous ses vivres, soixante chariots et quatre cents têtes de bétail.

  Et arrivèrent (2) le jour suivant, qui était le vendredi, dernier jour de vendredi du susdit mois. Et ceux d'Orléans étaient sortis par la rivière et mirent les vivres en navires et comme pour lors ils purent, de façon que les Anglais qui apostés encontre étaient plus nombreux qu'eux, ne saillirent point au devant. Et quand la Pucelle vit qu'on la menait le long de la rivière et qu'on ne la menait pas aux Anglais qui se tenaient devant la ville, lors fut-elle grièvement affligée et courroucée contre ceux qui l'avaient menée, et commença fort à pleurer. Pourtant renvoya-t-elle sur l'heure en arrière à Blois pour quérir les vivres et les ramener à Orléans. Et elle entra dans ladite ville à petite compagnie, et dit à ses compagnons d'armes [qui reparlaient pour Blois], qu'ils n'eussent peur, car il ne leur devait advenir aucun dommage - ainsi advint-il aussi - et que, quand ils arriveraient avec les vivres, on viendrait au-devant d'eux par l'autre côté, et qu'on irait hors d'Orléans à leur rescousse - ainsi fit-on aussi. Et comme ils amenaient les vivres, s'assemblèrent les Anglais à bien 1.400 hommes (3), mais ils n'osèrent se montrer (4).
  Et comme ils étaient arrivés avec le reste des vivres, la Pucelle prit son étendard à la main et assaillit la bastille occupée par les Anglais, que l'on tenait pourtant pour imprenable, et la gagna vivement, et là demeurèrent morts cent soixante-dix Anglais, et là furent 1.300 pris, et là fut gagné nombre de pièces d'artillerie et de vivres et d'autres provisions qu'ils avaient en quantité par dedans. Et estime-t-on aussi que la Pucelle ne perdit pas plus de deux hommes de ses gens (5).

  Ensuite, le vendredi, prit la Pucelle son étendard à la main et fit comme si elle voulait assaillir une bastille. Et comme elle vit que les Anglais se tenaient en défense, ils tournèrent arrière [elle et ses gens], et les Anglais leur coururent sus et approchèrent vigoureusement ses gens. Ce voyant, la Pucelle et La Hire, qui pourtant avaient auprès d'eux peu de monde, retournèrent durement vers les Anglais et les rechassèrent si fort, qu'à peine les Anglais firent-ils rentrée. Là demeurèrent d'Anglais bien trente morts, et fut là gagnée une forte bastille près des Augustins et gagné dedans nombre de vivres et autres. Et le même jour, comme les Anglais virent que la Pucelle avait gagné trois bastilles, firent-ils tous retraite dans la grande bastille au lieu devant le pont. Et demeura la Pucelle, avec ses partisans la nuit aux champs du même côté.

  Le samedi suivant, huitième jour [de mai] (6), au matin, se mit la Pucelle avec ses gens à assaillir la bastille où les Anglais durant la nuit, avaient fait retraite. La bastille était forte et imprenable, et étaient dedans nombre d'Anglais, qui s'étaient bien mis en défense, car ils pensaient bien conserver la bastille, surtout ayant nombre de bonne artillerie dedans. Et ils se défendirent si fort que la Pucelle dut les assaillir tout le jour avec ses gens jusqu'au soir. Et là fut la Pucelle blessée par le corps au-dessus du sein droit. Et pourtant elle n'en tint guère compte, et mit dessus un peu de coton et d'huile d'olive, et se réarma et dit à ses gens. "Les Anglais sont à bout." Car elle avait dit qu'elle serait blessée devant Orléans. Et se tira à l'écart et se mit à genoux et invoqua le Dieu du Ciel. Puis elle retourna à ses gens et les exhorta à se porter avec elle hardiment à l'assaut, et leur montra où ils devaient donner l'assaut. Et ses gens lui étaient obéissants, tous de commun accord et de bonne volonté, et ainsi gagnèrent-ils la bastille sur l'heure. Dedans furent pris et tués bien cinq cent [Anglais] ; là demeura mort Classidas, un chef souverain. Et alors rentra la Pucelle sur le tard, en joie de cœur, avec ses gens à Orléans et rendit grâces à Dieu. Et aux gens de la Pucelle ne demeura pas plus de morts que cinq hommes, et moins de blessés. Et en est-il qui dirent que durant le dit assaut on vit deux blancs oiseaux sur ses épaules. Et les Anglais qui là furent pris ont dit pour vrai qu'il leur semblait que les gens de la Pucelle étaient bien plus forts et plus nombreux qu'eux, en raison de quoi ils n'avaient pu faire aucune résistance contre eux, et les Anglais s'étaient enfuis bien trente sur un pont derrière eux, pensant bien être en sûreté. Et advint un signe de Dieu, car le pont se rompit et ils churent tous en l'eau et furent noyés.

  Le dimanche, le jour suivant, au point du jour, les autres Anglais qui se tenaient de l'autre côté de la ville firent retraite et abandonnèrent la bastille (7), voyant qu'ils avaient été défaits si merveilleusement. Desquels étaient bien trois mille vaillants hommes. Et voulurent les gens de la Pucelle iceux poursuivre et les défaire, et ce ne voulut point la Pucelle permettre ; parce que c'était dimanche, et alors firent-ils aussi bonnement retraite. Et ainsi fut Orléans délivré, l'armée détruite et toutes les bastilles gagnées avec grand butin qu'on trouva dedans. Et alors tirèrent les Anglais en Normandie et laissèrent leurs gens en garnison à Meug et à Beaugency et à Jargeau. Deo gratias !

299 - Ces choses ainsi faites, alla la Pucelle avec ses gens à Tours en Touraine ; là devait en même temps venir le roi ; et la Pucelle  y fut avant le roi. Elle prit son étendard à la main et chevaucha vers le roi. Et quand ils vinrent à s'aborder, la Pucelle inclina la tête vers le roi, si fort qu'elle put, et le roi la fit gracieusement relever, et tient-on qu'il l'eût volontiers baisée de la joie qu'il avait (1). Ce fut le mercredi avant la Pentecôte (2). Et elle demeura auprès de lui jusqu'après le 23° jour du mois de mai. Et tint le roi conseil sur ce qu'il devait faire, car la Pucelle voulait de suite le mener à Reims, et le couronner et faire roi. Et se mit le roi sus, et est en chemin et espère réduire Meung et Jargeau et, Beaugency. Dieu veuille y pourvoir aussi. (3)

300 - Ces choses ainsi faites, envoya le duc de Bretagne son confesseur à la Pucelle pour s'enquérir si c'était de par Dieu qu'elle était venue porter aide au roi. Et dit la Pucelle : "Oui." Et dit le confesseur : "Puisque donc il en est ainsi, alors viendra volontiers le duc, mon seigneur, pour faire service et aide au roi," - et nommait le duc son droit seigneur "mais de son propre corps ne peut-il venir, car il est en grande infirmité, et doit-il lui envoyer son fils ainé à grande puissance." Et dit la pucelle au confesseur que le duc de Bretagne n'était pas son droit seigneur, car c'était le roi qui était son droit seigneur, et il n'aurait pas dû, selon raison, attendre si longtemps pour envoyer ses gens et lui faire service et aide (1).

                                         

Chap.CCLXI - Ci chevaucha la Pucelle en France et vinrent les Anglais à grande force, et quand les Anglais virent la Pucell, adonc s'en fuirent-ils et jetèrent en arrière leurs arcs.

301 - Un jour vinrent les Anglais à grande puissance. Quand la Pucelle le vit et comprit, elle dit aux capitaines de monter sur leurs meilleurs coursiers et dit à ses gens qu'ils allaient chasser à courre. Et ils demandèrent ce qu'ils devaient chasser. Et la Pucelle dit qu'ils allaient chasser les Anglais. Et alors montèrent-ils tous en selle et chevauchèrent avec la Pucelle. Et sitôt que les Anglais les eurent en vue, si s'enfuirent-ils, et les archers jetèrent arrière leurs arcs et flèches loin d'eux, et furent la plupart tués. (1)

302 - Après, elle se mit en chemin pour mener le roi à Reims. Et les villes qui lors n'avaient rien de quoi résister à la Pucelle et a ses gens, lui ont toutes fait obéissance, et en partie ont apporté au roi leurs clefs bien deux milles au devant, comme Troyes, Châlons et encore autres villes. Et ainsi est le roi venu à Reims et y a été sacré. (1)
  La Pucelle pensait aussi faire entrer le roi à Paris et ne redoutait aucune puissance ni du duc de Bourgogne ni du régent, car elle avait dit que Notre Seigneur Dieu avait plus de puissance qu'eux, et qu'il devait encore l'aider, et que plus le duc de Bourgogne et le régent amèneraient de gens contre elle, plus il y en aurait de tués et plus aussi de butin conquis. Elle ordonne aussi à tous, autant qu'elle peut le garantir, que l'on ne prenne rien à personne et qu'on ne fasse aucun dommage aux pauvres gens ni violence. Et sont vivres suffisants en sa compagnie, et aussi longtemps qu'elle a chevauché de la sorte, les vivres, par le pays, ne sont pas pas devenus plus chers.

  

303 - Au temps où l'on comptait, de la naissance de Notre-Seigneur, 1400 et 29 ans, lors survinrent nouvelles certaines devers France, disant comment une Pucelle était venue de Lorraine au dauphin, en France, et avail eu entretiens avec lui, en raison des Anglais qui se tenaient à grande puissance audit royaume. Et ladite Pucelle les chassa avec l'aide du Dieu Tout-Puissant et de la Vierge Marie, ainsi qu'il est écrit ci-dessus, disant comment, elle entend l'avenir, et comment ce qu'elle fit, ce fut avec l'aide de Dieu (1).

303bis - Item, quand le roi fut sacré à Reims (1), lors se trouva très forte gent autour de Reims, dehors parmi les vignes, et gâtèrent toutes les vignes avec leurs chevaux et autrement. Et quand le roi partit de Reims et tira outre, peu après se relevèrent derechef toutes les vignes, et fleurirent toutes d'une autre pousse, et portèrent plus de raisins qu'avant, et dût-on les laisser jusqu'au jour (2) de la Saint-Martin.

304 - Item un autre ,jour, chevauchaient-ils en quête des Anglais, leurs ennemis. Adonc en l'armée était un homme, qui avait sa mie près de lui, laquelle chevauchait en armes, pour qu'on ne la reconnût point. Et quand ils furent tous sur les champs, adonc dit la Pucelle aux autres seigneurs et capitaines : "Il y a une femme parmi nos gens." Adonc dirent-ils tous qu'ils n'en connaissaient point parmi eux. Alors fit-elle assembler l'ost, et quand ce fut fait, adonc chevaucha la Pucelle, et chercha, et lors trouva sur l'heure la femme, et la montra d'un doigt aux seigneurs, et dit : "La voici", et dit à la femme : "Tu es de Gien et es grosse d'enfant ; et, n'était cela, je te ferais mettre à mort ; et tu as déjà laissé périr un enfant, et n'en feras pas de même de celui-ci." Et alors la prirent les valets et la ramenèrent chez elle et la tinrent en garde jusqu'e à sa délivrance d'enfant. Et la femme dit ouvertement que la Pucelle avait dit vrai (1).
  Item, en après, trouva-t-elle à nouveau deux ribaudes, auxquelles elle avait déjà défendu de se trouver en l'ost, ou bien elle les ferait mettre à mort, car elles n'appartenaient pas à l'ost. Adonc trouva-t-elle une fois les deux ribaudes, alors qu'elles se départaient à cheval, car elle venait auparavant de dire [qu'elle savait], qu'il y avait des femmes en l'ost. Et quand elle trouva les femmes, lors dit-elle : "Vous folles filles, je vous ai par avant interdit ma compagnie." Et alors tira-t-elle son épée dehors et férut l'une des filles par la tête, si bien qu'elle mourut (2).

      

305 - Item, en après, un jour, était le roi à table, à diner (1), et la Pucelle se mit aux champs et voulut tirer encontre les Anglais, car elle était avisée qu'ils étaient sur les champs. Et alors par la ville se mit chacun à cheval et tira aux champs vers la Pucelle. Quand le roi s'avisa du fait que chacun suivait la Pucelle, lors fit-il clore les portes. Ce, fut dit à la Pucelle sur les champs. Adonc dit la Pucelle : "Avant qu'il soit heure de none (2), si sera au roi tel besoin de venir à moi, qu'il me suivra de tire, son manteau à peine jeté sur lui et sans éperons." Ainsi advint-il. Aussi étaient les gens d'armes en la villa, qui mandèrent au roi qu'il fit de suite ouvrir les portes, ou bien qu'ils les jetteraient bas. Alors furent les portes ouvertes sur l'heure, et chacun courut après la Pucelle, et ne voulut nul prendre garde au roi. Du fait s'avisa le roi, et jeta de suite un manteau sur lui et suivit de tire la Pucelle. Et alors, ce jour même, rua-t-elle grand nombre d'Anglais jus (3).


306 - Item, [était] un saint homme de religion [qui] eût volontiers pris information secrète de la vie et des mœurs de la Pucelle ; ce pour quoi il lui dépêcha secrètement son confesseur [à elle], qui adonc est un grand docteur. Lequel il pria de lui remettre par écrit tout à plain la vérité pour l'amour de Dieu. Ainsi fit le docteur, mais, par avant, il s'enquit près de la Pucelle, en sa confession, de sa vie et de ses mœurs, et dit aussi à la Pucelle qu'il avait entendu qu'elle avait voué sa pureté au sacrement de mariage. Alors lui répondit la Pucelle qu'elle avait jusque-là gardé sa virginité, et qu'aussi ne lui viendrait jamais en l'esprit de la souiller ; ainsi voulait-elle également qu'il en fut désormais, avec l'aide de Dieu, jusqu'à sa fin. Et outre ce, lui dit comment bataille devait survenir contre les Infidèles où son parti devait obtenir victoire, et qu'en la bataille elle vouerait à Dieu sa virginité, et lui remettrait en outre son âme, car elle devait mourir. Et adonc doit être de par lui une autre Pucelle, laquelle doit être de Rome. Laquelle doit après elle régner en son lieu. Aussi dit le docteur que la Pucelle, de jour, avait plus de labeur à ordonner et à chevaucher de l'un à l'autre que trois des plus forts chevaliers qu'on pût trouver ; et de nuit mène-t-elle une si dure vie de grande rudesse, plus durement qu'un Chartreux en son cloître, car elle s'agenouille, à genoux nus, les yeux en larmes, et supplie le Dieu Tout-Puissant qu'il veuille porter secours à la ,justice et veuille écraser l'iniquité, qui si longtemps a pris lit dessus. Ce fit le docteur connaître au bon moine, et bien plus encore (1).


307 - Item, en après, un autre jour, était la Pucelle assise, auprès du roi, et mangeait ; et lui survint de très fort rire à la dérobée. Et s'en avisa le roi et lui dit : "Bien-aimée, pourquoi riez-vous de si grand coeur ?" Elle dit : "Sire, après le repas, je vous le dirai." [Et] quand on versa l'eau, lors dit-elle : "Sire, en ce jour, sont cinq cents Anglais noyés en la mer, qui voulaient passer par-delà en votre terre pour vous porter dommage : pour quoi j'ai ri ; et au tiers jour vous viendront nouvelles certaines que c'est vérité." Ainsi advint-il aussi (1).


308 - Item, le plus proche lundi d'avant le jour de la Sainte Croix (1), adonc chevaucha la Pucelle vers Paris avec bien trois mille hommes d'armes, et commença à donner l'assaut avec sa gent. Et l'assaut dura presque tout le jour. Adonc fut tant de trait tiré de Paris, que six chariots, comme on pense, eussent à peine pu voiturer les flèches. Et à la gent de la Pucelle n'advint rien, car cinq  seulement lui demeurèrent morts. Et elle fut blessée.
  Item, en cet assaut, survinrent grands signes de Dieu, car on vit les pierres à canon et autres plommées, qui élaient tirées de la ville, qui se réduisaient en poussière sur les hommes qu'elles atteignaient, comme si c'eût été terre. En outre virent maintes gens, alors que la Pucelle se tenait dans le fossé, à l'assaut, avec son étendard, qu'un blanc coulomb vint se poser sur son étendard. Le coulomb avait une couronne d'or en son bec et la tenait ainsi.(2)


309 - Item, une fois, guère en après, était la Pucelle en une ville, à bien seize milles du roi. Et comme elle allait dormir et gisait à sa prière, adonc lui fut révélé qu'elle prit garde au roi, car ou le voulait empoisonner au diner. Alors appela la Pucelle ses frères, auxquels elle dit qu'ils se hâtassent de suite et dissent au roi qu'il ne mangeat rien au repas ni autrement, avant qu'elle ne vint à lui. Ainsi firent-ils. Alors vint la Pucelle au roi, elle douzième, et dit : "Sire, faites emporter les mets." Ainsi fit-il. Et elle prit les mets et les donna aux chiens à manger, et ils moururent sur l'heure devant le roi. Adonc dit-elle : "Sire, le chevalier, qui là près vous se tient, requérez-le, et autrement deux compagnons, ceux-là voulaient vous empoisonner." Adonc se saisit le roi du chevalier, lequel avoua sur l'heure que c'était vérité. Alors en fit le roi faire justice selon ses mérites. (1)


                                         

Chap.CCLXII - Une copie de la lettre du roi d'Angleterre et de France au duc de Bourgogne.

310 - Très cher et bien-aimé oncle,

  "La fervente dilection et entière dévotion que nous vous savons avoir, comme vrai prince de foi chrétienne, envers notre mère la Sainte Église, et l'exaltation de notre sainte foi chrétienne, nous exhortent et admonestent selon raison de vous signifier et écrire ce qui, à honneur de notre devant dite mère la Sainte Église, fortification de notre susdite foi et extirpation d'erreurs pestilencieuses, a été naguère en notre ville (1) solennellement fait.
  Il est jà assez commune renommée, de toutes parts divulguée, comme quoi la femme qui se faisait nommer Jeanne la Pucelle, erronnée devineresse, s'était, deux ans ou plus, contre la loi divine et l'état de son sexe féminin, vêtue en habit d'homme, ce qui était chose monstrueuse devant Dieu, et en tel état transportée devers notre ennemi capital et le vôtre. Auquel et à ceux de son parti, gens d'église, nobles et populaires, elle donna souvent à entendre qu'elle était envoyée de Dieu, en se présomptueusement vantant que souvent elle était en puissance d'avoir et qu'elle avait communication personnelle et visible avec saint Michel et grande multitude d'anges et de saintes de Paradis, comme  sainte Catherine et sainte Marguerite. Par lesquelles faussetés données à entendre et l'espérance qu'elle promettait de victoires futures, a-t-elle détourné plusieurs cœurs d'hommes et de femmes du chemin de la vérité et les a tournés à fables et mensonges. Elle s'est aussi revêtue de harnais convenant à chevaliers et écuyers, et a levé étendard, et, en grand outrage, orgueil et présomption, elle a demandé à avoir et porter les très nobles et très excellentes armes de France, ce qu'en partie elle obtint, et les porta en plusieurs combats et assauts, ainsi que ses frères, comme on dit, c'est à savoir un écu à champ d'azur à deux fleurs de lis d'or et une épée la pointe en haut férue en une couronne. En cet état elle s'est mise aux champs et a conduit gens d'armes en armées et compagnies, pour faire et exercer cruautés inhumaines en répandant le sang humain, pour faire sédition et commotion de peuple, en l'induisant à par jurements et pernicieuse rébellion, superstition et fausses croyances, en perturbant toute vraie paix et renouvelant guerre mortelle, en se laissant adorer et révérer de plusieurs comme femme sanctifiée, et par ailleurs damnablement faisant en divers autres cas, qui longs seraient à exprimer et qui toutes fois sont assez connus de plusieurs, dont presque toute la Chrétienté a été encore fort scandalisée. Mais la divine puissance, ayant pitié de son peuple loyal, pour qu'il ne soit longuement fatigué de péril, ne souffrant pas qu'il s'éprenne de vaines, périlleuses et nouvelles crédulités, comme légèrement s'est maintenant montré, voulut bien permettre, de sa grande miséricorde et clémence, que la susdite femme fût prise dans votre camp et siège que teniez pour ce temps de par nous devant Compiègne (2), et par votre bon moyen fût mise en notre obéissance et domination.
  Et pour ce que, dès lors, nous fûmes requis par l'évêque, en l'évêché duquel elle avait été prise (3), que icelle, comme notée et diffamée du crime de lèse-majesté divine, lui voulussions livrer comme à son juge ecclésiastique ordinaire, nous, tant pour révérence de notre mère la Sainte Église, dont la sainte ordonnance nous voulons à nos propres volontés et faits préférer, comme raison est, comme aussi pour honneur et exaltation de notre propre sainte foi, lui avons fait livrer la susdite Jeanne, afin de lui faire son procès ; et ne voulûmes pas qu'elle fût prise par les officiers de notre justice séculière pour aucune vengeance ou punition, ce qui cependant nous aurait été suffisamment licite, eu égard aux grands dommages et félonies, aux horribles homicides et détestables cruautés et autres innombrables maux, qu'elle avait commis contre notre seigneurie et notre loyal obéissant peuple. Lequel évêque s'adjoignit le vicaire (4) de l'inquisiteur et appela à lui grand et notable nombre des maîtres et docteurs en Théologie et Droit Canon, et commença à grande solennité et à due gravité le procès d'icelle Jeanne. Et après que lui et le susdit inquisiteur, juges en cette fin, eurent par plusieurs et diverses journées interrogé la susdite Jeanne, ils firent ses confessions et assertions mûrement examiner par les susdits maîtres docteurs, et généralement par toutes les Facultés d'étudiants de notre très chère et bien-aimée fille l'Université de Paris, à laquelle icelles confessions et assertions ont été envoyées. Et par l'opinion et délibération desquels, trouvèrent les susdits juges icelle Jeanne superstitieuse, devineresse, idolâtre, invoqueresse de diables, blasphémeresse de Dieu et de ses saints, schismatique et faisant par nombre de fois erreur en la foi de Jésus-Christ.
  Et dans le dessein de la ramener et réduire à l'unité et communion de notre susdite mère la Sainte Eglise et la purger de ces horribles, détestables et pernicieux crimes et péchés, et de la guérir et préserver son âme de perpétuelles peines et damnations, elle fut souvent et par bien long temps très charitablement et doucement admonestée qu'elle voulût toutes ses erreurs rejeter [et] mettre arrière, et humblement retourner à la voie et droit sentier de la vérité, ou qu'autrement elle se mettait en grave péril d'âme et de corps. Mais le très périlleux et divisé esprit d'orgueil et d'outrageuse présomption, qui toujours s'efforce et veut empêcher et perturber l'union et sûreté des loyaux Chrétiens, a en tel point occupé et détenu en la fin le cœur d'icelle Jeanne, que, pour quelque saine doctrine ou conseil ni autre douce exhortation qu'on lui administra, son cœur endurci et obstiné ne se voulut jamais laisser humilier ou amollir, mais souvent se vantait que toutes les choses qu'elle avait faites avaient été bien faites, et qu'elle les avait faites du commandement de Dieu et des saintes vierges qui visiblement lui étaient apparues, et ainsi, qui encore pis est, elle ne reconnaissait et ne voulait reconnaître, sur terre, que Dieu seulement et les saints du Paradis, et déboutait et reboutait le jugement de notre saint père le Pape, du concile général et de l'universelle Église militante. Et les juges ecclésiastiques, voyant son cœur si fortement et si longtemps endurci, la firent mener devant le clergé et devant le peuple qui là était assemblé en grande multitude, et [en] présence d'iceux furent solennellement et publiquement, par un maître en Théologie, ses cas, crimes et erreurs, à exaltacion de notre foi, extirpation de l'erreur, édification et amendement du peuple chrétien, prêches, exposés et déclarés. Et derechef fut charitablement admonestée de retourner à l'union de la Sainte Église et de corriger ses fautes et erreurs, en quoi, alors encore, elle demeura opiniâtre et endurcie. Et, ce considérant, les juges procédèrent à prononcer la sentence qui contre elle, en tel cas de droit, était introduite et ordonnée. Mais avant que la sentence contre elle fût lue, elle commença à faire semblant de convertir son cœur, disant qu'adonc elle voulait retourner à la Sainte Église. Ce que volontiers et joyeusement entendirent les juges et le clergé, et bénignement reçurent, espérant que par là son âme et son corps seraient rachetés de perdicion et peine. Adonc elle se soumit à l'ordonnance de la Sainte Eglise et révoqua de sa bouche son erreur et grand crime et les abjura publiquement, et signa de sa propre main la cédule de la révocation et abjuration, et par ainsi notre piteuse mère la Sainte Eglise, se réjouissant sur la pécheresse qui avait repentir, voulant la brebis perdue, qui dans le désert s'était égarée, ramener avec les autres, a icelle Jeanne, pour salutaire pénitence faire, condamné à la prison (5).
  Mais guère de temps n'y fut, que de son orgueil, qu'on croyait être éteint en elle, elle fut rembrasée pestilentieusement par le souffle de l'Ennemi. Et tantôt la susdite malheureuse femme fit rechute en l'erreur et faux égarement qu'elle avait par avant proférés et depuis révoqués et abjurés, comme dit est. Pour lesquelles choses, et encore selon l'ordonnance et institution de la Sainte Église, afin que dorénavant elle ne contaminât pas les membres de Jésus-Christ, elle fut derechef publiquement prêchée, et comme relapse en crime des fautes par elle accoutumées, si bien qu'il fallut l'abandonner à la justice séculière, qui sur l'heure la condamna à être brûlée. Et quand elle vit que sa fin approchait, lors reconnut-elle pleinement et confessa que les esprits qu'elle avait dits lui être apparus si souvent, étaient mauvais et mensongers, et que les promesses qu'ils lui avaient souvent faites de devoir la délivrer étaient fausses, et ainsi confessa par lesdits esprits avoir été moquée [et] déçue (6).

  Ici est la fin des œuvres, ici est l'issue d'icelle femme, que présentement, très cher et bien aimé oncle, nous vous signifions, pour que vous ayez pleine et véritable connaissance de la chose, parce que de cette matière vous et les autres [princes] Chrétiens deviez être avisés, afin de pourvoir, dans la mesure qui y appartient, à ce que vos sujets et les leurs ne présument croire si légèrement en telle erreur et périlleuse superstition, surtout en ce présent temps où nous voyons croître beaucoup de faux prophètes et semeurs de fausse erreur et folle croyance, qui s'élèvent contre notre mère la Sainte Eglise et par folle présomption pourraient contaminer de venin de fausse croyance le peuple chrétien, n'était que Dieu, par sa miséricorde, y pourvoie, et que ses ministres regardent diligemment à rebouter et à punir la force et la présomption des hommes réprouvés.

  Donné en notre ville de Rouen, le 28e jour du mois de juin".

A notre très cher et bien aimé oncle le duc de Bourgogne, de Lothier, de Brabant et de Limbourg, comte de Flandre, d'Artois, de Bourgogne, de Namur, Palatin, de Hainaut, Hollande, Zélande, marquis du Saint-Empire, seigneur de Frise, de Salins et de Malines.


                                   


Source : "Les sources allemandes de l'histoire de Jeanne d'Arc - Eberhard Windecke" - Germain Lefèvre-Pontalis - 1903.

Notes :
1 Eberhardi Windeckii Moguntiacensis Historia vitæ imperatoris Sigismundi vernacula... Leipzig, 3 vol. 1728-30.

2 Cet ouvrage fut rapidement l'objet de traductions françaises.

3 Les renseignements qui suivent sur la vie de E.Windecke sont tirés de la préface de l'édition de M.Altmann.

4 Pour l'étude complète et très instructive de cette première fraction, il convient de se rapporter à l'ouvrage de M.Lefèvre-Pontalis.


§ 295 :

1 On place généralement au 6 mars l'arrivée de Jeanne d'Arc à Chinon auprès de Charles VII. Orléans est assiégée depuis le 12 octobre 1428.

2 Il s'agit ici du texte poétique bien connu, représentant non pas une prophétie, mais simplement une composition latine de seize vers, fabriquée à l'occasion de l'apparition de la Pucelle, avant la libération d'Orléans, en mars ou avril 1429.
Ces vers sont inscrits dans le manuscrit de Vienne (ms.2913) mais encore dans d'autres manuscrits, mais assez bizarrement toujours chez des chroniqueurs étrangers ou lointains.
Une traduction française contemporaine due au manuscrit breton du scribe A.de Kaerrymael l'accompagne dans le registre delphinal de Thomassin dont les versions sont ci-dessous.

  "Une vierge vestue de vestemens de homme et qui a les membres appartenans à pucelles, par la monicion de Dieu s'appareille de relever le roy pourtant les fleurs de lis qui est couchié et de chassier ses ennemis maudis et mesmement ceulx qui maintenent sont devant la cité d'Orleans laquelle ils espavantent par siege. Et se les hommes ont grant courage d'eux joindre à la bataille et d'ensuyr les armes lesquelles la saincte Pucelle appareille, croyez les faulx Anglois estre succumbés par mort par le Dieu de la bataille de la Pucelle, et les Franscoiz les trebucheront. Et adonc sera la fin de la guerre, et retourneront les ancienes aliances, et amour, pitié et autres drois retourneront et tratteront de la paix, et tous les hommes s'outroyeront au roy de leur bon gré, lequel roy leur poisera et leur administrera justice à tous et les nourrira de belle paix, et dorenavant nul Anglois ennemy portant le liépart ne sera qui presumera soy dire roy de France."

3 Le texte latin est aussi chez Windecke mais tellement d'une "pitoyable" transcription que Lefèvre-Pontalis a mis cette version de Thomassin.


§ 296 :

1 Il s'agit ici du texte également bien connu, de la consultation émanée de la Commission d'enquête réunie à Poitiers, par ordre de Charles VII, en mars-avril 1429, avec charge de dresser information au sujet de la Pucelle et d'émettre un avis motivé  sur la question de savoir si le roi devait, ou non, prêter foi à ses dires. Encore une fois ce document est transcrit dans d'autres manuscrits que le ms 2913 de Vienne de Windecke avec la même remarque que pour les vers latins c'est à dire dans des chroniques ou textes lointains ou étrangers.
Il convient de noter l'intérêt qui ressort du fait que cette pièce capitale, demeurée longtemps ignorée, ait pénétré ainsi jusqu'en Allemagne.

2 Le manuscrit strasbourgeois de Jordan écrit : "bons à éprouver et à interroger la Pucelle".

3 Le manuscrit strasbourgeois de Jordan écrit : "il ne veut point"

4 Le manuscrit strasbourgeois de Jordan ajoute : "si légèrement"

5 Le manuscrit strasbourgeois de Jordan écrit : "il voulut" au lieu de "doit".

6 Phrase qui a prêté à  de nombreuses contradictions et discussions entre érudits, les textes présentant de légères variantes, certains l'interprétant dans le sens "surhumaines" comme Thomassin ou le R.P Ayroles.

7 Entendre ainsi "aussi ne doit-il trop tôt ni trop légèrement croire en elle".

8 C'est de St Jean et non St Paul que provient cette citation.

9 Le manuscrit strasbourgeois de Jordan écrit : "qu'ils [les signes] viennent de Dieu". Les manuscrits français mentionnent "elle" ou "ladite Pucelle".

10 Toutes les rédactions françaises mentionnent après le texte latin une allusion  à Gedeon "et semblablement fit Gedeaon, qui demanda signe, et plusieurs autres". Idem pour le manuscrit de Jordan.

11 Le manuscrit strasbourgeois de Jordan ajoute ici (en italiques) la très singulière addition sur la portée de laquelle il faut attirer l'attention car elle serait une preuve de plus de la prescience des évènements de Jeanne : "...et non auparavant, et là doit-elle aussi être blessée, car Dieu l'avait ordonné".
Il faut rappeler que la commission de Poitiers est bien antérieure au siège d'Orléans où Jeanne sera blessée le jour de l'assaut des Tourelles le 7 mai 1429.


§ 297 :

1 Le document qui suit représente la célèbre lettre de Jeanne d'Arc aux Anglais, en date du mardi saint 22 mars 1429. Voir le commentaire spécial à ce sujet.

2 La traduction de l'allemand représente presque exactement le texte de la lettre de Jeanne d'Arc, tel qu'il a été conservé dans les diverses sources.

3 "Rendez à la Pucelle" - Ces mots représentent la première des trois expressions contestées par Jeanne d'Arc devant ses juges de Rouen. (Voir procès)
La suppression de ces mots équivaudrait, comme on s'en rend aisément compte, à la suppression de tout le texte de la lettre jusqu'à la phrase : "Et vous, archers...". En effet, toute cette fraction du texte est gouvernée par l'expression : "la Pucelle", expression qui amène et cornmande les deux reprises de phrase suivante : "Elle est venue..." "Elle est prête..." - En remplaçant les mots : "rendez à la Pucelle..." par ceux-ci : "rendez au roi...", tout le texte, jusqu'à la phrase : "Et vous, archers..." ne conserverait aucun sens et devrait être rayé.
Il serait difficile de supposer là une adjonction provenant du scribe français de la Pucelle. Nest-il pas tout simple de supposer que la protestation de Jeanne d'Arc doit s'entendre en ce sens, qu'elle veut déclarer n'avoir jamais usurpé aucun droit royal, tel que sommation, soumission de villes, ou quelque autre prérogative semblable. Par là, elle entendait nier, et avec raison, la signification que la perfidie de l'interrogatoire voulait extorquer à cette phrase, aussi simplement concue que rédigée.

4 Le texte français présente : "Elles est ci venue", au futur et modifie la construction du membre de phrase final, littéralement : "par ainsi que France vous mectrés jus et paierez ce que l'avez tenu" - Le texte le plus correct semble être celui de la Relation du greffier de la Rochelle, littéralement : "par ainsy que France vous meitiez jus et paiez de ce que vous l'avez tenue". - La Geste des nobles Francais, avec ses dérivés (Chronique de la Pucelle, Journal du siège d'Orléans), supprime le mot "France", ce qui rend la phrase incompréhensible, littéralement : par ainsi que vous mettez jus et paiez de ce que l'avez tenu." - Le Regislre Delphinal de Mathieu Thomassin porte, littéralement : "par ainsi que rendez France et payez de ce que l'avez tenu" - La Chronigue de Tournai offre, littéralement : "Vous déportans de France et paiant le roi de ce que le (forme picarde et wallonne pour la) avez tenue."
Il résulte de tout ceci que ce passage a paru obscur, même aux conterrrporains. Quant aux interprétations modernes émanées de divers historiens de la Pucelle, elles sont multiples.
II faut d'abord remarquer que tout l'ensemble nécessaire et concordant de la phrase impose le sens général de conditions de paix, tout à l'honneur de la France, faites par les Anglais aux Français.
L'expression principale : "que France vous mettiez jus", peut présenter au premier abord une certaine difficulté. L'adverbe "jus" (bas lat. jusum), aujourd'hui tombé en désuétude, indique généralement une acception dépressive : abaissement, chute, - en opposition à "sus" (bas-lat. susum), toujours demeuré vivant, qui comporte acception contraire. Cependant, le terme "jus" paraît employé ici dans l'une de ses nuances admissibles, où il pourrait signifier : laisser là "Mettre jus - laisser de côté", soit la signification de déposer, abandonner. C'est le sens qui çe reflète tout naturellement dans la leçon du Regislre Delphinal "par ainsi que rendez France", et dans celle de la Chronique de Tournai : "vous deportans de France".
L'expression complémentaire : "et payez de ce que l'avez tenue", offre moins d'équivoque. II semble qu'on comprenne assez aisément "et payez pour l'avoir occupée". La Chronique de Tournai ajoute même une glose visible : et paiant le roi de ce que le (le valeur de la) avez tenue". La suppression de la préposition "de" (suppression qui se rencontre uniquement dans le texte de l'acte d'accusation "et paierez ce que l'avez tenue") n'autoriserait pas à prendre "ce que vous l'avez tenu" pour proposition complétive directe du verbe payer, et à en déduire tel ou tel autre sens. Il n'y a évidemment là, dans cette omission de la préposition "de", qu'une erreur de transcription sans conséquence.
En traduction moderne, tout ce passage pourrait ainsi s'entendre : "faisant tant que d'évacuer la France et de payer le prix de votre usurpation".

5 Le texte de "la geste des nobles français" et celui de la "relation du greffier de la Rochelle" porte : gentils et vilains c.a.d nobles et non nobles. La chronique de la Pucelle (éd. Vallet de Viriville) porte gentils et vaillans, On ne voit pas pourquoi.

6 Seconde des trois expressions contestées par Jeanne d'Arc devant les juges de Rouen. L'admission de cette suppression n'entrainerait que la radiation du simple membre de phrase : "adonc je suis chef de guerre", le reste de la construction pouvant s'en passer.
Addition qui pourrait très simplement s'expliquer par une adjonction provenant du scribe français de la Pucelle.

7 Tout ce passage, entre les mots "veuillent ou non veuillent", qui précèdent, et "France", qui suit, est, dans tous les textes français l'objet d'interversions diverses.

8 Tous vous bouter hors de France". Variante de l'expression des textes français connus tels que : "vous bouler hors de torte France" , celle-ci entrée dans la légende (Acte d'accusation, Relation du greffier de la Rochelle...) "vous bouter hors de France" (Geste des nobles Français, Registre Delphinal).

9 Ce redoublement d'expression "et détruire" ne parait pas avoir laissé trace dans les textes connus.

10 "De mon corps" - mot à mot : avec mon corps.
Variante à la leçon des textes français connus ; "corps pour corps". (Néant dans la Chronique (le Tournai.) - C'est la troisième et dernière des expressions contestées par Jeanne d'Arc devant ses juges de Rouen.
Admission de cette suppression n'entraînerait que la radiation de l'expression accessoire "corps pour corps". Addition qui pourrait parfaitement s'expliquer par une adjonction provenant du scribe français de Jeanne.

11 Tout ce dernier corps de phrase "tous ceux qui voudraient porter offense d'armes, malengin et trahisons ou autre dommage au roi de France" ne se rencontre que dans "la chronique de Tournai" et dans "la lettre du chevalier de Rhodes".

12 Les textes français portent simplement : "Fils de Ste-Marie".

13 Car seul doit le tenir le roi Charles, héritier d'icelui et de par Dieu le vrai.

14 Tout ce membre de phrase : "et veut le même Dieu du Ciel qu'il le possède et tienne, tel qu'il l'a reçu" ne figure dans aucun autre texte connu. Peut-être pourrait-on en suivre la trace, singulièrement effacée, dans les passages suivants : "car Dieu, le roi du Ciel, le vent" - "c'est la volunté du roi du Ciel et de la Terre" - "car Dieu, le roi du ciel, le veut ainsi" - Néant dans la Geste des nobles Francais et ses dérivés ; néant dans le Registe Delphinal : néant dans la Relation du greffier de la Rochelle. Le texte d'où est dérivé le texte allemand offre une rédaction singulièrement plus explicite. Il n'est pas besoin d'insister sur son importance. Dès le début primordial de son action, la Pucelle définit ainsi, avec la précision la plus complète, les limites de son oeuvre, telle qu'elle l'entend et la comprend. ll s'agit du "royaume de France". Le "Dieu du Ciel" veut que Charles VII le recouvre "tel qu'il a reçu". Comment démontrer mieux, et avec plus d'éloquenté simplicité, que la Pucelle comprenail, dans son œuvre personnelle l'expulsion totale des Anglais de France ?

15 C'est la rédaction même de certaine textes français. (Acte d'accusation, Lettre du chevalier de Rhodes) La chronique de Tournai porte : "et ce lui est révélé par moi, qui sui [la] Pucelle". Néant dans la Geste des nobles Français et ses dérivés ; néant dans le Registre Delphinal ; néant dans la Relation du greffier de la Rochelle. J'ai cru pouvoir ajouter ici, entre crochets, pour indiquer l'addition, le mot "ce", en me fondant sur sa présence dans le texte (le la Chronique de Tournai, lequel offre tant d'analogies continuelles avec le texte allemand qui fait l'objet de cette étude.

16 Variante intéressante, c'est ici la Pucelle qui rentre dans Paris en bonne compagnie et non pas le Roi comme dans les autres variantes de cette lettre.

17 Hahay doit s'entendre semble-t-il dans le sens de "Haro" clameur vengeresse. Il semble en rester de nos jours ce terme "brouhaha".

18 "Et si ne faites raison" est rattaché à tort par divers textes français, à la fin de la phrase précédente. Le registre delphinal et la chronique de Tournai suit la même coupure que dans ce texte allemand de Windecke.

19 Variante des textes français aui tous mentionnent les gens d'armes français et non ceux de l'ennemi (assauts à elle et à ses gens d'armes").

20 Tous les textes connus de cette lettre présentent ici de légères variantes dans cette phrase mais toutes ont le même sens général :"Si vous voulez vous ranger à l'équité, il vous sera loisible de venit grossir sa compagnie, avec laquelle les Français étonneront le monde".
Allusion probable à quelque croisade universelle.

21 Seule partie de la version de Windecke moins explicite que les textes français qui mentionnent avec des termes différents la ville d'Orléans. "Si voulez faire paix en la cité d'Orléans" acte d'accusation de d'Estivet.


§ 298 :

Style chronologique différent du style français de Pâques, qui, en ce moment de l'année exigerait : 1428.

1 Les dates sont en concordance avec la Chronique de Tournay.

2 Entendre ainsi la succession des évènements : partie de la ville française de Blois, avec le convoi de secours, le jeudi 28 avril, Jeanne d'Arc faisant route, le long de la Loire par la rive de Sologne (rive gauche, rive du Sud), est arrivée en face d'Orléans le vendredi 29 avril, en amont du pont de Loire, en contournant les bastilles anglaises (voir carte des environs d'Orléans). Le soir du 29 avril, la Pucelle entre dans la ville avec une partie des vivres du convoi par le moyen de bateaux de rivière montés par les gens d'Orléans sans que les Anglais des bastilles installées le long de la Loire sur la rive de Sologne comme sur la rive opposée cherchent à y mettre obstacle.

3 Chiffre en concordance avec la chronique de Tournai.

4 Récit de l'entrée dans Orléans de Jeanne et d'une partie du convoi le vendredi 29 avril et mention de l'arrivée du gros du convoi le mercredi 4 mai. La chronique de Tournai précise les dates.

5 Récit de la bataille et de la prise de la bastille St-Loup, évènement survenu le 4 mai dans l'après-midi.

6 Lisez septième jour.

7 Il faudrait dire les bastilles car ils abandonnèrent toutes les bastilles à l'ouest et au Nord d'Orléans.


§ 299 :

1 Cette expression se retrouve aussi dans la chronique de Tournai.

2 Mercredi 11 mai 1429. La chronique de Tournai dit le vendredi 13 mai.

3 Ici se termine les analogies avec la chronique de Tournai depuis le début du §298.


§ 300 :

1 Concernant l'envoi du confesseur par le Duc de Bretagne à la Pucelle : "Envoi par Jean V, duc de Bretagne, à Jeanne d'Arc, dans le cours de mai 1429, après la délivrance d'Orléans, d'une mission composée de Frère Yves Milbeau, son confesseur, et du héraut d'armes Hermine." (document de la chambre des Comptes de Nantes, cité par D.Lobineau, Histoire de Bretagne, t.I, p.580. Quicherat - Procès, t.IV, p.485 et 498, note 1).


§ 301 :

1 Récit de la bataille de Patay.


§ 302 :

1 Récit de la marche sur Reims et du sacre.


§ 303 :

1 Ce paragraphe préliminaire de la seconde reprise du récit d'Eberhard Windecke figurait déjà, comme il a été dit, dans les publications antérieures, où il jouait le rôle de conclusion.
Il convient seulement, comme on voit, des généralités qui, dans l'état antérieur du texte, pouvaient passer pour récapitulatives, mais qui dans sa présentation actuelle, peuvent être plutôt considérées comme un préambule.


§ 303bis :

1 Cet écho ne se retrouve jusqu'ici dans aucune autre source connue. Jeanne d'Arc et Charles VII entrent à Reims, venant de Châlons, le 16 juillet 1429.
Le sacre a lieu le 17 La Pucelle et le roi quittent Reims, se dirigeant vers Soissons, le 21.

2 L'allusion à la date de la Saint-Martin (11 novembre), qui se trouve contenue dans ce récit, reporte sa redaction, au plus tôt, à, la fin de l'an 1429.
C'est une bonne fortune exceptionnelle que d'en retrouver ainsi le texte, conservé dans le seul manuscrit de Strasbourg. Il représente sans conteste la plus gracieuse, la plus poétique de ces nouvelles, forme légendaire, ainsi improvisées, sur les pas de Jeanne d'Arc, par l'inépuisable faculté d'imagination de 1a foule. En quelques mots, il évoque, en pleine France, a la vue des clochers de la Ville Sainte des Gaules, tout un paysage et toute une scène presque évangéliques.


§ 304 :

1 Ce paragraphe représente, comme on voit, deux échos de même ordre, ainsi réunis sous le même groupement.
Le premier écho ne se rencontre et n'est reconnaissable en aucun autre texte. Jusqu'ici, il semble absolument propre au récit de Windecke. Il appartient visiblement au cycle d'actes divinatoires prêtés par la voix publique a la Pucelle.

2 Le second echo présente un nouveau spécimen, facilement reconnaissable, du récit plus ou moins déformé d'une aventure bien connue. Il s'agit, en l'espèce, de la scène où Jeanne d'Arc rompit son épée sur les épaules d'une fille de joie qui suivait indûment l'armée royale.
Le fait est rapporté, parmi les chroniqueurs contemporains, par Jean Chartier, et, au procès de réhabilitation, par la déposition du duc d'Alençon.
Jean Chartier inscrit cet épisode, avec une certaine précision, au-premier jour de la campagne du Sacre, au jour où Charles VII s'ébranle de Gien même, avec le gros de l'armée, et où la Pucelle quitte, avec l'avant-garde, le camp où elle s'est installée, depuis peu, à quatre lieues en avant de la ville, la route prise par toutes les forces françaises réunies étant la direction de Gien à Auxerre. La date de cette mise en marche générale vers le sacre de Reims est le 29 juin.
La déposition du duc d'Alençon, l'enthousiaste et fidèle compagnon de la Pucelle, toujours à ses côtés pendant cette campagne, fixerait ce fait, dont il assure avoir été témoin oculaire, en un tout autre lieu, bien distant, et à une tout autre date, bien postérieure : c'est-à-dire à Saint-Denis, pendant la préparation de l'attaque de Paris. Ce séjour à Saint-Denis, dans la place même ou auprès, se place entre le 26 août, jour de l'entrée de Jeanne d'Arc et du duc dans laville, et le 13 septembre, jour de la retraite ordonnée par le roi.
Jean Chartier est seul à dire que l'épée ainsi rompue était celle-là même qui avait été trouvée à Sainte-Catherine-de-Fierbois, en de si merveilleuses circonstances ; il ajoute que malgré tous les efforts ordonnés par le roi, les tronçons de l'épée ne purent être ressoudés, ce qui, depuis, fut interprété comme un mauvais présage.
Le texte de Windecke ne permet, comme on voit, de rien préciser sur ce point. Ajoutons qu'il est seul à mentionner la mort d'une des "folles filles" ainsi frappées. Les deux textes français ne parlent que de la rupture de l'épée, incident que le texte allemand ne signale pas d'ailleurs.


§ 305 :

1 Dîner doit s'entendre dans le sens de ces textes c'est à dire du repas pris en fin de matinée, tandis que souper représente le repas du soir.

2 Trois heures de l'après-midi.

3 Cet écho, dans le cadre où il se présente ici, ne se retrouve dans aucun autre texte connu.
Faudrait-il, dans ce bruit courant, deviner quelque version, amplifiée et déformée, d'un incident ignoré survenu en quelque ville traversée par le roi el la Pucelle, pendant la campagne du Sacre ou la campagne de Paris, dans la marche de Gien sur Reims ou de Reims sur Paris, seules opérations où Jeanne d'Arc et Charles VII se soient trouvés, ensemble, à portée de l'ennemi ?
C'est à cette époque, en ettet, que semblent se rapporter presque tous les échos enregistrés dans cette partie du récit de Windecke.
Le texte allemand mentionne un combat livré aux Anglais. entre Gien et Reims, et pendant la première partie de la campagne de Paris, entre Reims et le pont de Seine de Bray, l'armée royale ne parail pas avoir rencontré d'Anglais, mais seulement les Bourguignons. Encore l'histoire acquise ne signale-t-elle pas de combat en forme. Néanmoins les bruits en cours, dont on retrouve trace d'expansion dans l'ltalie du Nord, propageaient de terrifiantes nouvelles de chocs meurtriers, signalés vers cette date. (combats d'allure légendaire signalés à Troyes et Auxerre en date de mi-juillet - chron. d'Antonio Morosini). Ou bien devrait-on reconnaître, dans ce récit, une répercussion, singulièrement altérée, il est vrai, d'un épisode de la libération d'Orléans, classé et acquis à l'histoire ?
On sait que, le matin de l'assaut des ouvrages (les Tourelles, le samedi 7 mai, au moment où la Pucelle, rentrée la veille au soir à Orléans, après la prise et l'occupation de Saint-Jean-Le-Blanc et des Augustins, se préparait à sortir de la ville et à passer La Loire pour achever la tache si bien commencée, les portes de la place d'Orléans se trouvèrent fermées, par ordre des chefs des forces françaises. Ceux-ci, devant les succès positifs obtenus le jour précédent, préférant s'en tenir à ce résultat acquis, désapprouvaient la poursuite des opérations et cherchaient à empêcher l'attaque des boulevards et de la bastille encore aux mains de l'ennemi, à la tête du pont, sur la rive de Sologne. Jeanne d'Arc dut faire ouvrir de force la grande porte de Bourgogne et une petite porte dormant sur la grève de Loire, en amont de l'amorce du pont sur la rive d'Orléans, pour pouvoir donner issue à ses gens, effectuer le passage de la rivière et assurer la magnifique victoire qui allait couronner la journée.
Le texte allemand parle de la part du roi dans l'événement. CharlesVII il est vrai, alors bien loin d'Orléans, ne joua aucun rôle dans cette scène. Le principal acteur parait en avoir été le sire de Gaucourt, homme de guerre éprouvé, de vaillance et loyauté indiscutables, mais l'un des pires représentants, dans l'entourage militaire du roi, des déliances déjà organisées contre Jeanne d'Arc. Gouverneur d'Orléans au début du siège, obligé de quitter la ville par suite d'une chute de cheval, y ayant reparu depuis, repassé ensuite à Chinon près du roi, rentré dans Orléans avec l'armée de secours, il était chargé, le matin du 7 mai, d'assurer la clôture des portes et l'interdiclion de tout essai de passage. Violemment apostrophé par Jeanne d'Arc, outrée de cette puérile perfidie, il parait avoir couru danger de mort dans le tumulte provoqué par la sortie furieuse des troupes enthousiasmées (déposition de Simon Charles). Dans la suite de la journée, il figure parmi les combattants de l'assaut des ouvrages des Tourelles (Chron. de Berri).
Quoi qu'il en soit, cet écho n'en marque pas moins, de façon instructive, la tendance immédiate de l'opinion populaire à apprécier le rôle du roi et de l'entourage royal à l'égard de la Pucelle.


§ 306 :

1 Cet écho ne se retrouve en aucun autre texte, et appartient uniquement, dans toute sa singularité, au chroniqueur allemand.
Le confesseur officiel de Jeanne d'Arc, pendant toute sa carrière militante, fut, comme on sait, l'Augustin Jean Pasquerel. Lecteur au couvent de son ordre à Tours, il fut amené à la Pucelle, lors du séjour de celle-ci à Tours, dans la dernière semaine d'avril, d'une manière assez singulière.
Quelques-uns des six compagnons de route qui avaient formé l'escorte de Jeanne d'Arc, de Vaucouleurs à Chinon, étaient repartis de Chinon pour le lointain pèlerinage du Puy-en-Velay. lls allaient assister à la grande manifestation pieuse organisée dans ce célèbre sanctuaire, en cette année 1429, à la date du 25 mars, par la rare coïncidence du jour de l'Annonciation avec le Vendredi-Saint. On sait qu'à cette même solennité figurait la mère de Jeanne, lsabelle Romée, ainsi venue de Domrémy jusqu'en ce lieu de dévotion célèbre, où un même et touchant sentiment la joignait aux fidèles de la première heure, dont l'obscur dévouement venait d'assurer l'oeuvre merveilleuse de sa fille.
A ce pèlerinage, venu, quant a lui, de Touraine, participait aussi Jean Pasquerel. Pris pour sa personne d'une sympathie dont les circonstances demeurent inconnues, les compagnons de la Pucelle regagnent avec lui Tours, où se trouvait alors Jeanne d'Arc, logée au logis de Jean Dupuy, bourgeois de la ville. Sur leur recommandation, elle l'agrée comme confesseur et chapelain.

* Jean Pasquerel suivit constamment Jeanne d'Arc, en cette double qualité, depuis cette rencontre à Tours, à la fin d'avril 1429. Il fut pris avec elle sous les murs de Compiègne, le 23 mai 1430. Lors du procès de réhabilitation, il se trouvait affecté au couvent de son ordre à Bayeux. Nul texte ne lui suggère le rôle singulier ici prêté au confesseur de la Pucelle, rôle que ce récit d'Eberhard Windecke est seul à présenter sous cette forme.
Il faut considérer de plus près le dire final, prêté par ce récit à la Pucelle envers ce confesseur plus on moins imaginaire.
Ce dire final comprend, comme on voit, deux assertions : la première, relative à la prévision de la mort de la Pucelle dans un combat livré aux Infidèles ; la seconde, concernant l'apparition d'une autre vierge inspirée destinée à lui succéder.
La première assertion comporte une curieuse allusion aux intentions qu'aurait pu avoir la Pucelle d'engager une croisade universelle contre les Infidèles. Une mention en a déjà été rencontrée dans le texte de la Lettre de Jeanne d'Arc aux Anglais. On ne peut que renvoyer aux explications fournies en cette circonstance. Quant à la prédiction, par Jeanne d'Arc elle-même, de sa propre mort, en ces circonstances extraordinaires, ce passage de Windecke est le seul à en faire ainsi mention.
La seconde assertion touche à des faits plus compliqués. On y distingue la prédiction qu'une autre envoyée céleste doit lui succéder, et que cette seconde Pucelle doit venir de Rome.
On découvre là, me semble-t-il, une des explications les plus imprévues d'un des incidents qui marquèrent, quelques années plus tard, l'imposture de la fausse Pucelle, la trop célèbre Claude des Armoises.
Faut-il résumer la carrière acquise de cette aventurière - son apparition, en mai 1436, aux environs de Metz, sa reconnaissance par les propres frères de Jeanne, ses pérégrinations en Lorraine, en Luxembourg, dans l'Allemagne rhénane, son mariage avec le représentant d'une famille lorraine de noblesse authentique, Robert des Armoises, sa présence, en 1439, à Orléans, à Tours, dans le Maine, sa comparution à Paris, par ordre de l'Université et du Parlement, dans l'été de 1440, enfin sa disparition totale de l'histoire, après ces incroyables années d'effarante simulation ?
Or, lors de son exhibition publique, à Paris, "sur la Pierre de Marbre", en la grande cour du palais, Claude des Armoises assurait arriver de Rome. Elle s'y serait rendue, assurait-elle, pour obtenir le pardon de quelque cas réservé, et y serait demeurée, sous un déguisement militaire masculin, dans les troupes pontificales, "en la guerre" du pape Eugene IV, sans doute pendant les troubles provoqués par la révolution romaine de 1434 ?
Des lors, un rapprochement ne semblerait-il pas autorisé entre les deux faits suivants ? D'une part, le fait acquis de la circulation en pays rhénan, à Mayence où elle est ainsi recueillie, de la soi-disant prédiction de la Pucelle, portant qu'après sa mort prochaine, une autre doit lui succéder, et venir de Rome. D'autre part, l'affirmation de Claude des Armoises, originaire, elle aussi, des frontières rhénanes et lorraines, et chercheuse d'aventures en pays rhénans, assurant qu'elle-même arrivait de Rome. Ne peut-on admettre que, pourvue de sa connaissance de cette prédiction bizarre, et, surtout, sachant à quel point elle avait couru ces régions, l'aventurière ait cherché à l'exploiter à son profit, en se présentant comme munie du signe de créance prophétisé par Jeanne en personne ?
Le fait, en tout cas, ne parait pas négligeable, et doit comporter réflexion.
Quant à l'appréciation personnelle du confesseur de la Pucelle, qui termine ce long écho, elle ne parait se rencontrer , sous cette forme, que dans ce récit d'Eberhard Windecke. La rédaction en est aussi touchante que conforme à la réalité générale des témoignages acquis.

* Sur ce fait, (déposition de Fr. Jean Pasquerel, Procès, t.III, p. 400-104). Le rôle prêté à Isabelle Romée dans cet éloquent récit (chap. cciv-ccvl, au sujet de la présentation de Fr. Jean Pasquerel à Jeanne d'Arc, parait une interprétation exagérée du texte de cette déposition : celle-ci ne fait allusion qu'à la simple présence d'Isabelle Romée au Puy, et ne met en scène, comme décidant le religieux à rentrer ensemble en Touraine, que les seuls compagnons de la Pucelle.
- Sur les dates du séjour de la Pucelle à Tours, où, venant de Chinon, elle semble arriver le 21 avril, et d'où elle gagne Blois, qu'elle quitte après une halte de quelques jours, le 28 avril, voir : Chron. de Tournai, éd. de Smet, p. 409
.


§ 307 :

1 Cet écho ne se rencontre que dans le récit d'Eberhard Windecke. On ne voit pas à quel fait il pourrait se rapporter. En outre, il ne s'accorde pas avec la tendance générale prêtée à la Pucelle et à son caractère.
Peut-être cependant, par une déformation fantaisiste, pourrait-il se référer à quelque incident du passage en France de l'armée anglaise de renfort, qui, ainsi qu'il est établi entra en jeu au mois de juillet 1429. Les forces anglaises comprenaient, pour une bonne part, les troupes levées et payées par le Saint-Siège, sous le commandement du cardinal Henry de Beaufort, évêque de Winchester, grand-oncle du jeune roi Henry Vl, pour coopérer à la cinquième croisade expédiée contre les Hussites de Bohême. Troupes que le gouvernement anglais, par virement administratif, trouva bon d'affecter sans vergogne aux opérations contre la France. Les forces de la croisade, toujours sous le commandement du cardinal anglais, ainsi détournées de leur affectation première, portaient, en vue de leur destination nouvelle, un étendard spécial, à signification ironique dirigée contre la Pucelle, dont l'auteur du Livre des Trahisons de France, qui paraît l'avoir vu de près, a laissé une curieuse description. L'armée de renfort dont elles faisaient partie, forte en tout de 3.550 hommes, passa, sans incident connu, de Douvres à Calais, entre le 3 et le 10 juillet 1429. Dès cette époque même, se préparait en Angleterre une seconde armée de renfort, dont le passage était annoncé comme devant se faire presque simultanément avec la première. Néanmoins, de délai en délai, elle ne devait en fait traverser la Manche qu'au printemps de 1430 *, avec le jeune roi Henry VI, qui passe de Calais à Douvres, le 23 avril, en route pour son couronnement à Notre-Dame de Paris.


§ 308 :

1 Lundi 12 septembre 1429.

2 Cet écho est tout entier relatif à l'attaque de Paris, tentée, le jeudi 8 septembre 1429, par Jeanne d'Arc, le duc d'Alençon et l'armée royale française, ayant pour base Saint-Denis récemment conquis, attaque infructueuse dont l'échec était destinée amener la lamentable retraite des forces françaises sur la Loire.
Il faut noter ici que la date présentée par le texte allemand, la seule indication chronologique offerte par toute cette reprise du récit est erronée. La mention ici précisée porte : le lundi avant la Sainte-Croix. La fête de l'Invention de la Sainte-Croix se célèbre le 14 septembre. Or, en 1429, le 14 septembre tombait un mercredi. C'est donc le lundi 12 septembre qu'à voulu signifier le rédacteur. Désignation inexacte, soit comme jour du mois, soit comme jour de la semaine, l'évènement étant classé et acquis à la date du jeudi 8 septembre, jour de la Nativité de la Vierge.
Il est vraiment curieux de voir cette date erronée d'un fait si notoire coïncider avec celle que fournit Monstrelet, lequel mentionne textuellement le lundi XII° jour de septembre comme date de l'assaut de Paris. Cette coïncidence n'est du reste pas la seule entre les deux textes.
Ce lundi 12 septembre, en réalité, l'armée royale était à la veille d'évacuer Saint-Denis pour regagner la Loire.
La force de l'armée assaillante, ici portée à 3.000 hommes seulement, parait appréciée (un chiffre sensiblement inférieur à celui de son effectif réel. Sans discuter l'évaluation de la grande armée royale, il semble que, sous Paris, Jeanne d'Arc et le duc d'Alençon eussent en main 12.000 hommes au moins).
La durée de l'assaut, indiqué comme s'étant prolongé tout le jour, n'est nullement exagérée. L'attaque commence avant midi : Jeanne d'Arc est blessée vers le coucher du soleil : elle ne se retire, que bien après la nuit close.
La puissance des engins de jet et de l'artillerie de Paris, à laquelle il est ici fait allusion, se trouve certifiée par d'autres textes contemporains, entre autres, la Chronique de Perceval de Cagny, le Journal d'un Bourgeois de Paris et la Relation du greffier de la Rochelle. Le fait, ici allégué, de l'infime proportion des pertes qu'aurait subies l'armée de la Pucelle, se trouve répété, d'une façon plus singulière encore, dans la Relation du greffier de la Rochelle ; celui-ci spécifie même qu'il n y eut, à la connaissance générale, qu'un seul tué, qu'il désigne nominativement : à savoir un de ses compatriotes, Jean de Villeneuve, bourgois de la Rochelle. De même, après Patay, la légende n'attribuait aux troupes de la Pucelle qu'un seul mort, également désigné formellement. Devant Orléans, à l'attaque de la bastille de Saint-Loup, le 4 mai, à l'attaque des ouvrages des Tourelles, le 7 mai, puis encore à Patay, le 18 juin, selon d'autres bruits en cours, la voix populaire tendait à n'attribuer aux combattants qu'une proportion infinitésimale de risques.
Les 6 ou 700 morts dont parle la Chronique des Cordeliers, dans son récit très confus de ces évènements, se rapporteraient, avec la plus complète invraisemblance d'ailleurs, au combat livré la veille, le mercredi 7, et que le rédacteur place vers l'église Saint-Laurent. Le Journal d'un Bourgeois de Paris, dans un récit sujet à caution, présente l'armée royale, battant en retraite vers Saint-Denis, par Saint-Lazare, comme brûlant nombre de morts, emportés en travers sur les chevaux, et entassés en immense charnier dans une grange de la banlieue d'alors, près des Porcherons. S'agirait-il là simplement de l'incendie peut-être survenu en cette place  de quelques-uns des 300 chariots chargés d'engins de siège, amenés de SaintDenis par l'armée royale, et dont un certain nombre, rompus et effondrés, furent abandonnés et brûlés dans la retraite dans la nuit du 8 au 9 septembre ?
La mention de la blessure de la Pucelle n'offre ici rien de particulier. Jeanne d'Arc eut, comme on sait, la cuisse traversée de part en part d'un carreau d'arbalète à haussepied, lance par quelque milicien de Paris.
Le second alinéa de ce paragraphe contient deux échos distincts, tous deux d'ordre merveilleux, l'un relatif à l'innocuité des projectiles lances sur les assaillants, l'autre concernant un émouvant présage survenu pendant l'assaut.
Le bruit relatif à la chute inoffensive, des boulets parisiens se trouve encore, nouveau et singulier rapprochement  enregistré par la Relation du Greffier de La Rochelle.
L'autre bruit ne se trouve mentionné dans aucun autre texte connu .
Déjà, dans un passage de la première reprise de son récit, Eberhard Windecke avail mentionné un épisode de même ordre. Pendant l'assaut du boulevard des Tourelles, le samedi 7 mai, les combattants avaient vu, non sans émotion, deux "blancs oiseaux" se poser sur les épaules de la Pucelle. Tableau qui se retrouve, trait pour trait, dans le texte de la Chronique de Tournai.
Ici, dans cette narration de l'attaque de Paris, la description de la scène se trouve plus précisée. La colombe vient se poser sur l'étendard même, tenant un attribut, une couronne d'or. Or cette scène mystique se rapprocbe visiblement de la représentation de l'emblème figuré sur l'étendard même de la Pucelle.
La description de cet étendard, de face, est bien connue, figure de Christ accostée d'emblèmes accessoires. Mais, au revers, figure précisément une colombe blanche portant en son bec, comme attribut, une banderole contenant ces mots : "De par le Roi du ciel." Description que, il faut le noter en rapprochant le fait des autres coïncidences déjà constatées, la Relation du greffier de La Rochelle est seule à présenter.
Il semble bien vraisemblable qu'on saisisse ici, sur le vif, le procédé presque inconscient par lequel, sous l'effet des circonstances ambiantes, une simple représentation figurée se transforme en scène palpable. On surprend ici la fixation immédiate d'une légende, avec son point de départ d'expansion future dans l'histoire mystique de la Pucelle.
Le fait, à cet égard, dépasse en portée l'anecdote qui se trouve ici rapportée et pourrait servir à éclairer d'un jour intéressant la formation du cycle populaire de la Geste de Jeanne d'Arc.
Il est à remarquer que cet écho ne fait aucune allusion à l'échec final de l'entreprise de Paris, ni à la retraite de la Pucelle du roi et de l'armée vers la Loire, retraite qui allait commencer le 13 septembre.


§ 309 :

1 Cet écho ne se retrouve dans aucune forme reconnaissable dans aucun texte connu jusqu'ici.
Il se présente de toute évidence comme un de ceux qui durent le plus vivement impressionner l'imagination populaire, auprès de laquelle son allure romanesque et dramatique était bien faite pour lui assurer un crédit particulier.


§ 310 :

1 Rouen

2 23 mai 1430

3 Pierre Cauchon, évêque de Beauvais.

4 Jean Le Maistre. L'inquisiteur était Jean Graverend, inquisiteur de tout le royaume de France.

5 Rouen : cimetière de St-Ouen - 24 mai 1431.

6 Rouen : place du vieux-marché - 30 mai 1431.
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