Son histoire
par Henri Wallon
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La relation du greffier de La Rochelle
Jules Quicherat - index
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En 1877, l'éditeur des deux procès de Jeanne d'Arc, Jules
Quicherat, publiait dans la revue historique de juillet (2°
année, t.IV), une relation sur la Pucelle qui mérite
de prendre place à côté des chroniques dont
nous venons de parler. Cette relation, dit Jules Quicherat est un
extrait fait au XV° siècle de l'un des registres depuis
longtemps détruits de l'hôtel de ville de La Rochelle.
Voici cet article de Quicherat suivi du texte de cette relation
concernant la Pucelle.
"Lorsque je publiai à la suite des procès de
Jeanne d'Arc le recueil des témoignages rendus sur elle au
xv° siècle, j'espérais que le temps amènerait
la découverte de documents nouveaux et que l'on arriverait
à combler en partie, sinon en totalité, les lacunes
que présentait encore cette merveilleuse histoire. Jusqu'ici
l'évènement n'a pas répondu à mon attente.
Malgré l'intérêt toujours croissant qui s'est
attaché au personnage et l'éveil donné à
tous ceux qui compulsent les archives et les manuscrits, malgré
tant de recherches accomplies de tous côtés pour l'avancement
de l'histoire du moyen-âge, ce qui s'est produit sur la Pucelle
depuis trente ans se borne à trois ou quatre indications
de valeur. Encore n'y a-t-il rien dans ce faible contingent qui
ait été de nature à ouvrir des vues nouvelles
sur le sujet. Cette excessive rareté des pièces à
joindre au dossier de Jeanne d'Arc donne un prix réel au
morceau qu'on va lire.
C'est un extrait fait au XV° siècle de l'un
des registres depuis longtemps détruits de l'Hôtel-de-Ville
de La Rochelle. Le manuscrit existe à la Bibliothèque
publique de La Rochelle. Il forme un cahier qui s'annonce sous ce
titre : Extrait de la matricule des maires, eschevins de la ville
de La Rochelle, contenue Livre Noir estant en parchemin, dans lequel
sont incérez les choses qui sont survenues de remarque et
dignes de mesmoire en chacune mairie, commencent en l'an mil cent
quatre-vingt dix-neuf, maire Robert de Montmiral.
Le texte est incorrect, l'orthographe a été
rajeunie, des mots ont été mal lus, peut-être
même des phrases ont-elles été passées.
Ces fautes sont le fait du manuscrit. L'habile archiviste du département
de la Charente-Inférieure, M. de Richemond, à qui
j'en dois la copie, s'est appliqué à le transcrire
avec une scrupuleuse fidélité.
Le sujet du morceau est un récit des actions
de la Pucelle depuis son arrivée à la cour de Charles
VII jusqu'à sa mort. Il ne faut pas s'attendre à y
trouver une histoire suivie. Beaucoup de faits importants ne sont
que mentionnés ; d'autres ont été passés
sous silence ; mais plusieurs points sont traités avec une
véritable ampleur et présentent des détails
tout à fait nouveaux.
Il n'y a pas de doute possible au sujet de l'auteur.
Ce fut le greffier de l'Hôtel-de-Ville de La Rochelle en exercice
pendant les deux années où se renferme la carrière
de Jeanne d'Arc. Son témoignage est celui d'un contemporain,
mais non pas d'un témoin oculaire. On discerne parmi les
éléments de sa relation des choses de provenance offcielle,
et d'autres qui ont le caractère de simples on-dit,
de sorte qu'il a fait un égal usage des rapports qui venaient
au bureau de la ville et des propos qui circulaient dans le public.
Evidemment il n'a pas enregistré les événements
à mesure qu'ils arrivaient à sa connaissance. De fréquentes
erreurs quant à la coïncidence des jours de la semaine
avec le quantième du mois prouvent que la rédaction
a été faite a posteriori et de mémoire.
De ce qu'elle a été conduite jusqu'à
la mort de Jeanne, il ne serait pas légitime de conclure
qu'elle ne fut entreprise qu'après cet évènement.
Les apparences sont plutôt que le travail fut exécuté
après la tentative infructueuse de l'armée française
sur Paris, au mois de septembre 1429, et qu'il faut tenir pour une
addition postérieure les deux derniers paragraphes, dont
l'un ne concerne plus la Pucelle, dont l'autre est un résumé,
sans proportion avec le reste, de tout ce qui se passa entre la
catastrophe de Compiègne et celle de Rouen. Je pense d'après
cela que la relation rochelaise peut prétendre à figurer
comme la première en date dans la série des chroniques
relatives à Jeanne d'Arc.
Il n'est pas inutile de mettre en évidence les
données importantes que ce document fournit à l'histoire.
Nous ignorons quelle fut la semblance de Jeanne. Elle
était belle, au jugement d'un contemporain ; un autre a témoigné
que son visage était riant ; enfin un moine italien qui a
eu l'occasion de parler d'elle soixante-dix ans après sa
mort, atteste qu'elle eut les cheveux noirs. Rien de plus que ces
trois indications.
La circonstance des cheveux noirs est précieuse
pour les artistes qui ont à créer cette glorieuse
image. Ils sont instruits par là que leur conception doit
s'exercer en dehors du type de la femme blonde. Mais l'auteur qui
a dit cela a parlé de Jeanne plutôt en romancier qu'en
historien. Mérite-t-il plus de confiance sur ce trait de
conformation physique qu'à l'égard des fans controuvés
dont il a surchargé son récit. La chose a pu faire
doute jusqu'à présent : la chronique rochelaise la
mettra désormais hors de toute contestation. Elle affirme
en effet que la Pucelle eut les cheveux noirs, noirs et ronds dit
le texte, c'est-à-dire coupés suivant cette mode hideuse
du quinzième siècle qui fit de la chevelure comme
une calotte posée sur le crâne.
A ce renseignement sur la couleur des cheveux s'en joint
un autre sur celle de l'habillement avec lequel Jeanne se présenta
pour la première fois à Charles VII. Il était
noir et gris des pieds à la tête. C'est là un
détail qu'il n'est pas superflu de signaler, si mince qu'en
soit l'importance, parce que les peintres pourront en faire leur
profit.
Au sujet de l'étendard de Jeanne, la relation
nous fournit un renseignement de plus de prix. L'étendard
a joué un grand rôle dans l'histoire de la Pucelle.
C'était l'insigne du commandement qu'elle était venue
réclamer au nom de la puissance céleste. La couleur
de l'étoffe et les figures peintes dessus lui avaient été,
disait-elle, révélées par ses voix ; elle le
préférait à tout le reste de son attirail de
guerre, et le plus souvent on la vit s'engager dans la mêlée
sans avoir autre chose à la main. Rien ne causait plus d'effroi
aux ennemis, qui tenaient cet innocent drapeau pour un talisman
renforcé de toutes les conjurations de l'enfer. Du plus loin
qu'il apparaissait il les mettait en fuite : aussi des milliers
d'hommes qui l'avaient vu, faute de l'avoir osé regarder,
étaient incapables de dire ce qu'il représentait.
Dans le cours du procès, Jeanne fut interrogée
à deux reprises sur ce point. Elle ne varia pas dans ses
réponses. L'étendard était semé de fleurs
de lis et sur le fond se détachaient, en deux endroits différents,
la représentation de Dieu assis entre deux anges et la devise
Jesus Maria. Mais la seconde fois qu'elle eut fait cet aveu, comme
si elle voulait arrêter sur les lèvres de ses juges
une question qu'elle pressentait de leur part, elle ajouta qu'elle
n'avait jamais eu qu'un seul étendard.
Comment put-elle penser qu'on lui demanderait si elle
avait eu deux étendards ?
Il y a là une obscurité que dissipe le
témoignage de notre relation, combiné avec celui d'un
court extrait publié pour la première fois dans la
belle édition de la Jeanne d'Arc de M. Wallon.
Outre les fleurs de lis, l'image de Dieu et les mots
Jesus Maria, il y eut sur l'étendard un autre objet dont
Jeanne se dispensa de parler. C'était un écusson,
qui fut d'abord d'une façon, et plus tard d'une autre.
Dans les usages militaires du XV° siècle
l'étendard, qui était le signe du commandement général,
était couvert d'emblèmes au choix du capitaine à
qui il appartenait, et ces emblèmes n'étaient point
assujettis aux lois du blason ; dans un coin seulement étaient
figurées les armoiries du personnage.
Jeanne, parait-il, se conforma à cette coutume.
Elle composa des armoiries pour son étendard, ou, pour parler
plus juste, elle fit peindre sur ce drapeau des armoiries dont le
dessin lui avait été suggéré par ses
voix. Ni marque nobiliaire, ni aucun des emblèmes consacrés
de la chevalerie ne figuraient sur l'écusson. C'était
un Saint-Esprit d'argent en champ d'azur, l'oiseau tenant en son
bec une banderolle sur laquelle étaient écrits les
mots : "De par le roy du ciel." Voilà ce que nous
apprend notre relation.
L'extrait publié par M.Wallon parait provenir
de l'un des mémoriaux de la Cour des Monnaies ; il a donc
l'autorité d'un document officiel. Il constate que le 2 juin
1429, près d'un mois après la délivrance d'Orléans,
Charles VII étant à Chinon donna à Jeanne "pour
son estandart et pour soy décorer" des armoiries dont
le devis répond de point en point au blason qui a été
celui de la famille d'Arc depuis son anoblissement : une couronne
soutenue par une épée entre deux fleurs de lys.
Ces armoiries de concession royale accompagnèrent-elles
ou remplacèrent-elles les autres qui étaient déjà
figurées sur l'étendard ? Il faut qu'elles les aient
remplacées pour qu'il soit venu à l'esprit de Jeanne
qu'elle pouvait être soupçonnée d'avoir changé
d'étendard. Le drapeau étant toujours le même,
un écusson fut substitué à un autre.
Mais pourquoi cette préoccupation d'une chose
qui n'était pas en question ? pourquoi son silence au sujet
des armoiries figurées sur l'étendard ? pourquoi ses
dénégations quand on lui demanda si elle avait eu
des armoiries ? pourquoi enfin sa persistance à soutenir
que les armes, que nous savons maintenant avoir été
octroyées à elle, l'avaient été seulement
à ses frères, et non pas sur sa requête ni par
le fait de ses révélations ?
Il y a toute apparence que là-dessous se cache
un de ces douloureux dissentiments que l'intrigue ne cessa de susciter
entre Charles VII et la Pucelle. Jeanne n'avait accepté que
malgré elle le changement du blason de son étendard
; devant ses juges, elle ne voulut convenir de rien qui aurait pu
leur faire comprendre que pour obéir à son roi elle
avait enfreint l'une des prescriptions de la voix céleste
par laquelle elle se guidait, et d'autre part elle en dit assez
pour se dégager de la responsabilité d'avoir imaginé
des armoiries d'un caractère purement héraldique :
ce qui eût justifié l'accusation de vanité portée
contre elle. (1)
C'est ainsi qu'une circonstance de peu de valeur par
elle-même en acquiert beaucoup par le rapport qu'elle a avec
l'un des points obscurs du procès.
Au sujet de l'épée qui fut découverte
dans l'église Sainte-Catherine de Fierbois sur les indications
de Jeanne, la chronique rochelaise offre, avec le témoignage
de Jeanne elle-même tel qu'il est consigné au procès,
une petite divergence où il ne faut peut-être voir
qu'un enjolivement ajouté par la rumeur publique. Il est
bon toutefois d'en tenir compte : une critique plus éclairée
que la mienne verra s'il y a lieu d'en tirer parti.
L'aveu de la Pucelle fut que cette épée,
dont elle avait appris l'existence par la révélation
de ses voix, s'était trouvée en terre, à peu
de profondeur, derrière l'autel de l'église ; mais,
se reprenant sur cette dernière circonstance, elle ajoute
qu'elle ne saurait dire au juste si c'était derrière
ou devant l'autel ; qu'il lui semblait bien se souvenir que dans
la lettre écrite sous sa dictée pour faire faire la
recherche, il y avait derrière l'autel.
Notre document dit que l'épée fut tirée
d'un coffre qui n'avait pas été ouvert depuis vingt
ans, lequel coffre était enfermé dans l'autel même.
L'épée dans ce cas aurait été une relique,
et l'autel un de ces autels en forme de cage, comme il y en eut
beaucoup au XIV° et au XV° siècle.
Tous ceux qui ont lu l'histoire connaissent la lettre
que la Pucelle, avant de commencer la guerre, adressa aux Anglais
pour les sommer d'évacuer le territoire. Le procès
de condamnation et plusieurs chroniques françaises nous ont
conservé cette pièce sous une forme qui n'est pas
tout à fait la même des deux côtés ; mais,
l'une et l'autre rédaction ne diffèrent que par l'interversion
de quelques phrases qui ne changent absolument rien au sens. Il
importe de recueillir toutes les versions nouvelles du même
texte qui pourront se rencontrer, parce que Jeanne, lorsqu'on lui
en donna lecture dans l'un de ses interrogatoires, désavoua
plusieurs expressions. Cinq textes de toutes les provenances que
j'ai réunis dans mon édition du procès contiennent
cependant les mêmes expressions. On les trouvera encore dans
un sixième texte que le rédacteur rochelais a couché
sur son registre d'après un original conforme à celui
dont se sont servis les chroniqueurs français.
Un des griefs élevés contre Jeanne dans
son procès fut d'avoir refusé de traiter avec le capitaine
de Jargeau, qui était le comte de Suffolk. Il faut savoir
que la proposition de l'Anglais était de rendre la place
dans quinze jours, et cela lorsqu'il était instruit qu'une
armée de secours, formée en toute hâte par son
gouvernement, arriverait avant ce terme sur les bords de la Loire.
La Pucelle se contenta de répondre à ses juges qu'elle
aurait traité, si les Anglais avaient consenti à s'éloigner
immédiatement de Jargeau, la vie sauve et en laissant leurs
armes; qu'elle les avait avertis qu'en cas de refus de leur part,
elle allait enlever la ville d'assaut : ce qui eut lieu en effet.
Il est si clair qu'elle avait fait là ce que
tout autre général aurait fait à sa place,
qu'on s'étonne de voir pareille chose devenir un chef d'accusation
; mais c'est que les Anglais éprouvèrent à
cette occasion un crève-coeur que l'on ignorait et dont le
mystère est dévoilé par notre document.
Pendant que la Pucelle poussait avec vigueur les approches
de la place, le bâtard d'Orléans, posté d'un
autre côté, avait consenti au traité de dupe
qui aurait donné au gouvernement anglais le temps de secourir
Jargeau. Il faut croire que le bâtard d'Orléans avait
le droit de négocier de son chef avec l'ennemi, puisqu'il
accepta les propositions de Suffolk ; mais il n'eut pas le pouvoir
d'obtenir l'approbation de Jeanne ; et ainsi les Anglais, qui s'étaient
vus un moment hors de peine, grâce à la générosité
du bon prince, furent contraints d'essuyer, par le fait de la Pucelle,
un nouvel échec, qui fut suivi de beaucoup d'autres.
Le comte de Suffolk fut fait prisonnier à la
prise de Jargeau. Nous trouvons dans quatre chroniques françaises
un même récit d'après lequel ce seigneur, se
voyant appréhendé au corps par un homme d'armes qui
n'était pas chevalier, n'aurait rendu son épée
qu'après s'en être servi pour conférer la chevalerie
à son vainqueur.
Plusieurs témoignages qui dérivent manifestement
l'un de l'autre n'en font qu'un. C'est le cas de nos quatre chroniqueurs
qui se sont copiés successivement à partir du premier
en date, lequel écrivit après 1450. A un auteur si
postérieur en date, je préfère le greffier
de l'Hôtel-de-Ville de La Rochelle qui, l'année même
de l'événement, écrivait ceci :
"Quand le comte vit la prise de la ville, parce
que Monseigneur d'Alençon, qui y était, et d'autres
seigneurs le voulaient prendre prisonnier, il dit qu'il ne se rendrait
point à eux, dût-il mourir, en criant à haute
voix : Je me rends à la Pucelle, qui est la plus vaillante
femme du monde et qui nous doit tous subjuguer et mettre à
confusion. Et de fait vint à la Pucelle et se rendit
à elle."
Voilà une jolie scène, et toute nouvelle.
Quant à l'autre, celle de l'homme d'armes fait chevalier
dans la mêlée, on peut la maintenir, moyennant qu'on
en changera l'un des acteurs. William Pole, comte de Suffolk, fut
secondé dans la défense de Jargeau par ses deux frères
John et Alexandre Pole. Alexandre fut précipité du
pont dans la Loire où il se noya ; rien ne s'oppose à
ce que John Pole soit le lord qui tint à ne rendre son épée
qu'à un chevalier.
Le récit de la réduction de Troyes est
ce qu'il y a de plus étendu dans la relation rochelaise.
Le rôle actif de l'évêque pour disposer les habitants
en faveur de Charles VII y est mis dans tout son jour, et celui
de frère Richard le cordelier prend une importance que rien
ne laissait soupçonner dans les chroniques, mais qu'il était
possible d'entrevoir d'après le procès de condamnation.
Frère Richard fut un prédicateur de l'ordre
de saint François qui accomplissait en 1429 une mission dans
la partie de la France soumise aux Anglais. Ses sermons eurent une
vogue extraordinaire ; sa réputation fut celle d'un saint.
Il se trouvait à Troyes lorsque l'armée française
parut devant cette ville. Les habitants sommés de se rendre
par la Pucelle, le députèrent pour savoir de lui ce
qu'il fallait penser de cette femme. Jeanne elle-même a raconté
leur première entrevue dans l'un de ses interrogatoires.
Le moine ne s'avançait qu'avec appréhension ; il faisait
des signes de croix et des aspersions d'eau bénite. Elle
lui cria plaisamment : "Avancez hardiment, je ne m'envolerai
pas". (2)
Ses juges auraient voulu lui faire dire autre chose,
qu'elle ne dit pas et que cependant ils tinrent pour dit ; car sa
réponse telle qu'elle fut alléguée plus tard
comme preuve de l'article du réquisitoire qui lui imputait
de s'être fait adorer. Que s'était-il donc passé
? La chose est tout au long dans notre document. Frère Richard,
subjugué par la voix qu'il venait d'entendre et par le regard
de Jeanne, s'agenouilla à quelque distance devant elle. Celle-ci,
qui ne voulait pas de ces démonstrations (elle l'a toujours
soutenu devant ses juges, et nous en avons eu la preuve), se jeta
elle-même à genoux, pour détourner l'idée
qu'elle fût l'objet d'un pareil hommage, en faisant comme
si elle se fût unie avec le saint homme dans un acte commun
de dévotion. Lorsqu'ils se furent relevés, ils eurent
ensemble un long entretien, à la suite duquel frère
Richard rentra dans la ville, enthousiasmé pour la cause
de Charles VII, et ne prêçhant plus que pour la faire
triompher.
Au moment où le roi se remet en route pour gagner
Reims, le rédacteur rochelais raconte, comme s'il parlait
d'après le témoignage des habitants de Troyes, un
incident qui remplit ceux-ci de surprise. Tandis qu'ils avaient
les yeux fixés sur l'armée qui s'éloignait
de leurs murs, ils virent des milliers de banderolles blanches,
arborées aux lances des hommes d'armes, apparaître
et disparaître comme par miracle.
Jeanne fut obsédée de questions, dans
l'un de ses interrogatoires, au sujet de ces banderolles qui étaient
une chose très connue, à ce qu'il parait ; et qu'on
avait vues ailleurs qu'à Troyes. On ne put rien tirer d'elle,
sinon que les banderolles étaient de satin blanc, et qu'elle
n'était pas maîtresse de ce que faisaient les gens
d'armes. Notre document ne donne donc pas encore l'explication du
fait ; mais il est permis de conjecturer qu'il se rapportait à
quelque exercice de piété introduit dans l'armée
par la Pucelle, et dont l'accusation cherchait à faire une
pratique superstitieuse.
Le récit du sacre se présente dans la
relation avec quelques circonstances qui ne se trouvent point ailleurs
; mais rien de nouveau sur la Pucelle. De la cérémonie
de Reims on passe brusquement à la tentative dirigée
sur Paris dans les premiers jours de septembre. Ici notre auteur,
par la faute des rapports qui lui ont été faits ou
par la mauvaise interprétation qu'il leur a donnée,
commet de graves inexactitudes. Il croit que Charles VII se montra
devant Paris, quand il est avéré qu'il fut impossible
de le faire avancer d'un pas en deçà de Saint-Denis
; il admet que les Français avaient réussi dans leur
attaque jusqu'au point de pénétrer dans la ville,
et que c'est dans une rue que Jeanne fut blessée, lorsqu'il
résulte de tous les témoignages qu'il n'y eut de forcé
que la bastille ou redoute qui était devant la porte Saint-Honoré,
et que Jeanne fut atteinte d'un trait d'arbalète pendant
qu'elle faisait combler le fossé entre la redoute et le mur
de ville.
Il est mieux informé lorsqu'il raconte que les
boulets lancés par l'ennemi venaient tomber aux pieds des
assiégeants ou, s'ils les atteignaient, ne leur causaient
que des meurtrissures sans gravité. Le même fait est
attesté par Perceval de Cagny. Il prouve que Paris manquait
de poudre et qu'on ne mettait pas aux pièces la charge suffisante
pour rendre les projectiles dangereux.
Les deux auteurs se montrent également d'accord
sur le peu de gravité de la blessure de Jeanne, sur la certitude
du succès pour peu que l'attaque eût été
continuée, sur le petit nombre de Français qui furent
mis hors de combat. Quant à ce dernier point la relation
va jusqu'à dire qu'il n'y eut qu'un homme tué, et
que ce fut un bourgeois de La Rochelle.
On sent la note officielle dans la dernière phrase
où il est expliqué que la retraite de devant Paris
fut rendue nécessaire par le manque de vivres, mais que le
roi en s'éloignant eut soin de laisser de fortes garnisons
pour continuer la guerre contre ceux qui détenaient sa capitale.
C'est là ce que l'on dut dire aux Français
des provinces éloignées, qui comptaient sur la réduction
immédiate de Paris d'après l'assurance que la Pucelle
en avait donnée tant de fois ; mais avec les populations
placées sur le théâtre de la guerre et qui en
souffraient, il fallut se servir d'un autre prétexte ; on
les leurra de l'espoir d'une paix prochaine qui exigeait la suspension
des hostilités.
Nous possédons aujourd'hui la preuve authentique
de cette manceuvre au sujet de laquelle je ne pus émettre
que des soupçons lorsque je composai mes Aperçus nouveaux
sur l'histoire de Jeanne d'Arc. Pendant que Charles VII, sous la
pression de Jeanne et de l'armée, s'acheminait vers Paris,
que les Anglais, résignés à la perte de cette
ville, en avaient livré la garde au duc de Bourgogne et retiré
leurs troupes qu'ils jugeaient nécessaires pour défendre
la Normandie, des ambassadeurs français concluaient avec
le même duc de Bourgogne une trêve de six mois (3).
La suspension des hostilités devait s'étendre non
seulement à la totalité de l'Ile-de-France, mais encore
à la Normandie ; et comme le misérable gouvernement
qui condescendait à de tels accords reconnaissait son impuissance
à empêcher l'attaque de Paris par la Pucelle, il avait
fait une exception pour Paris, non pas afin de réserver au
roi de France le droit de reconquérir sa capitale ; mais
afin d'assurer au duc de Bourgogne la faculté de défendre
Paris contre ceux qui voudraient "faire guerre ou porter
dommage" à cette ville. Ce sont les termes mêmes
du traité passé à Compiègne le 28 août
1429.
L'entreprise de Jeanne sur Paris ayant été
ainsi désavouée par anticipation, on conçoit
que Charles VII n'ait eu garde de se produire de sa personne pendant
cette action où cependant sa présence aurait été
décisive. Il était à Saint-Denis, et il y resta
obstinément avec une partie de ses troupes, laissant le reste,
qui avait été entraîné par Jeanne, s'épuiser
en efforts pendant une journée entière, en voyant
l'ordre de battre en retraite lorsqu'il était possible de
tenter encore un assaut, s'autorisant de l'échec essuyé
pour défendre de recommencer la tentative, enfin donnant
bientôt le signal de la retraite pour retourner au-delà
de la Loire.
Par là le prestige de la Pucelle reçut
une atteinte dont on lui ôta sans beaucoup de peine la possibilité
de se relever. De ce moment, elle n'eut plus rien à faire
qu'à user dans des entreprises stériles le reste de
son ascendant compromis.
Voilà comment le cours des succès les
plus assurés fut interrompu pour faire place à une
combinaison louche qui ne rapporta aucun des fruits qu'on s'était
vanté d'en faire sortir. On croyait tenir la paix au terme
de la trêve, et l'on eut, au lieu de paix, vingt nouvelles
années de guerre sur le territoire : autant qu'on en avait
subi depuis le commencement des troubles. On avait compté
sur une prompte et honorable réconciliation avec le duc de
Bourgogne, et l'on n'avait rien fait que préparer pour le
souverain l'humiliation de s'avouer l'assassin d'un de ses sujets
et de racheter son crime par un démembrement de sa couronne.
Mais le résultat non avoué, celui qui était
dans les vœux du plus grand nombre des politiques, avait été
atteint. On avait mis fin à une fièvre d'enthousiasme
qui faisait peur ; on avait commencé à ternir une
gloire importune dont l'éclat éclipsait toutes les
autres. L'intrigue servie par la médiocrité envieuse
et par l'ingratitude a fait de ces coups-là dans tous les
temps.
J'ai entendu plusieurs fois critiquer l'expression de
la statue érigée nouvellement à Paris, sur
la place des Pyramides. On aurait voulu un visage plus ouvert, plus
riant, puisqu'il est connu que la Pucelle eut le visage riant. Les
personnes qui font ces difficultés ne tiennent pas compte
de la situation à laquelle a dû se reporter l'artiste.
Jeanne devant Paris n'était plus la Jeanne d'Orléans
ou de Reims. Si sa lucidité, qui n'avait pas faibli, lui
faisait lire dans le cœur des ennemis la certitude d'une nouvelle
victoire pour son drapeau, elle lui découvrait aussi tout
ce qui fermentait contre elle de mauvaise volonté et de haine
dans l'entourage du roi. Elle ne put pas ne pas pressentir qu'une
catastrophe la menaçait de ce côté. Sur le visage
qu'elle montra aux assaillants de la porte Saint-Honoré durent
se peindre la résolution de combattre jusqu'à la dernière
extrémité et le sérieux, inévitable
à l'approche du martyre. Ce double sentiment, M.Fremiet me
semble avoir réussi à l'exprimer."

Jules
Quicherat (13 octobre 1814 - † le 8 avril 1882)
Chapitres
:
- 1ère partie : Chinon, Poitiers
- 2ème partie : Orléans, campagne de la Loire
- 3ème partie : Troyes, Reims, Compiègne

'an de grâce mil quatre cent vingt et neuf fut maire de La Rochelle honorable homme sire Hugues Guibert.
Item le XXIII° jour dudit mois de febvrier (4),
vint devers le Roy nostre seigr, qui estoit à Chinon, unne
Pucelle de l'aage de XVI à XVII ans, née de Vaucouleur
en la duché de Laurraine, laquelle avoit nom Jehanne et estoit
en habit d'homme : c'est assavoir qu'elle avoit pourpoint noir,
chausses estachées, robbe courte de gros gris noir, cheveux
ronds et noirs, et un chappeau noir sur la teste ; et avoit en sa
compagnie quatre escuiers qui la conduisoyent. Et quant elle fut
arrivée au dit lieu de Chinon où le Roy estoit, comme
dit est, elle demanda parler à luy. Et lors on luy monstra
Monsgr Charles de Bourbon, feignant que ce fust le Roy ; mais elle
dit tantost que ce n'estoit pas le Roy, qu'elle le cognestroit bien
si elle le voioit, combien que onques ne l'eust veu. Après
on luy fit venir un escuier, faignant que c'estoit le Roy ; mais
elle cognut bien que ce n'estoit-il pas ; et tantost après
le Roy saillit d'unne chambre, et tantost qu'elle le vit, elle dit
que c'estoit il et luy dit qu'elle estoit venue à luy de
par le Roy du Ciel, et qu'elle vouloit parler à luy. Et dit-on
qu'elle luy dit certaines choses en secret, dont le Roy fut bien
esmerveillé.
Et après, la ditte Pucelle luy dit que, si il
vouloit faire ce qu'elle luy ordonneroit, qu'il
recouvreroit sa seigneurie et que lesdits Anglois s'en iroyent hors
de son royaulme. Et après, pour ce que le Roy nostre dit
seigr fut bien esmerveillé de la venue et dire de la ditte
Pucelle et de son estat, il la fit interroger d'où elle estoit,
de quoy elle avoit usé et pour quelle cause elle estoit venue.
Laquelle dit qu'elle estoit dudit lieu de Vaucouleur en Lorraine,
et qu'elle avoit tousjours gardé les brebis, et qu'en les
gardant luy estoyent venues par plusieurs fois advisions et admonestemans
de venir par devers le Roy nostre dit seigr, et que pour cette cause
elle s'estoit mise en chemin et estoit venue de par ledit Roy du
Ciel ; et que si le Roy nostre dit seigneur vouloit faire ce qu'elle
luy ordonneroit, que les Anglois s'en iroient tous de son royaume
ou mourroient, et recouvreroit tout ce qu'il y avoit perdu.
Item, le Roy la fit aussy interroger par ceux de son
conseil, tant clers comme lays, pour scavoir si l'on la trouveroit
point variant ; mais elle fut trouvée en tel estat qu'il
n'estoit aucun seigr, tel fust-il, qui sceust rien trouver contre
elle ne la reprandre de chose qu'elle dist. Aussi elle se fasoit
à confesser chacun jour et recevoit corpus Domini,
et estoit femme de grande devotion et de saincte vie, et ne buvoit
et mangeoit comme rien. Et demeura la ditte Pucelle avecque le Roy
nostre seigr audit lieu de Chinon par aucun jour, et après
il s'en vient à Poictiers et elle avec luy. Auquel lieu de
Poictiers le Roy la fit encores interroger par clers grands et excellans
; mais ils la trouvoyent si ferme et si bien respondant de tout
ce que l'on luy demandoit, que ceux qui parloyent à elle
estoyent tout esmerveillés et disoient qu'ils tenoient que
son fait venoit et procédoit de Dieu. Et après elle
fut baillée en garde à la femme de Me Jean Rabateau,
où elle demeura par aucun temps, durant lequel elle disoit
de merveilleuses choses en poursuivant chacun jour le Roy qu'il
assemblast ses gens pour aller lever le siège de devant la
ditte ville d'Orléans.
Auquel lieu de Poitiers, durant ce qu'elle y fust, le
Roy par son ordonnance lui fit faire une arnois pour son corps ;
et après que son dit arnois fut fait, elle dit au Roy qu'il
envoyast un chevaucheur à Ste-Katerine de Fierboys (5)
querir unne espée qui estoit en unne arche dedans le
grand hostel (6) de l'église
; et tantost le Roy y envoya ledit chevaucheur, lequel demanda aux
fabriqueurs de la ditte église la ditte espée ; mais
ils respondirent qu'ils ne savoient que c'estoit. Et lors ledit
Chevaucheur
leur dit qu'ils fissent dilligence de la trouver, et que le Roy
et la Pucelle le leur mandoyent; lesquels fabriqueurs et chevaucheur
allèrent devers ledit grand autel et en une vieille arche
qui n'avoit esté ouverte passé avoit xx ans, comme
disoyent les dits fabriqueurs, trouvèrent la ditte espée,
laquelle ledit chevaucheur apporta à ladite Pucelle, qui
l'envoya à Tours pour y faire faire un fourreau d'ornement
d'églize.
Item la ditte Pucelle estant audit lieu de Poictiers
et après que son dit harnois fut fait, elle s'en arma et
avec les gens d'armes alloit aux champs et couroit la lance aussy
bien et mieux qu'homme d'armes qui y fust, et chevauchoit les coursiers
noirs, de tels et de si malicieux qu'il n'estoit nul qui bonnement
les osast chevaucher, et fesoit tant d'autres choses merveilleuses
que chacun en estoit tout esmerveillé. Et fit faire audit
lieu de Poictiers son estandard, auquel y avoit un escu d'azur,
et un coulon blanc dedans ycelluy estoit ; lequel coulon tenoit
un role en son bec où avoit escrit de par le roy du ciel.
Et ce fait, escrist aux Anglois dudit siége unne lettre close
contenant cette forme.
"Roy d'Angleterre, faites raison au Roy du ciel
de son sang réal ; randés les clefs à la Pucelle
de touttes les bonnes villes que vous avez enforcées en France.
Elle est venue de par Dieu pour réclamer tout le sang réal,
et est toutte preste de faire paix si vous luy voulés faire
raison, par ainsy que France vous mettiez juz et paiez de ce qui
vous l'avez tenue.
Roy d'Angleterre, si ainsy ne le faites, je suis chef
de guerre ; en quelque lieu que je atteindray vos gens en France,
se ils ne veulent obéir, je les en feray issir vueillent
ou ne vueillent, et si ils veulent obéir, je les prandray
à mercy. Croyant (7) que, s'ils ne veulent
obéir, la Pucelle vient pour les occire. Elle vient de par
le Roy du ciel, corps pour corps, pour vous boutter hors de toutte
France, et vous promet et certifie la Pucelle qu'elle y fera si
gros hahay que encores y a il mil ans que en France ne fut si grand,
si vous ne luy faites raison. Et croyés fermement que le
Roy du ciel luy envoyra plus de force que ne luy sauriez mener de
tous assaulz à elle ne à ses bonnes gens d'armes.
Entre vous, archers, compagnons d'armes, gentils et
vilains (8), qui estes devant Orléans,
allez-vous en en vostre pays de par Dieu. Si ainsy ne le faites,
donnez vous en garde de la Pucelle et de vos dommages vous souvienne
; ny prenez mye vostre opinion que vous ne tendrez mie France du
Roy du ciel le ferez mais (9), ains la tiendra
le Roy Charles qui entrera à Paris à bonne compaignie.
Si vous ne croyez les nouvelles de Dieu et de la Pucelle, en quelque
lieu que vous trouverons nous férirons dedans à horions
: si verrons lesquelz milleur droit auront de Dieu ou de vous.
Guillaume la Poule, conte de Suffolc, Jean sire de Tallebot,
et vous Thomas sire de Scalles, lieutenant du duc de Bethefort,
soy disant régent du royaulme de France pour le Roy d'Angleterre,
faites responce si voulez faire paix en la cité d'Orléans.
Si ainsy ne le faites, de vos dommages vous souvienne briefvement.
Duc de Bethefort, qui vous dites régent de France
pour le Roy d'Angleterre, la Pucelle vous prie et requiert que vous
ne vous faciez destruire. Si vous ne luy faites raison, encore pourra
venir qu'en sa compaignie les François feront le plus beau
fait qu'encores fut fait en chrestienté." (10)
Escrit le mardy de la grand sepmaine. Entendés
les nouvelles de Dieu de la Pucelle.
Ainsy soubscrites : "au duc de Bethefort qui se dit régent
pour le Roy d'Angleterre."

L'an de grâce mil quatre cent vingt et neuf fut maire de la La Rochelle
honorable homme, sire Hugues Guibert.
Item. — Le XXXIIIe jour dudit mois de février, vient devers le roi notre
seigneur, qui était à Chinon, une Pucelle de l'âge de seize à dix-sept
ans, née à Vaucouleurs en la duché de Lorraine laquelle s'appelait
Jeanne et était en habits d'homme, c'est à savoir : pourpoint noir,
chausses attachées, robe courte de gros gris noir, cheveux
ronds et noirs, et un chapeau noir sur la tête. Elle avait en sa compagnie
quatre écuyers qui la conduisaient. Quand elle fut arrivé audit lieu
de Chinon, où, comme il est dit, le roi était, elle demanda à lui parler.
Et alors on lui montra Monsgr Charles de Bourbon, en feignant que
c'était le roi ; mais elle dit aussitôt que ce n'était pas le roi, et qu'elle
le connaîtrait bien, si elle le voyait, encore que jamais elle ne l'eût vu.
Après l'on fit venir un écuyer en feignant que c'était le roi ; mais elle
connut bien qu'il ne l'était pas; et bientôt après le roi sortit d'une chambre, et aussitôt qu'elle le vit, elle dit que c'était lui, et elle lui dit
qu'elle était venue à lui de par le Roi du Ciel, et qu'elle voulait lui parler.
Et raconte-t-on qu'elle lui dit en secret certaines choses, dont le roi
fut bien émerveillé.
Après, la Pucelle lui dit que s'il voulait faire ce qu'elle lui ordonnerait,
il recouvrerait sa seigneurie, et les Anglais s'en iraient hors de son
royaume. Le roi notre seigneur, bien émerveillé de la venue et du dire
de cette Pucelle et de son état, la fit interroger d'où elle était, quelle avaitété sa vie, et pour quelle cause elle était venue. Elle répondit qu'elle était dudit lieu de Vaucouleurs en Lorraine, qu'elle avait toujours gardé
les brebis, et qu'en les gardant, lui étaient venus par plusieurs fois des
visions et des avertissements de venir par devers le roi notredit seigneur; que pour cette cause elle s'était mise en chemin et était venue
de par le Roi du Ciel. Si le roi voulait faire ce qu'elle lui ordonnerait,
les Anglais s'en iraient tous de son royaume, ou y mourraient ; et il
recouvrerait tout ce qu'il y avait perdu.
Item, le roi la fit aussi interroger par ceux de son conseil, tant clercs que
laïques, pour savoir si on ne la trouverait point variant en ses paroles;
mais elle fut trouvée en tel état qu'il n'était aucun seigneur, quel qu'il
fût, qui pût rien découvrir contre elle, ni la reprendre de chose qu'elle
dît.
Elle faisait sa confession chaque jour et recevait le corps du Seigneur, était femme de grande dévotion et de sainte vie, et buvait et mangeait
si peu que rien.
La Pucelle demeura quelques jours à Chinon avec le roi notre seigneur,
et après il s'en vint à Poitiers, et elle avec lui. A Poitiers le roi
la fit interroger par clercs grands et excellents. Ils la trouvèrent si ferme,
répondant si bien à tout ce qu'on lui demandait, que ceux qui lui parlaient
en étaient tout émerveillés, et disaient tenir que son fait venait et
procédait de Dieu.
Elle fut ensuite donnée en garde à la femme de Jean Rabateau, auprès de laquelle elle demeura quelque temps, durant lequel temps elle disait
de merveilleuses choses, tout en poursuivant chaque jour le roi, pour
qu'il assemblât ses gens, afin de faire lever le siège de devant Orléans.
Pendant qu'elle était à Poitiers, le roi, sur ses indications, lui fit faire
une armure pour son corps. Cette armure faite, elle demanda au roi
d'envoyer un chevaucheur à Sainte-Catherine-de-Fierbois, querir une épée qui était dans un coffre devant le grand-autel de l'église. Le roi y
envoya aussitôt un chevaucheur qui demanda aux fabriciens de l'église
ladite épée. Ils répondirent qu'ils ne savaient de quoi on leur parlait.
Le chevaucheur leur dit de faire diligence pour la trouver, que le roi et
la Pucelle le leur mandaient. Les fabriciens et le chevaucheur allèrent
devant l'autel, et dans un vieux coffre qui, disaient les fabriciens,
n'avait pas été ouvert depuis passé vingt ans, ils trouvèrent l'épée
demandée. Le chevaucheur l'apporta à la Pucelle qui l'envoya à Tours
pour y faire faire un fourreau d'ornement d'Église.
La Pucelle étant à Poitiers prit ses armures aussitôt que son harnais
fut prêt. Elle allait aux champs avec les gens de guerre, et elle courait la
lance aussi bien et mieux qu'aucun homme d'armes qui y fût ; elle chevauchait
les coursiers noirs, tels et si malicieux qu'il n'était nul qui
osât en réalité les chevaucher; elle faisait tant d'autres merveilles
que chacun en était tout émerveillé.
Elle fit faire à Poitiers son étendard, sur lequel était un écu d'azur;
et au dedans de l'écu un colombeau blanc, qui tenait en son bec un rôle
sur lequel était écrit : De par le Roi du Ciel.
Cela fait, elle écrivit aux Anglais du siège d'Orléans une lettre close,
dans la forme qui suit :... (voir texte lettre ci-dessus)

tem la dite Pucelle estoit moult de saincte vie, comme dit est, et se
confessoit bien souvent et recevoit corpus Domini, et aussy
le faisoit faire au Roy nostre sgr et à tous les chefs de
guerre et à leurs gens. Et après qu'elle eut escript
aux dits Anglois les dittes lettres closes, elle fit son ordonnance
pour aller advitailler ladite ville d'Orléans et aller en
personne ; et estoient-ils Monsr de Retz, M. le bastard d'Orléans,
Lahyre et plusieurs autres seigneurs et gens de guerre avec elle
; et fit tant qu'elle entra et fit entrer, le mercredy VIIIe jour
de may (11) l'an mil CCCCXXIX, grand
quantité de vivres en ladite ville d'Orléans ; et
elle mesme et les dits seigneurs y entrèrent sans ce que
les dits Anglois saillissent de leur siége ne y missent aucun
empeschement. Et quant elle fust entrée dans ladite ville
d'Orléans, elle fit retourner lesdits seigneurs audit lieu
de Bloys quérir le demeurant des vivres qui y estoyent demourez,
et leur ordonna qu'ils les amenassent hardiment par la Beausse et
n'eussent point de peur, car ils ne trouveroyent qui se mist au
devant d'eux. Lesquels seigneurs y allèrent et amenèrent
ledit demourant des vivres en laditte ville d'Orléans par
laditte Beausse sans ce que les Anglois se apparussent à
eux ; desquels vivres les bonnes gens d'icelle ville d'Orléans
furent tous reconfortez, car ils en avoyent bien nécessité.
Et tous lesdits vivres ainsy entrés, elle et les dits seigneurs
et gens de guerre allèrent deviant la bastide de Saint-Loup
et la prirent par force et par assault, et y moururent bien sept
vingt (12) Anglois.
Item et le vendredy en suivant, Xe jour dudit mois de
may, la ditte Pucelle estant en la ditte ville d'Orléans
fist son ordonnance pour aller assaillir, ledit boullevart du pont
et ledit hostel des Augustins ; et de fait y alla avec les dits
seigneurs estans en sa compaignée. Et après que eux
et leurs gens eurent ouï messe et eux confessé par l'ordonnance
d'icelle Pucelle, elle fit crier et tromper à l'assault,
et prirent tantost ledit hostel des Augustins. Et le lendemin prirent aussy de bel
assault ledit boullevart du bout du pont, où il avoit bien
de six à sept cent hommes d'armes d'Anglois, dont estoit
chef Glacidas, lieutenant du conte Salcebery ; lequel Glacidas en
se retirant en unne tour cheut en Leyre et bien deux ou trois cent
en sa compaignée par le moyen du pont qui rompit, et le demourant
fut mort et pris. Et dura l'assault bien cinq heures ; et de nos
gens ne mourut que un champion, dont les dits srs et tout le monde
furent bien merveillez, car ledit boulevart estoit si fort, que
l'on tenoit que tout le monde ne l'eust peu prandre sur les Anglois
qui estoyent dedans tant qu'ils eussent eu vivres, si non quo ce
fust par gràce et puissance divine.
Et estoit la dite Pucelle armée tout à
blanc au dit assault, son estandart en unne main et son espée
en l'autre, et y fut blessée d'un traict en la poictrine
; mais elle n'en partit point pour tant et n'en fit compte, combien
que ceux qui la voyent blesser, et qui virent comme elle osta le
traict, disoient qu'elle seigna grandement et qu'elle estoit bien
blessée ; mais ce nonobstant elle manda au conte de Talbot,
qui tenoit la bastide du costé de la Beausse, qu'il s'en
allast de par Dieu, et comment qu'il fut, qu'elle ne le trouvast
pas le lundy matin ensuivant, ou autrement qu'il luy en prandroit
mal. Lequel Talbot leva laditte bastide le dimanche matin et s'en
alla en autres forteresses angloises estans entour la dite ville
d'Orléans ; et lessèrent ceux de ladite bastide fours
bombardes, canons, artilleries et autres habillemans de guerre et
grande force de vivres, qui tout fut emmené en la ditte ville
d'Orléans. Pour occasion des quelles nouvelles, en la ville
de La Rochelle furent faites processions généralles
et dévotes deux fois la sepmaine.
Item, après ces choses ladite Pucelle s'en alla
devers le Roy pour le querir et amener en la dite ville d'Orléans
; et demoura par aucuns jours avec luy, et après elle
s'en retourna de rechef dudit lieu d'Orléans et tantost alla
mettre le siége devant Gergeau où estoient le conte
de Suffolc, le conte de la Poule et autres seigneurs anglois à
grand puissance. Et incontinent que ladite Pucelle fut devant, ledit
conte de Suffolc saillit dehors et alla à Monsr le bastard
d'Orléans et luy dit que l'on ne donnast point d'assault
audit lieu de Gergeau et qu'il la randroit ; mais ce nonobstant
ladite place fut assaillie d'un des costez par l'ordonnance de ladite
Pucelle et fut tantost prise d'assault le vendredy xe jour de jung
ledit an mil ccccxxix. Et quant ledit conte de Suffolc vit ladite
prise, par ce que Monsr d'Alançon qui y estoit et autres
seigneurs le vouloyent prandre prisonnier, il dit qu'il ne se rendroit
point à eux, se deust estre mort, en criant à haute
voix : "Je me rens à la Pucelle qui est la plus vaillante
femme du monde et qui nous doit tous subjuguer et mettre à
confusion". Et de fait vint à ladite Pucelle et se rendit
à elle ; et ledit conte de la Poule fut prisonnier à
mondit sgr d'Alançon.
A ladite prise mourut messire Alexandre la Poule et
bien de cinq à six cent Anglois, et les autres furent prisonniers.
Et dit et affirma par serment ledit conte de Suffolc, après
ce qu'il fut ainsy randu, que dedans ledit lieu de Gergeau avoit
cinq cent chevaliers, escuiers et autres gens d'armes des milleurs
de toute l'Angleterre, et deux cents archers d'élitte aussy
des milleurs d'Angleterre. Et ce fait, ladite Pucelle et lesdits
srs sus nommez allérent mettre le siége devant Boygensis
(13), où avoit de quatre à
cinq cens Anglois, lesquels rendirent tantost la place en la main
du Roy et s'emparent (14) d'icelle à
telle condition qu'ils ne se armeroyent contre le Roy jusques à
certain temps.
Et si tantost que ladite reddition fut faitte, qui fut
le xviije jour de jung, Talbot, Fastre, Hongrefort, Remiston de
Galles et autres capitaines, et plusieurs Anglois qui estoyent nouvellement
arrivez sur Leyre jusques au nombre de [mille] trois cent combattans
ou environ, descampèrent icelle place ; et eux en fuyant
furent poursuivis par nos gens tellement qu'il en demeura que pris
que morts sur la place plus de deux mil six cent, et n'eschappa
aucun des dits chefs anglois que tous ne fussent prisonniers. Et
estoyent nos dites gens bien xvr mil combatans et plus, ainsy que
ces choses le Roy nostre dit sr escrivit à Monsr le Maire
et à Messrs de La Rochelle, gens d'Eglize et autres ; lequel
M. le Maire, après les dites lettres reçues, s'en
alla incontinent en l'église St-Berthommé d'icelle
ville, en laquelle la plus grande partie de Messieurs les bourgeois
de ladite ville se rendirent, et illec fut ordonné de faire
promptement sonner les services par touttes les églizes d'icelle,
ville et que chacun s'assemblast en l'église de sa parroisse
et qu'illec fut remercié nostre Seigneur desdittes nouvelles
en chantant solennellement le Te Deum laudamus et autrement
en prières et oraisons; et que celuy jour au soir fussent
faits feux nouveaux par les carrefours de ladité ville et
le lendemain procession généralle et dévotte
en l'églize Nostre Dame de Losnes. Et ainsy fut fait comme
il fut ordonné, et fut donné aux petits enfants de
la ville à chacun unne fouace affin qu'ils criassent devant
la ditte procession à haute voix : Noël ! Noël
!

La Pucelle était de sainte vie. Elle se confessait bien souvent et recevait l'eucharistie et le faisait faire au roi notre seigneur, et à tous les
chefs de guerre, et à leurs gens. Après qu'elle eut écrit aux Anglais ces lettres closes, elle fit ses dispositions pour aller ravitailler la cité d'Orléans et s'y rendre en personne. Étaient avec elle Monsgr de Rais, M. le bâtard d'Orléans, La Hire, et plusieurs autres seigneurs et gens de guerre. Elle fit tant qu'elle y entra,
et y fit entrer, le mercredi huitième jour de mai, l'an MCCCCXXIX,
grande quantité de vivres. Elle-même et lesdits seigneurs y entrèrent,
sans que les Anglais sortissent de leurs retranchements, et y missent
aucun empêchement.
Quand elle fut entrée dans la ville (3), elle fit retourner les seigneurs à
Blois querir le reste des vivres qui y avaient été laissés, et leur ordonna
de les mener hardiment par la Beauce et de n'avoir pas peur ; car ils ne
trouveraient personne qui se mît à leur traverse. Les seigneurs allèrent à Blois, amenèrent ce qui restait des vivres par la Beauce, sans que les
Anglais se montrassent. Par ces vivres les bonnes gens d'Orléans furent
tout réconfortés ; car ils en avaient bien nécessité.
Les vivres ainsi entrés, la Pucelle, les seigneurs et les gens de guerre, allèrent devant la bastide Saint-Loup, la prirent de force et par assaut ;
et il y mourut bien sept-vingts Anglais.
Item. — Le vendredi qui suivit, dixième jour de mai (15), la Pucelle
prit ses dispositions pour assaillir le boulevard du pont et le couvent
des Augustins ; et de fait elle y alla avec les seigneurs de sa compagnie.
Après qu'ils eurent entendu la messe avec leurs gens, et se fussent confessés
sur l'ordre de la Pucelle, elle fit crier et publier à son de trompe : « A l'assaut ! » et ils s'emparèrent promptement du couvent des Augustins.
Le lendemain ils prirent aussi, à la suite d'un bel assaut, le boulevard
du bout du pont, où il y avait bien de six à sept cents hommes d'armes,
ayant pour chef Glacidas, lieutenant du comte de Salisbury. Ce Glacidas,
en se retirant dans une tour, tomba dans la Loire, et il en tomba bien
avec lui deux ou trois cents de sa compagnie, le pont par lequel ils
fuyaient étant venu à rompre : les autres furent tués, ou faits prisonniers.
L'assaut dura bien cinq heures. Parmi nos gens il ne mourut qu'un
champion. Les seigneurs et tout le peuple furent bien émerveillés de
cette victoire; car le boulevard était si fort que l'on tenait que tout le
monde n'aurait pu le prendre sur les Anglais qui le défendaient, tant
qu'ils auraient eu des vivres, à moins cependant que ce ne fût par grâce
et puissance divine.
A cet assaut la Pucelle était armée tout à blanc (1), son étendard dans
une main, son épée dans l'autre. Elle y fut blessée d'un trait dans la poitrine,
mais elle n'en partit pas pour cela, et n'en fit compte, encore que
ceux qui en furent les témoins et la virent ôter le trait, aient dit qu'elle
saigna grandement et qu'elle était bien blessée.
Ce nonobstant, elle manda au comte de Talbot, qui tenait la bastide
du côté de la Beauce, de s'en aller de par Dieu, et qu'en tout cas,
elle ne le trouvât pas le lundi matin suivant, sans quoi il lui en prendrait
mal. Talbot quitta ladite bastide le dimanche matin, et s'en alla en
d'autres forteresses anglaises qui étaient autour d'Orléans. Les Anglais laissèrent leurs bombardes, canons, artillerie et autres machines de
guerre, et une grande provision de vivres ; tout fut amené à Orléans.
A l'annonce de ces nouvelles, l'on fit à La Rochelle, deux fois dans la
semaine, de générales et dévotes processions.
Item. — Après ces événements, la Pucelle s'en alla vers le roi pour le
prendre et l'amener à Orléans. Elle demeura quelques jours avec lui, et
quittant de nouveau Orléans, elle alla mettre le siège devant Jargeau,
où étaient le comte de Suffolk, le comte de la Poule, et d'autres seigneurs
anglais, à grande puissance.
Aussitôt que la Pucelle fut devant Jargeau, le comte de Suffolk en
sortit pour aller vers Monsr le bâtard d'Orléans lui demander que l'on
ne donnât pas l'assaut à la ville, et qu'il la rendrait ; mais, ce nonobstant,
la place fut assaillie par l'un des côtés sur l'ordre de la Pucelle, et
fut promptement prise d'assaut le vendredi Xe jour (8) de juin de l'an MCCCCXXIX.
Quant le comte de Suffolk vit que la ville était prise, et que Monsr
d'Alençon qui y était, et d'autres seigneurs voulaient le faire prisonnier,
il dit qu'il ne se rendrait pas à eux, dût-il être mort; et il cria à haute
voix : « Je me rends à la Pucelle qui est la plus vaillante femme du monde,
et qui doit tous nous subjuguer et mettre à confusion ». Et, de fait, il vint à la Pucelle et se rendit à elle; et ledit comte de la Poule fut remis
prisonnier à mondit seigneur d'Alençon.
A ladite prise mourut messire Alexandre de la Poule, et bien de cinq à six cents Anglais, et les autres furent faits prisonniers. Le comte de
Suffolk, après qu'il se fut ainsi rendu, attesta et affirma par serment qu'il
y avait dans Jargeau cinq cents chevaliers, écuyers et autres gens
d'armes des meilleurs de toute l'Angleterre, et deux cents archers d'élite
aussi, des meilleurs d'Angleterre.
Cela fait, la Pucelle et les seigneurs susnommés allèrent mettre le siège
devant Baugency où se trouvaient de quatre à cinq cents Anglais, qui
remirent bientôt la place en la main du roi, et en sortirent à la condition
de ne pas s'armer contre le roi jusqu'à un certain temps.
Aussitôt après que ladite reddition fut faite, ce qui fut le XVIIIe jour
de juin, Talbot, Fastolf, Hongrefort, Remston de Galles, d'autres
capitaines et plusieurs Anglais qui étaient nouvellement arrivés sur la
Loire, jusques au nombre d'environ [mille] trois cents combattants, quittèrent la place, et dans leur fuite furent poursuivis par nos
gens, si bien que prisonniers ou morts il en resta sur place plus de deux
mille six cents. Il n'échappa aucun des chefs anglais que tous ne fussent
pris.
Nos gens étaient bien seize mille combattants et plus, ainsi que sur ces
choses le roi notredit seigneur l'écrivit à Monsr le maire et à Messrs de
La Rochelle, gens d'église et autres.
Ces lettres reçues, M. le maire s'en alla incontinent en l'église Saint-Bertommé de cette ville, où se rendirent le plus grand nombre de messieurs les bourgeois. Là il fut ordonné de faire
promptement sonner les services par toutes les églises de la ville, que
chacun s'assemblât en l'église de sa paroisse pour y remercier Notre Seigneur
des nouvelles reçues, en chantant le Te Deum laudamus, et par
d'autres prières et oraisons ; que ce même jour au soir feux nouveaux
fussent faits par les carefours de la ville, et qu'il y eût le lendemain genérale
et dévote procession en l'église Notre-Dame de Losne. Il fut fait
ainsi qu'il avait été ordonné; et aux petits enfants il fut donné à chacun
une fouace (17), pour que devant ladite procession, ils criassent à haute
voix : Noël ! Noël !

tem, après la desconfiture faite, le Roy nostre sr, la ditte Pucelle
et les seigneurs estans en leur compaignie prirent leur chemin pour
aller à Raimps faire sacrer et couronner le Roy nostre dit
sr. Et arrivèrent devant la ville de Troyes le VIIIe jour
de jeuillet ledit an mil CCCCXXIX, et passa joignant des murs de
la dite ville et se alla loger en ses tentes près de la dite
ville. Et à l'arrivée ceux de la garnison d'icelle
ville gettèrent deux ou trois pierres de canon qui ne firent
nul mal, et la plus part de ceux de la ville estoyent sur les murs
pour voir passer le Roy sans faire nul semblant de deffance. Et
le lendemain l'évesque de ladite ville vint devers le Roy
luy faire la révérance et pour excuser ceux de ladite
ville en disant qu'il ne tenoit pas à eux que le Roy n'y
avoit entré à son plaisir, et que le bailly et ceux
de la garnison, qui estoyent de trois à quatre cent, les
avoyent gardez et empeschés d'ouvrir les portes; mais qu'il
luy plust avoir patiance jusques à ce que ledit évesque
eust parlé à ceux de la ville, et qu'il espéroit,
sitost qu'il auroit parlé à eux, qu'ils feroyent ouverture
et donneroyent toutte obéissance en manière que le
Roy seroit bien content d'eux. Dont le Roy fut d'accord ; et lors
ledit évesque retourna en la ville et remonstra à
ceux de dedans comment le Roy leur souverain seigr estoit en personne
devant la ville, accompaigné d'unne saincte Pucelle que Dieu
luy avoit envoyée pour l'acompaigner et le mener sacrer et
pour le remettre en sa seigneurie, et qu'il estoit d'opinion et
leur conseilloit qu'ils luy allassent faire ouverture et lui faire
et donner toutte obéissance, ainsy que raison estoit et qu'ils
y estoyent tenus. A quoy ledit baillif et ceux de ladité
garnison monstrèrent grande contradiction ; mais néanmoins
tous ceux de la ville estoyent d'accord avec ledit évesque.
Et cependant que ledit évesque trettoit avec
ledit baillif et ceux de la garnison, un sainct prud'homme, cordelier,
en qui tous ceux de la ville et de tout le pays avoyent grand foy
et confiance, yssit de la ville pour aller voir la Pucelle ; et
sitost qu'il la vit et d'assez loing, s'agenouilla devant elle ;
et quant laditte Pucelle le vit, pareillement s'agenouilla devant
luy et s'entrefirent grand chère et grande révérance,
et parlèrent longuement ensemble. Et après cest départy,
ledit cordellier s'en alla en la ville et prescha moult grandement
au peuple en leur admonestant de faire leur devoir envers le Roy
et leur remonstrant commant Dieu advisoit son fait et lay avoit
baillé pour l'acompaigner et le conduire à son sacre
mine saincte pucelle, laquelle, comme il croit fermement, sçavoit
autant et avoit aussy grand puissance de sçavoir des secrets
de Dieu comme sainct qui fust en paradis après saint Jean
évangéliste, et que il estoit bien en sa puissance,
si elle vouloit, de faire entrer tous les gens d'armes du Roy en
la ville par dessus les murs en quelque manière qu'elle voudroit
; et plusieurs autres choses. Et incontinent crièrent tous
à vive voix : "Vive le Roy Charles de France !"
et les aucuns de ceux de la ville vindrent devers le Roy luy faire
obéissance pour toutte la ville et luy crier mercy, en luy
suppliant qu'il voulsist avoir la ville pour recommandée
en manière qu'elle ne fust point pillée ny destruitte,
en excusant tous les habitans d'icelle par ce que dessus, et que
toutefois qu'il luy plairoit, il entremit dedans à telle
puissance qu'il voudroit.
Adonc le Roy fut content de ceux de la ville et ordonna
que ceux de la garnison qui s'en voudroyent aller s'en allassent,
et ceux qui voudroyent demeurer demeurassent et il leur pardonroit
; dont les aucuns s'en allèrent et la pluspart demeura en
ladite ville, et le Roy, pour éviter tout inconvénient
et pillerie, deffendit que nul n'y entrast sans congé. Et
le dimanche en suivant le Roy y entra à toutte puissance
et fit crier que nul ne fust si hardy, sur peine de la hart, d'entrer
en maisons et de prendre rien outre le gré et volonté
de ceux de la ville, et y ouït la messe et puis s'en retourna
en sa tante où il demeura tout ledit jour. Et ceux de la
ville envoyèrent vers luy grands présans de vivres
et d'autres choses. Et le lundy en suivant, qui fut xje de ce mois,
il alla ouyr la messe en ladite ville, et là vindrent devers
luy ceux de Rains, de Chàlons et d'autres bonnes villes luy
donner obéissance. Et disoyent ceux de la ville de Rains
que piéçà ils attendoyent sa venue à
grand joye. Et incontinent aprez la messe, le Roy partit sans boire
ni manger pour aller à Chàlons ; et quand le Roy fut
passé et tous ses gens, ceux de la ville qui estoyent sur
la muraille virent unne grande compaignie de gens d'armes, qui estoyent
bien de cinq à six mille hommes, tous armez au chef, devant
(18) chacun une lance à un fenon blanc en sa main,
et suivoyent le Roy aussy comme d'un trait d'arc ; et pareillement
les virent à l'arrivée devant ladite ville. Et sitost
que le Roy fut bougé, ne sceurent qu'ils devinrènt.
Item le XVIIe jour dudit mois de juillet, le Roy fut
sacré et couronné en ladite ville de Rains ; et estoit
moult belle chose de voir le mistère, car il fut aussy solennel
et trouva touttes ces choses aussy bien appointées pour faire
la chose,
comme s'il l'eust mandé un an d'avant, comme coronne, habits
royaulx et touttes autres choses à luy nécessaires;
et y eut tant de gens que c'estoit chose infinie, et la grand joye
qu'un chacun en avoit. Messrs le duc d'Alançon, le conte
de Clermont, le conte de Vendosme, les frères de Laval, de
la Trimouille et de Gaucourt y furent en habit royal, et mondit
sr d'Alançon fit le Roy habiller, et lesdits srs représentèrent
les pers de France. Monseigr d'Alebret tint l'espée durant
ledit mistère devant le Roy. Pour les pairs de l'Eglize ils
y estoyent avec leurs croix et mittres : Messieurs les évesques
de Rains et de Châlons, qui sont pris (19)
; en lieu des autres, les évesques de Sens et d'Orléans
et deux autres prélats.
Pour aller querir la saincte empoulle en l'abbaye de
St-Remy pour l'apporter à la grande églize de Nostre-Dame
où fu fait le sacre, furent ordonnez le mareschal de Boussac,
les srs de Rais, Graville et Lahire avec leurs quatre bannières
que chacun portoit en sa main, armez iceux quatre de toutes pièces
et à cheval bien accompaignez, pour conduire l'abbé
dudit lieu qui apportoit ladite empoulle ; et entrèrent à
cheval en ladite grand églize et descendirent à l'entrée
du ceur ; et en tel estat la rendirent après le sacre en
ladite abbaye. Lequel sacre dura depuis ix heures jusques à
deux heures après my jour. Et à l'eure que le Roy
fut sacré et aussy quant on luy assit la couronne sur la
teste, tout homme crioit : Noël ! et trompettes sonnoyent en
telle manière qu'il sembloit que les voutes de l'églize
deussent fendre. Et durant ledit mistère, la Pucelle se tint
tousjours joignant le Roy tenant son estendart en la main, et estoit
moult belle chose de voir les belles manières que tenoit
le Roy et aussy la Pucelle. Et furent ledit jour faits par le Roy
contes les frères de Laval, et ledit sgr de Raitz mareschal
; et aussy le Roy fit plusieurs chevalliers et les seigrs en firent
pareillement, tant qu'il y en eut bien trois cents nouveaux.
Le duc de Bourgogne, qui avoit esté à
Paris et s'en estoit allé à Laon, envoya ledit xvije
jour de jeuillet ambassade devers le Roy audit lieu de Rains pour
traitter son appointement ; mais laditte embassade n'estoit que
dissimulation et pour cuider amuser le Roy qui estoit disposé
d'aller tout droit devant Paris.
Item, après ce que le Roy fut ainsy couronné
audit lieu de Rains, luy, ladite Pucelle et son ost s'en vindrent
devant la ville de Paris, et en y venant plusieurs chasteaux et
forteresses se rendirent à luy. Devant laquelle ville de
Paris le Roy et sondit ost demeura par aucuns jours ; durant lesquels
ladite Pucelle et grant nombre de nos gens entrent et passent en
ladite ville et y donnent de grands assaulx ; mais pour cause de
la nuict, ils se retraissirent ; et lorsque la ditte Pucelle estoit
ès dittes ruhes, fut blessée par la jambe ; mais elle
fut tantost guérie. Et est vray que c'estoit moult merveilleuse
chose du grand nombre de canons et de couleuvrines que ceux de Paris
tiroyent contre nos gens ; mais oncques n'en fut blessé ne
tué homme que l'on peust savoir fors Jean de Villeneufve,
bourgeois de La Rochelle qui fut tué d'un coup de canon.
Et advint que plusieurs de nos gens furent frappés des dits
canons, mais ils ne leur fesoyent nul mal ; et ramassoient les pierres
qui les avoyent frappés et les monstroyent à ceux
qui estoyent sur les murs de laditte ville de Paris, et ne furent
ceux d'icelle ville, ne les Anglois et Bourguignons estans dedans,
si hardis de faire aucune saillie sur nos dits gens ; ains le Roy
nostre dit sr estant devant ladite ville de Paris, ceux d'icelle
ville avoient si grande peur que, quant ladite Pucelle et nos dites
gens y donnoient ledit assault, ils s'enfuyoient ès églizes
et cuidoient que ladite ville fust prise, ainsy que plusieurs religieux
et autres qui lors estoyent en icelle ville raportèrent après
au Roy nostre dit sr. Mais pour deffault de vivres, le Roy s'en
retourna rafrechir sur la rivière de Loyre et laissa le plus
de ses gens en garnison ès villes, chasteaux et places qu'il
avoit pris pour mener guerre et tenir bastides à ceux de
ladite ville de Paris.
Item tantost après, La Hyre et ses gens prirent
d'eschelles le chastel de Gaillart (20),
qui est un moult fort chastel, auquel Monseigr de Barbazan estoit
prisonnier, qui fut délivré et s'en vint devers le
Roy. Mais par aucun temps après les Anglois y allèrent
mettre le siége et pour ce qu'il n'y avoit nuls vivres...
se rendit en l'obéissance du Roy.
Item après, les Bourguignons et Anglois mirent
le siége devant Compiègne, où estoit la Pucelle
; laquelle en une saillie qu'elle fit, fut prise et fut prisonnière
à Mgr Jean de Luxembourg qui la bailla aux Anglois ; lesquels
après qu'ils l'eurent tenue par aucun temps en prison, par
faux témoignages et accusements la firent ardre en ladite
ville de Rouen en Normandie.

Après cette victoire, le roi notre seigneur, la Pucelle et les seigneurs
qui étaient en leur compagnie, prirent leur chemin pour aller à Reims
afin d'y accomplir le sacre et le couronnement. Ils arrivèrent devant
la ville de Troyes, le VIIIe jour de juilllet de même an MCCCCXXIX.
L'armée défila joignant les murs de la cité, et alla se loger en ses tentes
tout autour. A l'arrivée, les hommes d'armes de la garnison jetèrent
deux ou trois pierres de canon qui ne firent nul mal. La plupart des
habitants de la ville étaient sur les remparts pour voir passer le roi, sans
faire aucun semblant de vouloir se défendre.
Le lendemain l'évêque vint vers le roi lui faire la révérence et excuser
les habitants, en disant qu'il ne tenait pas à eux que le roi ne fût entré
dans leur ville à son plaisir, que le bailli et les hommes de la garnison
les avaient gardés et empêchés d'ouvrir leurs portes ; mais qu'il lui plût
d'avoir patience jusqu'à ce que lui, évêque, eût parlé à ces mêmes habitants,
et qu'il espérait, qu'aussitôt après qu'il leur aurait parlé, ils feraient
ouverture et lui rendraient toute obéissance, de telle manière qu'il en
serait content. Ce à quoi le roi consentit. L'évêque, rentré dans la ville,
remontra aux citoyens comment le roi, leur souverain seigneur, était en
personne devant leurs murs, accompagné d'une sainte Pucelle que Dieu
lui avait envoyée pour être à sa suite le mener sacrer, et le remettre en sa seigneurie, et qu'il était d'avis et leur conseillait de lui ouvrir et de
lui faire obéissance, ainsi que raison était et qu'ils y étaient tenus.
A quoi le bailli et ceux de la garnison opposèrent grande contradiction ;
mais néanmoins tous ceux de la ville étaient d'accord avec leur évêque.
Pendant que l'évêque traitait avec le bailli et avec ceux de la garnison,
un saint prud'homme, Cordelier, en qui tous ceux de la ville et du pays avaient grande foi et confiance, sortit de la ville pour aller voir la Pucelle.
Sitôt qu'il la vit, et d'assez loin, il s'agenouilla devant elle; et quand la
Pucelle le vit, elle s'agenouilla pareillement devant lui; ils se firent l'un à l'autre grand accueil et grande révérence, et parlèrent longtemps
ensemble.
Quand ils se furent séparés, le Cordelier rentra dans la ville et prêcha
très grandement au peuple, en le pressant de faire son devoir envers le
roi, lui remontrant comment Dieu dirigeait son fait, et lui avait baillé
pour l'accompagner et le conduire à son sacre une sainte Pucelle, qui,
comme il le croyait fermement, savait autant, et avait aussi grande
puissance de savoir les secrets de Dieu que saint qui fût en paradis,
après saint Jean l'Évangéliste ; que, si elle voulait, elle avait assez de
puissance pour faire entrer tous les gens d'armes du roi en la ville pardessus
les murs, en quelque manière qu'elle voudrait, et plusieurs autres
choses. Incontinent tous crièrent à vive voix : « Vive le roi Charles de
France ! »
Quelques-uns de ceux de la ville vinrent vers le roi lui faire obéissance
pour toute la cité et lui crier pardon, le suppliant de vouloir bien
avoir la ville pour recommandée, de sorte qu'elle ne fût point pillée
ni ravagée (21), excusant les habitants par ce qui a été dit, l'assurant que
toutes les fois qu'il lui plairait, il entrerait chez eux à telle puissance
qu'il voudrait.
Le roi fut content de ces offres; il ordonna que tous ceux qui composaient
la garnison qui voudraient s'en aller s'en allassent, et que ceux
qui voudraient demeurer demeurassent. Il leur pardonnait. Quelques-uns
s'en allèrent ; la plupart restèrent, et le roi, pour éviter tout dommage
et tout pillage, défendit que nul n'entrât dans la ville sans congé. Le
dimanche, le lendemain, le roi y entra à toute puissance, et fit crier, sous
peine de la hart, que personne ne fût si hardi que d'entrer dans les maisons
et de rien prendre contre le gré et la volonté des possesseurs ; puis il s'en
retourna sous sa tente où il passa toute la journée. Ceux de la ville envoyèrent
vers lui grands présents en vivres et autres choses. Le lendemain lundi, qui fut le XIe du mois, le roi alla ouïr la messe
en ville, et là ceux de Reims, de Châlons et d'autres bonnes villes,
vinrent lui promettre obéissance. Ceux de Reims disaient que depuis
longtemps ils attendaient sa venue à grande joie.
Incontinent après la messe le roi partit pour Châlons, sans boire ni
manger. Quand le roi fut passé avec tous ses gens, ceux de la ville qui étaient sur les murailles virent une grande compagnie de gens d'armes, — ils étaient bien de cinq à six mille, — tous casque en tête, ayant
chacun une lance devant, un fanon blanc en leur main, qui suivaient le
roi, comme à la distance d'un trait d'arc ; ils les avaient vus pareillement à l'arrivée devant la cité. Sitôt que le roi eût disparu, ils ne surent
ce qu'ils devinrent.
Le XVIIe jour du même mois de juillet, le roi fut sacré et couronné
en la ville de Reims; et c'était fort belle chose de voir le mystère; car il
fut aussi solennel, et l'on trouva toutes choses, comme habits royaux, et
tous autres objets à lui nécessaires, aussi bien appointés pour l'accomplir,
que si le roi l'eût mandé un an d'avant. Il y eut tant de gens que
c'était chose infinie, et la grande joie que chacun en avait.
MM. le duc d'Alençon, le comte de Clermont, le comte de Vendôme,
les frères de Laval, de La Trémoille et de Gaucourt, y furent en
habit royal. Mgr d'Alençon fit habiller le roi. Lesdits seigneurs
représentèrent les pairs de France. Mgr d'Albret tint l'épée devant
le roi durant ledit mystère. Les pairs de l'Église y étaient avec leurs
mitres et leurs croix; Messieurs les évêques de Reims et de Châlons
qui sont pairs ; et au lieu des autres, les évêques de Sens (22) et
d'Orléans et deux autres prélats.
Pour aller quérir la sainte ampoule en l'abbaye de Saint-Rémy, pour
l'apporter à la grande église de Notre-Dame, où fut fait le sacre, furent
ordonnés le maréchal de Boussac, les seigneurs de Rais, Graville et La Hire
avec leur quatre bannières, que chacun portait en sa main. Tous quatre étaient armés de toutes pièces, à cheval, bien accompagnés, pour conduire
l'abbé dudit lieu qui apportait ladite ampoule. Ils entrèrent à cheval en ladite grande église et descendirent à l'entrée du choeur, et après le sacre
ils la reconduisirent en même état à l'abbaye.
Le sacre dura depuis neuf heures jusques à deux heures après mi-jour ;
et à l'heure que le roi fut sacré, et aussi quand on lui assit la couronne
sur la tête, tout homme criait « Noël ! », et trompettes sonnaient en telle
manière qu'il semblait que les voûtes de l'église dussent fendre.
Durant le mystère, la Pucelle se tint toujours joignant le roi, tenant
son étendard à la main ; c'était fort belle chose de voir les manières que
tenait le roi, et aussi la Pucelle.
Ce jour, les frères de Laval furent faits comtes par le roi, et le seigneur
de Rais fut fait maréchal ; le roi lit aussi plusieurs chevaliers, les seigneurs
en firent pareillement, tant qu'il en eut bien trois cents nouveaux.
Le duc de Bourgogne, qui après avoir été à Paris, était venu à Laon,
envoya, le même XVIIe jour de juillet, en ce même lieu de Reims, une
ambassade pour traiter sa réconciliation ; mais cette
ambassade n'était que dissimulation et dans la pensée d'amuser le roi,
qui était disposé d'aller tout droit à Paris.
Après que le roi fut ainsi couronné, lui, la Pucelle et son armée s'en
vinrent devant la ville de Paris, et le long du chemin, plusieurs châteaux
et forteresses se rendirent au roi. Le roi et son armée demeurèrent
devant la ville de Paris durant quelques jours, pendant lesquels la
Pucelle et grand nombre de nos gens entrent et passent en ladite ville et
y donnent de grands assauts ; mais ils se retirèrent à cause de la nuit, lorsque la Pucelle qui était dans les fossés fut
blessée à la jambe; elle fut promptement guérie.
Il est vrai que c'était très merveilleuse chose que le grand nombre de
canons et de coulevrines que ceux de Paris tiraient contre nos gens ; mais jamais homme n'en fut ni blessé ni tué, du moins qu'on ait pu le
savoir, si ce n'est Jean de Villeneuve, bourgeois de La Rochelle, qui fut
tué d'un coup de canon. Il advint que plusieurs de nos gens furent frappés
desdits canons, mais sans en recevoir aucun mal. Ils ramassaient les
pierres qui les avaient atteints, et les montraient à ceux qui étaient sur
les murailles.
Les bourgeois de Paris, pas plus que les Anglais et les Bourguignons
qui étaient avec eux, ne furent pas si hardis que de tenter une sortie
contre nos gens. Tant que le roi notre seigneur fut devant Paris, les
habitants avaient si grande peur que lorsque la Pucelle et nos gens
donnèrent l'assaut, ils s'enfuyaient dans les églises, pensant que la ville était prise. C'est ce que plusieurs religieux, et d'autres qui se trouvaient
alors à Paris, rapportèrent au roi notre seigneur.
Le roi, par manque de vivres, s'en retourna les renouveler sur la rivière
de Loire, laissant le plus grand nombre de ses gens en garnison dans
les villes, les châteaux et places qu'il avait pris, pour continuer la guerre
et opposer leurs fortifications à ceux de Paris.
Item. — Bientôt après, La Hire et ses gens prirent par escalade le
château de Gaillard, château très fort dans lequel Mgr de Barbazan était prisonnier. Il fut délivré et s'en vint devers le roi. Mais, quelque
temps après, les Anglais vinrent assiéger le dit château, et parce qu'il
n'y avait pas de vivres, le château se remit en l'obéissance du roi (23).
Item. — Les Bourguignons et les Anglais mirent le siège devant
Compiègne où était la Pucelle. Dans une sortie qu'elle fit, elle fut prise
et remise prisonnière à Mgr Jean de Luxembourg qui la bailla aux
Anglais. Ceux-ci, après l'avoir tenue quelque temps en prison, la firent
brûler à Rouen en Normandie sur faux témoignages et fausses accusations.
Source :
La revue historique, 1877 - t.IV - Jules Quicherat.
Mise en Français plus moderne : "La vraie Jeanne d'Arc - t.III - J.-B.-J. Ayroles - 1897.
Notes :
1 Il est bien évident que cette théorie n'engage que Quicherat.
2 Au moyen-âge, les sorcières étaient réoutées "s'envoler" au contact de l'eau bénite. (ndlr)
3 L'acte a été publié pour la première fois dans la "Revue de la Normandie", année 1866.
4 Quicherat ne fait aucune allusion à cette date du 23 février qui est pourtant, de nos jours, souvent adoptée pour l'arrivée de la Pucelle à Chinon. Elle correspond d'ailleurs à la date du départ de Vaucouleurs donnée par le témoignage de Jean de Metz (dimanche des Bures le 13 février 1429).
5 Il y a dans le texte "Ste-Bradine d'Escoboys".
6 sic pour "autel".
7 "Croyez" dans la chronique de La Pucelle.
8 "Vaillants" dans la chronique de la Pucelle.
9 Le fils saincte Marie", dans la Chronique de la Pucelle.
10 Le texte est celui de la Chronique des Cousinot, page 74 ; au lieu de vous bouter hors de France, le greffier écrit : vous bouter hors de toute France; au lieu de compagnons d'armes, gentils et vaillants, il dit :
compagnons d'armes, gentils et vilains; vilains signifiait alors homme libre de la campagne ; les vilains étaient nombreux dans l'armée anglaise ; ils sont ici opposés à gentils qui signifie nobles ; ce texte nous semble préférable. (Ayroles).
11 Cette date et toutes celles qui suivent sont erronées.
Le 8 mai, qui tomba un dimanche, est le jour que les Anglais levèrent
le siége, et par conséquent celui de la délivrance
de la ville. La première entrée de la Pucelle eut
lieu le 30 avril, qui était un samedi.
11 Cent quarante.
12 Beaugency.
13 Sans doute "s'en partirent'.
14 Six mai.
15 Armé à blanc, en blanc, se disait d'un guerrier qui n'avait sur ses armes aucune
espèce d'ornement, peinture, armoirie. (LACURNE).
16 Dimanche 12 juin.
17 Fouace, galette faite de fleur de farine cuite sous la cendre.
18 Lire "tenant".
19 Lisez "pairs". Eux seuls furent les pairs en titre qui assistèrent à la cérémonie.
20 Evènement qui se passe au commencement de janvier 1430.
21 Ny destruitte; destruit dans le langage du temps a le sens de « ravager », encore plus que celui de « anéantir ».
22 De Séez.
23 Des Anglais.
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