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La chronique des Cordeliers de Paris
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n 1882, Jules Quicherat publia un nouvel article dans la "revue historique" (1). Il y faisait le point des dernières découvertes sur les sources de la vie de Jeanne d'Arc depuis 1877 date de l'article de cette même revue présentant la relation du Greffier de La Rochelle et aussi présentait une chronique connue mais non publiée jusqu'à présent la chronique des Cordeliers de Paris. Il y publie la partie concernant Jeanne d'Arc, ainsi que le texte de quelques traités très importants.
  Voici donc la partie de cet article qui concerne la chronique des Cordeliers de Paris :

   "...Il est temps d'en venir à la relation inédite que j'annonçais en commençant.
  La chronique dont elle fait partie est écrite en français et s'étend de la création du monde à l'année 1434. Le manuscrit, aujourd'hui à la Bibliothèque nationale (n° 23048 français), provient du grand couvent des Cordeliers de Paris. Il a été mis à contribution par M. Douët d'Arcq, qui y a pris l'histoire du règne de Charles VI à partir de 1400, pour l'ajouter en appendice à son édition de Monstrelet. Si le récit des neuf premières années du règne de Charles VII, qui termine l'ouvrage, n'a pas eu de même les honneurs de l'impression, il a du moins été consulté par Vallet de Viriville qui l'a cité souvent dans son Histoire de Charles VII.

  L'auteur de cette chronique ne s'est pas fait connaître. A en juger par son langage, il était Picard. Peut-être un mot qu'il laisse échapper sur les dispositions de Saint-Quentin, après le sacre de Charles VII, autoriserait-il à conjecturer qu'il habitait cette ville ? Son talent comme écrivain est des plus médiocres ; son opinion est celle d'un Bourguignon, plus exalté lorsqu'il entame le récit des guerres civiles que lorsqu'il arrive au temps où parut Jeanne. Il parle d'elle sans l'injurier, et même sans la dénigrer. Si dans un passage il dit qu'à la cour de Charles VII on la tenait pour une extravagante et pour une idiote, il constate ailleurs que la voix publique qualifiait ses exploits de miracles, et que cette manière de voir avait des partisans même à Rome. A la place importante qu'il lui assigne dans le récit des événements, il est visible qu'il la prenait au sérieux. Peut-être même est-il permis de voir l'indice d'une sympathie secrète dans le nom familier de Jeannette qu'il lui donne constamment au lieu de Jeanne.

  Ses informations, sans être des plus sûres, lui ont appris des choses que les autres chroniqueurs ont ignorées. Il fut en situation de se procurer des pièces officielles, de celles au moins que le gouvernement anglo-bourguignon faisait circuler. Quelques-unes sont rapportées in extenso dans son texte, entre autres l'armistice que Charles VII conclut avec le duc de Bourgogne dans le moment que la Pucelle se préparait à emporter Paris d'assaut. C'est là un document qui à lui seul donnerait au récit où il se trouve inséré la valeur d'un témoignage capital pour l'histoire de Jeanne d'Arc.
  J'ai parlé plusieurs fois déjà de cet armistice, ayant eu occasion d'en faire connaître le texte d'après un vidimus qui est aux archives communales de Douai (2). Je dois confesser que lorsque je le publiai, je n'avais point fait attention qu'il était déjà mentionné dans l'Histoire de Charles VII de Vallet de Viriville (3). Ce consciencieux érudit en eut connaissance précisément par le manuscrit 23018 de la Bibliothèque nationale, et il n'a pas manqué de lui donner une place dans son récit ; mais il l'a présenté de telle façon qu'il est impossible d'en saisir la portée à moins de se livrer à une opération de critique, c'est pourquoi la valeur du document, et par suite la mémoire du passage qui lui est consacré, échappèrent à beaucoup de lecteurs, du nombre desquels je m'accuse d'avoir été.
  Comme il ne faut pas reculer devant les redites lorsqu'on a le désir de faire entrer la vérité dans les esprits, je répéterai ici les explications que j'ai données au sujet de la négociation dont il s'agit.
  Dès le lendemain du sacre de Charles VII, deux politiques entièrement opposées furent en lutte. D'une part la Pucelle voulait continuer sa marche victorieuse, reconquérir Paris, réduire les Bourguignons et les Anglais à subir la loi du roi de France remis en pleine possession de sa couronne. Elle affrmait pouvoir faire cela en peu de temps, et tout donne à penser qu'elle ne se trompait pas.
  L'opinion des conseillers de Charles VII était au contraire qu'il fallait suspendre toute agression et négocier avec le duc de Bourgogne pour amener sa réconciliation avec le roi, parce qu'on ne pourrait venir à bout des Anglais, suivant eux, que lorsque la division aurait cessé dans la maison de France.

  On vit à l'épreuve ce que valait ce dernier parti, qui fut malheureusement celui qui prévalut. Outre que les démarches pour arriver à la réconciliation prolongèrent de six ans l'état de guerre civile et étrangère, tel qu'il existait auparavant : après que la réconciliation fut consommée le royaume resta livré pendant quinze ans encore, partie à l'occupation anglaise, partie aux ravages d'une soldatesque encore plus malfaisante que l'ennemi. Et le rapprochement dont les bons effets furent si longs à se faire sentir, à quel prix fut-il acheté Il fallut pour l'obtenir que Charles VII fit amende honorable à Philippe le Bon de l'assassinat de son père ; il fallut que la royauté se soumît à une humiliation sans exemple, dont le ressentiment amena plus tard de nouvelles et non moins terribles convulsions que celles auxquelles on avait cru remédier pour toujours.
  Mais ce sont là les fruits éloignés de la politique adoptée par le gouvernement de Charles VII. La conséquence immédiate qui en sortit fut l'abandon de Jeanne d'Arc.

  Elle voulait la guerre quand le roi et les princes jugeaient la paix nécessaire, et d'un autre côté on n'aurait pas osé lui ôter son commandement à cause de l'ascendant qu'elle exerçait sur les troupes. On prit le parti de la laisser agir toute seule et se tirer comme elle pourrait des opérations qu'elle s'obstinait à poursuivre. Cela est exprimé dans l'armistice en termes qui, pour être indirects, n'en sont pas moins positifs. Par cet acte, en effet, Charles VII étant à Compiègne tandis que l'avant-garde de son armée campait déjà à Saint-Denis, déclare les hostilités suspendues pour cinq mois, du 28 août au 25 décembre. Paris seulement est excepté, et il est excepté non pas avec la clause que le roi se réserve de faire ce qu'il faudra pour rentrer en possession de sa capitale, mais avec la faculté garantie au duc de Bourgogne de se porter à la défense de la ville contre qui tenterait de l'attaquer. L'acte dit en propres termes : "Réservé à notre dit cousin de Bourgogne que, si bon lui semble, il pourra durant ladite abstinence employer lui et ses gens à la défense de la ville de Paris et résister à ceux qui voudroient faire guerre ou porter dommage à icelle."
  Stipuler une pareille chose pendant que la Pucelle était devant Paris et tout entière aux apprêts d'une attaque contre la ville, n'était-ce pas proclamer qu'on se désintéressait de son entreprise et signifier aux ennemis qu'ils n'allaient plus avoir en face d'eux qu'une indocile désavouée par son roi ?
  L'évènement répondit à ce qu'on devait attendre d'une semblable déclaration. Le roi se tint à Saint-Denis avec la plus grande partie de son armée dans la journée où Jeanne se consuma en efforts pour faire passer par dessus les premiers retranchements de la ville les hommes de bonne volonté qui l'avaient suivie. Blessée, elle tomba. Il fallut battre en retraite. La série des revers qui allaient ruiner son prestige avait commencé.

  Un vainqueur qui traite avec l'allié du vaincu pour solliciter de lui une défaite est quelque chose de si extraordinaire que, même du côté des ennemis, le plus grand nombre ne le comprit pas. On vit dans l'armistice une nécessité à laquelle le roi de France avait été amené par l'échec de ses armes devant Paris, et cette opinion s'accrédita d'autant mieux que le gouvernement anglais ne donna de publicité au traité du 28 août que dans le mois d'octobre suivant. Monstrelet et le chroniqueur de Paris ont été sous le coup de cette erreur. Quant à notre auteur anonyme, il n'a pas pu se méprendre sur la date de l'acte, puisqu'il le transcrivait en son entier ; mais il a commis un anachronisme d'un autre genre. Il s'est figuré, raisonnant d'après la vraisemblance, que la tentative sur Paris, qui est du commencement de septembre, avait précédé l'armistice, et il l'a mise au commencement d'août tant il répugnait à la raison d'admettre la possibilité des faits dans l'ordre où ils s'étaient produits.
  Quoique le texte de l'armistice ait été déjà mis en lumière, il m'a semblé indispensable de le réimprimer en même temps que la chronique avec laquelle il fait corps, d'abord parce qu'il y est transcrit plus correctement que dans l'expédition conservée à Douai ; ensuite parce qu'il n'existe imprimé que dans un volume déjà ancien de la Revue de Normandie, qui est un recueil peu répandu en dehors de la province où il se publie.
  Le traité du 28 août dans la transcription de notre chronique, ainsi que dans l'expédition authentique de Douai, est suivi d'un acte additionnel du 18 septembre suivant par lequel est retirée l'exception relative à Paris et à plusieurs forteresses environnantes (4). Ce fut un nouveau gage donné au duc de Bourgogne par Charles VII qui avait déjà retrogradé jusqu'à Senlis afin d'effectuer sa retraite au delà de la Loire par la Brie et le Gâtinais.
  Enfin il y a une troisième pièce, insérée à la suite des deux autres, qui est l'institution du duc de Bourgogne comme lieutenant-général du roi d'Angleterre à Paris et autres pays conquis, quatre places et la Normandie exceptées. C'est la clôture de la belle campagne diplomatique que venait d'exécuter le gouvernement français, le témoignage de la reconnaissance des Anglais envers le prince qui les avait débarrassés à si bon marché de la présence de Jeanne d'Arc. Le fait était connu ; l'acte qui le constate n'avait pas encore été publié autrement que par une analyse que M. Tuetey en a donnée dans une publication récente d'après l'un des registres du parlement de Paris (5).


                                             
         Jules Quicherat (13 octobre 1814 - † le 8 avril 1882)


Chapitres :

- Chinon
- Orléans
- Marche sur Reims, Troyes
- Reims
- Paris
- Début de la diplomatie
- Suite de la conquête de l'armée française
- Beauvais, paix de Compiègne
- Paix de Compiègne, suite
- Le duc de Bourgogne devient le lieutenant-général de Paris
- Les hostilités de 1430
- Compiègne, capture de Jeannette
- Mort de Jeanne



                                         

n ce temps arriva devers le daulphin une josne fille née en Lorraine et fille d'un poure laboureur, laquelle se faisoit nommer Jennette la Pucelle et avoit gardé les brebis ou village dont elle estoit née ; laquelle Pucelle estoit en parolle et en contenance moult innocente, comme il sambloit, et toutesfois elle feit entendant que par divine inspiracion elle debvoit faire mectre ledit daulphin en possession de son royaume de France et le faire par tout obéir. Et tant donna à entendre à son père et à ses amis, que elle fut par ung sien frère et autres que elle trouva ses adjoins, amenée devers icelui daulphin; et là par ses parolles icelui daulphin la retint à sa cour et la mist en très grand estat : dont le plus grand partie de ses gens furent moult esmerveilliés, car ilz tenoient icelle Jennette à folle et à nyce.
  Celle Jennette, quant elle fu en ce party retenue dudit daulphin et mise en estat, requist estre montée et armée comme ung homme d'armes, en disant que elle feroit merveilles ; et ainsi en fu fait. Et se commencha à mettre en armes et sievir les routes. Et tantost après ce, se assemblèrent grant foison de gens d'armes pour lever ledit siége d'Orlians, après le traictié failly comme dit est (6). Et en celle assamblée se bouta et mist ladite Pucelle, et leva ung estandart où elle fit mettre Jhesus ; et maintenoit estre envoiie de par Dieu pour mettre ledit daulphin en possession du royaulme de France.


  En ce temps arriva vers le Dauphin une jeune fille née en Lorraine, d'un pauvre laboureur ; elle se faisait nommer Jeannette la Pucelle. Elle avait gardé les brebis au village où elle était née. A la juger à ses paroles et à sa contenance, elle était très innocente, ou tout au moins le paraissait. Et cependant elle faisait entendre que par divine inspiration elle devait faire mettre le Dauphin en possession de son royaume de France, et le faire partout obéir. Elle donna tant à entendre à son père et à ses amis qu'elle se fit amener jusque vers le Dauphin par un sien frère et par d'autres qu'elle avait su s'adjoindre. Là elle parla si bien que le Dauphin la retint à sa cour et la mit en très grand état; ce dont la plus grande partie de ses gens s'émerveillèrent fort; car eux tenaient cette Jeannette pour folle et niaise.
  Quand elle fut retenue en ce parti du Dauphin et mise en état, elle requit d'être montée et armée comme un homme d'armes, promettant qu'elle ferait merveilles. Et ainsi il en fut fait. Elle commença à se mettre en armes, et à suivre les routes. Bientôt après se réunirent un grand nombre de guerriers pour faire lever le siège d'Orléans, après les négociations qui avaient échoué, ainsi qu'il a été dit. Ladite Pucelle se mit en assemblée ; elle arbora un étendard sur lequel elle avoit fait inscrire : Jhésus; et elle maintenait être envoyée par Dieu pour mettre le Dauphin en possession du royaume de France.



                                         

  l'entrée du mois de l'an mil ccccxxix, fu le siege levé de devant Orléans par force et puissance de la partie du daulphin. Et y fu ladicte Pucelle qui commença à faire merveilles tant de fait que de parolles, et briefment elle fist tant qu'elle commença à avoir une grande renommée. Et avoient ceulx de ce party grand esperance en elle. Là furent les bastilles des Anglois prises et arses, et si eubt grand desconfiture desdiz Anglois et grant occision.

  Après le siège d'Orléans levé, se mist le daulphin de France sus à toute puissance, et reconcquisrent ses gens et la Pucelle Baugensy, Meun, Gergeau et autres fortresses plusieurs sur lesdits Englois. Et y fu prins le seigneur de Talbo et plusieurs autres seigneurs et cappitaines de party desditz Englois, qui furent depuis, long tamps detenus prisonniers, par especial ledit seigneur de Talbor qui fu prison à Poton de Sainte-Treille, à la prise dudit lieu de Gergeau, qui fu prise de assault et de force.

  Le XVIII° jour de juing après disner, assamblérent les gens du régent (7), qui s'estoit mis sus contre les gens dudit daulphin, et furent Engloix desconffis emprès Yenville et Estampes, et retourna le régent à Paris à pau de gens. Et tantost après y fu envoyés le seigneur de Lille-Adam.
  Quant le daulphin de Viennoix fu mis sus, et la Pucelle tousjours au plus près de luy en armes comme ung cappitaine, et grans gent dessoubz elle, il commença à concquester places et païs par le fait et renommée qui par tout se commencha à espandre de ladicte Pucelle, et n'estoit fortresse qui à sa simple parolle et semonce ne se volsit rendre, cuidans et esperans par ses merveilles que ce fuist chose divine ; car elle faisoit merveille d'armes de son corps et manyoit un bourdon de lance très puissamment et s'en aidoit raddement, comme on véoit journellement ; et avec ce amonnestoit les gens ou nom de Jhesus, et faisoit preschemens affin de actraire le peuple à luy rendre, et obéir audit daulphin. Et fist tant finablement que renommée couru partout jusques à Romme qu'elle faisoit miracles, et que, puisqu'elle venoit devant une place, les gens de dedans, quelle volonté qu'ilz eussent paravant de non obéir audit daulphin ne à elle, estoient tous muez et faliz et n'avoient nulle puissance de eulx defendre contre elle et tantost se rendoient, comme Sens, Ausoirre et aultres fortresses, combien que le roi n'entra point en aucunes; mais il eubt vivres pour son argent, etc... Et vint sa grant renommée à estre continuée par la ville de Troies en Champaigne, qui tousjours avoit tenu le party de Bourgoigne et promis de le tenir et ensievir ; et toutesfois elle fut rendue incontinent, sans cop ferir, à la monicion et semonce d'icelle Pucelle : dont toutes gens furent esbahis et meismement les princes et seigneurs tenans ledit party de Bourgoigne, qui estoient en très grand doubtance.


  A l'entrée du mois de mai de l'an 1429, le siège mis devant Orléans fut levé par la force et puissance des partisans du Dauphin. La Pucelle s'y trouva ; et en un mot, elle fit tant qu'elle entra en possession d'une grande renommée. Ceux de son parti fondaient sur elle de grandes espérances. Les bastilles des Anglais furent prises et brûlées ; les Anglais y éprouvèrent de grandes défaites et grande perte de leurs hommes.

  Le siège d'Orléans levé, le Dauphin déploya toutes ses forces ; ses gens et la Pucelle reconquirent Baugency, Meung, Jargeau et plusieurs autres forteresses sur les Anglais. Le seigneur de Talbot et plusieurs autres seigneurs et capitaines furent pris. Ils furent dans la suite longtemps détenus en prison, spécialement Talbot (8) remis comme prisonnier à Poton de Xaintrailles lors de la prise de Jargeau, ville qui fut enlevée de force et par assaut.

  Le dix-huitième jour de juin, après dîner, les gens du régent, qui s'étaient réunis mis en campagne contre ceux du Dauphin, furent complètements défaits près d'Yenville et d'Étampes. Le régent retourna à Paris avec peu de ses gens ; le seigneur de l'Isle-Adam fut aussitôt après envoyé dans cette ville. Le Dauphin viennois ainsi relevé, la Pucelle se tenant toujours auprès de lui armée comme un capitaine et ayant grand nombre de gens sous ses ordres, le Dauphin commença à conquérir places et pays, grâce aux exploits de la Pucelle et à la renommée qui commença partout à se répandre de la jeune fille. Il n'y avait pas de forteresse qui, sur sa simple parole et sommation, ne voulût se rendre, pensant et espérant à cause de ses merveilles que c'était chose divine. Elle faisait merveilles d'armes avec son corps, maniait très puissamment le bourdon de sa lance, et s'en aidait aisément, ainsi qu'on le voyait journellement. Avec cela elle admonestait les gens au" nom de Jésus, et faisait des prêchements pour inviter le peuple à se rendre à lui et à obéir au Dauphin. Elle fit tant enfin que la renommée qu'elle faisait des miracles courut partout, jusques à Rome. L'on disait que dès qu'elle venait devant une place, les gens de dedans, quelque volonté qu'ils eussent avant de n'obéir ni au Dauphin ni à elle, étaient tous changés, sans courage, privés de toute puissance pour se défendre contre elle, et se rendaient tout aussitôt, comme firent Sens (9), et d'autres forteresses, encore que le roi n'entrât pas dans quelques-unes, mais il en obtint des vivres pour son argent. Une si grande renommée suivit la Pucelle jusques à Troyes-en-Champagne, ville qui avait toujours tenu le parti de Bourgogne, et avait promis de le tenir et de ne pas s'en séparer. Et cependant la ville se rendit incontinent, sans coup férir, sur l'admonition et sommation d'icelle Pucelle. Ce dont toutes gens furent ébahis, surtout les princes et seigneurs tenant le parti de Bourgogne, qui étaient en grande perplexité.



                                         

 l'entrée de juillet, alla le duc de Bourgoigne à Paris, acompaignié de messire Jehan de Luxembourg et autres seigneurs de Picardie, pour mettre provision et garnison à l'encontre de l'emprise dudit daulphin, et puis s'en retournèrent en Picardie ; et ramena ledit duc, sa sœur, femme dudit régent, qui fu avec luy grant espace de temps, pour les grans perilz qui estoient apparans advenir en France...

  ...En ce temps, après la reddition de Troies, conquist ledit daulphin moult de villes et fortresses par le moien de la Pucelle qui lors tolly tout le nom et les fais des cappitaines et gens d'armes de sa compaignie dont aucuns d'iceulx n'estoient mie bien contens ; et mist en son obéissance tout le païs dessus la rivière de Loirre, Auserrois et Champaigne, excepté aulcunes fortresses que Perrinet Crasset tenoit, qui oncques ne se volrent rendre ne obéir audit daulphin, mais fist iceluy Perrinet moult de griefz et contraires aux gens d'icelui daulphin.
  En ce temps envoia le duc de Bourgongne ses ambaxeurs à Rains, affin que il entretenissent leur serment de la paix final, et que ilz demourassent en l'obéissance du roy Henry et de luy ; et ainsi le promirent à faire.


  A l'entrée de juillet, le duc de Bourgogne accompagné de Messire Jean de Luxembourg et d'autres seigneurs de Picardie alla à Paris pour prendre des mesures et s'assurer des forces à l'encontre des entreprises du Dauphin; ils s'en retournèrent ensuite en Picardie. Le duc ramena avec lui sa soeur, femme du régent, qui resta longtemps avec lui à cause des grands périls qui semblaient devoir advenir en France.
  
  En ce temps, après la reddition de Troyes, le Dauphin conquit beaucoup de villes et de forteresses par le moyen de la Pucelle, qui dès lors attira tout le renom des faits des capitaines et des gens de sa compagnie ; ce dont quelques-uns de ces derniers ne furent nullement contents. Elle mit en son obéissance tout le pays au-dessus de la Loire, l'Auxerrois et la Champagne, à l'exception de quelques forteresses tenues par Perrinet Grasset, qui ne voulut jamais se rendre ni obéir audit Dauphin, mais fit beaucoup de dommages et de maux avec ses gens.
  En ce temps, le duc de Bourgogne envoya ses ambassadeurs à Reims pour exhorter les habitants à garder leur serment de lui rester unis jusqu'à la paix finale, et de demeurer en l'obéissance du roi Henri et de lui-même ; et ils promirent d'ainsi le faire.



                                         

ant alla le dauphin de Viennoix et son armée, que il arriva emprès de Rains. Et cependant, ou moix de juing, fist le régent de France une grosse armée pour aller contre le daulphin, et recuellit et mist sus les gens d'armes qui estoient escappés et sauvés de devant Orléans et Yenneville. Et endementiers que son armée se mettoit sus, conquestoit tousjours le daulphin et sa Pucelle, et tant que ilz vinrent à Septsaus emprès Rains. Et envoia ledit daulphin audit lieu semonre ceulx de la ville à luy faire ouverture et obéissance; combien qu'ilz avoient promis aux ambaxateurs du duc de Bourgongne de eulx tenir contre le daulphin.

  Quant ceulx de Rains oyrent le semont que on leur faisoit de eulx rendre, ilz allérent à conseil, auquel ilz se conclurent tantost de faire ouverture et obéissance audit daulphin comme à leur seigneur naturel. Et ainsi fu fait, et entra en la ville l'archevesque de Rains, chancellier dudit daulphin, le XVI° jour de juillet, ety fist son entrée en très grande compaignie. Si fu receu et convoiez très grandement.
  En la compaignie du daulphin à faire son entrée à Rains, le dimance XVII° jour dudit moix de juillet, estoient les contes de Richemont, d'Alenchon et de Vendomme, Charles de Bourbon, le filz du conte d'Alenchon, les seigneurs de La Trimouille et de Bosquiaux, de Grantpré, de Graville, de Gamaches, Poton de Sainte-Treille, les sieurs de Gaucourt et de Dampierre, Christoffle de Harcourt, Estienne de Vignolles, dit Lahire, la Pucelle et autres cappitaines et seigneurs en grand nombre. Et avoit en sa compaignie grant puissance de gens d'armes et de communes qui tous les jours luy croissoient. Et fu, ce dit jour, sacré en l'église dudit lieu par ledit archevesque ; et le jeudi ensuiant, il fu pour faire garir les malades à Marcois (10). Et chevaulçoit ladite Pucelle devant le roy, toute armée de plain harnas, à estandart desployé ; et quant elle estoit desarmée, s'avoit elle estat et habis de chevalier, sollers lachiés dehors piet, pourpoint et cauches justes et ung chapelet sur le tieste ; et portoit très nobles habis de draps d'or et de soie bien fourés.

                       


  Le Dauphin viennois et son armée s'avancèrent tellement qu'ils arrivèrent
près de Reims. Cependant, au mois de juin, le régent de France avait fait une grosse armée pour aller contre ledit Dauphin, recueillant et mettant sur pied tous ceux qui s'étaient échappés et s'étaient sauvés d'Orléans et d'Yenville ; mais, pendant qu'il mettait son armée sur pied, le Dauphin et la Pucelle faisaient tous les jours des conquêtes, et étaient arrivés à Sept-Saulx non loin de Reims. Le Dauphin envoya sommer les habitants de cette ville de lui ouvrir leurs portes, et de lui rendre obéissance, malgré qu'ils eussent promis aux ambassadeurs du duc de Bourgogne, ainsi qu'il a été dit, de résister à ce même Dauphin.

  Quand les habitants de Reims entendirent la sommation qu'on leur faisait de se rendre, ils se réunirent en conseil, conclurent aussitôt d'ouvrir leurs portes et de rendre obéissance au Dauphin, comme à leur seigneur naturel, et ainsi il fut fait. L'archevêque de Reims, chancelier du Dauphin, entra à Reims le 16 juillet, et il y fit son entrée avec une très grande suite. Il fut reçu et félicité très grandement.
  En la compagnie du Dauphin, pour faire son entrée à Reims, le dimanche XVIIe jour du mois de juillet (11), étaient les comtes de Richemont, d'Alençon, les seigneurs de La Trémoille, de Bosquiaux, de Grandpré, de Graville, de Gamaches, Poton de Xaintrailles, les seigneurs de Gaucourt et de Dampierre, Christophe d'Harcourt, Etienne de Vignoles dit La Hire, la Pucelle et autres capitaines et seigneurs en très grand nombre. Il avait en sa compagnie une forte armée de gens d'armes et d'hommes des communes qui croissait tous les jours. Ledit jour, il fut sacré en l'église de Reims par l'Archevêque. Le jeudi suivant il fut à Saint-Marcoul pour la guérison des malades. La Pucelle chevauchait devant le roi, armée de toutes pièces, l'étendard déployé. Quand elle était désarmée, elle portait l'habit et avait l'état d'un chevalier, des souliers avec des lacets en dehors du pied, pourpoint et chausses justes, un petit chapeau sur la tête ; elle portait de très nobles habits de draps d'or et de soie, bien fourrés.



                                         

ndementiers que le roy Charles estoit à Rains, il envoia à Laon, qui pareillement luy fist obéissance et ouverture à ses commis ; car il n'y entra point. Et le XXI° dudit mois de juing, le Hire, nommé nouvel bailli de Vermandois de par ledit seigneur, sist en siege royal ; et fu Henris Davide faits provost et cappitaine de Laon ; mais le roy n'y entra point, comme dit est, et laissa Saint-Quentin, qui demoura sans luy faire ne reffuser obéissance. Si s'en alla à Soissons et de là à Senlis ; qui se rendirent à luy pareillement que les aultres dont cy devant est faicte mension ; mais la ville de Noyon ne luy fist nulle obéissance. Et audit lieu de Senlis se tint le roy une espace de temps et envoia son armée et la Pucelle à Saint-Denis, et il meismes y fu après, sans luy faire couronner ; et puis envoya sa puissance devant Paris par pluiseurs foix, dont à l'une le duc d'Alenchon et la Pucelle, emprès Saint-Laurens, furent par ceulx de Paris recachiés et rués jus, jusques au nombre de VI a VIIc (12) hommes mors. Et se retrahirent lors à Senlis.
  Et une aultre foix livrèrent assault d'un lez à ladicte ville de Paris en deschendant de Montmartre, et là fist la Pucelle merveilles, tant de parolles et amonnestemens, comme de donner cuer et hardement à ses gens de assalir ; et elle meismes alla si près que elle fu navrée de tret en une cuisse et rachassie elle et toute son armée : et ne conquisrent riens à leur assault. Et estoit la ville de Paris gardée et deffendue par le seigneur de l'Isle-Adam, qui y avoit esté envoié à grant puissance de par le duc de Bourgongne, c'est assavoir, le seigneur de Saveuses, messire Hue de Lannoy, les bastars de Saint-Pol et de Thyans, et aultres ; et endementiers estoit le régent de France sur les camps à toute puissance sur la rivière de Saine avec le cardinal de Vicestre et le seigneur de Viluy (13), arrivez de nouvel à tout VIIm combatans.


  Pendant que le roi Charles était à Reims, il envoya à Laon, qui lui fit pareillement obéissance et ouvrit ses portes aux. envoyés ; lui-même n'y vint pas ; mais le XXIIe dudit mois de juin (juillet), La Hire, en qualité de nouveau bailli du Vermandois nommé par le roi, s'assit en siège royal. Henri David fut fait prévôt et capitaine de Laon, où, comme il vient d'être dit, le roi n'entra point. Il laissa Saint-Quentin qui resta sans lui faire ni lui refuser obéissance. Il vint à Soissons, de là à Senlis qui se rendirent à lui ainsi que l'avaient fait les autres villes dont il a été fait mention; mais Noyon ne lui fit nulle obéissance. Le roi se tint quelque temps à Senlis, d'où il envoya son armée et la Pucelle à Saint-Denis ; il y vint lui-même après, et ne s'y fit pas couronner. Il envoya son armée devant Paris (14) par plusieurs fois. Dans une de ces attaques, près de Saint-Laurent, le duc d'Alençon et la Pucelle furent repoussés et battus, jusqu'à avoir de six à sept cents morts (15); et ils se retirèrent alors à Senlis (16).
  Une autre fois ils livrèrent l'assaut du côté qui se trouve à la descente de Montmartre. La Pucelle y fit merveille par ses paroles, par ses pressantes invitations, donnant coeur et hardiesse à ses gens d'aller à l'assaut ; elle s'avança elle-même de si près qu'elle fut blessée d'un trait à la cuisse. Repoussée, elle et son armée, l'assaut ne leur valut aucun avantage. La ville de Paris était gardée et défendue par le seigneur de Saveuse, messire Hue de Lannoy, les bâtards de Saint-Pol et de Thyans et d'autres. Pendant ce temps, le régent de France tenait la campagne sur la rivière de la Seine avec son armée. Avec lui étaient le cardinal de Winchester et le seigneur de Villougby, arrivés depuis peu avec sept mille combattants.



                                         

inchois que le roy Charles allast devant Paris, avoit eu ung conseil entre l'archevesque de Rains, le seigneur de La Trimouille, Poton et La Hire d'une par, et messire Jehan de Luxembourg, le chancellier de Bourgongne, les seigneurs de Croy et sire Bourdin de Saligny et autres ; mais il n'y eubt nulle conclusion de abstinences ne de paix ; et fu la journée tenue emprès La Fère.

  Quant les gens du roy virent que ilz n'aroient point de obéissance à Paris, on envoia à Compiengne par pluseurs foix ; et enfin se rendy par traictié et fist obéissance audit roy Charles, et y fu commis Willaume de Flavy, cappitaine, à grant puissance. Et se rendirent tous les fortresses de Creil, le pont Saint-Massence, Chasteau-Thierry et aultres pluiseurs ; mais Breteuil et Chartres se tinrent avec Ponthoise, Mante, Vernon, les pons à Meulen, Charenton, bois de Vissaine et aultres. Et ainsi demoura la guerre par tout le royaulme comme devant. L'entrée du moix de septembre, firent les Bourguignons de la haulte Bourgongne une destrousse sur les gens du duc de Bar à cause du seigneur de Vergey.

  En ce tamps, le III ° jour du mois d'aoust, party le régent de Paris en armes et envoia unes lettres au roy Charles sur le fait de ses assemblées et concquestes, desquelles la teneur s'ensieut :

  "Nous Jehan, régent de France, duc de Bethfort, faisons savoir à vous, Charles de Valloix, qui vous souliés nommer daulphin de Viennoix et maintenant sans cause vous dictes roy, etc..."


  Avant que le roi Charles allât devant Paris, il y avait eu un conseil entre l'archevêque de Reims, le seigneur de La Trémoille, Poton et La Hire d'une part, et Messire Jean de Luxembourg, le chancelier de Bourgogne, les seigneurs de Croy et Lourdin de Saligny de l'autre; mais, en conclusion, on n'en vint ni à une trêve ni à une paix. La journée fut tenue près de La Fère.

  Quand les gens du roi virent que Paris ne viendrait pas à obéissance, des députés furent par plusieurs fois envoyés à Compiègne. La ville se rendit par traité et fit obéissance au roi Charles. Guillaume de Flavy y fut commis pour capitaine avec de grandes forces. Alors se rendirent les forteresses de Creil, le Pont-Sainte-Maxence, Château-Thierry, Lagny et plusieurs autres ; mais Breteuil, Chartres tinrent bon, ainsi que Pontoise, Mantes, Vernon, le Pont-à-Meulan, Charenton, le bois de Vincennes et d'autres. La guerre demeura ainsi par tout le royaume de France...

  ...En ce temps, le troisième jour du mois d'août, le régent partit en armes de Paris, et envoya une lettre au roi Charles sur le fait de ses guerres et conquêtes... (17)



                                         

on obstans ces lettres, le roy Charles ne prist ne volt prendre nulle journée de combatre, ne aultrement, mais tousjours conquestoit païs. Et toutesfois furent les deux puissances de Franchois et de Engloix par troix jours bien près l'un de l'autre en plains camps ; mais les Engloix, qui n'estoient point de si très grant puissance que les Franchoix, se encloïrent et ne volrent yssir horz de leur cloz, sinon pour combattre à piet, et leurs ennemis estoient trop et les euissent combatus de piet et de cheval. Et pour ce demoura le chose en ce point, excepté qu'il y eubt aucuns gentilzhommes de Picardie de la garnison de Paris qui estoient à cheval, lesquels le jour de Nostre-Dame my aoust se frappèrent en l'ost du roy sur ceulx de cheval, et là y eubt ung estour de fers de lances sans grant perte d'un costé ne d'autre. Et y furent fais chevaliers le bastard de Saint-Pol, Jehan de Créquy, Jehan de Bonneul, Jehan de Fosseux et Mahieu de Landas, Anthoine de Béthune seigneur de Moreuil, Jehan de Croy et aultres. Et estoient à ce jour sur le vespre retraites les batailles de piet de chacune partie, et le roy Charles retourné à Crespy-en-Valloix.


  Nonobstant ces lettres, le roi Charles ne prit et ne voulut prendre aucune journée, ni pour combattre ni pour conférer; mais il conquérait toujours de nouveaux pays. Toutefois les deux armées française et anglaise furent durant trois jours bien près l'une de l'autre en rase campagne; mais les Anglais, moins en force que les Français, se renfermèrent dans une clôture et ne voulurent pas sortir de leur enceinte, sinon pour combattre à pied; leurs ennemis étaient trop nombreux, et ils les eussent combattus à pied et à cheval. Pour cela la chose demeura en ce point, excepté que quelques gentilshommes de Picardie de la garnison de Paris étant à cheval, attaquèrent, en la fête de Notre-Dame de la mi-août, ceux de l'armée du roi qui eux aussi étaient à cheval. Il y eut alors une passe de fers de lance sans grande perte ni d'un côté ni de l'autre... Sur le soir de ce jour, les bataillons à pied de chacune des parties se retirèrent, et le roi Charles retourna à Crépy-en-Valois.


                                         

n ce temps se rendy en l'obéissance du roy Charles la cité de Beauvaix et partie du pays de Beauvesis, et allèrent ses gens par le païs en diverses parties prendre par traictié et non de force villes et chastiaulx. Et cependant commenchèrent pluiseurs traictiés et parlemens entre les gens dudit roy et de monseigneur de Bourgongne, et fu l'arcevesque de Rains, chancellier d'iceluy roy, et pluiseurs autres ses ambaxateurs, à Arras devers ledit duc de Bourgongne, environ la my-aoûst, et finablement furent trièves prises entre iceulx deux princes par le moien des ambaxateurs que le duc de Savoie avoit anvoié devers eulx pour le bien de la paix pourcacher. De la manière desquelles trieves ou abstinance de guerre la vérité s'ensuit par la coppie des lettres qui en furent faictes. (18)

  "A tous ceulx qui ces presentes lettres verront ou orront, Simon Morhier, chevalier, seigneur de Villers, consillier du roy nostre sire et garde de la Prevosté de Paris, salut. Savoir faisons que nous, l'an de grace mil IIIIc, et xxix, le vendredi xiii° jour d'octobre, veismes unes lettres de Charles, soy disans roy de France, seellées de son grand seel en chire gaune sur double queue, contenant la fourme qui s'ensieult :
  
  Charles, par la grâce de Dieu roy de France, à tous ceulx qui ces presentes lettres verront, salut. Comme pour parvenir à mectre paix dans nostre royaume et faire cesser les grans et innumerables maulx et inconveniens quy, par les guerres et divisions qui sont en icelluy, y sont advenu et adviennent chascun jour, aiant par le moyen des embaxadeurs de nostre très cher et très amé cousin le duc de Savoie esté nagaires tenues aucunes journées, tant pour nous et noz gens que (sic) comme par nostre cousin de Bourgoingne, et les siens ; et pour ce que la matière de la dicte paix, quy touche pluseurs parties toutes grans et puissans, ne se puelt demener et conduire à bonne fin sans aucun delay et trait de temps, ait samblé ausdicts embaxadeurs qu'il estoit nécessaire prendre abstinence jusques à aucun temps convenable, pour plus aiseement et convenablement durant icelle traictier de la dicte paix ; laquelle abstinence par le moien d'iceulx ambaxadeurs ait esté prinse et accordée entre noz gens pour et ou nom de nous, d'une part, et les gens de notre dit cousin de Bourgoingne pour et ou nom de luy, d'aultre part, et aussy au regard des Anglois, leurs gens, serviteurs et subgez, se ad ce se veullent consentir ès termes et mettes qui s'ensuient : c'est assavoir en tout ce qui est par deça la rivière de Saine, depuis Nogent-sur-Saine jusqu'à Harefleu, sauf et réservées les villes, places et forteresses faisans passage sur la dicte rivière de Saine ; réservé aussi à nostre dit cousin de Bourgoingne que, se bon luy samble, il porra, durant ladicte abstinence, employer luy et ses gens à la deffence de la ville de Paris et resister à ceulx qui vouldroient faire guerre ou porter dommage à icelle ; à commencier la dicte abstinence, c'est assavoir depuis le jour d'uy, xxviii° jour de ce présent mois d'aoust au regard de nostre dit cousin de Bourgoingne, et au regart des ditz Anglois du jour que d'iceulx aurons sur ce receu leurs lectres et consentement ; et durer jusques au jour de Noel prochain venant : Savoir faisons que nous, ces choses considérées, voulans, pour la pitié que nous avons de nostre poure peuple, obvier de tout nostre cuer et intencion à la multiplicacion des ditz maulx et inconveniens, avons baillié, consenty et accordé, et par ces présentes baillions, consentons et acordons bonne et seure abstinence de guerre pour nous, noz pays, vassaux, subgez et serviteurs et ceulx qu'il a en son gouvernement, et les places desdicts vassaulx et serviteurs estans ès termes et limittez dessus déclarées, et aussi pour les villes et païs ci-après declarez, c'est assavoir la ville d'Amiens et le plat païs d'environ du baillage d'Amiens, la ville d'Abbeville et tout le pays de Pontieu, les villes de Noyon, Saint-Quentin, Ghauny, Monstreul, Qorbie, Dourlens, Saint-Riquier, Saint-Wallery, Ribemont et Terouwane, ensemble les plas païs estans à l'environ d'icelles ; et aussy ausdiz Anglois, et tous ès termes et limites et soubz les condicions et reservacions dessus déclarés ; à commenchier icelle abstinence cedit xxviii° jour d'aoust au regart de nostre dit cousin de Bourgoingne, et au regart desdis Anglois du jour que sur ce aurons receu d'eulx leurs lectres et consentement ; et à durer jusques audit jour de Noel prochainement venant, comme dit est ; pourveu aussy que nostre dict cousin de Bourgoingne consente et accorde la pareille abstinence, et nous en baille ses lectres patentes de pareille substance que cestes, et que par ceste presente abstinence ne sera aucunement derogié ne préjudicié aux abstinences par cy devant ordonnées par nostre dit cousin de Savoie, entre aucuns de noz païs et de nostre party et aucuns des pays de nostre dit cousin de Bourgoingne et autres, comprins èsdictes abstinences ; mais demourront icelles abstinences en leur force et vertu durant le temps et en la fourme et manière que contenu est ès lectres sur ce faictes ; et aussy durant le temps de ceste présente abstinence, aucune des parties qui consenteront icelle ne porront ès termes et mettes dessus diz prendre, gangner ne conquester l'un sur l'autre aucune des villes, places ou fortresses estans èsdis termes et mettes, ne n'en recepveront obéissance aucune, posé ores que icelles villes, places ou fortresses se voulsissent voluntairement rendre à l'une des parties ou à l'autre. Et adfin que ceste présente abstinence soit mieulx gardée et entretenue, nous avons pour nous et de nostre part ordonnez conservateurs d'icelle nos amez et féaulx Rigault, seigneur de Fontaines, chevalier, nostre chambellan, et Poton de Sainteraille, nostre premier escuier de corps et maistre de nostre escuierie, ausquelz et à chascun d'eulx donnons plain povoir, auctorité et mandement especial de reparer et faire reparer tout ce quy par aucuns de noz vassaulx, subgez et serviteurs seroit fait, attempté ou innové contre ne ou prejudice de ladicte abstinence, de poursuir et requerir devers les conservateurs quy sur ce seront ordonnez pour la partie de nostre dit cousin de Bourgoingne, la reparacion de tout ce quy de son costé seroit fait, attempté ou innové contre ne ou préjudice d'icelle abstinence, et generalment de faire par nosdiz conservateurs et chacun d'eulx, tout ce qui en tel cas appartient et appartendra estre fait. Sy donnons en mandement à tous noz lieutenans, connestable, mareschaux, maistre des arbalestriers, admiral et autres chiefz de guerre, à tous cappitaines de gens d'armes et de trait estans en nostre service, et à tous noz autres justichiers, officiers et subgez, ou à leurs lieuxtenans, que ladicte présente abstinence gardent, entretiengnent et observent inviolablement et sans l'enfraindre, couvertement ne en appert en quelque manière que ce soit, le temps d'icelle durant ; et ausdiz conservateurs par nous à ce ordonnez et à chascun d'eulx et à leurs commis et deputez en toutes choses regardans l'entretenement et conservacion d'icelle, et la reparacion de ce quy sera attempté ou innové au contraire, s'aucunement advenoit, obéissent et entendent dilligamment, et leur prestent et donnent conseil, confort, assistance et ayde, se mestier est, et il en sont requis.

  En tesmoing de ce, nous avons fait mettre seel à ces présentes.
  Donné à Compiengne, le XXVIII° jour d'aoust, l'an de grace mil cccc et vingt-neuf, et le septiesme de notre règne.
  Ainsi signé : PAR LE ROY, J. Villebresme.

Et nous à cest présent transcript avons mis le seel de ladicte Prevosté de Paris, l'an et jour de venredi, dessus premier dis.
Ainsi signé G. de ROUEN.


  En ce temps, la cité de Beauvais et une partie du pays de Beauvaisis se mirent en l'obéissance du roi Charles. Et ses gens allèrent par le pays de divers côtés, prendre, non de force, mais par traités, villes et châteaux. Cependant plusieurs négociations et conférences commencèrent entre les gens dudit roi et Monseigneur de Bourgogne. Environ mi-août, l'archevêque de Reims, chancelier dudit roi, et plusieurs autres ambassadeurs furent envoyés à Arras vers le duc de Bourgogne. Finalement, des trêves furent conclues entre ces deux princes par l'entremise des ambassadeurs que le duc de Savoie avait envoyés vers eux afin d'y négocier te bien de la paix. Quelles furent les conditions de ces trêves ou abstinences de guerre, on peut le savoir en toute vérité par la copie des lettres qui en furent faites.

  « A tous ceux qui ces présentes lettres verront et ouïront, Simon Morhier, chevalier, seigneur de Villers, conseiller du roi notre Sire et garde de la prévôté de Paris, salut. Savoir faisons que nous, l'an de grâce mil IIIIC et XXIX (1429), le vendredi XIVe (14) jour d'octobre, vîmes une lettre de Charles, soi-disant roi de France, scellées de son grand sceau en cire jaune, sur double queue, contenant la forme qui s'en suit :

« Charles par la grâce de Dieu, roi de France, à tous ceux qui les présentes lettres verront, salut. Pour parvenir à mettre la paix dans notre royaume, et faire cesser les grands et innombrables maux et calamités qui, à la suite des guerres et divisions qui y règnent, y sont advenus et y adviennent chaque jour, certaines négociations ont été ménagées naguère par les ambassadeurs de notre très cher et très aimé cousin le duc de Savoie, entre nous et nos gens d'une part, et notre cousin le duc de Bourgogne et ses gens de l'autre. La matière de cette paix touchant à des points très graves et très importants, ne se peut discuter et être conduite à bonne fin sans demander du délai et long espace de temps. C'est pourquoi il a semblé auxdits ambassadeurs qu'il était nécessaire de conclure des trêves jusqu'à un temps convenable, afin durant ces trêves de traiter plus aisément et plus mûrement de ladite paix. Par le moyen des susdits ambassadeurs, ces trêves ont été arrêtées et accordées entre nos gens et en notre nom d'une part, et les gens de notre cousin de Bourgogne et en son nom d'autre part, et aussi entre les Anglais, leurs gens, leurs serviteurs et sujets, s'ils veulent y consentir, dans les termes et les limites qui suivent,à savoir pour tout le pays qui est en deçà de la rivière de la Seine, depuis Nogent-sur-Seine jusqu'à Harfleur, sauf et réservées les villes, places et forteresses donnant passage sur cette même rivière de Seine, réservé aussi que, si bon lui semble, notredit cousin de Bourgogne pourra durant ladite trêve s'employer lui et ses gens à la défense de la ville de Paris, et résister à ceux qui voudraient faire la guerre ou porter dommage à cette ville. Cette trève commencera aujourd'hui 28° jour d'août pour ce qui concerne notredit cousin de Bourgogne ; et pour les Anglais, le jour où nous aurons reçu leurs lettres et consentement ; et elle durera jusqu'à Noël prochain. Savoir faisons que nous, ces choses considérées, voulant pour la pitié que nous avons de notre pauvre peuple, obvier de tout notre coeur et intention à la multiplication desdits maux et inconvénients, avons donné, consenti et accordé, et par ces présentes donnons, consentons et accordons bonne et sûre abstinence de guerre pour nous, nos pays, vassaux, sujets et serviteurs, et les places desdits vassaux et serviteurs,étant dans les termes et limites ci-dessus déclarés, et aussi pour les villes et pays ci-dessus déclarés, à savoir la ville d'Amiens et le plat pays d'environ du bailliage d'Amiens, la ville d'Abbeville et tout le pays de Ponthieu, les villes de Noyon, Saint-Quentin, Chauny, Montreuil, Corbie, Doullens, Saint-Riquier, Saint-Valery, Ribemont, et Thérouanne, ensemble les plats pays qui sont aux environs de ces villes ; et aussi auxdits Anglais ès termes et limites et sous les conditions et réserves ci-dessus déclarées. Commencera cette abstinence cedit XXVIIIe jour d'août au regard de notredit cousin de Bourgogne ; et au regard desdits Anglais du jour que sur ce nous aurons reçu d'eux leurs lettres et consentement, et durera jusqu'audit jour de Noël prochainement venant, ainsi qu'il est dit, pourvu aussi que notredit cousin de Bourgogne consente et accorde pareille abstinence et nous en donne ses lettres patentes de pareil contenu que celles-ci. Par cette présente abstinence il ne sera nullement dérogé ni préjudicié aux abstinences ci-devant ordonnées par notre cousin de Savoie entre quelques-uns de nos pays et de notre parti, et quelques-uns des pays de notre cousin de Bourgogne et autres compris dans lesdites abstinences ; mais ces trêves conserveront leur force et leur vertu obligatoire, durant le temps et selon la forme et la manière contenues dans les lettres échangées à ce sujet. Durant le temps de cette présente trêve, aucune des parties qui l'auront consentie ne pourront dans les termes et limites ci-dessus désignées, prendre, acquérir, conquérir l'une sur l'autre aucune des villes, places ou forteresses qui y sont comprises; ils n'admettront l'obéissance d'aucune, au cas où ces villes, places ou forteresses voudraient se rendre à l'obéissance de l'une des parties (19). Afin que cette présente abstinence soit mieux gardée et entretenue, nous avons pour nous et de notre part ordonné conservateur d'icelle nos amés et féaux Rigault, seigneur de Fontaines, chevalier, notre chambellan, et Poton de Xaintrailles, notre premier écuyer et maître de notre écurie, auxquels et à chacun d'entre eux nous donnons plein pouvoir,
autorité et mandement spécial de réparer et de faire tout ce qui par quelqu'un de nos vassaux, sujets et serviteurs, serait fait, attenté ou innové de contraire ou de préjudiciable à la présente trêve ; de poursuivre et requérir vis-à-vis des conservateurs qui sur ce seront ordonnés pour la partie de notre cousin de Bourgogne la réparation de tout ce qui de son côté serait fait, attenté ou innové de contraire ou préjudiciable à cette trêve; et généralement de faire par nosdits conservateurs et par chacun d'eux tout ce qu'il appartient et appartiendra de faire en pareil cas. Par suite, nous donnons mandement à tous nos lieutenants, connétables, maréchaux, maîtres des arbalétriers, amiral et autres chefs de guerre, à tous les capitaines et gens d'armes et de trait qui sont à notre service, à tous nos autres justiciers, officiers et sujets, ou à leurs lieutenants, que la présente abstinence soit par eux gardée, entretenue et observée inviolablement, sans l'enfreindre ni secrètement, ni ouvertement, en quelque manière que ce soit, pendant qu'elle durera ; et qu'ils obéissent diligemment, prêtent et donnent conseil, confort, assistance et aide, s'il en est besoin et en sont requis, aux conservateurs par nous à cela ordonnés et à chacun d'eux, à leurs commis et députés, en toutes choses regardant l'entretien et conservation de ladite trêve, et la réparation de ce qui serait attenté ou innové de contraire, si le cas advenait en quelque manière.

« Donné à Compiègne le XXVIIIe jour d'août, l'an de grâce mil CCCC et vingt-neuf et le septième de notre règne. Ainsi signé, de par le roi : J. VlLLEBRESNE. »



                                         

ultre coppie sur le fait desdictes abstinences

  "A tous ceulx qui ces présentes lettres verront, Simon Morhier, etc. Savoir faisons que nous, l'an de grace mil IIIIc et XXIX, le jeudi XIII° jour d'octobre, veismes une lettres de Charles, soy disant roy de France, desquelles la teneur s'ensuit :

  "Charles, etc... Comme pour parvenir au bien de paix et faire cesser les grans maulx et inconveniens quy par les guerres et divisions quy sont en nostre royaulme, y sont advenues et adviennent chacun jour, aient nagaires esté prinses et accordées par le moien des ambaxadeurs de nostre très chier et très amé cousin le duc de Savoie certaines abstinences de guerre entre nous, d'une part, et nostre cousin de Bourgoingne, d'autre part, à durer depuis le XXVIII° jour d'aoust derrain passé jusques au jour de Noel prochain, venant, selon la forme, condicions et reservacions contenues et déclarées en certaines noz autres lectres sur ce faictes, dqnnées en nostre ville de Compiengne le XXVIII° jour d'aoust dessus dis, èsqueles abstinences n'est aucunement comprinse nostre ville de Paris, nostre chastel du bos de Vissaines, noz pons de Charenton et de Saint-Clo et la ville de Saint-Denis : savoir faisons que nous, ces choses considérées et pour certaines autres causes et consideracions a ce nous mouvans, avons, en ampliant de nostre part lesdictes abstinences, consenti et accordé, et par ces présentes consentons et acordons que nostre ville de Paris, nostre chastel du bos de Vincennes, noz pons de Charenton et de Saint-Clo et la ville de SaintDenis dessusdis soient en icelles abstinences comprinses, tout ainsy comme se lesdictes villes et lieux y eussent esté par exprez nommez et déclariez, pourveu toutesvoyes que de nostre dicte ville de Paris et des autres places et lieux cy devant exprimés, en hors ne soit fait par voye de guerre ne aucunement, durant icelles abstinences, chose préjudiciable ausdictes abstinences, et que de ce nostre dit cousin nous baille ses lettres, demeurans tousjours les abstinences dessus dictes en leur force et vertu, sans ce que par ces présentes y soit aucunement derogié ne prejudicié. Et se, par voye de fait, par volonté desordonnée ne autrement, durant icelles abstinences, aucune chose estoit faicte, attemptée ou innovée contre ne ou préjudice d'icelles abstinences, la partie offendue ne porra aucunement proceder par vengeance ne voye de fait, ne par alleguer lesdites abstinences finies ou rompues ; mais en sera faicte réparacion par les conservateurs de la partie quy aura offendu. En tesmoing de ce, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes.

  Donné à Senlis, le XVIII° jour de septembre, l'an de grace mil CCCC vingt neuf et le septiesme de notre règne.
  Ainsi signé : PAR LE ROY EN SON CONSEIL, tenu par Messeigneurs le conte de Clermont, son lieutenant general ès païs deçà Saine, le conte de Vendosme, Vous, Christofle de Harecourt, le doyen de Paris et pluseurs austres presens. J. VILLEBRESME.
  Et nous à cest présent transcript, etc..."


  « A tous ceux que ces présentes lettres verront, Simon Morhier, etc., savoir faisons que nous, l'an de grâce mil IIIIe et XXIX (1429), le jeudi XIIIe jour d'octobre, vîmes une lettre de Charles, soi-disant roi de France, dont la teneur suit :

  « Charles, etc. Pour parvenir au bien de la paix et faire cesser les grands maux et dommages qui, par suite des guerres et des divisions existantes, sont advenus et adviennent chaque jour en notre royaume, certaines abstinences de guerre ont été arrêtées et décrétées naguère, par l'intermédiaire des ambassadeurs de notre très cher et très aimé cousin le duc de Savoie, entre nous d'une part et notre cousin de Bourgogne d'autre part, devant durer depuis le vingt-huitième jour d'août dernier jusqu'au jour de Noël prochain, selon la forme, les conditions, et les réserves contenues et déclarées en certaines de nos lettres sur ce faites, et données en notre ville de Compiègne le vingt-huitième jour d'août ci-dessus indiqué. Comme dans lesdites abstinences ne sont nullement compris notre ville de Paris, notre château du bois de Vincennes, nos ponts de Charenton et de Saint-Cloud, et la ville de Saint-Denis, Savoir faisons que nous, ces choses considérées, et pour certaines autres causes et considérationsà ce nous mouvant, avons, en ampliant de notre part lesdites abstinences, consenti et accordé, et par ces présentes consentons et accordons que notre ville de Paris, notre château du bois de Vincennes, nos ponts de Charenton et de Saint-Cloud, et la ville de Saint-Denis, soient compris dans lesdites abstinences, tout ainsi que si lesdites villes et lieux y eussent été expressément nommés et déclarés, pourvu toutefois que ceux de notre ville de Paris, et des autres lieux et places cidevant exprimés comme en dehors, ne fassent durant ces abstinences, par voie de guerre ou autrement, rien de préjudiciable à la trêve, et que de ce notre cousin nous donnera des lettres ; les abstinences dessusdites restent en leur force et vertu, sans qu'il y soit en rien préjudicié ni dérogé par les présentes. Si par voie de fait, par volonté désordonnée, ou de tpute autre manière, quelque chose était fait, attenté, innové de contraire ou d'opposéà ces abstinences, la partie offensée ne pourra nullement procéder par vengeance ou voie de fait, alléguer que lesdites abstinences ont pris fin ou sont rompues; mais la réparation en sera faite par les conservateurs de la partie qui aura offensé.

  « En témoin de ce, nous avons fait mettre notre sceau à ces présentes. Donné à Senlis, le dix-huitième jour de septembre, l'an de grâce 1429, et le septième de notre règne. Ainsi signé : Par le roi en son conseil, tenu par Mgr le comte de Clermont, son lieutenant général ès pays en deçà de la Seine, le comte de Vendôme, nous, Christophe de Harcourt, le doyen de Paris, et plusieurs autres présents.
« J. VILLEBRESNE. »



                                         

ultre coppie de lettres du roy Henry par lesquelles il commist le duc de Bourgongne gouverneur de Paris et d'ailleurs.

  "Henry, par la grace de Dieu roy de France et d'Engleterre, à tous ceulx qui ces présentes lectres verront, salut.
  Savoir faisons que, comme nostre très chier et très amé oncle Jehan, regent de nostre royaulme de France, duc de Detheford, considerant les grans affaires et diverses charges qu'il a à supporter pour le present tant pour le gouvernement de nostre dit royaume, comme meismement pour nostre duchié de Normandie auquel nos anemis et adversaires se sont boutés à grosses puis sances, ait prié, requis bien instamment, cordiallement et adcertes nostre très chier et amé oncle Philippe, due de Bourgongne, conte de Flandre, d'Artois et de Bourgongne palatin, et de Namur, seigneur de Salins et de Malines, de luy aidier à conduire et supporter partie desdittes affaires, et par especial de prendre et accepter le gouvernement et garde de nostre bonne ville, prevosté et visconté de Paris et des villes et villaiges de Chartres, de Melun, Sens, Troyes, Chaumont en Vassigny, Saint-Tangou, Vermandois, Amiens, Tornesis et SaintAmand et le seneschauchée de Ponthieu, reservées les villes et chastiaux et chastelenies de Dreux, Villeneufve-le-Roy, Crotoy, Rue et les pays de la conqueste faicte par feu nostre trés chier seigneur et père, cuy dieux perdoinst, avant la paix final de nos royaumes de France et d'Engleterre, qui demourront en l'estat et garde où elles sont de present ; lequel nostre oncle de Bourgongne, pour amour et honneur de nous et de nostre dit oncle le regent, son beau frère, et pour la conservation et entretenement de nostre seignourie et tuicion de nostre bonne ville de Paris et des lieux dessusdiz, jasoit ce qu'il ait de present pluiseurs grans et pesans affaires pour le gouvernement de ses païs et seignouries, en a prins et accepté le gouvernement et garde; et nous, aiant ceste chose très plaisant et aggréable, cognoissans par vraie experience le grant puissance, vaillance et léaulté de nostre dit oncle de Bourgongne : icelui nostre oncle de Bourgongne, par l'advis et deliberacion de nostre dit onclc le regent et les gens de nostre grant conseil en France, avons ordonné et commis, ordonnons et commettons par ces presentes nostre lieutenant ès bailliages et lieux dessus ditz et gouvernement d'iceulx, en lui donnant plain povoir, auctorité et mandement especial de gouverner et garder pour nous et au nom de nous et soubz nous, jusques au tamps de nostre venue en nostre royaume de France, nostre ditte bonne ville de Paris, bailliage et lieux dessus diz, ensamble noz hommes, vassaulx et subgetz demourans èsdictes villes, bailliages et lieux ; de donner ou nom de nous et soubz nostre seeldurant ledit tamps les seignouries, terres, rentes et revenues qui d'ores en avant nous escherront par la rebellion et desobéissance de nos subgès aians terres et seignouries ès lieux qui sont et seront à nous reduis et obéissans ès mettes de son gouvernement ; de faire procéder aux officiers royaulx electifs par bonne et deue élection et confirmacion, ainsi qu'il est acoustumé ; de disposer des aultres officiers non électifs, selon la fourme declarée en certainnes noz aultres lettres, et ordonner de toutes aultres et singulières choses, besongnes et affaires des lieux dessus diz ; de tenir nos conssaulz, y conclurre et la conclusion exécuter au bien et honneur de nous et conservacion de nostre dicte seignourie ; et pour ce faire, convertir et emploier toutes les finances qui nous appartiennent ès appartenances, villes, bailliages et lieux dessus diz, ainsi que les cas le requeront, en y commettant et ordonnant de par nous telz officiers que bon luy samblera, sans pour ce prejudicier ne deroghier en autres choses à l'estat et dignité de la régence de nostre dit oncle le régent. Si donnons en mandement à noz amez et féaulx conseilliers les gens de nostre Parlement, au prévost de Paris et à tous nos baillis et aultres justiciers, officiers et subgez à qui il appartendra ou à leurs lieutenans, que nostre oncle de Bourgongne laissent joïr et user plainement des gouvernement et garde dessus ditz, et en toutes choses concernans et regardans ce que dit est obéissent à luy et à ses mandemens et commandemens sans aulcun contredit ; promectant en bonne foy à nostre dit oncle de Bourgongne que toutes et quantes foix que charge de guerre luy sourvendra ès termes dudit gouvernement, de le aidier de noz gens d'Engleterre et d'ailleurs si avant que raisonnablement pour le temps faire porrons, quant requis en serons par nostre dit oncle de Bourgongne. En tesmoing de ce, etc...

  Donné à Paris le XIII° jour d'octobre, l'an de grace mil cccc vingt neuf et de nostre règne le VII°.
  Ainsi signées : Par le Roy à la relacion du Conseil tenu par monseigneur le regent le royaume de France, duc de Bethefort, ouquel messeigneurs le cardinal d'Engleterre et le duc de Bourgongue, Vous, les évesque de Beauvais, de Noyon, de Paris et d'Eureux, le conte de Guise, le premier Président du Parlement, l'abbé du mont Saint-Micquiel, le sire d'Escalles, le sire de Santes, messire Jehan Fastol, messire Raoul Bouthillier, le sire de SaintLiebaut, messire Jehan Poupham, les seigneurs de Clamecy et du Mesnil, le trésorier du Palais à Paris, maistre Guillaume le Duc, et pluiseurs aultres estoient.
  Jehan Rinel (20)."


  « Henri, par la grâce de Dieu, roi de France et d'Angleterre, à tous ceux qui les présentes verront, salut.
  Savoir faisons que notre très cher et très aimé oncle, Jean, régent de notre royaume de France, duc de Bedford, considérant les grandes affaires et les diverses charges qu'il a à supporter pour le présent, tant pour le gouvernement de notredit royaume, comme surtout pour notre duché de Normandie, sur lequel nos ennemis et adversaires se sont jetés à grosse puissance, a prié, requis bien instamment, cordialement et sincèrement (21), notre très aimé et très cher oncle, Philippe, duc de Bourgogne, comte de Flandre, d'Artois et de Bourgogne, palatin de Namur, seigneur de Salins et de Malines, de l'aider à conduire et supporter une partie desdites affaires, et spécialement de prendre et d'accepter le gouvernement et la garde de notre bonne ville, prévôté et vicomté de Paris, et des villes et des villages de Chartres, de Melun, Sens, Troyes, Chaumont-en-Bassigny, Saint-Jangou, Vermandois, Amiens, Tournaisis et Saint-Amand, et la sénéchaussée du Ponthieu, en exceptant toutefois les villes, châteaux et châtellenies de Dreux, Villeneuve-le-Roi, Crotoy, Rue, et les pays conquis par feu notre très cher seigneur et père, que Dieu pardonne, avant la paix finale de nos royaumes de France et d'Angleterre (le traité de Troyes), qui demeureront en l'état et garde où ils sont à présent. Notre oncle de Bourgogne, par amour et par honneur pour nous et pour notredit oncle le régent son beau-frère, pour la conservation et l'entretien de notre seigneurie et la défense de notre bonne ville de Paris et des lieux susdits, encore qu'il ait présentement plusieurs grandes et pesantes affaires pour le gouvernement de ses pays et seigneuries, a pris cependant le gouvernement et la garde à lui offerts. Et nous, ayant cette disposition à très grand plaisir et agrément, connaissant par une véritable expérience la grande puissance, vaillance et loyauté de notredit oncle de Bourgogne, de l'avis et après délibération de notredit oncle le régent et des gens de notre grand conseil de France, avons ordonné et commis, ordonnons et commettons notre oncle de Bourgogne, notre lieutenant aux bailliages et lieux ci-dessus désignés, et à leur gouvernement, en lui donnant plein pouvoir, autorité et mandement spécial de gouverner et de garder pour nous, au nom de nous et sous nous, jusques au temps de notre venue en France, notredite bonne ville de Paris, bailliages et lieux susdits, ensemble nos hommes, vassaux et sujets demeurants ès dites villes, bailliages et lieux; de donner en notre nom et sous notre sceau, durant ledit temps, les seigneuries, terres, rentes et revenus qui dorénavant nous écherront par la rébellion et désobéissance de nos sujets ayant terres et seigneuries aux lieux qui sont et seront réduits ànotre obéissance, dans les limites de son gouvernement; de faire procéder par bonne et due élection et confirmation, ainsi qu'il est accoutumé, aux offices royaux électifs ; de disposer des autres offices non électifs selon la forme déclarée en certaines de nos autres lettres, et d'ordonner de toutes les autres et particulières choses, nécessités et affaires des lieux susdits ; de tenir nos conseils, d'y conclure et d'exécuter les conclusions pour notre bien et notre honneur et la conservation de notredite seigneurie ; et, pour ce faire, de recueillir et d'employer toutes les finances qui nous appartiennent dans les dépendances, villes, bailliages et lieux ci-dessus désignés, ainsi que les cas le requerront, y commettant et ordonnant de par nous tels officiers que bon lui semblera ; le tout sans préjudicier ni déroger en autres choses à l'état et à la dignité de la régence du régent notredit oncle. Ainsi donnons mandement à nos aimés et féaux conseillers les gens de notre parlement, au prévôt de Paris, et à tous les baillis et autres justiciers, officiers et sujets à qui il appartiendra, et à leurs lieutenants, de laisser notre oncle de Bourgogne jouir et user pleinement des gouvernements et garde dessus dits, et en tout ce qui concerne et regarde ce qui vient d'être dit, de lui obéir sans aucun contredit à lui, à ses mandements et commandements ; promettant en bonne foi à notredit oncle de Bourgogne, que toutes et chaque fois que charge de guerre lui surviendra dans les limites dudit gouvernement, nous l'aiderons, dès que par lui nous en serons requis, de nos gens d'Angleterre et d'ailleurs, autant que raisonnablement nous pourrons alors le faire. En témoin de ce, etc...

  « Donné à Paris le XIIIe jour d'octobre de l'an de grâce 1429, de notre règne le septième.
  Ainsi signé : Par le roi à la relation du conseil tenu par Mgr le régent du royaume de France, duc de Bedford, auquel étaient présents Messeigneurs le cardinal d'Angleterre et le duc de Bourgogne, vous, les évèques de Beauvais, de Noyon, de Paris et d'Évreux, le comte de Guise (22), le premier président du parlement, l'abbé du Mont-Saint-Michel, le sire de Scales, le sire de Santes, Messire Jean Fastolt, Messire Raoul Bouteiller, le sire de Saint-Liébaut, Messire Jean Poupham, les seigneurs de Clamecy et du Mesnil, le trésorier du palais à Paris, Messire le duc, et plusieurs autres.
« JEHAN REINEL. »



                                         

e tamps des triewes durant se devoient tenir le roy Charles, comme il fist, oultre la rivière de Saine, et le regent en Normandie.

Le XXI° jour de march (1430) après les triewes fallies et la guerre recommenchie par toutes les parts de France, le conte de Vendosme, qui se tenoit pour lors à Laon avec ung nommé Tonnelare et les communes de le ville et du païs environ, allèrent mectre le siege devant le chastel d'Autel auquel estoit messire Anthoine de Béthune, seigneur de Moreuil.

  En ce temps, VIII° jours en apvril, entra le bastard de Clarence à Paris à grosse puissance d'Englois. Et y avoit esté mandés par le seigneur de Lille-Adam et autres, pour ce que quarante dixaines de, le dicte ville s'estoient conclus et avoient traictié, si que on disoit, de livrer icelle ville aux gens du roy Charles. Et y en eubt grant planté de prins, mais peu de exécutez, pour ce que la chose rapaisa et prist assez bonne fin.

  Le jeudi après les festes de Pasques, XX° jour du moix d'avril l'an mil CCCC XXX, messire Jehan de Luxembourg, le seigneur de Croy et aultres cappitaines à tous leurs gens partirent de Peronne et allèrent oultre l'yawe, faisant l'avant garde de l'ost du duc de Bourgongne ; lequel duc les sievy et party dudit lieu de Peronne le samedi ensievant de Pasques closes, et s'en allérent conquerre pluiseurs places et fortresses que tenoient leurs anemis, comme Araines, le Tour de Gournay et aultres.
  Après pluiseurs places prises par les gens du duc de Bourgongne sur leur chemin de Compiengne, fu le siege mis au pont à Coisy leur (23) il avoit grosses garnison de gens Willaume de Flavy ; et fu ledit duc de Bourgongne à ce siège, liquelz y fist getter pluiseurs pierres d'engiens et tant faire, que ceulx de dedans s'en furent et allèrent à Compiengne de nuit en boutant le fu partout et habandonnant la place, le XVI° jour de may.


  «Durant le temps des trêves, le roi Charles devait se tenir au delà de la rivière de la Seine, ce qu'il fit; et le régent en Normandie.

  Le XXIe jour de mars, les trêves étant expirées, la guerre recommença de toutes parts en France. A l'entrée du mois d'avril, le duc de Bourgogne alla à Péronne et fit une très grande assemblée de gens d'armes afin de se porter devant Compiègne ; parce qu'il y avait en cette ville une très forte garnison qui empêchait le passage vers Paris et faisait beaucoup de maux aux pays des environs.

  En ce temps, le VIIIe jour d'avril, le bâtard de Clarence entra à Paris avec de grosses forces d'Anglais. Il y avait été mandé par le seigneur de llsle-Adam et par d'autres, parce que quarante dizainiers de cette ville avaient formé le complot et pris l'engagement, à ce qu'on disait, de livrer la ville au roi Charles. Il y en eut un grand nombre de pris ; mais peu furent exécutés, parce que l'affaire s'arrangea et prit assez bonne fin.

  Le jeudi après les fêtes de Pâques, le XXe jour d'avril, l'an 1430, Messire Jean de Luxembourg, le seigneur de Croy et d'autres capitaines partirent avec tous leurs gens de Péronne et passèrent l'Oise. Ils formaient l'avant-garde de l'armée du duc de Bourgogne. Il les suivit et partit de Péronne le samedi qui suit les Pâques closes (Quasimodo, cette année 23 avril). Ils allèrent conquérir plusieurs places au pouvoir de leurs ennemis, telles que Avesnes, la Tour de Gournay et d'autres.
  Après plusieurs places prises par les gens du duc de Bourgogne sur leur chemin de Compiègne, le siège fut mis au pont de Choisy, où Guillaume de Flavy avait établi de grosses garnisons. Le duc de Bourgogne vint à ce siège, et fit tirer par engins nombreuses pierres contre la place ; il fit tant que les assiégés prirent la fuite, et de nuit se retirèrent à Compiègne en mettant partout le feu. Ils abandonnèrent la place le XVIe jour de mai.



                                         

n ce temps arrivèrent Engloix au Pont-l'Evesque emprès Noyon, et là furent ung jour assalis de la garnison de Compiengne et aultres au nombre de IIIIm (24) hommes dont la Pucelle avoit le nom d'estre cappitaine. Là se deffendirent Engloix très grandement, qui n'estoient que XIIc (25) hommes; mais ils euissent eu fort tamps se il n'euissent esté secourus de monseigneur de Saveuses, qui se tenoit à Saint-Eloy de Noyon atout VIIIc hommes qui reboutèrent leurs anemis.

  Le XXI° jour de may, fu le siege mis d'un lez par deça la ville de Compiengne, là où arrivèrent les contes d'Outiton (26) et de Arondel à belle compaignie d'Engloix, lesquelx furent devant ladite ville par grande espace de tamps, et firent carpenter pons, bastilles et habillemens pour enclore ladicte ville. Lequel siege durant, firent ceulx de dedens pluiseurs saillies à très grant puissance ; car par delà l'iauwe environ Paris leur povoit venir secours de gens et de vivres sans nul dangier. Et si avoient fait une forte bastille par decha l'iaue, leur ilz alloient et se retournoient en la ville toutesfois qu'il leur plaisoit par les fossés. Et y avoit dedens celle bastille en terre pluiseurs cambres et logis de gens d'armes qui moult faisoient de maulx en l'ost des Bourguignons et des Engloix; mais communément les saillies se faisoient plus sur les Engloix que sur les Piccars.
  Dedens Compiengne se tenoit la Pucelle à grant compaignie de gens, et tous jours yssoit elle au front devant et faisoit merveilles de son corps et de ses parolles en donnant cuer à ses gens de bien faire le besongne ; et tant que le xxvii° jour de may, à une saillie que elle fist elle et le lieutenant Willaume de Flavy, pour lors cappitaine de Soissons, firent merveilles d'armes. Et estoient bien XVc (27) hommes. Là y survint messire Jehan de Luxembourg en personne au secours des Engloix qui estoient fort assallis, et y eust crueulx estour et estequis ; mais en fin fu la Pucelle prise et détenue par le bastard de Vendomme et Anthoine de Bournoville, qui estoient de la compaignie et de l'ostel dudit de Luxembourg. Et pareillement fu pris ledit lieutenant et pluiseurs hommes d'armes, et les aultres furent reboutés dedens Compiengne (28).
  De la prise de la Pucelle fu moult grant renommée partout ; en furent moult joyeux ceulx du party de Bourgongne, et ceulx des autres moult dolans ; car les uns avoient espérance et les aultres doubtoient de son fait. Se fu en fin amenée prisonnière à Beaurevoir, là où elle fu par grant espace de temps, et tant que par son malice elle en quida escapper par les fenestres; mais ce à quoy alle s'avaloit, rompy (29); si quey jus de mont aval et se rompy près les rains et le dos. De lequelle blechure elle fu long tamps malade ; et depuis ce qu'elle fu garie, fu elle delivrée aux Engloix par aucuns moyens et traitiés d'argent et fu menée à Rouen, là où on luy fist son procès tout du long. Et enfin fu condempnée comme sera dit tantost cy après quant tamps ou lieu sera...


  « En ce temps, les Anglais arrivèrent au Pont-l'Évêque, près de Noyon. Là ils furent un jour assaillis par les hommes de la garnison de Compiègne et par d'autres, formant une armée de quatre mille hommes, dont on disait que la Pucelle était capitaine. Les Anglais, qui n'étaient que douze cents hommes, se défendirent très grandement ; mais ils auraient eu rude besogne s'ils n'eussent été secourus par Mgr de Saveuse qui se tenait à Saint-Éloy-de-Noyon, avec huit cents hommes qui repoussèrent les ennemis.

  Le XXIe jour de mai, le siège fut mis d'un côté, par deçà de l'Oise, devant Compiègne, où les comtes d'Houtiton, d'Arondel, vinrent avec nombreuse compagnie d'Anglais. Ils furent longtemps devant la ville; et ils firent charpenter ponts, bastilles et autres appareils pour enclore la place. Les assiégés, pendant que durait le siège, firent plusieurs sorties avec de très grandes forces ; car ils pouvaient sans nul danger recevoir secours d'hommes et de vivres de par delà l'Oise, du côté de Paris. Ils avaient fait une forte bastille par delà l'Oise, par laquelle ils allaient et revenaient en la ville par les fossés tant qu'il leur plaisait. En cette bastille en terre se trouvaient plusieurs chambres et logis pour les hommes d'armes qui faisaient grands maux en l'armée des Bourguignons et des Anglais ; mais communément la sortie se faisait surtout sur les Anglais, plus que sur les Picards.
  La Pucelle se tenait dans Compiègne avec grande compagnie de gens ; tous les jours elle faisait des sorties, au front des assaillants ; elle accomplissait des merveilles par ses coups et ses paroles, donnant coeur à ses gens de bien faire leur devoir, si bien que le 27 mai (30), à une sortie qu'elle fit, elle et le lieutenant (de) Guillaume de Flavy, pour lors capitaine de Soissons, ils firent des prodiges de valeur. Ils étaient bien seize cents hommes. Messire Jean de Luxembourg survenant en personne au secours des Anglais, il y eut une rude mêlée, mais la Pucelle finit par être prise et retenue par le bâtard de Vendônne et Antoine de Bournonville, tous deux de la compagnie et de la maison dudit Luxembourg. Pareillement furent pris le ledit lieutenant et plusieurs autres hommes d'armes. Le reste des combattants fut repoussé dans Compiègne.
  Il fut partout grand bruit de la prise de la Pucelle; ce fut un grand sujet de joie pour le parti bourguignon, de grande douleur pour le parti opposé ; car ceux-ci fondaient sur elle grande espérance, tandis que les autres en avaient grande frayeur. Elle fut enfin amenée prisonnière à Beaurevoir, où elle fut détenue grand espace de temps, au point que par ses ruses elle faillit s'en échapper par les fenêtres ; mais ce par quoi elle se glissait rompit; et elle chut de haut à terre. Elle se rompit presque les reins et le dos, et fut longtemps malade de ses blessures. Lorsqu'elle fut guérie, elle fut mise entre les mains des Anglais à la suite de négociations ; et par contrat d'argent elle fut menée à Rouen où son procès lui fut fait tout au long. Elle fut condamnée, ainsi qu'il sera dit ci-après, en temps et lieu.



                                         

e penultisme jour de may M CCCC XXXI fu arse Jennette la Pucelle à Rouen, après ce qu'elle avoit esté jugie en chartre et qu'elle s'estoit rappelée de ses erreurs aprez la noble predicacion qui sur son fait avoit esté faicte audit lieu de Rouen, en la presence du régent de France, de pluiseurs haulx princes et prelatz tant de France comme d'Engleterre du grant conseil du roy Henry, et de tous ceulx qui oïr le volrent. Mais quant elle vit que on le volloit mectre en habit de femme, elle se rappela et disc qu'elle voloit morir ainsi comme elle avoit vesqui. Et par tant elle fu condempnée à ardoir. Et fu la pourre de son corps gettée par sacqs en la rivière, affin que jamais sorcherie ou mauvaisté on n'en peust faire ne propposer.

  

  Le pénultième jour de mai 1431, Jeannette La Pucelle fut brûlée à Rouen, après avoir été d'abord condamnée à la prison, s'étant rétractée de ses erreurs, à la suite de noble prédication faite sur sa conduite audit lieu de Rouen en présence du régent de France, de plusieurs hauts princes et prélats tant de France que d'Angleterre, du grand conseil du roi Henri et de tous ceux qui voulurent l'entendre ; mais dès qu'elle vit qu'on la voulait mettre en habit de femme, elle révoqua sa rétractation, et dit qu'elle voulait mourir comme elle avait vécu, et partant elle fut condamnée à être brûlée.
  Les cendres de son corps furent par sacs jetées en la rivière, pour que jamais on ne put en faire, ni tenter d'en faire des sorcelleries, ou méchante chose.


                                 


Source :
La revue historique, 1877 - t.IV - Jules Quicherat.

Notes :
1 "Revue historique" - 1882 - t.19

2 Dans la "revue de Normandie" de 1866.

3 Tome II p.112

4 Il existe aux Archives royales de Bruxelles, dans le fonds des chartes restituées par l'Autriche, Traités, n° 522, un vidimus de cet acte complémentaire délivré par la prévôté de Paris.
Archives des missions scientifiques, année 1863, p. 293.

5 Journal du Bourgeois de Paris.

6 Traité que poursuivait le Duc de Bourgogne pour que la garde d'Orléans lui fut baillée pour le compte du Duc prisonnier.

7 Le Duc de Bedford, soi-disant régent du royaume de France.

8 Talbot ne fut pas pris à Jargeau mais à Patay.

9 C'est inexact pour Sens.

10 Corrigez "Saint-Marcoul de Corbeny".

11 L'entrée eut lieu le 16 au soir et Richemont n'y était pas.

12 600 à 700 hommes morts.

13 Willoughby

14 L'ordre des faits compris dans tout le paragraphe IV est complètement renversé. Le chroniqueur met après l'assaut contre Paris une suite d'événements accomplis avant cette tentative. Peut-être n'a-t-il pas eu le temps d'ordonner ces dernières pages de son oeuvre.

15 Aucune autre chronique ne parle de pareilles pertes.

16 Saint-Denis.

17 Cette lettre qui est un défi, a été publiée dans la chronique de Monstrelet, chap.65.
Lire le texte complet ici.

18 Le traité de paix qui amena vingt de guerres supplémentaires au royaume !

19 Il suit de cette clause qu'au cas où Paris aurait été emporté le 8 septembre, ou même aurait ouvert ses portes, Charles VII n'aurait pas pu en prendre possession, soit parce que le duc de Bourgogne était autorisé à défendre la ville, soit parce que en ce cas les Anglais n'auraient pas manqué d'accéder à la trêve du 28 août. Qu'on s'étonne après cela si les auteurs de cette inqualifiable trêve ont fait échouer l'Héroïne. Le succès les aurait souverainement embarrassés.

20 Jean Rinel est le neveu de Pierre Cauchon.

21 Sincèrement est une des multiples acceptions du mot acertes. On pourrait encore dire affectueusement.

22 Jean de Luxembourg.

23 Lire "là où"

24 Quatre mille.

25 1200.

26 Huntingdon.

27 Mille cinq cents hommes.

28 Erreur du narrateur, Guillaume de Flavy ne fut pas pris dans cette "saillie".

29 ndlr : La chronique des Cordeliers est la seule à présenter ainsi la tentative d'évasion de Beaurevoir. Cette version ne tient pas la critique. En effet :
- Dans le procès de condamnation, Jeanne est accusée d'avoir voulu se suicider pour échapper aux Anglais en "se précipitant du sommet d'une haute tour" du chateau de Beaurevoir. Jeanne aurait très facilement fait tomber cette accusation si elle avait réellement tenté de s'échapper "en se laissant glisser etc..." or elle nie avoir voulu se suicider mais avoir voulu seulement "sauter en se recommandant à Dieu et à Notre-Dame" pour aller porter secours à ses amis de Compiègne (interr. du 3 mars, du 14 mars, art.41 du réquisitoire d'accusation.
- Il est impossible que sur une tour ou un donjon d'un chateau médiéval, face à l'extérieur, il y ait une fenêtre ou même une ouverture assez large pour laisser passer Jeanne. Ce sont habituellement de simples meurtrières permettant de tirer à travers. Pour la même raison, le saut n'a effectivement pu avoir lieu que du "haut de la tour" soit au minimum 15 mètres. D'ailleurs cette chronique ne précise pas "tour" ou "donjon" alors qu'il est clairement déclaré dans le procès qu'elle sauta du donjon.
  Ce qui nous laisse très impressionné, d'une part par l'extraordinaire courage physique de et moral cette gamine de 18 ans qui n'a pas hésité à sauter d'une hauteur incroyable pour s'évader et d'autre part par ce qu'on appellera selon que l'on est croyant ou non "la protection divine" ou la "bonne étoile" de Jeanne qui s'en est sortie avec un choc traumatique mais sans fracture et sans séquelles !


Présentation de cette chronique par J.B.J Ayroles (La vraie Jeanne d'Arc - t.III) :

  A défaut du nom de l'auteur jusqu'ici inconnu, l'on désigne sous ce nom un Abrégé d'histoire universelle, de la création du monde à l'an 1433, dont le manuscrit se trouve à la Bibliothèque nationale, inscrit dans le fonds français, sous le numéro 23 018. Ces sortes de productions, nombreuses au XVe siècle, n'ont de valeur que pour les temps contemporains ou quasi contemporains de l'écrivain. C'est alors un récit datant de l'époque des événements racontés. Telle est, pour la fin du XIVe siècle et le commencement du XVe la Chronique, dite des Cordeliers, parce qu'elle provient du couvent de ces religieux, à Paris.
  M. Douët d'Arc, le premier, a inséré, à la suite de son édition de Monstrelet, un fragment de la Chronique des Cordeliers de 1400 à 1422. Il n'atteint donc pas l'histoire de la Pucelle. Vallet de Viriville et Siméon Luce en ont cité plusieurs passages ayant trait à la Libératrice. Quicherat ne semble l'avoir connue qu'à la fin de sa vie. Il en parle ainsi dans un de ses derniers écrits : « L'auteur, dit-il, à en juger par son langage était Picard. Il était Bourguignon déclaré. Ses informations, sans être des plus sûres, lui ont appris des choses que les autres chroniqueurs ont ignorées. Il fut en situation de se procurer des pièces officielles, de celles du moins que le gouvernement anglo-bourguignon faisait circuler. Il donne in extenso le texte de l'armistice conclu entre Charles VII et le duc de Bourgogne, et ce texte est à lui seul d'une importance capitale. »
  Cette appréciation nous paraît fort juste. Les chroniqueurs donnent à entendre à l'envi, quand ils ne le disent pas expressément, qu'il se passa quelque chose de louche dans l'assaut contre Paris. La clef de l'énigme nous est fournie par la Chronique des Cordeliers. Il a fallu traîner Charles VII de Compiègne et de Senlis à Saint-Denis. L'explication est dans la pièce couchée tout au long dans la Chronique des Cordeliers. Le 28 août, il avait signé, à Compiègne, une trêve avec le duc de Bourgogne, trêve exécutoire dès le jour même, en vertu de laquelle il y avait suspension d'hostilité jusqu'à Noël. Les Anglais étaient libres d'y adhérer ; le duc était autorisé à défendre Paris, c'est-à-dire à repousser les troupes de Charles VII et la Pucelle elle-même.
« Notredit cousin de Bourgogne, lira-t-on dans le texte, pourra, durant ladite trêve, s'employer lui et ses gens à la défense de la ville de Paris et résister à ceux qui voudraient faire la guerre ou porter dommage à cette ville. »
  Ceux qui voulaient faire la guerre à Paris, c'était avant tous la Pucelle qui, depuis son apparition, ne cessait de répéter qu'elle y introduirait le roi. Et c'est lorsque tout lui a réussi, alors que les villes s'ouvrent d'elles mêmes, lorsqu'elle va frapper ce coup décisif, que l'on conclut secrètement des trêves avec ses ennemis, qu'on autorise ces mêmes ennemis à la combattre et à combattre ceux qui la suivent ! C'était toute aberration. On est autorisé à tout supposer de la part des conseillers qui avaient amené le faible monarque à apposer sa signature au bas d'un acte semblable.
  Le Bourguignon, paraît-il, avait promis de donner Paris au roi. Devait-on croire à sa parole plus qu'à celle de l'Envoyée du Ciel qui disait alors sans doute ce qu'elle répétait plus tard, qu'avec le Bourguignon on n'aurait la paix qu'au bout de la lance ? Il en profita pour introduire dans Paris l'Isle-Adam et une élite de ses gens de guerre, pour y venir lui-même avec le faste décrit par Monstrelet, pour y conclure l'étrange traité par lequel il devenait gouverneur de Paris, jusqu'à l'arrivée du jeune roi d'Angleterre en France. Position étrange au suprême degré. Comme duc de Bourgogne il ne pouvait pas combattre Charles VII, mais il le pouvait comme gouverneur de Paris au nom des Anglais, qui n'adhérèrent pas à la trêve. Monstrelet nous a dit que ses gens se prévalurent de pareil titre, et qu'ils continuèrent la guerre, non comme au service du duc de Bourgogne, mais comme au service des Anglais. Quant au duc lui-même, il profita des trêves qui furent prolongées jusqu'à Pâques pour célébrer son mariage avec la fille du roi de Portugal et se préparer, ainsi qu'il a été dit, à reprendre ostensiblement la guerre à l'expiration des trêves, ce qu'il fit.
  Il fallait ce nouveau trait de ressemblance de la Libératrice avec son Seigneur, avec celui dont la vertu la remplissait. Le voilà. D'elle aussi on peut dire : « Elle est venue parmi les siens, et les siens ne l'ont pas reçue ». L'histoire n'a rien à dissimuler. Elle a le regret de dire que l'âme de cette louche diplomatie fut l'archevêque-chancelier, Regnault de Chartres.
  Le prolongement de la trêve fut vraisemblablement son oeuvre. Le Gallia christiana nous dit qu'en octobre 1429 il était à Saint-Denis, en conférences si secrètes qu'elle ne sont connues que de Celui qui connaît tout.
  La Chronique des Cordeliers, très brève sur la première partie de la vie guerrière de la Pucelle, à de fort précieux détails sur ce qui suivit l'assaut contre Paris. Elle confond les temps, en rapportant la rencontre de Montépilloy et la soumission des villes du Valois et du Beauvaisis après la tentative contre Paris.
  Le chroniqueur constate à plusieurs reprises que tout se faisait par la Pucelle et n'a pas un mot défavorable. Ceux qui lui reprochent la phrase par laquelle, parlant de la tentative d'évasion de Beaurevoir, il écrit :« Par son malice, elle (la Pucelle) quida escapper par les fenêtres, mais ce à quoy elle s'avaloit rompy », attribuent au mot malice un sens qu'il n'a pas sous la plume de l'auteur. Il signifie ici: adresse, habileté, comme il le conserve encore dans la locution : ce n'est pas malin. Qui donc a vu un mal moral dans l'acte d'un prisonnier de guerre cherchant à s'évader ?
   La Chronique nous fournit une excellente excuse pour une faute avouée par la prisonnière, mais dénuée de la gravité que beaucoup d'historiens lui attribuent. La Pucelle ne s'est pas jetée simplement par la fenêtre du donjon, elle a cherché à se laisser glisser par un appui qui s'est rompu. Le style de la Chronique est embarrassé...
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