Son histoire
par Henri Wallon
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La chronique de Perceval de Cagny
index
|
e
témoignage que nous allons faire connaître se place
par son importance à côté des plus précieux
qui aient été recueillis jusqu'à présent
(en 1846). C'est un extrait consistant en vingt-neuf chapitres,
d'une chronique inédite des ducs d'Alençon, conservée
à la Bibliothèque royale (1).
Le manuscrit n'en est pas ancien, car il est de la main d'André
Duchesne ; mais l'ouvrage est du quinzième siècle.
Dans une courte préface se lisent les nom, titres et qualités
de l'auteur, lequel était gentilhomme beauvaisien et s'appelait
Perceval de Caigny (2). En 1438 , qui
est la date de cette préface (3),
Perceval de Caigny avait passé quarante-six ans de sa vie
au service des princes d'Alençon, tour à tour panetier,
écuyer d'écurie et maître d'hôtel à
leurs gages. Exempt de toute prétention au bel esprit, il
eut l'idée sur ses vieux jours de dicter simplement et naïvement
le récit des choses qu'il avait vues et qui pouvaient servir
à la gloire de ses maîtres. De là sa chronique,
qu'il appelle son mémoire.
Cet ouvrage a été connu et mis à
contribution par l'avocat Bry de la Clergerie, historien du duché
d'Alençon, qui écrivait au commencement du dix-septième
siècle. Vers le même temps, Duchesne exécuta
sa copie d'après un original dont il n'indique pas la provenance.
Depuis lors, personne ne paraît avoir eu connaissance de Perceval
de Caigny, si ce n'est le P. Lelong, qui l'a nommé parmi
les historiens des maisons royales, renvoyant, pour plus ample informé,
au manuscrit même de Duchesne (4).
Mis à cette place, le vieil annaliste alençonnais
ne se recommandait guère plus qu'à l'attention des
généalogistes, qui n'ont pas troublé son repos.
Nous laisserons à d'autres le soin de traiter
plus à fond la question littéraire de Perceval de
Caigny, nous bornant ici aux seules remarques nécessaires,
pour qu'on estime à sa juste valeur l'extrait, que nous publions.
Comme historien de la Pucelle, Perceval de Caigny a
un grand avantage par la date de son livre. Avoir consigné
ses souvenirs neuf ans au plus tard après l'accomplissement
des faits, est une circonstance que la critique ne peut se dispenser
de prendre en considération, car elle y trouve une garantie
d'exactitude que ne présente pas tel ou tel autre témoin,
aussi bien informé, mais n'ayant parlé ou écrit
qu'au bout de vingt ou de trente ans. A ce mérite, notre
auteur joint d'ailleurs celui d'une chronologie irréprochable
et tout à fait propre à justifer l'opinion favorable
que l'on peut concevoir à priori de sa fidélité.
La condition de Perceval de Caigny est encore un motif
d'avoir son témoignage pour recommandé ; car, comme
le duc d'Alençon régnant du temps de Jeanne d'Arc,
fut celui des capitaines français qui se tint le plus constamment
avec elle ; que, par suite d'une fraternité d'armes formée
entre eux deux, on les vit partout chevaucher, combattre, camper
l'un à côté de l'autre, et ne faire des gens
de leur suite qu'une seule et même compagnie : il résulte
de là que les serviteurs attachés à la personne
du prince furent les mieux placés pour observer la Pucelle
et pour connaitre ses actions.
Quant à la bonne foi, elle ne peut être
tenue pour suspecte dans un auteur qui, après avoir déclaré
qu'il écrit l'histoire en vue de glorifier son maitre, n'hésite
pas cependant à placer ce maitre au second rang, lorsqu'un
personnage plus digne d'attention se présente. Ainsi fait-il
à l'occasion de la Pucelle, et tout le temps qu'il en parle
il est si peu au duc d'Alençon, que des choses à la
louange de celui-ci qui sont dites ailleurs, il les omet.
Mais ce qui donne à son récit un prix
inestimable, c'est qu'il y met en évidence tout un ordre
de faits qui avaient pu échapper jusqu'à présent
à la critique des modernes.
Expliquons-nous là-dessus :
Les chroniqueurs du parti français, qui ont parlé
de Jeanne d'Arc, laissent voir par plusieurs exemples qu'elle ne
fut pas toujours écoutée ; que les capitaines substituaient
parfois leurs plans aux siens ; que le conseil du roi refusait d'entendre
aux entreprises proposées par elle. Il ne s'agit pas ici
des défiances très légitimes qui l'accueillirent
à son arrivée ; mais après ses preuves faites
; les oppositions dont nous voulons parler continuèrent de
se produire, et à tel point, qu'elle y dut céder plus
d'une fois. C'est ainsi qu'au début du voyage de Reims, lorsqu'elle
voulait qu'on prît Auxerre, on se contenta de conclure une
trêve avec les habitants de cette ville (5);
que quelques jours après, le siège de Troyes faillit
être levé à son insu et malgré sa recommandation
expresse (6); qu'après les cérémonies
du sacre, lorsqu'elle montrait au roi le chemin de Paris, celui-ci
prit la direction de Sens, et ne revint sur ses pas que parce qu'il
ne put traverser la Seine à Bray (7).
C'est ainsi encore que, lorsque Paris ayant été manqué,
la Pucelle se faisait fort de conquérir la Normandie avec
le duc d'Alençon, on ne voulut pas l'y laisser aller (8).
Voilà des actes qui, s'ils constituaient un système,
ne parleraient guère en faveur du gouvernement à qui
ils sont imputables. Toutefois, de ce qu'ils sont isolés
dans trois auteurs différents et qu'ils ne se présentent
pas avec l'enchaînement que nous venons de leur donner ; de
ce qu'aussi les auteurs qui les rapportent ne leur attribuent
pas de fâcheuses conséquences, il s'en est suivi qu'on
ne leur a jamais accordé beaucoup d'attention. Ils ont passé
pour les œuvres assez insignifiantes ou d'une circonspection
mal entendue, ou d'une malveillance impuissante. La sécurité
où l'on s'est tenu à leur égard a été
augmentée par l'habitude qu'on a prise depuis M. de l'Averdy,
de vouloir résoudre tous les doutes nés et à
naître de l'histoire de Jeanne d'Arc, par les pièces
de ses deux procès ; or, comme ni dans le procès de
condamnation, ni dans celui de réhabilitation, n'apparaît
l'ombre d'un embarras suscité à la Pucelle depuis
la délivrance d'Orléans, le silence de tant de témoins
a pesé d'un grand poids contre les allégations des
chroniqueurs.
Sans entrer dans de trop longs raisonnements, nous pouvons
faire remarquer que pour l'objet en question, l'argument tiré
des procès contre les chroniqueurs ne vaut rien. Car quel
genre de témoignage trouve-t-on dans ces deux documents ?
Le premier n'offre que les interrogatoires d'une accusée ingénieuse autant que résolue
à ne rien dire qui puisse être interprété
contre son parti. Le second renferme les dépositions de témoins
très nombreux, il est vrai, mais admis seulement à
articuler sur l'innocence de Jeanne d'Arc, et non pas à faire
des révélations offensantes pour de grands personnages.
Il n'y a donc pas là de quoi s'instruire sur les intrigues
dont le conseil du roi a pu être le théâtre ;
et ainsi les faits que nous rassemblions tout à l'heure subsistent
avec toute leur gravité ; et pour être qualifiés
comme ils le méritent, ils n'attendent que la confirmation,
par un document plus explicite, des conjectures auxquelles ils donnent
lieu.
Ce document révélateur, nous pouvons dire
que nous le publions aujourd'hui. Perceval de Caigny vient ajouter
de nouveaux aveux à ceux des chroniqueurs ses confrères
; trahir le secret de leur silence en maints endroits, fournir enfin
tant de preuves d'un parti pris autour de Charles VII de contrecarrer
et d'entraver à tout propos la pauvre Jeanne, qu'il faudra
bien désormais modifier l'histoire en ce sens. On devra dire
qu'indépendamment des efforts de l'Angleterre, la Pucelle
eut à combattre la résistance continuelle de l'absurde
et odieux gouvernement en faveur duquel elle vint accomplir des
miracles.
Il n'est pas inutile de dégager de notre chronique
les circonstances d'où ressort une si grave accusation.
La ville d'Orléans est délivrée
le 8 mai 1429 ; aussitôt après, Jeanne d'Arc va trouver
Charles VII et le presse de se disposer au voyage de Reims. Le conseil
fait de grandes difficultés, trois semaines se passent en
discussions ; enfin le roi se décide et donne jour à
ses capitaines pour se trouver à Gien, qui sera le rendez-vous
de l'expédition. La Pucelle en attendant va délivrer
Jargeau, prend Beaugency et Meun, défait les Anglais en bataille
rangée, tout cela en huit jours ; et lorsque, recommandée
par ces nouveaux succès, elle vient pour emmener le roi,
elle le trouve changé d'avis ; il ne veut plus aller à
Reims. "Par despit, dit Perceval, la Pucelle délogea
et alla loger aux champs." Mais plusieurs milliers de volontaires
gentilshommes, bourgeois et artisans s'étaient rendus à
Gien. Ceux-là voulurent qu'on se mit en chemin, suivant le
dessein de la Pucelle. Pour les décourager, on eut beau leur
faire entendre qu'il n'y avait pas d'argent ; comme ils répondirent
qu'ils feraient le voyage à leurs frais, force fut de partir.
Voilà déjà qui ne ressemble guère
à ces récits qui sont dans les livres, et où
l'on fait partir le roi obéissant et joyeux, comme ces patriarches
de l'Écriture que les anges venaient prendre par la main.
Perceval de Caigny est assez bref sur les circonstances
du voyage à Reims. Peut-être en ce moment avait-il
été chargé par son maitre d'une commission
qui l'éloigna. Il ne dit rien, dans cette partie, qui ne
se trouve ailleurs ; et même il ne dit pas tout ce qui se
trouve ailleurs. Il ne reprend le fil de ce qu'on peut appeler ses
révélations qu'au moment où Jeanne d'Arc veut
faire prendre au roi le chemin de Paris après la prise de
Senlis. Cette fois le roi s'arrête et ne veut pas faire un
pas de plus, quoique Bedford ait abandonné la capitale avec
une précipitation qui trahit ses craintes, quoique la confiance
soit toujours la même parmi les Français. En vain lui
envoie-t-on message sur message de l'avant-garde qui est déjà
logée à Saint-Denis. Depuis le 26 août, jusqu'au
5 septembre, la Pucelle n'obtient rien de lui ni par lettre, ni
par ambassade. Enfin elle envoie le duc d'Alençon, qui plus
heureux, finit par le décider après quinze jours écoulés
en pure perte, et lorsque les Parisiens, témoins de ces incertitudes,
ont eu plus que le temps de mettre leur ville à l'abri d'un
coup de main.
Il suffit que la Pucelle voie le roi à Saint-Denis
pour que son élan lui revienne aussi entier, aussi irrésistible
que lorsqu'elle entrait pour la première fois dans les murs
d'Orléans. Le 8 septembre elle conduit les capitaines à
la porte Saint-Honoré. Ils combattent toute la journée
sans pouvoir aller plus avant que le fossé ; mais dans la
position qu'ils ont prise, le canon du rempart ne peut déjà
plus les atteindre, et Jeanne d'Arc leur proteste que s'ils persistent
encore un moment, la ville est à eux. Malheureusement un
trait l'atteint à la cuisse. Les gens d'armes la voyant blessée,
avisent que la nuit est close et qu'ils sont bien las. En vain elle
continue ses instances ; on la prend, on la met de force sur un
cheval et on l'emmène à la Chapelle.
Elle n'était pas blessée si grièvement
qu'on a coutume de le dire, puisque, d'après le témoignage
de notre chroniqueur, le lendemain elle était la première
levée au camp, et que, courant de côté et d'autre,
elle excitait les capitaines à retourner à l'assaut
de Paris. Sur ces entrefaites, arrive le sire de Montmorency qui
jusque-là avait tenu pour les Anglais. Il vient faire sa
soumission, ayant quitté Paris le matin même avec une
bande nombreuse de gentilshommes ; de sorte que l'arrivée
de ce renfort transporte les gens d'armes d'enthousiasme, et que
déjà ils regardent la ville comme gagnée. Mais
tout ce mouvement déplaît au roi ; et comme il veut
y mettre fin, il envoie chercher la Pucelle par René d'Anjou.
Les capitaines aussi sont invités à se rendre auprès
de leur souverain. Il n'y aura pas d'assaut, ni ce jour, ni le lendemain.
Paris est perdu pour sept ans encore ; car on n'y laissera pas aller
la Pucelle, et ainsi on la fera mentir ; elle qui avait tant dit
qu'elle y entrerait. Apprenant qu'elle veut profiter d'un pont établi
à la Briche pour se jeter sur la rive gauche de la Seine
et tenter une attaque sur le quartier Saint-Germain, le roi ordonne
la rupture du pont. Deux jours après, il donne l'ordre du
départ pour l'Orléanais.
Veut-on savoir le procédé des chroniqueurs
qui ont arrangé ces faits au goût de la cour et du
roi ? Ils s'y sont pris de la même facon que ceux du parti
anglais. Ils ont borné à la journée du 8 toutes
les tentatives sur Paris, et cela, en exagérant de leur mieux
la témérité d'une telle entreprise. A les en
croire, Jeanne aurait été emmenée de là
ne valant guère mieux que morte ; silence absolu de leur
part sur les évènements du lendemain et sur la défection
du sire de Montmorenci. Le seul Jean Chartier, qui probablement
avait été payé par la famille, trouve moyen
d'introduire le nom de ce seigneur sans rien compromettre ; il le
cite bonnement parmi les chevaliers qui secondent la Pucelle dans
la journée du 8, lui qui ce jour-là faisait tirer
sur elle de dessus les remparts. Mais c'est ainsi que s'écrivait
l'histoire au quinzième siècle.
Après la trahison de Paris, commencent pour Jeanne
d'Arc sept mois de repos dont Perceval de Caigny, sans dire grand'chose,
dit assez cependant pour qu'on les considère comme une époque
bien douloureuse dans la vie de cette fille infortunée. On
l'éloigna des capitaines qui l'avaient prise en affection
; on la tint à la cour comme une princesse, environnée
de soins hypocrites, elle qui ne demandait que des soldats pour
achever la conquête du royaume. Une fois on feignit de condescendre
à ses désirs, en lui permettant la malheureuse campagne
du Nivernais qu'elle dut entreprendre au cœur de l'hiver et
sans argent. Enfin, du printemps de 1430, ne pouvant supporter davantage
la vie qu'on lui faisait, elle s'évada de la cour : "Le
roy estant à Sully sur Loire, la Pucelle qui avoit veu et
entendu tout le fait et manière que le roy et son conseil
tenoient le recouvrement de son royaulme ; elle, très mal
contente de ce, trouva manière de soy despartir d'avecques
eux. Et sans le sceu du roy ne prendre congé de luy, elle
fist semblant d'aler en aucun esbat, et sans retourner, s'en ala
à la ville de Laingni surMarne."
Cette fuite a été ignorée jusqu'ici.
Elle est trop voisine du désastre de Compiègne pour
qu'on ne lui suppose pas une influence fâcheuse sur le déterminations
ultérieures prises par le roi à l'égard de
la Pucelle. Dieu sait si les gens qui ne l'aimaient pas, manquèrent
l'occasion d'arguer contre elle de sa désobéissance
! Perceval de Caigny ne dit rien toutefois sur ce point déjà
tant débattu ; il se hâte de raconter la fin de son
héroïne, en mêlant au récit de sa captivité
une anecdote qu'il semblerait tenir de Jean d'Aulon, le maître
d'hôtel de la Pucelle. Un peu plus loin que la mention du
supplice, vient un chapitre où la conduite politique de Charles
VII est examinée et blâmée sévèrement.
Mais c'est assez de commentaires pour préparer
à l'intelligence du texte même de notre auteur, que
voici :
Chapitres :
chap.1 - La venue de la Pucelle devers le
roi
chap.2- Comme la Pucelle commença à faire la guerre aux Englois
chap.3- Des vivres menez à Orléans
chap.4- Comment la Pucelle print et leva les
bastilles d'Orléans
chap.5- Le département des Englois
de devant Orléans
chap.6- L'entreprinse de couronnement du Roy
chap.7- L'assaut de Gergeau
chap.8- Du siège de Baugency
chap.9- La bataille de Patay
chap.10- Le commencement du sacre du Roy
chap.11- Le jour que le Roy arriva à
Rains et fut sacré
chap.12- Comment le Roy après son
sacre print son chemin à venir...
chap.13- Comment le Roy et le duc de Bethford
furent l'un devant l'autre...
chap.14- Comme le Roy vint à Compiengne
quant il ot lessé le duc de Beth...
chap.15- Comme le duc de Bethford habandonna
Paris
chap.16- Comme la Pucelle donna l'assaut
à la ville de Paris
chap.17- Comme la Pucelle partist de Paris
oultre son vouloir
chap.18- Comme le Roy partit de Saint Denys
chap.19- Comme le duc d'Alençon se
partit du Roy
chap.20- Comme le Roy demoura à parsuir
sa guerre
chap.21- Comme la Pucelle se partit du Roy
chap.22- Comme elle vint à Compiengne
et là fut prinse
chap.23- La prinse de la Pucelle
chap.24- Comme la Pucelle fut mise en prison
chap.25- Comme la Pucelle fut jugée à mort
chap.26- Quant la Pucelle fut arse
chap.27- Comme le Roy voulut traictier aux Englois et au duc de
Bourg...

n iceluy an [mccccxxxviii], le [vi°]* jour dudit mois de mars (9), une pucelle de l'eage de XVIII
ans ou environ, des marches de Lorraine et de Barroiz vint devers
le roy à Chinon. Laquelle estoit de gens de simple estat
et de labour ; laquelle disoit de moult merveilleuses choses toujours
en parlant de Dieu et de ses Sains. Et disoit que Dieu l'avoit envoyée
à l'aide du gentil roy Charles ou fait de sa guerre. De quoy
le roy et tous ceulx de son hostel et aultres de quelque estat qu'ilz
fussent, se donnèrent de très grans merveilles de
ce que elle parloit et devisoit des ordonnances et du fait de la
guerre autant et en aussi bonne manière comme eussent peu
et sceu faire les chevaliers et escuiers estans continuellement
ou fait de la guerre. Et sur les parolles qu'elle disoit de Dieu
et du fait de laditte guerre ; fut très grandement examinée
des clercs et théaulogiens et autres, et de chevaliers et
d'escuiers ; et tousjours elle se tint et fut trouvée en
ung pourpos. Elle print et se mist en habit d'homme et requist an
roy qu'il luy fist faire armures pour soy armer, telles comme elle
les deviseroit, et luy baillast chevaulx pour elle et ses gens ;
et ainssi lui fut fait. Et la tint le roy devers luy jusques au
mois de may, sans ce qu'elle alast nulle part. Et avant sa venue,
le roy ne les seigneurs de son sang ne savoient quel conseil prendre.
Et depuis par son aide et conseil vint tousjours de bien en mieulx.
En cette année MCCCCXXVIII
(a. st.), le (VIe) jour du mois de mars, une pucelle de l'âge de XVIII ans ou environ, des marches de Lorraine et de Barrois, vint devers le roi à
Chinon. Elle était issue de gens de simple état et de labour ; elle disait
toujours de fort merveilleuses choses en parlant de Dieu et de ses saints ;
elle disait que Dieu l'avait envoyée à l'aide du gentil roi Charles pour le
fait de sa guerre. De quoi le roi et tous ceux de sa maison, et les
autres, de quelque état qu'ils fussent, se donnèrent de très grandes
merveilles de ce qu'elle parlait et devisait des ordonnances et du fait de
la guerre, autant et en aussi bonne manière qu'eussent pu et su le faire les
chevaliers et les écuyers étant continuellement occupés du fait de la guerre.
Elle fut très grandement examinée par des clercs, des théologiens et par
d'autres, par des chevaliers et des écuyers, sur ce qu'elle disait de Dieu et
du fait de ladite guerre ; et toujours elle se tint, et elle fut trouvée en un
même propos.
Elle prit et se mit en habits d'homme ; elle demanda au roi de lui
faire faire des armures pour s'armer, telles qu'elle les indiquerait;
et qu'il lui donnât des chevaux pour elle et pour ses gens; et il
fut ainsi fait.
Le roi la tint devers lui jusqu'au mois de mai, sans qu'elle allât nulle
part (10).
Avant sa venue, ni le roi ni les seigneurs de son sang ne savaient
quel conseil prendre, et depuis, par son aide et conseil, les affaires vinrent
toujours de bien en mieux.

n l'an MCCCCXXIX la Pucelle entreprint à vouloir monstrer
pour quoy elle estoit venue devers le roy. Après la journée
des Harens, les Englois des bastilles devant Orléens gardèrent
que nulz vivres ne peussent venir à ceulx de dedens, et tant,
que ilz avoient très grant deffaulte de pain ; et pour y
pourvoir envoyèrent plusieurs foiz devers le roy qui assembla
ses cappitaines pour aviser par quelle manière on leur pourroit
mener, des blés et autres vivres. Nul d'iceulx n'osa entreprendre
la charge pour la doubte desditz Englois qui estoient d'un costé
et d'autre à bien grant nombre en leurs bastilles, et avecques
ce tenoient lesdittes villes et places audessus de la rivière
et audèssoubz. Ladicte Pucelle voyant que nul n'entreprenoit
de donner secours à ceste noble place d'Orléens et
cognoissant la très grant perte et dommage que ce seroit
au roy et à son royaulme de perdre ladicte place, requist
au roy qu'il lui baillast de ses gens d'armes et dist : "Par
mon martin (11) (ce estoit son serment), je
leur feray mener des vivres." Le roy luy accorda. De quoy
elle fut moult joyeuse. Elle fist faire ung-estandart ou quel estoit
l'image de Nostre Dame , et print ung jour de soy trouver à
Blois, et dist que ceulx qui devroient estre en sa compaignie, y
fussent ; et que à ce jour les blés et autres vivres
fussent prestz de partir en charrettes, chevaulx et autrement. Et
ne demandoit point grant compaignie de gens, et disoit : "Par
mon martin, ilz seront bien menez ; n'en faictes doubte."
En l'an MCCCCXXIX, la Pucelle entreprit de vouloir montrer pourquoi elle était venue devers le roi. — Après la journée des Harengs, les Anglais des
bastilles d'Orléans s'efforcèrent d'empêcher que nuls vivres pussent venir à ceux d'Orléans; si bien que ceux-ci avaient très grand défaut de pain.
Pour y pourvoir, ils envoyèrent plusieurs fois devers le roi qui assembla
ses capitaines pour aviser par quelle manière, on pourrait leur mener des
blés et d'autres vivres. Nul de ces derniers n'osa entreprendre pareille
charge par crainte des Anglais, qui étaient d'un côté et d'autre de la
ville, en bien grand nombre dans leurs bastilles ; et avec cela tenaient les
villes et les places au-dessus et au-dessous de la rivière.
La Pucelle, voyant que nul n'entreprenait de donner secours à cette
noble place d'Orléans, et connaissant la très grande perte et dommage
que ce serait pour le roi et son royaume, de perdre ladite place, requit le
roi de lui donner de ses gens d'armes, et dit : « Par mon Martin, — c'était
son serment, — je leur ferai mener des vivres ». Le roi le lui accorda ; ce
dont elle fut très joyeuse. Elle fit un étendard, auquel était l'image de Notre-Dame, et elle prit
un jour pour se trouver à Blois, et dit que ceux qui devaient être en sa
compagnie y vinssent, et qu'à ce jour les blés et les autres vivres fussent
prêts à partir en charrettes, chevaux, et autrement. Elle ne demandait
pas grande compagnie de gens, et elle disait : « Par mon Martin, ils seront
bien menés; n'en faites doubte ! »

e mareschal de Rais, La Hire, Gaucourt, Poton de Sentrailles et d'autres capitaines furent audit jour à Blois pour la conduite,
et firent partir grant foison de vivres de ladicte ville. La Pucelle
les fist passer par devant les places de Baugency, de Meun et autres
places garnies d'Englois, sans avoir quelque destourbier en ce qu'elle
menoit ; et quant elle vint auprès d'Orléens, elle
fist avaler (12) des bateaulx de laditte
ville et fist chargier lesdiz vivres, elle et ses gens ès
bateaulx et allèrent à la ville, sans destourbier
des bastilles du pont et de l'autre costé de la rivière.
De quoy ceulx de ladicte ville furent très grandement rejouiz
pour la grant nécessité qu'ilz avoient des vivres
et de la venue de la Pucelle et des gens de sa compaignie. Le sire
de Gaucourt et aucuns autres des capitaines demourèrent avecques
elle. Le bastart d'Orléens et les autres capitaines dessus
nommez retournèrent audit lieu de Blois et remenèrent
ceulx qui avoient portez lesdiz vivres. Elle leur avoit dit et asseuré
que ilz n'auroient nul destourbier en leur retour ; et ainssi fut.
Et avecquez ce leur ordonna prendre des autres vivres audit lieu
de Blois, et que ilz venissent audit lieu d'Orléens par l'autre
costé de la rivière, devers Paris, et que ilz ne feissent
nulle doubte des Englois. Et ainssi l'entreprindrent comme ordonné
leur avoit, et passèrent près des forteresses desdiz
Englois et près de la ville par entre les bastilles , à
la veue d'eulx, sans ce que nul se bougast de son logeis, comme
gens qui ne se sceussent ou peussent aider.

Le maréchal de Rais, La Hire, Gaucourt,
Poton de Xaintrailles et d'autres capitaines furent à Blois au jour fixé
pour la conduite des vivres, et les firent partir en grande quantité. La
Pucelle les fit passer par devant les places de Baugency, de Meung, et
autres places garnies d'Anglais, sans avoir aucun empêchement pour
le convoi; et quand elle vint auprès d'Orléans, elle fit descendre des bateaux de ladite ville, elle y fit charger les vivres, y monta elle et ses gens, et ils entrèrent à Orléans, sans obstacle, soit des bastilles du pont, soit de celles qui étaient de l'autre côté de la rivière. Les habitants
en furent très grandement réjouis, et à cause du grand besoin de vivres
qu'ils ressentaient, et à cause de la venue de la Pucelle, et des gens de
sa compagnie. Le sire de Gaucourt et quelques autres des capitaines
demeurèrent avec elle.
Le bâtard d'Orléans et les autres capitaines dessus nommés retournèrent à Blois, ramenant ceux qui avaient porté les vivres. Elle les avait
assurés qu'ils ne seraient nullement inquiétés à leur retour, et ainsi en
fut-il. En même temps, elle leur avait ordonné de prendre le reste des
vivres à Blois, et de revenir à Orléans par l'autre côté de la rivière, devers
Paris, et de n'avoir aucune crainte des Anglais. Ils l'exécutèrent, comme
elle le leur avait ordonné, et ils passèrent près des forteresses desdits
Anglais, près de la ville, par entre les bastilles, sous leur vue, sans que
nul ne bougeât de son logis, comme gens qui n'auraient su ni pu
s'aider.

n celui an MCCCCXXIX, le IV° jour du mois de may après disner, la Pucelle appela les capitaines, et leur ordonna que eulx
et leurs gens fussent armez et prestz à l'eure qu'elle ordonna
: à laquelle elle fut preste et à cheval plus tost
que nul des autres cappitaines, et fist sonner sa trompille ; son
estandart après elle, ala parmy la ville dire que chacun
montast, et vint faire ouvrir la porte de Bourgoigne et se mist
aux champs. Les gens de la ville, qui estoient en bon abillement
de guerre, avoient ferme espérance que les Englois ne leur
pourroient [faire] mal en sa compaignie ; saillirent dehors à
très grant nombre. Et après se misrent aux champs
les mareschaulx de Rais et de Boussac, le bastart d'Orléens,
le sire de Graville (13) et les autres
cappitaines. La Pucelle leur ordonna à garder que les
Englois qui estoient dedens leurs bastilles en bien grant nombre,
ne peussent venir après elle et ses gens de pié de
la ville. Elle print poy des gens d'armes avec elle, et s'en ala
devant la bastille de l'abbaye des Dames, nommée Saint Lo,
en laquelle estoient environ IIIc Englois. Si tost comme les gens
de la ville d'Orléens y furent arrivez, incontinent ilz alèrent
à l'assault. La Pucelle print son estendart et se vint mettre
sur le bort des fossez. Tentost après ceulx de la place se
vouldrent
rendre à elle. Elle ne les voult recevoir à rançon
et dist qu'elle les prendrait maulgré eulx, et fist renforcier
son assault. Et incontinent fut la place prinse et presque tous
mis à mort. Ce fait, elle retourna en la ville d'Orléens,
et les seigneurs avecques, qui l'avoient attendue, qui tous se donnoient
merveilles de ses faiz et de ses parolles. Ne oncques nul des autres
Englois ne se misdrent en nulle ordonnance, ne ne firent semblant
de saillir hors de leurs places, ne emplus que se ilz n'eussent
veu ne ouy chose qui leur deust desplaire.
Tout le jour de lendemain qui fut jeudi, la Pucelle
ne nul des capitaines ne se bougèrent de ladicte ville (14).
Le vendredi, à heure de vespres, elle dist que chacun fust
armé et prest, et en bataulx vint passer la rivière
devers la Salloingne. Tous ne la suyrent pas comme elle cuidoit.
Aussi tost comme elle fust descendue à terre et pou de gens
avecques elles, elle se ala mectre devant la bastille des Augustins,
son estendart en sa main, et fist sonner trompilles à l'assault
incontinent ; et après ce ne demoura gaires que la place
ne fut prinse. Et ce fait, ceulx de sa compaignie cuidoient que
elle deust retourner à résir à la ville. Elle
se logea en laditte bastille, qui estoit moult bien garnie de vivres,
et dist : "Par mon martin, je auray demain les tours de
la bastille du pont, ne n'entreray en Orléens jusques à
ce qu'elles soient en la main du bon roy Charles." Et manda
à ceulx qui estoient en la ville demourez, fussent l'endemain
bien matin devers elle.
Glacidaz demoura cappitaine des tours et de la Bastille
des ponz après la mort du conte de Salsebery qui fut tué
dedens, d'une pierre de canon, et ne fut oncques sceu qui la gecta
ne dont elle vint. La place sembloit imprenable d'assault à
toutes gens de guerre et estoit garnie de tous les abillemens qui
appartiennent à la deffence de place assaillie. Et si avoit
ledit Glacidas avecques lui en la place de VII à VIIIc Englois
telz que bon lui avoit semblé pour sa seurté. Et n'y
avoit celuy des cappitaines à qui il ne semblast impossible
que laditte place deust estre prime en ung mois à plus de
gens la moitié que ilz n'estoient. La Pucelle dist à
ceulx qui estoient avecques elle : "Par mon martin, je la
prendray demain et retourneray en la ville par sus les pons."

Le samedi à VII heures du matin, elle fist sonner
ses trompilles et fist sçavoir que chacun fust prest d'aler
donner l'assault. Et environ vii heures elle print son estendart
et s'ala metre sus le bort des fossez. Et incontinent commencèrent
à gecter grant nombre de cagnons et de coulevrines du costé
de dehors. Et ceulx de dedens faisoient tout ce que possible leur
estoit pour deffence. On entra dedens leurs fossez maulgré
eulx. L'assault fut dur et long ; et furent plusieurs de ceulx de
dedens mors et biéciés et pou des autres. En ce jour
leur fut donné par iii ou iv fois l'assault, et tousjours
la Pucelle reconfortoit ses gens en leur disant "Ne vous
doubtez, la place est nostre." Et environ l'eure de vespre
elle se mist ou font des fossés, et incontinent ilz furent
apportez plusieurs eschielles et renforsa l'assault de coulevrines
et gens de trait. Et ne demoura gaires que noz gens entrèrent
en la place.
Ledit Glacidas et autres des plus grans de la place,
quant ils veirent que eulx estoient prins, pour eulx saulver, cuidèrent
recouvrer une des tours ; mais pour la presse qui fut très
grande sur leur pont, le pont rompit et fut ledit Glacidas et plusieurs
autres noyez, et presque touz les autres mis à mort. Ainssi
fut la place gaignée. De quoy touz ceulx qui ce veirent furent
touz esmerveillez ; et n'y moururent pas de l'aultre costé
plus hault de xvi à xx personnes. Les pons qui estoient tant
depeciez que ce estoit merveille et sembloit impossible que en viii
jours on eust trouvé manière de y passer nulles gens,
en mains de iii heures après, la chose fut mise en tel apareil
que la Pucelle et ceulx qui y vouldrent passer, vindrent par sus
les pons gesir en la ville. Dieu sçait à quel joye
elle et ses gens y furent receuz.

En cet
an MCCCCXXIX, le IVe jour de mai, après dîner, la Pucelle appela les
capitaines, et leur ordonna d'être prêts, eux et leurs gens, à l'heure qu'elle fixa. Elle fut prête elle-même et à cheval plus tôt que nul des autres
capitaines ; et elle fit sonner sa trompille ; son étendard après elle, elle
alla par la ville dire que chacun montât (15); et elle vint faire ouvrir la porte
de Bourgogne et se mit aux champs. Les gens delà ville, qui étaient bien équipés en guerre, avaient ferme espérance qu'en sa compagnie les
Anglais ne pourraient leur faire de mal. Ils saillirent dehors en très grand
nombre ; et après eux se mirent aux champs les maréchaux de Rais et de
Boussac, le bâtard d'Orléans, le sire de Graville et les autres capitaines.
La Pucelle leur ordonna de garder que les Anglais, qui étaient dans leurs
bastilles en très grand nombre, ne pussent venir après elle et après ses
gens, qui sortaient à pied de la ville.
Elle prit peu de gens d'armes avec elle, et elle s'en alla devant la bastille
de l'abbaye des Dames, nommée Saint-Loup, où se trouvaient environ
trois cents Anglais. Sitôt que les gens d'Orléans y furent arrivés, ils
allèrent incontinent à l'assaut. La Pucelle prit son étendard et vint se
mettre sur le bord des fossés. Bientôt après ceux de la place voulurent
se rendre à elle; elle ne voulut pas les recevoir à rançon et elle dit qu'elle
les prendrait malgré eux, et elle fit pousser de plus fort son assaut. Incontinent
la place fut prise, et presque tous ses défenseurs furent mis à
mort. Cela fait, elle retourna en la ville d'Orléans, et avec elle les seigneurs
qui l'avaient attendue, qui tous se donnèrent merveille de ses
faits et de ses paroles. Jamais les autres Anglais ne se mirent (dans la
suite) en nulle ordonnance, ni ne firent semblant de saillir hors de leurs
places, pas plus que s'ils n'eussent vu ou entendu chose qui dût leur
déplaire.
Tout le jour du lendemain qui fut jeudi, ni la Pucelle ni
aucun des capitaines ne bougèrent de la ville.
Le vendredi, à l'heure des vêpres, elle dit que chacun fût prêt et armé,
et elle passa la rivière en bateau du côté de la Sologne. Tous ne la suivirent pas, ainsi qu'elle s'y attendait. Aussitôt qu'elle fut descendue à
terre, et une poignée de gens avec elle, elle alla, son étendard en main,
se mettre devant la bastille des Augustins, et fit incontinent sonner trompilles
pour l'assaut, et après, il ne se passa guère de temps que la place
ne fût prise. Cela fait, ceux de sa compagnie pensaient qu'elle allait retourner coucher.
en ville. Elle se logea en ladite bastille qui était bien garnie de vivres,
et dit : « Par mon Martin, j'aurai demain les tours de la bastille du pont,
et je n'entrerai pas à Orléans, qu'elles ne soient en la main du bon duc
Charles » ; et elle manda à ceux qui étaient demeurés en la ville d'être
devers elle dès le lendemain bon matin.
Glacidas était demeuré capitaine des tours et de la bastille des ponts,
après la mort du comte de Salisbury, qui fut tué dans l'une d'elles par
une pierre de canon, sans qu'on ait jamais pu savoir qui la fit partir, ni
d'où elle était venue. La place semblait imprenable d'assaut à tous les gens
de guerre ; et elle était garnie de tout ce qui sert à la défense d'une place
assaillie. Ledit Glacidas avait avec lui, en la place, de sept à huit cents
Anglais, tels que bon lui avait semblé pour y être en sûreté. Il n'y avait
pas de capitaine à qui il ne semblât impossible que ladite place pût être prise en un mois, y eût-il la moitié plus de gens qu'ils n'étaient. La
Pucelle dit à ceux qui étaient avec elle : « Par mon Martin, je la prendrai
demain, et je retournerai en ville pardessus les ponts. »
Le samedi, à sept heures du matin, elle fit sonner ses trompilles, et fit
savoir que chacun fut prêt d'aller donner l'assaut. Sur les sept heures elle
prit son étendard, et s'alla mettre sur le bord des fossés, et incontinent
du côté du dehors commencèrent les décharges d'un grand nombre de
canons et de coulevrines. Ceux du dedans faisaient tout leur possible
pour se défendre. On entra malgré eux dans les fossés. L'assaut fut donné
en ce jour trois ou quatre fois ; et la Pucelle réconfortait toujours ses
gens en leur disant : « N'en doubtez pas, la place est nostre ». Environ
l'heure de vêpres, elle se mit au fond des fossés, et incontinent plusieurs échelles furent apportées, tandis que l'assaut recevait une nouvelle force du
tir des coulevrines et du nombre des gens de trait ; et sans beaucoup
tarder nos gens entrèrent en la place.
Ledit Glacidas et les autres défenseurs plus haut placés se voyant pris
pensèrent, pour se sauver, regagner une des tours ; mais la presse fut si
grande que le pont se rompit, et ledit Glacidas et plusieurs autres furent
noyés ; presque tous les autres furent mis à mort. Ainsi la place fut gagnée.
Tous ceux qui virent le fait en furent tous émerveillés, et il n'y mourut
pas du côté des vainqueurs plus de seize à vingt personnes. Les ponts étaient si démantelés que c'était merveille ; il semblait impossible qu'en
huit jours on eut trouvé moyen d'y faire passer un homme ; en moins de
trois heures la chose fut mise en tel état que la Pucelle, et ceux qui y
voulurent passer, vinrent par-dessus les ponts coucher en ville.

e dimenche [VIII°], jour de mey, les seigneurs de Fastotz, de Wlbi (16), de Scales, et autres capitaines
qui estoient en bien grant nombre en plusieurs autres bastilles
du costé devers France, avoient veu l'assault de loing, que
la Pucelle avoit donné le mercredi à la
bastille de Saint Lo et l'avoit prinse d'assault et ceulx de la
place mis à mort ; et de leurs places avoient aussi veu les
assaults que elle avoit donnez le samedi aux tours et bastille du
pont et la place prendre d'assault. Ce dit jour de dimenche au matin,
ilz boutèrent les feuz en leurs logeis et s'en alèrent
la plus part d'eulx tout de pié ès villes et places
de Meun et Baugency sur Laire. Et par ainssi fut la noble cité
d'Orléens secourue et mise en franchise par la Pucelle, message
de Dieu, en l'ayde du roy de France. Et huit ou dix jours après
les bonnes aventures, elle revint devers le roy à Chinon.
Ou mois de mars précédent, après
ce qu'elle fut arrivée devers le roy à Chinon, entre
les autres affaires qu'elle disoit avoir de par Jhesus, elle disoit
que le bon duc d'Orléens estoit de sa charge, et où
cas qu'il ne revendroit par de çà, elle airoit moult
de paine de le aler querir en Engleterre. Et avoit très grant
joye de soy employer ou recouvrement de ses places. Et à
l'occasion de l'amitié et bon vouloir que elle avoit au duc
d'Orléens, et aussi que ce estoit partie de sa charge, elle
se fist très acointe du duc d'Alençon qui avoit espousé
sa fille. Et ne fut gaires après sa venue a Chinon que elle
ala veoir la duchesse d'Alençon en l'abbaye de Saint Flourent
près Saumur, là où elle estoit logiée
(17). Diu sçait la joye que la
mère dudit d'Alençon, lui et laditte fille d'Orléens,
sa femme, lui firent par III ou IV jours qu'elle fut audit lieu.
Et après ce, tousjours depuis, se tint plus prouchaine et
acointe du duc d'Alençon que de nul autre, et tousjours en
parlant de lui l'appeloit Mon beau duc, et non autrement.

Le dimanche
huitième jour de mai, les seigneurs de Fastolf, de Willoughhy, de Scales,
et autres capitaines étant en bien grand nombre dans plusieurs autres
bastilles du côté de devers la France, qui avaient vu de loin l'assaut que la
Pucelle avait donné le mercredi à la bastille Saint-Loup, comment elle l'avait prise d'assaut, et comment ceux qui la défendaient avaient été mis à mort ; et qui, de leur place, avaient encore vu les assauts, donné par
elle, le samedi, aux tours et à la bastille du pont et la place enlevée par
assaut, ce même dimanche au matin, ces capitaines mirent le feu à leurs
logis, et s'en allèrent, la plupart d'entre eux tout à pied, dans les villes
et places de Meung et de Baugency-sur-Loire. Ce fut ainsi que la noble
cité d'Orléans fut secourue et mise en liberté par la Pucelle, envoyée de
Dieu à l'aide du roi de France. Et huit ou dix jours après ces heureuxévénements, elle revint vers le roi à Chinon.
Au mois de mars précédent, après son arrivée à Chinon, la Pucelle,
entre les autres affaires qu'elle disait avoir de par Jésus, affirmait que le
bon duc d'Orléans était de sa charge, et que dans le cas où il ne reviendrait
pas par deçà, elle aurait beaucoup de peine pour aller le quérir en
Anglelerre. Elle avait une très grande joie de s'employer au recouvrement
de ses places. A cause de l'amitié et du bon vouloir qu'elle avait pour le
duc d'Orléans, et aussi parce que c'était une partie de sa mission, elle se
tint très près du duc d'Alençon qui avait épousé sa fille. Après son
arrivée, elle ne fut pas longtemps à Chinon sans aller voir la duchesse
d'Alençon, en l'abbaye de Saint-Florent, près de Saumur, où elle résidait.
Dieu sait le joyeux accueil que lui firent la mère du duc, le duc et sa
femme, ladite fille du duc d'Orléans, durant les trois ou quatre jours
qu'elle passa audit lieu. Et après cela, et toujours depuis, elle se tint plus
près et plus familière du duc d'Alençon que d'aucun autre ; et toujours,
en parlant de lui, elle l'appelait Mon beau duc, et pas autrement.

près la prinse des bastilles devant la ville d'Orléens, la Pucelle dist au roy, aux seigneurs et a tout son conseil, que
il estoit temps que il fust prest de soy metre au chemin de son
couronnement à Rains. Son conseil sembla très fort
(18) à exécuter à
touz ceulx que en ouyrent parler, et disoient que, veue la puissance
des Englois et Bourgoignons, ennemys du roy, et considéré
que le roy n'avoit pas grans finances pour souldoyer son armée,
il luy estoit impossible de parfaire le chemin. La Pucelle dist
: "Par mon martin, je conduiray le gentil roy Charles et
sa compaignie jusques audit lieu de Rains seurement et sans destourbier,
et là le verré couronner." Après ces
parolles et ce qu'elle avoit fait de avitaillier la ville d'Orléens
et levé les bastilles de devant, nul ne osa contredire. Et
mist le roy ung jour auquel il seroit à Gien sur Laire ;
et ainsi le fist le roy. La Pucelle qui tousjours avoit l'ueil et
sa pensée aux affaires du duc d'Orléens, parla à
son beau duc d'Alençon et luy dist que, en tandiz que le
roy se apresteroit et que il metroit à faire son chemin à
aler audit lieu de Gien, elle vouloit aler delivrer la place de
Gergueau qui faisoit et donnoit de grans charges à la ville
d'Orléens. Incontinent le duc d'Alençon fist sçavoir aux mareschaulx de Boussac
et de Rais, au bastart d'Orléens, à La Hire et autres
cappitaines, que eulx et leurs gens fussent à certain jour
à ung village près Romorantin en Salloigne ; et ainssi
le firent.
Après la prise des bastilles devant Orléans, la Pucelle dit au roi, aux seigneurs, et à tout son conseil, qu'il était temps de se préparer à se mettre en chemin pour son couronnement à Reims. Pareil dessein sembla très difficile à exécuter à tous ceux qui en ouïrent parler. Ils disaient que, vu la puissance des Anglais et des Bourguignons ennemis du roi, considéré que le roi n'avait pas grandes
finances pour soudoyer son armée, il lui était impossible de parfaire
pareil chemin. La Pucelle dit : « Par mon Martin, je conduirai le gentil
roi Charles et sa compagnie jusques audit lieu de Reins, sûrement et sans
empêchement, et là vous le venez couronner ». Ces paroles venant après
qu'elle avait ravitaillé Orléans et fait lever les bastilles de devant cette
ville, nul n'osa contredire. Le roi fixa un jour auquel il serait à Gien-sur-Loire, et il tint parole.
La Pucelle, qui avait toujours l'oeil et la pensée aux affaires du duc
d'Orléans, parla à son beau duc d'Alençon, et lui dit que, tandis que le
roi ferait ses apprêts, et pendant le temps qu'il mettrait à faire son
chemin pour aller à Gien, elle voulait aller délivrer la place de Jargeau
qui faisait et donnait de grandes charges à la ville d'Orléans. Incontinent, le duc d'Alençon fit savoir aux maréchaux de Boussac et de Rais, au bâtard d'Orléans, à La Hire et à d'autres capitaines, de se trouver avec leurs gens à certain jour à un village près de Romorantin-en-Sologne ; et
ainsi ils le firent.

n celui an MCCCCXXIX, le samedi XI° jour du mois de juing environ deux heures après disner, le duc d'Alençon, la Pucelle,
le conte de Vendosme et les autres cappitaines, en leur compaignie
de II à III mille combatant et autant de gens de commun ou
plus, vindrent assegier la ville de Gergueau en laquelle estoient
le conte de Sufford, deux de ses frères et de vii à
viiic Englois. A l'arrivée, les gens de commun à qui
il estoit advis que à l'entreprinse de la Pucelle riens ne
povoit tenir, ilz saillirent ès fossez sans sa présence
et sans les gent d'armes qui entendoyent à eulx logier. Il
en y ot de bien batuz et s'en revindrent. La chose demoura pour
le jour en cet estat. La nuit, la Pucelle parla à ceulx de
dedens et leur dit : "Rendez la place au Roy du ciel et au
gentilz roy Charles, et vous en alez, ou autrement il vous mescherra."
Ilz ne tindrent compte de choses qu'elle leur dist. La nuit, les
bombardes et cagnons furent assis, et le dimenche venu, environ
IX heures au matin, la Pucelle et le duc d'Alençon firent
sonner les trompilles pour venir à l'assault. La Pucelle
print son estendart ou quel estoit empainturé Dieu en sa
majesté, et de l'austre costé (19) ... et ung escu de France tenu par deux anges. Elle vint sur les fossez, et incontinent bien grant nombre de gens d'armes
et de commun saillirent dedens et commença l'assault très
dur, lequel dura de trois à quatre heures. Et en la parfin
la place fut prinse, qui sembloit chose impossible la prendre d'un
assault, vu les gens de deffence qui estoient dedens. Et n'y mourut
de nostre costé que XVI ou XX personnes. Le conte de Suford
fut prins à prinsonnier, ung de ses frères et XL ou
L autres ; son autre frère et le seurplus des Englois furent
mis à mort.
Le lundy ensuivant, la Pucelle, le duc d'Alençon,
après ce que ilz eurent ordonné ce que bon leur sembla
de gens pour la garde de la place de Gergueau, eulx et le seurplus
de leur compaignie s'en vindrent disner en la ville d'Orléens
et ès villages d'ung costé et d'autre de la rivière,
et là séjournèrent celui jour et l'endemain
qui fut mardi. Ce jour la Pucelle fut moult grandement festoiée
de ceulx de la ville. Le duc d'Alençon, touz les autres capitaines,
chevaliers et escuiers, gens de guerre, bourgois et toutes gens
de commun qui l'avoient veue, estoient tant contens d'elle que plus
ne povoient, disans que Dieu l'avoit envoyée pour remetre
le roy en sa seignourie. Au vespre elle appela son beau duc d'Alencon
et lui dist : "Je vueil demain après disner aler
veoir ceulx de Meun. Faites que la compaignie soit preste de partir
à celle heure." Le merquedi ensuivant, la Pucelle,
le duc d'Alençon, leur compaignie et bien grant nombre de
commun qui se misdrent en la compaignie de la Pucelle, partirent
après disner et alèrent gesir auprès de Meun.
Et à l'arriver fut donnée une escharmouche à
ceulx de la place, et plus n'en fut fait.
En cet an MCCCCXXIX, le samedi XIe jour du
mois de juin, environ deux heures après dîner, le duc d'Alençon, la
Pucelle, le comte de Vendôme et les autres capitaines, ayant en leur
compagnie de deux à trois mille combattants, et autant de gens des milices communales ou plus, vinrent assiéger la ville de Jargeau, que gardaient
le comte de Suffolk, deux de ses frères, et de sept à huit cents Anglais.
A l'arrivée, les gens des milices communales, à qui il était avis que rien ne
pouvait tenir contre les entreprises de la Pucelle, se précipitèrent dans
les fossés sans qu'elle y fût présente, et sans les gens d'armes occupés à
se loger : il y en eut de bien battus ; ils se retirèrent. La chose demeura
en cet état pour ce jour.
La nuit, la Pucelle parla à ceux de dedans la ville, et leur dit : « Rendez la place au Roi du Ciel et au gentil roi Charles, et vous en allez,
ou autrement il vous mécherra ». Ils ne tinrent pas
compte des choses qu'elle leur dit. La nuit, les canons et les bombardes
furent assis, et le dimanche venu, environ sur les neuf heures du matin,
la Pucelle et le duc d'Alençon firent sonner les trompilles pour venir à
l'assaut. La Pucelle prit son étendard, auquel était peint Dieu en sa majesté, et
de l'autre côté... et un écu de France tenu par deux anges. Elle vint
sur les fossés, et incontinent un bien grand nombre de gens d'armes et
d'hommes des communes s'y précipitèrent, et l'assaut commença très dur ;
il dura de trois à quatre heures. En la parfin, la place fut prise, quoiqu'il
semblât impossible de la prendre d'assaut, vu les défenseurs qu'elle
renfermait. De notre côté nous n'eûmes que seize ou vingt morts. Du côté
de l'ennemi, le comte de Suffolk, son frère, et quarante ou cinquante
autres furent faits prisonniers ; son autre frère et le reste des Anglais
furent mis à mort.
Le lundi qui suivit, la Pucelle, le duc d'Alençon, après avoir ordonné
pour la garde de Jargeau le nombre de gens qu'il leur sembla bon, s'en
vinrent dîner, eux et ce qui restait de leur compagnie, en la ville d'Orléans et aux villages situés sur l'un et l'autre côté de la rivière.
Ils séjournèrent ce jour et le lendemain qui fut mardi. Ce jour, la
Pucelle fut très grandement festoyée par ceux de la ville. Le duc
d'Alençon, tous les autres capitaines, chevaliers, écuyers, gens de guerre,
bourgeois, tout les gens du commun qui l'avaient vue, en étaient si contents
que plus ils ne pouvaient l'être, disant que Dieu l'avait envoyée pour
remettre le roi en sa seigneurie. Dans la soirée elle appela son beau duc d'Alençon et lui dit : « Je veux
demain après dîner aller voir ceux de Meung. Faites que la compagnie
soit prête à partir à cette heure-ci. » Le lendemain, mercredi, la Pucelle, le
duc d'Alençon, leur compagnie, et un bien grand nombre de gens du
peuple, qui se mirent en la compagnie de la Pucelle, partirent après
dîner et allèrent coucher auprès de Meung. A l'arrivée une escarmouche
fut donnée à ceux de la place, et il n'en fut pas fait davantage.

e jeudy ensuivant XVIe jour de juing, la Pucelle, le duc d'Alençon et toute la compaignie, à heure de midi, vindrent metre le
siege devant la place de Baugency et furent logiez en la ville et
en l'environ. Et tout le seurplus du jour eut escharmouche devant
la place. Et la nuit furent assises les bombardes et cagnons. Messire
Richard Guestin et Matago (20) accompaigniez
de IIIIc Englois avoient la garde de la place. Le vendredy, le conte
de Richemont, conestable de France, vint à la compaignie,
ainssi que le duc d'Alençon luy avoit fait à sçavoir
dès ce qu'il ala devant Gergueau ; combien que le roy ne
vouloit point qu'il se meslast de sa guerre par l'enortement du
sire de la Trimoille qui le tenoit à son ennemy (et il avoit
toute la voix du gouvernement du roy). Le conestable arrivé,
V ou VIc combatans en sa compaignie, tout ce jour de vendredy fut
gecté de bombardes et cagnons à ceulx de la place,
et eulx aussi à ceulx de dehors, et escharmouché et
chacun faire le mieulx que ilz povoient. Ceulx de la place avoient
bien congnoissance des entreprinses que la Pucelle avoit fait de
avitailler la ville d'Orléens, de la prinse des bastilles
qui fut grant merveilles, et de la prinse de Gergueau ; et veoyent
que riens ne povoit résister contre la Pucelle et qu'elle
metoit toute l'ordonnance de sa compaignie en telle conduite çomme
elle vouloit, tout ainssi comme devroient et pourroient faire le conestable et les mareschaulx dung
ost. Ilz se rendirent à la Pucelle et au duc d'Alençon
sauf leurs corps, chevaux et hernois.
La nuit d'entre le vendredi et le samedi vindrent nouvelles
à la Pucelle et au duc d'Alencon que les seigneurs de Talebot
et Fastotz estoient arrivez à grant compaigsnie d'Englois
à Yenville en Beausse, qui venoient pour les combatre.
Le lendemain jeudi, XVIe jour de juin, la
Pucelle, le duc d'Alençon et toute l'armée, vinrent sur l'heure de midi
mettre le siège devant la place de Baugency, et s'établirent dans la ville
et aux environs. Tout le reste du jour il y eut des escarmouches devant
la place. La nuit, on assit les canons et les bombardes. Messire
Richard Guettin et Mathago avaient la garde de la place avec quatre cents
Anglais sous leurs ordres.
Le vendredi, le comte de Richemont, connétable de France, vint à
l'armée, sur l'avis que lui avait fait arriver le duc d'Alençon dès
qu'il alla devant Jargeau. Le roi cependant ne voulait pas qu'il se
mêlât de sa guerre, et cela à la sollicitation du sire de La Trémoille qui
tenait Richemont pour son ennemi ; et le sire de La Trémoille avait toute
la voix du gouvernement du roi. Le Connétable amenant avec lui cinq ou
six cents combattants, tout ce jour de vendredi se passa à faire des
décharges de canons et de bombardes contre ceux de la place, qui, eux
aussi, répondaient à ceux du dehors; on escarmoucha, et chacun fit le
mieux qu'il pouvait.
Ceux de la place avaient bien connaissance des exploits qu'avait
accomplis la Pucelle en ravitaillant la ville d'Orléans, en prenant les
bastilles ; ce qui fut une grande merveille ; et en forçant Jargeau. Ils
voyaient que rien ne pouvait résister contre la Pucelle, qu'elle mettait
toute l'ordonnance dans l'armée et la conduisait comme elle voulait, ainsi
que devraient et pourraient le faire le Connétable et les maréchaux. Ils se rendirent à la Pucelle et au duc d'Alençon, sauf leurs corps, leurs chevaux et leurs harnais.
La nuit du vendredi au samedi, des nouvelles vinrent à la Pucelle et
au duc d'Alençon que les seigneurs de Talbot et Fastolf étaient arrivés
avec grand renfort d'Anglais à Yenville-en-Beauce, et qu'ils s'avançaient.

e samedi XVIII°, jour dudit mois de juing MCCCCXXIX, en metant hors de la place de Baugency lesdiz Englois, qui se estoient rendus,
vindrent nouvelles à la Pucelle et au duc d'Alençon
que, la nuit passée, lesdiz Talebot et Fastots estoient venuz
querir à Meun le sire d'Escales et ceulx de la garnison de
Meun qui habandonnèrent la place et s'en alèrent tous
ensemble droit a Yanville. Environ huit heures au matin, la Pucelle,
le duc d'Alençon et toute la compaignie estoient issus aux
champs, cuidans avoir la bataille ; et quant ilz sceurent que les
Englois s'en aloient, ilz ordonnèrent leur avant garde et
leur bataille, et en ordonnance tirèrent après les
Englois et les aconsurent près le village de Patay, environ
V lieues dudit lieu de Baugency. Quant les Englois advisèrent
la compaignie qui les suivoit, ilz prindrent ung champ et là
se misdrent en ordonnance et en bataille presque touz à pié.
L'avant-garde de noz gens férit dedens et incontinent la
bataille joingnit avecques eulx ; et, sans gaires de résistence,
les Englois tournèrent en desconfiture et en fuite. A laquelle
bataille furent mis à mort de II à III mille Englois
et de prisonniers les sires de Talebot, d'Escales, le fïlz au conte de (21),
et de IIII à V cens autres Englois. La Pucelle, le duc d'Alençon,
le conestable de France, le conte de Vendosme et toute la compaignie
couchèrent audit village de Patay et aux environs.
Le dimanche XIX ° jour dudit mois de juing, la Pucelle,
le duc d'Alencon et toute la compaignie disnèrent audit lieu
de Patay. Le duc d'Alençon ne osa mener le conestable devers
le roy pour la mallegrace en quoy il estoit, comme dit est. Il retourna
en son ostel de Partenay, lie et joyeulx de la journée que
Dieu avoit donnée pour le roy, et très marry de ce
que le roy ne vouloit prendre en gré son service. La Pucelle,
le duc d'Alençon et tout le sourplus de la compaignie s'en
alèrent gesir à Orléens et entour la ville,
et là furent receuz très grandement. Ilz alèrent
par les églises mercier Dieu, la Vierge Marie et les benoistz
sains de Paradis, de la grâce et de l'onneur que Nostre Seigneur
avoit fait au roy et à eulx touz, en disant que c'estoit
par le moyen de la Pucelle et que sans elle ne peussent si grans
merveilles avoir esté faictes ; et furent la Pucelle, le
duc d'Alençon et toute la compaignie audit lieu d'Orléens
et ou païs d'environ depuis ledit dimanche jusques au vendredi
ensuivant, XXIIII° jour dudit mois.
Le samedi XVIIIe jour de juin MCCCCXXIX,
la Pucelle et le duc d'Alençon mettaient hors de la place de Baugency
les Anglais qui s'étaient rendus, lorsque leur arrivèrent les nouvelles que,
durant la nuit qui venait de s'écouler, Talbot et Fastolf étaient venus à
Meung quérir le sire de Scales et ceux de la garnison de la ville, qu'ils
avaient abandonné la place et s'en allaient tous ensemble à Yenville.
Environ sur les huit heures du matin, la Pucelle, le duc d'Alençon et
toute leur armée s'étaient mis en campagne, pensant avoir la bataille
avec les Anglais. Quand ils surent qu'ils s'en allaient, ils ordonnèrent
l'avant-garde et l'armée, et ainsi rangés en bon ordre, ils marchèrent
après les Anglais, et les rejoignirent près du village de Patay, à peu près à
cinq lieues de Baugency. Quand les Anglais s'aperçurent de la compagnie
qui les suivait, ils s'installèrent dans un champ, et presque tous à pied
se rangèrent en ordre de combat. L'avant-garde de nos gens fondit sur
eux, et incontinent le gros de l'armée se joignit à elle ; sans guère de
résistance les Anglais tournèrent à la déroute et à la fuite. De deux à
trois mille furent tués : furent faits prisonniers les sires de Talbot, de
Scales, le fils du comte de et de quatre à cinq cents autres ennemis. La
Pucelle, le duc d'Alençon, le connétable de France, et toute la compagnie
couchèrent au village de Patay et aux environs.
Le dimanche XIXe jour
de juin, la Pucelle, le duc d'Alençon et toute la compagnie, dînèrent
audit lieu de Patay.
Le duc d'Alençon n'osa pas conduire le Connétable vers le roi à cause
de la disgrâce dans laquelle il se trouvait, ainsi qu'il a été dit. Le comte
de Richemont retourna en son château de Parthenay, content et joyeux
de la victoire que Dieu avait donnée au roi, et très marri de ce que le roi
ne voulait pas agréer son service.
La Pucelle, le duc d'Alençon et toute la compagnie allèrent coucher à
Orléans et autour de la ville ; ils y furent reçus très grandement. Ils
allèrent par les églises remercier Dieu, la Vierge Marie et tous les benoîts saints du Paradis, de la grâce et de l'honneur que Dieu avait laits au roi et à eux tous, publiant que c'était par le moyen de la Pucelle, et que sans
elle jamais si grandes merveilles n'auraient pu être accomplies. La
Pucelle, le duc d'Alencon, et toute la compagnie furent audit lieu et aux
pays des environs, depuis le dimanche jusqu'au vendredi suivant, XXIIIe jour
du même mois.

e vendredi bien matin, la Pucelle dist au duc d'Alencon : "Faites sonner trompilles et montez à cheval. Il est temps d'aler
devers le gentil roy Charles pour le metre à son chemin de
son sacre à Rains."
Ainssi fut fait. Touz montèrent à cheval en la ville
et ceulx des champs. Et celui jour furent au giste devers le roy
en la ville de Gien sur Laire. Le roy fist grant feste et grant
joye de la venue de la Pucelle, du duc d'Alençon et de leur
compaignie. Et ce jour, fut moult parlé par touz les seigneurs,
les chevaliers, les escuyers, les gens de guerre et toutes gens
de quelque estat qu'ilz fussent, qui tout tenoient à très
grant merveille les grans aventures de guerre qui le samedi devant
estoient avenues par l'entreprinse de la Pucelle à elle et
à sa compaignie. Et croy que ne vit nul qui ait veu la pareille
telle que metre en l'obéissance du roy, et en ung jour, trois
notables places, c'est assavoir la ville et chasteau de Meun sur
Laire, la ville et chasteau de Baugency et la ville et chastel de
Yenville en Beausse, et gaigné près le village de
Patay une journée sur les Englois qui estoient en nombre
de .... mille et noz gens environ ..... (22).

Le roy fut audit lieu de Gien jusques au mercredi xxix°
jour de juing. Et fut la Pucelle moult marrie du long séjour
qu'il avoit fait audit lieu par aulcuns des gens de son hostel qui
luy desconseilloient de entreprendre le chemin d'aler à Rains,
disans qu'il avoit plusieurs citez, autres villes fermées,
chasteaulx et places fortes bien garnies d'Englois et Bourgoignons entre ledit
lieu de Gien et Rains. La Pucelle disoit qu'elle le sçavoit
bien et que de tout ce ne tenoit compte ; et par despit se deslogea
et ala logier aux champs deux jours avant le partement du roy. Et
combien que le roy n'avoit pas argent pour souldoier son armée,
touz chevaliers, escuiers, gens de guerre et de commun ne refusoient
point de aler servir le roy pour ce voyage en la compaignie de la
Pucelle, disans que ilz yroient par tout où elle vouldroit
aler. Et elle disoit : "Par mon martin , je meneray le gentil
roy Charles et sa compaignie seurement, et sera sacré audit
lieu de Rains".
Cedit jour après plusieurs parolles, le roy se
partit et print son chemin à aler droit à la cité
de Troye en Champaigne. Et en faisant son chemin, toutes les fortresses
d'ung costé et d'autre de sa voye se midrent en
son obéissance. Le roy arriva devant ledit lieu de Troye
après disner, le vendredy VIII° jour de jullet. Et luy
furent ceulx de la garnison et les bourgois de la ville désobéissans.
Ce jour et l'endemain y ont fait de grans escharmousches, et le
dimanche X° jour se midrent en l'obéissance du roy. Et
après disner fut très honnourablement receu en laditte
ville et y séjourna jusques au mardy ensuivant. Et par tout
où la Pucelle venoit, elle disoit à ceulx des places
: "Rendez [vous] au roy du ciel et au gentil roy Charles."
Et estoit toujours devant à venir parler aux barrières.
Celui mardi, le roy partit dudit lieu de Troye, et le
jeudi ensuivant fut moult honnourablement receu en la cité
de Chaalons. Et en faisant son chemin, toutes les forteresses du
païs se midrent en son obéissance, pource que la Pucelle
envoyet tousjours de ceulx qui estoient soubz son estendart dire
par chacune des fortresses à ceulz de dedens : "Rendez
vous au roy du ciel et au gentil roy Charles." Et iceulx
ayans congnoissance des grans merveilles avenues et faites à
la présence de la Pucelle, se metoient franchement en l'obéissance
du roy les aucuns. Et ceulx qui refusoient, elle y aloit en personne,
et touz luy obéissoient. Aucune fois se tenoit en la bataille
avecques le roy en alant son chemin ; autres foiz en l'avant garde,
et autre en l'arrière garde , ainssi qu'elle véoit
convenir (23) à son entente. Et
le vendredi ensuivant se partit le roy dudit lieu de Chaalons.

Ce vendredi bien matin, la Pucelle
dit au duc d'Alencon : « Faites sonner les trompilles et montez à cheval. Il
est temps d'aller vers le gentil roi Charles pour le mettre au chemin de
son sacre à Reims. » Ainsi il fut fait. Tous montèrent à cheval et ceux de
la ville et ceux des champs. Ce même jour, ils prirent gîte auprès du roi
en la ville de Gien-sur-Loire. Le roi fit grande fête et montra grande
joie de la venue de la Pucelle, du duc d'Alencon et de leur compagnie.
Ce jour, il y eut de longs et joyeux entretiens entre tous les seigneurs,
les chevaliers, les écuyers, les gens de guerre, et les gens de tout état,
quels qu'ils fussent. Tous tenaient à très grande merveille les grands faits
de guerre advenus le samedi précédent, par l'entreprise de la Pucelle, à
eux et à toute sa compagnie. Je crois bien que jamais homme vivant ne
vit la pareille, telle que de mettre en un jour en l'obéissance du roi trois
notables places, à savoir la ville et le château de Meung-sur-Loire, la
ville et le château de Baugency, la ville et le château d'Yenville-en-Beauce, et de gagner une journée telle que celle d'auprès de Patay,
sur les Anglais qui étaient au nombre de... mille, et nos gens environ...
Le roi fut audit lieu de Gien jusques au mercredi 29 juin. La
Pucelle fut très marrie du long séjour qu'il y fit, par la persuasion de
quelques gens de sa maison qui le déconseillaient d'entreprendre le chemin
de Reims, disant qu'entre Gien et Reims il y avait plusieurs cités,
villes fermées, châteaux et places bien garnis d'Anglais et de Bourguignons.
La Pucelle disait qu'elle le savait bien, et que de tout cela elle ne
faisait nul compte.
Par dépit elle partit et alla camper aux champs, deux jours avant le
départ du roi. Quoique le roi manquât d'argent pour solder son armée,
tous, chevaliers, écuyers, gens de guerre et gens du peuple, se montraient
prêts à aller servir le roi pour ce voyage en la compagnie de la Pucelle,
disant qu'ils iraient partout où elle voudrait aller. Elle disait : « Par
mon Martin, je mènerai le roi Charles et sa compagnie sûrement, et il
sera couronné audit lieu de Reims ».
Le 29 juin, après plusieurs conseils, le roi partit et prit son chemin
pour aller droit à la cité de Troyes-en-Champagne. Sur son chemin, toutes
les forteresses, à droite et à gauche de sa voie, se mirent en obéissance. Il
arriva devant le dit lieu de Troyes après dîner, le vendredi, VIIIe jour de
juillet. Les hommes de la garnison et les bourgeois de la ville lui furent
désobéissants. Ce jour-là et le lendemain il y eut de grandes escarmouches,
et le dimanche, Xe jour, ils se mirent en l'obéissance du roi.
Après dîner, il fut très honorablement reçu en cette ville, où il séjourna
jusqu'au mardi suivant.
Partout où la Pucelle venait, elle disait à ceux qui tenaient les places :« Rendez-vous au Roi du Ciel et au gentil roi Charles ». Elle était toujours
la première pour venir parler aux barrières.
Le mardi, le roi partit de Troyes, et le jeudi qui suivit, il fut très honorablement
reçu en la cité de Châlons. Le long du chemin, toutes les
forteresses du pays se mirent en son obéissance, parce que la Pucelle
envoyait quelques-uns de ceux qui étaient sous son étendard dire par
chacune d'elle à ceux qui les occupaient : « Rendez-vous au Roi du Ciel et
au gentil roi Charles » ; et ceux-ci, ayant connaissance des grandes merveilles
advenues et accomplies à la présence de la Pucelle, se mettaient
franchement en l'obéissance du roi, quelques-uns du moins. Quant à ceux qui refusaient, elle y allait en personne, et tous lui obéissaient.
En allant son chemin, elle se tenait quelquefois dans le gros de l'armée avec le roi, d'autres fois à l'avant-garde, et d'autres fois à l'arrière-garde,
ainsi qu'elle le voyait convenable à son dessein.
Le vendredi le roi partit dudit lieu de Châlons.

n l'an mccccxxix, le samedi xvi° jour dudit mois de jullet, après disner, le roy arriva en la ville de Rains, et furent
en l'encontre de lui à sa venue l'archevesque et tous les
colléges de la ville, les bourgois et autres bien grant nombre,
touz faisans grant joye en criant, "Nouel !" pour sa venue.
Et tout celui jour et la nuit ensuivant, par les officiers du roy
et ceulx de son conseil fut fait de très grans diligences
pour chacun des offices en ce que il luy en apartenoit, pour le
fait et l'estat du sacre et couronnement du roy, qui fut fait l'endemain.
Le dimanche XVIIe jour dudit mois, le roy fut sacré
et couronné audit lieu de Rains par [Regnault] de Chartres,
archevesque du lieu, acompaignié de plusieurs évesques,
abbez et autres gens d'église, comme au cas apartenoit. Ce jour le duc d'Alençon fist chevalier
le roy et le servit de per de France ou lieu du duc de Bourgoigne,
qui pour lors estoit ennemy du roy et alié avecques les Englois.
Ce jour les contes de Cleremont, de Vendosme et de Laval, qui ce
jour fut fait conte, servirent le roy au lieu des autres pers de
France qui n'y estoient mie. Le roy fut audit lieu de Rains jusques
au jeudi ensuivant, et ce jour ala disner, souper et gesir en l'abbaye
de Saint Marcoul, auquel lieu furent aportés au roy les clefs
de la cite de Lan.

En l'an MCCCCXXIX,
le samedi, XVIe jour de juillet, après dîner, le roi arriva en la ville de
Reims. Furent à sa rencontre l'Archevêque et tous les collèges de la ville,
les bourgeois et d'autres en bien grand nombre, tous faisant éclater grande
joie en criant Nouel pour sa venue. Le jour et toute la nuit suivante, les
officiers du roi et ceux de son conseil firent de très grandes diligences,
chacun en ce que demandait son office, pour le fait et l'état du sacre et
du couronnement du roi, qui eut lieu le lendemain.
Le dimanche, XVIIe jour dudit mois, le roi fut sacré et couronné à
Reims par Regnault de Chartres, archevêque du lieu, accompagné de
plusieurs évêques, abbés et autres gens d'Église, comme au cas il appartenait.
Ce jour, le duc d'Alençon fit chevalier le roi, et le servit comme pair
de France au lieu du duc de Bourgogne, alors ennemi du roi et allié avec
les Anglais. Ce jour, les comtes de Clermont, de Vendôme, et de Laval,
qui ce jour même fut fait comte, servirent le roi, au lieu des autres pairs
de France qui n'y étaient pas. Le roi demeura à Reims jusqu'au jeudi
suivant, et ce jour-là il alla dîner, souper et coucher en l'abbaye de Saint-Marcoul, où lui furent apportées les clefs de la cité de Laon.

a Pucelle avoit intencion de remetre le roy en sa seigneurie, et son royaulme en son obéissance. Et pour ce, lui fist entreprendre
après la délivrance de la conté de Champaigne,
le voyage a venir devant Paris, et en y venant fist bien grant conquestes.
Et le samedi XXIII° jour dudit mois, le roy vint disner, souper
et gesir en la cité de Soissons. Et là fut receu et
obey le plus honnourablement que les gens d'église, bourgeois
et autres gens de la ville peurent et sceurent faire ; car le tout
estoit moult poure à cause de la destruction de la ville
qui avoit esté prinse sur les Bourgoignons à la désobéissance
du roy.
Le vendredi [XXIX° jour du dit mois] le roy et sa
compaignie fut tout le jour devant Chasteau-Tierry, ses gens presque
tout le jour en bataille, espérant que le duc de Bethford
les deust venir combatre. Au vespre la place se rendit et y fut
le roy logié jusques au lundy premier jour d'aoust ensuivant.
Ce jour, le roy geut à Monmirail en Brie.
Le mardy II ° jour dudit mois d'aoust, vint à
giste en la ville de Provins et y fut receu le mieulx que faire
se pout. Et y séjourna jusques au vendredi V ° jour ensuivant.
Le dimenche VII ° jour, le roy fut à disner, souper et giste
en la ville de Coulommiers en Brie. Le mercredi X ° jour dudit
mois, le roy et sa compaignie furent à giste en la ville
de la Ferté Milon. Le jeudi ensuivant, le roy fut à giste en la
ville de Crespy en Valoys. Le vendredi ensuivant furent à giste
à Laingni-le-Sec. Le samedi ensuivant le roy tint les champs tout
le jour près Dammartin-en-Gouelle, cuidant que les Englois les venissent
combatre ; mais ilz ne vindrent point. Ou temps que le roy mist
à venir son chemin dudit lieu de Rains audit lieu de Dammartin-en-Gouelle,
la Pucelle fist moult de dilligences de réduire et metre plusieurs
places en l'obéissance du roy. Et ainssi en fut ; car plusieurs
en furent par elle faictes francoises.

La Pucelle avait l'intention de remettre le roi en sa seigneurie, et le
royaume en son obéissance. Pour cela, après la délivrance du comté de
Champagne, elle le fit mettre en voyage afin de venir vers Paris, et en
s'y rendant il fit de bien grandes conquêtes.
Le samedi XXIIIe jour dudit mois, le roi vint dîner, souper et coucher
en la cité de Soissons. Il y fut reçu et obéi le plus honorablement que
purent et surent le faire les gens d'Église, bourgeois, et autres gens de la
ville, car tout y était très pauvre par suite du sac auquel elle avait été
abandonnée, par désobéissance au roi, lorsqu'elle fut prise sur les Bourguignons.
Le vendredi XXIXe du même mois, le roi et son armée furent tout le
jour devant Château-Thierry, et ses gens presque tout le jour en ordre
de bataille, dans l'attente que le duc de Bedford devait venir les combattre.
Sur le soir la place se rendit, et le roi y séjourna jusqu'au lundi, premier
jour d'août.
Ce jour le roi coucha à Montmirail-en-Brie.
Le mardi IIe jour du même mois d'août, il vint prendre gîte en la ville
de Provins, où il fut reçu le mieux que faire se put. Il y séjourna jusques
au vendredi suivant, Ve jour du mois.
Le dimanche, VII, le roi vint dîner souper et coucher à Coulommiers-en-Brie. Le mercredi, X du mois, le roi et sa compagnie vinrent prendre gîte en la ville de La Ferté-Milon.
Le lendemain jeudi, ce fut à Crépy-en-Valois, et le lendemain vendredi à Lagny-le-Sec.
Le lendemain, samedi, le roi tint les champs tout le jour près de Dammartin-en-Gouelle, pensant que les Anglais viendraient le combattre;
mais ils ne vinrent pas.
Pendant le temps que le roi mit à faire son chemin de Reims à Dammartin-en-Gouelle, la Pucelle fit grande diligence pour réduire plusieurs
places et les mettre en l'obéissance du roi. Il en fut ainsi ; par elle, à la
suite de ses démarches, plusieurs furent faites françaises.

e dimenche XIIII° jour du mois d'aoust ensuivant, la Pucelle, le duc d'Alençon, le conte de Vendosme, les mareschaulx et
autres cappitaines acompaigniez de VI à VII mil combatans,
furent à l'eure de vespres logiés à une have
aux champs près Montpillouer (24),
environ deux lieues près la cité de Senlis. Le duc
de Bethford, les capitaines Englois acompaigniez de viii à
ix mille Englois estoient logiez à demye lieue près
de Senlis, entre noz gens et laditte ville, sur une petite rivière (25), en ung village
nommé [Nostre Dame] de la Victoire. Celuy vespre, noz gens
alèrent escharmouchier avecques les Englois près de
leur logis, et à icelle escharmouche furent des gens prins
d'ung costé et d'autre, et y fut mort du costé des
Englois le capitaine d'Orbec et x ou xii autres, et des gens bleciez
d'un costé et d'autre. La nuit vint, chacun se retrait en
son logis.
Le lundi XV° jour dudit mois d'aoust MCCCCXXIX,
la Pucelle, le duc d'Alençon et la compaignie cuidans ce
jour avoir la bataille, touz ceulx de la compaignie, chacun endroit
soy, se mist ou milleur estat de sa conscience que faire se peut
; et ouyrent la messe le plus matin que faire se peult, et après
ce à cheval. Et vindrent metre leur bataille près
de la bataille des Englois, qui ne se estoient bougés de
leur logis où ilz avoient geu. Et toute la nuit se fortiffièrent
de paulx, de fossez et de leur charrey au devant d'eulx ; et la rivière
les fortifiet par desrière. Tousjours avoit de grans escharmouches
entre les ungs et les autres. Les Englois ne firent oncques nul
semblant de vouloir saillir hors de leur place, si non par escharmouche.
Et quant la Pucelle veit que ilz ne venoient point dehors, son estendart
en sa main se vint metre en l'avant garde et vindrent férir
jusques à la fortificacion des Englois. Et [en] celle entreprinse
furent mors des gens de l'ung costé et de l'autre ; et pour
ce que les Englois ne vouldrent faire semblant de saillir à
grant effort, la Pucelle fist tout retraire jusques à la
bataille, et fut mandé aux Englois par la Pucelle , le duc
d'Alençon et les capitaines, que, se ilz vouloient saillir
hors de leur place pour donner la bataille, nos gens se reculleroient
et les lesseroient metre en leur ordonnance. De quoy ilz ne vouldrent
riens faire et tout le jour se tindrent sans saillir se non pour
escharmoucher. La nuit venue, noz gens revindrent en leur logis.
Et le roy fut tout ce jour à Montepillouer. Le duc de Bar,
qui estoit venu devers le roy à Provins (26),
estoit en sa compaignie, le conte de Cleremont et autres des cappitaines
avecques eulx. Et quant le roy veit que on ne povoit faire saillir
les Englois hors de leur place et que la nuit aprochoit, il retourna
à piste audit lieu de Crespi.
La Pucelle, le duc d'Alençon et leur compaignie
se tindrent toute la nuit en leur logis. Et pour sçavoir
se les Englois se metroient point après eulx, le mardi bien
matin, se recullèrent jusques à Montepillouer et là
furent jusques environ heure de midi que nouvelles leur vindrent
que les Englois retournoient à Senlis et droit à Paris.
Et noz gens s'en vindrent devers le roy audit lieu de Crespi.
Le mercredi XVII° jour dudit mois, furent aportés
devers le roy les clefs de la ville de Compiengne, et le jeudi ensuivant
le roy et sa compaignie alèrent à piste audit de Compiengne.
Le dimanche XIVe jour d'août, la Pucelle, le duc d'Alençon,
le comte de Vendôme, les maréchaux et autres capitaines, à la tête de VI à VII mille combattants, à l'heure de vêpres, vinrent s'échelonner en
un seul rang (27) près de Montépilloy, à deux lieues environ de la cité de
Senlis. Le duc de Bedford, et les capitaines anglais, commandant de
VIII à IX mille Anglais, étaient campés à demi-lieue, près de Senlis,
entre nos gens et la ville, sur une petite rivière, en un village nommé
La Victoire. Ce soir, nos gens allèrent escarmoucher avec les Anglais
près de leur campement ; et à cette escarmouche, il fut fait des prisonniers
de part et d'autre; du côté des Anglais, le capitaine d'Orbec et
X ou XII autres y trouvèrent la mort ; il y eut des blessés des deux côtés.
La nuit vint, et chacun se retira dans son camp.
Le lundi XVe jour d'août MCCCCXXIX, dans la pensée qu'on aurait
la bataille ce jour-là même, la Pucelle, le duc d'Alençon, la compagnie,
chacun de ceux qui composaient l'armée, se mirent, à part soi, dans le
meilleur état de conscience que faire se peut (28) ; ils ouïrent la messe le plus
matin possible ; et après ce, à cheval. Ils vinrent mettre l'armée près de l'armée des Anglais. Ceux-ci n'avaient pas bougé du lieu où ils avaient couché. Toute la nuit ils s'étaient
fortifiés avec des pieux, en creusant des fossés, en mettant leurs charrois
devant eux; la rivière protégeait leurs derrières. Il y eut tout le jour de
grandes escarmouches, sans que les Anglais fissent jamais quelque semblant
de vouloir sortir de leur position, sinon pour combat d'escarmouche.
Quand la Pucelle vit qu'ils ne sortaient pas, elle vint son étendard en main
se mettre à l'avant-garde, et s'avança assez pour venir frapper aux fortifications
des Anglais. En cette attaque il y eut des morts de côté et d'autre.
Les Anglais ne donnant aucun signe de vouloir sortir avec leurs grandes
forces, la Pucelle fit retirer tout son monde jusqu'au gros de l'armée ; et
il leur fut mandé de sa part, de la part du duc d'Alençon, des capitaines,
que s'ils voulaient sortir de leur parc pour donner la bataille, nos gens
se reculeraient, et les laisseraient se mettre en leur ordonnance de
combat. Ils ne voulurent pas accepter, et ils se tinrent tout le jour sans
sortir de leurs fortifications, sinon pour de légers engagements. La nuit
venue, nos gens revinrent à leur campement.
Le roi fut tout ce jour à Montépilloy. Etaient en sa compagnie le duc
de Bar qui l'avait rejoint à Provins, le comte de Clermont et d'autres
capitaines. Quand le roi vit qu'on ne pouvait faire sortir les Anglais de
leur position et que la nuit approchait, il retourna prendre gîte à Crépy.
La Pucelle, le duc d'Alençon et leur compagnie, se tinrent toute la
nuit en leur lieu de campement. Pour savoir si les Anglais ne se mettraient
pas à leur poursuite, le mardi bien matin, ils se reculèrent à
Montépilloy, et ils se tinrent jusques environ l'heure de midi, que des
nouvelles leur vinrent que les Anglais retournaient à Senlis et droit à Paris. Nos gens rejoignirent alors le roi à Crépy.
Le mercredi XVIIe jour du même mois, les clefs de la ville de Compiègne
furent apportées au roi, et le lendemain, jeudi, le roi et sa compagnie
allèrent prendre gîte en cette cité.

vant ce que le roy partist dudit lieu de Crespi , furent ordonnez le conte de Vendosme , les mareschaulx de Boussac et de Rais et autres capitaines en leur compaignie, furent ordonnez par le roy à aler devant la cité de Senlis.
Eulx venuz devant la place, ceulx de dedens considérans la
grant conqueste que le roy avoit faicte en pou de temps par l'aide
de Dieu et le moien de la Pucelle et que ilz avoient veu la puissance
au duc de Bethfort, qui près leur place n'avoit osé
combatre le roy et sa compaignie et se estoient recullez à
Paris et ailleurs aux autres places, ilz se rendirent au roy et
à la Pucelle. Le conte de Vendosme demoura gouverneur et
garde de la place et y acquist honneur et chevance.
Quant le roy se trouva audit lieu de Compiengne, la
Pucelle fut moult marrie du séjour que il ly voulloit faire
; et sembloit à sa manière que il fust content à
icelle heure de la grâce que Dieu lui avoit faicte, sans autre
chose entreprendre. Elle apela le duc d'Alençon et luy dist
: "Mon beau duc, faictes apareiller voz gens et des autres
capitaines. Et dist : "Par mon martin, je vueil aler veoir
Paris de plus près que ne l'ay veu (29)."
Et le mardi XXIII° jour dudit mois d'aoust, la Pucelle
et le duc d'Alençon partirent dudit lieu de Compiengne de
devers le roy à tout belle compaignie de gens. Et vindrent
recouvrer, en faisant leur chemin, partie des gens qui avoient esté
au recouvrement de la ditte cité de Senlis. Et le vendredi
ensuivant XXVI°, jour dudit mois, furent la Pucelle, le duc
d'Alençon et leur compaignie logiez en la ville de Saint
Denis. Et quant le roy sceut que ilz estoient ainssi logiez en la
ville de Saint Denis, il vint à grant regret jusquez en la
ville de Senliz ; et sembloit que il fust conseillé au contraire
du voulloir de la Pucelle, du duc d'Alencon et de ceulx de leur
compaignie.

Avant que le roi partit de Crépy, il disposa que le comte de Vendôme, les
maréchaux de Boussac et de Rais et d'autres capitaines en leur compagnie iraient devant la cité de Senlis. Après leur arrivée devant la place,
ceux du dedans considérèrent les grandes conquêtes que le roi avait
faites en peu de temps par l'aide de Dieu et le moyen de la Pucelle, et
qu'ils avaient vu le duc de Bedford avec toutes ses forces, qui près de
leur ville, n'avait pas osé combattre le roi et ses fidèles, mais
que chefs et soldats s'étaient reculés à Paris et ailleurs aux autres
places; et ils se rendirent au roi et à la Pucelle. Le comte de Vendôme
demeura gouverneur et gardien de la place, et il y acquit honneur et
chevanche.
Quand le roi se trouva audit lieu de Compiègne, la Pucelle fut très
marrie du séjour qu'il y voulait faire. Il semblait à sa manière qu'à
cette heure il fût content de la grâce que Dieu lui avait faite, sans vouloir
autre chose entreprendre. La Pucelle appela le duc d'Alençon et lui dit : « Mon beau duc, faites apprêter vos gens et ceux des autres capitaines, et
elle ajouta : par mon Martin, je veux aller voir Paris de plus près que je ne
l'ai vu. »
Le mardi XXIIIe jour d'août, la Pucelle et le duc d'Alençon partirent
de Compiègne d'auprès du roi avec une belle compagnie de gens. En
faisant leur chemin, ils vinrent recueillir une partie de ceux qui avaient été au recouvrement de Senlis, et le vendredi suivant XXVIe jour du
même mois, la Pucelle, le duc d'Alençon et leur compagnie étaient logés
en la ville de Saint-Denis. Quand le roi sut qu'ils étaient ainsi logés à
Saint-Denis, il vint à son grand regret en la ville de Senlis. Il semblait
qu'il fût conseillé dans le sens contraire au vouloir de la Pucelle, du duc
d'Alençon, et de ceux de leur compagnie.

uant le duc de Bethford vit que la cité de Senliz estoit françoise, il lessa Paris ou gouvernement des bourgois, du
sire de l'Ille Adam et des Bourgoignons de sa compaignie, et n'y
demoura gaires d'Englois. Il s'en ala à Rouan moult marri
et en grant doubte que la Pucelle remist le roy en sa seigneurie.
Depuis qu'elle fut arrivée audit lieu de Saint Denys, par
chacun jour deux ou trois foiz noz gens estoient à l'escharmouche
aux portes de Paris, une foiz en ung lieu et puis en l'autre ; et
aucunes foiz au moulin à vent (30)
devers
la porte Saint Denys et la Chapelle. Et ne passoit jour que la Pucelle
ne veist faire les escharmouches ; et moult voulentiers avisoit
la situacion de la ville de Paris, et avecques ce, lequel endroit
luy sembleroit plus convenable à donner ung assault. Le duc
d'Alençon estoit le plus souvent avecques elle. Mais pour
ce que le roy n'estoit venu audit lieu de Saint Denys pour message
que la Pucelle ne le duc d'Alençon lui eussent envoyé,
ledit d'Alençon ala devers lui le premier jour de septembre
ensuivant. Et lui fut dit que, le II° jour dudit mois, le roy
partiroit. Et ledit d'Alençon revint à la compaignie, et pour ce que le roy ne venoit point,
le duc d'Alençon retourna devers lui, le lundi V° jour
ensuivant, et fist tant que le roy se mist à chemin et le
mecredi fut à disner audit lieu de Saint Denys ; de quoy
la Pucelle et toute la compaignie furent moult resjouis. Et n'y
avoit celui de quelque estat qu'il fust qui ne deist : "Elle
metra le roy dedens Paris, se à lui ne tient."
Quand le duc de Bedford
vit que la cité de Senlis était française, il laissa Paris au gouvernement
des bourgeois, du sire de l'Isle-Adam et des Bourguignons de sa compagnie,
et n'y laissa guère d'Anglais. Il s'en alla à Rouen très marri, et en
grande crainte que la Pucelle ne remît le roi en sa seigneurie.
Depuis que la Pucelle fut arrivée à Saint-Denis, deux ou trois fois par
jour, nos gens étaient à l'escarmouche aux portes de Paris, tantôt en
un lieu, tantôt à un autre, parfois au moulin à vent entre la
porte Saint-Denis et La Chapelle. Il ne se passait pas de jour que la
Pucelle ne vînt faire les escarmouches; elle se plaisait beaucoup à
considérer la situation de la ville, et par quel endroit il lui semblerait
plus convenable de donner un assaut. Le duc d'Alençon était le plus
souvent avec elle. Mais parce que le roi n'était pas venu à Saint-Denis,
quelque message que la Pucelle et le duc d'Alençon lui eussent envoyé,
ledit duc d'Alençon alla vers lui le premier jour de septembre. Il lui fut dit que le roi partirait le 2, et le duc revint à sa compagnie, et parce que
le roi ne venait pas, le duc d'Alençon retourna vers lui le lundi suivant,
Ve du mois. Il fit tant que le roi se mit en chemin, et le mercredi il fut à dîner à Saint-Denis ; ce dont la Pucelle et toute la compagnie furent
très réjouis. Et il n'y avait personne, de quelque état qu'il fût, qui ne
dît : « Elle mettra le roi dans Paris, si à lui ne tient ».

e jeudi mccccxxix, jour de Nostre Dame, viii° jour du mois de septembre, la Pucelle, le duc d'Alençon, les mareschaulx
de Boussac et de Rais, et autres cappitaines en grant nombre de
gens d'armes et de traict, partirent, environ viii heures, de la
Chapelle près Paris, en belle ordonnance ; les ungs pour
estre en bataille, les autres pour garder de sourvenue ceulx qui
donrroient l'assault. La Pucelle, le mareschal de Rais, le sire
de Gaucourt, par l'ordonnance d'elle apellé ce qui bon lui
sembla , alèrent donner l'assault à la porte de Saint
Honnouré. La Pucelle print son estendart en sa main et avecques
les premiers entra ès fossez endroit le Marché aus
pourceaulx. L'assault fut dur et long, et estoit merveille à
ouyr le bruit et la noise des cagnons et coulevrines que ceulx de
dedens gectoient à ceulx de dehors, et de toutes manières
de traict à si grant planté comme innombrable. Et
combien que la Pucelle et grant nombre de chevaliers et escuiers
et autres gens de guerre fussent descenduz ès fossez et les
autres sur le bort et en l'environ, très pou en furent bleciez
; et y en out moult à pié et à cheval qui furent
féruz et portés à terre de coups de pierre de cagnon ; mais par la grâce de Dieu et l'eeur de la Pucelle,
oncques home n'en mourut ne ne fut bleciés qu'il ne peult
revenir à son ayse à son logis sans autre aide.
L'assault dura depuis environ l'eure de midi jusques
environ l'eure de jour faillant. Et après solleil couchant
la Pucelle fut férue d'un trait de haussepié d'arballestre
(31) par une cuisse. Et depuis que elle
fut férue, elle se efforçoit plus fort de dire que
chacun se approuchast des murs et que la place seroit prinse. Mais
pour ce qu'il estoit nuit et ce que elle estoit bleciée et
que les gens d'armes estoient lassez du long assault qu'ilz avoient
licit, le sire de Gaucourt et autres vindrent prendre la Pucelle,
et oultre son voulloir l'eu emmenèrent hors des fossez. Et
ainssi faillit l'assault. Et avoit très grant regret d'elle
ainssi soy departir, en disant : "Par mon martin, la place
eust esté prinse." Ilz la midrent à cheval
et la ramenèrent à son logis audit lieu de la Chapelle
et touz les autres de la compaignie le roy, le duc de Bar, le conte
de Cleremont qui ce jour estoient venuz de Saint Denys.

Le jeudi MCCCCXXIX, jour de Notre-Dame, VIIIe jour de septembre, la Pucelle,
le duc d'Alençon, les maréchaux de Boussac et de Rais, d'autres capitaines
avec grand nombre de gens d'armes et d'hommes de trait, partirent,
sur les VIII heures, de La Chapelle, près de Paris, en belle ordonnance,
les uns pour livrer la bataille, les autres pour garder de surprise ceux
qui donneraient l'assaut.
La Pucelle, le maréchal de Rais, le sire de Gaucourt, et par l'ordonnance
de la Pucelle ceux que bon lui sembla, allèrent donner l'assaut à
la porte Saint-Honoré. La Pucelle prit son étendard en main, et entra
avec les premiers dans les fossés, en face du marché aux pourceaux.
L'assaut fut dur et long. C'était merveille d'ouïr le bruit et le fracas des
canons et des coulevrines que ceux du dedans jetaient à ceux du dehors;
et le sifflement de toute espèce d'armes de trait, en si grand nombre
qu'elles étaient comme innombrables. Et quoique la Pucelle et grand
nombre de chevaliers, d'écuyers et d'autres gens de guerre, fussent
descendus dans les fossés, que d'autres se tinssent sur le bord et
aux environs, très peu furent atteints et portés à terre de coups de
pierres de canon ; mais par la grâce de Dieu et l'heur de la Pucelle, nul
homme n'en mourut, ni ne fut blessé au point de ne pouvoir revenir à
son aise et sans aide à son logis.
L'assaut dura depuis l'heure de midi jusqu'à environ l'heure du jour
faillant, et après le soleil couchant la Pucelle fut frappée à la cuisse d'un
trait d'arbalète à hausse pied. Et après qu'elle eut été atteinte, elle
s'efforçait plus fort de dire que chacun s'approchât des murs et que la
place serait prise. Mais parce qu'il était nuit, qu'elle était blessée, et que
les gens était lassés du long assaut qu'ils avaient fait, le sire de Gaucourt et d'autres vinrent prendre la Pucelle, et, contre son vouloir,
l'emmenèrent hors des fossés. Et ainsi faillit l'assaut.
Elle avait très grand regret d'ainsi se départir, et disait : « Par mon martin, la place eût été prise ! » Ils la mirent à cheval, et la ramenèrent à
son logis audit lieu de La Chapelle, où rentrèrent tous les autres de la
compagnie du roi, le duc de Bar, le comte de Clermont, qui ce jour étaient venus de Saint-Denis.

e vendredi IX° jour dudit mois, combien que la Pucelle eust esté bleciée du jour de devant à l'assault
devant Paris, elle se leva bien matin et fist venir son beau duc
d'Alençon par qui elle se conduisoit, et luy pria qu'il fist
sonner les trompilles et monter à cheval pour retourner devant
Paris ; et dist, par son martin, que jamais n'en partiroit tant
qu'elle eust la ville.
Ledit d'Alençon et autres des capitaines estoient
bien de ce voulloir à l'entreprinse d'elle de y retourner,
et aucuns non. Et tantdiz que ilz estoient en ces parolles, le baron
de Mommorancy (32), qui tousjours avoit
tenu le parti contraire du roi, vint de dedens la ville, accompaignié
de L ou LX gentilzhommes, soy rendre en la compaignie de la Pucelle.
A quoy le cueur et le courage fut plus esmeu à ceulx de bonne
volenté de retourner devant la ville. Et tantdiz que ilz
se approuchoient, vindrent le duc de Bar et le conte de Cleremont
de par le roi, qui estoit à Saint Denys, et prièrent
à la Pucelle que, sans aler plus avant, elle retournast devers
le roi, audit lieu de Saint Denys. Et aussi de par le roi prièrent
audit d'Alençon et commandèrent à touz les
autres cappitaines, que ilz s'en venissent et amenassent la Pucelle
devers lui. La Pucelle et le plus de ceulx de la compaignie en furent
très marriz, et néantmoins obéirent à
la voulenté du roi, espérans aler trouver leur entrée
à prendre Paris par l'autre costé et passer Saine
à ung pont que le duc d'Alençon avoit fait faire au
travers de la rivière endroit Saint Denis ; et ainssi s'en
vindrent devers le roi.
Le samedi ensuivant, partie de ceulx qui avoient esté
devant Paris, cuidèrent bien matin aler passer la rivière
de Saine audit pont ; mais ilz ne pourent pource que le roi qui
avoit sceu l'intencion de la Pucelle, du duc d'Alencon et des autres
de bon voulloir, toute la nuit fist dépecier ledit pont.
Et ainssi furent demourez de passer. Ce jour, le roy tint son conseil,
ouquel plusieurs oppinions furent dictes ; et demoura audit lieu
jusques au mardi XIII° jour, tousjours tendant affin de retourner
sur la rivière de Laire au grant desplaisir de la Pucelle.

Le vendredi, IXe jour du même mois, la Pucelle, quoiqu'elle eût été blessée le
jour précédent à l'assaut de Paris, se leva bien matin, et fit venir son
beau duc d'Alençon par lequel elle donnait ses ordres ; et elle le pria de
faire sonner les trompilles et de monter à cheval pour retourner devant
Paris ; et affirma par son Martin que jamais elle n'en partirait sans avoir
la ville.
Le duc d'Alençon et d'autres capitaines avaient bien le vouloir
de seconder son entreprise et de retourner ; mais quelques-uns ne le
voulaient pas.
Tandis qu'ils étaient en ces pourparlers, le baron de Montmorency,
qui avait toujours tenu le parti contraire au roi, vint de l'intérieur de la
ville accompagné de L ou LX gentilshommes se mettre en la compagnie
de la Pucelle; ce qui donna plus de coeur et accrut le courage de ceux qui
avaient la bonne volonté de retourner devant la ville.
Tandis que se faisait le rapprochement, arrivèrent, de la part du roi
qui était à Saint-Denis, le duc de Bar et le comte de Clermont. Ils
prièrent la Pucelle que, sans aller plus loin, elle retournât auprès du roi à Saint-Denis. De la part du roi, ils prièrent aussi d'Alençon, et commandèrent à tous les autres capitaines, de venir et d'amener la Pucelle
vers lui.
La Pucelle et la plupart de ceux de la compagnie en furent très marris ;
néanmoins ils obéirent à la volonté du roi, dans l'espérance qu'ils trouveraient
entrée pour prendre Paris par l'autre côté, en passant la Seine sur
un pont que le duc d'Alençon avait fait jeter sur la rivière vis-à-vis de
Saint-Denis; et ils vinrent ainsi vers le roi.
Le lendemain, samedi, une partie de ceux qui avaient été devant Paris
pensèrent aller bien matin passer la Seine sur ledit pont, mais ils ne le
purent, parce que le roi, ayant su l'intention de la Pucelle, du duc d'Alençon
et des autres de bon vouloir, avait fait passer toute la nuit à le
mettre en pièces. Et ils furent ainsi empêchés de passer.
Ce jour, le roi tint son conseil auquel plusieurs opinions furent émises ; il demeura à Saint-Denis jusqu'au mardi XIIIe jour de septembre, tendant toujours à revenir sur la Loire, au grand déplaisir de la Pucelle.

edit mardi XIII° jour dudit mois de septembre, le roy conseillé
par aulcuns de ceulx de son conseil et de son sang qui estoient
inclinez à acomplir son voulloir, partit après disner
dudit lieu de Saint Denys ; et quant la Pucelle veit que à
son partement ne povoit elle trouver aucun remède, elle donna
et lessa tout son hernois complect devant l'image de Nostre Dame
et les reliques de l'abbaye de Saint Denys, et à très
grant regret se mist en la compaignie du roy, lequel s'en vint le
plus tost que faire le peult et aucunes foiz en fesant son chemin
en manière de désordonnance, et sans cause. Il fut
le mecredi XXI° jour dudit mois à disner à Gien
sur Laire. Et ainssi fut le vouloir de la Pucelle et l'armée
du roy rompue.
Le mardi XIII, le roi, d'après
l'avis de quelques-uns de son conseil et de quelques seigneurs de son
sang, enclins à accomplir son vouloir, partit après dîner dudit lieu de
Saint-Denis. Quand la Pucelle vit qu'elle ne pouvait trouver aucun
remède à son départ, elle donna et déposa tout son harnois complet
devant l'image de Notre-Dame et devant les reliques de l'abbaye de Saint-Denis; et à son très grand regret, elle se mit en la compagnie du roi,
qui s'en revint le plus rapidement qu'il put, et parfois en faisant son
chemin d'une manière désordonnée et sans cause. Le mercredi XXIe, dudit
mois, il fut à dîner à Gien-sur-Loire. Ainsi fut rompu le vouloir de la Pucelle, et fut rompue l''armée du roi.

e duc d'Alençon qui avoit esté à compaignie
avecques la Pucelle et tousjours l'avoit conduite en faisant le
chemin du couronnement du roy à la cité de Rains et
dudit lieu en venant devant Paris : quant le roy fut venu audit
lieu de Gien, ledit d'Alençon s'en ala devers sa femme et
en sa vicomté de Beaumont ; et les autres capitaines chacun
en sa frontière, et la Pucelle demoura devers le roy, moult
ennuyée du département et par especial du duc d'Alençon
que elle amoit très fort, et faisoit pour lui ce que elle n'eust fait pour ung autre.
Poy de temps dprès, ledit d'Alençon assembla gens
pour entrer ou païs de Normendie, vers les marches de Bretaigne
et du Maine, et pour ce faire requist et fist requerre le roy que
il lui pleust lui bailler la Pucelle, et que par le moien d'elle
plusieurs se metroient en sa compaignie qui ne se bougeroient se
elle ne faisoit le chemin. Messire Regnault de Chartres, le seigneur
de la Trémoille, le sire de Gaucourt, qui lors gouvernaient
le corps du roy et le fait de sa guerre, ne vouldrent oncques consentir,
ne faire, ne souffrir que la Pucelle et le duc d'Alençon
fussent ensemble ; ne depuis ne la poeult recouvrer.
Le duc d'Alençon avait toujours été en la compagnie de la Pucelle : c'était lui qui l'avait toujours
conduite sur le chemin du couronnement du roi à Reims, et de Reims jusqu'à Paris. Quand le roi fut arrivé à Gien, ledit d'Alençon s'en alla
vers sa femme en sa vicomté de Beaumont, et les autres capitaines chacun
en sa frontière ; la Pucelle resta près du roi, très ennuyée de pareil départ, et surtout de celui du duc d'Alençon qu'elle aimait très fort, faisant pour lui ce qu'elle n'eût pas fait pour un autre.
Peu de temps après, ledit d'Alençon assembla des gens pour entrer
au pays de Normandie, vers les marches de Bretagne et du Maine.
A cette fin il requit et fit requérir le roi pour qu'il lui plût de lui envoyer
la Pucelle, et que, par son moyen, plusieurs se mettraient en sa compagnie
qui ne bougeraient pas, si elle ne se mettait pas elle-même en
campagne. Messire Regnault de Chartres, le seigneur de La Trémoille,
le sire de Gaucourt, qui gouvernaient alors la personne du roi et le fait
de sa guerre, ne voulurent jamais y consentir; ils ne voulurent ni faire,
ni consentir que la Pucelle et le duc d'Alençon fussent ensemble ; et il ne
put depuis la recouvrer.

uant le roy se trouva audit lieu de Gien, lui et ceulx qui le gouvernoient firent semblant que ilz fussent comptens du voyage que le roy avoit
fait ; et depuis de longtemps après, le roy n'entreprint
nulle chose à faire sur ses ennemis ou il vousist estre en
personne. On pourroit bien dire que ce estoit par son conseil,
se lui et eulx eussent voulu regarder la très grant grace
que Dieu avoit fait. Il lui et à son royaulme par l'entreprinse
de la Pucelle, message de Dieu en ceste partie, comme par ses faiz
povoit estre aperceu. Elle fist choses incréables à
ceulx qui ne l'avoient veu ; et peult-on dire que encore eust fait,
se le roy et son conseil se fussent bien conduiz et maintenuz vers
elle ; et bien y apert, car en moins de IIII mois, elle délivra
et mist en l'obéissance du roy sept citez, savoir est
Orléens, Troye en Champaigne, Chaalons, Rains, Laan, Soissons
et Senliz, et plusieurs villes et chasteaulx, et gaigna la bataille
de Patay, et par son moyen fut le roy sacré et couronné
audit lieu de Rains, et furent touz chevaliers et escuiers et autres
gens de guerre très bien contens de servir le roy en sa compaignie
combien qu'ilz furent petitement souldoyez.
Depuis ce dessus escript, le roy passa temps ès
païs de Touraine, de Poitou et de Berri. La Pucelle fut le
plus du temps devers lui, très marrie de ce que il n'entreprenoit
à conquester de ses places sur ses ennemis. Et le roy estant
en sa ville de Bourges, elle print aucuns des capitaines et sur
la rivière de Laire, environ la ville de la Charité,
qui estoit tenue par les Bourguignons, elle conqueste III ou IIII
places ; et après ce, le mareschal de Boussac et d'autres
cappitaines se joingnirent avecques elle ; et tantost après
ce, elle mist le siège devant ledit lieu de la Charité.
Et quant elle y ot esté une espasse de temps, pource que
le roy ne fist finance de lui envoyer vivres ne argent pour entretenir
sa compaignie, luy convint lever son siège et s'en départir
à grant desplaisance.
En l'an MCCCCXXX en la fin du mois d'avril, la Pucelle, très
mal content des gens du conseil du roy sur le fait de la guerre,
partit de devers le roy et s'en ala en la ville de Compiengne sur
la rivière de Oyse (33).

Quand le roi fut arrivé audit lieu de Gien, lui et ceux qui le gouvernaient firent
semblant de penser que c'était assez du voyage qu'il avait fait ; et de
longtemps après, le roi n'entreprit sur ses ennemis aucun dessein où il
voulût être en personne. On pourrait bien dire que c'était par fol conseil, si lui et eux eussent voulu considérer la très grande grâce que
Dieu lui avait faite, et avait faite à son royaume, par l'entreprise de la
Pucelle, messagère de Dieu sur ce point, comme on pouvait le reconnaître
par ses faits.
Elle fit des choses incroyables à ceux qui ne les avaient pas vues, et
l'on peut dire qu'elle en aurait fait encore, si le roi et ses conseillers se
lussent bien conduits et bien maintenus envers elle. C'est en tout point
manifeste, car en moins de quatre mois, elle délivra et mit en l'obéissance
du roi sept cités, à savoir Orléans, Troyes-en-Champagne, Châlons,
Reims, Laon, Soissons et Senlis, et plusieurs villes et châteaux; elle gagna
la bataille de Patay ; par son moyen le roi fut sacré et couronné à Reims,
et tous, chevaliers, écuyers et autres gens de guerre, furent très
bien contents de servir le roi en sa compagnie, encore qu'ils fussent
petitement soldés.
A la suite de ce qui vient d'être rapporté, le roi passa son temps aux
pays de Touraine, de Poitou et de Berry. La Pucelle fut la plupart du temps auprès de lui, très marrie de ce qu'il n'entreprenait pas de conquérir de ses places sur ses ennemis. Le roi étant en sa ville de Bourges, elle prit quelques capitaines et
conquittrois ou quatre places sur la rivière de la Loire, dans les environs de
la ville de La Charité, qui était tenue par les Bourguignons. Après ces
succès, le maréchal de Boussac et d'autres capitaines se joignirent à elle,
et bientôt après elle mit le siège devant ledit lieu de La Charité. Elle y
resta un certain espace de temps, mais parce que le roi n'en vint pas à lui
envoyer des vivres et de l'argent, pour entretenir sa compagnie, elle dut
lever son siège et se retirer à sa grande déplaisance.
En l'an MCCCCXXX, vers la fin du mois d'avril, la Pucelle, très mécontente
des gens du conseil du roi sur le fait de la guerre, partit d'auprès
du roi, et s'en alla en la ville de Compiègne, sur la rivière de l'Oise.

n l'an MCCCCXXIX le ... jour de mars, le roy estant en la ville de Sulli sur Laire, la Pucelle qui avoit veu et entendu tout le
fait et la manière que le roy et son conseil tenoient pour
le recouvrement de son royaulme, elle, très mal contente
de ce, trouva manière de soy départir d'avecques eulx
; et sans le sceu du roy ne prendre congé de lui, elle fist
semblant d'aler en aucun esbat, et sans retourner s'en ala à
la ville de Laingni sur Marne, pour ce que ceulx de la place fesoient
bonne guerre aux Englois de Paris et ailleurs. Et là ne fut
gaires que des Englois s'assemblèrent pour venir faire une
coursse devant laditte place de Laingni. Elle sceut leur venue et
fist monter ses gens à cheval et ala rencontrer lesdiz Engloiz
en grant nombre plus qu'elle n'en avoit, entre ladicte place et
; et fist ferir ses gens dedens les autres.
llz trouvèrent pou de résistence, et là
furent mis à mort de iii à iv cens Englois. Et de
sa venue fut grant voix et grant bruit à Paris et autres
places contraires du roy. Après ce, la Pucelle passa temps
à Senlis, Crespy en Valoys, à Compiengne et Soissons,
jusques ou mois de mey ensuivant.
En l'an MCCCCXXX (v. st.) le
jour de mars, le roi étant en la ville de Sully sur-Loire, la Pucelle
qui, pour l'avoir vu et entendu, savait tout le fait, et la manière que le
roi et son conseil tenaient pour le recouvrement du royaume, et en était très mal contente, trouva moyen de se retirer d'auprès d'eux. Sans que
le roi le sût et sans prendre congé de lui, elle fit semblant d'aller se
récreer, et, au lieu de retourner, elle alla à la ville de Lagny-sur-Marne,
parce que ceux de la place faisaient bonne guerre aux Anglais de Paris et
d'ailleurs.
Elle n'y fut guère sans que les Anglais se réunissent pour faire une
course devant ladite place. Elle sut leur venue, fit monter ses gens à
cheval, et alla à leur rencontre malgré leur nombre supérieur, entre la
dite place et , elle ordonna à ses gens de se jeter sur leurs rangs.
Ils
trouvèrent peu de résistance, et de trois à quatre cents Anglais restèrent sur le terrain. La venue de la Pucelle fit grande rumeur et grand bruit à
Paris, et dans d'autres places opposées au roi. Après cet exploit, la Pucelle passa le reste de son temps jusqu'au mois de mai, à Senlis, à
Crépy-en-Valois, à Compiègne et à Soissons.

n l'an MCCCCXXX, le XXIII ° jour dudit mois de mey, la Pucelle estant audit lieu de Crespy, sceut que le duc de Bourgongne, en
grant nombre de gens d'armes et autres, et le conte d'Arondel, estoit
venu assegier laditte ville de Compiengne. Environ mienuit, elle
partit dudit lieu de Crespy, en sa compaignie de III à IV cens combatans. Et combien que ses gens lui
deissent que elle avoit pou gens pour passer parmi
l'ost des Bourgoignons et Englois, elle dist : « Par mon martin, nous suymes assez ; je iray voir mes bons amis de Compiengne. » Elle arriva audit lieu environ
solail levant, et sans perte ne destourbier à elle ne à
ses gens, entra dedens laditte ville. Cedit jour les
Bourgoignons et Englois vindrent à l'escharmouche
en la prarie devant laditte ville. Là eut fait de grans
armes d'ung costé et d'autre. Lesdiz Bourguignons et
Englois, sachans que la Pucelle estoit dedens la ville,
pencèrent bien que ceulx de dedens sailleroient dehors à grant effort, et pour ce misdrent les Bourgoignons
une grosse embusche de leurs gens en la couverture
d'un grant montaingne près d'illec nommé le Mont
de Clairoy. Et environ IX heures au matin, la Pucelle
ouyt dire que l'escarmouche estoit grande et forte en
la prarie devant laditte ville. Elle se arma et fist armer
ses gens et monter à cheval, et se vint metre en la
meslée. Et incontinent elle venue, les ennemis furent
reculiez et mis en chasse. La Pucelle chargea fort sur
le costé des Bourgoignons. Ceulx de l'embusche advisèrent
leurs gens qui retournoient en grant desroy;
lors descouvrirent leur embusche et à coyste d'esperons
se vindrent metre entre le pont de la ville, la
Pucelle et sa compaignie. Et une partie d'entre eulx
tournèrent droit à la Pucelle en si grant nombre que
bonnement ceulx de sa compaignie ne les peurent
soubstenir; et dirent à la Pucelle : « Metez paine de recouvrer la ville, ou vous et nous suymes perdus ! »
En l'an MCCCCXXX, le
XXIVe jour dudit mois de mai, la Pucelle informée à Crépy où elle était,
que le duc de Bourgogne avec grand nombre de gens d'armes et d'autres,
et le comte d'Arondel, étaient venus assiéger Compiègne, partit de Crépy
sur le minuit, à la tête de trois à quatre cents combattants. Comme on lui
observait qu'elle avait peu de gens pour passer au milieu de l'armée des Bourguignons
et des Anglais, elle répondit : « Par mon Martin, nous sommes
assez, j'irai voir mes bons amis de Compiègne ». Elle arriva vers le soleil
levant ; et sans perte ni empêchement, soit pour elle, soit pour ses gens, elle
entra dans la cité. Ce même jour les Bourguignons et les Anglais vinrentà l'escarmouche, en la prairie, devant la ville. Il fut fait de grands faits
d'armes d'un côté et de l'autre.
Les Bourguignons et les Anglais, sachant que la Pucelle était dans la
ville, pensèrent bien que ceux de dedans sailliraient à grand effort, et
pour cela les Bourguignons mirent une grosse troupe de leurs gens en embuscade
derrière une grande montagne voisine, appelée le Mont de Clairoy.
Sur les neuf heures du matin, la Pucelle apprit que l'escarmouche était
forte et grande en la prairie devant la ville. Elle s'arma, fit armer ses
gens, les lit monter à cheval, et vint se jeter dans la mêlée. Aussitôt
après sa venue les ennemis reculèrent et furent mis en chasse. La
Pucelle chargea fort du côté des Bourguignons. Ceux qui étaient en
embuscade, voyant leurs gens revenir en grand désarroi, sortirent du lieu où
ils étaient cachés, et à coups d'éperons vinrent se mettre entre le pont de
la ville, la Pucelle et sa compagnie. Une partie d'entre eux tournèrent
droit à la Pucelle ; ils étaient si nombreux que ceux de sa compagnie ne
purent en réalité soutenir l'attaque, et dirent à la Pucelle : « Songez à
rentrer dans la ville, ou, vous et nous, sommes perdus ! »

uant la Pucelle les ouyt ainssi parler, très marrie leur dist : « Taisez vous! il ne tendra que à vous que ilz ne soient desconfiz. Ne pencez que de férir sur eulx. » Pour chose qu'elle dist, ses gens ne la vouldrent
croire, et à force la firent retourner droit au
pont. Et quant les Bourguignons et Engloiz aperceurent
que elle retournoit pour recouvrer la ville, à grant effort vindrent au bout du pont. Et là eut de
grans armes faites. Le capitaine de la place véant la
grant multitude de Bourguignons et Engloiz prestz
d'entrer sur son pont, pour la crainte que il avoit de
la perte de sa place, fist lever le pont de la ville et
fermer la porte. Et ainssi demoura la Pucelle enfermée
dehors et poy de ses gens avecques elle. Quant les
ennemis veirent ce, touz se efforcèrent de la prendre.
Elle resista très fort contre eulx et en la parfin fut prinse de V ou de VI ensemble, les ungs metans la
main en elle, les autres en son cheval, chacun d'iceulx
disans : « Rendez vous à moy et baillez la foy. » Elle
respondit : « Je ay juré et baillé ma foy à autre que à vous et je luy en tendray mon serement. » Et en disant ces parolles fut menée au logis de messire Jehan de Lucembourc.
Quand la Pucelle les eut ouï ainsi parler, elle leur dit très marrie : « Taisez-vous, il ne tiendra qu'à vous qu'ils soient déconfits. Ne pensez qu'à frapper sur eux. » Pour chose qu'elle dit, ses gens ne voulurent point la croire, et de force la firent retourner vers le pont. Quand les Bourguignons et les Anglais virent qu'elle revenait sur ses pas pour regagner la ville, ils se postèrent en grand nombre au bout du pont. Là se firent de grands exploits. Le capitaine de la place, voyant la grande multitude d'Anglais et de Bourguignons prêts à entrer sur son pont, dans la crainte de perdre la place à lui confiée, fit lever le pont de la ville et fermer la porte. La Pucelle demeura ainsi fermée dehors, n'ayant que peu de gens avec elle. Quand les ennemis la virent en cet état, tous s'efforcèrent de la prendre; elle résista très fort contre eux, et en la parfin elle fut prise par cinq ou six ensemble, les uns mettant la main sur elle, les autres sur son cheval, chacun d'eux disant : « Rendez-vous à moi, et baillez la foi ! » Elle répondit : « J'ai juré et baillé ma foi à autre qu'à vous, et je lui tiendrai mon serment » ; et en disant ces mots, elle fut menée au logis de Messire Jean de Luxembourg.

essire Jehan de Lucembourc la fist tenir en son logis III ou IIII jours, et après ce il demoura au siége
devant laditte ville et fist mener la Pucelle en ung
chastel nommé Beaulieu en Vermendois. Et là fut détenue
prisonnière par l'espace de IIII mois ou environ. Après ce, ledit de Lucembourg, par le moien de
l'évesque de Terouenne, son frère et chancelier de
France pour le roy Englois, la bailla au duc de Bethford,
lieutenant en France pour le roy d'Engleterre,
son nepveu, pour le prix de XV ou XVI mille saluz
baillez audit de Lucembourc. Et par ainssi la Pucelle
fut mise ès mains des Englois et menée ou chastel de
Rouen, auquel ledit de Bethford tenoit pour lors son
demeure. Elle estant en prison oudit chastel de Beaulieu,
celui qui estoit son maistre d'ostel avant sa prinse
et qui la servit en sa prinson (34), luy dist : « Ceste poure ville de Compiengne que vous avez moult amée, à ceste foiz sera remise ès mains et en la subjection des anemis de France. » Et elle luy respondit
: « Non sera, car toutes les places que le roy du ciel a reduit et remises en la main et obéissance du gentil roy Charles par mon moien, ne seront point reprinses par ses anemis, en tant qu'il fera dilligence de les garder. »
Messire Jean de Luxembourg
la fit garder en son logis trois ou quatre jours, et après cela, tandis qu'il
restait au siège devant la ville, il fit mener la Pucelle en un château
nommé Beaulieu, en Vermandois. Elle y fut détenue prisonnière
l'espace de quatre mois ou environ (35). Ensuite ledit de Luxembourg, par
l'entremise de l'évêque de Thérouanne, son frère, chancelier de France
pour le roi anglais, la livra, pour le prix de quinze ou seize mille saluts,
comptés au même Luxembourg, au duc de Bedford, lieutenant en France
du roi d'Angleterre, son neveu. La Pucelle fut ainsi mise entre les mains
des Anglais, et menée au château de Rouen, où ledit Bedford faisait
pour lors sa demeure. Comme elle était en prison au château de Beaulieu, celui qui avait été
son maître d'hôtel avant sa prise, et qui la servit en prison, lui dit un
jour : « Cette pauvre ville de Compiègne que vous avez tant aimée, sera
cette fois remise ès mains et en la subjection des ennemis de France », et
elle lui répondit : « Non sera, car toutes les places que le roi du ciel a réduites et remises en la main et obéissance du gentil roi Charles, par mon moyen, ne seront pas reprises par ses ennemis en tant qu'il fera diligence de les garder. »

n l'an MCCCCXXXI, le XXIIIIe jour du mois de mey,
le duc de Bethford, l'évesque de Terouenne et plusieurs
autres du conseil du roy d'Engleterre, lesquelz
avoient veu et congneu les très grans merveilles qui
estoient avenues à l'onneur et prouffit du roy par la
venue et les entreprises de la Pucelle (ainssi que
dessus ay desclairé, ses parolles et ses faiz sembloient
miraculeux à touz ceulx qui avoient esté en sa compaignie); après ce que ledit de Bethfort et les dessuz
nommez la tindrent en leurs prinsons oudit lieu de
Rouen : comme très envieulx de sa vie et de son estat,
la questionnèrent et firent questionner par toutes les
manières que ilz peurent et sceurent, desirans à touz
leurs pouvoirs et sçavoirs de trouver en et sur elle aucune
manière d'érésie, tant en ce que ilz disoient
qu'elle se disoit message de Dieu et se tenoit en abit
désordonné, vestue en abit d'omme, et chevaulchoit
armée, et si se mesloit en faiz et en parolles de touz les
faiz d'armes que conestable ou mareschaulx pourroient
et devroient faire en temps de guerre; et sur ces cas
la preschèrent et en la présence de plusieurs évesques,
abbez et autres clercs, firent lire plusieurs articles
contre elle; et à la parfin gectèrent leurs sentences, et
par eulx fut condampnée et jugée à estre arsse.
En l'an 1431, le XXIIII° jour du mois de mai, le duc de Bedford, l'évêque de Thérouanne et plusieurs autres du conseil du roi d'Angleterre, avaient vu et connu les très grandes merveilles advenues à l'honneur et au profit du roi, par l'arrivée et les entreprises de la Pucelle (ainsi que je l'ai déclaré ci-dessus, ses
paroles et ses faits semblaient miraculeux à tous ceux qui avaient été en
sa compagnie). Donc Bedford et les dessus nommés la tinrent en leurs prisons à Rouen. Très envieux de sa vie et de son état, ils la questionnèrent et la firent questionner de toutes les manières qu'ils purent et surent, désirant de tout leur pouvoir savoir trouver en elle et sur elle quelque semblant d'hérésie, soit en ce qu'elle se disait messagère de
Dieu, soit en ce qu'elle se tenait en habit désordonné, vêtue en homme,
chevauchait armée, et par paroles et par faits se mêlait de tous les faits
d'armes que le connétable et les maréchaux pourraient et devraient faire
en temps de guerre. Sur ces cas ils la prêchèrent, et en présence de
plusieurs évêques, abbés et autres clercs, ils firent lire plusieurs articles
contre elle ; en la parfin ils émirent leurs avis, et par eux elle fut jugée et condamnée à être brûlée.

n peult sçavoir que pour faire l'exécucion de si grant cas, les gens de la justice du roy d'Engleterre
en laditte ville de Rouan firent appareiller lieu convenable
et les abillemens pour exécuter la justice en lieu
qui peult estre veu de très grant peuple ; et ledit
XXIIIIe jour de may (36), environ l'eure de midy, fut amenée
du chastel, le visage embronché, audit lieu où le feu
estoit prest ; et après aucunes choses leues en laditte
place, fut liée à l'estache et arsse, par le raport de
ceulx qui disoient ce avoir veu.
On devine que pour une exécution de si grand cas, les gens de la justice du roi d'Angleterre à Rouen firent préparer un lieu convenable, et ordonnèrent tous les apprêts de justice, pour que cette exécution put être vue de très grand peuple. Ledit XXIV jour de mai, environ l'heure de midi, la Pucelle fut amenée, le visage couvert, du château au lieu où le feu était prêt. Certaines choses furent lues en ladite place, et après, elle fut liée au poteau et brûlée. Ainsi l'ont rapporté ceux qui disaient l'avoir vu.

epuis que le roy s'en vint de la ville de Saint Denis, il monstra si petit vouloir de se mectre sus pour conquérir son royaume que tous ses subgetz, chevaliers et
escuyers et les bonnes villes de son obéissance, s'en
donnoient très grant merveille. Et sembloit à la pluspart
que ses prouchains conseilliez fussent assez de son vouloir, et leur sufisoit de passer temps et vivre, et
par espécial depuis la prinse de la Pucelle, par laquelle
le roy avoit receu et eu de très grans honneurs et
biens dessus desclairés, seulement par son moien et
bonne entreprinse. Le roy et ses diz couseilliers,
depuis laditte prinse, se trouvèrent plus abessiez de bon
vouloir que par avant, et tant que nulz d'entre eulx
ne sçavoient adviser ne trouver autre manière comment
le roy peust vivre et demourer en son royaulme, si
non par le moien de trouver appointement avecques
le roy d'Engleterre et le duc de Bourgoigne, pour
demourer en paix. Le roy monstra bien qu'il en avoit
très grant vouloir, et ayma mieulx à donner ses héritaiges
de la couronne et de ses meubles très largement,
que soy armer et soustenir les fais de la guerre (37).
Source
: Présentation Jules Quicherat - Bibliothèque de l'école des
Chartes, t.II, 2° série, p.143 - 1845-46 et Procès
de condamnation et de réhabilitation de la Pucelle t.IV,
p.1 à 37.
Notes :
1 Collection.Duchesne, vol. 48.
2 Sans doute Cagny, qui a été érigé en duché pour la famille de Boufflers.
3 Il y a dans la copie mccccxxxvi mais par une faute facile à corriger, puisque le récit est poursuivi jusqu'à la fin de 1438.
4 Bibl. hist. de la France, V° édition, Généalogies des princes de sang, n°10212
5 Jean Chartier, dans Godefroi, Histoire de Charles VII, p. 29
6 Chronique de la Pucelle, ibid., p.521.
7 Jean Chartier, p.33.
8 Jacques Le Bouvier, dit Berri. ibid. p.381.
9 1428 ancien calendrier. (ndlr)
10 Elle alla à Poitiers et à Tours.
11 Perceval de Cagny est le seul auteur qui prête cette à La Pucelle cette locution affirmative.
12 Erreur : elle les fit remonter. mais notre auteur ne parait pas avoir été témoin oculaire de l'arrivée à Orléans.
13 Jean Malet, le dernier défenseur de la Normandie, d'où il s'expatria en 1418, après avoir perdu le Pont de l'Arche. Il était grand maître des arbalétriers depuis 1425.
14 C'était le jour de l'Ascension.
15 Saint-Loup était sur une hauteur.
16 Robert Willoughby, Lord de Willoughby
17 Cette entrevue de la Pucelle avec la Duchesse d'Alençon, est consignée au procès de réhabilitation dans la déposition du Duc lui-même ; mais le prince ne dit pas où elle eut lieu.
18 C'est à dire très rude, très pénible.
19 Lacune dans la copie, suppléez par l'image de Nostre-Dame comme ci-dessus.
20 Bailli d'Évreux pour le roi d'Angleterre. Dans les anciens documents anglais, son nom est écrit Guethyn.
21 Suppléez Warwick d'après la déposition du comte Dunois (t.III, p.97), qui nomme l'enfant Warwick parmi les prisonniers de Patay.
22 Ces deux lacune du manuscrit portent sur deux chiffres qu'il faut chercher dans les auteurs subséquents. Jean Chartier parle de cinq mille Anglais présents à Patay. Jean Wavrin, fournit de
quoi élever ce chifire au moins à huit mille. Au dire du même auteur les Francais auraient été de douze à treize mille ; mais il est Bourguignon et partant suspect d'exagération.
23 Le manuscrit "ainssi qu'elle bon convenir" est ici corrigé par Quicherat.
24 Montépilloy.
25 La Nonette.
26 A Reims, selon les autres chroniqueurs. Ce duc de Bar était René d'Anjou, qui fut depuis roi de Sicile.
27 C'est le sens que nous donnons au texte : furent logiés à une haye, aux champs, près Montpillouer. C'est, d'après Lacurne, une des significations du mot rangés en haie, en termes militaires, et l'on conçoit assez difficilement six ou sept mille hommes derrière une haie. (Ayroles)
28 C'est par suite de cette préparation si chrétienne que le seigneur d'Ourches déposait à Vaucouleurs: « J'ai vu Jeanne se confesser à Frère Richard devant la ville de Senlis, et recevoir durant deux jours (le dimanche et le jour de l'Assomption) le corps du Christ avec les ducs de Clermont et d'Alençon » (Ayroles).
29 Elle avait pu le voir ou du moins distinguer Montmartre des hauteurs de Dammartin.
30 Ce moulin est représenté dans une miniature du xv° siècle dont Montfaucon a donné la gravure (Monuments de la Monarchie Française, t.III, p40).
Au lieu devers qui suit, mieux vaudrait d'entre.
31 C'est à dire d'arbalète "à haussepied". Probablement du trait d'une arbalète qu'on tendait avec le pied, par opposition à celles qui exigeaient un tour. (Ayroles).
32 Selon Monstrelet, le baron aurait fait sa soumission lors du
séjour de Charles VII à Compiègne. Chartier
le nomme parmi ceux qui se distinguèrent aux côtés
de Jeanne à l'assaut de Paris. Quicherat condisère
Perceval de Cagny comme plus sûr que ces deux historiens.
33 Note de Quicherat : ce paragraphe a l'air d'une interpolation car le fait est rapporté bien plus exactement dans le chapitre qui suit.
34 Jean d'Aulon.
35 Le chroniqueur comprend certainement dans cette durée le chateau de Beaurevoir dont il ne parle pas. (Ayroles).
36 (30 mai 1431)
37 Perceval de Cagny a continué sa Chronique jusqu'en 1438. Il peut être utile pour l'histoire de la Pucelle de recueillir les passages suivants :« En l'an MCCCCXXXIII, le IV du mois de juin, le sire de La Trémoille
qui avoit, SEUL ET POUR LE TOUT, le gouvernement du corps du roy, de toutes
ses finances, et des forteresses de son domaine estant en son obéissance,
fut pris par nuict au chastel de Chinon, le roi logé dedans. Fit cette prise
le sire de Bueil ; à ce que l'on dit par l'ordonnance de la reine de Sicile et
de Charles d'Anjou, son fils, à l'aide du sire de Gaucourt et d'autres. »
A propos du traité d'Arras, Cagny a encore un mot sur la Pucelle. La
Pucelle prédisait ce traité lorsque le 17 mars elle répondait aux accusateurs
de Rouen : « Vous verrez que les Français gagneront bientôt une
grande besogne, que Dieu enverra aux Français; et tant qu'il branlera
presque tout le royaume ». Le retour du duc de Bourgogne au parti
français produisit en effet un ébranlement dans tout le royaume.
Les Anglais perdirent leur grand appui; mais le tout puissant duc mit à
sa réconciliation des conditions fort onéreuses et très humiliantes pour le roi. Elles indignent le vieux serviteur des d'Alençon. Il écrit à cette occasion :« Depuis que le roy s'en vint de la ville de Sainct-Denys, il montra si petit vouloir de se mettre sur (en campagne) pour conquérir son royaume, que tous ses chevaliers et escuyers et les bonnes villes de son obéissance s'en donnoient très grande merveille. Il sembloit à la plupart que ses plus proches conseillers étoient fort de son vouloir, et qu'il leur suffisoit de passer le tems et de vivre, surtout depuis la prise de la Pucelle, par laquelle le roy avoit reçu et acquis de très grands honneurs, et les biens cy-dessus déclarés, et cela uniquement par son moyen et ses bonnes
entreprises. Le roy et ses conseillers, depuis ladite prise, se trouvèrent
plus abaissés de bon vouloir que par avant ; si bien que pour que le roy
put vivre et demeurer en son royaume, et s'y trouver en paix, aucun
d'eux ne sut imaginer d'autre moyen que de pouvoir faire des appointemens
avec le roy d'Angleterre et le duc de Bourgogne. Le roy montra
bien qu'il en avoit très grand vouloir, puisque il aima mieux donner très
largement des héritages de la couronne et de ses meubles, que de s'armer
et soutenir le faix de la guerre. »
Il écrit encore à la même date : « Comme on peut le voir par ce qui est écrit cy-dessus, le roy et les prochains de son conseil n'avaient pas grande
volonté de s'armer et de faire la guerre de leur personne. Pour cela les
seigneurs du sang du roy par deçà la Seine, les ducs d'Alençon et de
Bourbon, et Messire Charles d'Anjou, s'en sont passés aisément. Ils ont
entièrement laissé démener la guerre au comte de Richemont, connétable
de France, et à de simples capitaines de grand, courage et bon vouloir,
nommés La Hire et Poton de Xaintrailles et autres, qui grandement à leur
pouvoir ont soutenu le faix et la guerre du roy. »
En interrompant la mission de la Pucelle, le roi et ses conseillers ont
attiré sur la France vingt ans de guerre, les humiliations du traité
d'Arras avec ses suites, la période dite des « Écorcheurs », et empêché des
faveurs qu'elle promettait. (Ayroles).
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