Son histoire
par Henri Wallon

Les sources
Procès condamnation
Procès réhabilitation
Chroniques & textes
Lettres de Jeanne

Recherches Bibliographie
Librairie numérique
Dossiers


Accès cartes
France 1429
Nord France 1429
Environs Domrémy
Environs Orléans
Siège Orléans
Vue & pont d'Orléans

Le journal du siège d'Orléans et du voyage de Reims
index

n 1576, Saturnin Hotot, imprimeur de la ville d'Orléans, éditait, par suite d'une convention avec la municipalité, un volume sous le titre suivant : Histoire et discours au vrai du siège qui fut mis devant la ville d'Orléans par les Anglois, le mardi 12 octobre 1428, régnant alors Charles VII de ce nom roy de France, contenant toutes les saillies, assaults, escarmouches et autres particularités qui, de jour en jour y furent faictes avec la venue de Jehanne la Pucelle, et comment par grâce divine et force d'armes, elle feist lever le siège de devant aux Anglois, prise de mot à mot sans aucun changement de langage, d'un vieil exemplaire, escript à la main en parchemin, et trouvé dans les archives de la ville.

               
                             Édition de 1621 (Louis Foucault)

  De 1429 à 1576, près d'un siècle et demi s'était écoulé, beaucoup plus qu'il n'en faut pour diminuer fort notablement l'autorité de l'imprimé, qui tire sa valeur du parchemin qu'il reproduit. A quelle année remonte ce parchemin ? Est-il bien exactement reproduit ? Deux points importants sur lesquels doit porter la critique. Ici encore, comme sur toute la période du siège, les recherches de l'abbé Dubois fournissent des données de grande valeur. Le patient chanoine découvrit dans les manuscrits d'un érudit Orléanais du XVIIIe siècle, Polluche, l'extrait suivant du compte de ville de 1466 : « Payé onze sous parisis à M. Soudan, clerc, pour avoir escript en parchemin la manière du siège tenu par les Anglois devant Orléans en 1428-1429 », Qu'était le clerc Soudan ? L'abbé Dubois a encore trouvé la réponse dans les comptes de 1468, où pour d'autres écritures se lit cette mention : « Payé 5s 4d à Soubsdan, notaire en cour d'Église. » Un notaire en cour d'Église était le plus souvent un gradué en droit canonique. Le parchemin des archives de la ville a disparu; mais nous en avons des copies. On connaît en effet quatre ou cinq manuscrits du Journal du siège. Deux sont à la Bibliothèque nationale de Paris ; l'un (Fonds latin, n° 14665) provient de l'abbaye de Saint-Victor et est du XVe siècle, l'autre fait partie du célèbre manuscrit d'Urfé, dont il a été parlé dans le volume précédent : il est cousu avant le Double Procès, mais l'écriture accuse une date postérieure ; elle est du XVIe siècle. On en trouve un autre exemplaire du XVIe siècle à la Bibliothèque de Genève. Le quatrième, écriture du XVe siècle, fait partie du manuscrit du Vatican (Fonds de la reine Christine, n° 891). La Bibliothèque impériale de Saint-Petersbourg en possède un cinquième exemplaire.

  Le texte de Saturnin Hotot a été collationné avec le texte de la Bibliothèque nationale, et le R. Père Rivière, sur ma demande, a bien voulu vérifier sur le manuscrit du Vatican certains passages que je lui avais signalés. A deux mots près, les variantes sont si peu importantes qu'elles ne méritent pas d'être signalées. Le scribe, auquel Quicherat a confié la transcription qu'il a imprimée, a préféré travailler sur l'imprimé que sur le manuscrit.
  C'est donc à tort que l'abbé Dubois a pensé que Saturnin Hotot avait introduit dans le texte du parchemin des archives d'Orléans des changements qui le déparent. La fidélité de l'imprimeur nous est garantie par les manuscrits antérieurs dans lesquels on retrouve ce qui offusque dans le texte imprimé. Pareille conformité ne peut s'expliquer que parce que les manuscrits ont reproduit le texte aujourd'hui perdu, mais gardé dans les archives de la ville en 1576. C'est donc au texte copié en 1466 par le notaire Soudan que manuscrits et imprimé nous ramènent. Faut-il faire remonter beaucoup plus haut sa composition ? Il ne le paraît pas ; tout indique qu'il a été composé à la suite de la réhabilitation, après 1456.

  De toutes les Chroniques, le Journal du siège est la seule qui énonce carrément que la délivrance d'Orléans et le sacre de Reims constituaient la mission entière de la Pucelle. Dunois, dans sa déposition, avait émis timidement cette assertion démentie par une foule d'autres documents, en opposition avec les paroles maintes fois répétées et les actes de la céleste envoyée. L'abbé Dubois, qui pourtant était loin d'avoir bien des pièces qui depuis ont confirmé son assertion, reproche justement à l'auteur de n'avoir pas dit toute la vérité, et, par égard pour les capitaines qui commandaient à Orléans, de n'avoir pas rapporté plusieurs faits bien constatés qui ne leur font pas honneur (1). Même à Orléans, Jeanne a vaincu malgré l'opposition des chefs, forte qu'elle était de l'appui des Orléanais, qui ont fini par entraîner les capitaines à leur suite. Voiler cet aspect de la délivrance, c'est en diminuer le merveilleux et rabaisser l'héroïsme de la patriotique cité. Non seulement les deux Cousinot, mais l'historiographe officiel, Jean Chartier, sont plus véridiques et moins adulateurs des grands. Le rédacteur inconnu du Journal est partial en faveur des nobles. Il énumère complaisamment les noms de ceux qui ont pris part à la lutte, et son histoire du siège n'est que le récit des incidents particuliers qui le signalèrent, sans vue d'ensemble ; au point qu'après l'avoir lu, on se rend médiocrement compte de l'état des choses. D'autres Chroniques en disent, sous ce rapport, plus en quelques lignes que le Journal dans de longues pages. Il blâme les plaintes, pourtant si justes, des Orléanais, lorsque, après la victoire de Patay, Charles VII les frustra d'une visite pour laquelle ils avaient fait des préparatifs, et qui leur était si bien due. Il dissimule que l'héroïne dut entraîner le roi sur le chemin de Reims, en partant de Gien avec une partie de l'armée, pour mettre fin à d'interminables tergiversations. D'après son récit, ce seraient les conseillers du roi qui l'auraient déterminé à reprendre le chemin du Berry par Bray-sur-Seine. D'après les autres chroniqueurs, il était d'accord avec ces conseillers, traîtres ou tout au moins mal avisés. S'il dit que la tentative contre Paris échoua parce que les choses furent mal conduites, il se garde d'insinuer les causes honteuses de ce défaut dans la conduite, et l'on se demande si c'est à l'héroïne qu'il faut l'attribuer, ou à d'autres capitaines mal inspirés. D'après lui, La Trémoille excepté, tous les grands auraient rempli leur devoir et secondé la céleste envoyée; ce qui n'est pas exact. L'auteur dit que son ouvrage est très compendieux, c'est-à-dire très abrégé. Qu'abrège-t-il ? Seraient-ce des registres de la cité, écrits au fur et à mesure que les faits se passèrent? Si c'est possible, nous n'avons aucune preuve pour l'affirmer. Sûrement, à partir de la campagne de la Loire, il a sous les yeux la Chronique des Cousinot. Il ne fait que l'abréger pour la campagne du sacre, et pour celle qui a suivi...

  La rédaction semble hâtive. Après avoir rapporté que Saint-Loup fut enlevé le mercredi 4 mai, ce qui est exact, il dit que les Tourelles furent prises le samedi 6, et que les Anglais partirent le dimanche 7 mai ; cela ne se trouve pas seulement dans l'imprimé de Saturnin Hotot, mais aussi dans les manuscrits. Il fallait bien que le rédacteur écrivît assez longtemps après le siège, pour faire coucher la Pucelle aux Tourelles dans la nuit du samedi au dimanche. Tout le monde savait à Orléans qu'elle était rentrée le soir même par le pont, ainsi qu'elle l'avait annoncé le matin, contre toute vraisemblance. Ce qu'il dit de la Pucelle avant son arrivée à Orléans n'est pas à sa place. Il en résulte de la confusion quand on veut se rendre compte de la suite des faits. Quelques notables erreurs y seront signalées. Le style semble confirmer, ainsi que l'observe l'abbé Dubois, la composition postérieure du Journal. Il renferme des mots inusités en 1430.

  D'après d'habiles philologues, la langue française aurait subi de notables changements vers le milieu du XVe siècle, particulièrement dans le centre de la France. Ce changement nous a paru bien accusé dans le Journal du siège. La diction est relativement moderne ; on y trouve par exemple le mot citoyen, inusité, ce nous semble, avant cette époque. Pour rendre le style tout à fait moderne, il suffit le plus souvent de changer les mots de place et de rajeunir l'orthographe. La partie vraiment intéressante du Journal en ce qui regarde Jeanne d'Arc, c'est l'entrée de l'héroïne à Orléans, l'emploi de ses journées jusqu'à l'assaut contre Saint-Loup. Il donne des détails qu'on chercherait inutilement dans les autres chroniques (2)...


  Le journal du siège complet affiché sur ce site est l'édition de MM. Charpentier et Cuissard parue en 1896. Les notes d'érudition ne sont pas reprises intégralement.
  Les parties mises en Français plus moderne (texte bleu) sont de J.B.J. Ayroles "La vraie Jeanne d'Arc - t.III).

                    

Chapitres :

- titre
- octobre 1428
- novembre 1428
- décembre 1428
- janvier 1429
- février 1429
- mars 1429
- avril 1429
- mai 1429
- juin 1429
- juillet 1429
- août 1429
- septembre 1429


                                      

etit traictié par manière de cronique contenant en brief le siege mis par les Angloys devant la cite d'Orléans, et les saillies, assaulx, esccarmouches qui durant le siege y furent faictes de jour en jour, la venue et vaillans faictz de Jehanne la Pucelle, et comment elle en feist partir les Angloys et enleva le siege par grace divine et force d'armes. 1428.


                                      

12 octobre :
e conte de Salebris (3), qui estoit bien grant seigneur et le plus renommé en faictz d'armes de tous les Angloys, et qui pour Henry, roi d'Angleterre (4) dont il estoit parent, et comme son lieutenant et chef de son armée en ce royaulme, avoit esté présent en plusieurs batailles et diverses rencontres et conquestes contre les François où il s'estoit toujours vaillamment maintenu, cuydant prendre par force la cité d'Orléans, laquelle tenant le party du roy son souverain seigneur Charles, septiesme du nom, la vint assiéger, le mardi douziesme jour d'octobre mil quatre cens vingt huit à tout grant ost et armée, qu'il feist loger du costé de la Soloigne, et prez de l'ung des bourgs que on dict Le Porteriau (5). Ouquel ost et armée estoit avec luy Messire Guillaume de la Poulle, conte de Suffort et Messire Jehan de la Poulle, son frère, le seigneur d'Escalles (6), le seigneur de Fouquembergue (7), le bailli d'Évreux, le seigneur de Gres (8), le seigneur de Moulins (9), le seigneur de Pomus (10), Glacidas (11), Messire Lancelot de Lisle (12), mareschal de l'ost, et plusieurs autres seigneurs et gens de guerre, tant Angloys comme aultres faulx François tenans leur party. Mais les gens de guerre y estant en garnison avoient ce mesme jour avant la venue des Angloys, du conseil et ayde des cytoyens d'Orléans, faict abatre l'esglise et convent des Augustins d'Orléans (13), et toutes les maisons qui lors estoyent audict Porteriau, affin que leurs ennemys ne peussent estre logés ne y faire fortificacions contre la cité.

                                                       *
                                                  *        *

17 octobre :
  Le dimanche ensuyvant, gectèrent les Angloys dedens la cité six vingtz et quatre pierres de bombardes et gros canons : dont telles pierres y avoit qui pesoient cent seize livres. Et entre les autres avoient assiz près de la turcie de Sainct Jehan le Blanc, entre le pressouer de la Favière (14) et le Portereau, ung gros canon, qu'ilz nommoient Passe voulant. Lequel gectoit pierres pesans quatre vingtz livres, qui feit moult de dommaiges aux maisons et édiffices d'Orléans, combien qu'il n'y tua ne blessa si non une femme nommée Belles, demourant près la poterne Chesneau (15).
  Cette mesme sepmaine, rompirent aussy et abatirent les canons des Angloys douze moulins qui estoient sur la riviere de Loire (16), entre la cité et la Tour neufve. Pour quoy ceulx d'Orléans feirent faire dedens la ville unze moulins à chevaulx qui moult les reconfortoient. Et non obstant les canons et engins des Angloys, feirent sur eulx les Françoys estans dedens Orléans, plusieurs saillyes et escarmouches entre les Tournelles (17) du pont et Sainct Jehan le Blanc, depuis celluy jour de dimenche jusques au jeudi vingt et ungnieme jour du mesme moys.

                                                       *
                                                  *        *

21 octobre :
  Auquel jour de jeudi, assaillirent les Angloys ung boulevert qui estoit faict de fagotz et de terre, assiz devant les Tournelles, dont l'assault dura quatre heures sans cesser, car ils commencerent dès dix heures au matin, et ne le laissèrent jusques à deux heures après midi, là où furent faictz plusieurs beaulx faitz d'armes, tant d'une part que d'aultre. Des principaulx Françoys qui gardoient le boulevert, estoient le seigneur de Villars (18), capitaine de Montargi, messire Mathias (19), Arragonnois, le seigneur de Guitry (20), le seigneur de Courras (21), gascon, le seigneur de Sainctes Trailles (22), et son frère Poton de Sainctes Trailles (23), aussi gascons, Pierre de la Chappelle, gentilhomme du pays de Beausse (24), et plusieurs aultres chevalliers et escuiers, sans les citoyens d'Orléans, qui tous se portèrent très vaillamment.
  Pareillement y feirent grant secours les femmes d'Orléans ; car elles ne cessoient de porter très diligemment à ceulx qui deffendoient le boulevert, plusieurs choses nécessaires, comme eaues, huilles, gresses bouillans, chaux, cendres et chaussetrapes. En la fin de l'assault, y furent plusieurs blessez d'une partie et d'autre, mais trop plus des Angloys, dont il en mourut plus de douze vingtz. Lors advint que durant l'assault, chevauchoit par Orléans le seigneur de Gaucourt (25), car il en estoit gouverneur ; mais en passant par devant Sainct Pere Empont (26), il cheut de son cheval par cas d'aventure, tellement qu'il se desnoua le bras ; si fust incontinent mené aux estuves pour appareiller (27).

                                                       *
                                                  *        *

22 octobre :
  Le vendredy ensuyvant vingt-deuxiesme jour d'icelluy mois d'octobre, sonna la cloche du beffroy, par ce que les Françoys cuidoient que les Angloys assaillirent le boulevert des Tournelles du bout du pont par la mine dont l'avoient miné ; mais ilz s'en deportèrent pour celle heure. Et ce meisme jour rompirent ceulx d'Orléans une arche du pont, et feirent ung boulevert au droit de la Belle Croix (28), qui est le pont (29).

                                

                                                       *
                                                  *        *

23 octobre :
  Le samedy ensuivant, vingt troisiesme jour d'icelluy mois, bruslerent et abatirent ceulx d'Orléans le bolevert des Tournelles et le habandonnerent, par ce qu'il estoit tout myné, et n'estoit pas tenable, au dit des gens de guerre.

                                                       *
                                                  *        *

24 octobre :
  Le dimenche ensuivant, vingt quatriesme jour de ce mesme mois d'octobre, assaillirent les Angloys et prindrent les Tournelles au bout du pont, parce qu'elles estoient tout desmolies et brisées des canons et grosse artillerie que ilz avoient gectez contre. Et aussi ni eut point de deffence, parce qu'on  ne se osoit tenir dessoubz.
  Celluy jour de dimenche au soir, voult le conte de Salebris, ayant avec  luy le cappitaine Glacidas et plusieurs autres, aller dedans les Tournelles, aprez que elles eurent esté prinses, pour regarder mieulx l'assiecte d'Orléans ; mais ainsi qu'il y fut, regardant la ville par les fenestres des Tournelles, il fut actaint d'un canon que on disoit avoir esté tiré d'une tour appelée la tour Nostre Dame (30) combien qu'il ne fut oncques sceu proprement de quel part il avoit été gecté ; pour quoi fut dès lors [et deppuis aussi] par plusieurs que c'estoit euvre divine. Le coup d'icelluy canon le frappa en la teste tellement qu'il lui abatit la moictié de la joue et creva ung des yeux : qui fut un très grant bien pour ce royaume, car il estoit chief de l'armée, le plus craint et renommé en armes de tous les Anglois.
  Ce meisme jour de dimenche que les Tournelles avoient esté perdues, rompirent les François, estans dedens la cité, ung autre bolevart très fort. Et d'autre part rompirent les Anglois deux arches du pont devant les Tournelles, après qu'ils les eurent prinses, et y firent un très gros bolevart de terre et de  gros fagotz.

  

                                                       *
                                                  *        *

25 octobre :
  Le lundy ensuyvant, vingt cinquiesme jour d'icelluy moys d'octobre, arriverent dedens Orléans pour la conforter, secourir et ayder, plusieurs nobles seigneurs, chevalliers, capitaines et escuyers fort renommez en guerre, desquels estoient les principaulx : Jehan bastard d'Orléans (31), le seigneur de Sainct Sevère, mareschal de France (32), le seigneur de Bueil (33), messire Jacques de Chabannes (34), seneschal de Bourbonnoys, le seigneur de Chaumont sur Loire (35), messire Theaulde de Valpergue, chevalier lombard, et ung vaillant cappitaine gascon, appelé Estienne de Vignolles, dit  La Hire qui estoit de moult gran renom, et vaillans gens de guerre estans en sa compaignie. Et pour lors estoit cappitaine de Vendosme messire Cernay (36), Arragonoys, et plusieurs autres, accompaignez de huit cens combatans, tant hommes d'armes, comme archiers, arbalestriers, avecques autres infanterie d'Italie, qui portèrent tergons.

                                                       *
                                                  *        *

27 octobre :
  Le mercredi ensuyvant, vingt septiesme jour d'icelluy moys, trespassa de nuit le conte de Salebris en la ville de Meung sur Loire, où il avoit esté porté du siége, après qu'il eut recu le coup de canon dont il mourut. De la mort duquel furent fort esbahiz et doulans les Angloys tenans le siège, et en feirent grant deuil, combien qu'ilz faisoient le plus secretement qu'ilz povoient, de paour que ceulx de Orléans ne s'en apperceussent. Si feirent vuyder les entrailles, et envoyer le corps en Anglelerre. La mort duquel conte fait grant dommaige aux Angloys, et par le contraire grant prouffit aux Françoys. Plusieurs dirent [depuis] que le conte de Salebris print telle fin par divin jugement de Dieu, et le croyent, tant pour ce qu'il avoit failly de promesse au duc d'Orléans prisonnier en Angleterre, auquel il avoit promis qu'il ne mesferoit en aucune de ses terres, comme aussy parce qu'il n'espargnoit monastères ne églises qu'il pillast et feist piller, puis qu'il y peust entrer : qui sont choses asset induisans à croire que ses jours en furent abbregez par juste vengence de Dieu. Et en especial fut pillée féglise Nostre Dame de Cléry et le bourg aussy pareillement.


                                        

8 novembre :
e mardy huitiesme jour de novembre, fut devisé et déséparé l'ost des Angloys, qui s'en alèrent, partie à Meung sur Loire, et partie à Jargueau, et laissèrent grosses garnisons aux Tournelles et boulevart du pont, desquelles demoura cappitaine Glacidas, et avecques luy cinq cens combatans pour les garder.

  Le meisme mardy brulèrent et ardirent les Anglois plusieurs maisons, pressoers et autres édifices ou val de Loire. Et d'autre part mirent telle dilligence les gens de guerre et citoyens d'Orléans, qu'ils brulèrent et abatirent dedans la fin de ce mesme moys de novembre plusieurs églises qui estoient ès forsbourgs d'entour leur cité, comme l'église de Sainct Aignan (37), pateron d'Orleans, et aussi le cloistre d'icelle église, qui estoit moult bel a veoir. L'église de Sainct Michiel (38), l'église de Sainct Avy (39), la chappelle du Martroy (40), l'église de Sainct Victor (41), assize és forsbourgs de la porte de Bourgogne, l'église de Sainct Michel dessus le foussés (42), les Jacobins (43), les Cordeliers (44), les Carmes (45), Sainct Mathurin (46), l'aumosne Saincte Pooir (47) et Sainct Lorens (48). Et oultre plus brulerent et demolirent tous les forsbourgs d'entour leur cité, qui estoit tres belle et riche chose a veoir avant qu'ilz fussent abatuz ; car il y avoit de moult grans édifices et riches, et tellement que on tenoit que c'estoient les plus beaulx forsbourgs de ce royaume, mais ce nonobstant les abattirent et bruslerent les Franchois de la garnison, et ce par le vouloir et aide des citoyens d'Orléans, afin que les Anglois ne s'y peussent loger, parce qu'ilz eussent esté fort préjudiciables à la cité.


                                        

1 décembre :
e premier jour de décembre ensuivant arrivèrent aux Tournelles du pont plusieurs seigneurs anglois dont entre les autres estoient de plus grant renom messire Jehan Talbot, premier baron d'Angleterre, et le seigneur d'Escalles, acompaignez de trois cens combatans, qui y amenèrent vivres, canons, bombardes et autres habillemens de guerre : desquelz ilz gectèrent contre les murs et dedans Orléans plus continuellement et plus fort que devant n'avoient fait au vivant du comte de Salebris ; car ilz gectoient de telles pierres, qui pesoient huit vingt quatre (49) livres qui feirent plusieurs maulx et dommaiges contre la cité, en plusieurs maisons et beaulx ediffices d'icelle, sans personne tuer ne blescher : que on tenoit a grant merveille, car entre le autres, en la rue Aux petitz souliers en cheut une en l'ostel et sur la table d'un homme qui dinoit, luy cinquiesme, sans aucun en tuer ne blescher : que on dit avoit esté miracle faict par Nostre Seigneur à la requeste de monsieur Sainct Aignan (50), patron d'Orléans.

                                                       *
                                                  *        *

7 décembre :
  Le mardy ensuivant, à trois heures du matin, sonna la cloche du beffroy, parce que les François cuidèrent que les Anglois vousissent assaillir le bolevart de la Belle croix sur le pont. Et aussi en y avoit deux qui l'avoient drès jà eschellé jusques à l'une des cannonières ; mais ilz se en retournèrent tantost en leurs Tournelles et taudis, obstant ce qu'ilz apperceurent que les François faisoient le guet, et avoient appareillé toutes choses, comme canons, arbalestres, fondes (51) à baston, couleuvrines, pierres et autres habillemens de guerre, nécessaires à leur deffence, se on les assailloit.

        

                                                       *
                                                  *        *

23 décembre :
  Le jeudy vingt troisiesme jour de ce mois de décembre, commença à gecter la bombarde (52) gectant pierres pesant six vingt livres, que ceulx d'Orléans avoient lors faict faire toute neufve, par ung nommé Guillaume Duisy, très soutil ouvrier, et fut assortie à la croche (53) des moulins de la poterne Chesneau, pour gecter contre les Tournelles ; auprès de laquelle estoient assortiz deux canons, l'un dit Montargis et l'autre Rifflart (54), qui durant le siège gectèrent contre les Anglois, et leur feirent de grands dommaiges.

       

                                                       *
                                                  *        *
25 décembre :
  Le jour de Noël ensuivant, furent données et octroyées trèves d'une partie et d'autre, durees deppuis neuf heures au matin jusques à trois heures apprez midy. Et ce temps durant, Glacidas et autres seigneurs du pays d'Angleterre requisdrent au bastard d'Orléans et au seigneur de Sainct Severe, mareschal de France qu'ilz eussent une note de haulx menestriers, trompettes et clarons : ce qui leur fut accordé ; et jouèrent les instruments assez longuement, faisans grant melodie. Mais si toust que les trèves furent rompues, se print chacun garde de soi.
  Durant les festes et fériers de Noël, gectèrent d'une partie et d'autre très fort et horriblement de bombardes et canons, mais sur tous faisoit moult de mal ung couleuvrinier nommé maistre Jehan (55), que l'on disoit estre le meilleur maistre qui fust lors d'icelluy mestier. Et bien le monstra, car il avoit une grosse couleuvrine dont il gectoit souvent, estant dedans le pilier du pont près du bolevart de la Belle Croix, tellement qu'il en blessa et tua moult d'Angloys et pour les mocquer se laissoit aucune fois cheoir à terre, faignant estre mort ou blecié, et s'en faisoit porté en la ville ; mais il retournoit incontinent à l'escarmousche, et faisoit tant que les Anglois le sçavoient estre vif en leur grand dommaige et desplaisir.

          

                                                       *
                                                  *        *
29 décembre :
  Le mercredy vingt neufviesme jour d'icelluy mois de décembre, furent brulées et abatues plusieurs autres églises et maisons, qui estoient aincoires demeurées auprez d'Orléans, comme Sainct Loup (56), Sainct Marc (57), Sainct Gervais (58), Sainct Evurtre (59), la chappele Sainct Aignan (60), Sainct Vincent des Vignes (61), Sainct Ladre (62), Sainct Pouoir (63) et aussi la Magdeleine (64), afin que les Anglois ne se peussent là loger, retraire et fortiffier contre la cité.
                                                       *
                                                  *        *

30 décembre :
  Le penultiesme jour d'icelluy mois arriverent environ deux mil cinq cens combattans Anglois à Sainct Laurens des Orgerilz près d'Orléans pour là fermer ung siège ; desquelz estoient cappitaines le conte de Suffort et Talbot (65), Messire Jehan de la Poulle, le seigneur d'Escales, Messire Lancelot de Lisle et plusieurs autres. Mais à leur venue furent faictes ce jour grandes escarmouches, car le bastard d'Orléans, le Seigneur de Saincte Sévère, Messire Jacques de Chabannes, et plusieurs autres chevalliers, escuiers et cytoiens d'Orléans, qui moult vaillamment se portèrent, leur alèrent au devant et les recuellirent comme leurs ennemys. Et là furent faits plusieurs beaulx faiz d'armes d'une partie et d'autre. En celles escarmouches fut blesché ou pié d'un traict des Anglois Messire Jacques de Chabannes et son cheval tué par cas pareil.
  Ce mesme jour aussy furent faictz plusieurs beaulx faiz d'armes, d'une partie et d'autre, environ  la Croix Boissée près de Sainct Lorens. Et tout ce jour feist grandement son devoir maistre Jehan à tout sa couleuvrine.

                             

                                                       *
                                                  *        *

31 décembre :
  Le vendredy, dernier jour de l'an, à quatre heures après midy, eut deux Françoys qui deffirent deux Anglois à faire deux coups de lance, et les Angloys receurent le gaige. L'un des Françoys avait nom Jehan le Gasquet, et l'autre Vedille, tous deux gascons, de la compaignie de La Hire ; ledit Gasquet vint premier contre son adversaire et le gecta par terre d'un coup de lance ; mais Vedille et l'autre Angloys ne peurent veincre l'un l'autre. Pour lesquelz regarder avoit, assez prez d'eulx plusieurs seigneurs, tant de France comme d'Angleterre.


                                      

1 janvier :
e samedy ensuivant, premier jour de l'an, eut une grosse escharmouche, environ trois heures aprez midy, entre la riviere Flambert (66), la porte Regnard (67) et la grève : là où furent plusieurs tuez, bleciez et prins prisonniers d'une partie et d'autre, et plus de François que d'Anglois. L'abbé de Cerquenceaux (68) que on disoit estre religieux et estoit moult vaillans pour les François, y fut blécié. Là fut aussi perdu le chariot de la couleuvrine et prins par les Anglois : par quoy les François furent constains de reculler hastivement parce que les Anglois saillirent à grant puissance.

                                                      *
                                                 *        *

2 janvier :
  Le dimenche ensuivant, à deux heures aprez minuyt, sonna la cloche de la cité à l'effroy, parce que les Anglois cuidèrent escheller le bolevart de la porte Regnard : maiz ilz trouvèrent ceulx de la cité qui faisoient bon guet, et constraingnirent les Anglois d'eulx en retourner à grant haste dedans leur ost et bastille de Sainct Lorens des Orgerilz. Sy ne gaignèrent que estre mouillez, car durant celle heure pleuvoit très fort.

                                                       *
                                                  *        *
3 janvier :
  Le lundy ensuivant, troisiesme jour de janvier, arrivèrent devers le matin, dedans Orléans, neuf cens cinquante quatre pourceaulx, grous et gras, et quatre cens moutons. Et passa cellui bestial au port de Sainct Loup (69) : dont le peuple d'Orléans fut fort joyeulz, car ilz vindrent au besoing.

                                                       *
                                                  *        *
4 janvier :
  Le mardy ensuivant, quatriesme jour d'icelluy moys, et environ trois heures aprez minuyt, sonna la cloche du beffroy, parce que les Anglois se vindrent présenter devant le bolevart de la porte Regnard, où ilz firent à tous grans criz sonner leurs trompettes et clairons et aussi firent pareillement ceulx des Tournelles, comme s'ilz voulsissent assaillir le boulevert. Mais ceulx d'Orléans se portèrent si grandement, et tant saigement se deffendirent des canons et autres habillemens de guerre, que les Anglois se recullèrent en leurs bastilles de Sainct Lorens.

                                                       *
                                                  *        *
5 janvier :
  Le mecredy ensuivant, vint messire Loys de Culan (70), admiral de France et deux cens combatans avec luy, courir au Porteriau devant les Tournelles, où estoient les ¢garnisons des Angloys, et malgré eulx passa Loire au port de Sainct Loup ; et s'en entra luy et ses gens dedans la cyté pour sçavoir des nouvelles, et du gouvernement d'elle et des Franchois y estans. Auquel et à ses gens fut faict grant chière, et moult furent louez. Car aussy s'estoient ilz portez, tres vaillamment contre les Angloys à l'escarmouche du Porteriau.

                                                       *
                                                  *        *

6 janvier :
  Le jeudy suivant, feste de la Tiphaine (71), c'est des Rois, saillirent d'Orléans, les seigneurs de Sainct-Sévère et de Culan, messire Théaulde de Valpargue, et plusieurs autres gens de guerre et cytoyens ; et feirent une grant escarmouche, où ilz se portèrent très grandement contre les Angloys, lesquelz se deffendirent bien et hardiment. Aussy estoient ilz beaucoup de seigneurs d'Angleterre, tant de chevalliers comme d'escuyers ; mais on ne scet leurs noms. A celle escarmouche se porta pareillement moult bien maistre Jehan à tout sa couleuvrine.
  Durant celluy temps avoient tant travaillé les Angloys, qu'ilz avoient fait deux boulevars sur la rivière de Loire, l'un estant en une petitte ysle,du cousté et au droit de Sainct Lorenz (72), qui estoit faict de fagotz, sablon et de bois ; et l'autre ou champ de Sainct-Privé (73), au droit de l'autre et sur le rivaige de la rivière laquelle ilz passoient en celluy endroit, portans vivres les ungs aux autres. Et pour les garder en avoient faict cappitaine messire Lancelot de Lisle, mareschal d'Angleterre.

                                                       *
                                                  *        *

10 janvier :
  Le lundy, dixiesme jour d'icelluy mesmes mois, arrivèrent dedans Orléans grant quantité de pouldres de canon, et plusieurs vivres que on y amenoit de Bourges, pour la  conforter et secourir. En celluy jour eut aussi une très grousse et forte  escarmousche, tant des canons comme d'autre traict et couleuvrines : dont ceulx qui les gectèrent feirent grandement leur devoir, et tellement, qu'il y eut  beaucoup d'Angloys tuez et plusieurs prins prisonniers.

                                                       *
                                                  *        *

11 janvier :
  Le mardy ensuivant, environ neuf heures de nuyt, fut toute la couverture et le comble des Tournelles abatue et gectée au bas, et six Angloys tuez dessoubz, d'un coup de canon de fer qui estoit assorty ou boulevart de la Belle Croix du pont (74) et que on feit gecter au bas à celle heure.

                                                       *
                                                  *        *

12 janvier :
  Le mercredy ensuivant, douziesme jour d'icelluy moys de janvier, sonna la cloche  à l'effroy, parce que les Angloys firent merveilleux cry, et sonnèrent leurs trompettes et clairons devant le bolevart de la porte Regnart. Et ce meisme jour arrivèrent dedans Orléans, vers le matin six heures six cens pourceaux.

                                                       *
                                                  *        *

15 janvier :
  Le samedy ensuivant, quinziesme jour du meisme janvier, environ huit heures de nuyt, saillirent hors de la cité le bastard d'Orléans, le seigneur de Saincte-Sévère, et messire Jacques de Chabannes, accompaignez de plusieurs chevaliers, escuiers, capitaines et citoyens d'Orléans, et cuydoyent charger sur une partie de l'est de sainct Lorens des Orgerilz ; mais les Angloys s'en aperceurent, et crièrent alarme dedens leur ost ; par quoy ilz s'armèrent, tellement qu'il y eut une grosse et forte escarmousche. En fin se   retrairent les François ou boulevart de la porte Regnart car les Angloys saillirent à toutte puissance, combien que en leur saillie furent très bien batuz.

                                                       *
                                                  *        *

16 janvier :
  Le dimanche ensuivant, environ deux heures aprez midy, arriverent en l'ost des Angloys douze cents combatans, dont estoit chef messire Jehan Fascot (75) ; et  amenèrent avecques eulx, vivres, bombardes, canons, pouldres, traicts et aultres habillements de guerre, de quoy leurs gens de l'oust avoient grant souffrette.

                                                       *
                                                  *        *

17 janvier :
  Le lundy ensuivant, dix septiesme d'icelluy moys, advint moult merveilleux cas : car les Angloys gectèrent un canon de leur boulevart de La Croix Boisée, dont la pierre cheut devant le boulevart de la porte Banier, ou milieu de plus de cent personnes, sans aucun blescher ne tuer ; mais frappa seullement par le piet ung compaignon françois, tant qu'elle lui osta le soullier sans luy faire aucun mal : qui est chose merveilleuse à croire.
  Celui mesme jour, se devoir faire ung gaige de bataille de six Françoys contre six Angloys ou prouchain champ de la porte Banier, là où souloit estre le coulombier Turpin ; mais il ne se fist point, combien qu'il ne tint aux François, car ilz se presentèrent contre leurs adversaires, qui ne vindrent ne comparurent, avec ce  n'osèrent saillir.

                                                       *
                                                  *        *

18 janvier :
  Le mardy, dix huistiesme d'icelluy moys de janvier à neuf heures de nuyt, tirèrent les Anglois, estans ès Tournelles, un canon ou bolevart de la Belle Croix, qui frappa un nommé Le Gastelier, natif d'Orléans, lequel, en les regardant bandoit une  arbalestre voulant tirer contre eux.

  Celluy jour arrivèrent dedans Orléans, ainsy comme aux portes deffremans, quarante chiefz d'aumailles et deux cens pourceaux.
  Celluy jour et toust après l'entrée du bestial, guaingnerent les Angloys des Tourelles la charrière, deux sentines et cinq cens chiefs de bestial, que marchans cuydoient   amener dedans Orléans, lesquelz furent acusez par aucuns traistres d'ung village emprez, dit Sandillon (76), afin qu'ilz eussent partie du butin ; et aussi fut après le bestial butiné à Jargeau, estant lors Anglois.

  Celluy mesme jour, environ trois heures après midy, eut une grousse et forte escarmousche en une isle devant la croiche des moulins de Sainct Aignan, parce que les Angloys rompirent le conduict pour passer la charrière qu'ilz avoient gaingnée au port de Sainct Loup. Et les François, tant gens de guerre comme citoyens d'Orléans, se firent passer l'eaue en cette isle, cuydant recouvrer leur charrière perdue dès le matin. A l'encontre desquelz yssit grant puissance d'Angloys, qui estoient embuchiez derrière la turcie ung peu plus loing que Sainct Jehan le Blanc ; et faisans grans criz se adressèrent contre les François qui s'en retournoyent, et reculèrent vers leurs boulevars très hastivement : ce qu'ilz ne sceurent faire si toust que il n'y en demoura vingt deux mors. En oultre y furent prins deux gentilzhommes, l'ung nommé le petit Breton, qui estoit au bastard d'Orléans et l'autre nommé Remonet (77), estant au maréschal de Sainct Sévère. A icelle escarmousche fut aussy perdue une couleuvrine, qui estoit à maistre Jehan, qui fut en grant péril d'estre prins car ainsy qu'il cuyda retraire en sa santine, d'autres se boutèrent dedans avecques luy : tellement qu'elle enfonça en la rivière : par quoy il se cuida retraire dedans ung grant chalan ; mais il ne peut oncques, parce qu'il estoit jà party. Toutesfoiz, véant le destroit dangier, feit tant qu'il saillit sur la peaultre ; qui luy demoura en la main, ainsi qu'il s'eforça pour saillir de l'eau ou chalan, au derrenier, non obstant toutes telles infortunitez nageant sur la peautre vint à rive et se sauva dedans la cité, laissant sa couleuvrine jà gaignée par les Angloys ; qui la emportèrent aux Tournelles.

                                                       *
                                                  *        *

24 janvier :
  Le jour de lundy, vingt quatriesme jour d'icelluy mois de janvier, environ quatre heures, après mydi, arriva dedans Orléans La Hire, et avecques luy trente hommes d'armes ; contre lesquelz gectèrent les Angloys ung canon, dont, la pierre cheut au meilleu d'eulx, lorsqu'ilz estoient à l'endroit de la porte Regnart, combien qu'elle n'en tua ne bleça aucun  qui fut une grant merveille. Sy entrèrent sains et saulfz en la ville et allèrent rendre graces à Nostre Seigneur qui les avoit préservez du mal.

                                                       *
                                                  *        *

26 janvier :
  Le mecredy, vingt sixiesme du meismes janvier, eut une forte escarmousche devant le boulevart de la porte Banier, parce que les Angloys, advisèrent caultement que le souleil luysoit aux visaiges des François, qui estoient hors du bolevart pour escarmouscher. Et saillirent de leur ost à grosse puissance, monstrans grant semhlant de hardiesse ; et feirent tant  qu'ilz recullèrent les François jusques à la doue des foussez du boulevart et de la ville, dont ilz approuchèrent tant prez qu'ilz apportèrent ung de leurs estandars en une lance près du boulevart ; combien qu'ilz n'y arrestèrent que ung petit, parce que on leur gectoit d'Orléans et du boulevart moult espessement de canons, bombardes, couleuvrines et autre traict. Et fut dit que en celle escarmousche fut tué vingt Anglois, sans les blecez. Mais des François n'y mourut que ung des archiers du mareschal de Sainct Sévère, qui fut tué d'ung canon mesme d'Orléans : dont son maistre et les autres seigneurs furent bien marriz.

                                                       *
                                                  *        *

27 janvier :
  Le jeudy ensuivant, vingt septiesme d'icelluy moys de janvier, à trois heures  après midi, eut une très grosse escarmousche devant le boulevart de la porte  Regnard, parce que de quatre à cinq cens combatans Angloys y vindrent de leur bastille, faisant là très grans et merveilleux criz. Contre lesquelz saillirent ceux d'Orléans par le boulevart meismes, et se hasterent tant qu'ilz se mirent en desarroy, par quoy le mareschal de Sainct Sévère les feit retourner dedans.
  Et aprez qu'il les eut mis en ordonnance, les feit de rechef saillir, et les conduit tant bien par son sens et prouesse qu'il contraignit les Angloys de retourner en leut ost et bastille de Sainct Lorens.

                                                       *
                                                  *        *

28 janvier :
  Le lendemain jour de vendredy, arrivèrent dedans Orléans, environ onze heures de nuyt, aucuns ambassadeurs qui avoient esté envoyez devers le roy de par la ville pour avoir secours.

                                                       *
                                                  *        *

29 janvier :
  Le samedy ensuivant, vingt neuviesme jour du mesmes janvier, à huit heures du matin, firent les Anglois grans criz en leur ost et bastilles, se mirent en armes à grant puissance et, par grant ordonnance, continuans tousjours leurs criz et faisans demonstrance de grant hardiment, s'en vindrent jusques à une barriere qui estoit en la grève devant la tour Nostre Dame, et jusques devant le boulevart de la porte Regnart ; mais ils furent bien receuz, car les gens de guerre et beaucoup de peuple d'Orléans saillirent incontinent contre eulx, bien ordonnez, tellement qu'il y eut une très forte et grande escarmousche, tant à la main comme des canons, couleuvrines et traict ; et y eut beaucoup de gens tuez, bleciez et prins prisonniers d'une part et d'autre. Et par espécial y mourut ung seigneur d'Angleterre, que les Anglois plaignirent moult ; et le portèrent enterrer à Jargueau. Et ce jour mesmes devers le matin, aussy arriverent dedans Orléans le seigneur de Villars, le  seigneur de Sainctes Trailles et Poton son frère, messire Ternay, et autres chevaliers et escuiers venans de parler au roy.
  Celluy mesme jour de samedy vingt neufviesme d'icelluy meisme moys de janvier, fut donné seureté d'une part et d'autre à La Hire et messire Lancelot de Lisle de parler ensemble : ce qu'ilz firent environ l'heure de fremer les portes. Mais après qu'ilz eurent parlé ensemble et que l'eure de la seureté fut passée, comme chacun d'eulx s'en retournoit devers ses gens, ceulx d'Orléans gectèrent un canon qui frappa messire Lancelot, tellement qu'il luy enleva la teste : dont ceulx de l'ost furent très doulans car il estoit leur mareschal et bien vaillant homme.

                                                       *
                                                  *        *

30 janvier :
  Le jour d'après, qui fut dimanche, eut une forte escarmousche, parce que les Angloys  levoient des charniers, c'est des eschallas, des vignes d'environ Sainct Ladre et Sainct Jehan de la Ruelle, prez d'Orléans, et les emportoient en leur ost pour eulx choffer. Pour quoy le mareschal de Sainct Sévère, la Hire, Pothon, messire Jacques de Chabannes, messire Denis de Chailly (78), messire Cernais, Arragonnois, et plusieurs autres d'Orléans en saillirent hors et se frappèrent en eulx, et les assaillirent vaillammant, tellement qu'ilz en tuèrent sept, et en amenèrent quatorze prisonniers dedans leur cyté. En laquelle celluy jour trespassa ung vaillant bourgois qui en estoit natif, nommé Simon de Beaugener, qui avoit esté blécié en la gorge d'un traict des adversaires.
  Celluy mesmes dimanche, se partit d'Orléans durant la nuit le bastart d'Orléans accompaigné de plusieurs chevaliers et escuiers, pour aler à Blois devers Charles, conte de Clermont, fils aisné du duc de Bourbon ; pourquoy les Anglois, les oyant parler, crièrent à l'arme ; et se feirent fort guet, doubtant qu'ilz ne voulussent assaillir en leurs bastilles.

                                                       *
                                                  *        *

31 janvier :
  Et l'endemain, jour de lundy, trente et ungiesme et dernier d'icelluy moys de janvier, arriverent dedans Orléans juit chevaulx chargez de huisles et de gresses.

                                         

3 février :
e jeudy ensuivant, troisiesme jour de fevrier, yssirent d'Orléans le mareschal de Sainct Sévère, messire Jacques de Chabanes, La Hire, Couras, et plusieurs autres chevaliers et escuiers ; et coururent jusques au boulevart de Sainct Lorens. Pour quoy les Angloys crièrent aux armes, desployerent douze de leurs bannyeres, et se  mirent tous en bataille en leur ostz sans yssir de leurs boulevarts et barrières.
  Les François en fin de pièce voyans que leurs ennemys ne sailloient, s'en  retournèrent en belle ordonnance dedans leur cyté, sans autre chose faire.

                                                       *
                                                  *        *

5 février :
  Le samedy cinquiesme d'icelluy moys, vindrent au soir à porte fremans dedans Orléans vingt six combatans, très vaillans hommes de guerre et bien habillez, qui venoient de Sauloigne, et estoient au mareschal de Saincte Sévère ; lesquelz se portèrent très grandement, tant qu'ilz furent en la garnison.

                                                       *
                                                  *        *

6 février :
  Le lendemain jour de dimenche, environ vespres, saillirent d'Orléans le mareschal de Sainct Sévère, Chabanes, La Hire, Poton et Chailly, avecques deux cens combatans ; et furent courir jusques environ la Madeleine, là où ilz  trouvèrent le seigneur d'Escalles et trente combatans avecques luy, qui  recullèrent bien hastivement en leur ost et bastille de Sainct Lorens ; combien qu'en la fin furent là que tuez que prins quatorze Angloys.

                                                       *
                                                  *        *

7 février :
  Le lundy, septiesme jour d'icelluy moys, arrivèrent dedans Orléans messire Théaulde de Valpergue, messire Jehan de Lescot (79), gascon et autres ambassadeurs, qui venoient de parler au roy pour apporter les nouvelles du secours qui devoit venir lever le siège.

                                                       *
                                                  *        *

8 février :
  Le lendemain, jour de mardy, entrèrent dedans la ville  d'Orléans plusieurs très vaillans hommes de guerre et bien habillez, et entre les autres messire Guillaume Estuart ; frère du connestable d'Escosse, le seigneur de Gaucourt, le seigneur de Verduran, et plusieurs autres chevaliers et escuiers, acompaignez de mil combattans, tellement habillez pour faict de guerre que c'estoit une moult belle chose à veoir.
  Ce mesmes jour, arrivèrent de nuyt deux cens combattans qui estoient à messire Guillaume Le Bret (80) et peu après six vingtz autres estans à La Hire.

  [Environ ces jours, avoit une jeune pucelle nommée Jehanne, native d'un villaige en Barroys appelé Domprehemy, près d'un autre dit Gras soubz la seigneurie de Valcouleur. A laquelle gardant aucunes foys à l'entour de la maison de son père et de sa mère ung peu de berbis qu'ilz avoient, et autres foiz cousant et filant, s'apparut Nostre Seigneur plusieurs foiz en vision ; et luy  commanda qu'elle s'en allast lever le siège d'Orléans, et faire sacrer le roy à Rains, car il seroit avecques elle, et luy feroit par son divin ayde et force d'armes accomplir celle entreprinse. Pourquoi elle s'en alla devers messire Robert de Baudricourt (81), lors cappitaine d'icelle place de Vaucouleurs, et lui raconta sa vision, luy priant et requérant que pour le très grant bien et prouflit du roy et du royaume, il la voulsist habiller en habit d'homme, la monter d'un cheval et faire mener devers le roy, ainsi que Dieu luy avoit mandé aller. Mais pour lors, ne plusieurs jours après, ne la voulut croire ainçois ne s'en faisoit que mocquer et reputoit sa vision antasies et folles ymaginacions, combien que, cuidant faire servir ses gens d'elle en péché charnel, il la retint. A quoy nul d'eulx, ne autre après, ne la peurent oncques retourner : car si toust qu'ilz la regardoient fort, ilz estoient tous reffroidiz de luxure.]

  [Vers ces jours, il y avait une jeune pucelle, nommée Jeanne, native d'un village en Barrois, appelé Domrémy, près d'un autre dit Gras (Greux), sous la seigneurie de Vaucouleurs, à laquelle, pendant qu'autour de la maison de son père et de sa mère elle gardait quelques brebis qu'ils avaient, ou d'autres fois pendant qu'elle cousait et filait, Notre-Seigneur apparut visiblement à plusieurs reprises. Il lui commanda d'aller faire lever le siège d'Orléans et de faire sacrer le roi à Reims, l'assurant qu'il serait avec elle, et que par son divin secours et par la force des armes il lui ferait accomplir pareille entreprise. C'est pourquoi elle alla vers messire Robert de Baudricourt, alors capitaine de Vaucouleurs, et lui raconta sa vision, le priant et le requérant que pour le très grand bien et profit du roi et du royaume, il voulût lui donner des vêtements d'homme, la monter d'un cheval et la faire mener vers le roi, ainsi que Dieu lui avait commandé d'aller. Mais il ne voulut la croire ni pour lors, ni pendant plusieurs des jours qui suivirent; il ne faisait au contraire que se moquer d'elle, réputant ses visions des fantaisies et de folles imaginations, quoiqu'il la gardât, dans la pensée qu'elle servirait à la lubricité de ses gens ; ce en quoi ni aucun d'eux, ni personne dans la suite, ne put se satisfaire ; car sitôt qu'ils la fixaient leur passion refroidie se dissipait.]

                                                       *
                                                  *        *

9 février :
  Le mercredy, neufviesme jour du meisme moys, se deppartirent d'Orléans messire Jacques de Chabanes, messire Regnault de Fratames (82)   et le Bourg de Bar (83), acompaignez de vingt ou vingt-cincq combatans, voulans aler à Blois devers le conte de Clermont, mais ilz furent rencontrez sur le chemin par aulcuns Angloys et Bourguignons qui prindrent le Bourg de Bar, et l'emmenèrent prisonnier dans la tour de Marchesnoir, et les deux autres seigneurs se sauvèrent.
  Auquel jour arriva dedans la ville d'Orléans messire Gilbert de La Faiète (84), natif de Bourbonnois et mareschal de France, qui amena avecques lui trois cens, combatans.

                                                       *
                                                  *        *

10 février :
  Le lendemain qui fut jeudy, se partit d'Orléans le bastart d'Orléans, et deux cens combatans avecques lui, pour aler à Bloys devers le conte de Clermont, et messire Jehan Estuart (85), connestable d'Escoche, le seigneur de la Tour (86), baron d'Auvergne, le vicomte de Thouars (87), seigneur d'Amboise, et autres chevaliers et escuiers, acompaigniez, comme on disoit, de bien quatre mil combattans, tant d'Auvergne, Bourbonnois, comme d'Escosse, pour sçavoir d'eulx l'eure et le jour qu'il leur plairoit mectre assaillir les Angloys et faulx François, amenans de Paris vivres et artillerie à leurs gens tenans le siège.

                                                       *
                                                  *        *

11 février :
  Le vendredy, neufviesme [corrigé XI°] jour d'icelluy mois de février, se partirent aussi d'Orléans messire Guillaume d'Albret, messire Guillaume Estuart, frère du connestable d'Escosse, le mareschal de Sainct Sévère, le seigneur de Graville (88), le seigneur de Saincte Trailles,Poton son frère, La Hire, le seigneur de Verduran, et plusieurs autres chevaliers et escuiers, accompagniez de quinze cents combatans, et dedans eulx trouver et assemblez avecques le conte de Clermont, et les autres jà nommez, pour aler ou devant des vivres et les assaillir. Et celluy meisme jour se partit pareillement celluy conte de Clermont, et fit tant qu'il vint à tout sa compagnie en Beausse, à ung villaige nommé Rouvroy de Sainct Denis, qui est à deux lieues d'Ienville. Et quand ils furent tous assemblez, ils se trouvèrent de trois à quatre mil combatans, et ne s'en partirent jusques à l'endemain environ trois heures après midy.

                                                       *
                                                  *        *

12 février :
  Celluy jour du lendemain, qui fut le samedy douziesme jour de février, veille  des brandons, messire Jehan fascot, le bailly d'Évreux pour les Anglois, messire Simon Morhier (89), prévost de Paris, et plusieurs autres chevalliers et escuiers du pays d'Angleterre et de France, acompaigniez de quinze cens combatans, tant Anglois, Picards, Normans, que autres gens de divers pays, amenoyent environ trois cens que chariotz et charrettes, chargez de vivres (90) et de plusieurs habillemens de guerre, comme canons, arcs, trousses, traict et autres choses, les menans aux autres Angloys tenans le siège d'Orléans. mais quand ilz seurent par leurs espies la contenance des Françoys, et congnurent que leur intencion estoit de les vouloir assaillir ; ils s'encloyrent et feirent ung parc de leur charroy et de paulx aguz, en maniere de barrieres, lessant une seule longue et estroicte issue ou entrée, car le derrier de leur parc, ainsi clous de charroys, estoit large et le devant long et estroit : ouquel celle yssue ou entrée estoit tellement, que par là convenoit entrer, qui les vouloir assaillir. Et ce faict se mirent en belle ordonnance de bataille, actendans là vivre ou mourir ; combien que d'échapper n'avoient guères d'espérance, considérans leur petit nombre contre la multitude des Françoys, qui tous assemblez d'un commun accord, conclurent que nul ne descenderoit des chevaulx, sinon les archiers et gens de traict, qui en leur venue faisoient devoir de tirer.

  Aprez laquelle conclusion se mirent devant La Hire, Poton, Saulton, Canede, et plusieurs autres venans d'Orléans, qui estoient environ quinze cens combatans, qui furent advertiz que les Angloys amenans les vivres venoient à la file, non ordonnez et sans avoir nulle suspeccion d'estre surpris : par quoy ilz furent tous d'une oppinion qu'ilz les assauldroient ainsi qu'il venoient despourveuement. Mais le conte de Clermont manda plusieurs fois et par plusieurs messaiges à La Hire et autres, ainsi dispos d'assaillir leurs adversaires, qu'ilz trouveroient en eulx tant grant avantaige, et qu'ilz ne leur feissent aucun assault jusques à sa venue, et qu'il leur ameneroit de trois à quatre mil combatans moult desirans d'assembler aux Anglois. Pour l'honneur et amour duquel, ilz délaissèrent leur entreprinse à leur très grant desplaisance, et sur tous de La Hire, qui demonstroit l'apparance de leur dommaige, en tant que on donnoit espasse aux Anglois de eulx mectre et serrer ensemble, et avecques ce, de eulx fortiffier de paulx et de charrois. Et à la vérité La Hire et ceulx de sa compaignie partiz d'Orléans, estoient arrestez en ung champ au front et tant près des Angloys que très legièrement les avoient veuz, comme est dit, venir à la file et eulx fortiffier ; dolans à merveilles de ce qu'ilz ne les osoient assaillir, pour la defense et continuelz messaiges d'icellui conte de Clermont, qui tousjours s'approuchoit au plus qu'il povoit.

  

  D'autre part, porta aussi moult impacianment celle actente le connestable d'Escosse ; lequel estoit pareillement venu là près, à tout environ quatre cens combatans, où avoient de bien vaillans hommes. Et tellement que ainsi entre deux et trois heures après midi, approuchèrent les archiers et gens de traict françois de leurs adversaires, dont aucuns estoient jà sailliz de leur parc, qu'ilz contraignirent reculler très hastivement, et eulx bouter dedans par force de traictz, dont ilz les chargèrent tant espessement qu'ilz en tuèrent plusieurs ; et ceulx qui peurent reschapper, s'en rentrèrent dedans leur fortifficacion avecques  les autres. Pour quoy et lors quant le connestable d'Escosse veit qu'ilz se tenoient serrez et rengez ; sans monstrer semblant d'yssir, il fut par trop grant chaleur tant desirant de les vouloir assaillir ; qu'il despeça toute l'ordonnance qui avoit esté faicte de tous, que nul ne descendist. Car il se mist aprez, sans actendre les autres ; et à son  exemple, et pour luy ayder, descendirent aussi le Bastart d'Orléans, le seigneur d'Orval, messire Guillaume Estuart, Jean de Mailhac (91) ; seigneur de Chasteaubrun, viconte de Bridiers, messire Jehan de Lesgot, seigneur de Verduran, et messire Loys de Rochechouart (92), seigneur de Monpipiau et plusieurs autres chevalliers et escuiers, avecques environ quatre cens combatans sans les gens de traict, qui jà s'estoient mis à piet, et avoient reboutez les Angloys, et faict moult vaillamment ; mais peu leur valut car quand les Anglois virent que la grant bataille, qui estoit assez loing, venoit lachement et ne se joingnoit avecques le connestable et les autres de piet, ilz saillirent hastivement de leur parc, et frappèrent dedans les François estans à piet, et les mirent en desarroy et en fuite, non pas toutes fois sans grant tuerie, car il y mourut de trois à quatre cens combattans françois.
  Et oultre ce, les Angloys non saoullez de la tuerie, qu'ilz avoient faicte en la place devant leur parc, s'espendirent hastivement par les champs, chassans ceulx de piet tellement qu'on véoit bien douze de leurs estandars loing l'un de l'autre, par divers lieux, à moins d'ung traict d'arbaleste de la principal place où avoit esté la desconfiture. Par quoy La Hire, Poton et plusieurs autres vaillans hommes, qui moult enviz, s'en alloient ainsi honteusement, et s'estoient tirez ensemble près du lieu de la destrousse, rassemblèrent environ soixante ou quatre vingtz combatans qui les suivoient ; et frappèrent sur les Angloys ainsi espars, tellement qu'ilz en tuèrent plusieurs. Et certes se tous les autres François fussent ainsi retournez qu'ilz firent, l'onneur et le prouffit du jour leur fut demouré : combien que par avant avoient esté là mors et tuez plusieurs grans seigneurs, chevalliers, escuiers, nobles et vaillans cappitaines et chiefz de guerre et entre lesquelz furent tuez messire Guillaume d'Albret, seigneur d'Orval, messire Jean Estuart, connestable d'Escosse, messire Guillaume Estuart, son frère, le seigneur de Verduran, le seigneur de Chateausbrun, messire Loys de Rochechouart ; et messire Jehan Chabot, avecques plusieurs autres, qui tous estoient de grant noblesse et très renommée vaillance. Les corps desquelz seigneurs furent deppuis apportez à Orléans et mis en sépulture dedans la grant église, dicte Saincte Croix, là où se feist pour eulx beau service divin.

  De ceste bataille eschappa entre autres le bastart d'Orléans, obstant ce que dès le commencement av0it esté blécié d'ung traict au piet : par quoi deux, de ses archiers le tirèrent à très grant peine hors de la presse, le montèrent à cheval et ainsi le sauvèrent. Le conte de Clermont, qui ce jour avoit esté faict chevallier, ne toute la  grousse bataille ne firent oncques semblant de secourir les compaignons, tant parce qu'ilz estoient descenduz à  piet, contre la conclusion  de tous, comme aussi parce qu'ilz les véoient presque tous tuez devant eulx. Mais, si toust qu'ilz apperçurent que les  Angloys en estotent maistres, ils se mirent à chemin vers Orléans : en quoy ne firent pas honnestement, mais honteusement ; et ilz eurent assez espasse d'eux en aller, car les Angloys ne les chassèrent pas, obstant ce que la plus part d'eulx estoient à piet, et qu'ilz sçavoient les François estre plus grant nombre qu'ilz n'estoient. Combien que tout l'onneur et le prouffit de la victoire en demoura aux Angloys, dont estoit chef pour lors messire Jean Fascot (93); avecques lequel estoient aussi messire Thomas Rameston (94), qui pareillement avoit grant charge de gens d'armes.

  Ce mesme jour arrivèrent dedans Orléans, au soir bien tart, le conte de Clermont, le bastard d'Orléans, le seigneur de la Tour, le viconte de Thouars, le mareschal de Sainct Sevère, le seigneur de Graville, La Hire, Poton, et plusieurs chevaliers et escuiers françoys, qui venoient de la bataille, qui avoit esté ainsi perdue par faulte d'ordonnance. Combien que La Hire, Poton, et Jamet de Tilloy (95) entrèrent les derniers dedans ; car par l'ordonnunce de tous demourèrent tousjours à la queue des retournans, pour contregarder que ceulx des bastilles ne saillissent sur eulx, s'ilz sçavoient la desconfiture ; en quoy les eussent peu encores plus endommaiger que devant, qui ne s'en fust prins garde.

  [Cestui propre jour aussi, sceut Jehanne la Pucelle, par grace divine, ceste desconfiture, et dist à messire Robert de Baudricourt que le roy avoit eu grand dommaige devant Orléans, et auroit aincoires plus, s'elle n'estoit menée devers lui. Pour quoy Baudricourt qui l'avoit jà esprouvée et trouvée très sage et comme véritable, persévérant en ses premières requestes, la feit habiller en habit d'homme, ainsi qu'elle le requerit. Et pour la conduire luy bailla deux gentilzhommes de Champaigne, l'un nommé Jehan de Metz (96), et l'autre Bertrand de Polongy (97), qui moult envis le firent, pour les périllieux chemins. Mais elle les assceurant que jà n'auroyent nul mal, se mirent à chemin avecques elle, et deux de ses frères, pour aler devers le roy, qui estoit lors à Chinon.]

  [Ce propre jour, Jeanne la Pucelle sut cette déconfiture par grâce divine; elle dit à messire de Baudricourt que le roi avait eu un grand dommage devant Orléans, et qu'il en aurait plus encore, si elle n'était pas menée devers lui. C'est ce qui détermina Baudricourt, qui l'avait déjà éprouvée, trouvée très sage, et croyait presque à ce qu'elle disait de ses visions. Comme elle persévérait toujours en ses premières requêtes, il la fit habiller en habits d'homme, ainsi qu'elle le demanda, et il lui donna pour la conduire deux gentilshommes de Champagne : l'un nommé Jean de Metz, et l'autre Bertrand de Polongy, qui s'y prêtèrent bien à contre-coeur, à cause des périls des chemins ; cependant, comme Jeanne leur assurait qu'ils n'auraient aucun mal, ils se mirent en route avec elle, et avec deux de ses frères, pour aller devers le roi qui était alors à Chinon.]

                                                       *
                                                  *        *

14 février :
  Le lundy aprez celle desconfiture, quatorziesme du mesmes moys de fevrier, fut par les Anglois estans de la garnison des Tournelles, gecté ung canon dont la pierra cheut dedans Orléans en l'hostel de la Teste Noire, en la rue des Hosteleries ; ouquel hostel elle feit grant dommaige et descendit en celle rue et tua trois personnes de la ville, l'un desquelz estoit marchant, nommé Jehan Turquoys.

                                                       *
                                                  *        *

17 février :
  Le jeudy ensuivant, dix septiesme jour d'icelluy mois, furent par messire Jehan Fascot et ses gens amenez en l'ost et siége des Angloys les vivres et autres habillemens de guerre qu'ilz avoient conduis depuis Paris, et ceulx aussi qu'ilz avoient conquestez en leur dernière desconfiture emprez Rouvray Sainct Denis, (que plusieurs ont deppuis nommée la bataille des Harans) ; contre lesquelz saillirent les François de la garnison et aucuns citoyens, pour leur courir sus, et gaigner les vivres et artillerie qu'ilz menoient. Mais toutesfois ne s'entretouchèrent point l'un l'autre pour cette fois.

 

  [Environ ces jours arriva dedans Chinon Jehanne la Pucelle et ceulx qui la conduisoient, fort esmerveillez commant ilz estoient peu arriver sauvement, veuz les perilleux passaiges qu'ilz avoyent trouvez, les dangereuses et grosses rivieres que ilz avoyent passées à gué, et le grant chemin qu'il leur avoit convenu faire, au long duquel avoyent passé par plusieurs villes et villaiges tenans le party Angloys, sans celles estans françoises, esquelles se faisoient innumerables maulx et pilleries. Par quoy lors louèrent Nostre Seigneur de la grâce qu'il leur avoit faicte, ainsi que leur avoit promis la Pucelle par avant. Et notiffièrent leur faict au roi, par devant lequel avoit jà esté traicté par plusieurs fois en sons conseil que le milleur estoit qu'il se retirast au Daulphiné, et le gardats avecques le pays de Lyonnois, Languedoc et Auvergne, au moins se on les povait sauver, se les Angloys gaignoyent Orléans ; mais tout fut mué, car il manda les deux gentilzhommes, et présent ceulx de son grant conseil, les fit interroguier du faict et estat de la Pucelle, dont ilz respondirent vérité. Et à celle occasion fut mis en conseil se on la feroit parler au roi ; à quoy fut conclud que ouy ; et de faict y parla, luy feit la reverence, et le cognut entre ses gens, combien que plusieurs d'eulx faignoyent, la cuidant abuser, estre le roy : qui fut grant apparence, car elle ne l'avoit oncques mès veu. Sy luy dist par moult belles paroles, que Dieu l'envoyoit pour luy ayder et scourir, et qu'il luy baillast gens, car par grâce divine et force d'armes, elle levroit le siège d'Orléans, et puis le menroit sacrer à Reims, ainsi que Dieu lui avoit commandé ; qu'il vouloit que lesAngloys s'en retournassent en leur pays et lui lessassent son royaume en paix, lequel lui devoit demourer ; ou s'ilz ne le lessoient, il leur en mescherroit.
  Ces paroles ainsy par elles dictes, la feit le roy remener honnorablement en son logis, et assembla son grant conseil, ouquel furent plusieurs prélatz, chevalliers, escuyers et chiefz de guerre, avecques aucuns docteurs en théologie, en lois et en decret, qui tous ensemble advisèrent qu'elle seroit interroguée par les docteurs, pour assaier se en elle se trouveroit évidente raison de povoir accomplir ce qu'elle disoit. mais les docteurs la trouvèrent de tant honneste contenance, et tant saiges en ses parolles, que leur relacion faicte, on en tint très grant compte. Pour quoy, et aussi parce que on trouva qu'elle avoit sceu véritablement le jour et l'heure de la journée des Harens, ainsi qu'il fut trouvé par les lettres de Baudricourt, qui avoit escript l'heure qu'elle lui avoit dict, elle estant aincorres à Valcouleur ; et depuis mesmes déclaré au roy en secret, présent son confesseur (98), et peu de ses secrets conseillers, ung bien qu'il avoict fait, dont il fut fort esbahy ; car nul ne le povoit sçavoir sinon Dieu et luy : fut conclud qu'elle seroit menée honnestement à Poictiers, tant pour la faire derechef interroguier et sçavoir sa perseverance, comme aussy affin de trouver argent, pour luy bailler gens, vivres et artillerie, pour assaier de ravitailler Orléans ; ce qu'elle sceut par grâce divine, car elle estant au milieu du chemin, dist à plusieurs : "En nom de Dieu, je sçay bien que je auray beaucoup affaire à Poitiers, où on me meine ; mais Messires me aydra ; or alons, de par Dieu !" car c'estoit sa manière de parler.
  Quand elle fut audict Poitiers, où estoit pour lors le Parlement du roy, diverses interrogacions lui furent faictes par plusieurs et autres gens de grant estat, à quoy elle respondit moult bien. Et par expecial à ung docteur Jacobin, qui lui dit que se Dieu vouloit que les Angloys s'en alassent, qu'il ne falloit point d'armes. A quoy elle respondit qu'elle ne vouloit que peu de gens qui combatroyent, et Dieu donroit la victoire. Pour laquelle responce, avecques plusieurs autres qu'elle avoit faictes, et la fermeté de ses premières promesses, fut conclud de tous que le roy se devroit fier en elle, et lui bailler vivres et gens, et l'envoyer à Orléans, ce qu'il fist. Et oultre la fit bien armer, et lui donne de bons chevaulx. Et voult et ordonna qu'elle eust un étendard (99), ouquel par le vouloir d'elle on fist paindre et mectre pour devise IHESUS MARIA, et une magesté. Le roy luy voulut donner une belle espée, elle luy pria qu'il luy pleust en envoyer quérir une, qui avoit en la lumelle cinq croix emprez la croisée, et estoit à Saincte Katherine du Fierbois. Dont le roy fut fort esmerveillé, et luy demanda s'elle l'avoit oncques veue. A quoy elle respondit que non : mais toutesfois savoit qu'elle y estoit. Le roi y envoya, et fut trouvée celle épée avecques autres, qui là avoient esté données le temps passé, et fut apportée au roy, qui la feist habiller et garnir honnestement. Et luy bailla pour l'accompagner ung bien vaillant et saige gentilhomme, nommé Jehan Daulon (100); et pour paige, et la servir en honneur, lui bailla ung autre gentilhomme nommé Loys de Contes (101). Combien que toutes ces choses déclairées en cestuy chappitre se firent à plusieurs foys et par divers jours ; mais je les ay ainsy couchées pour cause de briefté]


  [Environ ces jours arrivèrent dans Chinon Jeanne la Pucelle, et ceux qui la conduisaient, fort émerveillés d'avoir pu arriver sains et saufs, vu les périlleux passages qu'ils avaient rencontrés, les dangereuses et grosses rivières qu'ils avaient traversées à gué, le grand chemin qu'ils avaient dû parcourir, au long duquel ils avaient passé par plusieurs villes et villages tenant le parti des Anglais sans parler des pays français, ès quels se commettaient d'innombrables maux et pilleries. C'est pourquoi ils louèrent Notre-Seigneur de la grâce qu'il leur avait faite, ainsi que la Pucelle le leur avait promis avant le départ. Ils notifièrent leur fait au roi, par devant lequel on avait déjà par plusieurs fois traité en conseil, si les Anglais gagnaient Orléans, que le meilleur était qu'il se retirât en Dauphiné, et le conservât avec les pays du Lyonnais, de Languedoc et d'Auvergne, si toutefois on les pouvait sauver ; mais tout fut mué. Le roi manda les deux gentilshommes, et en présence des hommes de son grand conseil, il les fit interroger du fait et de l'état de la Pucelle; sur quoi ils répondirent la vérité. Et à cette occasion on mit en délibération, si on la ferait parler au roi ; à quoi il fut répondu que oui. De fait elle lui parla, lui fit la révérence, et le connut parmi ses gens, quoique plusieurs feignissent d'être le roi, croyant l'abuser; et non sans vraisemblance, car elle ne l'avait jamais vu. Elle lui dit par fort belles paroles que Dieu l'envoyait pour l'aider et le secourir, qu'il lui donnât des gens, car, par grâce divine et par force d'armes, elle lèverait le siège d'Orléans, et puis le mènerait sacrer à Reims, ainsi que Dieu le lui avait commandé ; que Dieu voulait que les Anglais s'en retournassent en leur pays, et lui laissassent en paix un royaume qui devait lui demeurer ; que s'ils ne le laissaient pas, il leur en arriverait malheur.
  Ces paroles ainsi dites par elle, le roi la fit ramener honorablement en son logis, et il assembla son grand conseil, auquel furent présents plusieurs prélats, chevaliers, écuyers, avec des docteurs en théologie, en lois (civiles) et en décret (lois canoniques). Tous ensemble furent d'avis qu'elle fût interrogée par des docteurs, pour essayer s'il se trouverait en elle des raisons bien claires qu'elle pouvait accomplir ce qu'elle promettait. Les docteurs la trouvèrent de si honnête contenance, si sage en ses paroles, qu'on tint grand compte de la relation qu'ils en firent. Sur cette appréciation, et aussi parce qu'on prouva qu'elle avait su véritablement le jour et l'heure de la journée des Harengs, ainsi qu'il fut établi par les lettres de Baudricourt, qui avait écrit l'heure qu'elle lui avait dite alors qu'elle était à Vaucouleurs ; et encore, parce que, même depuis elle avait déclaré au roi en secret, en présence de son confesseur et d'un petit nombre de ses intimes conseillers, un bien qu'il avait fait ; ce dont il fut fort ébahi, car nul ne le pouvait savoir, sinon Dieu et lui ; pour tous ces motifs, il fut arrêté qu'elle serait menée honnêtement à Poitiers. On voulait la faire interroger derechef et s'assurer de sa persévérance, et l'on voulait aussi trouver de l'argent, pour lui donner des gens, des vivres, de l'artillerie, dans le but de ravitailler Orléans. Elle sut par grâce divine ce que l'on se proposait d'elle; car, au milieu du chemin, elle dit à plusieurs : « En nom Dieu, je sais bien que j'aurai beaucoup à faire à Poitiers, où l'on me mène; mais Messire m'aidera; or, allons de par Dieu. » Car c'était sa manière de parler.
  Quand elle fut audit Poitiers, où était pour lors le parlement du roi, diverses interrogations lui furent faites par plusieurs docteurs et par d'autres gens de grand état, auxquelles elle répondit fort bien, et spécialement à un docteur jacobin, qui lui dit que si Dieu voulait que les Anglais s'en allassent, il n'était pas besoin d'armes. A quoi elle répondit qu'elle ne voulait que peu de gens, qu'ils combattraient et que Dieu donnerait la victoire. Cette réponse et plusieurs autres qu'elle avait laites les amenèrent tous à conclure que le roi devait se fier à elle, lui donner vivres et gens, et l'envoyer à Orléans. Ce qu'il fit. Mais auparavant il la fit bien armer, et lui donna de bons chevaux. Il voulut et ordonna qu'elle eut un étendard, sur lequel, par son vouloir à elle, l'on fit peindre une Majesté et mettre pour devise : JHESUS, MARIA. Le roi voulant lui donner une belle épée, elle le pria qu'il lui plût d'envoyer en quérir une qui avait cinq croix en la lame, près de la croix, et qui était à Sainte-Catherine-de-Fierbois. Le roi, fort émerveillé de cette requête, lui demanda si elle l'avait jamais vue; à quoi elle répondit que non, mais que cependant elle savait qu'elle était à Sainte-Catherine. Le roi y envoya, et cette épée fut trouvée avec d'autres, données à ce lieu dans le temps passé ; elle fut apportée au roi, qui la fit honnêtement mettre en un fourreau, et garnir. Le roi lui donna pour l'accompagner un bien vaillant et sage gentilhomme, nommé Jean d'Aulon, et pour la servir en honneur, en qualité de page, un autre gentilhomme, nommé Louis de Coutes. Quoique les choses déclarées en ce chapitre se soient faites à plusieurs fois et par divers jours, je les ai ici couchées pour cause de brièveté.]


                                                       *
                                                  *        *

18 février :
  Le vendredy, dix-huitiesme jour de février, se partit d'Orléans le conte de Clermont, disant qu'il vouloit aller à Chinon devers le roy qui lors y estoit ; et emmena avecques luy le seigneur de la Tour, messire Loys de Culan, admiral, messire Regnault de Chartres (102), archevesque de Rains, et chancellier de France, messire Jehan de Sainct Michiel (103), évesque d'Orléans, natif d'Escosse, La Hire, et plusieurs chevaliers et escuyers d'Auvergne, de Bourbonnoys et d'Escosse, et bien deux mil combatans. Dont ceulz d'Orléans les voyans partir ne furent pas bien contans ; mais ilz leur promisdrent pour les appaiser, qu'ilz les secourroient de gens et de vivres. Aprez lequel departement ne demoura dedans Orléans sinon le bastart d'Orléans, le mareschal de Sainct Sevère, et leurs gens et le conte de Clermont, [qui depuis fut duc de Bourbon], s'en ala, et les seigneurs et combatans dessus nommez avecques luy, et se mirent dedans  Blois.
  Et lors, quant ceulx d'Orléans se virent ainsi delaissez en petit nombre de gens de guerre, et apperceurent la puissance et le siège des Angloys croistre de jour en jour, ilz envoyèrent Poton de Sainctes Trailles et aucuns bourgeoys devers Philippes (104), duc de Bourgongne, et messire Jehan  de Luxembourg (105), conte de Ligny, tenant le party d'Angleterre ; et leur firent prier et requérir qu'ilz voulssent avoir reguard en eulx ; et pour l'amour de leur seigneur Charles (106), duc d'Orléans, estant prisonnier en Angleterre, et pour la   conservacion de ses terres, ausquelles garder ne povoit pour cellui temps entendre, leur pleust pourchasser aucune abstinence de guerre devers les Angloys, et faire lever le  siége jusqués à ce  que le trouble du royaume fust autrement esclarcy,  ou leur donner ayde et secours en faveur de leur parent ainsi prisonnier.

                                                       *
                                                  *        *

20 février :
  Le dimanche aprez eut une très grousse et forte escarmousce, et tant que les Angloys saillirent de leur ost et bastilles, portèrent sept estandars, et firent tant qu'ilz en chassèrent et recullèrent les Françoys qui les estoient allez assaillir jusques au champ Turpin, qui est à un gect de pierre d'Orléans. Mais ilz furent bien recuillis de canons, couleuvrines et autre traict que on leur gecta de la ville incontinant, tant espessement qu'ilz s'en retournèrent à grant haste dedans leur ost et bastilles de Sainct Lorens et autres là entour.

                                                       *
                                                  *        *

22 février :
  Le mardy prouchain ensuivant, vingt deuxiesme de février, le conte de Suffort et les seigneurs de Talebot et d'Escalles envoyèrent par ung hérault pour présent au bastart d'Orléans un plat plain de figues, roisins et dattes, en lui priant qu'il lui pleust envoyer à celluy conte de Suffort de la pane noire pour fourrer une robbe. Ce qu'il feist volentiers, car il lui envoya par le hérault mesmes ; de quoy le conte luy seut très grant gré.

                                                       *
                                                  *        *

25 février :
  Le vendredy vingt cincquiesme jour d'icelluy moys, arrivèrent dedans Orléans neuf chevaulx chargiez de blez, harengz et autres vivres.

                                                       *
                                                  *        *

27 février :
  Le dimenche après ensuivant, penultiesme du mesmes moys de février, creut la rivière tant et si grandement que les François d'Orléans cuidèrent fermement que les deux boulevars faiz par les Angloys sur celle rivière au droict de Sainct Lorens, et aussi celluy des Tournelles fussent tous, mynez et abatuz : car elle creut jusques, aux canonnières des boulevars, et couroit si fort et si roidement qu'ils estoit legier à croire. Mais les Angloys mirent telle dilligence, tant de jour que de nuyt, que les boulevarts demourèrent en leur estat, et aussi appetissa la rivier en peu de temps. Et ce nonobstant gectoyent les Angloys plusieurs coups de bombardes et canons, qui moult faisoient grant dommaige aux maisons et édifices de la cité.
  Cellui jour, la bombarde de la cité, pour lors assortie à la croiche des moulins de la poterne Chesneau, pour tirer contre les Tournelles, tira tant terriblement contre elles, qu'elle en abattit un grant pan de mur.

                                         

3 mars :
e jeudy, troisiesme jour de mars, saillirent les Françoys au matin contre les Angloys, faisans pour lors ung foussé pour aler au couvert de leur bolevart de la Croix Boissée à Saint Ladre d'Orléans, afin que les François ne les peussent veoir ne grever de canons et bombardes. Celle saillie feist grant domaige aux Angloys, car neuf d'eux furent prins prisonniers. Et Oultre ce, y tua maistre Jehan d'une couleuvrine cincq personnes, à deux coups. Et desquelz cincq fut le seigneur de Gres, nepveu du conte de Salebris, qui estoit cappitaine d'Yenville ; dont les Anglois  feirent grans regretz, parce qu'il estoit de grant hardiesse et vaillance.
  Cellui mesmes jour, eut aussy une très forte et grande escarmousche, car les Françoys saillirent d'Orléans, et alèrent jusques bien prez du boulevart des  Angloys estans à la Croix Boissée, et gaignèrent ung canon gectant pierres grousses comme une boule. Et oultre ce en rapportèrent dedans leur ville deux tasses d'argent, une robe fourrée de martres, et plusieurs haches, guisarmes, arc, trousses de fleiches, et autres habillemens de guerre. Mais incontinant aprez, saillirent les Angloys de leur ost et bastilles, portant neuf estandars qu'ilz desployèrent, et chassèrent les Françoys jusques bien près du boulevart de la porte Banier, et ce faict se retirèrent, combien que de rechef et toust retournèrent et chargèrent fort et asprement sur les Françoys, et tant les suivirent de prez, que plusieurs d'entre eulx se gectèrent dedans les foussez d'icelle porte ; contre lesquelz gectèrent ceulx d'Orléans à grant force. Et entre les autres qui là cheurent, furent ung Estienne Fauveau, d'Orléans mesmes. Et ce faisoient, parce qu'ilz ne povoient pas fouyr. En celle escarmousche tuèrent, blecèrent et prindrent les  Angloys plusieurs prisonniers, et par especial y prindrent un vaillant escuier gascon, nommé Regnault Guillaume de Vernade, qui estoit fort blécié.

                                                       *
                                                  *        *

4 mars :
  Le lendemain, jour de vendredy, partirent environ trois cens combatans angloys, et s'en alèrent quérir des charniers ès vignes, environ Sainct Ladre et Sainct Jehan de la Ruelle : pourquoy sonna la cloche du beffroy. Mais ce non obstant, ils prinrent et emmenèrent aucuns pouvres laboureurs, labourans leurs vignes, prisonniers. Et celluy mesme jour arrivèrent dedans Orléans douze chevaulx chargez de blé, harengs et autres vivres.

                                                       *
                                                  *        *

5 mars :
  Le samedy aprez, cincquiesme d'icelluy moys de mars, fut tiré d'une couleuvrine d'Orléans ; le traict de laquelle tua ung seigneur d'Angleterre, dont les Angloys firent moult grant dueil.

                                                       *
                                                  *        *

6 mars :
  Le lendemain, qui fut jour de dimenche, arrivèrent dedans Orléans sept chevaulx  chargez de harengs et autres vivres.

                                                       *
                                                  *        *

7 mars :
  Le lundy ensuivant, septiesme du mesme moys de mars, y arrivèrent six chevaulx chargés de harengs. D'autre part tirèrent les Angloys plusieurs coups de bombardes et canons, qui cheurent en la rue des Hostelleries, et firent grant dommaige en divers lieux. Et sy arrivèrent environ quarante Angloys d'Angleterre en leur ost.

                                                       *
                                                  *        *

8 mars :
  Le mardy prouchain aprez, saillirent aucuns françoys et  rencontrèrent six marchans et une damoiselle  menant en l'ost neuf chevaulx chargez de vivres, qu'ilz prindrent et amenèrent dedans, Orléans. Ce meisme jour arrivèrent, deux cens Angloys qui venoient de Jargueau ; et pareillement aussi arrivèrent en leur ost et bastilles plusieurs autres venans des garnisons de Beausse. Et  par ce cuidèrent les Francoys qu'ilz voulsissent assaillir auçuns de leurs boulevars. Pour quoy ilz se tindrent sur leurs gardes et apprestèrent toutes choses nécessaires à leur defence, se mestier en estoit.

                                                       *
                                                  *        *

9 mars :
  Le lendemain, jour de mecredy, trouvèrent aucuns Françoys que on avoit presque perchié tout le mur de l'Aumosne d'Orléans (107), au droit de la porte Parisis (108) ; et y avoit on fait ung trou pour passer ung homme d'armes. Et oultre fut trouvé ung mur faict tout de nouveau, où avoit deux cannonnières.
Et si on ne peut sçavoir pourquoy il avoit esté faict : dont aucuns  le presumoient en bien, et les autres en mal. Toutesfoiz quoy qu'il  en feust, s'enfouyt le maistre d'icelle Aumosne, si toust qu'il dit  qu'on s'en estoit aperceu ; car de prime face il fut en grand danger de la commocion du peuple, qui feist cellui jour très grant noise et bruit en celle Aumosne.

                                                       *
                                                  *        *

10 mars :
  Le jour d'aprez, qui fut jeudy, feist le bastart d'Orléans pendre à ung arbre , ès forsbourg et masures de la porte de Bourgogne, deux hommes d'armes françoys estant au Gallois de Villiers, parce qu'ilz avoient rompu son sauf conduict ; mais si tost qu'ilz furent mors, ils les feist despendre et enterrer ès fauxbours meismes.

  [D'autre part s'en alèrent les Angloys cestui propre jour à Sainct Loup d'Orléans (109) et y commancerent une bastille, qu'ilz fortifièrent, tendans tousjours entretenir leur siège contre Orléans. Pour lequel faire lever, se mist sur les champs Jehanne la Pucelle accompagnée de grant nombre de seigneurs, escuiers et gens de guerre, garniz de vivres et d'artillerie ; et print congé du roy, qui commanda expressément aux seigneurs et gens de guerre, qu'ilz obéissent à elle comme à luy, et aussi le feirent ilz.]


... [D'autre part s'en allèrent les Anglois cestuy propre jour à Saint-Loup d'Orléans, et y commencèrent une bastille qu'ils fortifièrent, tendans tousjours entretenir leur siège contre Orléans. Pour lequel faire lever se mit sur les champs Jehanne la Pucelle accompagnée de grand nombre de seigneurs, chevaliers, escuyers et gens de guerre, garnis de vivres et d'artillerie ; et print congé du roi, qui commanda expressément aux seigneurs et gens de guerre, qu'ils obéissent à elle, comme à lui, et aussi le firent-ils.]

                                                       *
                                                  *        *

11 mars :
  Le vendredy ensuivant, unziesme jour de ce mesmes moys de mars, sonna la cloche du beffroy, parce que les Angloys estans à Sainct Loup coururent jusques à Sainct Evurtre ; et là, environ les vignes, prindrent plusieurs vignerons, et les emmenèrent prisonniers.

                                                       *
                                                  *        *

12 mars :
  Le lendemain saillirent aucuns de la garnison d'Orléans, et en leur retour ramenèrent six prisonniers.

                                                       *
                                                  *        *

15 mars :
  Le mardy d'aprez, quinziesme d'icelluy moys, arriva de nuit dedans la ville le bastart de Lange, qui avec luy amena six chevaulx chargez de pouldre de canon. Et ce meisme jour se partirent trente Angloys de la bastille de Sainct Loup, estans habilliez en guise de femmes, et faisans semblant de venir quérir du boys et fagotz de serment, avecques aucunes femmes, qui en apportèrent dedans Orléans. Mais quant ilz virent leur advantaige, ilz saillirent hastivement sur les vignerons, labourans lors ès vignes environ Saict Marc, et là Borde aux Mignons (110), et firent tant qu'ilz en envoyèrent neuf ou dix prisonniers en leurs bastilles.

                                                       *
                                                  *        *

16 mars :
  Le lendemain, qui fut mercredy, se partit d'orléans le mareschal de Saincte Sévère, tant pour aler devers le roy, comme pour aler prendre possession de plusieurs terres qui lui estoient eschues par la mort du seigneur de Chasteaubrun, frère de sa femme ; mais il promist à ceulx de la ville, qu'il retourneroit en brief, et ilz furent très contans ; car ilz l'aimoient et prisoient, parce qu'il leur avoict faict plusieurs biens, et aussi pour les grans faiz d'armes que lui et ses gens avoient faiz pour leur deffense.
  Ce mesme jour amenoient les Angloys de la bastille de Sainct Loup grant charroy à leur autre bastille de Sainct Lorens. Et quant ilz furent devant Sainct Ladre, ilz feirent un grand cry : pour quoy sonna la cloche du beffroy ; car les François d'Orléans cuidèrent qu'ilz voulsissent assaillir aucuns de leurs bolevars.

                                                       *
                                                  *        *

17 mars :
  Le jeudy ensuivant dix septiesme jour d'icelluy moys, trespassa
maistre Alain de Bey, prevost d'Orléans, et mourut de mort naturelle. Dont ceulx de la ville furent moult doulans, parce qu'il gardoit tousjours bien justice.

                                                       *
                                                  *        *

19 mars :
  Le samedy ensuyvant, dix neufviesme du mesme mois et veille de Pasques fleuries, tirèrent les Angloys dedans Orléans plusieurs coups de plus grousses bombardes et canons qu'ilz n'avoient faict par avant, et dont ilz feirent moult de maulx et dommaiges, car une pierre de l'une des bombardes tua que bleca, sept personnes du coup ; de laquelle mourut un potier d'estain, nommé Jehan Tonneau. Et oultre ce, cheut une pierre de canon devant l'hotel de feu Berthault Mignon, dont furent blecez que tuez cinq personnes.

                                                       *
                                                  *        *

21 mars :
  Le lundy d'aprez, le vingt ungiesme d'icelluy mois de mars, feirent les François sonner la cloche du beffroy, et saillirent d'Orléans à grant puissance, tant gens de guerre comme citoyens, et autres du pays d'environ, là retraictz ; et s'en allèrent assaillir les bolevers faictz de nouveau par les Angloys au droict de la grange de Cuiveret (111). Mais quant ceulx qui les gardoient les virent approucher, ilz s'en alèrent et se mirent à la fuicte tant qu'ilz se boutèrent dedans leur bastille de Sainct Lorens, et y emportèrent tout ce qu'ilz peurent  de leurs bienz et artillerie. Et incontinent aprèz saillirent de celle bastille, faisant merveilleux criz et semblant de grant hardiesse : tellement qu'ilz rechassèrent les Françoys jusques à l'aumosne de Sainct Pouair ; et combien qu'ilz ne passèrent point oultre, obstant ce que les Françoys se retournèrent contre eulx et les chargèrent tant de canons, couleuvrines et autre traict, qu'ilz les contraingnirent rebouter et retraire à grant haste dedans leurs bastilles. De celles escarmousches acquist grant los, entre les Angloys, ung de leur gentilzhommes, natif d'Angleterre, nommé Robin Héron, car il se monstra vaillant homme d'arme.

                                                       *
                                                  *        *

22 mars :
  Le lendemain eut aussi grosse escarmouche, et sonna la cloche du beffroy, parce que les Angloys saillirent en grant nombre contre les François estans yssuz et alez environ Sainct Pouair, et jusques au delà  de la Croix Morin (112) pour escarmoucher, où ilz furent bien recueillez par les Angloys, qui les rechassèrent jusques à l'aumosne Sainct Pouair et au champ Turpin ; combien que enfin recouvrèrent force et se frappèrent dedans les Angloys par tant grant hardiesse, qu'ilz les firent reculler arrière vers leurs bastilles. L'un desquelz non soy donnant garde, cheut dedans ung puis prez de la Croix Morin, dedans lequel il fut tué par les Françoys.

     

  [Ce mesme jour de mardy, la Pucelle estant à Bloys, où elle séjournois, actendant partie de ceulx de sa compaignie, qui n'estoient pas  aincoires arrivez : envoya ung herault par devers les seigneurs et cappitaines angloys, estant devant Orléans, et par eulx lui escripvit unes lettres, qu'elle mesmes dicta, et ayant en chef dessus, comme ayant principal titre, Jesus Maria, et commençant aprez en marge comme il suit :

    "Roy d'Angleterre, faictes raison au roi du ciel de son sang royal ; rendez les clefz à la Pucelle de toutes les bonnes villes que vous avez enforcées. Elle est venue de par Dieu pour réclamer le sang royal, et est toute preste de faire paix, se vous voulez faire raison, par ainsi que [France] vous mectez jus, et payez de ce que vous l'avez tenue. Roy d'Angleterre, se ainsi ne le faictes ; je suis chef de guerre : en quelque lieu que je actaindray voz gens en France, se ilz ne veullent obéir, je les feray yssir veullent ou non. Et s'ilz veullent obéyr, à mercy je les prendray. Croyez que s'ilz ne veullent obéyr, la Pucelle vient pour les occire. Elle vient de par le roy du ciel, corps pour corps, vous bouter hors de France. Et vous promect et certiffie la Pucelle, qu'elle y fera si grant hahay, que deppuis mil ans en France, ne fut veu si grant, se vous ne lui faictes raison. Et croyez fermement que le roy du ciel lui envoyra plus de force à elle et à ses bons gens d'armes que ne sçauriez avoir à cent assaulx.
  Entre vous, archiers, compaignons d'armes, qui estes devant Orléans, allez vous en en vostre pays, de par Dieu. Et ainsi ne le faictes, donnez vous garde de la Pucelle, et de vos dommaiges vous souviengne. Ne prenez mie vostre oppinion, que vous ne tendrez mie France du roy du ciel, du filz de Saincte Marie ; mais  la tendra le roi Charles, vray héritier, à qui Dieu l'a donnée, qui
entrera à Paris en belle compaignie. Se vous ne croyez les nouvelles de Dieu et de la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons, nous fierrons dedans à horions, et sy verrez lesquelz milleur droit auront de Dieu ou de vous.
  Guillaume de la Poulle, comte de Suffort, Jehan, sire de Thalbot, Thomas, sire d'Escalles, lieutenant du duc de Bethefort, soy disant  régent du royaume de France pour le roy de Angleterre, faictes responce, se vous voulez faire ou non à la cité d'Orléans. Se ainsi ne le faictes, de voz dommaiges vous souviengne.
  Duc de Bethefort, qui vous dites régent de France pour le roy d'Angleterre, la Pucelle requiert et prie, que vous faciez mie destruire. Se vous ne lui faictes raison, elle fera tant que les François feront le plus beau faict qui oncques fut faict en la chrestienté.

  Escrit le mardy en la grant sepmaine
  Entendez des nouvelles de Dieu et de la Pucelle."

"Au duc de Bethefort, qui se dit régent du royaume de France pour le
roy d'Angleterre."   Quand les seigneurs et cappitaines angloys eurent leues et entendues les   lettres, ilz furent courrouchez à merveilles, et ou despit de la Pucelle, disant d'elle moult de villaines parolles, par expécial l'appellant ribaulde, vachère, la menaschant de la faire bruler, reteindrent le  hérault porteur des lettres, tenant à mocquerie tout ce qu'elle leur avoit escript.]


  [Ce même jour de mardi, la Pucelle étant à Blois, où elle séjournait en attendant une partie de ses hommes qui n'étaient pas arrivés, envoya un héraut vers les seigneurs et capitaines anglais devant Orléans, et par ce héraut leur transmit une lettre qu'elle même dicta, ayant en tête comme principal titre JESUS, MARIA, et commençant après en marge comme il suit :
    "Roy d'Angleterre, faites raison au Roy du Ciel, etc..."

Quand les seigneurs et capitaines anglais eurent lu et entendu ces lettres, ils furent merveilleusement courroucés, et par haine de la Pucelle, en disant d'elle moult de vilaines paroles, spécialement en l'appelant ribaude, vachère, en la menaçant de la faire brûler, ils retinrent le héraut porteur des lettres, faisant moquerie de ce qu'elle leur avait écrit.]


                                                       *
                                                  *        *

24 mars :
  Le jeudy apres prouchain et vingt quatriesme de mesmes mois de mars, et jour de jeudy absolut, tirèrent les Angloys d'une bombarde dedans Orléans, dont la pierre qui cheut en la rue de la Charpenterie, tua que blecha trois personnes. Durant lequel jour courut grant bruit, que aucuns de la cité la debvoient trahir et bailler ès mains des  Angloys ; pour quoy celluy mesme jour et lendemain, veille de sainctes Pasques, et le jour aussi, furent les gens de guerre y estant retraictz pareillement, tousjours en armes et chacun sur sa garde, tant en la ville et sur les murs, comme ès boulevars d'entour.

                                                       *
                                                  *        *

27 mars :
  Le jour de sainctes Pasques, qui furent le vint septiesme d'icelluy
mois de mars mil quatre cens vingt neuf, furent le vingt septiesme   d'icelluy mois de mars mil quatre cens vingt neuf, furent trèves données et octroées d'une part et d'autre entre les François d'Orléans et les Angloys tenans le siège.

                                                       *
                                                  *        *

29 mars :
  Le mardy ensuivant, vingt neufiesme du mesme moys, arriverent dedans la ville aucun nombre de bestial et autres vivres.


                                         

1 avril :
e vendredy d'aprez qui fut premier jour du mois d'avril, et en cellui an mil quatre cens vingt neuf, alèrent les François escarmouscher les Anglois prez de leur boulevart, qu'ilz avoyent faict de nouvel à la grange Cuyveret. Pour quoy ilz saillirent contre eulz à tout deux estandars, et demourèrent là grant espace de temps l'un devant l'autre et tirans les ungs contre les autres de canons, couleuvrines et autre traict, tellement  que de chacune partie y en eut plusieurs bleciez.

                                                       *
                                                  *        *

2 avril :
  e lendemain arrivèrent dedans Orléans neuf beufz gras, et deux chevaulz chargez de cheveraulx et de vivres. Et ce jour meismes, aprez midy, escarmouchèrent les Franchois de rechef le boulevart de la grange Cuyveret, là où ilz furent bien recueilliz ; car de la bastille Sainct Lorens saillirent contre eulz environ quatre cens combatans, portant avec eulz deux estandars, dont l'un estoit celui de sainct George, estant my party de blanc et de rouge, et ayant ou milleu une croix ;  et vindrent jusques à sainct Maturin et ou champ Turpin (113), chargant fort sur les-François, lesquelz furent mis en belle ordonnance par le bastard d'Orléans, le seigneur de Graville, La  Hire, Poton et Tilloy : tant qu'ilz se portèrent très vaillamment, et y eut très forte et grousse escarmousche. Durant laquelle tirèrent merveilleusement de chacune partie de leurs canons, bombardes, couleuvrines et autre traict, tellement que en fin y furent plusieurs tuez et blecez, tant des Françoys comme des Angloys.

                                                       *
                                                  *        *

3 avril :
  Le dimanche ensuivant, dit Quasimodo, c'est le jour de Pasques clouses, saillirent aucuns habitans d'Orléans et gangnèrent environ Sainct Loup ung chalan, ouquel avoit neuf tonneaulx de vin, et ung pourceau, et de la venoison, qu'on cuidoit mener aux Angloys, en celle bastille de Sainct Loup ; mais ceulx d'Orléans beurent le  vin, et mengèrent le pourceau et la venoison.
  Et celluy mesme jour, eut forte escarmousche, entre les paiges des François et ceux des Angloys, entre les deux isles Sainct Lorens ; et n'avoyent escuz, sinon de petiz paniers ; et gectoient pierres et calloux, les ungs contre les autres. Au derrenier firent ceulx des François reculler les autres des Angloys ausquelz regarder y avoit mout de gens. Et pour celle escarmouche et autres que deppuis firent devant Orléans les paiges françois, estoit leur cappitaine l'un d'eulx gentilhomme du Daulphiné, nommé Aymart de Puiseux :  lequel fut depuis nommé Capdorat par La Hire, tant parce qu'il estoit fort blanc, comme aussi parce qu'il estoit fort esveillé et de grant hardiesse entre les autres ; et bien le monstra deppuis en plusieurs faictg d'armes, tant en ce royaume, comme ès Allemaignes et ailleurs.

                                                       *
                                                  *        *

4 avril :
  Le lendemain, jour de lundy, ainsi que on ouvroit les portes de la ville, y arrivèrent aucuns Francoys, qui estoient alez courir dedans Meung, dont ilz avoient tué le cappitaine, et enmenoient quarante trois chefz de grousses aumailles, combien que plusieurs d'eulg estoient navrez.
  Cellui jour aprez midy, eut une autre bataille entre les paiges, qui estoient habillez comme devant ; et là fut tué d'un coup de pierre l'ung des paiges angloys, et si y eut plusieurs blechiez d'une part et d'autre : combien que en la fin gaignèrent les paiges angloys l'estandart des  paiges françoys.

                                                       *
                                                  *        *

5 avril :
  Le mardy, cincquiesme d'icelluy mois, arrivèrent aux portes ouvrans dedans Orléans, cent et ung pourceaulx, et six beufz gras, que marchans y amenoient de Berry ; lesquelz passèrent au droit de Sainct Aignan d'Orléans. Contre lesquelz saillirent moult hastivement les Angloys des Tournelles, si toust qu'ilz les apperceurent ; mais ce fut trop tart, car ilz perdirent leur peine.
  Ce mesme jour arrivèrent aussi deux chevaulx, chargiez de beurre et frommaigea, et dix sept pourceaulx qu'on y amena de Chasteaudin. Et si vint aussi nouvelles que les François estans en garnison en celle ville de Chastiaudun avoient que tué que prins et destroussez trente ou quarante Angloys qui apportoyent grant argent aux autres Angloys de l'ost.

                                                       *
                                                  *        *

7 avril :
  Le jeudy aprez, septiesme d'icelluy mois, arrivèrent aux Angloys de la bastille Sainct Lorens plusieurs vivres et autres habillements de guerre, sans trouver aucun empeschement.

                                                       *
                                                  *        *

8 avril :
  Le lendemain arrivèrent devers le matin dedans la cité vingt six bestes aumailles, que aucuns Françoys qui en estoient de la garnison avoient gangniez en Normandye.

                                                       *
                                                  *        *

9 avril :
  Le samedy ensuivant, neufviesme du mesme moys, y arrivèrent aussi vers le matin, dix sept pourceaulx et huict chevaulx (les deux chargez de cheveriaulx et cochons, et les six autres de blé), qui furent amenezde Chasteaudun. D'autre part firent les  Angloys environ ce temps ung autre boulevart et foussé au droit du Pressouer Ars (114).
  Pour lesquelz empescher, saillirent les Françoys, et alèrent les Françoys, et alèrent jusques au boulevart ; mais il survint une grant pluie et merveilleux temps, qui dura longuement : pour quoy ilz ne peurent acomplir leur intencion, et s'en retournèrent  dedans la cité sans riens faire.

                                                       *
                                                  *        *

12 avril :
  Le mardy après, douziesme d'icelluy moys, se partirent d'Orléans de nuyt aucuns Françoys et alèrent à Sainct-Marceau ou val de Loire, et rompirent et percèrent l'église ; dedans laquelle ilz trouvèrent vingt Angloys, qu'ilz prindrent et emmenèrent prisonniers dedans leur ville, combien qu'ilz y perdirent deux de leur compaignons.

                                                       *
                                                  *        *

13 avril :
  Et le lendemain, fut apporté dedans Orléans grant argent pour souldoyer ceulx de la garnison qui en avoyent bien mestier.

                                                       *
                                                  *        *

15 avril :
  Le vendredy quinziesme jour du mesmes avril, firent et parfirent une moult belle bastille et forte, très bien faicte, entre Saint Pouair et Sainct Ladre, en une place  qui comprenoit grant ensainte ; dedans laquelle mirent et laissèrent plusieurs seigneurs et gentilzhommes d'Angleterre, avecques grant nombre d'autres gens de guerre, voulans garder que par là prez ne peussent plus estre menez aucuns vivres aucuns vivres dedans Orléans ; ainsi comme ilz avoient veu faire plusieurs foiz par avant, malgré les gens de leurs autres bastilles.

                                                       *
                                                  *        *

16 avril :
  Le lendemain venoyent de Bloys à Orléans par le chemin de Fleury aux Choux, aucun nombre de bestial et autres vivres, que les Angloys cuidèrent destrousser, et leur alèrent au devant, mais trop tart, car la cloche du beffroy sonna pour scourir les vivres. Ce qui fut faict, et tellement qu'ilz arrivèrent sauvement dedans la ville.
  Ce mesme jour, vindrent courir devant les Tournelles environ cincquante hommes d'armes françoys d'aucunes garnisons de Sauloigne, et enmenèrent bien quinze Angloys prisonniers. Et  la nuyt ensuivant celluy jour, se partirent de la ville aucuns François qui tuèrent trois Angloys ; faisans le guet emprèz l'Orbecte (115).

                                                       *
                                                  *        *

17 avril :
  Le dimenche ensuivant, dix septiesme d'icellui  mois d'avril, arrivèrent dedans Orléans, Poton de Sainctes Trailles, et autres embassadeurs, qui  estoyent alez avecques eulx devers le duc de Bourgoingne et le conte de Ligny, et amenèrent avec eulx la trompette dudict duc de Bourgoingue. Lequel, si toust qu'il sceut la requeste de ceulx d'Orléans, s'en ala et messire Jehan de Luxembourg avecques luy devers le duc de Bethefort, soy disant régent de ce royaume pour le roy Henry d'Angleterre, en luy remonstrant la pitié qui estoit au duc d'Orléans ; et luy avoit requis et prié bien chierement qu'il lui pleust faire lever et departir le siège estans mis devant sa principalle ville et cité d'Orléans. A quoy n'avoit voulu acquiescer pour nul d'eulx le duc de Bethefort, dont le duc de Bourgoigne n'estoit pas contant ; et à ceste occasion envoyoit avecques les embassadeurs sa trompette, qui de par luy commanda à tous ceulx de ses terres et villes à luy obéissantes, estans en celluy siege, qu'ilz s'en allassent et departissent et ne mesfeissent en aucune manière à ceulx d'Orléans. Pour obtemperer auquel commandement, s'en alèrent et departirent très hastivement, plusieurs Bourguignons, Picars, Champenois et moult d'autres des pays et obéissance d'icelluy duc de Bourgoigne.

                                                       *
                                                  *        *

18 avril :
  Le lendemain au matin, environ quatre heures après minuyt, saillirent les Françoys sur l'ost des Angloys, et feirent tant que en leur entrée, tuerent une partie de leur guet, et gaignèrent l'un de leur estendars, et furent dedans longue espace. Durant laquelle ilz firent grant dommaige à leurs adversaires ; lesquelz crièrent moult effrayment à l'arme, et se mirent tous en ordonnance le myeulx qu'ilz peurent, adreschant contre les Françoys, qui, les cognoissans aprester, en grant foulle yssirent de l'ost, où ilz avoient gaigné plusieurs tasses d'argent, beacoup de robes de martres et grant nombre d'arcs, trousses, fleiches et autres habillemens de guerre. Toutesfois
les Anglois les poursuivirent et tindrent de tant prez, qu'il y eut forte et grousse escramousche, où plusieurs furent tuez et bleciez, tant d'une partie que d'autre. Et par expécial y fut tué d'un coup de couleuvrine cellui qui portoit l'estendart des Angloys ; combien que ceulx de la ville ne furent pas sans grant dommaige, et bien y parut au retour, par le dueuil que firent les femmes d'Orléans, plourans et lamentans leurs pères, mariz, frères et parens, tuez et bleciez en celle escarmousche. Et celluy mesmes jour furent rendus les corps de chacun cousté ; si furent enterrez en terre saincte.

                                                       *
                                                  *        *

19 avril :
  Le mardy aprez dix neufviesme jour du mois d'avril, environ l'heure de vespres, arriverent en l'ost et bastilles des Angloys grant quantité de vivres et autres habillemens de guerre, et avecques eulx plusieurs gens d'armes, qui les conduisoient.

                                                       *
                                                  *        *

20 avril :
  Le lendemain, environ quatres heures du matin, se partist d'Orléans un cappitaine nommé Amade, et seize hommes d'armes à cheval avecques luy, qui alèrent courir environ Fleury aux Choux, où s'estoyent logez les Angloys qui avoyent amenez les vivres derreniers, et firent tant qu'ilz en emmenèrent six Angloys prisonniers, qu'ilz prindrent, et  plusieurs chevaulx, arcs, trousses et autres habillemens de guerre.
  Environ cellui mesmes temps, fortiffièrent les Angloys Sainct Jehan le Blanc, ou val de Loire, et y feirent ung guet pour garder le passaige.

                                                       *
                                                  *        *

21 avril :
  Le jeudy ensuivant, arrivèrent dedans Orléans trois chevaulx, chargez de poudre à canon et de plusieurs autres choses. D'autre part aprestèrent celluy jour ceulx d'Orléans plusieurs canons à gecter contre les Angloys, pource qu'ilz cuidoyent qu'ilz deussent faire aucune forte escarmousche pour leur bienvenue, et en firent tirer merveilleusement contre eulx estans sailliz ; pour quoy se retrahirent en leur ost ; mais plusieurs d'eulx s'en partirent la nuyt ensuivant, pour aler au devant des vivres  que on amenoit en la ville, les voulans conquester.

                                                       *
                                                  *        *

23 avril :
  Le samedy vingt troisiesme du mesmes mois d'avril, arrivèrent dedans Orléans quatre chevaulx chargez de poudre de canon et de vivres.

                                                       *
                                                  *        *

24 avril :
  Et le lendemain y entra le bourg de Mascaran, accompaigné de quarante combattans.

                                                       *
                                                  *        *

25 avril :
  Et le jour prouchain aprez, qui fut mardy vingt sixiesme jour du mesmes moys, y entra aussi Alain de Giron (116), accompaigné de cent combatans.

                                                       *
                                                  *        *

27 avril :
  Le mercredy ensuivant, saillirent les Françoys et alèrent en moult grant haste et belle ordonnance jusques à la croix de Fleury, pour scourir aucuns marchans amenans vivres d'entour Bloys, pour les avitailler, parce qu'ilz eurent nouvelles qu'ilz avoyent empeschement ; mais ilz ne passèrent point oultre, obstant ce que on leur vint au devant ; et leur fut dit qu'ilz n'y feroient rien car les Angloys les avoyent jà destroussez. Combien que d'autre part leur vint autre rerconfort de soixante combatans venans de Beaune en Gastinoys, qui leur amenoient d'autres pourceaulx.

                                                       *
                                                  *        *

28 avril :
  Le lendemain, jour de jeudy, vingt huitiesme jour d'icelluy moys d'avril,  arriverent aprez midy dedans Orléans, ung cappitaine moult renommé appellé Fleurentin d'Illiers (117), et avecques luy le frère de La Hire, accompaigniez de quatre cens combatans, qui venoient de Chateaudun. Et celluy mesmes jour eut une forte et grousse escarmousche, parce que les Angloys vindrent escarmouscher devant les boulevars  d'Orléans. Mais les gens de guerre et plusieurs citoyens d'Orléans saillirent contre eulx et les chassèrent jusques en leur boulevars, et feirent tant qu'ilz en tuerent et navrèrent plusieurs, et les autres tombèrent dedans les foussez de leurs boulevars, qui estoient pour lors environ la grange Cuyveret et le Pressouer Ars, en aucune vallée  qui là estoit d'ancienneté. Toutesfoiz convint aux Françoys lescher leur escarmousche  et retourner en la ville, pour la grant multitude des canons, couleuvrines et autre traict dont tirèrent les Angloys contre eulx moult espessement, tellement que  plusieurs y furent en fin tuez d'une partie et d'autre ; et en leur retour cheut ung des Françoys dedans ung puys, là où il fut tué. D'autre part, sceurent la Pucelle et autres seigneurs et cappitaines estans avecques elle, comment les Angloys la desprisoient et en eulx mocquant d'elle et de ses lettres, avoient retenu le hérault qui les avoit portées. Pour quoy ilz conclurent qu'ilz marcheroient avant à tous leurs gens d'armes, vivres et artilleries, et passeroient  par la Sauloigne, obstant que la plus grande puissance des Angloys estoit du cousté de la Beausse ; combien que ne dirent riens à la Pucelle, laquelle tendoit aler et passer  par devant eulx à force d'armes. Et pour ce ordonna que toutes les gens de guerre se confessassent, et laissassent toutes leurs folles femmes et tout le bagaige ; et  en ce point s'en alèrent, et feirent tant que ilz vinrent jusques à ung villaige nommé Checy, là où ilz geurent la nuyt ensuivant.

                                                       *
                                                  *        *

29 avril :
  Le vendredy ensuivant, vingt neufviesme du mesmes moys, vinrent dedans Orléans les nouvelles certaines comment le roy envoyoit par la Sauloigne vivres, pouldres, canons et autres habillemens de guerre, soubz le conduict de la Pucelle, laquelle venoit de par Nostre Seigneur pour avitailler et reconforter la ville, et faire lever le siège, dont furent moult reconfortez ceulx d'Orléans. Et parce que on disoit que les Angloys mectroient peine d'empescher les vivres,   fut ordonné que chacun fust armé et bien empoint par la cité; ce qui fut faict.
  Ce jour aussi y arrivèrent cincquante combatans à piet, habillez de guisarmes et autres habillemens de guerre ; et venoient du pays de Gastinois, où ilz avoient esté en garnison.
  Cellui mesmes jour eut moult grousse escarmousche, parce que les Françoys vouloient donner lieu et heure d'entrer aux vivres que on leur amenoit Et pour donner aux Angloys à entendre ailleurs, saillirent à grant puissance, et alèrent courir et escarmouscher devant Sainct Loup d'Orléans. Et tant les tindrent de prez, qu'il y eut plusieurs mors, blecez et prins prisonniers d'une part et d'autre, combien que les François apportèrent dedans leur cité ung des estandars des Angloys. Et lors que celle escarmousche se faisoit, entrèrent dedans la ville les vivres et artillerie que la Pucelle avoit conduicts jusques à Checy (118). Au devant de laquelle alla jusques à cellui villaige le bastart d'Orléans et autres chevalliers, escuiers et gens de guerre, tant d'Orléans comme d'autre part, moult joyeulx de la venue d'elle, qui tous luy feirent grant reverance et belle chière, et sy feist elle à eulx. Et là conclurent tous ensemble qu'elle n'enterroit dedans Orléans jusques à la nuyt, pour éviter le tumulte du peuple, et que le mareschal de Rays (119) et messire Ambroise de Loré (120), qui parle commandement du roy l'avoyent conduicte jusques là, s'en retourneroyent à Bloys où estoient demourez plusieurs seigneurs et gens de guerre Françoys : ce qui fut faict ; car ainsi comme à huyt heures au soir, malgré tous les Angloys qui oncques n'y mirent empeschement aucun, elle y entra armée de toutes pièces, montée sur ung cheval blanc ; et faisoit porter devant elle son estandart, qui estoit pareillement blanc, ouquel avait deux anges tenans chacun une fleur de liz en leur main ; et ou panon estoit painte comme une Anonciacion c'est l'image de Nostre Dame ayant devant elle ung ange luy présentant ung liz.
  Elle ainsi, entrant dedans Orléans, avoit à son cousté senestre le bastart d'Orléans, armé et monté moult richement. Et aprez venoyent plusieurs autres nobles et vaillans seigneurs, escuyers, cappitaines et gens de guerre, sans aucuns de la garnison, et aussy des bourgoys d'Orléans, qui luy estoyent allez au devant.

  

  D'autre part, la vindrent recevoir les autres gens de guerre, bourgoys et bourgoises d'Orléans, portans grant nombre de torches, et faisans autel joye comme se ilz veissent Dieu descendre entre eulx, et non sans cause, car ilz avoient plusieurs ennuys, travaulx et peines, et qui pis est grant double de non estre secouruz, et perdre tous corps et biens. Mais ilz se sentoyent jà tous reconfortez, et comme desassiégez, par la vertu divine qu'on leur avoit dit estre en ceste simple Pucelle, qu'ilz regardoyent mout affectueusement, tant hommes, femmes, que petis enfans. Et y avoit moult merveilleuse presse à toucher à elle, ou au cheval sur quoy elle estoit, tellement que l'un de ceulx qui portaient les torches s'approucha tant de son estandart que le feu se print au panon. Pourquoy elle frappa son cheval des esperons, et le tourna autant gentement jusques au panon, dont elle en estaingnit le feu, comme se elle eust longuement suyvy les guerres : ce que les gens d'armes tindrent à grans merveilles, et les bourgois de Orléans aussi ; lesquelz l'acompaignèrent au long de leur ville et cité, faisans moult grant chière, et par très grant honneur la conduisrent tous jusques auprez de la porte Regnart, en l'ostel de Jacquet Boucher (121), pour lors trésorier du duc d'Orléans, où elle fut receue à très grant joye, avecques ses deux frères (122) et les deux gentilzhommes et leur varlet, qui estoient venuz avecques eulx du pays de Barroys.


  Le lendemain vendredi, vingt-neuvième du même mois (d'avril), vint à Orléans d'une manière certaine la nouvelle que le roi envoyait par la Sologne vivres, poudres, canons et autres provisions de guerre, sous la conduite de la Pucelle, laquelle venait de par Notre-Seigneur pour ravitailler et réconforter la ville et faire lever le siège ; ce dont les habitants d'Orléans furent très réconfortés. Et parce qu'on disait que les Anglais s'efforceraient d'empêcher l'entrée des vivres, il fut ordonné par la cité que chacun fût armé et bien en point...
  ...Ce même jour, il y eut grosse escarmouche, parce que les Français voulaient ménager le lieu et l'heure propices pour l'entrée des vivres qu'on leur annonçait. Afin de donner aux Anglais à entendre ailleurs, ils sortirent à grande puissance, et allèrent courir et escamoucher devant Saint-Loup d'Orléans. Ils tinrent les Anglais de si près que de part et d'autre il y eut plusieurs morts, plusieurs blessés et plusieurs prisonniers. Cependant les Français apportèrent dans la cité un étendard des Anglais. Lorsque cette escarmouche se faisait, entrèrent dans la ville les vivres et les armes que la Pucelle avait conduits jusqu'à Chécy. Au-devant de la Pucelle, allèrent jusqu'à Chécy le bâtard d'Orléans et d'autres chevaliers, écuyers et gens de guerre, tant d'Orléans comme d'autres pays, fort joyeux de sa venue. Ils lui firent grande révérence et bel accueil ; et ainsi fit-elle à eux. Là ils arrêtèrent tous ensemble que, pour éviter le tumulte du peuple, elle n'entrerait dans Orléans qu'à la nuit; et que le maréchal de Rais et messire Ambroise de Loré qui, par le commandement du roi, l'avaient conduite jusque-là, s'en retourneraient à Blois, où plusieurs seigneurs et gens de guerre étaient demeurés. Ce qui fut fait.
  Sur les huit heures du soir, malgré tous les Anglais qui n'y mirent en rien empêchement, la Pucelle entra à Orléans, armée de toutes pièces, montée sur un cheval blanc ; elle faisait porter devant elle son étendard qui était pareillement blanc, auquel il y avait deux anges tenant chacun une fleur de lis en leurs mains ; et au panon était peinte comme une Annonciation. C'est l'image de Notre-Dame ayant devant elle un ange qui lui présente un lis. En entrant ainsi dans Orléans, elle avait à son côté gauche le bâtard d'Orléans, armé et monté très richement. Après, venaient plusieurs autres nobles et vaillants seigneurs, écuyers, capitaines et gens de guerre, sans compter quelques-uns de la garnison, et aussi des bourgeois d'Orléans, qui lui étaient allés au-devant.
   D'autre part vinrent la recevoir les autres gens de guerre, bourgeois et bourgeoises d'Orléans, portant grand nombre de torches, et faisant autres signes de joie, comme s'ils avaient vu Dieu descendre parmi eux, et non sans cause, car ils avaient plusieurs ennuis, travaux et peines, et qui, pis est, grande crainte de n'être pas secourus, et de perdre tout, leur corps et leurs biens. Mais ils se sentaient déjà tous réconfortés et comme désassiégés par la vertu divine qu'on leur avait dit être en cette simple pucelle, qu'ils regardaient moult affectueusement, tant hommes, femmes que petits enfants. Et il y avait très merveilleuse presse à toucher au cheval sur lequel elle était, tellement que l'un de ceux qui portaient les torches s'approcha tant de son étendard que le feu prit au panon. Mais elle frappa son cheval des éperons, et le tourna jusqu'au panon dont elle éteignit le feu, aussi gentiment que si elle eut longuement suivi les guerres; ce que les gens d'armes tinrent à grande merveille, et les bourgeois d'Orléans aussi.
  Ils l'accompagnèrent au long de leur ville et cité, montrant très grande allégresse, et tous la conduisirent avec très grand honneur jusques auprès de la porte Renart, en l'hôtel de Jacques Boucher, pour lors trésorier du duc d'Orléans, où elle fut reçue avec très grande joie, avec ses deux frères, et les gentilshommes, et leur valet, qui étaient tous venus du pays de Barrois.


                                                       *
                                                  *        *

30 avril :
  Le lendemain qui fut samedy, derrenier jour d'icellui mois d'avril, saillirent La Hire, messire Florent d'Illiers et autres plusieurs chevalliers et escuiers de la garnison, avecques aucuns citoyens, et chargèrent, estandars desployez, sur l'ost des Angloys, tant qu'ilz les firent reculler, et gangnèrent la place où ilz avoient faict le guet qu'ilz tenoient lors à la place de Sainct Pouoir, à deux traicts d'arc de la ville. Pour quoy on cria fort tout au long de la cité, à celle heure, que chacun apportast feurres, pailles et fagotz, pour bouter le feu ès logis des Angloys dedans leur ost ; mais on n'en feit riens, obstant que les Angloys firent terribles cris et se mirent tous en ordonnance. Et pour ce s'en retournèrent les Françoys, combien que avant leur retour y avoit eu très forte et longue escarmousche, durant laquelle tirèrent merveilleusement les canons, couleuvrines et bombardes, tant que plusieurs furent tuez, blecez et prins prisonniers d'un party et d'autre.

                    

  La nuyt venue, envoya la Pucelle deux héraulx devers les Angloys de l'ost, et leur manda qu'ilz luy renvoyassent le hérault par lequel elle leur avoit envoyé ses lettres de Bloys. Et pareillement leur manda le bastart d'Orléans que s'ilz ne le renvoyaient, qu'il feroit mourir de male mort tous les Angloys qui estoient prisonniers dedans Orléans, et ceulx aussi qui par aucuns seigneurs d'Angleterre y a voient esté envoyez pour traicter de la rençon des autres. Pour quoy les chefz de l'ost renvoyèrent tous les héraulx et messagiezs de la Pucelle, luy mandans par eulx qu'ilz la bruleroyent et feroyent ardoir, et que elle n'estoit que une ribaulde, et comme telle s'en retournast garder les vaches. Dont elle fut fort yrée ; et à ceste occasion, quant vint sur le soir, elle s'en ala au boulevart de la Belle Croix... sur le pont et de là parla à Glacidas et autres Anglois estans ès Tournelles, et leur dict qu'ils se rendissent de par Dieu, leurs vies sauves seullement. Mais Glacidas et ceulx de sa rote respondirent vilainement, l'injuriant et appellant vachère, comme devant, crians moult haut qu'ilz la feroient ardoir, s'ilz la povaient tenir. De quoy elle fut aucunement yrée, et leur respondit qu'ilz mentoyent et ce dit, s'en retira dedans la cyté.


  Le lendemain qui fut samedi, dernier jour de ce mois d'avril, saillirent hors de la ville La Hire, messire Florent d' Illiers, et plusieurs autres chevaliers et écuyers, avec quelques citoyens. Étendards déployés, ils chargèrent sur l'armée des Anglais avec tant d'élan qu'ils les firent reculer, et emportèrent la place où ils avaient établi le guet qu'ils tenaient alors à la place Saint-Pouair, à deux traits d'arc de la ville. Ce qui fut cause qu'à cette heure on cria tout au long de la cité que chacun apportât pailles, bottes et fagots pour mettre le feu au logis des Anglais, dans leur armée ; mais on n'en fit rien, car les Anglais firent de terribles cris et se mirent tous en ordonnance. Et pour cela les Français s'en retournèrent après une très forte et longue escarmouche, durant laquelle les canons, coulevrines et bombardes tirèrent merveilleusement, si bien que de part et d'autre plusieurs furent tués, blessés, ou faits prisonniers.
  La nuit venue, la Pucelle envoya deux hérauts vers les Anglais de l'armée, pour leur mander de lui renvoyer le héraut par lequel elle leur avait fait parvenir ses lettres de Blois. Le bâtard d'Orléans leur manda pareillement que, s'ils ne le renvoyaient pas, il ferait mourir de male mort tous les Anglais prisonniers dans Orléans, et ceux qui y avaient été envoyés par quelques seigneurs d'Angleterre pour traiter de la rançon des autres.
  C'est pourquoi les chefs de l'armée renvoyèrent tous les hérauts et messagers de la Pucelle, lui mandant par eux qu'ils la brûleraient et la feraient rôtir, qu'elle n'était qu'une ribaude, et s'en retournât comme telle garder les vaches ; ce dont elle fut fort peinée.
  A cette occasion, sur le soir, elle alla au boulevard de Belle-Croix, sur le pont, et de là elle parla à Glacidas et aux autres Anglais des Tourelles, et leur dit de se rendre de par Dieu, en se contentant d'emporter la vie sauve ; mais Glacidas et ceux de sa suite répondirent vilainement, l'injuriant, l'appelant vachère comme précédemment, criant très haut qu'ils la feraient brûler, s'ils pouvaient la tenir ; ce dont elle fut un peu affectée; elle leur répondit qu'ils mentaient, et, cela dit, elle revint dans la cité.



                                         

1er mai :
e dimenche d'aprez, qui fut premier jour de may, celluy an mil quatre cens vingt neuf, se partist de la ville le bastart d'Orléans, pour aller à Bloys devers le conte de Clermont, le mareschal de Saincte Sévère, le seigneur de Rays, et plusieurs autres chevaliers, escuyers et gens de guerre.
  Celluy jour aussi chevaucha par la cité Jehanne la Pucelle, acompaignée de plusieurs chevalliers et escuiers, parce que ceulx d'Orléans avoient si grant volonté de la veoir qu'ilz rompoient presques l'uys de l'ostel où elle estoit logée ; pour laquelle veoir avoit tant grans gens de la cyté par les rues où elle passoit, que à grant peine y povoit on passer, car le peuple ne se povoit saouler de la veoir. Et moult sembloyt à tous estre grant merveille comment elle se povoit tenir si gentement à cheval, comme elle faisoit. Et à la vérité aussi elle se maintenoit aussi haultement en toutes manières, comme eust sceu faire ung  hommes d'armes, suivant la guerre dès sa jonnesse.
  Ce mesmes jour parla de rechef aux Angloys prez la Croix-Morin, et leur dist qu'ilz se rendissent leurs vies sauves tant seulement, et s'en retournassent de par Dieu en Angleterre, ou qu'elle les feroit courrouchez ; mais ilz luy  repondirent aussi villaines parolles que ilz avoient faizt des Tournelles l'autre foiz : pour quoy elle s'en retournat dedans Orléans.


  Le lendemain dimanche, en cette année 1429, le premier jour de mai, le bâtard d'Orléans partit de la ville, pour aller à Blois vers le comte de Clermont, le maréchal de Sainte-Sévère, le seigneur de Rais, et plusieurs autres chevaliers, écuyers et gens de guerre.
  Ce jour-là aussi Jeanne la Pucelle chevaucha par la ville, accompagnée de plusieurs chevaliers et écuyers, parce que ceux d'Orléans avaient si grande volonté de la voir qu'ils rompaient presque la porte de l'hôtel où elle était logée. Il y avait pour la voir tant de gens de la cité que, par les rues où elles passait, on pouvait à grand'peine avancer, car le peuple ne pouvait se saouler de la voir. Cela semblait à tous une grande merveille, comment elle pouvait se tenir à cheval aussi gentement qu'elle le faisait, et à la vérité elle se maintenait en toutes manières aussi hautement qu'aurait su faire un homme d'armes, suivant la guerre dès sa jeunesse.
  Ce même jour la Pucelle parla de nouveau aux Anglais près de la Croix-Morin, et leur dit de s'en aller sans autre condition que la vie sauve, et de s'en retourner, de par Dieu, en Angleterre, sans quoi elle les en ferait repentir ; mais il lui répondirent d'aussi vilaines paroles qu'ils l'avaient déjà fait des Tournelles; c'est pourquoi elle retourna dans Orléans.


                                                       *
                                                  *        *

2 mai :
  Le lundy, deuxiesme jour de may, se partist d'Orléans la Pucelle estant à cheval, et alla sur les champs visiter les bastilles et ost des Angloys ; aprez laquelle couroit le peuple à très grant foulle, prenant moult grant plaisir à la veoir et estre entour elle. Et quant eust veu et regardé à son plaisir les fortifficacions des Angloys, elle s'en retourna à l'église de Saincte Croix d'Orléans (123) dedans la cité, où elle oyt les vespres.


  Le lundi, deuxième jour de mai, la Pucelle sortit d'Orléans à cheval, et alla en dehors des remparts visiter les bastilles et les positions de l'armée anglaise ; le peuple courait après elle en très grande foule, prenant très grand plaisir à la voir et d'être autour d'elle. Quand elle eut vu et regardé à son aise les fortifications des Anglais, elle s'en retourna à l'église de Sainte-Croix d'Orléans, dans la cité, et elle y entendit les vêpres.

                 

                                                       *
                                                  *        *

4 mai :
  Le mercredy, quatriesme jour d'icelluy moys de may, saillit aux champs la Pucelle ayant en sa compaignie le seigneur de Villars et messire Fleurent d'Iliers, La Hire, Alain Giron (124), Jamet de Tilloy, et plusieurs autres escuiers et gens de guerre, estans en tout cinq cens combatans; et s'en alla au devant du bastart d'Orléans, du mareschal de Rays, du mareschal de Saincte Sévère, du baron de Coulonces (125), et de plusieurs autres chevalliers et escuiers, avecques autres gens de guerre habillez de guisarmes et mallez de plomb, qui amenoyent vivres, que ceulx de Bourges, Angiers, Tours, Blois, envoyoient à ceulx d'Orléans, lesquelz receurent en très grant joye en leur ville, en laquelle ilz entrèrent pardevant la bastille des Angloys, qui n'osèrent oncques saillir, mais se tenoient fort en leurs gardes.
  Et ce mesmes jour aprez midy, se partirent de la cité la Pucelle et le bastart d'Orléans, menans en leurs compaignies grans nombres de nobles, et environ quinze cens combatans, et s'en allèrent assaillir la bastille Sainct Loup (126), là où ilz trouvèrent très forte résistance, car les Angloys, qui l'avoient moult fortiffiée, la deffendirent très vaillanment l'espasse de trois heures que l'assault dura très aspre, combien qu'en la fin la prindrent les Françoys par force, et tuèrent cens et quatorze Angloys, et en retindrent et amenèrent quarente prisonniers dedans leur ville ; mais avant abatirent, brûlèrent et démolirent du tout celle bastille, ou très grant couroux, dom-maige et desplaisir des Angloys. Partie desquelz estans à la bastille de Sainct Pouoir, saillirent à grant puissance durant celluy assault, voulans scourir leurs gens : dont ceulx d'Orléans furent advertiz par la cloche du beffroy, qui sonna par deux fois; par quoy le mareschal de Saincte Sévère, le seigneur de Graville, le baron de Coulonces et plusieurs autres chevalliers et escuiers, gens de guerre et citoyens, estans en tous six cens combatans, saillirent hastivement hors d'Orléans et se mirent aux champs en très belle: ordonnanche et bataille contre les Angloys ; lesquelz délessèrent leur entreprinse et le secours de leurs compaignons, quant ilz virent la manière des Françoys ainsi saillir hors et ordonnez en bataille, et s'en tournèrent dolens et courouchez dedans leur bastille, dont ilz estoient yssus en très grant haste. Mais nonobstant leur retour, se deffendirent de plus en plus ceulx de la bastille; combien que en la fin la prindrent les Françoys, ainsi que dit est.

                        

  Le mercredi, quatrième jour de ce même mois de mai, la Pucelle saillit aux champs, ayant en sa compagnie le seigneur de Yillars, messire Florent d'Illiers, La Hire, Alain Giron, Jamet du Tilloy, et plusieurs autres écuyers et gens de guerre, en tout cinq cents combattants. Elle alla au-devant du bâtard d'Orléans, du maréchal de Rais, du maréchal de Sainte-Sévère, du baron de Colonces, et de plusieurs autres chevaliers et écuyers, et d'autres gens de guerre, armés de guisarnes et de maillets de plomb, amenant les vivres que les habitants de Bourges, d'Angers, de Tours, de Blois, envoyaient aux habitants d'Orléans. Tous ces combattants furent reçus avec une grande joie dans la ville, où ils entrèrent en passant par devant la bastille des Anglais, qui n'osèrent sortir un instant, mais qui se tenaient prêts en leurs postes de garde.
  En ce même jour, après midi, la Pucelle et le bâtard d'Orléans partirent de la cité, menant en leur compagnie grand nombre de nobles et environ quinze cents combattants, et ils allèrent assaillir la bastille Saint-Loup. Ils y trouvèrent très forte résistance, car les Anglais, qui l'avaient beaucoup fortifiée, la défendirent très vaillamment l'espace de trois heures que l'assaut dura, très âpre. Enfin les Français l'emportèrent de vive force, et tuèrent cent quatorze Anglais, et en prirent et amenèrent dans la ville quarante prisonniers ; mais avant de se retirer, ils abattirent, brûlèrent et démolirent entièrement cette bastille, à la très grande peine, dommage et déplaisir des Anglais. Pendant l'assaut, une partie de ceux qui étaient à la bastille Saint-Pouair saillirent à grande puissance, dans le dessein de secourir leurs gens ; ceux d'Orléans en furent avertis par la cloche du beffroy qui sonna par deux fois ; au signal le maréchal de Sainte-Sévère, le seigneur de Graville, le baron de Colonces, plusieurs autres chevaliers et écuyers, gens de guerre et citoyens, en tout six cents combattants, saillirent à la hâte hors d'Orléans, et se mirent aux champs en très bel ordre de bataille à l'encontre des Anglais. Ceux-ci, quand ils virent les Français ainsi saillir en belle ordonnance, laissèrent leur entreprise de secourir leurs compagnons; ils rentrèrent dolents et en courroux dans leurs bastilles, dont ils étaient sortis en très grande hâte. Nonobstant leur retour, ceux de la bastille attaquée se défendirent avec encore plus d'acharnement, quoique les Français, ainsi qu'il a été dit, aient fini par l'emporter.


                                                       *
                                                  *        *

5 mai :
  Le jeudy d'après, qui fut l'Ascension Nostre Seigneur, tindrent conseil la Pucelle, le bastart d'Orléans, le mareschal de Saincte Sévère et de Rays, le seigneur de Graville, le baron de Coulonges, le seigneur de Villars, le seigneur de Sainctes Trailles, le seigneur de Gaucourt, La Hire, le seigneur de Corraze, messire Denis de Chailly, Thibault de Termes (127), Jamet de Tilloy et ung cappitaine escoissois, appelé Canede (128) et autres cappitaines et chiefz de guerre, et aussi les bourgois d'Orléans, pour adviser et conclure ce qui estoit de faire contre les Angloys qui les tenoient assiégez. Pour quoy fut conclud qu'on assauldroit les Tournelles et boulevarts du bout du pont, combien que les Angloys les avoyent merveilleusement fortiffiées de choses deffensables, et de grant nombre de gens bien usitez en guerre. Et pour ce fut par les cappitaines commandé que chacun fut prest le lendemain au matin, et garni de toutes choses à faire assault ; auquel commandement fut bien obéy, car dès le soyr fut faict tant grant diligence, que tout fust prest le plus matin, et noncé à la Pucelle.
  Laquelle saillit hors d'Orléans, ayant en sa compaignie le bastart d'Orléans, les mareschaulx de Saincte Sevère et de Rays, le seigneur de Graville, messire Florent d'Illiers, La Hire, et plusieurs autres chevalliers et escuiers, et environ quatre mil combatans; et passa la rivière de Loire, entre Sainct Loup et la Tour neufve, et de prime face prinrent Sainct Jehan le Blanc, que les Angloys avoyent emparé et fortiffié. Et après se retirèrent en une petite ysle, qui est au droict de Sainct Aignan. Et lors les Angloys des Tournelles saillirent a grant puissance, faisans grans cris, et vindrent charger sur eulx très fort et de prez. Mais la Pucelle et La Hire, à tout partie de leurs gens, se joignirent ensemble et se frappèrent de tant grant forche et hardiesse contre les Angloys qu'ilz les contraignirent reculler jusques à leurs boulevers et Tournelles. Et de pleine venue livrèrent tel assaut au boulevart et bastille là près fortiffiez par les Angloys, au lieu où estoit l'église des Augustinst que ilz les prindrent par force, délivrans grant nombre de Françoys là prisonniers, et tuans plusieurs Angloys qui estoient dedans, et l'avoient deffendu moult asprement; tant que on y fist moult de beaulx faiz d'armes, d'une part et d'autre. Et le soir ensuivant fut par les Françoys mis le siège devant les Tournelles et les boulevars d'entour. Pour quoy ceulx d'Orléans faisoyent grant dilli-gence de porter toute la nuyt pain, vin, et autres vivres, aux gens de guerre tenans le siége.


  Le lendemain jeudi, qui fut l'Ascension de Notre-Seigneur, fut tenu un conseil auquel assistèrent la Pucelle, le bâtard d'Orléans, les maréchaux de Sainte-Sévère, de Rais, le seigneur de Graville, le baron de Colonces, le seigneur de Villars, le seigneur de Xaintrailles, le seigneur de Gaucourt, La Hire, le seigneur de Coarraze, messire Denys de Chailly, Thibaut de Thermes, Jamet du Tilloy, un capitaine écossais nommé Canède, d'autres capitaines et chefs de guerre, et aussi les bourgeois d'Orléans. Il s'agissait d'aviser et d'arrêter ce qu'il y avait à faire contre les Anglais qui les tenaient assiégés. Il fut conclu qu'on donnerait l'assaut aux Tournelles et au boulevard du bout du pont, quoique les Anglais les eussent merveilleusement fortifiés de tout ce qui pouvait les défendre, et d'un grand nombre de gens très expérimentés en guerre. Et pour cela les capitaines commandèrent que chacun fût prêt le lendemain, et muni de toutes choses propres à donner un assaut. Il fut bien obéi à ce commandement : dès le soir on fit si grande diligence que tout fut prêt au plus matin, et la Pucelle en fut avertie.
  Elle saillit hors d'Orléans, ayant en sa compagnie le bâtard d'Orléans, les maréchaux de Sainte-Sévère et de Rais, le seigneur de Graville, messire Florent d'Illiers, La Hire, et plusieurs autres chevaliers et écuyers, environ quatre mille combattants; elle passa la rivière entre Saint-Loup et la Tour-Neuve, et de prime abord ils prirent Saint-Jean-le-Blanc dont les Anglais s'étaient emparés et qu'ils avaient fortifié. Ils se retirèrent ensuite en une petite île qui est en face de Saint-Aignan. Alors les Anglais des Tournelles saillirent à grande puissance, faisant de grands cris, et ils vinrent les charger très fort et de près ; mais la Pucelle et La Hire, avec une partie de leurs gens, se joignirent ensemble et se retournèrent contre les Anglais avec tant de force et de hardiesse qu'ils les contraignirent de reculer jusqu'à leurs boulevards et tournelles. De pleine venue ils livrèrent un tel assaut au boulevard et à la bastille que les Anglais avaient fortifiés tout près, au lieu où était l'église des Augustins, qu'ils s'en emparèrent de vive force, délivrant
grand nombre de Français qui y étaient détenus prisonniers, tuant plusieurs Anglais qui les avaient défendus très âprement, en sorte que, de part et d'autre, on y fit beaucoup de beaux faits d'armes. Le soir de cette journée les Français mirent le siège devant les Tournelles et les boulevards qui étaient tout autour; ce qui fit que, durant toute la nuit, ceux d'Orléans firent grande diligence pour porter pain, vin et autres vivres aux gens de guerre tenant le siège.


                                                       *
                                                  *        *

6 mai :
  Le jour d'après au plus matin, qui fut samedy, sixiesme jour de may, assaillirent les Françoys les Tournelles et les boulevars et taudis que les Angloys y avoyent faiz pour les fortiffier. Et y eut mout merveilleux assault, durant lequel y furent faitz plusieurs beaux faiz d'armes, tant en assaillant que en deffendant, parce que Angloys y estoient grant nombre fort combatans, et garnis habondanment de toutes choses deffensables. Et aussi le monstrèrent ilz bien, car nonobstant que les Franchois les eschelassent par divers lieux moult espessement, et assaillissent de fronc, au plus hault de leurs fortifficacions de telle vaillance et hardiesse, qu'il sembloit à leur hardi maintien que ilz cuidassent estre immortelz : si les reboutèrent ilz par maintes fois et tresbuschèrent de hault en bas, tant par canons et autre traict, comme aux haches, lances, guisarmes, mailletz de plomb, et mesmes à leurs propres mains, tellement qu'ilz tuèrent que blecèrent plusieurs Françoys. Et entre les autres y fut blecée la Pucelle et frappée d'un traict entre l'espaule et la gorge, si avant qu'il passoit oultre : dont tous les assaillans furent mout dolens et courrouchez, et par expécial le bastart d'Orléans, et autres cappitaines qui vindrent devers elle, et luy dirent qu'il valloit mieulx laisser l'assault jusques au lendemain; mais elle les reconforta par moult belles et hardies parolles, les exortans d'entretenir leur hardiesse. Lesquelz ne la voulans croire délaissèrent l'assault, et se tirèrent arrière, voulans faire rapporter leur artillerie jusques au lendemain. Dont elle, fut très doulente, et leur dist : « En nom de Dieu vous entrerez bien brief dedans, n'ayez doubte, et n'auront les Angloys plus de force sur vous. Pour quoy repousez vous ung peu, beuvez et mengez. » Ce qu'ilz firent, car à merveilles lui obéissoyent. Et quant ilz eurent beu, elle leur dist : « Retournez de par Dieu à l'assault de rechef, car sans « nulle faulte les Anglois n'auront plus de force de eulx deffendre, et seront prinses leurs Tournelles et leurs boulevars. »
  Et ce dit, laissa son estandart, et s'en ala sur son cheval à ung lieu destourné faire oraison à Nostre Seigneur, et dist à ung gentilhomme estans là près : « Donnez vous garde, quant la queue de mon estandart sera ou touchera contre le boulevert. » Lequel luy dist ung peu aprez : « Jehanne, la queue y touche ! » Et lors elle luy respondit : « Tout est vostre, et y entrez ! » Laquelle parolle fut toust après congneue prophécie, car quant les vaillans chefz et gens d'armes estans demourez dedans Orléans virent que on vouloit assaillir de rechef, aucuns d'eulx saillirent hors de la cité par dessus le pont. Et parce que plusieurs arches estoyent rompues, ilz menèrent ung charpentier, et portèrent goutières et eschelles, dont ilz firent planches. Et voyans qu'elles n'estoient assez longues pour porter sur les deux boutz d'une des arches rompues, ilz joingnirent une petite pièche de boys à l'une des plus grans goutières, et firent tant qu'elle tint. Sur laquelle passa premier tout armé ung très vaillant chevalier de l'ordre de Rodes, dit de Sainct Jehan de Jhérusalem, appelé frère Nicole de Giresme (129), et à son exemple plusieurs autres aussi : qu'on dit [depuis] avoir esté plus miracle de Nostre Seigneur que autre chose, obstant que la goutière estoit merveilleusement longue et estroicte, et haute en l'air, sans avoir aucun appuy.
  Lesquelz passez oultre se boutèrent avecques leurs autres compagnons en l'assault qui dura peu deppuis; car si toust que ilz eurent recommancé, les Angloys perdirent toute force de povoir plus résister, et s'en cuidèrent entrer du boulevart dedans les Tournelles : combien que peu d'eulx se peurent sauver, car quatre ou cincq cens combatans qu'ilz estoient furent tous tuez ou noyez, exceptez aucun peu qu'on retint prisonniers, et non pas grans seigneurs, obstant que Glacidas, qui estoit cappitaine et mout renommé en faiz d'armes, le seigneur de Moulins (130), le seigneur de Pommins, le bailli de Mente (131), et plusieurs autres chevaliers banneretz et nobles d'Angleterre, furent noyez, parce que en eulx cuidans sauver le pont fondit soubz eulx : qui fut grant esbahissement de la force des Angloys, et grant dommaige des vaillans Françoys, qui pour leur rençon eussent peu avoir grant finance. Toutesfois firent ilz grant joye, et louèrent Nostre Seigneur de celle belle victoire qu'il leur avoit donnée ; et bien le debvoient faire, car on dit que celluy assault, qui dura depuis le matin jusques au soleil couchant, fut tant grandement assailly et deffendu, que ce fut ung des plus beaulx faiz d'armes qui eust esté faict long temps par avant. Et aussy fut miracle de Nostre Seigneur, faict à la requeste de sainct Aignan et sainct Evurtre, jadis évesques et patrons d'Orléans, comme assez en fut apparence, selon la commune oppinion, et mesmes par les personnes qui cellui jour furent amenez dedans la ville; l'ung desquelz certiffia que à luy et à tous les autres Angloys des Tournelles et boulevars sembloit, quant on les assailloit, qu'ilz véoyent tant de peuple que merveilles, et que tout le monde estoit là assamblé. Pour quoy tout le clergé et peuple d'Orléans chantèrent moult dévotement Te Deum laudamus, et firent sonner toutes les cloches de la cité, remercians très humblement Nostre Seigneur et les deux saincts confesseurs pour celle glorieuse consolacion divine ; et moult firent grant joye de toutes parts, donnans merveilleuses louenges à leurs vaillans deffendeurs, et par expécial et sur tous à Jehanne la Pucelle. Laquelle demoura celle nuyt, et les seigneurs, cappitaines et gens d'armes avecques elle, sur les champs, tant pour garder les Tournelles ainsi vaillanment conquestées, comme pour sçavoir se les Angloys du costé de Sainct Lorens sauldroyent point, voulans scourir ou venger leurs compaignons ; mais ilz n'en avoient nul vouloir.


  Le jour suivant, au plus matin, sixième jour de mai, les Français assaillirent les Tournelles, les boulevards et les taudis (132)que les Anglais y avaient faits pour les fortifier. Il y eut un fort merveilleux assaut, durant lequel furent accomplis plusieurs beaux faits d'armes, tant par les assaillants que par les défendants. Il y avait grand nombre d'Anglais fort braves, munis abondamment de tous les moyens de défense. Ils le montrèrent bien : les Français avaient beau les écheler par divers endroits, en nombre très épais ; ils avaient beau les assaillir de front au plus haut de leurs fortifications, avec une telle vaillance et une telle hardiesse qu'il semblait à leur hardi maintien qu'ils se crussent immortels ; il les repoussèrent maintes fois, les précipitèrent de haut en bas, avec leurs canons et armes de trait, avec leurs lances, leurs guisarmes, leurs maillets de plomb, et même avec les mains, tellement qu'ils en tuèrent et blessèrent plusieurs (133). Entre les autres, la Pucelle y fut blessée et percée entre l'épaule et la gorge si avant que le trait passait outre. Tous les assaillants en eurent très grande douleur et chagrin, et spécialement le bâtard d'Orléans, et les autres capitaines. Ils vinrent vers elle, et lui dirent qu'il valait mieux laisser l'assaut jusques au lendemain; mais elle les réconforta par de très belles et hardies paroles, les exhortant de conserver leur hardiesse. Ne voulant pas la croire, ils délaissèrent l'assaut et se tirèrent en arrière, voulant faire rapporter leur artillerie jusqu'au lendemain. Elle en fut très affligée et leur dit : « En nom de Dieu, vous entrerez bientôt dedans, n'en ayez pas doute; et les Anglais n'auront plus de force sur vous. C'est pourquoi reposez-vous un peu, buvez et mangez. » Ce qu'ils firent ; car à merveille ils lui obéissaient. Quand ils eurent bu, elle leur dit : « Retournez de par Dieu derechef à l'assaut ; car sans nulle faute les Anglais n'auront plus la force de se défendre, et les Tournelles seront prises avec leurs boulevards. »
  Cela dit, elle laissa son étendard, et s'en alla sur son cheval en un lieu détourné faire oraison à Notre-Seigneur ; et elle dit à un gentil homme qui était tout près : « Donnez-vous garde (remarquez) quand la queue de mon étendard sera, ou touchera contre le boulevard. » Le gentilhomme lui dit un peu après : « Jeanne, la queue y touche », et elle lui répondit alors : « Tout est vôtre, et y entrez ». Bientôt après, cette parole fut reconnue prophétie. Car lorsque les vaillants chefs et gens d'armes demeurés dans Orléans virent qu'on voulait donner un nouvel assaut, quelques-uns se précipitèrent de la cité pardessus le pont ; et, parce que plusieurs arches étaient rompues, ils menèrent un charpentier et portèrent des gouttières et des échelles dont ils firent planche. Voyant qu'elles n'étaient pas assez longues pour porter sur les deux bouts d'une des arches rompues, ils joignirent une petite pièce de bois à l'une des plus grandes gouttières, et firent si bien qu'elle tint. Un très vaillant chevalier, appelé Nicolas de Giresme, de l'ordre de Rhodes, dit de Saint-Jean de Jérusalem, passa le premier tout armé, et à son exemple plusieurs passèrent aussi. On a dit depuis que cela avait été miracle de Notre-Seigneur plus qu'autre chose, vu que la gouttière était merveilleusement longue et étroite, haute en l'air, sans avoir aucun appui. Une fois passés, ils se mirent, avec leurs compagnons, à pousser l'assaut qui depuis dura peu de temps ; car sitôt qu'il eut recommencé, les Anglais perdirent toute force pour continuer à résister, et ils songèrent à passer du boulevard dans les Tournelles. Peu d'entre eux purent se sauver, car de quatre ou cinq cents combattants qu'ils étaient, tous furent tués ou noyés, excepté un petit nombre qui lurent faits prisonniers et qui n'étaient pas grands seigneurs. Glacidas, qui était capitaine et fort renommé au fait des armes, le seigneur de Molins, le seigneur de Pommins, le bailli de Mantes, plusieurs autres chevaliers bannerets et nobles d'Angleterre se noyèrent. En se précipitant sur le pont pour se sauver, il arriva que le pont rompit sous leurs pas; ce qui fut grand ébahissement de la force des Anglais, et grand dommage pour les vaillants Français qui de leur rançon auraient pu avoir grandes finances. Toutefois ils tirent éclater grande joie, et louèrent Notre-Seigneur de la grande victoire qu'il leur avait donnée, et ils devaient bien le faire; car on dit que l'assaut qui dura depuis le matin jusqu'au soleil couchant, fut si grandement engagé et repoussé, que ce fut un des plus beaux faits d'armes accomplis depuis bien longtemps. Aussi ce fut un miracle de Notre-Seigneur fait à la requête de saint Aignan et de saint Euverte, jadis évêques d'Orléans, et maintenant ses patrons. C'était la commune opinion ; elle était regardée comme fort vraisemblable, même par les prisonniers (134) amenés. L'un d'eux certifia qu'il lui semblait à lui, et à tous les autres Anglais des Tournelles et des boulevards, il leur semblait, quand on les assaillait, qu'ils voyaient tant de peuple que merveille, et que tout le genre humain était rassemblé contre eux. Aussi tout le clergé et le peuple chantèrent dévotement Te Deum laudamus, et firent sonner toutes les cloches de la ville, remerciant pour cette glorieuse consolation divine Notre-Seigneur et les deux saints confesseurs ; ils firent de toutes parts de grandes manifestations de joie, donnant de merveilleuses louanges à leurs vaillants défenseurs, et spécialement, et par-dessus tous les autres, à Jeanne la Pucelle. Elle demeura aux champs (135) cette nuit, et les seigneurs, capitaines et gens d'armes demeurèrent comme elle, tant pour garder les Tournelles ainsi vaillamment conquises, que pour savoir si les Anglais de Saint Laurent ne sortiraient pas pour secourir ou venger leurs compagnons, mais ils n'en avaient nul vouloir.


  
  
                                                       *
                                                  *        *

7 mai :
  Ainçois le lendemain matin, jour dimenche et septiesme jour de may, celluy mesme an mil quatre cens vingt neuf, désemparèrent leurs bastilles, et si feirent les Angloys de Sainct Pouoir et d'ailleurs, et levans leur siége se mirent en bataille. Pour quoy la Pucelle, les mareschaulx de Saincte Sévère et de Rays, le seigneur de Graville, le baron de Coulonces, messire Florent d'Illiers, le seigneur de Corraze, le seigneur de Sainctes Trailles, La Hire, Alain Giron, Jamet du Tilloy, et plusieurs autres vaillans gens de guerre et cytoyens saillirent hors d'Orléans en grant puissance, et se mirent et rengèrent devant eulx en bataille ordonnée. Et en tel point furent très prez l'un de l'autre, l'espasse d'une heure entière sans eulx toucher. Ce que les Françoys souffrirent très envis, obtempérans au vouloir de la Pucelle, qui leur commanda et deffendit dès le commancement que, pour l'amour et honneur du sainct dimenche, ne commanchassent point la bataille n'assaillissent les Angloys; mais se les Angloys les assailloyent, qu'ilz se deffendissent fort et hardiement, et qu'ilz n'eussent nulle paour, et qu'ilz seroient les maistres. L'eure passée, se mirent les Angloys à chemin, et s'en alèrent bien rengez et ordonnez dedans Meung sur Loire, et levèrent et laissèrent totalement le siége, qu'ilz avoient tenu devant Orléans deppuis le douziesme jour d'octobre mil quatre cens vingt huyt jusques à cestui jour. Toutesfoiz ne s'en alèrent ilz ne n'emportèrent sauvement toutes leurs bagues, car aucuns de la garnison de la cité les poursuivirent et se frappèrent sur la queue de leur armée par divers assaulx, tellement qu'ilz gangnèrent sur eulx grosses bombardes et canons, arcs, arbalaistres et autre artillerie.
  Et celluy mesme jour, avoit ung augustin angloys confesseur du seigneur de Talbot, et qui pour luy gouvernoit ung sien prisonnier françoys moult vaillant homme d'armes, nommé le Bourg de Bar, qui estoit enferré des piez ; et pareillement le menoyt aprez les autres Angloys par dessoubz les bras, et tout le pas, obstant ce qu'il ne povoit aler autrement pour les fers. Lequel véant qu'ilz demouroient fort derrière, et con-gnoissant, comme subtil en faict de guerre, que les Angloys s'en aloient sans retour, contraignit par force celluy augustin à le porter sur ses espaulles jusques dedans Orléans, et ainsi eschappa sa rençon. Et si fut sceu par l'augustin beacoup de la convenue des adversaires, car il estoit fort famillier de Talbot.
  D'autre part rentrèrent à grant joye dedans Orléans la Pucelle et les autres seigneurs et gens dormes, en la très grant exultacion de tout le clergé et peuple, qui tous ensemble rendirent humbles graces à Nostre Seigneur, et louanges très méritées, pour les très grans secours et victoires qu'il leur avoit données et envoyées contre les Angloys, anciens ennemys de ce royaume. Et quant vint après midy, messire Florent d'Illiers print congié des seigneurs et cappitaines, et autres gens d'armes, et aussi des bourgoys de la ville, et avecques ses gens de guerre par luy là amenez, s'en retourna dedans Chasteaudun, dont il estoit cappitaine, reportant grant pris, los et renommée des vaillans faiz d'armes par luy et ses gens faiz en la deffence et secours d'Orléans.


  Tout au contraire, le lendemain matin, jour de dimanche, septième (136) jour de mai, en cette même année mil quatre cent vingt-neuf, ils délogèrent de leurs bastilles, et ainsi firent les Anglais de Saint-Pouair et des autres lieux; et tout en levant le siège, ils se mirent en ordre de bataille. Cela fut cause que la Pucelle, les maréchaux de Sainte-Sévère et de Rais, le seigneur de Graville, le baron de Colonces, messire Florent d'Illiers, le seigneur de Coarraze, le seigneur de Xaintrailles, La Hire, Alain Giron, Jamet du Tilloy, et plusieurs autres vaillants gens de guerre et citoyens, sortirent d'Orléans en grande puissance, et se placèrent et rangèrent devant eux, eux aussi en ordonnance de bataille. En cette disposition les deux armées furent très près l'une de l'autre, l'espace d'une heure entière, sans se toucher. Ce à quoi les Français se résignèrent à regret, pour obtempérer au vouloir de la Pucelle, qui dès le commencement, par amour et pour l'honneur du saint dimanche, leur en avait fait le commandement, leur défendant de commencer le combat, d'assaillir les Anglais ; mais si les Anglais les assaillaient, elle leur avait dit de se défendre fort et hardiment, de n'avoir aucune peur, et qu'ils seraient les maîtres. L'heure passée, les Anglais se mirent en chemin, et bien rangés et ordonnés s'en allèrent à Meung-sur-Loire, levant et abandonnant totalement le siège, qu'ils avaient tenu devant Orléans, depuis le douzième jour d'octobre mil quatre cent vingt-huit jusqu'à ce jour.  Toutefois en s'en allant ils ne purent pas sauver tous leurs bagages ; car quelques hommes de la garnison de la cité les poursuivirent, tombèrent par diverses attaques sur la queue de leur armée, leur enlevant grosses bombardes, canons, arcs, arbalètes et autre artillerie.
  Il y avait en ce jour un Augustin anglais, confesseur, du seigneur de Talbot, qui en son nom gouvernait un sien prisonnier français, très vaillant homme d'armes, nommé Le Bourg de Bar, qui avait les fers aux pieds. Il le menait à la suite des autres Anglais par-dessous le bras, tout au petit pas, vu qu'à cause des fers il ne pouvait pas aller autrement. Le prisonnier, voyant qu'ils restaient fort en arrière, et en homme entendu en fait de guerre, connaissant que les Anglais s'en allaient sans retour, contraignit par force l'Augustin à le porter sur ses épaules, jusque dans Orléans, échappant ainsi à la rançon. Par cet Augustin l'on sut beaucoup de ce qui était advenu aux Anglais ; car il était fort familier de Talbot. De leur côté la Pucelle, les autres seigneurs et gens d'armes rentrèrent en grande joie dans Orléans, à la très grande exultation de tout le clergé et du peuple. Tous ensemble rendirent à Notre-Seigneur très humbles actions de grâces, et louanges très méritées, pour les grands secours, et grandes victoires qu'il leur avait données et envoyées contre les Anglais, anciens ennemis de ce royaume. Quand vint l'après-midi, messire Florent d'Illiers prit congé des seigneurs et capitaines, des autres gens d'armes et aussi des bourgeois de la ville ; et avec les gens de guerre qu'il avait amenés, retourna à Châteaudun dont il était capitaine, reportant grande estime, louange et renommée, pour les vaillants faits d'armes accomplis par lui et par ses gens à la défense et au secours d'Orléans.


                                                       *
                                                  *        *

8 mai :
  Et le lendemain s'en partit pareillement la Pucelle, et avecques elle le seigneur de Rays, le baron de Coulonces et plusieurs autres chevalliers, escuiers et gens de guerre, et s'en ala devers le roy luy porter les nouvelles de la noble besongne, et aussi pour le faire mectre sur les champs, afin d'estre couronné et sacré à Reins ainsi que Nostre Seigneur lui avoit commandé. Mais avant print congié de ceulx d'Orléans, qui tous pleuroient de joye, et moult humblement la remercioient et se offroient eulx et leurs biens à elle et à sa volenté. Dont elle les remercia très benignement, et entreprint à faire son sainct voyaige; car elle avoit faict et accomply le premier, qui estoit lever le siége d'Orléans. Durant lequel y furent faiz plusieurs beaux faiz d'armes, escarmouches, assaulx, et trouvez autres innumerables engins, nouvelletez et subtilitez de guerre, et plus que longtemps par avant n'avoit esté faict devant nulle autre cyté, ville ne chasteau de ce royaume, comme disoient toutes les gens en ce congnoissans, tant Françoys comme Angloys, et qui avoient esté presens à les faire et trouver.


  La Pucelle partit pareillement le lendemain, et avec elle le seigneur de Rais, le baron de Colonces et plusieurs autres chevaliers, écuyers et gens de guerre. Elle s'en alla devers le roi lui porter les nouvelles de la noble besogne, et aussi pour le faire mettre en campagne, afin d'être couronné et sacré à Reims. Mais avant son départ elle prit congé de ceux d'Orléans qui tous pleuraient de joie, et très humblement la remerciaient, et lui offraient leurs personnes et leurs biens pour en faire à sa volonté. Ce dont elles les remercia très modestement ; et elle entreprit son second voyage ; car elle avait fait et accompli le premier, qui était de lever le siège d'Orléans. Durant ce siège furent faits plusieurs beaux faits d'armes, escarmouches, assauts, et furent trouvés innumérables engins, nouveautés et subtilités de guerre, plus que long temps auparavant n'eût été fait devant nulle autre cité, ville ou château de ce royaume, ainsi que le disaient toutes les gens en ce connaissant, tant Français qu'Anglais qui les avaient vu accomplir et inventer.

                                                       *
                                                  *        *

8 et 9 mai :
  Celluy mesmes jour, et le lendemain aussi, firent très belles et solempnelles processions les gens d'église, seigneurs, cappitaines, gens d'armes et bourgoys estans et demourans dedans Orléans, et visitèrent les églises par moult grant devocion. Et à la vérité, combien que les bourgoys ne voulsissent, au commancement et devant que le siége fust assiz, souffrir entrer nulles gens de guerre dedans la cité, doubtans qu'ilz ne les voulsissent piller ou maistriser trop fort, toutesfois en lessèrent ilz aprez entrer tant qu'il y en vouloit venir, depuis qu'ilz congneurent qu'ilz n'entendoyent qu'à leur deffence, et se maintenoient tant vaillanment contre leurs ennemys. Et sy estoient avecques eulz très uniz pour deffendre la cité; et par ce les departoyent entre eulx, en leurs hostelz, et les nourrissoyent de telz biens que Dieu leur donnoit, aussi famillièrement comme s'ilz eussent esté leurs propres enfans.
  Peu de temps aprez, le bastart d'Orléans, le mareschal de Saincte Sévère, le seigneur de Graville, le seigneur de Courraze, Poton de Sainctes Trailles, et plusieurs autres chevalliers, escuiers et gens de guerre, dont il y en avoit partie portans guisarmes, là venuz de Bourges, Tours, Angiers, Bloys, et autres bonnes villes de ce royaume, se partirent d'Orléans; et alèrent devant Jargueau, où ilz firent plusieurs escarmouches, qui dureront plus de trois heures, pour veoir s'ilz le pourroyent assieger. Lesquelz congneurent qu'ilz ny pourroyent aincoires riens gangnier, pour l'eaue qui estoit haulte, qui ranplissoit les foussez. Et pour ce s'en retournèrent sauvement; mais les Angloys y furent fort dommagez, car ung vaillant chevalier d'Angleterre, appelé messire Henry Biset, lors cappitaine de celle ville, y fut thué, dont ilz feirent grant dueil.
  Lors que celles escarmousches se faisoient, feist tant la Pucelle qu'elle vint vers le roy. Devant lequel, si toust qu'elle le vit, elle se agenoulla moult doulcement, et en l'embrassant par les jambes luy dist : « Gentil dauphin, venez « prendre vostre sacre à Reins. Je suis fort aguillonnée que vous y allez, et ne faictes doubte, que en celle cité recevrez vostre digne sacre. » A laquelle le roy feist moult grant chiere, et si firent tous ceulx de la court, considérans l'onneste vie d'elle, et les grans faiz et merveilles d'armes faiz par sa conduicte. Pour quoy toust aprez, manda le roy les seigneurs, chefz de guerre, cappitaines et autres saiges de sa court; et tint plusieurs conseilz à Tours, pour sçavoir qu'il estoit de faire louchant la requeste de la Pucelle, qui requéroit tant affectueusement et instamment qu'il s'en tirast à Reins, et qu'il y seroit sacré. Sur quoy furent diverses oppinions, car les ungs conseilloyent qu'on alast avant en Normendie, et les autres qu'on tendist ainçoys prendre aucunes places principalles, estans sur la rivière de Loire. En fin le roy et trois ou quatre de ses plus privez s'estoient tirez à part, devisans entre eulx en grant secret, qu'il seroit bon, afin d'estre plus seurs, de sçavoir de la Pucelle ce que la voix lui disoit, et comment elle les asseuroit ainsi fermement. Mais ilz doubtoient luy en enquérir la vérité, de paour qu'elle n'en fust mal contante : ce qu'elle congnut par grâce divine; pour quoy elle vint devers eulx, et dist au roy : « En nom de Dieu, je sçay que vous pansez et voulez dire de la voix que j'ay oye, touchant vostre sacre, et, je vous diray, je me suis mise en oreson en ma manière acoustumée. Me complaingnoye de ce que on ne me vouloit pas croire de ce que je disoye, et lors la voix me dist : Fille, va, va, va, je seray en ton ayde, va. Et quant ceste voix me vient, je suis tant resjouye que merveilles. » Et en disant ces parolles, levoit les yeulx vers le ciel, en monstrant signe de grant exultacion.
  Ces choses ainsi oyes, fut de rechef le roy bien joyeulx, et par ce conclud qu'il la croiroit, et qu'il yroit à Reins ; mais toutesfoiz feroit avant prendre aucunes places estans sur Loire ; et pendant le temps qu'on mectroit à les prendre, assambleroit grant puissance des princes et seigneurs, gens de guerre et autres à luy obéissans. Pour quoy il fist son lieutenant général Jehan, duc d'Alençon, nouvellement délivré d'Angleterre, où il avoit esté prisonnier depuis la bataille de Vernueil jusques alors qu'il en estoit sailly, baillant partie de sa rançon, et pleiges et ostages pour le demourant, lesquels il acquitta depuis en brief ; et pour ce faire vendit partie de sa terre, tendant en recouvrer d'autre en aydant et secourant le roy son souverain seigneur, qui pour ce faire lui bailla grant nombre de gens d'armes et artillerie, luy commandant expressément qu'il usast et feist entièrement par le conseil d'elle. Et il le feist ainsi, comme cellui qui moult prenoit de plaisir à la veoir en sa compaignie ; et si faisoient les gens d'armes, et aussi ceulx du peuple, la tenans tous et réputans estre envoyée de Nostre Seigneur; et sy estoit elle. Par quoy le duc d'Alençon et elle et leurs gens d'armes prindrent congé du roy et se mirent sur les champs, tenans belle ordonnance. Et feirent tant que en tel estat entrèrent peu de temps aprez dedans Orléans, où ilz furent receuz à très grant joye de tous les citoyens, et sur tous les autres la Pucelle, de laquelle veoir ne se povoyent saouler.


  Ce même jour, et le lendemain aussi, les gens d'Eglise, les seigneurs, capitaines, gendarmes et bourgeois qui étaient et demeuraient dans Orléans firent de très belles et solennelles processions, et visitèrent les églises avec très grande dévotion. Il est vrai qu'au commencement, et avant que le siège fût assis, les bourgeois ne voulaient souffrir l'entrée d'aucun homme d'armes dans la ville, par la crainte qu'ils ne voulussent les piller, ou trop fort les maîtriser. Toutefois dans la suite ils laissèrent entrer tous ceux qui voulurent venir, dès qu'ils connurent qu'ils ne voulaient que les défendre, et qu'ils se comportaient si vaillamment contre leurs ennemis. Ils étaient très unis avec eux pour défendre la cité ; ils se les partageaient entre eux, dans leurs maisons, et les nourrissaient des biens que Dieu leur donnait, aussi familièrement que s'ils avaient été leurs propres enfants.
  Peu de temps après la levée du siège, sortirent de la ville le bâtard d'Orléans, le maréchal de Sainte-Sévère, le seigneur de Graville, le seigneur de Coarraze, Poton de Xaintrailles, et plusieurs autres chevaliers,écuyers et gens de guerre, parmi lesquels plusieurs portaient des guisarmes, venus qu'ils étaient de Bourges, de Tours, d'Angers, de Blois, et d'autres bonnes villes du royaume. Ils allèrent devant Jargeau, où, durant plus de trois heures, ils firent plusieurs escarmouches pour voir s'ils pourraient l'assiéger. Ils connurent qu'ils ne pourraient y rien gagner, parce que l'eau était haute et remplissait les fossés. Ils s'en retournèrent donc sains et saufs, mais les Anglais y éprouvèrent de grands dommages ; car un vaillant chevalier d'Angleterre, du nom de Henri Biset, alors capitaine de la ville, y fut tué ; perte pour laquelle les Anglais menèrent grand deuil.
  Pendant qu'avaient lieu ces engagements, la Pucelle, poursuivant son chemin, arriva vers le roi. Sitôt qu'elle le vit, elle s'agenouilla très doucement devant lui, et en l'embrassant par les jambes, elle lui dit :« Gentil Dauphin, venez prendre votre sacre à Reims ; je suis fort aiguillonnée que vous y ayez ; n'ayez aucun doute qu'en cette cité vous recevrez votre digne sacre ». Le roi lui fit très grand accueil ; et ainsi le firent tous ceux de sa cour, en considération de son honnête vie, et des grands faits et merveilles d'armes, réalisés sous sa conduite. Bientôt après le roi manda les seigneurs, les chefs de guerre, les capitaines et les autres sages de sa cour ; et il tint plusieurs conseils à Tours pour savoir ce qu'il y avait à faire, touchant la requête de la Pucelle, qui demandait si affectueusement et si instamment qu'il se dirigeât vers Reims, assurant qu'il y serait sacré. Sur quoi les opinions furent diverses. Les uns conseillaient qu'on allât auparavant en Normandie ; les autres que l'on commençât par prendre quelques-unes des principales places des rives de la Loire. Enfin le roi, et trois ou quatre de ses conseillers les plus intimes, s'étant tirés à part, devisaient entre eux en grand secret, qu'il serait bon pour plus de sûreté de savoir de la Pucelle ce que la voix lui disait, et d'où lui venait tant de fermeté dans ses assurances ; mais ils craignaient de s'enquérir auprès d'elle de la vérité, de peur qu'elle en fut mécontente. Elle le connut par grâce divine : c'est pourquoi elle vint devers eux et dit au roi : « En nom de Dieu, je sais ce que vous pensez, et ce que vous voulez dire de la voix que j'ai ouïe, touchant votre sacre. Je vous le dirai ; je me suis mise en oraison en ma manière accoutumée, et je me complaignais de ce que l'on ne voulait pas me croire de ce que je disais, et alors la voix me dit : « Fille (137), va, va, va ; je serai en ton aide » ; et quand cette voix me vient, je suis tant réjouie que c'est merveille. » Et en disant ces paroles, elle levait les yeux au ciel, en montrant des signes de grande exultation.
  Après cette manifestation, le roi fut de nouveau bien joyeux, et il en conclut qu'il la croirait et qu'il irait à Reims ; mais toutefois qu'auparavant il ferait prendre quelques places des bords de la Loire. Pendant le temps qu'on mettrait à les prendre, il assemblerait grande puissance de princes, de seigneurs, de gens de guerre et d'autres, parmi ceux qui lui obéissaient. A cette fin il créa son lieutenant général, Jean, duc d'Alençon, nouvellement délivré des mains des Anglais, dans lesquelles il avait été prisonnier, depuis la bataille de Verneuil jusqu'alors qu'il venait d'en sortir. Il avait payé partie de sa rançon, et avait donné des gages et des otages pour le reste ; il s'était acquitté depuis, en peu de temps, en vendant pour cela une partie de ses terres. Il tendait à en recouvrer d'autres en aidant et secourant le roi son souverain seigneur, qui pour ce faire lui donna grand nombre de gens d'armes et beaucoup d'armes de guerre, et mit en sa compagnie la Pucelle, en lui commandant expressément de se conduire et de faire entièrement par son conseil. Et il le fit ainsi, étant celui qui prenait le plus de plaisir à la voir en sa compagnie ; et aussi le faisaient les gens d'armes, et encore les hommes du peuple, tous la tenant et la réputant envoyée par Notre-Seigneur ; et ainsi était-elle. C'est pourquoi le duc d'Alençon, la Pucelle et leurs gens d'armes prirent congé du roi, et se mirent aux champs, tenant belle ordonnance. En cet état, ils entrèrent peu de temps après à Orléans, où ils furent reçus à la très grande joie de tous les citoyens, et sur tous les autres la Pucelle, qu'ils ne pouvaient se rassasier de voir.



                                         

11 juin :
  Après que le duc d'Alençon, la Pucelle, le conte de Vendosme, le bastart d'Orléans, le mareschal de Saincte Sevère, La Hire, messire Florent d'Illiers, Jamet de Tilloy, et ung vaillant gentilhomme dès lors bien renommé, appellé Thudual de Carmoisen (138), dit le Bourgoys, de la nation de Bretaigne, avecques plusieurs autres gens de guerre (139), eurent ung peu esté dedans Orléans, ilz s'en partirent le samedy unziesme jour de juing, faisans tous environ huict mil; combatans, tant à cheval comme à piet, dont aucuns portoient guisarmes, haches, arbalestres, et autres, mailletz de plomb. Et faisans porter et mener assez grant artillerie, s'en alèrent mectre le siége devant la ville de Jargueau tenant le party angloys; en laquelle estoient messire Guillaume de la Poule, conte de Suffort, et messire Jehan et messire Alixandre de la Poule, ses frères, et avecques eulz de six à sept cens combatans angloys, garniz de canons et aultre artillerie, bien vaillans en guerre, et aussi le monstrèrent ilz bien aux assaulx et escarmouches qui là furent faictes, durant celluy siége; lequel fut à demy levé par les espovantables parolles d'aucuns, qui disoient que on le devoit entrelaisser, et aller à l'encontre de messire Jehan Fascot et autres chefz du party contraire, venans de Paris et amenans vivres et artilleries avecques bien deux mil combatans angloys, voulans lever le siége, ou du moins avitailler et donner scours à celle ville de Jargueau. Et de faict s'en departirent plusieurs, et si eussent faict tous les autres, se n'eust esté la Pucelle et aucuns seigneurs et cappitaines, qui par belles parolles les firent demourer et rappellerent les autres : tellement que le siége fut rassiz en ung moment, et commencèrent à escarmouscher contre ceulx de la ville; qui gectèrent merveilleusement de canons et autre traict : dont ilz tuèrent et blecérent plusieurs François. Et entre les autres fut, par ung coup de l'ung de leurs veuglaires, ostée la teste à ung gentilhomme d'Anjou, qui s'estoit mis environ la place ; dont le duc d'Alençon, par l'advertissement de la Pucelle luy remonstrant que luy estoit en péril, s'estoit tiré arrière tant soubdainement qu'il n'en estoit pas aincoires à deux toises loing. Tout au long d'icelluy jour et la nuit ensuivant, gectèrent les bombardes et canons des François contre la ville de Jergueau ; tellement qu'elle fut fort batue; car à trois coups de l'une des bombardes d'Orléans, dicte Bergerie ou Bergere, firent cheoir la plus grousse tour qui y fust. Pourquoy le lendemain, qui fut dimence le douziesme jour de juing, se mirent les gens de guerre francois dedans les foussez à tout eschelles et autres choses nécessaires à faire assault, et saillirent merveilleusement ceulx de dedans, lesquelz se deffendirent grant pièce moult vertueusement. Et par expecial avoit sur les murs l'un d'eulx, qui estoit moult grant et groux, et armé de toutes pièces, portant sur sa teste ung bassinet (140), lequel se habandonnoit très fort et gectoit merveilleusement grousses pierres de fez et abatdoit continuellement eschelles et hommes qui estoient dessus. Ce que monstra le duc d'Alençon à maistre Jehan le coulevrinier, afin qu'il addressast vers lui sa couleuvrine. Du coup de laquelle il frappa par la poictrine l'Angloys qui si fort se monstroit à descouvert, et le trebucha tout mort dedans la ville.
  D'autre part, durant cellui assault, descendit la Pucelle à tout son estandart dedans le foussé, et ou lieu où se faisoit la plus aspre resistence et ala tant prez du mur que ung Angloys luy gecta une grosse pierre de fez sur la teste, et l'ataignit, tant qu'il la contraignit à soy seoir à terre. Et combien que la pierre fust de caillot (141) très dur, toutes foiz elle s'esmya (142) par pièces sans faire guères de mal à la Pucelle; laquelle se releva tout incontinent, monstrant couraige vertuex, et ennorta (143) lors ses gens de plus fort, disant qu'ilz n'eussent nulle doubte, car les Angloys n'auroyent plus nul povoir d'eulx def-fendre contre eulx, eu quoy elle leur dist vérité ; car incontinant après ces parolles les François en estans tous asseurez, se prindrent à monter par si grant hardiesse contre les murs, qu'ilz entrèrent dedans la ville et la prindrent d'assault.
  Quant le conte de Suffort et ses deux frères, et plusieurs autres seigneurs d'Angleterre, virent qu'ilz ne povoient plus déffendre les murs, ilz se retirèrent sur le pont; mais en eulx y retirant; fut thué messire Alixandre, frère d'icelluy conte, et aussi fut toust aprez icelluy pont rendu par les Anglois, le congnoissant estre trop feible pour tenir, et eulx voyans estre surpris. Plusieurs vaillans gens de guerre poursuivirent les Angloys; et par expecial avoit ung gentilhomme françois, nommé Guillaume Regnault (144), tendant moult à prendre le conte de Suffort, qui luy demanda s'il estoit gentilhomme : auquel il respondit que oyl ; et de rechef, s'il estoit chevalier; et il dist que non. Et lors cellui conte le feist chevalier et se rendit à luy. Et semblablement y furent prins et faiz prisonniers messire Jehan de La Poulle, son frère, et plusieurs autres seigneurs et gens de guerre, dont aucuns furent cellui soir menez prisonniers par eaue et de nuyt dedans Orléans, pour double qu'on ne les thuast; car plusieurs autres furent thuez en chemin, pour ung debat qui sourdit (145) entre aucuns Françoys pour la part des prisonniers. Et au regard de la ville de Jargueau, et mesmes l'église où on avoit retraict foison de biens, tout fut pillé.
  Celle mesmes nuyt s'en retournèrent aussi le duc d'Alençon et la Pucelle avecques plusieurs seigneurs et gens d'armes en la cyté d'Orléans, là où ilz furent receuz à très grant joye. Et de là firent sçavoir au roy la prinse de Jargueau, et comment l'assault avoit bien duré quatre eures, durant lesquelles y furent faiz moult de beaulx faiz d'armes. Et y eut de quatre à cincq cens Angloys tuez, sans les prisonniers, qui estoyent de grant renom, tant en noblesse que en faiz de guerre.
  Le duc d'Alençon et la Pucelle sejournans aucun peu de temps aprez celle prinse dedans Orléans, où avoit jà de six à sept mil combatans, y vindrent pour renforcer l'armée, plusieurs seigneurs, chevaliers, escuiers, cappitaines et vaillans hommes d'armes; et entre les autres, le seigneur de Laval et le seigneur de Lohiac (146), son frère; le seigneur de Chauvigny de Berry (147), le seigneur de la Tour d'Auvergne, le vidamme de Chartres (148). Et environ ces jours s'en vint aussi le roy à Sully sur Loire. Et à la vérité moult croissoit son armée, car de jour en jour y arrivoyent gens de toutes pars du royaume, à luy obéissans.


  Le duc d'Alençon, la Pucelle, le comte de Vendôme, le bâtard d'Orléans, le maréchal de Sainte-Sévère, La Hire, messire Florent d'Illiers, Jamet du Tilloy, un vaillant gentilhomme dès lors très renommé appelé Tudual de Carmoisen, dit Le Bourgeoys, de la nation de Bretagne, avec plusieurs autres gens de guerre, après un court séjour à Orléans, en partirent le samedi, onzième jour de juin, formant tous ensemble environ huit mille combattants, tant à cheval qu'à pied, parmi lesquels quelques-uns portaient des guisarmes, des haches, des arbalètes, et d'autres des maillets de plomb. Menant avec eux une assez grande artillerie, ils allèrent mettre le siège devant la ville de Jargeau, occupée par les Anglais ; en laquelle se trouvaient messire Guillaume de la Poule, comte de Suffolk; et ses deux frères messire Jean et messire Alexandre de la Poule, avec de six à sept cents combattants anglais, munis de canons et autre artillerie, et bien vaillants en guerre, comme ils le montrèrent bien durant les assauts et les escarmouches qu'il eurent à soutenir. Le siège fut (un moment) à demi levé par les paroles d'épouvante de quelques-uns, qui disaient qu'on devait le suspendre pour aller à rencontre de messire Jean Fastolf et d'autres chefs du parti ennemi, venant de Paris et amenant des vivres, de l'artillerie, avec bien deux mille combattants anglais dans le but de faire lever le siège, ou tout au moins de ravitailler Jargeau et de lui donner secours. De fait plusieurs se retirèrent, et tous les autres eussent ainsi fait, sans la Pucelle et quelques seigneurs et capitaines qui, par leur belles paroles, les firent demeurer et ramenèrent les autres. Le siège fut rassis en un moment, et les escarmouches commencèrent contre ceux de la ville, qui répondirent merveilleusement par leurs canons et d'autres traits. Plusieurs Français furent tués ou blessés. Entre les autres, la tête fut ôtée par le coup d'un veuglaire, à un gentilhomme d'Anjou qui s'était mis près de la place. Le duc d'Alençon, sur l'avertissement de la Pucelle lui remontrant qu'il était en péril, s'était retiré en arrière depuis si peu de temps qu'il n'était pas encore à deux toises loin du chevalier frappé. Tout le long du jour et durant la nuit qui suivit, les Français déchargèrent leurs bombardes et canons contre la ville; elle en fut fort battue ; trois coups de l'une des bombardes d'Orléans, dite Bergerie ou Bergère, firent tomber la plus haute des tours qui s'y trouvaient. Aussi le lendemain, un dimanche et le douzième jour de juin, les gens de guerre français descendirent dans les fossés, munis d'échelles et de toutes les autres pièces nécessaires pour un assaut ; ils assaillirent merveilleusement ceux du dedans, qui se défendirent très vigoureusement un grand espace de temps. Il y avait spécialement sur les murs, l'un d'eux, très grand et gros, armé de toutes pièces, portant sur la tête un bassinet, qui, s'abandonnait très fort (au dehors), jetait étonnamment de grosses pierres de faix (149) et abattait continuellement les échelles et ceux qui se trouvaient dessus. Le duc d'Alençon le montra à maître Jean, le coulevrinier, qui pointa contre lui sa coulevrine. Du coup il frappa en pleine poitrine l'Anglais qui se montrait ainsi à découvert, et le précipita mort dans la ville. D'autre part la Pucelle, pendant l'assaut, descendit dans le fossé avec son étendard, au lieu où la résistance était la plus âpre ; et elle alla si près du mur qu'un Anglais lui jeta une grosse pierre de faix sur la tête et l'atteignit de manière à la contraindre de s'affaisser à terre. La pierre, quoique d'un caillot très dur, s'émietta par pièces sans guère faire de mal à la Pucelle ; elle se releva tout incontinent ; et montrant un énergique courage, elle se mit à exhorter ses gens de plus fort, leur disant de n'avoir nulle crainte, car les Anglais n'avaient plus de force de se défendre contre eux ; en quoi elle leur dit la vérité, puisque, incontinent après ces paroles, les Français, tout pleins d'assurance, se prirent à monter contre les murs avec une telle hardiesse qu'ils entrèrent dans la ville et la prirent d'assaut.
  Quand le comte de Suffolk, ses deux frères, et plusieurs seigneurs d'Angleterre virent qu'ils ne pourraient plus défendre les remparts, ils se retirèrent sur le pont; mais, dans la retraite, messire Alexandre, frère du comte, fut tué, et aussitôt après le pont fut rendu par les Anglais qui le reconnurent trop faible pour tenir, et se voyaient pris par-dessus. Plusieurs vaillants gens de guerre poursuivirent les Anglais ; et il y avait en particulier un gentilhomme français, nommé Guillaume Regnault, qui faisait de grands efforts pour prendre le comte de Suffolk. Celui-ci lui demanda s'il était gentilhomme; à quoi il répondit que oui, et, de nouveau, s'il était chevalier, et il répondit que non. Le comte le fît chevalier et se rendit à lui. Furent semblablement pris et faits prisonniers messire Jean de La Poule, frère du comte, et plusieurs autres seigneurs et gens de guerre, parmi lesquels quelques-uns furent le soir conduits par eau et de nuit à Orléans, dans la crainte qu'ils ne fussent tués ; plusieurs autres, en effet, furent tués en chemin, par suite d'un débat que le partage des prisonniers fit surgir entre les Français. Au regard de la ville de Jargeau, tout y fut pillé, même l'église où l'on avait déposé foison de biens.
  Cette même nuit, le duc d'Alençon, la Pucelle avec plusieurs seigneurs et gens d'armes, retournèrent à Orléans, où ils furent reçus à très grande joie. De là ils firent savoir au roi la prise de Jargeau, et comment l'assaut avait duré quatre heures, durant lesquelles eurent lieu grand nombre de beaux faits d'armes. De quatre à cinq cents Anglais y furent tués, sans compter les prisonniers qui étaient de grand renom, tant en noblesse qu'en faits de guerre.
  Le duc d'Alençon et la Pucelle, après cette conquête, firent un court séjour à Orléans, où il y avait déjà de six à sept mille combattants, et où l'armée fut renforcée par l'arrivée de plusieurs seigneurs, chevaliers,écuyers, capitaines et vaillants hommes d'armes, et entre les autres, par la venue du seigneur de Laval, et du seigneur de Lohéac, son frère, du seigneur de Chauvigny du Berry, du seigneur de La Tour d'Auvergne, du vidame de Chartres. Vers ces jours le roi vint à Sully-sur-Loire. A la vérité son armée croissait beaucoup ; de jour en jour on y voyait des gens de toutes les parties du royaume soumises à son obéissance.


                                                       *
                                                  *        *

15 juin :
    Et lors le duc d'Alençon, comme lieutenant général de l'armée du roy, acompaigné de la Pucelle, de messire Loys de Bourbon, conte de Vendosme, et autres seigneurs, cappitaines et gens d'armes en grant nombre, tant à pié que à cheval, se partit d'Orléans à tout grant quantité de vivres, charroy et artillerie, le mercredy, quinziesme jour d'icelluy mois de juing, pour aller mectre le siege devant Baugenci, et en leur voye assaillir le pont de Meung sur Loire, combien que les Angloys l'eussent fortiffié et fort garny de vaillans gens, qui le cuidèrent bien deffendre. Mais nonobstant leur deffence, fut pris de plain assault, sans guères arrester.


  Le mercredi quinzième jour du même mois de juin, le duc d'Alençon, en sa qualité de lieutenant général de l'armée du roi, accompagné de la Pucelle, de messire Louis de Bourbon comte de Vendôme, et d'autres seigneurs, capitaines et gens d'armes en grand nombre, tant à pied qu'à cheval, partit d'Orléans avec une grande quantité de vivres, de charrois et d'artillerie, pour aller mettre le siège devant Baugency, et en chemin assaillir le pont de Meung, quoiqu'il fut fortifié par les Anglais, et bien garni de vaillantes gens, qui s'efforçaient de bien le défendre. Mais, malgré leur défense, il fut pris de plein assaut sans guère arrêter l'armée.


                                                       *
                                                  *        *

16 juin :
    De là, entretenans leur ordonnance, se partirent le lendemain bien matin, et firent tant qu'ilz arrivèrent devant la ville de Baugenci et entrèrent dedans, parce que les Angloys l'avoient desemparée, et s'estoient retirez ou chasteau et sur le pont, qu'ilz avoient fortiffiez contre eulx ; combien qu'ilz ne se logèrent pas à leur ayse du tout, car aucuns des Angloys s'estoient embuschés secrètement dedans aucunes maisons et masures de la ville, dont ilz saillirent soubzdainement sur les Françoys, ainsi qu'ilz se logoient, et leur livrèrent très forte escarmousche. Durant laquelle eut plusieurs thuez et bleciez d'une part et d'autre ; non obstant que en fin furent les Angloys contrains de reculler sur le pont et ou chasteau, que les Françoys assiégèrent du costé devers la Beausse, et assortirent bombardes et canons. A cellui siège arriva Arthus, conte de Richemont, connestable de France, et frère du duc de Bretaingne, avecques lequel estoit Jacques de Dinan, seigneur de Beaumanoir, frère du seigneur de Chasteaubriant. Et là pria celluy connestable à la Pucelle, et si feirent aussi pour amour de luy les autres seigneurs, qu'elle voulsist faire sa paix envers le roy, et elle luy octroya, moyennant qu'il jurast devant elle et les seigneurs qu'il serviroit toujours loyaument le roy. Et mesmement voult oultre la Pucelle que le duc d'Alençon et les autres grans seigneurs s'en obligeassent, et baillassent leurs scellez : ce qu'ilz firent ; et par ce moyen demoura le connestable ou siège avec les autres seigneurs. Lesquelz conclurent qu'ilz mectroient partie de leurs gens devers Sauloigne, afin que les Angloys feussent assiegez de toutes pars ; mais le bailli d'Evreux, chief des assiegez, fist requerir à la Pucelle parlement de traictié, qu'on lui acorda. En fin duquel, qui fut environ minuyt de la nuit de celluy jour, fut octroyé que les Angloys rendans le chastel et le pont, s'en pourroient aler le lendemain et emmener leurs chevaulx et harnois, avecques aucuns de leurs biens meubles, dont la valleur de chacun ne monstast point plus d'un marcq d'argent ; parmy ce aussi qu'ilz jurèrent qu'ilz ne se armeraient que dix jours ne feussent passez.


  De là, conservant bien leur ordonnance, ils partirent le lendemain bien matin, et firent tant qu'ils arrivèrent devant Baugency, et y entrèrent. Les Anglais l'avaient abandonné pour se retirer au château et sur le pont qu'ils avaient fortifié; cependant les Français ne se logèrent nullement à l'aise. Quelques Anglais s'étaient embusqués secrètement dans des maisons et des masures ; ils en saillirent soudainement pour tomber sur les Français pendant qu'ils prenaient leur logis ; il s'ensuivit une très forte escarmouche, durant laquelle il y eut de part et d'autre des tués et des blessés. Les Anglais furent enfin contraints de se retirer sur le pont ou au château, que les Français se mirent à assiéger du côté de la Beauce, disposant à cet effet leurs bombardes et leurs canons. A ce siège arriva Arthur, comte de Richemont, connétable de France et frère (150) du duc de Bourgogne, et avec lui se trouvait Jacques de Dinan, seigneur de Beaumanoir, frère du seigneur de Chateaubriand. A son arrivée le Connétable pria la Pucelle, et par amour pour lui les autres seigneurs la prièrent avec lui, qu'elle voulût bien faire sa paix avec le roi; elle le lui octroya, à la condition qu'il jurerait devant elle et les seigneurs de servir loyalement le roi. La Pucelle voulut plus encore ; elle exigea que le duc d'Alençon et les autres seigneurs se portassent garants de sa fidélité, et en donnassent leurs lettres scellées; ce qu'ils firent. Par ce moyen le Connétable demeura au siège avec les autres seigneurs. Tous ensemble conclurent qu'ils mettraient une partie de leurs gens du côté de la Sologne, pour que les Anglais fussent assiégés de toutes parts ; mais le chef des assiégés fit demander à la Pucelle de parlementer afin de traiter ; ce qu'on lui accorda. A la fin du pourparler, qui eut lieu sur le milieu de la nuit de cette journée (151), il fut octroyé que les Anglais, après avoir rendu le château et le pont, pourraient s'en aller le lendemain, emmener leurs chevaux et leurs harnais, et emporter chacun quelque chose de leurs biens meubles ; mais pas au delà de la valeur d'un marc d'argent ; et de plus ils jurèrent de ne s'armer qu'après dix jours passés.

                                                       *
                                                  *        *

18 juin :
    Et sur ces condicions s'en alèrent celluy jour de lendemain, qui fut dix huictiesme jour de juing, et se mirent dedans Meung, et les Françoys entrèrent dedans le chasteau et le renforcèrent de gens pour le garder.
  D'autre part, et la nuyt mesmes que la composition de rendre le chasteau et le pont de Baugenci se faisoit, vindrent les seigneurs de Talbot et d'Escalles et messire Jehan Fascot, qui, sachans la prinse de la ville de Jargueau, avoient laissé à Estampes les vivres et artillerie, que pour la scourir amenoient de Paris, et s'en estoient venus à grant haste, tendans avecques les autres à scourir Baugency, et cuidans faire délaisser le siége; mais ilz ne peurent y entrer combien qu'ilz fussent quatre mil combatans, car ilz trouvèrent les Françoys en telle ordonnance, qu'ilz délaissèrent leur entreprinse. Et s'en retournèrent au pont de Meung, et l'assaillirent moult asprement ; mais mestier leur fut de tout laisser et entrer dedans la ville, pour l'avant garde des Françoys, qui vint très hastivement aprez la prinse de Baugency, celuy jour au matin, et se vouloit frapper sur eulx. Pourquoy celluy mesmes jour, désemparèrent du tout celle ville de Meung, et se mirent à chemin sur les champs en belle ordonnance, voulans aler à Yenville. Et lors, quant le duc d'Alençon et les autres seigneurs françoys, qui venoient aprez leur avant garde, le sceurent, ilz se hastèrent le plus qu'ilz peurent, avecques leur armée, tenans tousjours belle ordonnance, tant que les Angloys n'eurent loysir d'aler jusques à Yenville [ains s'arrestèrent près d'un] (152) villaige en Beausse, nommé Pathay (153).
  Et parce que la Pucelle et plusieurs seigneurs ne vouloient pas que la grousse bataille fut ostée de son pas, ilz esleurent La Hire, Poton, Jamet de Tilloy, messire Ambroys de Loré, Thibault de Termes et autres vaillans hommes d'armes à cheval, tant des gens du seigneur de Beaumanoir, que autres qui se mirent en leur compaignie, et leur ballèrent charge d'aler courir et escarmouscher devant les Angloys, pour les retenir et garder d'eulx retraire en lieu fort. Ce qu'ilz firent, et oultre plus, car ilz se frappèrent dedans eulx de telle hardiesse, combien qu'ilz ne feussent que de quatorze à quinze cens combatans, qu'ilz les mirent à desarroy et desconfiture, nonobstant qu'ilz estoient plus de quatre mil combatans. Desquelz demourèrent mors sur la place environ deux mil et deux cens, tant Angloys que faulx Françoys, et les autres se mirent à fouyr, pour eulx sauver, vers Yenville, là où les gens de la ville leur fremèrent les portes; par quoy leur convint fouyr ailleurs à l'aventure. Et par ce en y eut deppuis plusieurs thuez et prins, et mesmement pour la grousse bataille qui s'estoit joinct, sur la desconfiture, avecques les premiers coureurs.
  A celle journée gangnèrent moult les François, car le seigneur de Talebot, le seigneur d'Escalles, messire Thomas Rameston et ung autre cappitaine, appelé Honquefort (154), y furent prins avecques plusieurs autres seigneurs et vaillans hommes d'Angleterre. Et d'autre part n'y perdirent pas ceulx de Yenville, à plusieurs desquelz avoient moult des Angloys ballé en garde la plus part de leur argent, lorsqu'ilz y estoient passez pour cuider aler secourir Baugency.
  Ce jour mesmes se rendirent au roy et à ses gens ceulx d'Yenville ; et si fist aussi ung gentilhomme, lieutenant du cappitaine, et mist dedans la grousse tour les François, ausquelz feist serment d'estre bon et loyal deppuis lors en avant envers le roy.
  Pour le renom d'icelle desconfiture, dont eschappèrent plusieurs par fuitte et entre autres messire Jehan Fascot, qui se sauva dedans Corbueil, furent tant espoantez les gens des garnisons anglesches estans ou pays de Beausse, comme Mont Pipeau, Sainct Sigismont et autres places fortes et fortiffiées, qu'ilz y boutèrent le feu, et s'en fouyrent hastivement. Et par le contraire creut le cuer aux Françoys, qui de toutes pars se assemblèrent à Orléans, cuidans que le roy y deust venir pour ordonner le voyaige de son sacre : ce qu'il ne fist; dont ceulx de la cité qui l'avoient faict tendre et parer, en furent mal contans, non considérans les affaires du roy, qui, pour conclurre de son estat, se tenoit à Sully sur Loire.
  Et pour ce y alèrent le duc d'Alençon, et tous les seigneurs et gens de guerre qui avoyent esté à la journée de Pathay et de là s'estoient retirez à Orléans; et par expécial la Pucelle, laquelle luy parla du connestable, en luy remonstrant le bon vouloir qu'il demonstroit avoir à luy, et les nobles seigneurs et vaillans gens de guerre, dont il luy amenoit bien quinze cens combatans; luy pria qu'il luy voulsist pardonner son mal talant. Ce que le roy feist à la requeste d'elle, combien que pour l'amour du seigneur de la Tremoulle, qui avoit la plus grant auctorité entour luy, ne voult souffrir qu'il se trouvast avecques lui ou voyaige de son sacre ; dont la Pucelle fut très desplaisante, et si furent plusieurs grans seigneurs, cappitaines et autres gens de conseil, congnoissant qu'il en envoyoit beaucoup de gens de bien et de vaillans hommes. Mais toutesfois n'en osoyent parler, parce que ilz véoient que le roy faisoit du tout en tout ce qu'il plaisoit à celluy seigneur de la Tremoulle, pour plaire auquel ne voult souffrir que le connestable vint avecques luy.
  Pourquoy il pensa employer autre part ses gens de guerre, qui estoient fort désirans de suivir les armes, et voult aller assiéger Marchesnoir, qui est entre Bloys et Orléans. Mais quant les Angloys et Bourguignons y estans en garnison en furent advertiz, ilz envoyèrent par saulf conduit aucuns d'eulx devers monseigneur le duc d'Alençon, qui traicta pour le roy avecques eulx, et leur donna espasse de dix jours pour emporter leurs biens, et fist tant qu'ilz promisdrent d'estre bons et loyaulx Françoys et de mectre la place en la maison du roy : dont ilz ballèrent hostaiges, pour plus grant sceureté. Et pour ce faire, et ce moyennant, leur devoit le roy pardonner toutes offences. Aprez lequel traictié fut par le duc d'Alençon mandé au connestable qu'il ne procédast plus avant, et aussi ne feist il; mais les traictres se parjurèrent, car quant ilz sceurent que le connestable, pour la doubte duquel avoient ce faict et traictié, se departoit, ilz firent tant, durant le terme de dix jours, qu'ilz prinrent par cautelles aucuns des gens du duc d'Alençon et les menèrent prisonniers dedans leur place de Marchesnoir, afin qu'ilz peussent ravoir leurs hostaiges; et par ce ne la rendirent, mais la tindrent comme devant.


  A ces conditions, ils s'en allèrent le lendemain, dix-huitième jour de juin, et se retirèrent dans Meung. Les Français entrèrent dans le château et y mirent des gens pour le garder.
  D'une autre part, la nuit même qu'avait lieu la composition pour rendre le château et le pont de Baugency, arrivèrent les seigneurs de Talbot et de Scales, et messire Jean Fastolf. Ayant su la prise de la ville de Jargeau, ils avaient laissé à Étampes les vivres et l'artillerie qu'ils amenaient de Paris pour la secourir ; et ils s'étaient en grande hâte portés au secours de Baugency, espérant faire lever le siège; mais ils ne purent pas y entrer, encore qu'ils fussent quatre mille combattants ; ils trouvèrent les Français en telle ordonnance qu'ils délaissèrent leur entreprise. Ils retournèrent au pont de Meung et l'assaillirent très âprement; mais nécessité leur fut de tout laisser et d'entrer dans la ville. L'avant-garde des Français était arrivée le matin de ce jour, partie qu'elle était très hâtivement après la prise de Baugency, et se disposait à fondre sur eux. Aussi, ce même jour, ils quittèrent Meung entièrement, et ils se mirent aux champs en belle ordonnance, avec le dessein d'aller à Janville. Lorsque le duc d'Alençon et les autres seigneurs français, qui venaient après leur avant-garde, surent la retraite des Anglais, ils se hâtèrent le plus qu'ils purent, tout en gardant belle ordonnance, si bien que les Anglais n'eurent pas le loisir d'aller jusqu'à Janville, mais seulement jusqu'à un village de la Beauce, du nom de Patay.
  Parce que la Pucelle et plusieurs seigneurs ne voulurent pas que le gros de l'armée changeât son pas, l'on fit choix de La Hire, de Poton, de Jamet du Tilloy, de messire Ambroise de Loré, de Thibaud de Thermes, et d'autres vaillants hommes d'armes à cheval, pris soit parmi les gens du seigneur de Beaumanoir, soit parmi d'autres qui se mirent en leur compagnie, et on leur donna la charge d'aller courir et escarmoucher autour des Anglais pour les retenir et les empêcher de s'établir en forte position. C'est ce qu'ils firent, et plus encore ; car ils fondirent sur les rangs ennemis avec une telle impétuosité, qu'encore qu'ils ne fussent que de quatorze à quinze cents, ils les mirent en désarroi et en déconfiture, quoique ces ennemis fussent au nombre de plus de quatre mille hommes de combat. Environ deux mille deux cents Anglais ou faux Français restèrent morts sur place ; les autres se mirent à fuir, espérant se sauver à Janville : les habitants leur fermèrent les porte de la ville ; par suite ils durent fuir ailleurs, à l'aventure. Plusieurs furent encore tués et pris, surtout par le gros de l'armée, qui, au moment de la déroute, avait rejoint les premiers coureurs.
  Les Français firent à cette journée un gain considérable, car le seigneur de Talbot, le seigneur de Scales, messire Thomas Rameston, un autre capitaine appelé Hungerfort, y furent pris avec plusieurs autres seigneurs et vaillants hommes d'Angleterre. Les habitants de Janville n'y perdirent pas non plus, nombre d'Anglais ayant donné en garde à plusieurs d'entre eux la plus grande partie de leur argent, lorsqu'ils étaient passés pour aller, pensaient-ils, secourir Baugency.
  Les habitants de Janville se rendirent ce jour-là même au roi et à ses gens ; ainsi fit encore un gentilhomme, lieutenant du capitaine ; il mit les Français dans la grosse tour, et leur fit serment d'être dorénavant bon et loyal envers le roi.
  Le bruit de cette déconfiture, d'où plusieurs s'échappèrent par la fuite, entre autres messire Jean Fastolf qui se sauva dans Corbeil, jeta une si grande épouvante parmi les gens des garnisons anglaises de la Beauce, telles que les garnisons de Mont-Pipeau, Saint-Sigismond, et autres places fortes et fortifiées, que les Anglais y mirent le feu et s'enfuirent en toute hâte. Au contraire le cœur crût aux Français. De toutes parts ils s'assemblèrent à Orléans dans la pensée que le roi y viendrait pour ordonner le voyage de son sacre, ce qu'il ne fit pas ; et ce dont les habitants qui avaient fait tendre les rues et parer la ville furent mal contents, ne considérant pas les affaires du roi, qui pour disposer de son état se tenaità Sully-sur-Loire.
  C'est donc là qu'allèrent le rejoindre le duc d'Alençon et tous les seigneurs et gens de guerre qui de la journée de Patay s'étaient retirés à Orléans ; plus spécialement la Pucelle qui lui parla du Connétable. Elle lui remontra le bon vouloir qu'il professait avoir pour sa personne, les nobles seigneurs et vaillants gens de guerre, bien quinze cents combattants, qu'il lui amenait, et le pria de vouloir bien lui pardonner son mal talent. Le roi le fit à sa requête, mais par amour pour La Trémoille, qui avait la plus grande autorité autour de lui, il ne voulut pas souffrir qu'il se trouvât avec lui au voyage de son sacre. La Pucelle en fut très déplaisante ; et aussi le furent plusieurs grands seigneurs, capitaines et autres gens du conseil, qui voyaient que par là il renvoyait beaucoup de gens de bien et de vaillants hommes. Toutefois ils n'en osaient parler, parce qu'ils voyaient que le roi faisait du tout en tout ce qu'il plaisait à ce seigneur de La Trémoille. Ce fut pour lui plaire qu'il ne voulut pas souffrir que le Connétable vînt devers lui...


                                                       *
                                                  *        *

26 juin :
    Le dimenche après la feste Sainct Jehan Baptiste, cellui mesme an mil quatre cens vingt neuf, fut rendu Bonny à messire Loys de Culan, admiral de France, qui l'estoit allé assiéger à tout grans gens par l'ordonnance du roy. Lequel avoit envoyé querre la royne Marie, sa femme, fille de feu Loys, roy de Cecille, second de ce nom, parce que plusieurs estoient d'oppinion qu'il l'amenast couronner avecques luy à Reins. Et peu de jours après luy fut amenée à Gien, là où il tint plusieurs conseilz, pour conclure la manière à luy plus convenable à tenir ou voyage de son sacre. En la fin desquelz conseilz fut conclud que le roy renvoyroit la royne à Bourges, et que sans assiéger Cosne et La Charité sur Loire, que aucuns conseilloient à prendre par force avant son partement, il se mectroyt en chemin : ce qui fut faict, car la royne ramenée à Bourges, print le roy sa voye vers Reins.


  ... Le roi avait envoyé chercher la reine Marie, sa femme, fille de feu Louis, roi de Sicile, second du nom, parce que plusieurs étaient d'avis qu'il l'amenât couronner avec lui à Reims. Peu de jours après elle lui fut amenée à Gien ; là où il tint plusieurs conseils, pour arrêter là manière plus convenable à tenir au voyage de son sacre. On finit ces délibérations par conclure que le roi renverrait la reine à Bourges, et que, sans assiéger Cosne et La Charité-sur-Loire, que quelques-uns conseillaient de prendre de force avant le départ, le roi se mettrait en chemin: ce qui fut fait, car la reine étant ramenée à Bourges, le roi prit sa voie vers Reims.

                                                       *
                                                  *        *

29 juin :
    Et se départit de Gien le jour Sainct Pierre, en celluy moys de juing, acompaigné de la Pucelle, du duc d'Alençon, du conte de Clermont, [deppuis duc de Bourbon], du conte de Vendosme, du seigneur de Laval, du conte de Boulongne, du bastart d'Orléans, du seigneur de Lohiac, des mares-chaulx de Saincte Sévère et de Rays, de l'admiral de Culan et des seigneurs de Thouars, de Sully, de Chaumont sur Loire, de Prie (155), de Chauvigny et de la Trémoille, de La Hire, de Pothon, de Jamet du Tilloy, [Tudual de Carmoisen] dict Bourgois, et de plusieurs autres seigneurs, nobles, vaillans cappitaines et gentilzhommes, avecques environ douze mil combatans, tous preux, hardiz, vaillans et de grant couraige, comme par avant, et lors, et aussi deppuis monstrèrent en leurs faiz et vaillans entreprises, et par expecial en cestui voyaige. Durant lequel passèrent en y allant et repassèrent en retournant, franchement et sans riens craindre, par les pays et contrées dont les villes, chasteaux, ponts et passaiges estaient garniz d'Angloys et Bourguignons.
  Et par expecial vindrent tenans leur voye présenter le siège et assault devant la cyté d'Auxerre. Et de faict sembloit à la Pucelle et à plusieurs seigneurs et cappitaines, qu'elle estoit aysée à prendre d'assault, et y vouloient assayer. Mais ceulx de la cyté donnèrent secretement deux mil escus au seigneur de la Tremoille, afin qu'il les gardast d'estre assailliz; et si ballèrent à l'ost du roy beacoup de vivres, qui estoient très nécessaires. Et par ce ne firent nulle obéissance : dont furent très mal contans les plusieurs de l'armée, et meismement la Pucelle ; combien que pour eulx ne s'en fist autre chose. Mais toutesfoiz demoura le roy trois jours environ, et puis s'en partist à tout son ost et s'en alla vers Sainct Florentin, qui luy fut rendu paisible.
  Et delà tira jusques à Troyes, là où il fit sommer ceulx de la cité qu'ilz luy feissent obéissance; dont ilz n'en voulurent riens faire, ainçoys freinèrent leurs portes et se préparèrent à deffendre, se on les vouloit assaillir. Et oultre plus en saillirent dehors de cincq à six cens Angloys et Bourguignons, qui y estoient en garnison, et vindrent escarmouscher contre l'armée du roy, ainsi qu'elle arrivoit et se logoit entour celle cité. Mais ilz furent faiz rentrer bien hastivement et à grant foulle par aucuns vaillans cappitaines et gens d'armes de l'armée du roy, qui se tint là ainsi comme en siège, par l'espasse de cincq jours. Durant lesquelz soutinrent ceulx de l'ost plusieurs malaises de faim ; car il y en avoit de cincq à six mil qui furent près de huyt jours sans menger pain. Et de faict en feust beacoup mors de famine, se n'eust esté l'abondance des fèves qu'on avoit semées celle année par l'admon-nestement d'ung cordellier, nommé frère Richart, qui ès Advens de Noël et devant avoit preschié par le pays de France en divers lieux et dit entre autres choses en son sermon : « Semez, bonnes gens, semez foison de feves; car celluy qui doibt venir viendra bien brief. » Et tant que pour celle famine et aussy parce que les Troyens; ne vouloyent faire obéissance, fut par aucuns conseillé au roy qu'il retournast arrière sans passer oultre, considérons que la cyté de Chalons et mesme celle de Reims estoient aussi ès mains des adversaires.
  Mais ainsi que celle chose se traictoit au conseil devant le roy, et que par la bouche de Cathédrale de Châlons (portail Nord)maistre Regnault de Chartres, lors archevesque de Reins, chancellier de France, eust été jà requis a plusieurs seigneurs et cappitaines qu'ilz en deissent leur oppinion ; et aprez que le plus d'eulx eurent remonstré que, pour la force de la ville de Troyes et la faulte d'artillerie et d'argent, estoit milleur de retourner : maistre Robert le Maçon, qui estoit homme de grant conseil, et avoit aulreffoiz esté chancellier, dist en effect, requis déclarer son oppinion, qu'on en devoit parler expressément à la Pucelle, par le conseil de laquelle avoit esté emprins celluy voyaige, et que par adventure elle y bailleroit bon moyen. Ce que advint, car eulx ainsi concluans, elle frappa fort à l'uys du conseil, et après qu'elle fut entrée dedans, le chancellier lui exposa en briefz motz ou parolles, les causes qui avoient meu le roy à entreprendre celluy voyaige et celles qui le mouvoyent à le délaisser. Sur quoy elle respondit très saigement, et dist que, se le roy vouloit demeurer, que la cité de Troyes seroit mise en son obeyssance dedans deux ou trois jours, ou pour amour ou par force. Et le chancellier luy dist : « Jehanne, qui seroit certain dedans six jours, on attendrait bien ». A quoy elle respondit de rechef, qu'elle n'en faisoit aucune doubte : pour quoy fut conclud qu'on actendroit. Et lors elle monta sur ung courcier, tenant ung baston en sa main, et feist toutes aprestes en grant dilligence, pour assaillir et faire jecter canons : dont l'évesque et plusieurs de la ville s'en merveillèrent fort. Lesquelz considerans que le roy estoit leur droicturier et souverain seigneur et aussi les faiz et entreprinses de la Pucelle et la voix qui d'elle couroit qu'elle estoit envoyée de Dieu : requirent parlementer. Et yssit hors l'évesque ayecques aucunes gens de bien, tant de guerre comme cytoyens, qui firent composicion que les gens de guerre s'en yroyent eulx et leurs biens, et ceulx de la ville auraient abolicion général. Et voult le roy que les gens d'église, qui avoient bénéfices soubz Henry, roy d'Angleterre, leur demourassent fermes ; mais que seullement reprinssent nouveaulx tiltres de luy. Et soubz celles conditions, le lendemain au matin le roy et la plus part des seigneurs et cappitaines, moult bien habillez, entrèrent en celle cité de Troyes. En laquelle avoit par avant plusieurs prisonniers, que ceulx de la garnison emmenoient par le traictié ; mais la Pucelle ne le voult souffrir, quant vint au partir, et pour ce les racheta le roy et en paya aucunement leurs maistres.
  Cellui mesmes jour, mist le roy cappitaines et autres officiers de par lui en celle cyté. Et le jour ensuivant passèrent par dedans tous ceulx de son armée, qui le soir de devant estoyent demeurez aux champs soubz la garde de messire Ambroys de Loré. Aprez le roy s'en partist avecques tout son ost par l'admonnestement de la Pucelle, qui moult le hastoit, et feist tant qu'il vint à Chalons, et y entra en très grant joye : car l'évesque et les bourgoys luy vindrent au devant, et luy feirent plaine obeyssance. Pour quoy il y mist cappitaines et officiers de par luy, et s'en partit et alla vers Reins. Et parce que celle cité n'estoit en son obéissance, il se loga à quatre lieues près, à ung chasteau nommé Sepsaulx, qui est à l'archevesque. Dont ceulx de Reins furent fort esmeuz, et par expecial les seigneurs de Chastillon sur Marne et de Saveuses, y estans en garnison de par les Anglois et Bourguignons, qui firent assembler les citoyens et leur dirent que, s'ilz se vouloient tenir jusques à six sepmaines, qu'ilz leur ameneroient scours. Et deppuis, de leur consentement mesmes, s'en partirent. Lesquels non estans aincoires guères loing, tindrent les bourgois conseil publicque, et par le vouloir de tous les habitans envoyèrent devers le roy, qui leur donna toute abolition, et ils luy livrèrent les clefz de la cité. Dedans laquelle celluy jour au matin, qui estait samedy, entra et feist son entrée l'archevesque, car deppuis qu'il en avoit esté faict archevesque n'y avoit entré. Et l'après disner, sur le soir, y entra le roy et son armée entièrement; là où estoit Jehanne la Pucelle, qui fut moult regardée de tous. Et là vindrent aussi René, duc de Bar et de Lorraine, frère du roy de Secille, et aussi le seigneur de Commercy (156), bien acompaignez de gens de guerre, eulx offrans à son service.


  Il partit de Gien le jour de Saint-Pierre, en ce même mois de juin, accompagné de la Pucelle, du duc d'Alençon, du comte de Clermont, depuis duc de Bourbon, du comte de Vendôme, du seigneur de Laval, du comte de Boulogne, du bâtard d'Orléans, du seigneur de Lohéac, des maréchaux de Sainte-Sévère et de Rais, de l'amiral de Culan et des seigneurs de Thouars, de Sully, de Chaumont-sur-Loire, de Prie, de Jamet du Tilloy, et de plusieurs autres seigneurs, nobles, vaillants capitaines et gentilshommes, avec environ douze mille combattants, tous preux, hardis, vaillants et de grand courage. Ils l'avaient montré par avant, le montrèrent alors, et l'ont montré depuis par leurs faits et vaillantes entreprises, et spécialement en ce voyage, durant lequel ils passèrent en allant, et repassèrent au retour, franchement et sans rien craindre, par les pays et contrées dont les villes, châteaux, ponts et passages étaient garnis d'Anglais et de Bourguignons.
  Tenant leur voie, ils vinrent présenter le siège et l'assaut devant la cité d'Auxerre. De fait il semblait à la Pucelle et à plusieurs seigneurs et capitaines qu'il était aisé de la prendre d'assaut, et ils voulaient l'essayer. Mais ceux de la cité donnèrent secrètement deux mille écus au seigneur de La Trémoille pour qu'il les préservât d'être assaillis. Ils fournirent à l'armée du roi beaucoup de vivres qui étaient très nécessaires, et, grâce à ces moyens, ils ne firent aucune obéissance ; ce dont la plupart dans l'armée, et même la Pucelle, furent très mécontents. Ce mécontentement ne fit rien changer. Toutefois le roi séjourna durant trois jours environ ; il partit ensuite avec toute son armée, et s'en alla vers Saint-Florentin, qui se rendit sans résistance..(157)



                                         

juillet 1429 :
  Le lendemain, qui fut dimenche [dix] septiesme jour de juillet, cellui mesmes an, mil quatre cens vingt neuf, les seigneurs de Saincte Sevère et de Rays, mareschaulx de France, le seigneur de Gra-ville, et le seigneur de Culan, admiral de France, furent par le roy, selon la coustume anchienne, [envoyez à Sainct Remy pour avoir la saincte empole. Lesquels firent les sermens acoustumez, c'est qu'ilz promirent qu'ilz la conduiroient et raconduiraient seurement, et l'aporta bien devotement et solempnellement l'abbé, estant revestu en habit pontifical, ayant dessus luy ung riche parement d'or, jusques devant l'église de Sainct Denys. Et là vint l'archevesque, pareillement revestu et acompaigné des chanoines, et la print et porta dedans l'église, et la mist sur le grant autel de Nostre Dame de Reins devant lequel vint le roy habillé comme il appartenoit; auquel feist l'ar-chevesque faire les sermons acoustumez de faire aux vrais roys de France, voulans recevoir le sainct sacre. Et incontinant après fut faict le roy chevalier par le duc d'Alençon, et, ce faict, le sacra et couronna l'archevesque, gardant les cérimonies et prononçant les oroisons, bénédictions et exortacions contenues ou pontifical faict propre à celluy sainct sacre; lequel accomply, feist le roy, par grant excellence, comte de la seignourie de Laval. Et d'autre part firent là le duc d'Alençon et le conte de Clermont plusieurs chevaliers. Et aprez le service, fut la saincte empole reportée et conduicte ainsi qu'elle avoit esté apportée.
Quant la Pucelle vit que le roy estoit sacré et couronné, elle se agenoulla, présens tous les seigneurs, devant luy, et en l'embrassant par les; jambes, luy dist en plourant à chaudes larmes : « Gentil roy, or est executé le plaisir de Dieu, qui vouloit que levasse le siège d'Orléans, et que vous amenasse en ceste cyté de Reins recevoir vostre sainct sacre, en monstrant que vous estes vray roy, et celuy auquel le royaume de France doibt appartenir. » Et moult faisoit grant pitié à tous ceulx qui la regardoyent.

  Cellui jour et les deux jours ensuivant sejourna le roy à Reins, et aprez s'en ala à Sainct Marcoul, par le mérite duquel obtindrent les roys de France la grace divine, dont ilz garissent des escroelles ; et aussi y doibvent ilz aller incontinant aprez leur sainct sacre : ce que le roy feist et acomplit. Et là venu, feist ses oroisons et offrandes; duquel lieu s'en vint à une petite ville fermée, nommée Vailly, en la vallée et à quatre lieues de Soissons. Les bourgoys de laquelle cité de Soissons luy apportèrent là les clefz, et si firent ceulx de la cité de Laon ausquelz il avoit envoyé ses héraulx leur requerre ouverture ; mais au partir de Vailly, s'en alla dedans Soissons, là où il fut receu à très grant joye de tous ceulx de la cité qui moult l'amoient, et desiroient sa venue. Et là luy vinrent les très joyeulses nouvelles que Chastiau Thierry, Crecy en Brie, Provins, Coulemiers et plusieurs autres villes s'estoient remises en son obéissance.

  

  Quant le roy eut séjourné par aucun temps en celle saincte cyté de Soissons, il s'en partit et s'en alla à Chastiau Thierry, et de là à Provins, là où il se tint trois ou quatre jours, et ordonna son armée en bataille, et se mist sur les champs vers une place dicte la Motte de Maugis, actendant le duc de Bethefort, qui estoit venu de Paris, et passant par Corbueil, arrivé à Melun, dont il s'estoit party à tout plus de dix mil combatans, disant qu'il le combatroit. Mais il changea proupos et s'en retourna à Paris, combien qu'il avoit bien autant de gens que le roy. Lequel avoit aucunes gens en sa compaignie, qui tant désiroient retourner de là la rivière de Loire, que pour leur complaire il avoit conclud le faire. Mais ceulx de Bray, où il cuidoit passer Seine, et qui luy avoient promis livrer l'entrée, mirent en leur ville grant compaignie d'Anglois et Bourguignons, le soir devant qu'il y devoit passer : dont [ne] furent desplaisans les ducs de Bar et d'Alençon, et les contes de Vendosme et de Laval, avec les autres cappitaines et vaillans gens de guerre, contre le vouloir desquelz s'en vouloit le roy ainsi retourner. Et leur oppinion estoit qu'il se mist à reconquester de plus en plus, veu que la puissance des Anglois ne l'avoit osé combattre. Pour quoy ilz le firent retourner à Chasteau Thierry, et de là à Crepy en Valloys, ouquel lieu il vint loger son ost aux champs assez prez de Dompmartin en Gouelle (158). Au devant duquel acouroyent les peuples françois de toutes pars, crians Noël et chantans Te Deum laudamus, et devotes anthiennes, versetz et respons, et faisans merveilleuse feste, regardans sur tous moult la Pucelle. Laquelle considerant leur maintien, pleuroit moult fort, et soy tirant à part, dist au conte de Dunoys : « En nom Dieu, vez cy bon peuple et devot, et vouldroye que je morusse en ce pays, quand je debvray mourir. » Et celluy conte luy demanda lors : « Jehanne, scavez vous quant vous mourrez, et en quel lieu ? » A quoy elle respondit que non, et qu'en la volenté de Dieu en estoit ; disant oultre à luy et aux autres seigneurs : « J'ay accomply ce que Messire me avoit commandé, qui estoit lever le siège d'Orléans et faire sacrer le roy. Je vouldroye qu'il luy pleust me faire remener à mon père et à ma mère, affin que je gardasse mes brebis et mon bestial, et feisse ce que je souloie faire. » Et en rendant graces à Nostre Seigneur, levoit moult humblement les yeulx vers le ciel. Par lesquelles paroles qu'ilz véoient estre véritables, et la manière d'elle, creurent tous fermement qu'elle estoit saincte pucelle et envoyée de Dieu ; et si estoit elle. Quant le duc de Bethefort, oncle et lieutenant général du roy Henry, et pour luy gouvernant les citez et villes et places tenans son party en ce royaume, sceut que le roy estoit sur les champs environ Dompmartin, il se partist de Paris à tout grant nombre de gens de guerre, et s'en vint loger vers Mictry, près d'icelluy Dompmartin, et se mist en son armée, qu'il ordonna par batailles en belle ordonnance et place bien advantageuse.
  Ce qui fut noncé au roy ; lequel feist ordonner ses gens pareillement, en intention d'attendre et recevoir en bataille les adversaires, ou de les aler assaillir, s'ilz se mectoient ou estoient trouvez en place pareille. Mais les Angloys ne monstrèrent aucun semblant de les vouloir assaillir, car par le contraire ilz s'estoient mis en place fort advantageuse et fortiffiez : comme fut veu, apperceu et rapporté par La Hire et aucuns autres vaillans cappitaines et gens de guerre, qui celluy jour, pour veoir leur maintieng, et s'il estoit licite de les assaillir, leur alèrent faire grant escarmousche par plusieurs lieux et diverses foiz, deppuis le matin jusques à la nuyt ; combien qu'il n'y eut lors comme point de dommaige, tant d'un costé que d'autre. Apprès lesquelles escarmousches se retourna le duc de Bethefort avecques son armée dedans Paris, et le roy tira vers Crepy en Valloys, dont il envoya de ses héraulx sommer et requérir ceulx de Compiengne qu'ilz se meissent en son obéissance ; lesquelz respondirent qu'ilz le feroient très voulentiers.

  Environ ces jours, alèrent aucuns seigneurs françoys dedans la cyté de Beauvoys, dont estoit évesque et conte maistre Pierre Cauchon, fort enclin au party angloys, combien qu'il fust natif d'entour Reims. Mais ce nonobstant ceulx de la cyté se mirent en la pleine obéissance du roy, si toust qu'ilz virent ses héraulx portans ses armes, et crièrent tous en très grant joye : « Vive Charles, roy de France ! » chantèrent Te Deum, et firent grans resjoissemens. Et ce faict, donnèrent congié à tous ceulx qui ne vouldroyent demourer en celle obéissance, et les en laissèrent aler paisiblement et emporter leurs biens.

  Peu de jours aprez, saillit hors de Paris de rechef le duc de Bethefort pour venir à Senliz à tout son armée de devant, acreue de quatre mil Angloys que son oncle, le cardinal d'Angleterre, avoit amenée de delà la mer, soubz couleur de les mener contre les Boesmes hérites (159) ; mais mentant ses promesses, les mist en besongne contre les Françoys très vrais chrestiens, combien qu'ilz eussent esté soubsdoyez de l'argent de l'église. Ce qui vint à la congnoissance du roy, lequel s'estoit departy, menant son ost pour aler à Compiengne, et s'estoit logié à ung villaige nommé Barron, à deux lieues de celle cyté de Senliz, laquelle tenoit le party anglois et bourguignon. Et par ce ordonna que messire Ambroys de Loré, [depuis prevost de Paris], et le seigneur de Sainctes Trailles yroient bien montez vers Paris et ailleurs où bon leur sembleroit, et adviseroient au vray le faict du duc de Bethefort et de son ost. Lesquelz, ayant avecques eulx aucuns de leurs gens des mieulx montez, se partirent toust, et firent qu'ilz approuvèrent tant prez de l'ost des Angloys, que ilz veirent et apperceurent sur le grant chemin d'entre Paris et Senlis grans pouldres, par quoy con-gnurent qu'ilz venoient. Et à celle occasion envoyèrent ung de leurs hommes hastivement devers le roy, luy seignifiant la venue des adversaires; et ce nonobstant actendirent tant, qu'ilz apperceurent et congnurent au vray toute l'armée, et ce qu'elle povoit monter, et commant elle tiroit vers celle cité de Senliz; que par ung autre de leurs hommes envoyèrent de rechef dire hastivement au roy. Lequel feist ordonner toutes ses batailles et s'en vint à très grant dilligence à tout son armée sur les champs ; et tirèrent droit à Senliz; si se mirent à chemin entre la rivière qui passe à Barron, et une montaigne dicte Montespiloer (160).

       

  D'autre part arriva à heure de vespres le duc de Bethefort à tout son ost prez de Senliz, et se mist à passer une petite rivière, qui vient d'icelle cité à Barron ; combien que le passaige par où il passoit ainsi son armée estoit si estroict, qu'il n'y povoit passer que deux chevaulx de fronc. Pour quoy, si toust que les seigneurs de Loré et de Sainctes Trailles les virent commancer à passer celluy dangereux passaige, ilz s'en retournèrent le plus hastivement qu'ilz peurent devers le roy, et luy acertenèrent ce qu'ilz avoient veu. Dont il fut moult joyeulx, et feist ordonner ses batailles, et tirer tout droit au devant des Angloys, les cuidant combattre à celluy passaige ; mais l'armée des Françoys n'y sceut si toust venir, que la plus part des Angloys ne feussent jà passez. Et par ainsi s'approuchèrent tant les deux armées, qu'elles s'entrevéoyent, et aussi n'estoient elles que à une petite lieue l'une de l'autre. De chacune desquelles, combien qu'il fust jà vers le soleil couchant, se partirent plusieurs vaillans et gens de guerre, et s'entre escarmouschèrent par diverses foiz ; èsquelles se feist de très beaulx faiz d'armes. La nuyt les faisant cesser, se logèrent les Angloys au long de la rive d'icelle rivière, et les Françoys furent logez vers Montespiloer.
  Le lendemain au matin, feist le roy ordonner très diligemment son armée par batailles, et en fist trois parties, de la première desquelles (c'est de l'avant garde) et où avoit plus de gens, bailla la charge au duc d'Alançon et au conte de Vendosme. De la seconde, qui devoit estre ou milieu, fut conduiseur René, lors duc de Bar et de Lorraine, [et deppuis roy de Cecile et duc d'Anjou]. En la tierce, en laquelle avoit plusieurs Seigneurs et très vaillans gens d'armés, et qui: estoient comme l'arrière garde, [le roy] voult estre luy mesme ; et avoit ayecques luy le duc de Bourbon et le seigneur de La Trémoille, avecques grant nombre de chevaliers et escuiers. Pour les aisles desquelles trois batailles, furent ordonnez et eurent la charge les mareschaulx de Saincte Sevère et de Rays, auxquelz on bailla ; plusieurs chevalliers, escuiers et gens de guerre de divers estas. Et par dessus toutes ces ordonnances, fut reservée pour faire escarmouches, renforcer et scourir les autres batailles, se mestier en estoit, une autre bataille de très vaillans seigneurs cappitaines, et autres gens de guerre, dont estoient ducteurs et avoient la charge, la Pucelle, le bastart d'Orléans, le conte d'Alebret et La Hire. Et au regart de tous les archiers, eurent la conduicte le seigneur de Graville et ung chevalier de Limozin, appelle messire Jehan Foucault.

       

  Lesquelles ordonnances ainsi faictes, chevaucha le roy assez loing de ces trois batailles plusieurs foiz par devant l'armée des Angloys, de laquelle estoit chef le duc de Bethefort, qui avoit en sa compaignie le bastart de Sainct Pol, et moult de Picars et Bourguignons, avecques plusieurs autres chevalliers, escuiers et gens de guerre, estans en bataille ordonnées près d'ung villaige, et ayans au dos ung grant estang. Lesquelz ce non obstant n'avoient cessé toute nuyt, et ne cessoient aincoires d'eulx fortiffier en grant dilligence, tant de paulx et teudiz, comme de foussez. Pour quoy quant le roy, qui par le conseil de tous les seigneurs de son sang, là estans, et autres seigneurs, chevalliers, escuiers, cappitaines et très vaillans gens d'armes, avoit prins conclusion de combatre les Anglois et leurs aliez, s'ilz se mectoient et estoient trouvez en place esgalle : fut adverti par aucuns vaillans cappitaines et gens congnoissans en armes, de la manière qu'ilz tenoient; comment ilz estoient logez en place forte d'elle mesmes et s'estoient fortiffiez et fortiffioient de foussez et de paulx : il vit bien qu'il n'y avoit nulle apparence de les povoir assaillir ne combattre sans trop grant dommaige de ses gens. Mais ce nonobstant il feist approucher ses batailles jusques à deux traicts d'arbaleste près des Angloys, et leur feist seignifier qu'il les combatroit, s'ilz vouloient saillir de leur parc. Ce qu'ilz ne voulurent faire, combien qu'il y eut de très grans et merveilleuses escarmousches, car plusieurs vaillans François alloyent souvent tant à piet que à cheval jusques à la fortifficacion des Angloys pour les esmouvoir à saillir; tellement que grant nombre d'eulx sailloient par diverses foiz, qui reboutoyent les François. Lesquelz renforcez et secourus d'aucuns des leurs, renchassoyent les Angloys, qui pareillement confortés et aydez par autres de leurs gens saillans de nouveau, rechargoyent sur les François et les faisoient reculler, jusques à ce que nouvelles gens de leurs grans batailles se venoient joindre avecques eulx, par la force et vaillance desquelz regaignoient place contre leurs ennemys. Et ainsi passèrent celluy jour sans cesser jusques près du souleil couchant.
  En celles saillies et escarmouches souvent renouvelées voult aler le seigneur de La Trémoulle ; lequel estant monté sur ung courcier moult joliz et grandement habillé, et tenant sa lance ou poing, frappa son cheval des esperons, qui par cas d'aventure cheut à terre, et le trebucha ou milieu des ennemys : par lesquelz il fut en grant danger d'estre tué ou prins; mais pour le scourir et monter se feirent grans dilligences. Par quoy se fit monter à très grant peine, car à celle heure y eut très forte escarmouche ; et tant que environ souleil couchant se joingnirent ensemble plusieurs Françoys et se vinrent très vaillanment presenter jusques auprez de la fortifficacion des Angloys, et là les combatirent et escarmouschèrent main à main grant espasse de temps, jusques à ce que plusieurs d'eulx, tant à piet que à cheval, saillirent hors de leur parc à grant puissance, et les firent tirer arrière. Contre lesquelz saillirent aussi pareillement des batailles du roy grant nombre de très vaillans seigneurs, chevaliers, escuiers et autres gens d'armes, et se entrémeslèrent entre leur gent contre les Angloys. Et à celle occasion fut lors faicte la plus grousse et la plus dangereuse escarmouche de tout le jour; et tant s'entremeslèrent de prez, que la pouldre sourdit si espesse entour eulx, que on n'eust peu congnoistre ne discerner lesquelz estaient Françoys ou Angloys; et tellement que, combien que les deux batailles contraires l'eussent très près l'une de l'autre, si ne se povoient elles entreveoir. Celle dernière escarmousche dura jusques à la nuyt serrée, laquelle feist departir les Françoys des Angloys, desquelz tant d'une part que d'autre furent celluy jour plusieurs tuez, blecez et prins prisonniers. Les Angloys se retirèrent et logèrent tous ensemble dedans leur parc et fortifficacion, comme ilz avoient faict la nuyt de devant ; et les Françoys, tous assemblez, s'en alèrent aussi loger à demie lieue d'eulx, et près de Montpiloer, ainsi qu'ilz avoient faict le soir par avant. Et quant vint le lendemain au matin, les Angloys se mirent à chemin et alèrent à Paris ; et le roy et son armée s'en retournèrent vers Crepy en Valloys.

  La nuyt ensuivant, se logea le roy dedans Crepy, et le lendemain s'en ala à Compiengne, là où il fut receu grandement et honnorablement par ceulx de la ville, qui s'estoient mis n'avoit guères en son obéissance : pour quoy il y mist officiers de par luy. Par expecial en feist capitaine ung vaillant gentilhomme du pays de Picardie, appelle Guillaume de Flavy, qui estoit de bien noble maison.
  En celle ville de Compiengne envoyèrent ceulx des citez de Beauvoys et de Senliz, et se misrent en l'obéissance du roy : lequel se partist de Compiengne sur la fin du mois d'aoust et s'en ala dedans Senlis. Et quant le duc de Bethefort le sceut, il se partist de Paris à tout grant armée de gens de guerre; et doubtant que le roy ne voulsist tirer à reconquester Normendie, s'en y ala, et mist de ses gens en plusieurs places qu'il avoit en celluy pays en divers lieux, tenans le party angloys, et les garnit de vivres et artillerie; delessant à Paris messire Loys de Luxemboug, évesque de Therouenne, soy disant chancellier de France pour le roy Henry, et avecques luy messire Jehan Ratelet, chevalier angloys, et messire Simon Morhier ; lesquelz avoient en leur compaignie deux mil combatans pour la garde et deffense de Paris.


                                         

août 1429 :
  D'autre part, le roy ayant ordonné officiers et cappitaines de par luy à Senlis, il s'en partit environ le derrenier jour de celluy moys, et s'en vint en la ville de Sainct Denis, de laquelle luy fut faicte plainière obéissance. Et y fut deux jours, durant lesquelz furent faictes plusieurs courses et escarmouches par les Françoys y estans contre les Angloys de Paris; là où furent faiz plusieurs beaux faiz d'armes d'une part et d'autre. Et le tiers jour s'en partit la Pucelle et le duc d'Alencon, le duc de Bourbon, le conte de Ven-dosme, le conte de Laval et les mareschaulx de Saincte Sévère et de Rays, La Hire, Poton et plusieurs autres vaillans chevalliers, cappitaines et escuiers, avecques grant nombre de vaillans gens de guerre, et s'en vinrent loger en ung villaige dit La Chappelle, qui est ou chemin et comme ou milieu de Paris et Sainct Denis.

  Et le lendemain ensuivant s'en vinrent mectre en belle ordonnance ou Marché aux pourceaulx, devant la porte Sainct Honoré, et firent assortir: plusieurs canons, dont ilz firent gecter en plusieurs lieux et souvent dedans Paris. Où estoient en armes les gens de guerre y estans en garnison, et aussi le peuple, et faisoient porter plusieurs estendars de diverses couleurs, et tournoyer, aler et retourner à l'entour des murs par dedans ; entre lesquelz en y avoit ung moult grant à une croix rouge. Aucuns seigneurs Françoys ne voulurent approucher plus près, et par expecial le seigneur de Sainct Vallier (161), Damphinoys, lequel fist tant que luy et ses gens alèrent bouter le feu ou boulevart et à la barrière de celle porte de Sainct Honoré. Et combien qu'il y eust plusieurs Angloys pour les deffendre, toutesfoyz leur convint il retraire par celle porte, et rentrer dedans Paris; par quoy les Françoys prindrent et gaignèrent à force la barrière et le boulevart. Et parce qu'ilz se pensèrent que les Angloys sauldroient par la porte Sainct Denis pour courir sus aux Francoys estans devant la porte Sainct Honoré, les ducs d'Alençon et de Bourbon s'embuschèrent derrière la montaigne qui est auprès et contre celluy Marché à pourceaulx et plus près ne se povoient pas mectre, pour doubte des canons, veuglaires (162) et couleuvrines, dont tiroient ceulx de Paris sans cesser; mais ilz perdirent leur peine, car ceulx de Paris n'osèrent saillir hors la ville. Pour quoy la Pucelle voyant leur couart maintien, délibéra de les assaillir jusques au piet de leur mur. Et de faict, se vint presenter devant eulx, pour ce faire, ayant avecques elle plusieurs seigneurs et grant compaignie de gens d'armes, entre lesquelz estoit le mareschal de Rays, qui tous par belle ordonnance se mirent à piet et descendirent ou premier foussé. Ouquel eulx estans, elle monta le dous d'asne, duquel elle descendit jusques ou second fossé, et y mist sa lance en divers lieux, tastant et assayant quelle parfondeur il y avoit d'eaue et de boue. En quoy faisant, elle fut grant espasse, et tellement qu'ung arbalestier de Paris luy perça la cuisse d'ung traict ; mais ce non obstant, elle ne s'en vouloit partir, et faisoit très grant dilligence de faire apporter et gecter fagotz et bois dedans cestuy foussé pour remplir, affin qu'elle et les gens de guerre peussent passer; jusques aux murs : qui ne sembloit pas lors estre possible, parce que l'eaue y estoit trop parfonde, et qu'elle n'avoit point assez grant multitude de gens à ce faire, et aussi parce que la nuyt estoit prouchaine. Non obstant laquelle, elle se tenoit tousjours sur celluy foussé, et ne s'en vouloit retourner ne retraire en aucune manière, pour prière et requeste que luy feirent plusieurs [qui] par diverses fois l'alèrent requerir de soy en partir, et luy remonstrer qu'elle devoit laisser celle entreprinse : jusques à ce que le duc d'Alençon l'envoya querre, et la feist retraire, et toute l'armée, en icelluy villaige de La Villette, là où ilz se logèrent celle nuyt, comme ilz avoient faict le soir de devant.

        

  Et le lendemain s'en retournèrent tous à Sainct Denis; en laquelle ville fut moult louée la Pucelle du bon vouloir et hardy couraige qu'elle avoit monstré, en voulant assaillir si forte çyté et tant bien garnye de gens et d'artillerie, comme estoit la ville de Paris. Et certes aucuns dirent [deppuis] que, se les choses se feussent bien conduictes, qu'il y avoit bien grant apparance qu'elle en fust venue à son vouloir ; car plusieurs notables personnes estans lors dedans Paris, lesquelx con-gnoissoient le roy Charles septiesrne de ce nom estre leur souverain seigneur et le vray héritier du royaume de France, et commant à grant tort et par cruelle vengance on les avoit sepparez et ostez de sa seignourie et obéissance, et mis en la main du roy Henry d'Angleterre par avant mort, et deppuis continuant, soubz le roy Henry, son filx, usurpant lors grant partie du royaume : se feussent mis, [comme deppuis firent, six ans après], et réduiz en l'obéissance de leur souverain seigneur, et luy eussent faict plainière ouverture de sa principalle cyté de Paris. Ce que à ceste fois ne firent pour les causes dessus alléguées. Pour quoy le roy qui vit lors qu'ilz ne monstroient aucun semblant d'eulx vouloir rendre à luy, tint plusieurs conseilz dedans la ville de Sainct Denys ; en la fin desquelz fut advisé que, veue la manière de ceulx de la ville de Paris, la grant puissance des Angloys et Bourguignons y estans dedans, et aussi qu'il n'avoit assez d'argent, ne ne pouvoit avoir illec pour entretenir si grant armée, qu'il feroit le duc de Bourbon son lieutenant général. Ce qu'il feist, et luy ordonna demeurer ès villes, cytez et places à luy obéissans deçà la rivière de Loire ; et pour y mectre grousses garnisons, et les garder et deffendre, luy bailla grant nombre de gens d'armes et foison artillerie.


                                         

septembre 1429 :
  Et oultre celle ordonnance, voult et commanda que le conte de Vendosme et l'admiral de Culant se tinssent à Sainct Denis, ausquelz il bailla aussi plusieurs gens d'armes, afin qu'ilz poussent tenir la garnison. Et ce faict, se partist le douziesme jour de septembre, et s'en ala à Laigny sur Marne, dont il se partit le lendemain, et y ordonna cappitaine messire Ambroys de Loré, auquel il bailla messire Jehan Foucault, avecques plusieurs gens de guerre. Et tira d'illec le lendemain à Provins, et de là à Bray sur Seine, que les habitans réduirent à son obéissance. Et puis, s'en ala passer pardevant Sens, qui ne luy feist aucune ouverture ; mais luy convint passer à gué, ung peu au dessoubz, la rivière d'Yonne, et tirer à Courtenay, dont il ala à Chasteau Regnart et à Montargis, et au derrain à Gien, où il actendit aucuns jours, cuidant avoir accord avec le duc de Bourgoigne, qui luy avoit mandé par le seigneur de Chargny qu'il luy feroit avoir Paris, et qu'il y vendroit en personne. Et à celle occasion, luy avoit le roy envoyé sauf conduit, affin qu'il peust passer sans contredit par les places et passaiges à luy obéissans ; et ainsi fist il, combien que luy arrivé à Paris, il ne tint riens de ce que il avoit promis; ainçoys fist alliance avecques le duc de Bethefort allencontre du roy, de trop plus fort que devant; et ce non obstant, par vertu du sauf conduit, passa sceurement et franchement par tous les pays, villes et passaiges de l'obéyssance du roy, et s'en retourna en ses pays de Picardye et de Flandres. Et le roy, qui fut adverty au vray, passa la rivière de Loire et s'en retourna à Bourges dont il estoit party à la requeste et supplication de la Pucelle, laquelle luy avoit dit par avant tout ce qu'il luy advint du lièvement du siége d'Orléans, et de son sainct sacre, et aussi de son retour franchement, ainsi que luy avoit révellé Nostre Seigneur.

  En remercyant lequel et louant de sa grace, fays fin par son octroy divin à cestuy présent et très compendieux traictié, préintitulé du siége d'Orléans, mis par les Angloys et de la venue et vaillans faiz de Jehanne la Pucelle, et comment elle les en feist partir, et feist sacrer à Reins le roy Charles septiesme, par grace divine et force d'armes.

                       Explicit hic liber, qui scripsit vivat in evum.

                                   


Source:
Présentation : "La vraie Jeanne d'Arc - La libératrice - t.III p.110 - J.-B.-J. Ayroles
Texte original : édition de MM. Charpentier et Cuissard - 1896.
Mise partielle en Français plus moderne : J.-B.-J. Ayroles, t.III.

Notes :
1. L'abbé Dubois, "Histoire du siège d'Orléans", Charpentier et Cuissart, p. 65.

2 Quant aux inexactitudes et à la partialité que l'abbé Dubois reproche aux auteurs du Journal, l'importance n'en est pas grande : rien n'est parfait sous le soleil ; nombreuses restent les pages de cette Chronique capables de renseigner sûrement et d'intéresser vivement les historiens de Jeanne d'Arc. (Chanoine Dunand). 3 Thomas Montaigu, Comte de Salisbury et de Sarum, avait le commandement en chef des troupes anglaises à Cravent, prit part à la bataille de Verneuil et en 1427 était retourné en Angleterre avec de grandes richesses. Il en fut rappelé pour le siège d'Orléans.

4 Henri VI, roi d'Angleterre.

5 Aujourd'hui le Portereau du Coq. Le Portereau du Coq se dirigeait vers St Jean le Blanc. C'est en bas que campèrent les Anglais.

6 Thomas Scales.

7 Guillaume Neville, Lord Falcombridge, Capitaine d'Évreux.

8 Richard, seigneur de Grey ou Gray, neveu de Salibury et Capitaine de Janville. Il fut tué le 3 mars par la couleuvriine de maître Jehan.

9 Guillaume de Molins, frère de Guillaume (William) Glasdall.

10 Richard Ponyngs qui fut tué aux Tourelles et son chapelain prisonnier.

11 William Glasdall, bailli d'Alençon, tué aux Tourelles. Son corps exposé à Paris pendant 8 jours fut ramené en Angleterre.

12 Lancelot de Lisle qui eut la tête emportée par un boulet le 10 janvier.

13 L'église et le couvent des Augustins près du pont et des Tourelles.

14 Le pressoir de la Favière, suivant l'abbé Dubois, était la maison qui touchait à l'ancienne raffinerie et avait son entrée dans le Portereau du Coq.

15 La poterne Chesneau est le nom d'un particulier qui demeurait non loin de là s'appelait au IX° posterula sancti benedicti. Cette porte était la seule par laquelle on pouvait se rendre au fleuve en temps de guerre.

16 Ces moulins étaient assis sur des bateaux. La Tour Neuve était à l'extrémité de la rue de ce nom.

17 A la tête du Pont, côté sud, il y avait une porte défendue par deux tours fort élevées qu'on nommait les Tourelles. Ces tours étaient séparées de leur boulevart par un bras de la Loire qui en rendait l'approche très difficile, et sur lequel se trouvait un pont que la Pucelle fit sauter. Le boulevart des Tourelles avait, suivant l'abbé Dubois, 60 pieds de long sur 80 de large, et était environné d'un fossé de 24 pieds de large.

18 Archambaut de Villars, autrefois favori du Duc d'Orléans, s'était rendu célèbre dans le combat de Montendre, en 1402, entre 7 Anglais et 7 Français.

19 Ce personnage appelé Madre dans les comptes de la ville ; il était seigneur d'Archiac.

20 Guillaume de Chaumont, seigneur de Guitry.

21 Raimond Arnauld, seigneur de Corraze, était béarnais et gascon.

22 Le seigneur de Xaintrailles, frère de Poton se nommait Jean.

23 Poton de Xaintrailles, bailli de Berry, vicomte de Brouttes, maréchal de France.

24 Pierre de la Chapelle dont le chateau selon Lebreun des Charmettes s'élevait à La Chapelle-Saint-Mesmin sur les bords de la Loire.

25 Le Sire de Gaucourt était gouverneur d'Orléans depuis le 28 mars 1426, par lettres du Duc Charles, prisonnier en Angleterre. Il déposa dans le procès  de réhabilitation et mourut à plus de 85 ans.

26 Cette église aujourd'hui démolie, aboutissait sur la rue allant directement au pont romain situé à la poterne Chesneau. La Tour servant de beffroi à la vilel avant que les échevins aient fait élever celle du Musée.Il y avait un guetteur jour et nuit. C'est lui qui donna régulièrement l'alarme. Les comptes dela ville en parlent régulièrement.

27 Il y avait deux sortes d'étuves (ou salles de bains) : les unes pour les hommes, les autres pour les femmes. Les premières se trouvaient dans la rue du Petit-puits derrière St Donatien.

28 La Belle Croix était un monument de bronze doré élevé sur le pont en 1407 orné de 4 bas-reliefs représentant : la Ste Vierge, saint Pierre et saint Paul, saint Jacques et saint Etienne et enfin saint Euverte. Cette croix avait été placée sur le pilier qui séparait la cinquième arche de la sixième. Brisée en 1562, refondue et rétablie en 1578, la Belle Croix subsista jusqu'en 1729.

29 La plus ancienne mention de ce pont remonte à 1178. Il était composé de dix-neuf arches. Vers le milieu, il s'appuyait sur une île.

30 La tour Nostre-Dame tirait son nom d'une chapelle adossée aux murs de la ville, à l'endroit où est le choeur de l'église de Recouvrance. Elle était située entre la tour de la Barre-Flambert et celle de l'abreuvoir.

31 Jean d'Orléans, comte de Dunois et de Longueville, grand chambellan de France et plus grand capitaine de son temps, était le fils naturel de Louis, duc d'Orléans et de la dame de Cany. Pour récompense ses mérites, Charles VII lui donna le titre de "restaurateur de la patrie". Il mourut en 1468, son corps fut ramené à Cléry aux côtés de sa seconde femme Charlotte de Harcourt.

32 Jean de Brosse, seigneur de Sainte-Sévère, d'Huriel et de la Pérouse et de  Boussac, conseiller et chambellan du roi, fut fait maréchal de France le 17 juillet 1426 et mourut en 1433 ayant dépensé tous ses biens au service du souverain.

33 Jean V, sire de Bueil, seigneur de Montrésor, de Saint-Calais et comte de Sancerre. Il fut fait amiral de France en 1450.

34 Jacques de Chabanne, seigneur de la Palice, grand maître d'hôtel de France, mourut de contagion un mois après la bataille de Castillon en 1453.

35 Pierre d'Amboise, seigneur de Chaumont-sur-Loire, chevalier et chabellan des rois Charles VII et Louis XI, mourut le 28 juin 1473.

36 Guillaume de Cernay, Ternay ou même Sarnay d'après les comptes de ville.

37 Abattue déjà en 1370 pour résister aux Anglais commandés par Knolle ou Kanolle, relevée par Charles V et achevée par Charles VI, cette église, démolie au moment du siège, fut reconstruite sous les rois Louis XI, Charles VIII et Louis XII et ne disparut qu'en 1804.

38 L'église Saint-Michel ouvrait sur l'Étape en face de la mairie. C'est aujourd'hui le théâtre.

39 Relevée de ses ruines, démolie encore en 1562, cette église disparut en 1710 et, à sa place on construisit le Grand-Séminaire. Un y voit une curieuse crypte, du VII° siècle très probablement.

40 La chapelle du Martroy-aux-Corps était adossée au grand cimetière ; on y entrait par la rue de l'évêché. Elle appartenait aux chapelains de Sainte-Croix.

41 L'église Saint Victor était construite à l'extrémité de la rue des Pensées.

42 Ce n'était qu'une chapelle batie sur l'emplacement d'une croix. Elle n'existait pas encore en 1358 ; une rue porte encore son nom.

43 La porte de ce monastère était dans un angle de la place de l'Étape.

44 Le couvent des Cordeliers s'étendait jusqu'à la rue Vaslin et probablement jusqu'à la rue Sainte-Anne.

45 Le couvent des Carmes occupait l'emplacement de toutes les maisons de la rue des Carmes.

46 Cette chapelle servait à un hôpital fondé par St-Louis pour les aveugles.

47 En 1428, il y avait une barrière et un corps de garde à l'endroit où la rue de la Bretonnerie se joint à la rue Bannier. L'aumône (hôpital) St Pouair était au sud de ce corps de garde.

48 L'église de St Laurent-des-Orgerils (aujourd'hui St Laurent) fut rebâtie vers 1446.

49 Cent soixante-quatre livres.

50 Saint patron de la ville d'Orléans, évêque qui protégea Orléans contre les attaques des hordes d'Attila (Ste Geneviève en fit de même pour Paris).

51 Frondes se disaient alors fondes.

52 La bombarde était une pièce d'artillerie grosse et courte avec une ouverture fort large servant à lancer des boulets de pierre.

53 La croche est une sorte d'éperon, ouvrage avancé en rivière pour protéger le pied d'une construction.

54 L'usage du temps était de donner des noms aux pièces d'artillerie. Plus tard une bombarde sera appelée Bergère en l'honneur de la Pucelle. Les Anglais avaient leur "Passe-Volant".

55 D'après le compte de Hémon Raguier, il fut donné "140 écus d'or à Maistre Jehan de Montesiler, canonnier demeurant à Angiers, envoyé à Orliens pour servir le roy de son industrie". De nombreux autres canoniers qui "jouaient" de leur artillerie sont cités dans les comptes d'Hémon Raguier. Jules Loiseleur a rétabli son vrai nom : Jehan de Montesclere (Montéclair) près de Domrémy).

56 Le monastère de Saint Loup était bâti sur le haut du coteau de la Loire. Outre l'église ou chapelle du couvent, il y avait une église paroissiale qui fut supprimée en 1580 et réunie à Saint Jean de Braye.

57 L'église Saint Marc n'a pas changé de position.

58 Saint Gervais était un prieuré dépendant de St-Benoit sur Loire, situé tout près de l'église St Marc à l'ouest. Il portait aussi le nom de St Phallier.

59 St Euverte et sa collégiale sont bien connus.

60 La chapelle Saint Aignan fut bâtie en 854 sous l'épiscopat d'Agius. Elle était située non loin de la porte de Bourgogne et connue sous le nom de Notre-Dame du chemin.

61 Cette église portait ce nom à cause de sa situation au milieu des vignes.

62 Saint-Ladre était une maladrerie fondée au commencement du XII° siècle. Située dans le faubourg Bannier, elle fut donnée en 1622 aux Chartreux qu'ont remplacé les religieuses de la Visitation.

63 Saint-Pouair est l'église de St Paterne actuelle.

64 C'était une maison de religieuses de Fontevraud, à l'extrémité de la ville actuelle d'Orléans.

65 Sir John Talbot, chevalier banneret, comte de Shrewsbury, de Furnival et Welford fut pris à Patay et échangé en 1431 contre Xaintrailles. Il mourut à la bataille de Castillon en 1453.

66 Il n'a jamais existé de rivière de ce nom, c'était un bras de la Loire formant une petite île en face de la Tour de la barre-Flambert. Comme il y avait une grève entre ce bras et le mur de la ville, on y avait construit une barrière pour empêcher les Anglais d'aborder de ce côté.

67 A l'entrée de la rue du Tabour.

68 L'abbaye de Cerquenceaux se trouvait dans le diocèse de Sens à deux lieues de Nemours. L'abbé qui la gouvernait à cette époque est inconnu.

69 Ce port était sur la rive gauche, face au monastère de Saint-Loup, à l'endroit où se joignent les communes de Saint-Jean-le-Blanc et Saint-Denis, auprès des maisons nommées l'Amérique et les Bouteroues (en 1896).

70 Louis de Culan, baron de Châteauneuf-en-Berry, conseiller et chambellan du roi, amiral de France en 1412, mourut en 1444.

71 C'est le nom qu'on donnait à l'Épiphanie, d'après le Nécrologe ms. de Sainte-Croix, n° 112 bis. On disait aussi Tiphanie.

72 Cette ile portait le nom de Charlemagne, d'aprés les comptes de forteresse de 1429 ; il ne faut pas la confondre avec une île du même nom du côté de Saint-Loup. Celle qui se trouvait au droit de Saint-Laurent n'existait plus en 1689. Un peu plus bas, on voyait l'Île de la Madeleine.

73 Sur la rive gauche de la Loire.

74 Le boulevard de la Belle Croix fut élevé entre les mottes et ce monument par les Orléannais, après la prise des Tourelles par les Anglais. Il était défendu par une si grande quantité de bois et de pieux que lorsqu'on le détruisit, on en chargea quarante-deux voitures, d'après les comptes de forteresse de 1429.

75 Jean Falstolf, chevalier, grand maître d'hôtel du Duc de Bedford, capitaine de Honfleur.

76 Sandillon : village à deux lieus d'Orléans, du côté de la Sologne.
C'est dans ce village que serait morte la mère de Jeanne. (ndlr)

77 On trouve sous Louis XI un gascon Raymond d'Ossaigne surnommé le cadet Remonet.

78 Capitaine de Moret.

79 Jean de Lescot ou de Lesgot, Seigneur de Verduizan, fut tué à la journée des harengs.

80 Guillaume d'Albret, seigneur d'Orval, se distingua au siège de Montargis et périt à la bataille des Harengs.

81 Conseiller et chabellan du roi, bailli de Chaumont et capitaine de Vaucouleurs.

82 Regnault de Fontaines.

83 Son prénom de Bourg annonce qu'il était bâtard. Son père Gui de Bar, avait été prévôt de Paris en 1418. Il était peut-être le frère de Robert de Bar, comte de Marle et de Soissons.

84 Gilbert Motier de La Fayette, maréchal de France, se distingua aux sièges de Jargeau, Meung et Baugency et à la bataille de Patay.

85 Jean Stuart de Darnley, revenait d'un pélerinage en Terre Sainte. Il a fait de nombreuses donations au chapitre de Ste Croix. Ses parents ont été inhumés dans le chœur de la Cathédrale d'Orléans.

86 Le seigneur de la Tour d'Auvergne, Bertrand 1er, comte de Boulogne.

87 Louis d'Amboise, vicomte de Thouars.

88 Jean Malet, seigneur de Graville, chevalier normand, grand maître des arbalétriers dernier défenseur de la Normandie, d'où il s'était expatrié en 1418, après la prise de Pont de l'Arche, avait assisté au siège de Montargis. Il fut depuis Amiral de France.

89 Simon Morhier, Français renié, seigneur de Gilles dans le pays chartrain, fut prévôt de Paris, pour le compte des Anglais à dater de 1422. Au siège de Montargis, il fut pris au piège d'une trahison simulée. Il reçoit souvent les montres des  troupes de passage à Paris. Il devient en 1438, trésorier de Normandie (B. de Molandon, op.cit. p.108).

90 de caresme estoit la saison
   Et menoient en l'ost du haren
   Pourqoi fut la cause ou raison
   Qu'ainsi la journee nomma l'en
Martial de Paris, Vigiles de Charles VII.

91 Jehan de Nailhac, chevalier, seigneur du Blanc, de Chateaubrun, grand panetier de France et sénéchal du Limousin. Il mourut avant 1437.

92 Louis de Rochechouart, seigneur de Montpipeau.

93 John Falstolf.

94 Thomas Rampston, chevalier banneret, chambellan du Régent, capitaine d'Argentan.

95 Jamet du Tillay, bailli de Vermandois, capitaine de Blois.

96 Jean de Novelompont, dit de Metz : "A Jehan de Metz, escuier, la somme de cent livres pour le defrayemenl de luy et de aultres gens de la compaignie de la Pucelle nagueres venue par devers le Roy, à cause des frais qu'ilz avoient fait en la ville de Chinon et que il leur convenoit faire ou voiaige qu'ilz avoient l'intention de faire lors, pour servir icelluy seigneur en l'armée par luy ordonnée pour le secours d'Orléans. (Godefroy, Histoire de Charles Vll, p.907.) Il déposa à Vaucouleurs dans le procès de réhabilitation.

97 Bertrand de Poulengy, gentilhomme champenois, écuyer du roi, fut interrogé à Toul pour le procès de réhabilitation.

98 Son confesseur étant Jehan Pasquerel, religieux augustin de la maison de Tours, homme recommandable par sa piété et ses lumières.

99 Ce fut pendant son séjour à Blois que Jeanne fit faire et peindre par Poulnoir, un étandard qui fut béni par l'archevêque de Reims, dans l'église Saint-Sauveur. "Cet étendard, comme ceux des généraux d'armée au XV° siècle, était une très longue pièce d'étoffe coupée en triangle ou en flamme, et cloué par sa base au bois d'une lance. Il était de toile blanche ou boucassin (fine toile de lin), semé de fleurs de lis d'or et frangé de soie. Le monde, c'est à dire Dieu tenant le monde, y était figuré assis sur l'arc en ciel, les pieds sur les nuées, devant lui deux anges agenouillés, l'un desquels présentait une fleur de lis, l'autre se tenait en prière ; à côté, les mots JHESUS MARIA" (le 426° anniversaire de la délivrance d'Orléans, par M.Mantellier, Orléans, 1833, p.119) Jeanne avait, en outre, une bannière représentant le Christ en croix.
La ville d'Orléans avait, de toute ancienneté, une bannière qui était en boucassin de couleur sandal (rouge) avec frange. (Vergnaud, Ancienne bannière de la ville, dans les Mémoires de la Société d'agriculture, sciences, etc...2° série, t.XIV, p.25)

100 Jean d'Aulon, gentilhomme de Comminges, écuyer et maitre d'hôtel de la Pucelle, se trouvait à Chinon lorsque Jeanne y arriva. Il ne la quitta plus. Il déposa dans le procès, le 28 mai 1456, à Lyon.

101 Louis de Coutes, page de Jeanne d'Arc, dit Imerguet. Mantellier le dit beau-frère de Jean de Beauharnoys, bourgeois d'Orléans.

102 Regnault de Chartres, archevêque de Reims et chancelier de France, sortit d'Orléans le 18 février sans qu'on trouve l'indication de son entrée dans la ville. Il reçut l'évéché d'Orléans en commende le 17 mars 1439 et mourut à Tours en 1444.

103 Jean de Saint-Michel ou Kirkmichael, d'origine écossaise, chanoine de Bourges et d'Orléans, docteur en l'un et l'autre droit, succéda, comme évêque d'Orléans, à Gui de Prunemé, et fut préconisé par Martin V, le 8 avril 1426. Au lieu de soutenir par sa présence et ses exhortations le courage des habitants, il préféra suivre la cour en grand seigneur, d'où il ne revint qu'en 1430, pour instituer des supplications publiques et assister à la solennelle procession du 8 mai. Il mourut vraisemblablement en 1438.
  On lit, dans les Comptes de commune 1428-1429 (16e mandement) : "A Raoulet de Harecourt, pour despence faicte par lui et Jehan Mahy, ung varlet en leur compaignie, à aler à Jargueau querir Monsr l'evesque d'Orliens pour estre à la dicte procession, pour louaige des chevauls et sallaire de varlet, pour tout, LXVIII s. p."

104 Philippe, dit le Bon, fils de Jean sans Peur, duc de Bourgogne, et de Marguerite de Bavière, mourut en 1467.

105 Jean de Luxembourg était neveu de Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, cardinal et archevêque de Rouen. Jean faisait partie du grand Conseil ou Conseil de la Régence, séant ordinairement à Paris et embrassant dans ses attributions l'ensemble des affaires et surtout les plus importantes.

106 Charles, duc d'Orléans, fils de Louis d'Orléans et de Valentine de Visconti, avait été fait prisonnier à la bataille d'Azincourt et ne recouvra sa liberté qu'en 1440. Il mourut à Amboise en 1465, laissant pour fils unique le duc d'Orléans qui fut, depuis, Louis XII.

107 L'Hôtel-Dieu était attenant à la cathédrale, sur la Place Pothier. De la porte Parisie, il n'est resté que le nom donné à la rue Parisis. Le maître de l'Aumône était celui qui dirigeait l'établissement ; il se nommait Jean Godefroy, d'après l'abbé Bellu (Archives de la Charité, p.198)

108 Cette porte se trouvait non loin du cloître St Etienne.

109 La bastille St Loup avait été construite sur les ruines de l'église et du monastère St Loup et, située sur le haut du coteau, elle  présentait une excellente position militaire. En outre, faisant face au port Saint Loup, qui se trouvait vis à vis sur la rive gauche, elle permettait de tirer sur les bateaux qu'on y chargeait.

110 La Borde aux Mignons est une maison située dans la paroisse Saint Marc, à l'ouest du Bourg-Neuf et tout près du chemin de la Croix-Fleury.

111 Le boulevart de la Grange de Cuiveret était construit sur le pavé de la porte Saint Jean, un peu plus près de la ville que le chemin qui va gagner le faubourg Madelaine et Ingé. Cette grange appartenait  probablement à un boulanger nommé Quiévret, dont il est parlé dans les comptes de forteresse de 1428-1430. Ce boulevart était aussi appelé des Douze-Pierres, du nom d'un quartier désigné dans un Compte de forteresse de 1443.

112 A l'embranchement des deux chemins conduisant l'un à la Madeleine et l'autre à Saint Jean. Un clos compris entre ces chemins appartenait à un nommé Morin qui lui a donné son nom, ainsi qu'à la croix qui était à l'extrémité. Le nécrologue de Sainte Croix dit : "Vineæ sancti Laurentii in clauso Morini ".

113 Le colombier Turpin, à un jet de pierre de la porte Bannier, était à l'entrée de la rue actuelle du Colombier. On distinguait aussi le champ Turpin, situé à l'endroit où la rue du Colombier rejoignait la rue Porte-Saint-Jean.

114 Le Pressoir ars, que les Anglais nommèrent boulevart de Rouen, était situé dans la rue de la Mare-aux-Solognots et sur l'emplacement de l'ancien boulevart allant de la porte Bannier actuelle à celle de Saint Jean. Voici quelle était de ce côté, la ligne de défense : Saint-Laurent, la Croix-Boissée, la Grange-Cuiveret, le Pressoir ars et la bastille entre Saint Pouair et Saint Ladre, à laquelle les Anglais donnèrent le nom de Paris ; cette dernière était dans le faubourg Bannier actuel, à égale distance de Saint Paterne et des Chartreux.

115 Le quartier de l'Orbette, dans le faubourg Bourgogne.

116 Capitaine breton.

117 Florent d'Illiers, d'une famille qui a pris son nom de cette petite ville, capitaine de Châteaudun, assista au siège de Montargis et se signala dans maintes batailles, et mourut en 1461. Un de ses descendants fut le chevalier sieur de Radrets, commissaire nommé en 1485 pour faire le plan de la nouvelle enceinte d'Orléans et une rue de la ville porte son nom.

118 Sur le séjour de la Pucelle à Chécy, voiries travaux publiés par H. Boucher de Molandon dans le Bulletin de la Société archéologique de l'Orléanais, t.IV, p.427 et t.IX, p.73.

119 Gilles de Laval, sire de Retz, conseiller et chambellan du roi, maréchal de France.

120 Ambroise de Loré, chevalier manceau.

121 Jacques Boucher, trésorier du duc d'Orléans. (Voir Jacques Boucher, sieur de Guilleville, sa famille, son monument funéraire, son hôtel, dans les Mémoires de la Société archéologique, t.XXII, p.373)

122 Deux de ses frère, Jean et Pierre. Jean, prévôt de Vaucouleurs, mourut en 1460 ; Pierre fait chevalier par lettres du 28 juillet 1443, s'établit dans l'Orléanais. (Cf. Maison de Pierre d'Arc, dans les Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais t.XV, p.501, et Famille de Jeanne d'Arc dans l'Orléanais, Ibid., t. XVII, p.1.)

123 L'église cathédrale d'Orléans est dédiée à la sainte Croix, et la fête patronale est fixée au 3 mai, jour de l'Invention de la Croix. La Pucelle assistait aux premières vêpres de la solennité. Il y eut une procession où l'on porta la Vraie Croix. (Ayroles)

124 Capitaine breton.

125 Le baron de Coulonces, seigneur normand, se nommait Jean de La Haye. Fils d'un chevalier du même nom, qui périt, en 1426, à Pontorson, il fat fait lai-même chevalier à Patay.

126 Cf. le récit de Guillaume Girault.

127 Thibaut d'Armignac, dit de Termes, écuyer d'écurie du roi, bailli de Chartres.

128 Canéde, sir Hugues de Kennedy, capitaine écossais au service du roi de France, « ... pour vi pintes et choppine de vin présentées à Canède le VIe jour de may derrenier passé, vi s. vi d. p. » (Comptes de commune 1428-1430, 14e mand., id., 16e mand.)

129 Nicole de Giresmes, chevalier, commandeur de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem.

130 Le seigneur de Moulins, Guillaume de Molins; le seigneur de Pommins, Richart Ponyngs.

131 Le bailli de Mantes était Thomas Giffart.

132 Taudis : constructions.

133 Dans ses interrogatoires, la Pucelle avoue cent blessés.

134 Le texte de Quicherat porte personnes, ainsi que l'édition de 1576, mais on lit prisonniers dans le manuscrit.

135 Erreur, elle rentra en ville.

136 Huitième et non septième comme porté dans les manuscrits.

137 Quicherat observe justement que la leçon véritable est « fille de Dieu », et que la scène se passait à Loches.

138 Tudual de Kermoisan périt en 1450 au siège de Cherbourg.

139 Deux bourgeois d'Orléans, Jehan Leclère et François Jehan, furent désignés pour accompagner la Pucelle. On conduisit à Jargeau la bombarbe Bergère, le canon Montargis et la grosse bombarde sous les ordres des canonniers Mégret et Jehan Boillève.

140 Calotte de fer qui se mettait sous le casque.

141 Caillou, pierre très dure.

142 S'émietta, tomba en miettes, de mie, petite parcelle.

143 Exhorta.

144 Écuyer d'Auvergne.

145 S'éleva.

146 André de Laval, sire de Lohéac, frère de Gille de Laval, amiral et maréchal de France, mourut en 1486 sans postérité, âgé de 75 ans.

147 Guy III de Chauvigny, baron de Chateauroux, vicomte de Brosse avec Dun-le Pulteau, en Berry, mourut en 1482.

148 Jean Ier de Vendôme, époux de Catherine de Thouars.

149 Pierre de faix, pierre qu'on jetait par le moyen des balistes ou des mangonneaux, de la grosseur d'un fardeau (Glossaire de LACURNE).

150 Beau-frère.

151 Vendredi 17

152 Tous les manuscrits ont un blanc ; les mots entre crochets ont été suppléés.

153 Voir dans l'Appendice le récit de la bataille de Patay.

154 Robert, comte de Hungerford, chevalier bachelier.

155 Antoine, seigneur de Busançois, de Montpoupon, grand queux du roi.

156 Robert de Sarrebrück.

157 Fin de la mise en Français plus moderne par le J-B-J Ayroles qui constate que la suite du récit du journal du siège n'offre rien de supplémentaire par rapport à la chronique de la Pucelle.

158 Dans l'actuel département de Seine & Marne.

159 Hérétiques.

160 Montépilloy, arrondissement de Senlis.

161 Charles de Poitiers II, seigneur de Clevieu et de Chalençon.

162 Bombe à feu, moin puissante et plus longue que la bombarde et se chargeant par la culasse.

Accueil