Son histoire
par Henri Wallon

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La chronique de Perceval de Cagny
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e témoignage que nous allons faire connaître se place par son importance à côté des plus précieux qui aient été recueillis jusqu'à présent (en 1846). C'est un extrait consistant en vingt-neuf chapitres, d'une chronique inédite des ducs d'Alençon, conservée à la Bibliothèque royale (1). Le manuscrit n'en est pas ancien, car il est de la main d'André Duchesne ; mais l'ouvrage est du quinzième siècle. Dans une courte préface se lisent les nom, titres et qualités de l'auteur, lequel était gentilhomme beauvaisien et s'appelait Perceval de Caigny (2). En 1438 , qui est la date de cette préface (3), Perceval de Caigny avait passé quarante-six ans de sa vie au service des princes d'Alençon, tour à tour panetier, écuyer d'écurie et maître d'hôtel à leurs gages. Exempt de toute prétention au bel esprit, il eut l'idée sur ses vieux jours de dicter simplement et naïvement le récit des choses qu'il avait vues et qui pouvaient servir à la gloire de ses maîtres. De là sa chronique, qu'il appelle son mémoire.
  Cet ouvrage a été connu et mis à contribution par l'avocat Bry de la Clergerie, historien du duché d'Alençon, qui écrivait au commencement du dix-septième siècle. Vers le même temps, Duchesne exécuta sa copie d'après un original dont il n'indique pas la provenance. Depuis lors, personne ne paraît avoir eu connaissance de Perceval de Caigny, si ce n'est le P. Lelong, qui l'a nommé parmi les historiens des maisons royales, renvoyant, pour plus ample informé, au manuscrit même de Duchesne (4). Mis à cette place, le vieil annaliste alençonnais ne se recommandait guère plus qu'à l'attention des généalogistes, qui n'ont pas troublé son repos.
  Nous laisserons à d'autres le soin de traiter plus à fond la question littéraire de Perceval de Caigny, nous bornant ici aux seules remarques nécessaires, pour qu'on estime à sa juste valeur l'extrait, que nous publions.
  Comme historien de la Pucelle, Perceval de Caigny a un grand avantage par la date de son livre. Avoir consigné ses souvenirs neuf ans au plus tard après l'accomplissement des faits, est une circonstance que la critique ne peut se dispenser de prendre en considération, car elle y trouve une garantie d'exactitude que ne présente pas tel ou tel autre témoin, aussi bien informé, mais n'ayant parlé ou écrit qu'au bout de vingt ou de trente ans. A ce mérite, notre auteur joint d'ailleurs celui d'une chronologie irréprochable et tout à fait propre à justifer l'opinion favorable que l'on peut concevoir à priori de sa fidélité.

  La condition de Perceval de Caigny est encore un motif d'avoir son témoignage pour recommandé ; car, comme le duc d'Alençon régnant du temps de Jeanne d'Arc, fut celui des capitaines français qui se tint le plus constamment avec elle ; que, par suite d'une fraternité d'armes formée entre eux deux, on les vit partout chevaucher, combattre, camper l'un à côté de l'autre, et ne faire des gens de leur suite qu'une seule et même compagnie : il résulte de là que les serviteurs attachés à la personne du prince furent les mieux placés pour observer la Pucelle et pour connaitre ses actions.
  Quant à la bonne foi, elle ne peut être tenue pour suspecte dans un auteur qui, après avoir déclaré qu'il écrit l'histoire en vue de glorifier son maitre, n'hésite pas cependant à placer ce maitre au second rang, lorsqu'un personnage plus digne d'attention se présente. Ainsi fait-il à l'occasion de la Pucelle, et tout le temps qu'il en parle il est si peu au duc d'Alençon, que des choses à la louange de celui-ci qui sont dites ailleurs, il les omet.
  Mais ce qui donne à son récit un prix inestimable, c'est qu'il y met en évidence tout un ordre de faits qui avaient pu échapper jusqu'à présent à la critique des modernes.

  Expliquons-nous là-dessus :
  Les chroniqueurs du parti français, qui ont parlé de Jeanne d'Arc, laissent voir par plusieurs exemples qu'elle ne fut pas toujours écoutée ; que les capitaines substituaient parfois leurs plans aux siens ; que le conseil du roi refusait d'entendre aux entreprises proposées par elle. Il ne s'agit pas ici des défiances très légitimes qui l'accueillirent à son arrivée ; mais après ses preuves faites ; les oppositions dont nous voulons parler continuèrent de se produire, et à tel point, qu'elle y dut céder plus d'une fois. C'est ainsi qu'au début du voyage de Reims, lorsqu'elle voulait qu'on prît Auxerre, on se contenta de conclure une trêve avec les habitants de cette ville (5); que quelques jours après, le siège de Troyes faillit être levé à son insu et malgré sa recommandation expresse (6); qu'après les cérémonies du sacre, lorsqu'elle montrait au roi le chemin de Paris, celui-ci prit la direction de Sens, et ne revint sur ses pas que parce qu'il ne put traverser la Seine à Bray (7). C'est ainsi encore que, lorsque Paris ayant été manqué, la Pucelle se faisait fort de conquérir la Normandie avec le duc d'Alençon, on ne voulut pas l'y laisser aller (8).

  Voilà des actes qui, s'ils constituaient un système, ne parleraient guère en faveur du gouvernement à qui ils sont imputables. Toutefois, de ce qu'ils sont isolés dans trois auteurs différents et qu'ils ne se présentent pas avec l'enchaînement que nous venons de leur donner ; de ce qu'aussi les auteurs qui les rapportent  ne leur attribuent pas de fâcheuses conséquences, il s'en est suivi qu'on ne leur a jamais accordé beaucoup d'attention. Ils ont passé pour les œuvres assez insignifiantes ou d'une circonspection mal entendue, ou d'une malveillance impuissante. La sécurité où l'on s'est tenu à leur égard a été augmentée par l'habitude qu'on a prise depuis M. de l'Averdy, de vouloir résoudre tous les doutes nés et à naître de l'histoire de Jeanne d'Arc, par les pièces de ses deux procès ; or, comme ni dans le procès de condamnation, ni dans celui de réhabilitation, n'apparaît l'ombre d'un embarras suscité à la Pucelle depuis la délivrance d'Orléans, le silence de tant de témoins a pesé d'un grand poids contre les allégations des chroniqueurs.
  Sans entrer dans de trop longs raisonnements, nous pouvons faire remarquer que pour l'objet en question, l'argument tiré des procès contre les chroniqueurs ne vaut rien. Car quel genre de témoignage trouve-t-on dans ces deux documents ? Le premier n'offre que les interrogatoires d'une accusée ingénieuse autant que résolue à ne rien dire qui puisse être interprété contre son parti. Le second renferme les dépositions de témoins très nombreux, il est vrai, mais admis seulement à articuler sur l'innocence de Jeanne d'Arc, et non pas à faire des révélations offensantes pour de grands personnages. Il n'y a donc pas là de quoi s'instruire sur les intrigues dont le conseil du roi a pu être le théâtre ; et ainsi les faits que nous rassemblions tout à l'heure subsistent avec toute leur gravité ; et pour être qualifiés comme ils le méritent, ils n'attendent que la confirmation, par un document plus explicite, des conjectures auxquelles ils donnent lieu.
  Ce document révélateur, nous pouvons dire que nous le publions aujourd'hui. Perceval de Caigny vient ajouter de nouveaux aveux à ceux des chroniqueurs ses confrères ; trahir le secret de leur silence en maints endroits, fournir enfin tant de preuves d'un parti pris autour de Charles VII de contrecarrer et d'entraver à tout propos la pauvre Jeanne, qu'il faudra bien désormais modifier l'histoire en ce sens. On devra dire qu'indépendamment des efforts de l'Angleterre, la Pucelle eut à combattre la résistance continuelle de l'absurde et odieux gouvernement en faveur duquel elle vint accomplir des miracles.
  Il n'est pas inutile de dégager de notre chronique les circonstances d'où ressort une si grave accusation.

  La ville d'Orléans est délivrée le 8 mai 1429 ; aussitôt après, Jeanne d'Arc va trouver Charles VII et le presse de se disposer au voyage de Reims. Le conseil fait de grandes difficultés, trois semaines se passent en discussions ; enfin le roi se décide et donne jour à ses capitaines pour se trouver à Gien, qui sera le rendez-vous de l'expédition. La Pucelle en attendant va délivrer Jargeau, prend Beaugency et Meun, défait les Anglais en bataille rangée, tout cela en huit jours ; et lorsque, recommandée par ces nouveaux succès, elle vient pour emmener le roi, elle le trouve changé d'avis ; il ne veut plus aller à Reims. "Par despit, dit Perceval, la Pucelle délogea et alla loger aux champs." Mais plusieurs milliers de volontaires gentilshommes, bourgeois et artisans s'étaient rendus à Gien. Ceux-là voulurent qu'on se mit en chemin, suivant le dessein de la Pucelle. Pour les décourager, on eut beau leur faire entendre qu'il n'y avait pas d'argent ; comme ils répondirent qu'ils feraient le voyage à leurs frais, force fut de partir.
  Voilà déjà qui ne ressemble guère à ces récits qui sont dans les livres, et où l'on fait partir le roi obéissant et joyeux, comme ces patriarches de l'Écriture que les anges venaient prendre par la main.
  Perceval de Caigny est assez bref sur les circonstances du voyage à Reims. Peut-être en ce moment avait-il été chargé par son maitre d'une commission qui l'éloigna. Il ne dit rien, dans cette partie, qui ne se trouve ailleurs ; et même il ne dit pas tout ce qui se trouve ailleurs. Il ne reprend le fil de ce qu'on peut appeler ses révélations qu'au moment où Jeanne d'Arc veut faire prendre au roi le chemin de Paris après la prise de Senlis. Cette fois le roi s'arrête et ne veut pas faire un pas de plus, quoique Bedford ait abandonné la capitale avec une précipitation qui trahit ses craintes, quoique la confiance soit toujours la même parmi les Français. En vain lui envoie-t-on message sur message de l'avant-garde qui est déjà logée à Saint-Denis. Depuis le 26 août, jusqu'au 5 septembre, la Pucelle n'obtient rien de lui ni par lettre, ni par ambassade. Enfin elle envoie le duc d'Alençon, qui plus heureux, finit par le décider après quinze jours écoulés en pure perte, et lorsque les Parisiens, témoins de ces incertitudes, ont eu plus que le temps de mettre leur ville à l'abri d'un coup de main.
  Il suffit que la Pucelle voie le roi à Saint-Denis pour que son élan lui revienne aussi entier, aussi irrésistible que lorsqu'elle entrait pour la première fois dans les murs d'Orléans. Le 8 septembre elle conduit les capitaines à la porte Saint-Honoré. Ils combattent toute la journée sans pouvoir aller plus avant que le fossé ; mais dans la position qu'ils ont prise, le canon du rempart ne peut déjà plus les atteindre, et Jeanne d'Arc leur proteste que s'ils persistent encore un moment, la ville est à eux. Malheureusement un trait l'atteint à la cuisse. Les gens d'armes la voyant blessée, avisent que la nuit est close et qu'ils sont bien las. En vain elle continue ses instances ; on la prend, on la met de force sur un cheval et on l'emmène à la Chapelle.
  Elle n'était pas blessée si grièvement qu'on a coutume de le dire, puisque, d'après le témoignage de notre chroniqueur, le lendemain elle était la première levée au camp, et que, courant de côté et d'autre, elle excitait les capitaines à retourner à l'assaut de Paris. Sur ces entrefaites, arrive le sire de Montmorency qui jusque-là avait tenu pour les Anglais. Il vient faire sa soumission, ayant quitté Paris le matin même avec une bande nombreuse de gentilshommes ; de sorte que l'arrivée de ce renfort transporte les gens d'armes d'enthousiasme, et que déjà ils regardent la ville comme gagnée. Mais tout ce mouvement déplaît au roi ; et comme il veut y mettre fin, il envoie chercher la Pucelle par René d'Anjou. Les capitaines aussi sont invités à se rendre auprès de leur souverain. Il n'y aura pas d'assaut, ni ce jour, ni le lendemain. Paris est perdu pour sept ans encore ; car on n'y laissera pas aller la Pucelle, et ainsi on la fera mentir ; elle qui avait tant dit qu'elle y entrerait. Apprenant qu'elle veut profiter d'un pont établi à la Briche pour se jeter sur la rive gauche de la Seine et tenter une attaque sur le quartier Saint-Germain, le roi ordonne la rupture du pont. Deux jours après, il donne l'ordre du départ pour l'Orléanais.
  Veut-on savoir le procédé des chroniqueurs qui ont arrangé ces faits au goût de la cour et du roi ? Ils s'y sont pris de la même facon que ceux du parti anglais. Ils ont borné à la journée du 8 toutes les tentatives sur Paris, et cela, en exagérant de leur mieux la témérité d'une telle entreprise. A les en croire, Jeanne aurait été emmenée de là ne valant guère mieux que morte ; silence absolu de leur part sur les évènements du lendemain et sur la défection du sire de Montmorenci. Le seul Jean Chartier, qui probablement avait été payé par la famille, trouve moyen d'introduire le nom de ce seigneur sans rien compromettre ; il le cite bonnement parmi les chevaliers qui secondent la Pucelle dans la journée du 8, lui qui ce jour-là faisait tirer sur elle de dessus les remparts. Mais c'est ainsi que s'écrivait l'histoire au quinzième siècle.

  Après la trahison de Paris, commencent pour Jeanne d'Arc sept mois de repos dont Perceval de Caigny, sans dire grand'chose, dit assez cependant pour qu'on les considère comme une époque bien douloureuse dans la vie de cette fille infortunée. On l'éloigna des capitaines qui l'avaient prise en affection ; on la tint à la cour comme une princesse, environnée de soins hypocrites, elle qui ne demandait que des soldats pour achever la conquête du royaume. Une fois on feignit de condescendre à ses désirs, en lui permettant la malheureuse campagne du Nivernais qu'elle dut entreprendre au cœur de l'hiver et sans argent. Enfin, du printemps de 1430, ne pouvant supporter davantage la vie qu'on lui faisait, elle s'évada de la cour : "Le roy estant à Sully sur Loire, la Pucelle qui avoit veu et entendu tout le fait et manière que le roy et son conseil tenoient le recouvrement de son royaulme ; elle, très mal contente de ce, trouva manière de soy despartir d'avecques eux. Et sans le sceu du roy ne prendre congé de luy, elle fist semblant d'aler en aucun esbat, et sans retourner, s'en ala à la ville de Laingni surMarne."
  Cette fuite a été ignorée jusqu'ici. Elle est trop voisine du désastre de Compiègne pour qu'on ne lui suppose pas une influence fâcheuse sur le déterminations ultérieures prises par le roi à l'égard de la Pucelle. Dieu sait si les gens qui ne l'aimaient pas, manquèrent l'occasion d'arguer contre elle de sa désobéissance ! Perceval de Caigny ne dit rien toutefois sur ce point déjà tant débattu ; il se hâte de raconter la fin de son héroïne, en mêlant au récit de sa captivité une anecdote qu'il semblerait tenir de Jean d'Aulon, le maître d'hôtel de la Pucelle. Un peu plus loin que la mention du supplice, vient un chapitre où la conduite politique de Charles VII est examinée et blâmée sévèrement.
  Mais c'est assez de commentaires pour préparer à l'intelligence du texte même de notre auteur, que voici :


                  

Chapitres :

chap.1 - La venue de la Pucelle devers le roi
chap.2- Comme la Pucelle commença à faire la guerre aux Englois
chap.3- Des vivres menez à Orléans
chap.4- Comment la Pucelle print et leva les bastilles d'Orléans
chap.5- Le département des Englois de devant Orléans
chap.6- L'entreprinse de couronnement du Roy
chap.7- L'assaut de Gergeau
chap.8- Du siège de Baugency
chap.9- La bataille de Patay
chap.10- Le commencement du sacre du Roy
chap.11- Le jour que le Roy arriva à Rains et fut sacré
chap.12- Comment le Roy après son sacre print son chemin à venir...
chap.13- Comment le Roy et le duc de Bethford furent l'un devant l'autre...
chap.14- Comme le Roy vint à Compiengne quant il ot lessé le duc de Beth...
chap.15- Comme le duc de Bethford habandonna Paris
chap.16- Comme la Pucelle donna l'assaut à la ville de Paris
chap.17- Comme la Pucelle partist de Paris oultre son vouloir
chap.18- Comme le Roy partit de Saint Denys
chap.19- Comme le duc d'Alençon se partit du Roy
chap.20- Comme le Roy demoura à parsuir sa guerre
chap.21- Comme la Pucelle se partit du Roy
chap.22- Comme elle vint à Compiengne et là fut prinse
chap.23- La prinse de la Pucelle
chap.24- Comme la Pucelle fut mise en prison
chap.25- Comme la Pucelle fut jugée à mort
chap.26- Quant la Pucelle fut arse
chap.27- Comme le Roy voulut traictier aux Englois et au duc de Bourg...


                                         

n iceluy an [mccccxxxviii], le [vi°]* jour dudit mois de mars (9), une pucelle de l'eage de XVIII ans ou environ, des marches de Lorraine et de Barroiz vint devers le roy à Chinon. Laquelle estoit de gens de simple estat et de labour ; laquelle disoit de moult merveilleuses choses toujours en parlant de Dieu et de ses Sains. Et disoit que Dieu l'avoit envoyée à l'aide du gentil roy Charles ou fait de sa guerre. De quoy le roy et tous ceulx de son hostel et aultres de quelque estat qu'ilz fussent, se donnèrent de très grans merveilles de ce que elle parloit et devisoit des ordonnances et du fait de la guerre autant et en aussi bonne manière comme eussent peu et sceu faire les chevaliers et escuiers estans continuellement ou fait de la guerre. Et sur les parolles qu'elle disoit de Dieu et du fait de laditte guerre ; fut très grandement examinée des clercs et théaulogiens et autres, et de chevaliers et d'escuiers ; et tousjours elle se tint et fut trouvée en ung pourpos. Elle print et se mist en habit d'homme et requist an roy qu'il luy fist faire armures pour soy armer, telles comme elle les deviseroit, et luy baillast chevaulx pour elle et ses gens ; et ainssi lui fut fait. Et la tint le roy devers luy jusques au mois de may, sans ce qu'elle alast nulle part. Et avant sa venue, le roy ne les seigneurs de son sang ne savoient quel conseil prendre. Et depuis par son aide et conseil vint tousjours de bien en mieulx.


  En cette année MCCCCXXVIII (a. st.), le (VIe) jour du mois de mars, une pucelle de l'âge de XVIII ans ou environ, des marches de Lorraine et de Barrois, vint devers le roi à Chinon. Elle était issue de gens de simple état et de labour ; elle disait toujours de fort merveilleuses choses en parlant de Dieu et de ses saints ; elle disait que Dieu l'avait envoyée à l'aide du gentil roi Charles pour le fait de sa guerre. De quoi le roi et tous ceux de sa maison, et les autres, de quelque état qu'ils fussent, se donnèrent de très grandes merveilles de ce qu'elle parlait et devisait des ordonnances et du fait de la guerre, autant et en aussi bonne manière qu'eussent pu et su le faire les chevaliers et les écuyers étant continuellement occupés du fait de la guerre. Elle fut très grandement examinée par des clercs, des théologiens et par d'autres, par des chevaliers et des écuyers, sur ce qu'elle disait de Dieu et du fait de ladite guerre ; et toujours elle se tint, et elle fut trouvée en un même propos. Elle prit et se mit en habits d'homme ; elle demanda au roi de lui faire faire des armures pour s'armer, telles qu'elle les indiquerait; et qu'il lui donnât des chevaux pour elle et pour ses gens; et il fut ainsi fait. Le roi la tint devers lui jusqu'au mois de mai, sans qu'elle allât nulle part (10). Avant sa venue, ni le roi ni les seigneurs de son sang ne savaient quel conseil prendre, et depuis, par son aide et conseil, les affaires vinrent toujours de bien en mieux.


                                         

n l'an MCCCCXXIX la Pucelle entreprint à vouloir monstrer pour quoy elle estoit venue devers le roy. Après la journée des Harens, les Englois des bastilles devant Orléens gardèrent que nulz vivres ne peussent venir à ceulx de dedens, et tant, que ilz avoient très grant deffaulte de pain ; et pour y pourvoir envoyèrent plusieurs foiz devers le roy qui assembla ses cappitaines pour aviser par quelle manière on leur pourroit mener, des blés et autres vivres. Nul d'iceulx n'osa entreprendre la charge pour la doubte desditz Englois qui estoient d'un costé et d'autre à bien grant nombre en leurs bastilles, et avecques ce tenoient lesdittes villes et places audessus de la rivière et audèssoubz. Ladicte Pucelle voyant que nul n'entreprenoit de donner secours à ceste noble place d'Orléens et cognoissant la très grant perte et dommage que ce seroit au roy et à son royaulme de perdre ladicte place, requist au roy qu'il lui baillast de ses gens d'armes et dist : "Par mon martin (11) (ce estoit son serment), je leur feray mener des vivres." Le roy luy accorda. De quoy elle fut moult joyeuse. Elle fist faire ung-estandart ou quel estoit l'image de Nostre Dame , et print ung jour de soy trouver à Blois, et dist que ceulx qui devroient estre en sa compaignie, y fussent ; et que à ce jour les blés et autres vivres fussent prestz de partir en charrettes, chevaulx et autrement. Et ne demandoit point grant compaignie de gens, et disoit : "Par mon martin, ilz seront bien menez ; n'en faictes doubte."


  En l'an MCCCCXXIX, la Pucelle entreprit de vouloir montrer pourquoi elle était venue devers le roi. — Après la journée des Harengs, les Anglais des bastilles d'Orléans s'efforcèrent d'empêcher que nuls vivres pussent venir à ceux d'Orléans; si bien que ceux-ci avaient très grand défaut de pain. Pour y pourvoir, ils envoyèrent plusieurs fois devers le roi qui assembla ses capitaines pour aviser par quelle manière, on pourrait leur mener des blés et d'autres vivres. Nul de ces derniers n'osa entreprendre pareille charge par crainte des Anglais, qui étaient d'un côté et d'autre de la ville, en bien grand nombre dans leurs bastilles ; et avec cela tenaient les villes et les places au-dessus et au-dessous de la rivière. La Pucelle, voyant que nul n'entreprenait de donner secours à cette noble place d'Orléans, et connaissant la très grande perte et dommage que ce serait pour le roi et son royaume, de perdre ladite place, requit le roi de lui donner de ses gens d'armes, et dit : « Par mon Martin, — c'était son serment, — je leur ferai mener des vivres ». Le roi le lui accorda ; ce dont elle fut très joyeuse. Elle fit un étendard, auquel était l'image de Notre-Dame, et elle prit un jour pour se trouver à Blois, et dit que ceux qui devaient être en sa compagnie y vinssent, et qu'à ce jour les blés et les autres vivres fussent prêts à partir en charrettes, chevaux, et autrement. Elle ne demandait pas grande compagnie de gens, et elle disait : « Par mon Martin, ils seront bien menés; n'en faites doubte ! »


                                         

e mareschal de Rais, La Hire, Gaucourt, Poton de Sentrailles et d'autres capitaines furent audit jour à Blois pour la conduite, et firent partir grant foison de vivres de ladicte ville. La Pucelle les fist passer par devant les places de Baugency, de Meun et autres places garnies d'Englois, sans avoir quelque destourbier en ce qu'elle menoit ; et quant elle vint auprès d'Orléens, elle fist avaler (12) des bateaulx de laditte ville et fist chargier lesdiz vivres, elle et ses gens ès bateaulx et allèrent à la ville, sans destourbier des bastilles du pont et de l'autre costé de la rivière. De quoy ceulx de ladicte ville furent très grandement rejouiz pour la grant nécessité qu'ilz avoient des vivres et de la venue de la Pucelle et des gens de sa compaignie. Le sire de Gaucourt et aucuns autres des capitaines demourèrent avecques elle. Le bastart d'Orléens et les autres capitaines dessus nommez retournèrent audit lieu de Blois et remenèrent ceulx qui avoient portez lesdiz vivres. Elle leur avoit dit et asseuré que ilz n'auroient nul destourbier en leur retour ; et ainssi fut. Et avecquez ce leur ordonna prendre des autres vivres audit lieu de Blois, et que ilz venissent audit lieu d'Orléens par l'autre costé de la rivière, devers Paris, et que ilz ne feissent nulle doubte des Englois. Et ainssi l'entreprindrent comme ordonné leur avoit, et passèrent près des forteresses desdiz Englois et près de la ville par entre les bastilles , à la veue d'eulx, sans ce que nul se bougast de son logeis, comme gens qui ne se sceussent ou peussent aider.

  

  Le maréchal de Rais, La Hire, Gaucourt, Poton de Xaintrailles et d'autres capitaines furent à Blois au jour fixé pour la conduite des vivres, et les firent partir en grande quantité. La Pucelle les fit passer par devant les places de Baugency, de Meung, et autres places garnies d'Anglais, sans avoir aucun empêchement pour le convoi; et quand elle vint auprès d'Orléans, elle fit descendre des bateaux de ladite ville, elle y fit charger les vivres, y monta elle et ses gens, et ils entrèrent à Orléans, sans obstacle, soit des bastilles du pont, soit de celles qui étaient de l'autre côté de la rivière. Les habitants en furent très grandement réjouis, et à cause du grand besoin de vivres qu'ils ressentaient, et à cause de la venue de la Pucelle, et des gens de sa compagnie. Le sire de Gaucourt et quelques autres des capitaines demeurèrent avec elle.
  Le bâtard d'Orléans et les autres capitaines dessus nommés retournèrent à Blois, ramenant ceux qui avaient porté les vivres. Elle les avait assurés qu'ils ne seraient nullement inquiétés à leur retour, et ainsi en fut-il. En même temps, elle leur avait ordonné de prendre le reste des vivres à Blois, et de revenir à Orléans par l'autre côté de la rivière, devers Paris, et de n'avoir aucune crainte des Anglais. Ils l'exécutèrent, comme elle le leur avait ordonné, et ils passèrent près des forteresses desdits Anglais, près de la ville, par entre les bastilles, sous leur vue, sans que nul ne bougeât de son logis, comme gens qui n'auraient su ni pu s'aider.



                                         

n celui an MCCCCXXIX, le IV° jour du mois de may après disner, la Pucelle appela les capitaines, et leur ordonna que eulx et leurs gens fussent armez et prestz à l'eure qu'elle ordonna : à laquelle elle fut preste et à cheval plus tost que nul des autres cappitaines, et fist sonner sa trompille ; son estandart après elle, ala parmy la ville dire que chacun montast, et vint faire ouvrir la porte de Bourgoigne et se mist aux champs. Les gens de la ville, qui estoient en bon abillement de guerre, avoient ferme espérance que les Englois ne leur pourroient [faire] mal en sa compaignie ; saillirent dehors à très grant nombre. Et après se misrent aux champs les mareschaulx de Rais et de Boussac, le bastart d'Orléens, le sire de Graville (13) et les autres cappitaines. La Pucelle leur ordonna à garder que les Englois qui estoient dedens leurs bastilles en bien grant nombre, ne peussent venir après elle et ses gens de pié de la ville. Elle print poy des gens d'armes avec elle, et s'en ala devant la bastille de l'abbaye des Dames, nommée Saint Lo, en laquelle estoient environ IIIc Englois. Si tost comme les gens de la ville d'Orléens y furent arrivez, incontinent ilz alèrent à l'assault. La Pucelle print son estendart et se vint mettre sur le bort des fossez. Tentost après ceulx de la place se vouldrent rendre à elle. Elle ne les voult recevoir à rançon et dist qu'elle les prendrait maulgré eulx, et fist renforcier son assault. Et incontinent fut la place prinse et presque tous mis à mort. Ce fait, elle retourna en la ville d'Orléens, et les seigneurs avecques, qui l'avoient attendue, qui tous se donnoient merveilles de ses faiz et de ses parolles. Ne oncques nul des autres Englois ne se misdrent en nulle ordonnance, ne ne firent semblant de saillir hors de leurs places, ne emplus que se ilz n'eussent veu ne ouy chose qui leur deust desplaire.
  Tout le jour de lendemain qui fut jeudi, la Pucelle ne nul des capitaines ne se bougèrent de ladicte ville (14). Le vendredi, à heure de vespres, elle dist que chacun fust armé et prest, et en bataulx vint passer la rivière devers la Salloingne. Tous ne la suyrent pas comme elle cuidoit. Aussi tost comme elle fust descendue à terre et pou de gens avecques elles, elle se ala mectre devant la bastille des Augustins, son estendart en sa main, et fist sonner trompilles à l'assault incontinent ; et après ce ne demoura gaires que la place ne fut prinse. Et ce fait, ceulx de sa compaignie cuidoient que elle deust retourner à résir à la ville. Elle se logea en laditte bastille, qui estoit moult bien garnie de vivres, et dist : "Par mon martin, je auray demain les tours de la bastille du pont, ne n'entreray en Orléens jusques à ce qu'elles soient en la main du bon roy Charles." Et manda à ceulx qui estoient en la ville demourez, fussent l'endemain bien matin devers elle.
  Glacidaz demoura cappitaine des tours et de la Bastille des ponz après la mort du conte de Salsebery qui fut tué dedens, d'une pierre de canon, et ne fut oncques sceu qui la gecta ne dont elle vint. La place sembloit imprenable d'assault à toutes gens de guerre et estoit garnie de tous les abillemens qui appartiennent à la deffence de place assaillie. Et si avoit ledit Glacidas avecques lui en la place de VII à VIIIc Englois telz que bon lui avoit semblé pour sa seurté. Et n'y avoit celuy des cappitaines à qui il ne semblast impossible que laditte place deust estre prime en ung mois à plus de gens la moitié que ilz n'estoient. La Pucelle dist à ceulx qui estoient avecques elle : "Par mon martin, je la prendray demain et retourneray en la ville par sus les pons."

  

  Le samedi à VII heures du matin, elle fist sonner ses trompilles et fist sçavoir que chacun fust prest d'aler donner l'assault. Et environ vii heures elle print son estendart et s'ala metre sus le bort des fossez. Et incontinent commencèrent à gecter grant nombre de cagnons et de coulevrines du costé de dehors. Et ceulx de dedens faisoient tout ce que possible leur estoit pour deffence. On entra dedens leurs fossez maulgré eulx. L'assault fut dur et long ; et furent plusieurs de ceulx de dedens mors et biéciés et pou des autres. En ce jour leur fut donné par iii ou iv fois l'assault, et tousjours la Pucelle reconfortoit ses gens en leur disant "Ne vous doubtez, la place est nostre." Et environ l'eure de vespre elle se mist ou font des fossés, et incontinent ilz furent apportez plusieurs eschielles et renforsa l'assault de coulevrines et gens de trait. Et ne demoura gaires que noz gens entrèrent en la place.
  Ledit Glacidas et autres des plus grans de la place, quant ils veirent que eulx estoient prins, pour eulx saulver, cuidèrent recouvrer une des tours ; mais pour la presse qui fut très grande sur leur pont, le pont rompit et fut ledit Glacidas et plusieurs autres noyez, et presque touz les autres mis à mort. Ainssi fut la place gaignée. De quoy touz ceulx qui ce veirent furent touz esmerveillez ; et n'y moururent pas de l'aultre costé plus hault de xvi à xx personnes. Les pons qui estoient tant depeciez que ce estoit merveille et sembloit impossible que en viii jours on eust trouvé manière de y passer nulles gens, en mains de iii heures après, la chose fut mise en tel apareil que la Pucelle et ceulx qui y vouldrent passer, vindrent par sus les pons gesir en la ville. Dieu sçait à quel joye elle et ses gens y furent receuz.

  

  En cet an MCCCCXXIX, le IVe jour de mai, après dîner, la Pucelle appela les
capitaines, et leur ordonna d'être prêts, eux et leurs gens, à l'heure qu'elle fixa. Elle fut prête elle-même et à cheval plus tôt que nul des autres capitaines ; et elle fit sonner sa trompille ; son étendard après elle, elle alla par la ville dire que chacun montât (15); et elle vint faire ouvrir la porte de Bourgogne et se mit aux champs. Les gens delà ville, qui étaient bien équipés en guerre, avaient ferme espérance qu'en sa compagnie les Anglais ne pourraient leur faire de mal. Ils saillirent dehors en très grand nombre ; et après eux se mirent aux champs les maréchaux de Rais et de Boussac, le bâtard d'Orléans, le sire de Graville et les autres capitaines. La Pucelle leur ordonna de garder que les Anglais, qui étaient dans leurs bastilles en très grand nombre, ne pussent venir après elle et après ses gens, qui sortaient à pied de la ville. Elle prit peu de gens d'armes avec elle, et elle s'en alla devant la bastille de l'abbaye des Dames, nommée Saint-Loup, où se trouvaient environ trois cents Anglais. Sitôt que les gens d'Orléans y furent arrivés, ils allèrent incontinent à l'assaut. La Pucelle prit son étendard et vint se mettre sur le bord des fossés. Bientôt après ceux de la place voulurent se rendre à elle; elle ne voulut pas les recevoir à rançon et elle dit qu'elle les prendrait malgré eux, et elle fit pousser de plus fort son assaut. Incontinent la place fut prise, et presque tous ses défenseurs furent mis à mort. Cela fait, elle retourna en la ville d'Orléans, et avec elle les seigneurs qui l'avaient attendue, qui tous se donnèrent merveille de ses faits et de ses paroles. Jamais les autres Anglais ne se mirent (dans la suite) en nulle ordonnance, ni ne firent semblant de saillir hors de leurs places, pas plus que s'ils n'eussent vu ou entendu chose qui dût leur déplaire.
  Tout le jour du lendemain qui fut jeudi, ni la Pucelle ni aucun des capitaines ne bougèrent de la ville. Le vendredi, à l'heure des vêpres, elle dit que chacun fût prêt et armé, et elle passa la rivière en bateau du côté de la Sologne. Tous ne la suivirent pas, ainsi qu'elle s'y attendait. Aussitôt qu'elle fut descendue à terre, et une poignée de gens avec elle, elle alla, son étendard en main, se mettre devant la bastille des Augustins, et fit incontinent sonner trompilles pour l'assaut, et après, il ne se passa guère de temps que la place ne fût prise. Cela fait, ceux de sa compagnie pensaient qu'elle allait retourner coucher. en ville. Elle se logea en ladite bastille qui était bien garnie de vivres, et dit : « Par mon Martin, j'aurai demain les tours de la bastille du pont, et je n'entrerai pas à Orléans, qu'elles ne soient en la main du bon duc Charles » ; et elle manda à ceux qui étaient demeurés en la ville d'être devers elle dès le lendemain bon matin.
  Glacidas était demeuré capitaine des tours et de la bastille des ponts, après la mort du comte de Salisbury, qui fut tué dans l'une d'elles par une pierre de canon, sans qu'on ait jamais pu savoir qui la fit partir, ni d'où elle était venue. La place semblait imprenable d'assaut à tous les gens de guerre ; et elle était garnie de tout ce qui sert à la défense d'une place assaillie. Ledit Glacidas avait avec lui, en la place, de sept à huit cents Anglais, tels que bon lui avait semblé pour y être en sûreté. Il n'y avait pas de capitaine à qui il ne semblât impossible que ladite place pût être prise en un mois, y eût-il la moitié plus de gens qu'ils n'étaient. La Pucelle dit à ceux qui étaient avec elle : « Par mon Martin, je la prendrai demain, et je retournerai en ville pardessus les ponts. »
  Le samedi, à sept heures du matin, elle fit sonner ses trompilles, et fit savoir que chacun fut prêt d'aller donner l'assaut. Sur les sept heures elle prit son étendard, et s'alla mettre sur le bord des fossés, et incontinent du côté du dehors commencèrent les décharges d'un grand nombre de canons et de coulevrines. Ceux du dedans faisaient tout leur possible pour se défendre. On entra malgré eux dans les fossés. L'assaut fut donné en ce jour trois ou quatre fois ; et la Pucelle réconfortait toujours ses gens en leur disant : « N'en doubtez pas, la place est nostre ». Environ l'heure de vêpres, elle se mit au fond des fossés, et incontinent plusieurs échelles furent apportées, tandis que l'assaut recevait une nouvelle force du tir des coulevrines et du nombre des gens de trait ; et sans beaucoup tarder nos gens entrèrent en la place.
  Ledit Glacidas et les autres défenseurs plus haut placés se voyant pris pensèrent, pour se sauver, regagner une des tours ; mais la presse fut si grande que le pont se rompit, et ledit Glacidas et plusieurs autres furent noyés ; presque tous les autres furent mis à mort. Ainsi la place fut gagnée. Tous ceux qui virent le fait en furent tous émerveillés, et il n'y mourut pas du côté des vainqueurs plus de seize à vingt personnes. Les ponts étaient si démantelés que c'était merveille ; il semblait impossible qu'en huit jours on eut trouvé moyen d'y faire passer un homme ; en moins de trois heures la chose fut mise en tel état que la Pucelle, et ceux qui y voulurent passer, vinrent par-dessus les ponts coucher en ville.



                                         

e dimenche [VIII°], jour de mey, les seigneurs de Fastotz, de Wlbi (16), de Scales, et autres capitaines qui estoient en bien grant nombre en plusieurs autres bastilles du costé devers France, avoient veu l'assault de loing, que la Pucelle avoit donné le mercredi à la bastille de Saint Lo et l'avoit prinse d'assault et ceulx de la place mis à mort ; et de leurs places avoient aussi veu les assaults que elle avoit donnez le samedi aux tours et bastille du pont et la place prendre d'assault. Ce dit jour de dimenche au matin, ilz boutèrent les feuz en leurs logeis et s'en alèrent la plus part d'eulx tout de pié ès villes et places de Meun et Baugency sur Laire. Et par ainssi fut la noble cité d'Orléens secourue et mise en franchise par la Pucelle, message de Dieu, en l'ayde du roy de France. Et huit ou dix jours après les bonnes aventures, elle revint devers le roy à Chinon.

  Ou mois de mars précédent, après ce qu'elle fut arrivée devers le roy à Chinon, entre les autres affaires qu'elle disoit avoir de par Jhesus, elle disoit que le bon duc d'Orléens estoit de sa charge, et où cas qu'il ne revendroit par de çà, elle airoit moult de paine de le aler querir en Engleterre. Et avoit très grant joye de soy employer ou recouvrement de ses places. Et à l'occasion de l'amitié et bon vouloir que elle avoit au duc d'Orléens, et aussi que ce estoit partie de sa charge, elle se fist très acointe du duc d'Alençon qui avoit espousé sa fille. Et ne fut gaires après sa venue a Chinon que elle ala veoir la duchesse d'Alençon en l'abbaye de Saint Flourent près Saumur, là où elle estoit logiée (17). Diu sçait la joye que la mère dudit d'Alençon, lui et laditte fille d'Orléens, sa femme, lui firent par III ou IV jours qu'elle fut audit lieu. Et après ce, tousjours depuis, se tint plus prouchaine et acointe du duc d'Alençon que de nul autre, et tousjours en parlant de lui l'appeloit Mon beau duc, et non autrement.

                        

  Le dimanche huitième jour de mai, les seigneurs de Fastolf, de Willoughhy, de Scales, et autres capitaines étant en bien grand nombre dans plusieurs autres bastilles du côté de devers la France, qui avaient vu de loin l'assaut que la Pucelle avait donné le mercredi à la bastille Saint-Loup, comment elle l'avait prise d'assaut, et comment ceux qui la défendaient avaient été mis à mort ; et qui, de leur place, avaient encore vu les assauts, donné par elle, le samedi, aux tours et à la bastille du pont et la place enlevée par assaut, ce même dimanche au matin, ces capitaines mirent le feu à leurs logis, et s'en allèrent, la plupart d'entre eux tout à pied, dans les villes et places de Meung et de Baugency-sur-Loire. Ce fut ainsi que la noble cité d'Orléans fut secourue et mise en liberté par la Pucelle, envoyée de Dieu à l'aide du roi de France. Et huit ou dix jours après ces heureuxévénements, elle revint vers le roi à Chinon.
  Au mois de mars précédent, après son arrivée à Chinon, la Pucelle, entre les autres affaires qu'elle disait avoir de par Jésus, affirmait que le bon duc d'Orléans était de sa charge, et que dans le cas où il ne reviendrait pas par deçà, elle aurait beaucoup de peine pour aller le quérir en Anglelerre. Elle avait une très grande joie de s'employer au recouvrement de ses places. A cause de l'amitié et du bon vouloir qu'elle avait pour le duc d'Orléans, et aussi parce que c'était une partie de sa mission, elle se tint très près du duc d'Alençon qui avait épousé sa fille. Après son arrivée, elle ne fut pas longtemps à Chinon sans aller voir la duchesse d'Alençon, en l'abbaye de Saint-Florent, près de Saumur, où elle résidait. Dieu sait le joyeux accueil que lui firent la mère du duc, le duc et sa femme, ladite fille du duc d'Orléans, durant les trois ou quatre jours qu'elle passa audit lieu. Et après cela, et toujours depuis, elle se tint plus près et plus familière du duc d'Alençon que d'aucun autre ; et toujours, en parlant de lui, elle l'appelait Mon beau duc, et pas autrement.



                                         

près la prinse des bastilles devant la ville d'Orléens, la Pucelle dist au roy, aux seigneurs et a tout son conseil, que il estoit temps que il fust prest de soy metre au chemin de son couronnement à Rains. Son conseil sembla très fort (18) à exécuter à touz ceulx que en ouyrent parler, et disoient que, veue la puissance des Englois et Bourgoignons, ennemys du roy, et considéré que le roy n'avoit pas grans finances pour souldoyer son armée, il luy estoit impossible de parfaire le chemin. La Pucelle dist : "Par mon martin, je conduiray le gentil roy Charles et sa compaignie jusques audit lieu de Rains seurement et sans destourbier, et là le verré couronner." Après ces parolles et ce qu'elle avoit fait de avitaillier la ville d'Orléens et levé les bastilles de devant, nul ne osa contredire. Et mist le roy ung jour auquel il seroit à Gien sur Laire ; et ainsi le fist le roy. La Pucelle qui tousjours avoit l'ueil et sa pensée aux affaires du duc d'Orléens, parla à son beau duc d'Alençon et luy dist que, en tandiz que le roy se apresteroit et que il metroit à faire son chemin à aler audit lieu de Gien, elle vouloit aler delivrer la place de Gergueau qui faisoit et donnoit de grans charges à la ville d'Orléens. Incontinent le duc d'Alençon fist sçavoir aux mareschaulx de Boussac et de Rais, au bastart d'Orléens, à La Hire et autres cappitaines, que eulx et leurs gens fussent à certain jour à ung village près Romorantin en Salloigne ; et ainssi le firent.


  Après la prise des bastilles devant Orléans, la Pucelle dit au roi, aux seigneurs, et à tout son conseil, qu'il était temps de se préparer à se mettre en chemin pour son couronnement à Reims. Pareil dessein sembla très difficile à exécuter à tous ceux qui en ouïrent parler. Ils disaient que, vu la puissance des Anglais et des Bourguignons ennemis du roi, considéré que le roi n'avait pas grandes finances pour soudoyer son armée, il lui était impossible de parfaire pareil chemin. La Pucelle dit : « Par mon Martin, je conduirai le gentil roi Charles et sa compagnie jusques audit lieu de Reins, sûrement et sans empêchement, et là vous le venez couronner ». Ces paroles venant après qu'elle avait ravitaillé Orléans et fait lever les bastilles de devant cette ville, nul n'osa contredire. Le roi fixa un jour auquel il serait à Gien-sur-Loire, et il tint parole. La Pucelle, qui avait toujours l'oeil et la pensée aux affaires du duc d'Orléans, parla à son beau duc d'Alençon, et lui dit que, tandis que le roi ferait ses apprêts, et pendant le temps qu'il mettrait à faire son chemin pour aller à Gien, elle voulait aller délivrer la place de Jargeau qui faisait et donnait de grandes charges à la ville d'Orléans. Incontinent, le duc d'Alençon fit savoir aux maréchaux de Boussac et de Rais, au bâtard d'Orléans, à La Hire et à d'autres capitaines, de se trouver avec leurs gens à certain jour à un village près de Romorantin-en-Sologne ; et ainsi ils le firent.


                                         

n celui an MCCCCXXIX, le samedi XI° jour du mois de juing environ deux heures après disner, le duc d'Alençon, la Pucelle, le conte de Vendosme et les autres cappitaines, en leur compaignie de II à III mille combatant et autant de gens de commun ou plus, vindrent assegier la ville de Gergueau en laquelle estoient le conte de Sufford, deux de ses frères et de vii à viiic Englois. A l'arrivée, les gens de commun à qui il estoit advis que à l'entreprinse de la Pucelle riens ne povoit tenir, ilz saillirent ès fossez sans sa présence et sans les gent d'armes qui entendoyent à eulx logier. Il en y ot de bien batuz et s'en revindrent. La chose demoura pour le jour en cet estat. La nuit, la Pucelle parla à ceulx de dedens et leur dit : "Rendez la place au Roy du ciel et au gentilz roy Charles, et vous en alez, ou autrement il vous mescherra." Ilz ne tindrent compte de choses qu'elle leur dist. La nuit, les bombardes et cagnons furent assis, et le dimenche venu, environ IX heures au matin, la Pucelle et le duc d'Alençon firent sonner les trompilles pour venir à l'assault. La Pucelle print son estendart ou quel estoit empainturé Dieu en sa majesté, et de l'austre costé (19) ... et ung escu de France tenu par deux anges. Elle vint sur les fossez, et incontinent bien grant nombre de gens d'armes et de commun saillirent dedens et commença l'assault très dur, lequel dura de trois à quatre heures. Et en la parfin la place fut prinse, qui sembloit chose impossible la prendre d'un assault, vu les gens de deffence qui estoient dedens. Et n'y mourut de nostre costé que XVI ou XX personnes. Le conte de Suford fut prins à prinsonnier, ung de ses frères et XL ou L autres ; son autre frère et le seurplus des Englois furent mis à mort.
  Le lundy ensuivant, la Pucelle, le duc d'Alençon, après ce que ilz eurent ordonné ce que bon leur sembla de gens pour la garde de la place de Gergueau, eulx et le seurplus de leur compaignie s'en vindrent disner en la ville d'Orléens et ès villages d'ung costé et d'autre de la rivière, et là séjournèrent celui jour et l'endemain qui fut mardi. Ce jour la Pucelle fut moult grandement festoiée de ceulx de la ville. Le duc d'Alençon, touz les autres capitaines, chevaliers et escuiers, gens de guerre, bourgois et toutes gens de commun qui l'avoient veue, estoient tant contens d'elle que plus ne povoient, disans que Dieu l'avoit envoyée pour remetre le roy en sa seignourie. Au vespre elle appela son beau duc d'Alencon et lui dist : "Je vueil demain après disner aler veoir ceulx de Meun. Faites que la compaignie soit preste de partir à celle heure." Le merquedi ensuivant, la Pucelle, le duc d'Alençon, leur compaignie et bien grant nombre de commun qui se misdrent en la compaignie de la Pucelle, partirent après disner et alèrent gesir auprès de Meun. Et à l'arriver fut donnée une escharmouche à ceulx de la place, et plus n'en fut fait.

  

  En cet an MCCCCXXIX, le samedi XIe jour du mois de juin, environ deux heures après dîner, le duc d'Alençon, la Pucelle, le comte de Vendôme et les autres capitaines, ayant en leur compagnie de deux à trois mille combattants, et autant de gens des milices communales ou plus, vinrent assiéger la ville de Jargeau, que gardaient le comte de Suffolk, deux de ses frères, et de sept à huit cents Anglais. A l'arrivée, les gens des milices communales, à qui il était avis que rien ne pouvait tenir contre les entreprises de la Pucelle, se précipitèrent dans les fossés sans qu'elle y fût présente, et sans les gens d'armes occupés à se loger : il y en eut de bien battus ; ils se retirèrent. La chose demeura en cet état pour ce jour. La nuit, la Pucelle parla à ceux de dedans la ville, et leur dit : « Rendez la place au Roi du Ciel et au gentil roi Charles, et vous en allez, ou autrement il vous mécherra ». Ils ne tinrent pas compte des choses qu'elle leur dit. La nuit, les canons et les bombardes furent assis, et le dimanche venu, environ sur les neuf heures du matin, la Pucelle et le duc d'Alençon firent sonner les trompilles pour venir à l'assaut. La Pucelle prit son étendard, auquel était peint Dieu en sa majesté, et de l'autre côté... et un écu de France tenu par deux anges. Elle vint sur les fossés, et incontinent un bien grand nombre de gens d'armes et d'hommes des communes s'y précipitèrent, et l'assaut commença très dur ; il dura de trois à quatre heures. En la parfin, la place fut prise, quoiqu'il semblât impossible de la prendre d'assaut, vu les défenseurs qu'elle renfermait. De notre côté nous n'eûmes que seize ou vingt morts. Du côté de l'ennemi, le comte de Suffolk, son frère, et quarante ou cinquante autres furent faits prisonniers ; son autre frère et le reste des Anglais furent mis à mort.
  Le lundi qui suivit, la Pucelle, le duc d'Alençon, après avoir ordonné pour la garde de Jargeau le nombre de gens qu'il leur sembla bon, s'en vinrent dîner, eux et ce qui restait de leur compagnie, en la ville d'Orléans et aux villages situés sur l'un et l'autre côté de la rivière. Ils séjournèrent ce jour et le lendemain qui fut mardi. Ce jour, la Pucelle fut très grandement festoyée par ceux de la ville. Le duc d'Alençon, tous les autres capitaines, chevaliers, écuyers, gens de guerre, bourgeois, tout les gens du commun qui l'avaient vue, en étaient si contents que plus ils ne pouvaient l'être, disant que Dieu l'avait envoyée pour remettre le roi en sa seigneurie. Dans la soirée elle appela son beau duc d'Alençon et lui dit : « Je veux demain après dîner aller voir ceux de Meung. Faites que la compagnie soit prête à partir à cette heure-ci. » Le lendemain, mercredi, la Pucelle, le duc d'Alençon, leur compagnie, et un bien grand nombre de gens du peuple, qui se mirent en la compagnie de la Pucelle, partirent après dîner et allèrent coucher auprès de Meung. A l'arrivée une escarmouche fut donnée à ceux de la place, et il n'en fut pas fait davantage.



                                         

e jeudy ensuivant XVIe jour de juing, la Pucelle, le duc d'Alençon et toute la compaignie, à heure de midi, vindrent metre le siege devant la place de Baugency et furent logiez en la ville et en l'environ. Et tout le seurplus du jour eut escharmouche devant la place. Et la nuit furent assises les bombardes et cagnons. Messire Richard Guestin et Matago (20) accompaigniez de IIIIc Englois avoient la garde de la place. Le vendredy, le conte de Richemont, conestable de France, vint à la compaignie, ainssi que le duc d'Alençon luy avoit fait à sçavoir dès ce qu'il ala devant Gergueau ; combien que le roy ne vouloit point qu'il se meslast de sa guerre par l'enortement du sire de la Trimoille qui le tenoit à son ennemy (et il avoit toute la voix du gouvernement du roy). Le conestable arrivé, V ou VIc combatans en sa compaignie, tout ce jour de vendredy fut gecté de bombardes et cagnons à ceulx de la place, et eulx aussi à ceulx de dehors, et escharmouché et chacun faire le mieulx que ilz povoient. Ceulx de la place avoient bien congnoissance des entreprinses que la Pucelle avoit fait de avitailler la ville d'Orléens, de la prinse des bastilles qui fut grant merveilles, et de la prinse de Gergueau ; et veoyent que riens ne povoit résister contre la Pucelle et qu'elle metoit toute l'ordonnance de sa compaignie en telle conduite çomme elle vouloit, tout ainssi comme devroient et pourroient faire le conestable et les mareschaulx dung ost. Ilz se rendirent à la Pucelle et au duc d'Alençon sauf leurs corps, chevaux et hernois.

  La nuit d'entre le vendredi et le samedi vindrent nouvelles à la Pucelle et au duc d'Alencon que les seigneurs de Talebot et Fastotz estoient arrivez à grant compaigsnie d'Englois à Yenville en Beausse, qui venoient pour les combatre.

  

  Le lendemain jeudi, XVIe jour de juin, la Pucelle, le duc d'Alençon et toute l'armée, vinrent sur l'heure de midi mettre le siège devant la place de Baugency, et s'établirent dans la ville et aux environs. Tout le reste du jour il y eut des escarmouches devant la place. La nuit, on assit les canons et les bombardes. Messire Richard Guettin et Mathago avaient la garde de la place avec quatre cents Anglais sous leurs ordres. Le vendredi, le comte de Richemont, connétable de France, vint à l'armée, sur l'avis que lui avait fait arriver le duc d'Alençon dès qu'il alla devant Jargeau. Le roi cependant ne voulait pas qu'il se mêlât de sa guerre, et cela à la sollicitation du sire de La Trémoille qui tenait Richemont pour son ennemi ; et le sire de La Trémoille avait toute la voix du gouvernement du roi. Le Connétable amenant avec lui cinq ou six cents combattants, tout ce jour de vendredi se passa à faire des décharges de canons et de bombardes contre ceux de la place, qui, eux aussi, répondaient à ceux du dehors; on escarmoucha, et chacun fit le mieux qu'il pouvait. Ceux de la place avaient bien connaissance des exploits qu'avait accomplis la Pucelle en ravitaillant la ville d'Orléans, en prenant les bastilles ; ce qui fut une grande merveille ; et en forçant Jargeau. Ils voyaient que rien ne pouvait résister contre la Pucelle, qu'elle mettait toute l'ordonnance dans l'armée et la conduisait comme elle voulait, ainsi que devraient et pourraient le faire le Connétable et les maréchaux. Ils se rendirent à la Pucelle et au duc d'Alençon, sauf leurs corps, leurs chevaux et leurs harnais.
  La nuit du vendredi au samedi, des nouvelles vinrent à la Pucelle et au duc d'Alençon que les seigneurs de Talbot et Fastolf étaient arrivés avec grand renfort d'Anglais à Yenville-en-Beauce, et qu'ils s'avançaient.



                                         

e samedi XVIII°, jour dudit mois de juing MCCCCXXIX, en metant hors de la place de Baugency lesdiz Englois, qui se estoient rendus, vindrent nouvelles à la Pucelle et au duc d'Alençon que, la nuit passée, lesdiz Talebot et Fastots estoient venuz querir à Meun le sire d'Escales et ceulx de la garnison de Meun qui habandonnèrent la place et s'en alèrent tous ensemble droit a Yanville. Environ huit heures au matin, la Pucelle, le duc d'Alençon et toute la compaignie estoient issus aux champs, cuidans avoir la bataille ; et quant ilz sceurent que les Englois s'en aloient, ilz ordonnèrent leur avant garde et leur bataille, et en ordonnance tirèrent après les Englois et les aconsurent près le village de Patay, environ V lieues dudit lieu de Baugency. Quant les Englois advisèrent la compaignie qui les suivoit, ilz prindrent ung champ et là se misdrent en ordonnance et en bataille presque touz à pié. L'avant-garde de noz gens férit dedens et incontinent la bataille joingnit avecques eulx ; et, sans gaires de résistence, les Englois tournèrent en desconfiture et en fuite. A laquelle bataille furent mis à mort de II à III mille Englois et de prisonniers les sires de Talebot, d'Escales, le fïlz au conte de (21), et de IIII à V cens autres Englois. La Pucelle, le duc d'Alençon, le conestable de France, le conte de Vendosme et toute la compaignie couchèrent audit village de Patay et aux environs.
  Le dimanche XIX ° jour dudit mois de juing, la Pucelle, le duc d'Alencon et toute la compaignie disnèrent audit lieu de Patay. Le duc d'Alençon ne osa mener le conestable devers le roy pour la mallegrace en quoy il estoit, comme dit est. Il retourna en son ostel de Partenay, lie et joyeulx de la journée que Dieu avoit donnée pour le roy, et très marry de ce que le roy ne vouloit prendre en gré son service. La Pucelle, le duc d'Alençon et tout le sourplus de la compaignie s'en alèrent gesir à Orléens et entour la ville, et là furent receuz très grandement. Ilz alèrent par les églises mercier Dieu, la Vierge Marie et les benoistz sains de Paradis, de la grâce et de l'onneur que Nostre Seigneur avoit fait au roy et à eulx touz, en disant que c'estoit par le moyen de la Pucelle et que sans elle ne peussent si grans merveilles avoir esté faictes ; et furent la Pucelle, le duc d'Alençon et toute la compaignie audit lieu d'Orléens et ou païs d'environ depuis ledit dimanche jusques au vendredi ensuivant, XXIIII° jour dudit mois.

  

  Le samedi XVIIIe jour de juin MCCCCXXIX, la Pucelle et le duc d'Alençon mettaient hors de la place de Baugency les Anglais qui s'étaient rendus, lorsque leur arrivèrent les nouvelles que, durant la nuit qui venait de s'écouler, Talbot et Fastolf étaient venus à Meung quérir le sire de Scales et ceux de la garnison de la ville, qu'ils avaient abandonné la place et s'en allaient tous ensemble à Yenville. Environ sur les huit heures du matin, la Pucelle, le duc d'Alençon et toute leur armée s'étaient mis en campagne, pensant avoir la bataille avec les Anglais. Quand ils surent qu'ils s'en allaient, ils ordonnèrent l'avant-garde et l'armée, et ainsi rangés en bon ordre, ils marchèrent après les Anglais, et les rejoignirent près du village de Patay, à peu près à cinq lieues de Baugency. Quand les Anglais s'aperçurent de la compagnie qui les suivait, ils s'installèrent dans un champ, et presque tous à pied se rangèrent en ordre de combat. L'avant-garde de nos gens fondit sur eux, et incontinent le gros de l'armée se joignit à elle ; sans guère de résistance les Anglais tournèrent à la déroute et à la fuite. De deux à trois mille furent tués : furent faits prisonniers les sires de Talbot, de Scales, le fils du comte de et de quatre à cinq cents autres ennemis. La Pucelle, le duc d'Alençon, le connétable de France, et toute la compagnie couchèrent au village de Patay et aux environs.
  Le dimanche XIXe jour de juin, la Pucelle, le duc d'Alençon et toute la compagnie, dînèrent audit lieu de Patay. Le duc d'Alençon n'osa pas conduire le Connétable vers le roi à cause de la disgrâce dans laquelle il se trouvait, ainsi qu'il a été dit. Le comte de Richemont retourna en son château de Parthenay, content et joyeux de la victoire que Dieu avait donnée au roi, et très marri de ce que le roi ne voulait pas agréer son service. La Pucelle, le duc d'Alençon et toute la compagnie allèrent coucher à Orléans et autour de la ville ; ils y furent reçus très grandement. Ils allèrent par les églises remercier Dieu, la Vierge Marie et tous les benoîts saints du Paradis, de la grâce et de l'honneur que Dieu avait laits au roi et à eux tous, publiant que c'était par le moyen de la Pucelle, et que sans elle jamais si grandes merveilles n'auraient pu être accomplies. La Pucelle, le duc d'Alencon, et toute la compagnie furent audit lieu et aux pays des environs, depuis le dimanche jusqu'au vendredi suivant, XXIIIe jour du même mois.



                                         

e vendredi bien matin, la Pucelle dist au duc d'Alencon : "Faites sonner trompilles et montez à cheval. Il est temps d'aler devers le gentil roy Charles pour le metre à son chemin de son sacre à Rains." Ainssi fut fait. Touz montèrent à cheval en la ville et ceulx des champs. Et celui jour furent au giste devers le roy en la ville de Gien sur Laire. Le roy fist grant feste et grant joye de la venue de la Pucelle, du duc d'Alençon et de leur compaignie. Et ce jour, fut moult parlé par touz les seigneurs, les chevaliers, les escuyers, les gens de guerre et toutes gens de quelque estat qu'ilz fussent, qui tout tenoient à très grant merveille les grans aventures de guerre qui le samedi devant estoient avenues par l'entreprinse de la Pucelle à elle et à sa compaignie. Et croy que ne vit nul qui ait veu la pareille telle que metre en l'obéissance du roy, et en ung jour, trois notables places, c'est assavoir la ville et chasteau de Meun sur Laire, la ville et chasteau de Baugency et la ville et chastel de Yenville en Beausse, et gaigné près le village de Patay une journée sur les Englois qui estoient en nombre de .... mille et noz gens environ ..... (22).

  

  Le roy fut audit lieu de Gien jusques au mercredi xxix° jour de juing. Et fut la Pucelle moult marrie du long séjour qu'il avoit fait audit lieu par aulcuns des gens de son hostel qui luy desconseilloient de entreprendre le chemin d'aler à Rains, disans qu'il avoit plusieurs citez, autres villes fermées, chasteaulx et places fortes bien garnies d'Englois et Bourgoignons entre ledit lieu de Gien et Rains. La Pucelle disoit qu'elle le sçavoit bien et que de tout ce ne tenoit compte ; et par despit se deslogea et ala logier aux champs deux jours avant le partement du roy. Et combien que le roy n'avoit pas argent pour souldoier son armée, touz chevaliers, escuiers, gens de guerre et de commun ne refusoient point de aler servir le roy pour ce voyage en la compaignie de la Pucelle, disans que ilz yroient par tout où elle vouldroit aler. Et elle disoit : "Par mon martin , je meneray le gentil roy Charles et sa compaignie seurement, et sera sacré audit lieu de Rains".
  Cedit jour après plusieurs parolles, le roy se partit et print son chemin à aler droit à la cité de Troye en Champaigne. Et en faisant son chemin, toutes les fortresses d'ung costé et d'autre de sa voye se midrent en son obéissance. Le roy arriva devant ledit lieu de Troye après disner, le vendredy VIII° jour de jullet. Et luy furent ceulx de la garnison et les bourgois de la ville désobéissans. Ce jour et l'endemain y ont fait de grans escharmousches, et le dimanche X° jour se midrent en l'obéissance du roy. Et après disner fut très honnourablement receu en laditte ville et y séjourna jusques au mardy ensuivant. Et par tout où la Pucelle venoit, elle disoit à ceulx des places : "Rendez [vous] au roy du ciel et au gentil roy Charles." Et estoit toujours devant à venir parler aux barrières.
  Celui mardi, le roy partit dudit lieu de Troye, et le jeudi ensuivant fut moult honnourablement receu en la cité de Chaalons. Et en faisant son chemin, toutes les forteresses du païs se midrent en son obéissance, pource que la Pucelle envoyet tousjours de ceulx qui estoient soubz son estendart dire par chacune des fortresses à ceulz de dedens : "Rendez vous au roy du ciel et au gentil roy Charles." Et iceulx ayans congnoissance des grans merveilles avenues et faites à la présence de la Pucelle, se metoient franchement en l'obéissance du roy les aucuns. Et ceulx qui refusoient, elle y aloit en personne, et touz luy obéissoient. Aucune fois se tenoit en la bataille avecques le roy en alant son chemin ; autres foiz en l'avant garde, et autre en l'arrière garde , ainssi qu'elle véoit convenir (23) à son entente. Et le vendredi ensuivant se partit le roy dudit lieu de Chaalons.


 

  Ce vendredi bien matin, la Pucelle dit au duc d'Alencon : « Faites sonner les trompilles et montez à cheval. Il est temps d'aller vers le gentil roi Charles pour le mettre au chemin de son sacre à Reims. » Ainsi il fut fait. Tous montèrent à cheval et ceux de la ville et ceux des champs. Ce même jour, ils prirent gîte auprès du roi en la ville de Gien-sur-Loire. Le roi fit grande fête et montra grande joie de la venue de la Pucelle, du duc d'Alencon et de leur compagnie. Ce jour, il y eut de longs et joyeux entretiens entre tous les seigneurs, les chevaliers, les écuyers, les gens de guerre, et les gens de tout état, quels qu'ils fussent. Tous tenaient à très grande merveille les grands faits de guerre advenus le samedi précédent, par l'entreprise de la Pucelle, à
eux et à toute sa compagnie. Je crois bien que jamais homme vivant ne vit la pareille, telle que de mettre en un jour en l'obéissance du roi trois notables places, à savoir la ville et le château de Meung-sur-Loire, la ville et le château de Baugency, la ville et le château d'Yenville-en-Beauce, et de gagner une journée telle que celle d'auprès de Patay, sur les Anglais qui étaient au nombre de... mille, et nos gens environ...
  Le roi fut audit lieu de Gien jusques au mercredi 29 juin. La Pucelle fut très marrie du long séjour qu'il y fit, par la persuasion de quelques gens de sa maison qui le déconseillaient d'entreprendre le chemin de Reims, disant qu'entre Gien et Reims il y avait plusieurs cités, villes fermées, châteaux et places bien garnis d'Anglais et de Bourguignons. La Pucelle disait qu'elle le savait bien, et que de tout cela elle ne faisait nul compte. Par dépit elle partit et alla camper aux champs, deux jours avant le départ du roi. Quoique le roi manquât d'argent pour solder son armée, tous, chevaliers, écuyers, gens de guerre et gens du peuple, se montraient prêts à aller servir le roi pour ce voyage en la compagnie de la Pucelle, disant qu'ils iraient partout où elle voudrait aller. Elle disait : « Par mon Martin, je mènerai le roi Charles et sa compagnie sûrement, et il sera couronné audit lieu de Reims ».

  Le 29 juin, après plusieurs conseils, le roi partit et prit son chemin pour aller droit à la cité de Troyes-en-Champagne. Sur son chemin, toutes les forteresses, à droite et à gauche de sa voie, se mirent en obéissance. Il arriva devant le dit lieu de Troyes après dîner, le vendredi, VIIIe jour de juillet. Les hommes de la garnison et les bourgeois de la ville lui furent désobéissants. Ce jour-là et le lendemain il y eut de grandes escarmouches, et le dimanche, Xe jour, ils se mirent en l'obéissance du roi. Après dîner, il fut très honorablement reçu en cette ville, où il séjourna jusqu'au mardi suivant. Partout où la Pucelle venait, elle disait à ceux qui tenaient les places :« Rendez-vous au Roi du Ciel et au gentil roi Charles ». Elle était toujours la première pour venir parler aux barrières.

  Le mardi, le roi partit de Troyes, et le jeudi qui suivit, il fut très honorablement reçu en la cité de Châlons. Le long du chemin, toutes les forteresses du pays se mirent en son obéissance, parce que la Pucelle envoyait quelques-uns de ceux qui étaient sous son étendard dire par chacune d'elle à ceux qui les occupaient : « Rendez-vous au Roi du Ciel et au gentil roi Charles » ; et ceux-ci, ayant connaissance des grandes merveilles advenues et accomplies à la présence de la Pucelle, se mettaient franchement en l'obéissance du roi, quelques-uns du moins. Quant à ceux qui refusaient, elle y allait en personne, et tous lui obéissaient. En allant son chemin, elle se tenait quelquefois dans le gros de l'armée avec le roi, d'autres fois à l'avant-garde, et d'autres fois à l'arrière-garde, ainsi qu'elle le voyait convenable à son dessein. Le vendredi le roi partit dudit lieu de Châlons.



                                         

n l'an mccccxxix, le samedi xvi° jour dudit mois de jullet, après disner, le roy arriva en la ville de Rains, et furent en l'encontre de lui à sa venue l'archevesque et tous les colléges de la ville, les bourgois et autres bien grant nombre, touz faisans grant joye en criant, "Nouel !" pour sa venue. Et tout celui jour et la nuit ensuivant, par les officiers du roy et ceulx de son conseil fut fait de très grans diligences pour chacun des offices en ce que il luy en apartenoit, pour le fait et l'estat du sacre et couronnement du roy, qui fut fait l'endemain.

  Le dimanche XVIIe jour dudit mois, le roy fut sacré et couronné audit lieu de Rains par [Regnault] de Chartres, archevesque du lieu, acompaignié de plusieurs évesques, abbez et autres gens d'église, comme au cas apartenoit. Ce jour le duc d'Alençon fist chevalier le roy et le servit de per de France ou lieu du duc de Bourgoigne, qui pour lors estoit ennemy du roy et alié avecques les Englois. Ce jour les contes de Cleremont, de Vendosme et de Laval, qui ce jour fut fait conte, servirent le roy au lieu des autres pers de France qui n'y estoient mie. Le roy fut audit lieu de Rains jusques au jeudi ensuivant, et ce jour ala disner, souper et gesir en l'abbaye de Saint Marcoul, auquel lieu furent aportés au roy les clefs de la cite de Lan.

                        


  En l'an MCCCCXXIX, le samedi, XVIe jour de juillet, après dîner, le roi arriva en la ville de Reims. Furent à sa rencontre l'Archevêque et tous les collèges de la ville, les bourgeois et d'autres en bien grand nombre, tous faisant éclater grande joie en criant Nouel pour sa venue. Le jour et toute la nuit suivante, les officiers du roi et ceux de son conseil firent de très grandes diligences, chacun en ce que demandait son office, pour le fait et l'état du sacre et du couronnement du roi, qui eut lieu le lendemain.
  Le dimanche, XVIIe jour dudit mois, le roi fut sacré et couronné à Reims par Regnault de Chartres, archevêque du lieu, accompagné de plusieurs évêques, abbés et autres gens d'Église, comme au cas il appartenait. Ce jour, le duc d'Alençon fit chevalier le roi, et le servit comme pair de France au lieu du duc de Bourgogne, alors ennemi du roi et allié avec les Anglais. Ce jour, les comtes de Clermont, de Vendôme, et de Laval, qui ce jour même fut fait comte, servirent le roi, au lieu des autres pairs de France qui n'y étaient pas. Le roi demeura à Reims jusqu'au jeudi suivant, et ce jour-là il alla dîner, souper et coucher en l'abbaye de Saint-Marcoul, où lui furent apportées les clefs de la cité de Laon.



                                         

a Pucelle avoit intencion de remetre le roy en sa seigneurie, et son royaulme en son obéissance. Et pour ce, lui fist entreprendre après la délivrance de la conté de Champaigne, le voyage a venir devant Paris, et en y venant fist bien grant conquestes. Et le samedi XXIII° jour dudit mois, le roy vint disner, souper et gesir en la cité de Soissons. Et là fut receu et obey le plus honnourablement que les gens d'église, bourgeois et autres gens de la ville peurent et sceurent faire ; car le tout estoit moult poure à cause de la destruction de la ville qui avoit esté prinse sur les Bourgoignons à la désobéissance du roy.

  Le vendredi [XXIX° jour du dit mois] le roy et sa compaignie fut tout le jour devant Chasteau-Tierry, ses gens presque tout le jour en bataille, espérant que le duc de Bethford les deust venir combatre. Au vespre la place se rendit et y fut le roy logié jusques au lundy premier jour d'aoust ensuivant. Ce jour, le roy geut à Monmirail en Brie.
   Le mardy II ° jour dudit mois d'aoust, vint à giste en la ville de Provins et y fut receu le mieulx que faire se pout. Et y séjourna jusques au vendredi V ° jour ensuivant. Le dimenche VII ° jour, le roy fut à disner, souper et giste en la ville de Coulommiers en Brie. Le mercredi X ° jour dudit mois, le roy et sa compaignie furent à giste en la ville de la Ferté Milon. Le jeudi ensuivant, le roy fut à giste en la ville de Crespy en Valoys. Le vendredi ensuivant furent à giste à Laingni-le-Sec. Le samedi ensuivant le roy tint les champs tout le jour près Dammartin-en-Gouelle, cuidant que les Englois les venissent combatre ; mais ilz ne vindrent point. Ou temps que le roy mist à venir son chemin dudit lieu de Rains audit lieu de Dammartin-en-Gouelle, la Pucelle fist moult de dilligences de réduire et metre plusieurs places en l'obéissance du roy. Et ainssi en fut ; car plusieurs en furent par elle faictes francoises.

  

  La Pucelle avait l'intention de remettre le roi en sa seigneurie, et le royaume en son obéissance. Pour cela, après la délivrance du comté de Champagne, elle le fit mettre en voyage afin de venir vers Paris, et en s'y rendant il fit de bien grandes conquêtes. Le samedi XXIIIe jour dudit mois, le roi vint dîner, souper et coucher en la cité de Soissons. Il y fut reçu et obéi le plus honorablement que purent et surent le faire les gens d'Église, bourgeois, et autres gens de la ville, car tout y était très pauvre par suite du sac auquel elle avait été abandonnée, par désobéissance au roi, lorsqu'elle fut prise sur les Bourguignons.
  Le vendredi XXIXe du même mois, le roi et son armée furent tout le jour devant Château-Thierry, et ses gens presque tout le jour en ordre de bataille, dans l'attente que le duc de Bedford devait venir les combattre. Sur le soir la place se rendit, et le roi y séjourna jusqu'au lundi, premier jour d'août. Ce jour le roi coucha à Montmirail-en-Brie.
  Le mardi IIe jour du même mois d'août, il vint prendre gîte en la ville de Provins, où il fut reçu le mieux que faire se put. Il y séjourna jusques au vendredi suivant, Ve jour du mois. Le dimanche, VII, le roi vint dîner souper et coucher à Coulommiers-en-Brie. Le mercredi, X du mois, le roi et sa compagnie vinrent prendre gîte en la ville de La Ferté-Milon.
  Le lendemain jeudi, ce fut à Crépy-en-Valois, et le lendemain vendredi à Lagny-le-Sec. Le lendemain, samedi, le roi tint les champs tout le jour près de Dammartin-en-Gouelle, pensant que les Anglais viendraient le combattre; mais ils ne vinrent pas. Pendant le temps que le roi mit à faire son chemin de Reims à Dammartin-en-Gouelle, la Pucelle fit grande diligence pour réduire plusieurs places et les mettre en l'obéissance du roi. Il en fut ainsi ; par elle, à la suite de ses démarches, plusieurs furent faites françaises.



                                         

e dimenche XIIII° jour du mois d'aoust ensuivant, la Pucelle, le duc d'Alençon, le conte de Vendosme, les mareschaulx et autres cappitaines acompaigniez de VI à VII mil combatans, furent à l'eure de vespres logiés à une have aux champs près Montpillouer (24), environ deux lieues près la cité de Senlis. Le duc de Bethford, les capitaines Englois acompaigniez de viii à ix mille Englois estoient logiez à demye lieue près de Senlis, entre noz gens et laditte ville, sur une petite rivière (25), en ung village nommé [Nostre Dame] de la Victoire. Celuy vespre, noz gens alèrent escharmouchier avecques les Englois près de leur logis, et à icelle escharmouche furent des gens prins d'ung costé et d'autre, et y fut mort du costé des Englois le capitaine d'Orbec et x ou xii autres, et des gens bleciez d'un costé et d'autre. La nuit vint, chacun se retrait en son logis.
  Le lundi XV° jour dudit mois d'aoust MCCCCXXIX, la Pucelle, le duc d'Alençon et la compaignie cuidans ce jour avoir la bataille, touz ceulx de la compaignie, chacun endroit soy, se mist ou milleur estat de sa conscience que faire se peut ; et ouyrent la messe le plus matin que faire se peult, et après ce à cheval. Et vindrent metre leur bataille près de la bataille des Englois, qui ne se estoient bougés de leur logis où ilz avoient geu. Et toute la nuit se fortiffièrent de paulx, de fossez et de leur charrey au devant d'eulx ; et la rivière les fortifiet par desrière. Tousjours avoit de grans escharmouches entre les ungs et les autres. Les Englois ne firent oncques nul semblant de vouloir saillir hors de leur place, si non par escharmouche. Et quant la Pucelle veit que ilz ne venoient point dehors, son estendart en sa main se vint metre en l'avant garde et vindrent férir jusques à la fortificacion des Englois. Et [en] celle entreprinse furent mors des gens de l'ung costé et de l'autre ; et pour ce que les Englois ne vouldrent faire semblant de saillir à grant effort, la Pucelle fist tout retraire jusques à la bataille, et fut mandé aux Englois par la Pucelle , le duc d'Alençon et les capitaines, que, se ilz vouloient saillir hors de leur place pour donner la bataille, nos gens se reculleroient et les lesseroient metre en leur ordonnance. De quoy ilz ne vouldrent riens faire et tout le jour se tindrent sans saillir se non pour escharmoucher. La nuit venue, noz gens revindrent en leur logis. Et le roy fut tout ce jour à Montepillouer. Le duc de Bar, qui estoit venu devers le roy à Provins (26), estoit en sa compaignie, le conte de Cleremont et autres des cappitaines avecques eulx. Et quant le roy veit que on ne povoit faire saillir les Englois hors de leur place et que la nuit aprochoit, il retourna à piste audit lieu de Crespi.
  La Pucelle, le duc d'Alençon et leur compaignie se tindrent toute la nuit en leur logis. Et pour sçavoir se les Englois se metroient point après eulx, le mardi bien matin, se recullèrent jusques à Montepillouer et là furent jusques environ heure de midi que nouvelles leur vindrent que les Englois retournoient à Senlis et droit à Paris. Et noz gens s'en vindrent devers le roy audit lieu de Crespi.
  Le mercredi XVII° jour dudit mois, furent aportés devers le roy les clefs de la ville de Compiengne, et le jeudi ensuivant le roy et sa compaignie alèrent à piste audit de Compiengne.


  Le dimanche XIVe jour d'août, la Pucelle, le duc d'Alençon, le comte de Vendôme, les maréchaux et autres capitaines, à la tête de VI à VII mille combattants, à l'heure de vêpres, vinrent s'échelonner en un seul rang (27) près de Montépilloy, à deux lieues environ de la cité de Senlis. Le duc de Bedford, et les capitaines anglais, commandant de VIII à IX mille Anglais, étaient campés à demi-lieue, près de Senlis, entre nos gens et la ville, sur une petite rivière, en un village nommé La Victoire. Ce soir, nos gens allèrent escarmoucher avec les Anglais près de leur campement ; et à cette escarmouche, il fut fait des prisonniers de part et d'autre; du côté des Anglais, le capitaine d'Orbec et X ou XII autres y trouvèrent la mort ; il y eut des blessés des deux côtés. La nuit vint, et chacun se retira dans son camp.
  Le lundi XVe jour d'août MCCCCXXIX, dans la pensée qu'on aurait la bataille ce jour-là même, la Pucelle, le duc d'Alençon, la compagnie, chacun de ceux qui composaient l'armée, se mirent, à part soi, dans le meilleur état de conscience que faire se peut (28) ; ils ouïrent la messe le plus matin possible ; et après ce, à cheval. Ils vinrent mettre l'armée près de l'armée des Anglais. Ceux-ci n'avaient pas bougé du lieu où ils avaient couché. Toute la nuit ils s'étaient fortifiés avec des pieux, en creusant des fossés, en mettant leurs charrois devant eux; la rivière protégeait leurs derrières. Il y eut tout le jour de grandes escarmouches, sans que les Anglais fissent jamais quelque semblant de vouloir sortir de leur position, sinon pour combat d'escarmouche. Quand la Pucelle vit qu'ils ne sortaient pas, elle vint son étendard en main se mettre à l'avant-garde, et s'avança assez pour venir frapper aux fortifications des Anglais. En cette attaque il y eut des morts de côté et d'autre. Les Anglais ne donnant aucun signe de vouloir sortir avec leurs grandes forces, la Pucelle fit retirer tout son monde jusqu'au gros de l'armée ; et il leur fut mandé de sa part, de la part du duc d'Alençon, des capitaines, que s'ils voulaient sortir de leur parc pour donner la bataille, nos gens se reculeraient, et les laisseraient se mettre en leur ordonnance de combat. Ils ne voulurent pas accepter, et ils se tinrent tout le jour sans sortir de leurs fortifications, sinon pour de légers engagements. La nuit venue, nos gens revinrent à leur campement. Le roi fut tout ce jour à Montépilloy. Etaient en sa compagnie le duc de Bar qui l'avait rejoint à Provins, le comte de Clermont et d'autres capitaines. Quand le roi vit qu'on ne pouvait faire sortir les Anglais de leur position et que la nuit approchait, il retourna prendre gîte à Crépy.
  La Pucelle, le duc d'Alençon et leur compagnie, se tinrent toute la nuit en leur lieu de campement. Pour savoir si les Anglais ne se mettraient pas à leur poursuite, le mardi bien matin, ils se reculèrent à Montépilloy, et ils se tinrent jusques environ l'heure de midi, que des nouvelles leur vinrent que les Anglais retournaient à Senlis et droit à Paris. Nos gens rejoignirent alors le roi à Crépy.
  Le mercredi XVIIe jour du même mois, les clefs de la ville de Compiègne furent apportées au roi, et le lendemain, jeudi, le roi et sa compagnie allèrent prendre gîte en cette cité.



                                         

vant ce que le roy partist dudit lieu de Crespi , furent ordonnez le conte de Vendosme , les mareschaulx de Boussac et de Rais et autres capitaines en leur compaignie, furent ordonnez par le roy à aler devant la cité de Senlis. Eulx venuz devant la place, ceulx de dedens considérans la grant conqueste que le roy avoit faicte en pou de temps par l'aide de Dieu et le moien de la Pucelle et que ilz avoient veu la puissance au duc de Bethfort, qui près leur place n'avoit osé combatre le roy et sa compaignie et se estoient recullez à Paris et ailleurs aux autres places, ilz se rendirent au roy et à la Pucelle. Le conte de Vendosme demoura gouverneur et garde de la place et y acquist honneur et chevance.
  Quant le roy se trouva audit lieu de Compiengne, la Pucelle fut moult marrie du séjour que il ly voulloit faire ; et sembloit à sa manière que il fust content à icelle heure de la grâce que Dieu lui avoit faicte, sans autre chose entreprendre. Elle apela le duc d'Alençon et luy dist : "Mon beau duc, faictes apareiller voz gens et des autres capitaines. Et dist : "Par mon martin, je vueil aler veoir Paris de plus près que ne l'ay veu (29)."
  Et le mardi XXIII° jour dudit mois d'aoust, la Pucelle et le duc d'Alençon partirent dudit lieu de Compiengne de devers le roy à tout belle compaignie de gens. Et vindrent recouvrer, en faisant leur chemin, partie des gens qui avoient esté au recouvrement de la ditte cité de Senlis. Et le vendredi ensuivant XXVI°, jour dudit mois, furent la Pucelle, le duc d'Alençon et leur compaignie logiez en la ville de Saint Denis. Et quant le roy sceut que ilz estoient ainssi logiez en la ville de Saint Denis, il vint à grant regret jusquez en la ville de Senliz ; et sembloit que il fust conseillé au contraire du voulloir de la Pucelle, du duc d'Alencon et de ceulx de leur compaignie.

  

  Avant que le roi partit de Crépy, il disposa que le comte de Vendôme, les maréchaux de Boussac et de Rais et d'autres capitaines en leur compagnie iraient devant la cité de Senlis. Après leur arrivée devant la place, ceux du dedans considérèrent les grandes conquêtes que le roi avait faites en peu de temps par l'aide de Dieu et le moyen de la Pucelle, et qu'ils avaient vu le duc de Bedford avec toutes ses forces, qui près de leur ville, n'avait pas osé combattre le roi et ses fidèles, mais que chefs et soldats s'étaient reculés à Paris et ailleurs aux autres places; et ils se rendirent au roi et à la Pucelle. Le comte de Vendôme demeura gouverneur et gardien de la place, et il y acquit honneur et chevanche.
  Quand le roi se trouva audit lieu de Compiègne, la Pucelle fut très marrie du séjour qu'il y voulait faire. Il semblait à sa manière qu'à cette heure il fût content de la grâce que Dieu lui avait faite, sans vouloir autre chose entreprendre. La Pucelle appela le duc d'Alençon et lui dit : « Mon beau duc, faites apprêter vos gens et ceux des autres capitaines, et elle ajouta : par mon Martin, je veux aller voir Paris de plus près que je ne l'ai vu. »
  Le mardi XXIIIe jour d'août, la Pucelle et le duc d'Alençon partirent de Compiègne d'auprès du roi avec une belle compagnie de gens. En faisant leur chemin, ils vinrent recueillir une partie de ceux qui avaient été au recouvrement de Senlis, et le vendredi suivant XXVIe jour du même mois, la Pucelle, le duc d'Alençon et leur compagnie étaient logés en la ville de Saint-Denis. Quand le roi sut qu'ils étaient ainsi logés à Saint-Denis, il vint à son grand regret en la ville de Senlis. Il semblait qu'il fût conseillé dans le sens contraire au vouloir de la Pucelle, du duc d'Alençon, et de ceux de leur compagnie.



                                         

uant le duc de Bethford vit que la cité de Senliz estoit françoise, il lessa Paris ou gouvernement des bourgois, du sire de l'Ille Adam et des Bourgoignons de sa compaignie, et n'y demoura gaires d'Englois. Il s'en ala à Rouan moult marri et en grant doubte que la Pucelle remist le roy en sa seigneurie. Depuis qu'elle fut arrivée audit lieu de Saint Denys, par chacun jour deux ou trois foiz noz gens estoient à l'escharmouche aux portes de Paris, une foiz en ung lieu et puis en l'autre ; et aucunes foiz au moulin à vent (30) devers la porte Saint Denys et la Chapelle. Et ne passoit jour que la Pucelle ne veist faire les escharmouches ; et moult voulentiers avisoit la situacion de la ville de Paris, et avecques ce, lequel endroit luy sembleroit plus convenable à donner ung assault. Le duc d'Alençon estoit le plus souvent avecques elle. Mais pour ce que le roy n'estoit venu audit lieu de Saint Denys pour message que la Pucelle ne le duc d'Alençon lui eussent envoyé, ledit d'Alençon ala devers lui le premier jour de septembre ensuivant. Et lui fut dit que, le II° jour dudit mois, le roy partiroit. Et ledit d'Alençon revint à la compaignie, et pour ce que le roy ne venoit point, le duc d'Alençon retourna devers lui, le lundi V° jour ensuivant, et fist tant que le roy se mist à chemin et le mecredi fut à disner audit lieu de Saint Denys ; de quoy la Pucelle et toute la compaignie furent moult resjouis. Et n'y avoit celui de quelque estat qu'il fust qui ne deist : "Elle metra le roy dedens Paris, se à lui ne tient."


  Quand le duc de Bedford vit que la cité de Senlis était française, il laissa Paris au gouvernement des bourgeois, du sire de l'Isle-Adam et des Bourguignons de sa compagnie, et n'y laissa guère d'Anglais. Il s'en alla à Rouen très marri, et en grande crainte que la Pucelle ne remît le roi en sa seigneurie. Depuis que la Pucelle fut arrivée à Saint-Denis, deux ou trois fois par jour, nos gens étaient à l'escarmouche aux portes de Paris, tantôt en un lieu, tantôt à un autre, parfois au moulin à vent entre la porte Saint-Denis et La Chapelle. Il ne se passait pas de jour que la Pucelle ne vînt faire les escarmouches; elle se plaisait beaucoup à considérer la situation de la ville, et par quel endroit il lui semblerait plus convenable de donner un assaut. Le duc d'Alençon était le plus souvent avec elle. Mais parce que le roi n'était pas venu à Saint-Denis, quelque message que la Pucelle et le duc d'Alençon lui eussent envoyé, ledit duc d'Alençon alla vers lui le premier jour de septembre. Il lui fut dit que le roi partirait le 2, et le duc revint à sa compagnie, et parce que le roi ne venait pas, le duc d'Alençon retourna vers lui le lundi suivant, Ve du mois. Il fit tant que le roi se mit en chemin, et le mercredi il fut à dîner à Saint-Denis ; ce dont la Pucelle et toute la compagnie furent très réjouis. Et il n'y avait personne, de quelque état qu'il fût, qui ne dît : « Elle mettra le roi dans Paris, si à lui ne tient ».


                                         

e jeudi mccccxxix, jour de Nostre Dame, viii° jour du mois de septembre, la Pucelle, le duc d'Alençon, les mareschaulx de Boussac et de Rais, et autres cappitaines en grant nombre de gens d'armes et de traict, partirent, environ viii heures, de la Chapelle près Paris, en belle ordonnance ; les ungs pour estre en bataille, les autres pour garder de sourvenue ceulx qui donrroient l'assault. La Pucelle, le mareschal de Rais, le sire de Gaucourt, par l'ordonnance d'elle apellé ce qui bon lui sembla , alèrent donner l'assault à la porte de Saint Honnouré. La Pucelle print son estendart en sa main et avecques les premiers entra ès fossez endroit le Marché aus pourceaulx. L'assault fut dur et long, et estoit merveille à ouyr le bruit et la noise des cagnons et coulevrines que ceulx de dedens gectoient à ceulx de dehors, et de toutes manières de traict à si grant planté comme innombrable. Et combien que la Pucelle et grant nombre de chevaliers et escuiers et autres gens de guerre fussent descenduz ès fossez et les autres sur le bort et en l'environ, très pou en furent bleciez ; et y en out moult à pié et à cheval qui furent féruz et portés à terre de coups de pierre de cagnon ; mais par la grâce de Dieu et l'eeur de la Pucelle, oncques home n'en mourut ne ne fut bleciés qu'il ne peult revenir à son ayse à son logis sans autre aide.
  L'assault dura depuis environ l'eure de midi jusques environ l'eure de jour faillant. Et après solleil couchant la Pucelle fut férue d'un trait de haussepié d'arballestre (31) par une cuisse. Et depuis que elle fut férue, elle se efforçoit plus fort de dire que chacun se approuchast des murs et que la place seroit prinse. Mais pour ce qu'il estoit nuit et ce que elle estoit bleciée et que les gens d'armes estoient lassez du long assault qu'ilz avoient licit, le sire de Gaucourt et autres vindrent prendre la Pucelle, et oultre son voulloir l'eu emmenèrent hors des fossez. Et ainssi faillit l'assault. Et avoit très grant regret d'elle ainssi soy departir, en disant : "Par mon martin, la place eust esté prinse." Ilz la midrent à cheval et la ramenèrent à son logis audit lieu de la Chapelle et touz les autres de la compaignie le roy, le duc de Bar, le conte de Cleremont qui ce jour estoient venuz de Saint Denys.


  

  Le jeudi MCCCCXXIX, jour de Notre-Dame, VIIIe jour de septembre, la Pucelle, le duc d'Alençon, les maréchaux de Boussac et de Rais, d'autres capitaines avec grand nombre de gens d'armes et d'hommes de trait, partirent, sur les VIII heures, de La Chapelle, près de Paris, en belle ordonnance, les uns pour livrer la bataille, les autres pour garder de surprise ceux qui donneraient l'assaut. La Pucelle, le maréchal de Rais, le sire de Gaucourt, et par l'ordonnance de la Pucelle ceux que bon lui sembla, allèrent donner l'assaut à la porte Saint-Honoré. La Pucelle prit son étendard en main, et entra avec les premiers dans les fossés, en face du marché aux pourceaux. L'assaut fut dur et long. C'était merveille d'ouïr le bruit et le fracas des canons et des coulevrines que ceux du dedans jetaient à ceux du dehors; et le sifflement de toute espèce d'armes de trait, en si grand nombre qu'elles étaient comme innombrables. Et quoique la Pucelle et grand nombre de chevaliers, d'écuyers et d'autres gens de guerre, fussent
descendus dans les fossés, que d'autres se tinssent sur le bord et aux environs, très peu furent atteints et portés à terre de coups de pierres de canon ; mais par la grâce de Dieu et l'heur de la Pucelle, nul homme n'en mourut, ni ne fut blessé au point de ne pouvoir revenir à son aise et sans aide à son logis.
  L'assaut dura depuis l'heure de midi jusqu'à environ l'heure du jour faillant, et après le soleil couchant la Pucelle fut frappée à la cuisse d'un trait d'arbalète à hausse pied. Et après qu'elle eut été atteinte, elle s'efforçait plus fort de dire que chacun s'approchât des murs et que la place serait prise. Mais parce qu'il était nuit, qu'elle était blessée, et que les gens était lassés du long assaut qu'ils avaient fait, le sire de Gaucourt et d'autres vinrent prendre la Pucelle, et, contre son vouloir, l'emmenèrent hors des fossés. Et ainsi faillit l'assaut. Elle avait très grand regret d'ainsi se départir, et disait : « Par mon martin, la place eût été prise ! » Ils la mirent à cheval, et la ramenèrent à son logis audit lieu de La Chapelle, où rentrèrent tous les autres de la compagnie du roi, le duc de Bar, le comte de Clermont, qui ce jour étaient venus de Saint-Denis.



                                         

e vendredi IX° jour dudit mois, combien que la Pucelle eust esté bleciée du jour de devant à l'assault devant Paris, elle se leva bien matin et fist venir son beau duc d'Alençon par qui elle se conduisoit, et luy pria qu'il fist sonner les trompilles et monter à cheval pour retourner devant Paris ; et dist, par son martin, que jamais n'en partiroit tant qu'elle eust la ville.
  Ledit d'Alençon et autres des capitaines estoient bien de ce voulloir à l'entreprinse d'elle de y retourner, et aucuns non. Et tantdiz que ilz estoient en ces parolles, le baron de Mommorancy (32), qui tousjours avoit tenu le parti contraire du roi, vint de dedens la ville, accompaignié de L ou LX gentilzhommes, soy rendre en la compaignie de la Pucelle. A quoy le cueur et le courage fut plus esmeu à ceulx de bonne volenté de retourner devant la ville. Et tantdiz que ilz se approuchoient, vindrent le duc de Bar et le conte de Cleremont de par le roi, qui estoit à Saint Denys, et prièrent à la Pucelle que, sans aler plus avant, elle retournast devers le roi, audit lieu de Saint Denys. Et aussi de par le roi prièrent audit d'Alençon et commandèrent à touz les autres cappitaines, que ilz s'en venissent et amenassent la Pucelle devers lui. La Pucelle et le plus de ceulx de la compaignie en furent très marriz, et néantmoins obéirent à la voulenté du roi, espérans aler trouver leur entrée à prendre Paris par l'autre costé et passer Saine à ung pont que le duc d'Alençon avoit fait faire au travers de la rivière endroit Saint Denis ; et ainssi s'en vindrent devers le roi.

  Le samedi ensuivant, partie de ceulx qui avoient esté devant Paris, cuidèrent bien matin aler passer la rivière de Saine audit pont ; mais ilz ne pourent pource que le roi qui avoit sceu l'intencion de la Pucelle, du duc d'Alencon et des autres de bon voulloir, toute la nuit fist dépecier ledit pont. Et ainssi furent demourez de passer. Ce jour, le roy tint son conseil, ouquel plusieurs oppinions furent dictes ; et demoura audit lieu jusques au mardi XIII° jour, tousjours tendant affin de retourner sur la rivière de Laire au grant desplaisir de la Pucelle.


  

  Le vendredi, IXe jour du même mois, la Pucelle, quoiqu'elle eût été blessée le jour précédent à l'assaut de Paris, se leva bien matin, et fit venir son beau duc d'Alençon par lequel elle donnait ses ordres ; et elle le pria de faire sonner les trompilles et de monter à cheval pour retourner devant Paris ; et affirma par son Martin que jamais elle n'en partirait sans avoir la ville.
  Le duc d'Alençon et d'autres capitaines avaient bien le vouloir de seconder son entreprise et de retourner ; mais quelques-uns ne le voulaient pas. Tandis qu'ils étaient en ces pourparlers, le baron de Montmorency, qui avait toujours tenu le parti contraire au roi, vint de l'intérieur de la ville accompagné de L ou LX gentilshommes se mettre en la compagnie de la Pucelle; ce qui donna plus de coeur et accrut le courage de ceux qui avaient la bonne volonté de retourner devant la ville. Tandis que se faisait le rapprochement, arrivèrent, de la part du roi qui était à Saint-Denis, le duc de Bar et le comte de Clermont. Ils prièrent la Pucelle que, sans aller plus loin, elle retournât auprès du roi à Saint-Denis. De la part du roi, ils prièrent aussi d'Alençon, et commandèrent à tous les autres capitaines, de venir et d'amener la Pucelle vers lui. La Pucelle et la plupart de ceux de la compagnie en furent très marris ; néanmoins ils obéirent à la volonté du roi, dans l'espérance qu'ils trouveraient entrée pour prendre Paris par l'autre côté, en passant la Seine sur un pont que le duc d'Alençon avait fait jeter sur la rivière vis-à-vis de Saint-Denis; et ils vinrent ainsi vers le roi.
  Le lendemain, samedi, une partie de ceux qui avaient été devant Paris pensèrent aller bien matin passer la Seine sur ledit pont, mais ils ne le purent, parce que le roi, ayant su l'intention de la Pucelle, du duc d'Alençon et des autres de bon vouloir, avait fait passer toute la nuit à le mettre en pièces. Et ils furent ainsi empêchés de passer. Ce jour, le roi tint son conseil auquel plusieurs opinions furent émises ; il demeura à Saint-Denis jusqu'au mardi XIIIe jour de septembre, tendant toujours à revenir sur la Loire, au grand déplaisir de la Pucelle.



                                         

edit mardi XIII° jour dudit mois de septembre, le roy conseillé par aulcuns de ceulx de son conseil et de son sang qui estoient inclinez à acomplir son voulloir, partit après disner dudit lieu de Saint Denys ; et quant la Pucelle veit que à son partement ne povoit elle trouver aucun remède, elle donna et lessa tout son hernois complect devant l'image de Nostre Dame et les reliques de l'abbaye de Saint Denys, et à très grant regret se mist en la compaignie du roy, lequel s'en vint le plus tost que faire le peult et aucunes foiz en fesant son chemin en manière de désordonnance, et sans cause. Il fut le mecredi XXI° jour dudit mois à disner à Gien sur Laire. Et ainssi fut le vouloir de la Pucelle et l'armée du roy rompue.


  Le mardi XIII, le roi, d'après l'avis de quelques-uns de son conseil et de quelques seigneurs de son sang, enclins à accomplir son vouloir, partit après dîner dudit lieu de Saint-Denis. Quand la Pucelle vit qu'elle ne pouvait trouver aucun remède à son départ, elle donna et déposa tout son harnois complet devant l'image de Notre-Dame et devant les reliques de l'abbaye de Saint-Denis; et à son très grand regret, elle se mit en la compagnie du roi, qui s'en revint le plus rapidement qu'il put, et parfois en faisant son chemin d'une manière désordonnée et sans cause. Le mercredi XXIe, dudit mois, il fut à dîner à Gien-sur-Loire. Ainsi fut rompu le vouloir de la Pucelle, et fut rompue l''armée du roi.


                                         

e duc d'Alençon qui avoit esté à compaignie avecques la Pucelle et tousjours l'avoit conduite en faisant le chemin du couronnement du roy à la cité de Rains et dudit lieu en venant devant Paris : quant le roy fut venu audit lieu de Gien, ledit d'Alençon s'en ala devers sa femme et en sa vicomté de Beaumont ; et les autres capitaines chacun en sa frontière, et la Pucelle demoura devers le roy, moult ennuyée du département et par especial du duc d'Alençon que elle amoit très fort, et faisoit pour lui ce que elle n'eust fait pour ung autre. Poy de temps dprès, ledit d'Alençon assembla gens pour entrer ou païs de Normendie, vers les marches de Bretaigne et du Maine, et pour ce faire requist et fist requerre le roy que il lui pleust lui bailler la Pucelle, et que par le moien d'elle plusieurs se metroient en sa compaignie qui ne se bougeroient se elle ne faisoit le chemin. Messire Regnault de Chartres, le seigneur de la Trémoille, le sire de Gaucourt, qui lors gouvernaient le corps du roy et le fait de sa guerre, ne vouldrent oncques consentir, ne faire, ne souffrir que la Pucelle et le duc d'Alençon fussent ensemble ; ne depuis ne la poeult recouvrer.


  Le duc d'Alençon avait toujours été en la compagnie de la Pucelle : c'était lui qui l'avait toujours conduite sur le chemin du couronnement du roi à Reims, et de Reims jusqu'à Paris. Quand le roi fut arrivé à Gien, ledit d'Alençon s'en alla vers sa femme en sa vicomté de Beaumont, et les autres capitaines chacun en sa frontière ; la Pucelle resta près du roi, très ennuyée de pareil départ, et surtout de celui du duc d'Alençon qu'elle aimait très fort, faisant pour lui ce qu'elle n'eût pas fait pour un autre. Peu de temps après, ledit d'Alençon assembla des gens pour entrer au pays de Normandie, vers les marches de Bretagne et du Maine. A cette fin il requit et fit requérir le roi pour qu'il lui plût de lui envoyer la Pucelle, et que, par son moyen, plusieurs se mettraient en sa compagnie qui ne bougeraient pas, si elle ne se mettait pas elle-même en campagne. Messire Regnault de Chartres, le seigneur de La Trémoille, le sire de Gaucourt, qui gouvernaient alors la personne du roi et le fait de sa guerre, ne voulurent jamais y consentir; ils ne voulurent ni faire, ni consentir que la Pucelle et le duc d'Alençon fussent ensemble ; et il ne put depuis la recouvrer.


                                         

uant le roy se trouva audit lieu de Gien, lui et ceulx qui le gouvernoient firent semblant que ilz fussent comptens du voyage que le roy avoit fait ; et depuis de longtemps après, le roy n'entreprint nulle chose à faire sur ses ennemis ou il vousist estre en personne. On pourroit bien dire que ce estoit par son conseil, se lui et eulx eussent voulu regarder la très grant grace que Dieu avoit fait. Il lui et à son royaulme par l'entreprinse de la Pucelle, message de Dieu en ceste partie, comme par ses faiz povoit estre aperceu. Elle fist choses incréables à ceulx qui ne l'avoient veu ; et peult-on dire que encore eust fait, se le roy et son conseil se fussent bien conduiz et maintenuz vers elle ; et bien y apert, car en moins de IIII mois, elle délivra et mist en l'obéissance du roy sept citez, savoir est Orléens, Troye en Champaigne, Chaalons, Rains, Laan, Soissons et Senliz, et plusieurs villes et chasteaulx, et gaigna la bataille de Patay, et par son moyen fut le roy sacré et couronné audit lieu de Rains, et furent touz chevaliers et escuiers et autres gens de guerre très bien contens de servir le roy en sa compaignie combien qu'ilz furent petitement souldoyez.

     Depuis ce dessus escript, le roy passa temps ès païs de Touraine, de Poitou et de Berri. La Pucelle fut le plus du temps devers lui, très marrie de ce que il n'entreprenoit à conquester de ses places sur ses ennemis. Et le roy estant en sa ville de Bourges, elle print aucuns des capitaines et sur la rivière de Laire, environ la ville de la Charité, qui estoit tenue par les Bourguignons, elle conqueste III ou IIII places ; et après ce, le mareschal de Boussac et d'autres cappitaines se joingnirent avecques elle ; et tantost après ce, elle mist le siège devant ledit lieu de la Charité. Et quant elle y ot esté une espasse de temps, pource que le roy ne fist finance de lui envoyer vivres ne argent pour entretenir sa compaignie, luy convint lever son siège et s'en départir à grant desplaisance.

  En l'an MCCCCXXX en la fin du mois d'avril, la Pucelle, très mal content des gens du conseil du roy sur le fait de la guerre, partit de devers le roy et s'en ala en la ville de Compiengne sur la rivière de Oyse (33).

  

  Quand le roi fut arrivé audit lieu de Gien, lui et ceux qui le gouvernaient firent semblant de penser que c'était assez du voyage qu'il avait fait ; et de longtemps après, le roi n'entreprit sur ses ennemis aucun dessein où il voulût être en personne. On pourrait bien dire que c'était par fol conseil, si lui et eux eussent voulu considérer la très grande grâce que Dieu lui avait faite, et avait faite à son royaume, par l'entreprise de la Pucelle, messagère de Dieu sur ce point, comme on pouvait le reconnaître par ses faits.
  Elle fit des choses incroyables à ceux qui ne les avaient pas vues, et l'on peut dire qu'elle en aurait fait encore, si le roi et ses conseillers se lussent bien conduits et bien maintenus envers elle. C'est en tout point manifeste, car en moins de quatre mois, elle délivra et mit en l'obéissance du roi sept cités, à savoir Orléans, Troyes-en-Champagne, Châlons, Reims, Laon, Soissons et Senlis, et plusieurs villes et châteaux; elle gagna la bataille de Patay ; par son moyen le roi fut sacré et couronné à Reims, et tous, chevaliers, écuyers et autres gens de guerre, furent très bien contents de servir le roi en sa compagnie, encore qu'ils fussent petitement soldés.
  A la suite de ce qui vient d'être rapporté, le roi passa son temps aux pays de Touraine, de Poitou et de Berry. La Pucelle fut la plupart du temps auprès de lui, très marrie de ce qu'il n'entreprenait pas de conquérir de ses places sur ses ennemis. Le roi étant en sa ville de Bourges, elle prit quelques capitaines et conquittrois ou quatre places sur la rivière de la Loire, dans les environs de la ville de La Charité, qui était tenue par les Bourguignons. Après ces succès, le maréchal de Boussac et d'autres capitaines se joignirent à elle, et bientôt après elle mit le siège devant ledit lieu de La Charité. Elle y resta un certain espace de temps, mais parce que le roi n'en vint pas à lui envoyer des vivres et de l'argent, pour entretenir sa compagnie, elle dut lever son siège et se retirer à sa grande déplaisance.
  En l'an MCCCCXXX, vers la fin du mois d'avril, la Pucelle, très mécontente des gens du conseil du roi sur le fait de la guerre, partit d'auprès du roi, et s'en alla en la ville de Compiègne, sur la rivière de l'Oise.



                                         

n l'an MCCCCXXIX le ... jour de mars, le roy estant en la ville de Sulli sur Laire, la Pucelle qui avoit veu et entendu tout le fait et la manière que le roy et son conseil tenoient pour le recouvrement de son royaulme, elle, très mal contente de ce, trouva manière de soy départir d'avecques eulx ; et sans le sceu du roy ne prendre congé de lui, elle fist semblant d'aler en aucun esbat, et sans retourner s'en ala à la ville de Laingni sur Marne, pour ce que ceulx de la place fesoient bonne guerre aux Englois de Paris et ailleurs. Et là ne fut gaires que des Englois s'assemblèrent pour venir faire une coursse devant laditte place de Laingni. Elle sceut leur venue et fist monter ses gens à cheval et ala rencontrer lesdiz Engloiz en grant nombre plus qu'elle n'en avoit, entre ladicte place et ; et fist ferir ses gens dedens les autres.
  llz trouvèrent pou de résistence, et là furent mis à mort de iii à iv cens Englois. Et de sa venue fut grant voix et grant bruit à Paris et autres places contraires du roy. Après ce, la Pucelle passa temps à Senlis, Crespy en Valoys, à Compiengne et Soissons, jusques ou mois de mey ensuivant.

  En l'an MCCCCXXX (v. st.) le jour de mars, le roi étant en la ville de Sully sur-Loire, la Pucelle qui, pour l'avoir vu et entendu, savait tout le fait, et la manière que le roi et son conseil tenaient pour le recouvrement du royaume, et en était très mal contente, trouva moyen de se retirer d'auprès d'eux. Sans que le roi le sût et sans prendre congé de lui, elle fit semblant d'aller se récreer, et, au lieu de retourner, elle alla à la ville de Lagny-sur-Marne, parce que ceux de la place faisaient bonne guerre aux Anglais de Paris et d'ailleurs. Elle n'y fut guère sans que les Anglais se réunissent pour faire une course devant ladite place. Elle sut leur venue, fit monter ses gens à cheval, et alla à leur rencontre malgré leur nombre supérieur, entre la dite place et , elle ordonna à ses gens de se jeter sur leurs rangs.
  Ils trouvèrent peu de résistance, et de trois à quatre cents Anglais restèrent sur le terrain. La venue de la Pucelle fit grande rumeur et grand bruit à Paris, et dans d'autres places opposées au roi. Après cet exploit, la Pucelle passa le reste de son temps jusqu'au mois de mai, à Senlis, à Crépy-en-Valois, à Compiègne et à Soissons.



                                         

n l'an MCCCCXXX, le XXIII ° jour dudit mois de mey, la Pucelle estant audit lieu de Crespy, sceut que le duc de Bourgongne, en grant nombre de gens d'armes et autres, et le conte d'Arondel, estoit venu assegier laditte ville de Compiengne. Environ mienuit, elle partit dudit lieu de Crespy, en sa compaignie de III à IV cens combatans. Et combien que ses gens lui deissent que elle avoit pou gens pour passer parmi l'ost des Bourgoignons et Englois, elle dist : « Par mon martin, nous suymes assez ; je iray voir mes bons amis de Compiengne. » Elle arriva audit lieu environ solail levant, et sans perte ne destourbier à elle ne à ses gens, entra dedens laditte ville. Cedit jour les Bourgoignons et Englois vindrent à l'escharmouche en la prarie devant laditte ville. Là eut fait de grans armes d'ung costé et d'autre. Lesdiz Bourguignons et Englois, sachans que la Pucelle estoit dedens la ville, pencèrent bien que ceulx de dedens sailleroient dehors à grant effort, et pour ce misdrent les Bourgoignons une grosse embusche de leurs gens en la couverture d'un grant montaingne près d'illec nommé le Mont de Clairoy. Et environ IX heures au matin, la Pucelle ouyt dire que l'escarmouche estoit grande et forte en la prarie devant laditte ville. Elle se arma et fist armer ses gens et monter à cheval, et se vint metre en la meslée. Et incontinent elle venue, les ennemis furent reculiez et mis en chasse. La Pucelle chargea fort sur le costé des Bourgoignons. Ceulx de l'embusche advisèrent leurs gens qui retournoient en grant desroy; lors descouvrirent leur embusche et à coyste d'esperons se vindrent metre entre le pont de la ville, la Pucelle et sa compaignie. Et une partie d'entre eulx tournèrent droit à la Pucelle en si grant nombre que bonnement ceulx de sa compaignie ne les peurent soubstenir; et dirent à la Pucelle : « Metez paine de recouvrer la ville, ou vous et nous suymes perdus ! »


  En l'an MCCCCXXX, le XXIVe jour dudit mois de mai, la Pucelle informée à Crépy où elle était, que le duc de Bourgogne avec grand nombre de gens d'armes et d'autres, et le comte d'Arondel, étaient venus assiéger Compiègne, partit de Crépy sur le minuit, à la tête de trois à quatre cents combattants. Comme on lui observait qu'elle avait peu de gens pour passer au milieu de l'armée des Bourguignons et des Anglais, elle répondit : « Par mon Martin, nous sommes assez, j'irai voir mes bons amis de Compiègne ». Elle arriva vers le soleil levant ; et sans perte ni empêchement, soit pour elle, soit pour ses gens, elle entra dans la cité. Ce même jour les Bourguignons et les Anglais vinrentà l'escarmouche, en la prairie, devant la ville. Il fut fait de grands faits d'armes d'un côté et de l'autre. Les Bourguignons et les Anglais, sachant que la Pucelle était dans la ville, pensèrent bien que ceux de dedans sailliraient à grand effort, et pour cela les Bourguignons mirent une grosse troupe de leurs gens en embuscade derrière une grande montagne voisine, appelée le Mont de Clairoy. Sur les neuf heures du matin, la Pucelle apprit que l'escarmouche était forte et grande en la prairie devant la ville. Elle s'arma, fit armer ses gens, les lit monter à cheval, et vint se jeter dans la mêlée. Aussitôt après sa venue les ennemis reculèrent et furent mis en chasse. La Pucelle chargea fort du côté des Bourguignons. Ceux qui étaient en embuscade, voyant leurs gens revenir en grand désarroi, sortirent du lieu où ils étaient cachés, et à coups d'éperons vinrent se mettre entre le pont de la ville, la Pucelle et sa compagnie. Une partie d'entre eux tournèrent droit à la Pucelle ; ils étaient si nombreux que ceux de sa compagnie ne purent en réalité soutenir l'attaque, et dirent à la Pucelle : « Songez à rentrer dans la ville, ou, vous et nous, sommes perdus ! »


                                         

uant la Pucelle les ouyt ainssi parler, très marrie leur dist : « Taisez vous! il ne tendra que à vous que ilz ne soient desconfiz. Ne pencez que de férir sur eulx. » Pour chose qu'elle dist, ses gens ne la vouldrent croire, et à force la firent retourner droit au pont. Et quant les Bourguignons et Engloiz aperceurent que elle retournoit pour recouvrer la ville, à grant effort vindrent au bout du pont. Et là eut de grans armes faites. Le capitaine de la place véant la grant multitude de Bourguignons et Engloiz prestz d'entrer sur son pont, pour la crainte que il avoit de la perte de sa place, fist lever le pont de la ville et fermer la porte. Et ainssi demoura la Pucelle enfermée dehors et poy de ses gens avecques elle. Quant les ennemis veirent ce, touz se efforcèrent de la prendre. Elle resista très fort contre eulx et en la parfin fut prinse de V ou de VI ensemble, les ungs metans la main en elle, les autres en son cheval, chacun d'iceulx disans : « Rendez vous à moy et baillez la foy. » Elle respondit : « Je ay juré et baillé ma foy à autre que à vous et je luy en tendray mon serement. » Et en disant ces parolles fut menée au logis de messire Jehan de Lucembourc.


  Quand la Pucelle les eut ouï ainsi parler, elle leur dit très marrie : « Taisez-vous, il ne tiendra qu'à vous qu'ils soient déconfits. Ne pensez qu'à frapper sur eux. » Pour chose qu'elle dit, ses gens ne voulurent point la croire, et de force la firent retourner vers le pont. Quand les Bourguignons et les Anglais virent qu'elle revenait sur ses pas pour regagner la ville, ils se postèrent en grand nombre au bout du pont. Là se firent de grands exploits. Le capitaine de la place, voyant la grande multitude d'Anglais et de Bourguignons prêts à entrer sur son pont, dans la crainte de perdre la place à lui confiée, fit lever le pont de la ville et fermer la porte. La Pucelle demeura ainsi fermée dehors, n'ayant que peu de gens avec elle. Quand les ennemis la virent en cet état, tous s'efforcèrent de la prendre; elle résista très fort contre eux, et en la parfin elle fut prise par cinq ou six ensemble, les uns mettant la main sur elle, les autres sur son cheval, chacun d'eux disant : « Rendez-vous à moi, et baillez la foi ! » Elle répondit : « J'ai juré et baillé ma foi à autre qu'à vous, et je lui tiendrai mon serment » ; et en disant ces mots, elle fut menée au logis de Messire Jean de Luxembourg.


                                         

essire Jehan de Lucembourc la fist tenir en son logis III ou IIII jours, et après ce il demoura au siége devant laditte ville et fist mener la Pucelle en ung chastel nommé Beaulieu en Vermendois. Et là fut détenue prisonnière par l'espace de IIII mois ou environ. Après ce, ledit de Lucembourg, par le moien de l'évesque de Terouenne, son frère et chancelier de France pour le roy Englois, la bailla au duc de Bethford, lieutenant en France pour le roy d'Engleterre, son nepveu, pour le prix de XV ou XVI mille saluz baillez audit de Lucembourc. Et par ainssi la Pucelle fut mise ès mains des Englois et menée ou chastel de Rouen, auquel ledit de Bethford tenoit pour lors son demeure. Elle estant en prison oudit chastel de Beaulieu, celui qui estoit son maistre d'ostel avant sa prinse et qui la servit en sa prinson (34), luy dist : « Ceste poure ville de Compiengne que vous avez moult amée, à ceste foiz sera remise ès mains et en la subjection des anemis de France. » Et elle luy respondit : « Non sera, car toutes les places que le roy du ciel a reduit et remises en la main et obéissance du gentil roy Charles par mon moien, ne seront point reprinses par ses anemis, en tant qu'il fera dilligence de les garder. »


  Messire Jean de Luxembourg la fit garder en son logis trois ou quatre jours, et après cela, tandis qu'il restait au siège devant la ville, il fit mener la Pucelle en un château nommé Beaulieu, en Vermandois. Elle y fut détenue prisonnière l'espace de quatre mois ou environ (35). Ensuite ledit de Luxembourg, par l'entremise de l'évêque de Thérouanne, son frère, chancelier de France pour le roi anglais, la livra, pour le prix de quinze ou seize mille saluts, comptés au même Luxembourg, au duc de Bedford, lieutenant en France du roi d'Angleterre, son neveu. La Pucelle fut ainsi mise entre les mains des Anglais, et menée au château de Rouen, où ledit Bedford faisait pour lors sa demeure. Comme elle était en prison au château de Beaulieu, celui qui avait été son maître d'hôtel avant sa prise, et qui la servit en prison, lui dit un jour : « Cette pauvre ville de Compiègne que vous avez tant aimée, sera cette fois remise ès mains et en la subjection des ennemis de France », et elle lui répondit : « Non sera, car toutes les places que le roi du ciel a réduites et remises en la main et obéissance du gentil roi Charles, par mon moyen, ne seront pas reprises par ses ennemis en tant qu'il fera diligence de les garder. »


                                         

n l'an MCCCCXXXI, le XXIIIIe jour du mois de mey, le duc de Bethford, l'évesque de Terouenne et plusieurs autres du conseil du roy d'Engleterre, lesquelz avoient veu et congneu les très grans merveilles qui estoient avenues à l'onneur et prouffit du roy par la venue et les entreprises de la Pucelle (ainssi que dessus ay desclairé, ses parolles et ses faiz sembloient miraculeux à touz ceulx qui avoient esté en sa compaignie); après ce que ledit de Bethfort et les dessuz nommez la tindrent en leurs prinsons oudit lieu de Rouen : comme très envieulx de sa vie et de son estat, la questionnèrent et firent questionner par toutes les manières que ilz peurent et sceurent, desirans à touz leurs pouvoirs et sçavoirs de trouver en et sur elle aucune manière d'érésie, tant en ce que ilz disoient qu'elle se disoit message de Dieu et se tenoit en abit désordonné, vestue en abit d'omme, et chevaulchoit armée, et si se mesloit en faiz et en parolles de touz les faiz d'armes que conestable ou mareschaulx pourroient et devroient faire en temps de guerre; et sur ces cas la preschèrent et en la présence de plusieurs évesques, abbez et autres clercs, firent lire plusieurs articles contre elle; et à la parfin gectèrent leurs sentences, et par eulx fut condampnée et jugée à estre arsse.


  En l'an 1431, le XXIIII° jour du mois de mai, le duc de Bedford, l'évêque de Thérouanne et plusieurs autres du conseil du roi d'Angleterre, avaient vu et connu les très grandes merveilles advenues à l'honneur et au profit du roi, par l'arrivée et les entreprises de la Pucelle (ainsi que je l'ai déclaré ci-dessus, ses paroles et ses faits semblaient miraculeux à tous ceux qui avaient été en sa compagnie). Donc Bedford et les dessus nommés la tinrent en leurs prisons à Rouen. Très envieux de sa vie et de son état, ils la questionnèrent et la firent questionner de toutes les manières qu'ils purent et surent, désirant de tout leur pouvoir savoir trouver en elle et sur elle quelque semblant d'hérésie, soit en ce qu'elle se disait messagère de Dieu, soit en ce qu'elle se tenait en habit désordonné, vêtue en homme, chevauchait armée, et par paroles et par faits se mêlait de tous les faits d'armes que le connétable et les maréchaux pourraient et devraient faire en temps de guerre. Sur ces cas ils la prêchèrent, et en présence de plusieurs évêques, abbés et autres clercs, ils firent lire plusieurs articles contre elle ; en la parfin ils émirent leurs avis, et par eux elle fut jugée et condamnée à être brûlée.


                                         

n peult sçavoir que pour faire l'exécucion de si grant cas, les gens de la justice du roy d'Engleterre en laditte ville de Rouan firent appareiller lieu convenable et les abillemens pour exécuter la justice en lieu qui peult estre veu de très grant peuple ; et ledit XXIIIIe jour de may (36), environ l'eure de midy, fut amenée du chastel, le visage embronché, audit lieu où le feu estoit prest ; et après aucunes choses leues en laditte place, fut liée à l'estache et arsse, par le raport de ceulx qui disoient ce avoir veu.


   On devine que pour une exécution de si grand cas, les gens de la justice du roi d'Angleterre à Rouen firent préparer un lieu convenable, et ordonnèrent tous les apprêts de justice, pour que cette exécution put être vue de très grand peuple. Ledit XXIV jour de mai, environ l'heure de midi, la Pucelle fut amenée, le visage couvert, du château au lieu où le feu était prêt. Certaines choses furent lues en ladite place, et après, elle fut liée au poteau et brûlée. Ainsi l'ont rapporté ceux qui disaient l'avoir vu.
  


                                         

epuis que le roy s'en vint de la ville de Saint Denis, il monstra si petit vouloir de se mectre sus pour conquérir son royaume que tous ses subgetz, chevaliers et escuyers et les bonnes villes de son obéissance, s'en donnoient très grant merveille. Et sembloit à la pluspart que ses prouchains conseilliez fussent assez de son vouloir, et leur sufisoit de passer temps et vivre, et par espécial depuis la prinse de la Pucelle, par laquelle le roy avoit receu et eu de très grans honneurs et biens dessus desclairés, seulement par son moien et bonne entreprinse. Le roy et ses diz couseilliers, depuis laditte prinse, se trouvèrent plus abessiez de bon vouloir que par avant, et tant que nulz d'entre eulx ne sçavoient adviser ne trouver autre manière comment le roy peust vivre et demourer en son royaulme, si non par le moien de trouver appointement avecques le roy d'Engleterre et le duc de Bourgoigne, pour demourer en paix. Le roy monstra bien qu'il en avoit très grant vouloir, et ayma mieulx à donner ses héritaiges de la couronne et de ses meubles très largement, que soy armer et soustenir les fais de la guerre (37).

                                  


Source : Présentation Jules Quicherat - Bibliothèque de l'école des Chartes, t.II, 2° série, p.143 - 1845-46 et Procès de condamnation et de réhabilitation de la Pucelle t.IV, p.1 à 37.

Notes :
1 Collection.Duchesne, vol. 48.

2 Sans doute Cagny, qui a été érigé en duché pour la famille de Boufflers.

3 Il y a dans la copie mccccxxxvi mais par une faute facile à corriger, puisque le récit est poursuivi jusqu'à la fin de 1438.

4 Bibl. hist. de la France, V° édition, Généalogies des princes de sang, n°10212

5 Jean Chartier, dans Godefroi, Histoire de Charles VII, p. 29

6 Chronique de la Pucelle, ibid., p.521.

7 Jean Chartier, p.33.

8 Jacques Le Bouvier, dit Berri. ibid. p.381.

9 1428 ancien calendrier. (ndlr)

10 Elle alla à Poitiers et à Tours.

11 Perceval de Cagny est le seul auteur qui prête cette à La Pucelle cette locution affirmative.

12 Erreur : elle les fit remonter. mais notre auteur ne parait pas avoir été témoin oculaire de l'arrivée à Orléans.

13 Jean Malet, le dernier défenseur de la Normandie, d'où il s'expatria en 1418, après avoir perdu le Pont de l'Arche. Il était grand maître des arbalétriers depuis 1425.

14 C'était le jour de l'Ascension.

15 Saint-Loup était sur une hauteur.

16 Robert Willoughby, Lord de Willoughby

17 Cette entrevue de la Pucelle avec la Duchesse d'Alençon, est consignée au procès de réhabilitation dans la déposition du Duc lui-même ; mais le prince ne dit pas où elle eut lieu.

18 C'est à dire très rude, très pénible.

19 Lacune dans la copie, suppléez par l'image de Nostre-Dame comme ci-dessus.

20 Bailli d'Évreux pour le roi d'Angleterre. Dans les anciens documents anglais, son nom est écrit Guethyn.

21 Suppléez Warwick d'après la déposition du comte Dunois (t.III, p.97), qui nomme l'enfant Warwick parmi les prisonniers de Patay.

22 Ces deux lacune du manuscrit portent sur deux chiffres qu'il faut chercher dans les auteurs subséquents. Jean Chartier parle de cinq mille Anglais présents à Patay. Jean Wavrin, fournit de quoi élever ce chifire au moins à huit mille. Au dire du même auteur les Francais auraient été de douze à treize mille ; mais il est Bourguignon et partant suspect d'exagération.

23 Le manuscrit "ainssi qu'elle bon convenir" est ici corrigé par Quicherat.

24 Montépilloy.

25 La Nonette.

26 A Reims, selon les autres chroniqueurs. Ce duc de Bar était René d'Anjou, qui fut depuis roi de Sicile.

27 C'est le sens que nous donnons au texte : furent logiés à une haye, aux champs, près Montpillouer. C'est, d'après Lacurne, une des significations du mot rangés en haie, en termes militaires, et l'on conçoit assez difficilement six ou sept mille hommes derrière une haie. (Ayroles)

28 C'est par suite de cette préparation si chrétienne que le seigneur d'Ourches déposait à Vaucouleurs: « J'ai vu Jeanne se confesser à Frère Richard devant la ville de Senlis, et recevoir durant deux jours (le dimanche et le jour de l'Assomption) le corps du Christ avec les ducs de Clermont et d'Alençon » (Ayroles).

29 Elle avait pu le voir ou du moins distinguer Montmartre des hauteurs de Dammartin.

30 Ce moulin est représenté dans une miniature du xv° siècle dont Montfaucon a donné la gravure (Monuments de la Monarchie Française, t.III, p40).
Au lieu devers qui suit, mieux vaudrait d'entre.

31 C'est à dire d'arbalète "à haussepied". Probablement du trait d'une arbalète qu'on tendait avec le pied, par opposition à celles qui exigeaient un tour. (Ayroles).

32 Selon Monstrelet, le baron aurait fait sa soumission lors du séjour de Charles VII à Compiègne. Chartier le nomme parmi ceux qui se distinguèrent aux côtés de Jeanne à l'assaut de Paris. Quicherat condisère Perceval de Cagny comme plus sûr que ces deux historiens.

33 Note de Quicherat : ce paragraphe a l'air d'une interpolation car le fait est rapporté bien plus exactement dans le chapitre qui suit.

34 Jean d'Aulon.

35 Le chroniqueur comprend certainement dans cette durée le chateau de Beaurevoir dont il ne parle pas. (Ayroles).

36 (30 mai 1431)

37 Perceval de Cagny a continué sa Chronique jusqu'en 1438. Il peut être utile pour l'histoire de la Pucelle de recueillir les passages suivants :« En l'an MCCCCXXXIII, le IV du mois de juin, le sire de La Trémoille qui avoit, SEUL ET POUR LE TOUT, le gouvernement du corps du roy, de toutes ses finances, et des forteresses de son domaine estant en son obéissance, fut pris par nuict au chastel de Chinon, le roi logé dedans. Fit cette prise le sire de Bueil ; à ce que l'on dit par l'ordonnance de la reine de Sicile et de Charles d'Anjou, son fils, à l'aide du sire de Gaucourt et d'autres. »
  A propos du traité d'Arras, Cagny a encore un mot sur la Pucelle. La Pucelle prédisait ce traité lorsque le 17 mars elle répondait aux accusateurs de Rouen : « Vous verrez que les Français gagneront bientôt une grande besogne, que Dieu enverra aux Français; et tant qu'il branlera presque tout le royaume ». Le retour du duc de Bourgogne au parti français produisit en effet un ébranlement dans tout le royaume. Les Anglais perdirent leur grand appui; mais le tout puissant duc mit à sa réconciliation des conditions fort onéreuses et très humiliantes pour le roi. Elles indignent le vieux serviteur des d'Alençon. Il écrit à cette occasion :« Depuis que le roy s'en vint de la ville de Sainct-Denys, il montra si petit vouloir de se mettre sur (en campagne) pour conquérir son royaume, que tous ses chevaliers et escuyers et les bonnes villes de son obéissance s'en donnoient très grande merveille. Il sembloit à la plupart que ses plus proches conseillers étoient fort de son vouloir, et qu'il leur suffisoit de passer le tems et de vivre, surtout depuis la prise de la Pucelle, par laquelle le roy avoit reçu et acquis de très grands honneurs, et les biens cy-dessus déclarés, et cela uniquement par son moyen et ses bonnes entreprises. Le roy et ses conseillers, depuis ladite prise, se trouvèrent plus abaissés de bon vouloir que par avant ; si bien que pour que le roy put vivre et demeurer en son royaume, et s'y trouver en paix, aucun d'eux ne sut imaginer d'autre moyen que de pouvoir faire des appointemens avec le roy d'Angleterre et le duc de Bourgogne. Le roy montra bien qu'il en avoit très grand vouloir, puisque il aima mieux donner très largement des héritages de la couronne et de ses meubles, que de s'armer et soutenir le faix de la guerre. »
  Il écrit encore à la même date : « Comme on peut le voir par ce qui est écrit cy-dessus, le roy et les prochains de son conseil n'avaient pas grande volonté de s'armer et de faire la guerre de leur personne. Pour cela les seigneurs du sang du roy par deçà la Seine, les ducs d'Alençon et de Bourbon, et Messire Charles d'Anjou, s'en sont passés aisément. Ils ont entièrement laissé démener la guerre au comte de Richemont, connétable de France, et à de simples capitaines de grand, courage et bon vouloir, nommés La Hire et Poton de Xaintrailles et autres, qui grandement à leur pouvoir ont soutenu le faix et la guerre du roy. » En interrompant la mission de la Pucelle, le roi et ses conseillers ont attiré sur la France vingt ans de guerre, les humiliations du traité d'Arras avec ses suites, la période dite des « Écorcheurs », et empêché des faveurs qu'elle promettait. (Ayroles).
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