Son histoire
par Henri Wallon
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Le procès en nullité de la condamnation
V-4 - Déposition de Simon Beaucroix
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Noble Simon Beaucroix, écuyer, clerc marié, demeurant
à Paris dans l'Hôtel-Neuf (1), âgé d'environ cinquante ans, témoin produit, juré et interrogé le vingtième jour d'avril, devant nos seigneurs l'archevêque de Reims et l'évêque de Paris, et frère Thomas Verel, de l'ordre des frères précheurs, professeur de théologie sacrée, délégué par frère Jean Bréhal, sous-inquisiteur en cette affaire,
Et d'abord questionné sur ce qu'il sait pour déposer et
témoigner à propos du contenu des premier, deuxième, troisième et quatrième articles, dit et déclare sous serment qu'il
était dans la ville de Chinon, où se trouvait notre sire le roi,
avec le seigneur Jean d'Olon, chevalier, sénéchal de Beaucaire (2),
quand Jeanne vint devant le roi. Après avoir parlé avec le roi et les autres du conseil du roi, elle fut placée sous
la garde dudit d'Olon (3). De la ville de Chinon Jeanne vint
en compagnie dudit d'Olon à la ville de Blois, et de la ville
de Blois, par la Sologne, jusqu'à la ville d'Orléans. Et il se
souvient bien que Jeanne recommanda à tous les hommes
d'armes de se confesser, de se mettre en bonne condition,
en leur assurant que Dieu les aiderait, et que, s'ils étaient
en bonne condition, ils auraient la victoire avec l'aide de
Dieu. Dans les intentions de Jeanne, alors, les hommes
d'armes devaient se rendre directement vers le fortin ou
bastille de Saint-Jean-le-Blanc ; ce qu'ils ne firent pas, mais
allèrent en un lieu entre Orléans et Jargeau où les citoyens
d'Orléans avaient envoyé des bateaux pour recevoir du ravitaillement et le conduire dans la ville d'Orléans. Le ravitaillement fut déposé dans les bateaux et conduit à Orléans (4); mais, parce que les hommes d'armes ne pouvaient traverser le fleuve de Loire, certains dirent qu'il fallait revenir et aller
traverser la Loire dans la ville de Blois, car il n'y avait pas
de pont plus proche dans l'obéissance du roi ; de ces propos
Jeanne fut très indignée, craignant qu'ils ne voulussent se
retirer, en abandonnant une tâche inachevée. Jeanne ne
voulut pas aller avec les autres, pour traverser à Blois ; mais
avec deux cents lances environ elle franchit l'eau en bateau,
et tous, arrivés de l'autre côté de la rivière, entrèrent dans
la ville d'Orléans par terre. Le seigneur maréchal de Boussac
alla chercher pendant toute la nuit l'armée du roi, qui était
près de la ville de Blois. Et, le témoin s'en souvient, peu
avant l'arrivée du seigneur maréchal de Boussac, à Orléans,
Jeanne déclara à sire Jean d'Olon que le maréchal était en
route et qu'elle savait bien que rien de mal ne lui arriverait.
Et alors que Jeanne était à son logis, mue par une inspiration, à ce qu'il dit, elle déclara soudain : « En nom Dieu, nos gens ont beaucoup à faire ! ». Elle envoya chercher son cheval, s'arma et alla vers le fortin ou bastille de Saint-Loup, où il y avait une attaque des gens du roi contre les Anglais ;
après que Jeanne eût appuyé cette attaque, ledit fortin fut
pris. Le lendemain les Français, en compagnie de Jeanne, partirent pour s'emparer du fortin Saint-Jean-le-Blanc ; ils
s'approchèrent jusqu'à une île (5), et lorsque les Anglais s'aperçurent que les gens du roi traversaient l'eau, ils abandonnèrent
ladite bastille de Saint-Jean-le-Blanc ; ils se retirèrent vers
un autre fortin, situé près des Augustins, où le témoin vit
l'armée royale dans un très grand danger, et Jeanne disant :
« Allons hardiment, en nom Dieu ! » Ils arrivèrent jusqu'aux
Anglais, qui se trouvaient en grand péril et qui avaient trois
fortins ou bastilles (6). Aussitôt, sans grande difficulté, la bastille des Augustins fut prise ; ensuite les capitaines furent
d'avis que Jeanne devait entrer dans la ville d'Orléans ; ce
qu'elle ne voulait pas cependant, en déclarant : « Abandonnerons-nous nos gens? » Et le lendemain les gens du roi vinrent
attaquer le fortin situé au bout du pont, qui était très fort
et presque imprenable ; ils eurent beaucoup à faire, car
l'attaque dura toute la journée jusqu'à la nuit. Le témoin
vit que le seigneur sénéchal de Beaucaire fit rompre le pont
avec une bombarde. C'était déjà le soir, et on désespérait
presque de prendre ce fortin ou cette bastille du pont ; alors
on demanda d'apporter l'étendard de Jeanne : cela fait, les
gens du roi reprirent l'attaque du fortin, et aussitôt, sans
grande difficulté, ils entrèrent avec cet étendard ; les Anglais
se mirent à fuir, à tel point que, parvenus au bout du pont,
celui-ci s'effondra et beaucoup d'Anglais se noyèrent. Le
lendemain les gens du roi firent une nouvelle sortie pour
combattre les Anglais ; ceux-ci, à la vue des Français, s'enfuirent ; et comme Jeanne voyait les fuyards poursuivis par
les Français, elle dit à ceux-ci : « Laissez partir les Anglais, ne les tuez pas. Qu'ils s'en aillent. Leur retraite me suffit ».
Le même jour les gens du roi sortirent de la ville d'Orléans et retournèrent à Blois où ils arrivèrent dans la journée.
Jeanne resta là deux ou trois jours, et ensuite se rendit à Tours et à Loches, où les gens du roi se préparaient à aller
contre la ville de Jargeau ; et ils y allèrent et prirent la ville d'assaut.
Ne sait rien d'autre sur ce qu'elle fit. Sait cependant que
Jeanne était bonne catholique, craignant Dieu ; elle se confessait très souvent, tous les deux jours, et chaque semaine
aussi recevait le sacrement de l'eucharistie ; elle entendait
la messe chaque jour, et exhortait les hommes d'armes à
bien vivre et à se confesser souvent. Et le témoin se rappelle
bien que, tout le temps où il l'accompagna, il n'eut jamais le désir de mal agir.
Déclare en outre que Jeanne couchait toujours avec des jeunes filles et ne voulait pas coucher avec de vieilles femmes.
Elle détestait fort les jurons et les blasphèmes, et reprenait ceux qui juraient ou blasphémaient. En campagne elle ne voulut jamais que ceux de sa compagnie fissent pillage ; car elle ne voulait jamais de nourriture qu'elle savait volée. Une fois un Écossais lui fit savoir qu'elle avait mangé d'un veau volé ; elle en fut fort en colère, et voulut pour cela frapper cet Écossais.
Déclare en outre qu'elle ne voulait jamais voir femmes de mauvaise vie chevaucher dans l'armée avec les troupes :
aussi aucune d'elles n'aurait osé se trouver devant Jeanne ;
et toutes celles qu'elle rencontrait, Jeanne les forçait à s'en aller,
à moins que des hommes d'armes ne voulussent les épouser.
Finalement le témoin croit qu'elle était vraie catholique,
craignant Dieu et gardant ses commandements, obéissant
aussi autant que possible aux instructions de l'Église ; cha¬
ritable aussi, non seulement envers les Français, mais aussi
envers les ennemis. Tout cela le témoin le sait, car il fut
longtemps en sa compagnie, et maintes fois l'aida à s'équiper.
Déclare en outre que Jeanne déplorait et regrettait de voir
de braves femmes venir à elle pour la saluer ; il lui semblait
que c'était une sorte de dévotion, dont elle s'irritait.
Ne sait rien d'autre.

Nobilis vir Simon Beaucroix,
scutifer, clericus conjugatus, commorans Parisius in Hospitio-Novo,
testis coram præfatis dominis, Remensi archiepiscopo et Parisiensi
episcopo, ac fratre Thoma Verel, ordinis Fratrum Prædicatorum,
sacræ theologiæ professore, a præfato fratre Johanne
Brehal in hac parte subinquisitore deputato, productus, receptus,
juratus et examinatus die xx. mensis aprilis ; aetatis L annorum,
vel circiter, ut dicit.
Et primo, interrogatus quid ipse sciat deponere seu attestari
de contentis in L, II., III. et IV. articulis : dicit et deponit,
ejus medio juramento, quod ipse erat in villa de Chinon, cum domino
Johanne d'Olon, milite, senescallo Bellicadri, et in qua villa erat
dominus noster rex, quando ipsa Johanna venit erga regem. Quæ,
postquam fuit locuta cum rege et aliis de consilio regis, fuit posita
in custodia dicti d'Olon. Et de villa de Chinon ipsa Johanna venit
in societate dicti d'Olon ad villam Blesensem, et de villa Blesensi,
per Saloniam, usque ad villam Aurelianensem. Et bene recordatur
quod ipsa Johanna præcepit omnibus armatis quod confiterentur,
et quod se ponerent in bono statu, asserens quod Deus eos adjuvaret,
et quod si essent in bono statu, obtinerent victoriam cum Dei adjutorio.
Et erat ipsa Johanna pro tunc intentionis quod gentes armorum deberent
ire de directo apud fortalitium seu bastildam Sancti Johannis Albi
; quod non fecerunt, imo iverunt inter [civitatem] Aurelianensem
et Jargeau, in quodam loco ubi cives Aurelianenses miserant naves
ad recipiendum victualia et conducendum in villa Aurelianensi. Et
fuerunt posita victualia in navibus, et ducta ad villam Aurelianensem
; et quia gentes armorum transire non poterant ultra fluvium Ligeris,
aliqui dixerunt quod oportebat reverti, et ire transitum fluvium
Ligeris in villa Blesensi, quia non erat pons propinquior in obedientia
regis ; ex quo multum fuit indignata ipsa Johanna, timens ne recedere
vellent, et quod opus remaneret imperfectum. Nec voluit ipsa Johanna
ire cum aliis transitum apud villara Blesensem ; sed transivit ipsa
Johanna cum ducentis lanceis, vel circiter, per ripariam, in navibus,
et transiverunt ad aliud latus ripariæ, et intraverunt villam
Aurelianensem per terram. Et dominus marescallus de Boussac ivit
quæsitum tota nocte armatam regis, quæ erat apud villam
Blesensem. Et recordatur ipse loquens quod, modicum ante accessum
domini marescalli de Boussac ad villam Aurelianensem, psa Johanna
dicebat dicto domino Johanni d'Olon quod dictus dominus marescallus
veniebat, et quod bene sciebat quod non haberet malum. Et cum ipsa
Johanna esset in hospitio suo, ipsa, spiritu ducta, ut dicit, repente
dixit : « In nomine Domini, gentes nostræ habent multum
agere! » Et misit quæsitum suum equum, et se armavit,
et ivit versus fortalitium seu bastildam Sancti Lupi, ubi erat quædam
invasio gentium regis contra Anglicos ; et postquam ipsa Johanna
applicuit ad illam invasionem, dictum fortalitium fuit captum. Et
in crastino iverunt Gallici in societate ipsius Johannæ ad
invadendum quoddam fortalitium Sancti Johannis Albi ; et appropinquaverunt
usque ad quamdam insulam, et cum Anglici percepissent quod gentes
regis transibant aquam, dimiserunt dictam bastildam Sancti Johannis
Albi, et se retraxerunt ad aliud fortalitium, situatum apud Augustinenses,
ubi ipse loquens vidit armatam regis in maximo periculo, ipsa Johanna
dicente : « Eamus audacter, in nomine Domini. » Et pervenerunt
usque ad Anglicos, qui erant in magno periculo, et habebant tria
fortalitia seu tres bastildas. Et incontinenti sine magna difficultate
fuit capta ipsa bastilda Augustinensium ; et postmodum capitanei
concluserunt quod ipsa Johanna intraret villam Aurelianensem ; quod
tamen facere nolebat, dicendo : « Amittemus nos gentes nostras
? » Et in crastinum venerunt ad invadendum fortalitium situm
in buto pontis, quod erat multum forte et quasi inexpugnabile ;
et habuerunt gentes regis ibidem raultum agere, quia insultus duravit
per totam diem usque ad noctem ; et vidit quod dictus dominus senescallus
Bellicadri fecit disrumpere pontem cum una bombarda. Et cum jam
vespere essent et quasi desperantes de habendo hujusmodi fortalitium
seu bastildam pontis, dictum fuit quod afferretur vexillum Johannæ,
et allatum exstitit, et inceperunt invadere dictum fortalitium,
et illico, sine magna difficultate, gentes regis intraverunt cum
dicto vexillo, et Anglici inceperunt fugere, in tantum quod, dum
pervenerunt in buto pontis, pons fuit disruptus, et multi Anglicorum
fuerunt submersi. In crastino autem gentes regis iterum exiverunt
ad debellandum Anglicos qui, visis Gallicis, fugerunt ; et cum ipsa
Johanna videret eos fugientes et Gallicos eos sequentes, dixit Gallicis
: « Dimittatis Anglicos ire, nec eos occidatis. Recedant ;
sufficit mihi eorum recessus. » Et eadem die exiverunt villam
Aurelianensem et reversi sunt ad villam Blesensem, ad quam applicuerunt
eadem die. Et ibidem stetit ipsa Johanna duobus vel tribus vicibus,
et deinde fuit Turonis et à Loches, ubi gentes regis
se præparaverunt ad eundum ad villam de Jargueau ; et iverunt,
et earadem villam insultu ceperunt.
Nec aliud scit de his quæ egit ; scit tamen quod
ipsa Johanna erat bona catholica, timens Deum ; quæ sæpissime
confitebatur de duobus diebus in duos dies, et etiam qualibet septimana
recipiebat sacramentum Eucharistiæ, audiebatque missam qualibet
die, et exhortabatur armatos de bene vivendo et sæpe confitendo.
Et bene recordatur loquens quod, tempore quo conversabatur cum eadem,
nunquam habuit voluntatem male agendi.
Dicit ulterius quod ipsa Joharma semper cubabat cum
juvenibus filiabus, nec volebat cubare cum senibus mulieribus. Abhorrebat
etiam multum juramenta et blasphemias, et jurantes et blasphemantes
redarguebat ; et in exercitu nunquam voluisset quod aliqui de sua
societate deprædarent aliquid ; nam de victualibus quæ
sciebat deprædata nunquam volebat comedere. Et quadam vice
quidam Scotus dedit sibi intelligere quod ipsa comederat de uno
vitulo deprædato : de quo multum fuit irata, et voluit propter
hoc percutere dictum Scotum.
Dicit etiam quod nunquam volebat quod mulieres diffamatæ
equitarent in exercitu curn armatis : quare nulla fuisset ausa se
invenire in ipsius Johannæ societate ; sed quascumque inveniebat,
cogebat recedere, nisi ipsi armati vellent easdem in uxores ducere.
Et finaliter credit ipse loquens quod ipsa erat vera
catholica, Deum timens, et præcepta ejus custodiens, mandatis
etiam Ecclesiæ obediens pro posse ; pia etiam, non solum erga
Gallicos, sed etiam erga inimicos. Et hæc scil ipse loquens,
quia per longa tempora cum eadem conversatus est, et eam multotiens
juvabat ad armandum.
Dicit insuper quod ipsa Johanna multum dolebat et displicebat
sibi quod aliquæ bonæ mulieres veniebant ad eam, volentes
eam salutare, et videbatur quædam adoratio, de quo irascebatur.
Nec aliud scit.
Sources :
Texte latin : Quicherat - Procès t.III p.77.
Traduction : Pierre Duparc, t.IV, p.54 à 57.
Notes (Ayroles) :
1. Hospitium novum est l'Hostel-Neuf, auparavant du Petit-Musc,
que Charles VI fit rebâtir. Il communiquait avec l'hôtel
de Saint-Paul ; circonstance d'où on peut induire que Simon
Beaucroix était attaché à la cour (Quicherat).
2. Beaucroix donne ici à d'Olon un titre qu'il n'a eu que
bien postérieurement aux faits qu'il raconte.
3. Il semble que le témoin n'a vu Jeanne qu'au retour de
Poitiers. C'est alors seulement que d'Olon a été
chargé de sa maison. A l'arrivée de Jeanne, d'Olon
n'était pas à Chinon.
4. Il n'y avait pas assez de vivres dans la ville.
5. Il s'agit ici d'une île qui a disparu lors de la reconstruction
du pont d'Orléans, mais qui figure encore sur les anciens
plans sous le nom d'Ile-aux-Toiles. Dans le Journal du Siège
on l'appelle « la petite île au droit de Saint-Aignan.
» Elle joignait presque la levée de Saint-Jean-le-Blanc.
(Jollois)
6. Seulement sur la rive gauche de la Loire ; savoir le fort des
Augustins, celui des Tourelles, et celui de Saint-Privé,
à l'ouest des deux précédents. (Quicherat).
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