Son histoire par Henri Wallon Les sources Procès condamnation Procès réhabilitation Chroniques & textes Lettres de Jeanne Recherches Bibliographie Librairie numérique Dossiers Accès cartes France 1429 Nord France 1429 Environs Domrémy Environs Orléans Siège Orléans Vue & pont d'Orléans ![]() |
Vénérable et savante personne maître Jean Barbin, docteur ès lois, avocat de notre sire le roi en sa cour de Parlement, âgé de cinquante ans, témoin produit, reçu, juré et interrogé
devant les seigneurs juges, le dernier jour du mois d'avril, Et d'abord interrogé sur le contenu des premier, deuxième, troisième et quatrième articles présentés en cette cause, les autres étant omis, car il n'en saurait rien dire dans sa dépo¬
sition, dit et déclare sous serment que, à l'époque où Jeanne vint vers le roi dans la ville de Chinon, lui était dans la ville de Poitiers ; et il entendit dire que le roi, de prime abord, ne voulut pas faire confiance à cette Jeanne, mais il voulut qu'auparavant elle fût examinée par des clercs, et même, à ce qu'il a entendu, le roi envoya enquêter au lieu de naissance de Jeanne, pour savoir d'où elle était. Il envoya Jeanne, pour y être examinée, dans la ville de Poitiers, où se trouvait
alors le témoin, et où celui-ci pour la première fois eut connaissance de Jeanne. Celle-ci, quand elle arriva dans la ville, fut hébergée dans la maison de maître Jean Rabateau ; pendant qu'elle s'y trouvait hébergée, il entendit la femme dudit Rabateau dire que Jeanne était tous les jours, après le repas, agenouillée pendant un long moment, et même de nuit ; fréquemment elle entrait dans une petite chapelle de la maison, et là pendant un long moment priait. Beaucoup de clercs la visitèrent, à savoir maître Pierre de Versailles, professeur de théologie sacrée, évêque de Meaux quand il mourut, et maître Guillaume Aymeri, aussi professeur de
théologie sacrée, ainsi que d'autres gradués en théologie, dont il a oublié le nom, qui l'interrogèrent semblablement à leur guise. Le témoin entendit alors ces docteurs qui l'avaient interrogée et lui avaient posé plusieurs questions, relater qu'elle avait répondu avec beaucoup de sagesse, comme si elle avait été un bon clerc ; au point qu'ils admiraient ses réponses et croyaient que c'était l'inspiration divine, attendu sa vie et sa conduite. Finalement les clercs, après avoir procédé à ces questions et interrogatoires, conclurent qu'il n'y avait en elle rien de mal, ni qui fût contraire à la foi catholique ; aussi, vu la nécessité dans laquelle se trouvaient le roi et le royaume, puisque le roi et ses sujets étaient alors dans une situation désespérée, et sans espoir d'aide quelconque, à moins d'une intervention de Dieu, ils conclurent également que le roi pouvait avoir recours à elle. Au cours de ces délibérations maître Jean Érault, professeur de théologie sacrée, rapporta ce qu'il avait autrefois entendu dire par une certaine Marie d'Avignon, venue il y a un certain temps auprès du roi : elle lui avait dit que le royaume de France avait beaucoup à souffrir et devrait supporter nombre de calamités, ajoutant qu'elle avait eu beaucoup de visions touchant la désolation du royaume de France, et en particulier elle voyait quantité d'armures qui lui étaient présentées ; elle en était épouvantée, craignant d'être forcée d'accepter ces armures ; alors on lui dit de ne pas avoir peur, qu'elle n'aurait pas à porter ces armes ; mais, après elle, viendrait une Pucelle qui porterait ces armes et délivrerait
le royaume de France de ses ennemis. Et cet Erault croyait fermement que Jeanne était celle dont Marie d'Avignon avait parlé. Sources : Texte latin : Quicherat - Procès t.III p.82. Traduction : Pierre Duparc, p.IV, p.57 à 59. Notes : 1 Marie Robine, dite la Gasque d'Avignon, femme dont les prédictions firent grand bruit au commencement du XVe siècle. Voici ce que je trouve écrit sur son compte dans le manuscrit de la Bibliothèque du roi, n° 10318-2. 2, fol. 48 : « Elle eut une vision, comme elle récite en icelle vision, comment« Dieu mandoit au roy de France ( Charles VI) par ladicte Marie que il ne fist ne permist estre faict substraction au pape Benedict XIII, mais l'empeschast de tout son povoir. » (Quicherat). Remarques de J.B.J. Ayroles sur ce témoignage : Maître Jean Barbin fut un des plus célèbres avocats de son temps. En 1432 il succédait comme avocat général dans les causes civiles à Juvénal des Ursins qui, archevêque de Reims, présidait la commission devant laquelle maitre Barbin fit sa déposition à Paris, le 30 avril 1456. Il suffit d'ouvrir les registres du Parlement dans les dernières années de sa résidence à Poitiers, et ensuite dans sa réintégration à Paris, pour y trouver dans maintes pages les noms de maître Barbin et de maître Rabateau. C'est donc un éminent homme de loi qui va rendre témoignage à la Sainte. Jean Barbin avait vingt-trois ans lorsqu'il vit Jeanne d'Arc à Poitiers ; il est vraisemblable qu'il faisait alors ses débuts au Parlement. Il constate l'enquête ordonnée par Charles VII à Domrémy. Une érudite brochure de M. Daniel Lacombe nous fait connaître Jean Rabateau. Né à Fontaine-le-Comte entre 1370 à 1375, il était avocat général pour le criminel lorsqu'il eut l'honneur de recevoir Jeanne d'Arc dans sa maison. Ce n'était que le milieu d'une éclatante carrière. Membre du Grand Conseil, président de la Chambre des comptes, un des quatre présidents du Parlement, vice-chancelier, Rabateau fut un des plus importants magistrats de l'époque; il mourut en 1451. Maître Barbin nous dit que Jeanne reçut l'hospitalité in domo, dans la maison de maître Jean Rabateau. Les détails qu'il donne excluent l'idée d'hôtellerie au sens moderne du mot. Les hôtelleries n'ont pas d'oratoire ; il y en avait un chez maître Rabateau, dans lequel Jeanne aimait à se recueillir : « Multoties intrabat quamdam capellam ipsius domus ». Il serait également inconvenant pour un avocat général de résider dans une hôtellerie, dans la ville où ses fonctions le fixaient d'une manière permanente. Comment y aurait-il trouvé le calme et la dignité réclamés par ses fonctions? C'eût été encore plus inconvenant pour Jeanne. Elle qui fuyait les réunions et les conversations bruyantes : Frequentiam et collocutionem multorum fastidit se serait trouvée exposée aux regards des curieux qui n'auraient pas manqué d'affluer, attirés par le désir de voir, ne fût-ce qu'un moment, la jeune fille qui recevait les visites de ce que Poitiers comptait de plus marquant, et s'attribuait si merveilleuse mission. Ceux qui donnent au mot hôtel la signification d'hôtellerie ne remarquent pas que, dans la langue du moyen âge, il signifie indistinctement toute demeure habitée par l'homme. L'enseigne de La Rose n'est pas non plus une preuve. Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que l'on a pensé à distinguer les maisons par des numéros. Précédemment une ornementation, une peinture servait à les faire connaître. Il en est encore de même dans les bourgades et les petites villes, où les numéros ne sont pas adoptés. Il est vrai qu'en 1493, au rapport de Bouchot dans ses Annales d'Aquitaine (III, p. 294), Christophe Dupeyrat racontait « qu'en sa maison, il y avait une hôtellerie où pendait l'enseigne de la Rose, où ladite Jeanne était logée ». En 1495, plus de soixante ans s'étaient écoulés depuis que la Pucelle y était venue. Dès 1437, Rabateau est venu se fixer à Paris avec le Parlement; il a dû vendre sa maison de Poitiers, qui a pu devenir une hôtellerie; cela suffit pour expliquer les paroles de Dupeyrat, qui aura brouillé les choses. Un point plus intéressant est celui de la prophétie de Marie d'Avignon, appelée encore Marie La Gasque, et Marie Robine. Le Songe du vieil Pèlerin composé au commencement du xve siècle, un manuscrit de la Bibliothèque nationale (fds fr. n° 22542), la dit très simple en Dieu, très dévote et catholique créature, que le bienheureux Pierre de Luxembourg aurait par révélation fait venir des parties de Gascogne. Le manuscrit latin 1467 (f° 52) dit qu'Essech, au diocèse d'Auch, était son lieu d'origine. Le jeune saint aurait voulu en faire un témoin particulier de sa puissance de thaumaturge puisque, arrivée parfaitement saine, son pied fut soudainement tordu avec grande douleur, et sa main, libre et se mouvant sans difficulté, fut instantanément fermée et serrée. La bénédiction du pseudo Clément VII, qui avait fait du Bienheureux mort à dix-huit ans, un évêque et un cardinal, lui rendit publiquement l'usage du pied et de la main ; guérison dont les clémentins abusèrent singulièrement pour soutenir la légitimité de l'antipape, alors qu'à s'en tenir au présent récit dû à un clémentin forcené, il n'y a qu'à voir l'intervention miraculeuse du Bienheureux qui, après avoir appelé miraculeusement la pieuse fille auprès de son tombeau, voulait sans doute la marquer pour la vocation extraordinaire que Dieu lui assigna. Marie la Gasque est signalée par Scipion Dupleix dans son Histoire de France, par Bodot de Juilly dans l' Histoire de Charles VII, jusque par Rapin Thoiras dans son Histoire d'Angleterre, où il se montre assez ignorant ou assez impudent pour nous dire que Jeanne d'Arc ne nous est connue que par la Chronique de Monstrelet. Quicherat dit que la Gasque annonça à Charles VI de grands malheurs, et le détourna de se soustraire à l'obédience du pseudo-Benoit XIII, conseil relativement bon, car cette soustraction ne devait avoir pour effet que de faire surgir un troisième contendant à la tiare. Ce dernier détail est tiré du manuscrit 5734 de la Bibliothèque nationale (fds fr.). Adressé à Charles VII par un certain Dubois, le volume, que ce n'est pas le lieu d'apprécier, est écrit en 1438 ou 39. Or on y lit au folio 60io, comme prédit par la Gasque, ce qui devait se réaliser plus de vingt ans après, et échappait à toute prévision en 1439. Si, comme roi et personne privée, Charles VII obéissait à Dieu, il devait avoir des prospérités sans pareilles, et depuis mille ans nul prince n'aurait été si glorieux; mais, disait Dieu par la voyante, s'il fait le contraire de ce que je lui demande, je ne lui aiderai, ni ne serai contre lui; mais lui laisserai accomplir ses volontés par lesquelles lui-même se détruira en abrégeant ses jours et les trames de cette vie mortelle; mais pour ce, ne perdra-t-il la vie perdurable ; mais il n'aura pas victoire sur les terriennes seigneuries. La Pucelle aussi promettait, si le roi était fidèle à Dieu, un règne d'une incomparable prospérité. Charles VII fut loin, comme personne privée et comme roi, de faire ce que Dieu lui demandait; il n'eut pas, en dehors de la France qu'il reconquit, agrandissement de territoire ; il accomplit ses propres volontés ; le châtiment fut bien celui qu'annonçait Marie d'Avignon ; il se créa de telles difficultés avec son fils qu'il détruisit ses propres jours, ne voulant plus ou même ne pouvant plus manger. Les sentiments de repentir, de piété, de confiance en Dieu qu'il témoigna sur son lit de mort, font espérer qu'il n'aura pas perdu la vie perdurable, c'est-à-dire celle de l'éternelle félicité. On aime à croire que le roi de la Pucelle, le défenseur du Pape légitime Nicolas V contre l'antipape Félix V, malgré l'introduction de la Pragmatique Sanction et le scandale de ses moeurs, n'aura pas été éternellement réprouvé. |
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