Son histoire
par Henri Wallon

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La chronique de la Pucelle
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enys Godefroy fut le premier qui, dans la Collection des historiens de Charles VII, imprima en 1661 la Chronique connue depuis lors sous le nom de Chronique de la Pucelle. Il n'en disait pas l'auteur. Réputée une des meilleures sources de l'histoire de l'héroïne, elle a été largement mise à profit par les historiens subséquents.

  Quicherat crut devoir en rabaisser la valeur. D'après lui, c'était une compilation faite avec le Journal du siège d'Orléans, la Chronique de Jean Chartier, et une autre Chronique peu connue, portant ce long titre : Geste des nobles François, descendus de la royalle lignée du noble roy Priant de Troye jusques au noble Charles fils du roy Charles, le sixyesme, qui tant fut aimé des nobles et tous autres. Elle renfermait, d'après lui, des marques d'emprunts faits aux dépositions de Dunois et du duc d'Alençon, lors du procès de la réhabilitation ; ce qui prouvait que l'écrit avait été composé après 1456.

  Vallet de Viriville combattit ce sentiment dans un long mémoire, dont la lecture occupa durant six séances l'Académie des inscriptions et belles lettres. L'auteur l'a imprimé dans la suite, en tête de son édition de la Chronique de la Pucelle et de la Chronique normande du notaire Pierre Cochon. C'est une œuvre de longues, de minutieuses, de patientes recherches, de grande sagacité paléographique, par laquelle le professeur de l'École des chartes a bien mérité des amis de la Pucelle, heureux de l'applaudir, s'il ne les avait pas contristés par les creuses et extravagantes divagations que, pour expliquer la céleste envoyée, il a imaginées dans son Histoire de Charles VII. Il fait justement observer qu'entre la Chronique et les dépositions entendues pour la réhabilitation, l'on ne trouve d'autres similitudes que celles qui doivent exister entre des témoins véridiques déposant sur un même fait. Quant au Journal du siège, et à la Chronique de Jean Chartier, ces oeuvres sont postérieures, et dans les endroits où elles ne copient pas, elles abrègent. Il est incontestable que la Chronique de la Pucelle puise dans la Geste des nobles ; les passages sont parfois identiques; mais la Geste des nobles était un bien de famille pour l'auteur de la Chronique de la Pucelle. Le critique, en effet, établit, d'une manière fort remarquable, par une suite d'observations qu'il serait trop long de rapporter, mais qui semblent probantes, d'abord que l'auteur de la Geste est Guillaume Cousinot, chancelier du duc d'Orléans, et, en second lieu, que l'auteur de la Chronique est un autre Guillaume Cousinot, seigneur de Montreuil, neveu du précédent. Vallet ne le faisait que le neveu; M. Boucher de Molandon a établi, dans un travail postérieur, que Cousinot de Montreuil était plus que le neveu, que c'était le fils du chancelier. Le père et le fils furent des personnages importants et fort remarquables à leur époque. Guillaume Cousinot I était, au commencement du xve siècle, un avocat distingué du parlement de Paris. En 1408 il fut choisi par Valentine de Milan afin de défendre et de venger la mémoire du duc d'Orléans, son époux, que l'assassin Jean sans Peur faisait si cruellement outrager. Cousinot répondit si bien à la confiance qui lui était témoignée, qu'il devint dès lors le conseiller préféré de la maison d'Orléans, honneur qu'il dut payer de la confiscation de ses biens, aux jours de triomphe de Jean sans Peur. Charles d'Orléans, quelques mois avant d'être le prisonnier d'Azincourt, fit de Cousinot son chancelier; c'était lui confier l'administration de son duché, toutes les affaires, surtout durant l'interminable captivité, devant passer par les mains de ce premier représentant du pouvoir dans la seigneurie. Charles VII, en dédommagement des confiscations subies comme Armagnac, donna à Cousinot des biens confisqués sur des Bourguignons, soit en Beauce, soit à Orléans même, où il reçut en don l'hôtel du Grand-Saint-Martin, situé dans la rue de la Clouterie. Il l'habitait lors de la délivrance de la ville. Cousinot conserva jusqu'à sa mort le titre de chancelier, mais, dès 1439, l'âge l'empêchant d'en remplir la charge, il en avait résigné les fonctions. Pour honorer sa vieillesse, Charles VII l'avait nommé président à mortier au parlement, quoique son grand âge l'empêchât de s'y rendre. On sait qu'il vivait en 1442, mais on ne connaît pas la date de sa mort.

  Le chancelier Cousinot avait un fils qui portait le même prénom de Guillaume. Une pièce, en date du 6 juin 1431, découverte par M. Doinel, archiviste du Loiret, l'établit d'une manière indubitable, puisque le chancelier donne à son fils Guillaume Cousinot, étudiant à l'Université d'Orléans, pour l'aider à soutenir son état, ses biens situés en Beauce, à lui donnés par le roi à la suite de confiscations sur les Bourguignons. Ce fils est bien celui que Vallet donne comme le neveu. C'est établi par une seconde pièce, en date du 1er août 1443, due aussi aux recherches de M. Doinel; par un acte de vente de l'hôtel du Grand-Saint-Martin. Cette vente est faite par Guillaume Cousinot, qui n'est pas dit seulement licencié ès lois, mais encore conseiller et maître des requêtes de l'hôtel du roi et président du Dauphiné, titres que, d'après Vallet de Viriville, portait, dès 1442, celui qu'il donne comme l'auteur de la Chronique de la Pucelle. Guillaume Cousinot II, ou Cousinot de Montreuil, de la seigneurie de Montreuil près de Vincennes, dont il fit l'acquisition et prit le nom, eut une carrière encore plus brillante que celle de son père. Administrateur, diplomate, homme d'épée, Montreuil fut surtout un des conseillers préférés de Charles VII et de Louis XI, qui voulurent l'avoir auprès de leur personne, alors même qu'ils lui confiaient des charges aussi importantes que celle de bailli de Rouen. Ils le faisaient suppléer et ne lui permettaient que de courtes absences. Pris par les Anglais à la suite d'une ambassade en Écosse, Charles VII imposa la Normandie afin de payer la rançon du conseiller préféré. Cousinot vit les premières années de Charles VIII, assista aux états généraux de Tours en 1484 3. Tels sont les deux auteurs auxquels est due la Chronique dite de la Pucelle, quoique aucun des deux n'ait songé à lui donner pareil titre. Il eût été inexact, l'oeuvre maintenant connue sous ce nom n'étant qu'un extrait de deux autres plus étendues.

  La Geste des nobles, l'oeuvre de Cousinot père, part, comme le titre même le dit, des origines fabuleuses de la France. Jusqu'à l'époque où l'auteur a été presque contemporain des événements, c'est un abrégé sans valeur historique des Chroniques de Saint-Denis. A partir du règne du roi Jean (1450), dit Vallet de Viriville que nous ne faisons que résumer, le récit prend une ampleur toujours croissante. Il s'étend surtout lorsqu'il arrive à la Pucelle, qu'il suit jusqu'à Troyes. Il s'interrompt soudainement à ce point, sans même mentionner le sacre, interruption dont on ne peut donner aucune raison suffisante. Le chancelier d'ailleurs se contente de noter les évènements, surtout ceux qui regardent la maison d'Orléans, et le parti Armagnac, auquel il appartient manifestement, La Chronique de Cousinot fils ne part pas de Priam ou du roi Francon; elle n'embrasse que les premières années de Charles VII. C'est indiqué par les premières lignes, ainsi conçues : S'ensuivent les gestes et aucunes choses advenues du temps du très chrestien et très noble roy Charles septiesme de ce nom, qui eut le royaume après le trespas de feu son père Charles sixiesme, lequel trespassa l'an mil quatre cens vingtdeux, le vingt et uniesme jour d'octobre. Jusqu'où Cousinot de Montreuil a-t-il conduit son oeuvre, ou tout au moins se proposait-il de la conduire? On l'ignore. Ce que l'on possède commence à l'avènement de Charles VII, et finit au retour du roi après l'échec contre Paris. Montreuil use du bien paternel comme d'un bien propre, ou plutôt il ne se donne pas même la peine de se l'approprier. Le vice le plus saillant de sa Chronique, c'est de nous offrir souvent deux récits juxtaposés d'un même fait. Après avoir transcrit la Geste, parfois il reprend la narration comme si le fait n'était pas déjà raconté, en y ajoutant des circonstances passées sous silence par son père. Malgré ce défaut de suture qui déroute le lecteur, l'oeuvre de Montreuil est d'un grand intérêt et d'une valeur inappréciable. Le chancelier rédigeait une sorte de diaire, probablement pour la maison d'Orléans. Écrivant à mesure que les événements se déroulaient, il se tait sur les ressorts secrets qui les amènent, s'abstient de blâmer les personnes alors au pouvoir. Son fils écrit l'histoire proprement dite ; il est plus développé, et il ne craint pas de dévoiler les intrigues des favoris qui abusaient de la jeunesse du prince et perdaient la France. M. de Beaucourt, dans son Histoire de Charles VII, juge comme Vallet de Viriville. « Les Chroniques des deux Cousinot, dit-il, ont une grande valeur historique. La partie consacrée à la Pucelle est incontestablement la source la plus importante pour la vierge inspirée. » La lecture et le rapprochement avec les autres Chroniques confirmeront, pensons-nous, les appréciations de ces deux critiques appartenant à des camps opposés.

  Comment expliquer le jugement si contraire de Quicherat ? C'est un des cas où son rationalisme fait fléchir son jugement. Les Cousinot, témoins oculaires des faits, n'hésitent pas à les rapporter tels qu'ils les ont vus, ou tels que les ont vus ceux qui les entourent. Ils sont croyants, ils ne doutent pas que celui qui a établi les lois qui régissent les êtres ne puisse y déroger. Ils racontent des faits patents, alors même qu'ils accusent une de ces dérogations. Le rationalisme est mal à l'aise avec ces historiens. Il doit rabaisser leur autorité sous peine de se porter un coup mortel. C'est à ce sentiment que Quicherat a obéi, pensons-nous, peut-être d'une manière inconsciente, en jugeant comme il l'a fait la Chronique de la Pucelle.

  Le chancelier Cousinot était l'ami de Jacques Boucher. Or la Pucelle, pendant les jours passés à Orléans pour la délivrance, était logée chez Jacques Boucher. Le maître des requêtes, bien notable homme, dont parle la Chronique, en nous montrant Jeanne à Poitiers, était-il Cousinot fils ? Plusieurs le pensent, et citent d'autres exemples d'écrivains de l'époque, qui, à l'abri de l'anonyme, rendaient de semblables témoignages à leurs mérites. Cousinot fils, qui assurément fut maître des requêtes, l'était-il en mars 1429 ? Cela n'est pas impossible, quoiqu'il fût, l'année suivante, étudiant à l'Université d'Orléans. Les études de droit se prolongeaient alors durant de nombreuses années, et ne semblent pas inconciliables avec le titre de maître des requêtes ; mais, dans ce cas, si Cousinot parle de lui-même, on ne peut nier qu'en se qualifiant de bien notable homme, il escomptait l'avenir; en 1429, il était trop jeune pour être bien notable homme. Peut-être était-il déjà en possession de la renommée lorsqu'il rédigeait sa Chronique; ce que, d'après Vallet de Viriville, il aurait fait de 1439 à 1450.
  Parlant de l'escalade des Tourelles, Montreuil écrit : « Si nous dirent et affirmèrent les plus grands capitaines françois que... ils montèrent contremont aussi aisément comme par un degré ». On en conclut qu'il n'était pas à Orléans lors de la prise des Tourelles. Cela peut être ; mais la démonstration paraît faible. Il aurait pu être à Orléans, combattre même sur la rive droite, sans avoir été présent à l'assaut qui se donnait sur la rive gauche ; et par suite ne savoir que par le récit des capitaines ce qui s'y était passé.

  La Bibliothèque nationale possède deux manuscrits de la Geste des nobles, cotés nos 9656 et 10297, fds. français; il en existe un troisième au Vatican, fonds de la reine Christine, n° 897. Vallet a édité la Geste à partir du règne de Charles VII. On trouvera aux Pièces justificatives les passages qui ont trait à la Pucelle. En les rapprochant de la Chronique de Montreuil, il sera facile de voir ce que le fils a ajouté à l'oeuvre du père, et sa manière de procéder.
  L'on ne possède pas les manuscrits sur lesquels travailla Godefroy; mais seulement l'exemplaire qu'il prépara pour l'édition. Il est à la bibliothèque de l'Institut. C'est l'oeuvre d'un très habile calligraphe. Godefroy y fit de nombreuses ratures, peut être à raison des variantes qu'il trouvait dans différentes copies, peut-être pour rajeunir le style, ou pour d'autres motifs. Auguste Vallet a poussé le zèle jusqu'à lire sous les ratures l'expression première, et c'est celle qu'il nous dit avoir adoptée.

  La Geste est divisée en chapitres très courts ayant chacun leurs titres particuliers ; il n'y a pas de divisions dans le texte de Godefroy. Auguste Vallet en a introduit, en cherchant à imiter le style de la Geste. Pour faciliter le rapprochement avec les autres Chroniques, nous avons à notre tour introduit des divisions plus générales, correspondant aux diverses étapes de la carrière de l'héroïne (1) (2) .

                       

Chapitres :

chap.1- Le trespassement de Charles de France
chap.2- Affaire de la Richebaron
chap.3- Tentative sur Fresnay. Hostilités en Picardie et dans le Maine
chap.4- Bataille à Cravent
chap.5- Bataille près de la Gravelle
chap.6- Le Mont St-Michel assiégé - Défaite des Anglais - Naissance de...
chap.7- Bataille à la Buissière en Mâconnois
chap.8- La venue du comte de Douglas, duc de Touraine
chap.9- Siège à Yvry
chap.10- Bataille à Verneuil
chap.11- Prise de Tannie par Falstaf
chap.12- Le comte de Salisbury s'empare du Mans, de Ste Suzanne...
chap.13- Mutation de conseillers
chap.14- Prise de la Ferté-Bernard par le conte de Salibury
chap.15- Du conte de Richemont rendu François
chap.16- Bataille sous Avranches
chap.17- Démélés entre les héritiers d'Armagnac
chap.18- Du duc de Bretagne et de sa venue à Saumur
chap.19- Du Sire de Giac et du Camus de Beaulieu - Du Sire de La Trémoille...
chap.20- Siège à Saint-Jame de Beuvron
chap.21- Descente et défaite de Fitz Walter en Hainaut
chap.22- Hostilités dans l'Anjou et le Maine
chap.23- Bataille à Montargis
chap.24- Du Camus de Beaulieu occis
chap.25- Défaite des Anglois près Ambrières. Prise de plusieurs places...
chap.26- Le Duc d'Alençon délivré ; sa rançon. Le Lude pris d'assaut par...
chap.27- Recouvrement et perte du Mans
chap.28- Siège et prise de Pontorson et de Laval par les Anglois
chap.29- Tournay recouvré par la France - Jacques de Harcourt tué...
chap.30- Comment le comte de Salceberic retourna en France
chap.31- Prinse du Puisat ; reddicion de Thory - Prinse d'Yenville
chap.32- Reddicion de Mehung sur Loire
chap.33- Pillerie de l'église de Cléry - Comment le comte de Salceberic...
chap.34- Siège à Baugency - Perte de Merchesnoir. Reddicion de la Ferté...
chap.35- La venue de La Poule au porteau d'Orléans - Siège mis devant...
chap.36- De l'assaut du boulevart d'Orléans
chap.37- Prinse des Tournelles
chap.38- La mort du comte de Salceberic devant Orléans
chap.39- Siège et bastides fermez devant Orléans du costé par devers...
chap.40- Bataille à Rouvray Saint-Denis en Beausse
chap.41- De l'ambassade du Duc de Bourgoingne et de Messire Jean de...
chap.42- De la Pucelle venue par devers le Roy et des merveilles d'elle
chap.43- Suite de la venue de la Pucelle
chap.44- Lettre écrite par la Pucelle aux Anglois
chap.45- Puissance venue à Orléans
chap.46- Prise de la bastide de Saint-Loup
chap.47- La prinse de la bastide des Augustins
chap.48- Recouvrement des Tournelles d'Orléans et la mort de Glacidas
chap.49- Siège levé de devant Orléans
chap.50- La Pucelle retourne en Touraine auprès du Roi
chap.51- La prinse du pont de Mehung sur Loire
chap.52- Comment François recouvrèrent le pont de Mehung sur Loire et...
chap.53- Comment Mehung fut recouvré par la fuite des seigneurs de...
chap.54- Des traystres Bourguignons de Marchesnois qui promistrent...
chap.55- Du recouvrement de Bonny sur Loire
chap.56- La Trimouille intrigue contre le connétable de Richemont
chap.57- Du siège mis par le Roy devant Troyes - Jeanne mandée au...
chap.58- La Pucelle entraîne le Roy à Reims - Châlons se rend - Sacre
chap.59- Le Roy touche les écrouelles à Saint-Marcoul - Il se dirige par...
chap.60- Le duc de Bedford rejoint le Roy vers Mitry - Beauvais se rend...
chap.61- Le Roy se rend à Compiègne, puis se dirige vers Paris - ...
chap.62- Ambroise de Loré s'enferme dans Saint-Célerin - Le Roy...
chap.63- Laval est pris par les Angloys - Le comte de Clermont...


                                         

'ensuivent les Gestes et aucunes choses advenues du temps du très chrestien et très noble roy Charles VII° de ce nom qui eut le royaume après le trespas de feu son père Charles VI qui trespassa l'an mil quatre cent vingt deux, le vingt et uniesme jour d'octobre (3). Au quel temps les choses estoient au royaume de France en petit estat et y eut de divers exploits et de grands divisions partout.

  La mort de Charles VI


                                         

l y avoit en Auvergne un  grand seigneur terrien, nommé le seigneur de la Rochebaron, qui possédoit plusieurs belles terres et seigneuries, et tenoit le party du duc de Bourgongne et par conséquent du roy d'Angleterre, lequel eut en sa compaignée un Savoisien nommé le seigneur de Salenove, et se misrent sus accompagnez de bien huict cent hommes d'armes et les archers ; et tenoient les champs et faisoient beaucoup de maux et endommogeoient le pays en diverses manières. La chose vint à la cognoissance du conte de Perdriac, fils du feu conte d'Armagnac, du mareschal de France, nommé la Fayète et du seigneur de Groslée, séneschal de Lyon et bailly de Mascon, lesquels assemblèrent gens le plus diligemment qu'ils peurent et se mirent sur les champs en intention de rencontrer lesdits de Rochebaron et de Salenove : Et de faict les trouvèrent et cuidèrent frapper sur eux, mais ils n'attendirent pas et s'enfuirent très laschement et déshonnestement et se retirèrent en une place nommée Bousos.
  Tout au plus près d'icelle place avoit un moulin auquel un arbalestrier mit le feu, et fut si fort et véhément qu'il entra en la ville, dont on ne se donnoit de garde ; tellement que les Bourguignons et Savoisiens en furent surpris, et les capitaines trouvèrent moyen d'eulx sauver et sen allèrent. Aucuns de leurs gens se vinrent rendre prisonniers et les autres furent tuez et après ce lesdits seigneurs de Perdriac, le mareschal et Groslée, allèrent devant la place de Rochebaron et fut prinse avec toutes les autres de ce seigneur : et ceux de leurs gens qui s'en peurent fuir furent tuez en montagnes en divers lieux par les gens du plat pays que on nommoit Brigans ; et tout ce pays fut lors réduit en l'obéissance du roy.
  Le vicomte de Narbonne et le seigneur de Torsay (4) mirent le siège à Cosne ; mais les ducs de Betfort et de Bourgongne assemblèrent gens pour venir en lever le siège, et s'en allèrent en Guyenne à une cité vers Bordeaux, nommée Basas, devant laquelle les Anglois mirent le siège ; et finalement lesdits seigneurs François prirent composition de eulx rendre, au cas que dedans certain temps les François ne se trouveroient plus forts que les Anglois. Si estoient lors en Languedoc les comtes de Foix, d'Armignac et autres ; et pour le gouvernement des finances estoit Maistre Guillaume de Champeaux, évesque de Laon, qui fist toute la diligence d'assembler gens pour aller devant la place, et fist tant qu'il y eut assez belle compaignée. Et estoit un des principaux chefs de guerre des Anglois un nommé Beauchamp. Le dit évesque de Laon avoit mandé ou prié au seigneur de Laigle vicomte de Limoges, qu'il voulust envoyer des gens ; lequel avoit en sa compaignée un chevalier nommé Messire Louys Juvénal des Ursins, fils du seigneur de Traignel, lequel faisoit souvent courses sur les Anglois au pays de Guyenne, et le dit Beauchamp Anglois le congnoissoit bien : donques ledit seigneur de Laigle envoya ledict Juvenal des Ursins, atout vingt lances et des arbalestriers devers ledit évesque de Laon ; il arriva environ minuit en l'ost des François dont plusieurs fisrent grand bruit, cuidans qu'il eust amené plus grande compaignée.
  François se disposèrent le matin de combatre, si mestier estoit ; et Beauchamp sceut la venue dudit Juvénal des Ursins et luy envoya requérir que s'il y avoit besongne, qu'il advisast comme ils se peussent rencontrer, car autresfois ils avoient rompu lances ensemble, et que, s'il le prenoit, il luy feroit bonne compaignée : Le dit Juvénal des Ursins et aucuns seigneurs du pays furent ordonnez le matin pour aller voir le maintien des Anglois ; et veirent que les Anglois estoient quatre fois plus que les François et estoient en place advantaigeuse, ayans mis paulx devant eulx et qu'il n'y avoit quelque apparence qu'on les deust combatre, et qu'il valoit mieux laisser perdre la place que mettre la compaignée en adventure ; et ainsi fut fait.


                                         

nviron ce temps, Messire Jean du Bellay et Messire Ambroise de Loré fisrent une assemblée pour cuider aller recouvrer Fresnay et vinrent courir devant. Mais les Anglois ne saillirent aucunement et ils s'en retournèrent repaistre à Sillé-le-Guillaume et de là se partit le dit de Loré pour s'en retourner à Sainte-Suzanne et ledict du Bellay au Mans, qui avoit environ deux cents chevaux. Guillaume Kyriel Anglois estoit pour lors sur les champs accompaigné de quatre vingts Anglois ; lesquels se misrent à pied à l'encontre d'une haye et les François vinrent à cheval frapper vaillamment sur lesdits Anglois qui avoient fort traict : finalement les François furent desconfits et y en eut plusieurs tuez et prins.

  En ce temps, le duc de Bourgongne estoit sur les champs et aussi estoient les François ; ils se rencontrèrent et il y eust bien dure et aspre besongne et plusieurs ruez par terre et navrez d'un costé et d'autre. Le duc de Bourgongne s'y comporta vaillamment, et à la fin les François furent desconfits et y en eut de morts et de prins nonobstant que les Bourguignons y eurent grand dommaige. Le seigneur de Gamaches et Messire Amaury de Sainct-Léger, tenans le party du roy, trouvèrent vers la Blanque-Taque en Picardie plusieurs Bourguignons ; si frappèrent sus et les ennemis se misrent fort en deffense ; mais finalement iceux Bourguignons furent desconfits et y eut plusieurs de tuez et de prins.

  Au pays du Maine environ Neufville-Lalais le sieur de Fontaines et aucuns Anglois se rencontrèrent ; et après ce qu'ils se furent bien entre-batus ; les Anglois furent desconfistz et y en eut environ huict vingts (5) de tuez et de prins. Pour ledit temps, le comte de Boucan Escossois estoit connestable de France.


                                         

'an mil quatre cent et vingt trois, la ville de Cravent se tenoit pour le roy de France et y avoit dedans des compaignons de guerre, vaillantes gens qui couroient tout le pays tenant le party du roy d'Angleterre et de Bourgongne. Et pour ce les comtes de Salisbery et de Sufolc vinrent mettre le siège devant la dite place et avec eulx le mareschal de Bourgongne. Et estoient foison de gens de guerre, garnis de tous habillemens qui faisoient toute diligence d'avoir la ville ; et ceux de dedans se defendoient fort ; et pour lever le siege furent assemblez gens de guerre du party du roy, pour essayer si on pourroit lever le siège et en furent chefs le sieur (6) de Séverac mareschal de France et le connestable d'Ecosse, bien vaillant chevalier et estoient grand foison de bonnes gens. Y estoient aussi le comte de Ventadour, les seigneurs du Bellay, de Fontaines, de Gamaches et autres ; lesquels vinrent jusques au siège ; la venue desquels fut sceue des Anglois et Bourguignons qui en estoient advertis.
  Si se misrent en ordonnance et le connestable d'Escosse descendit à pied et avec luy plusieurs vaillans François et Escossois, cuidans que Séverac et les autres deussent ainsi faire, ou au moins frapper à cheval sur les ennemis. Il y eut fort combatu et finalement les François et Escossois furent desconfits et y en eut plusieurs de tuez et de prins jusques au nombre de deux à trois mille (7), qui fut grant dommaige pour le, roy de France. Il y eut des Anglois et Bourguignons tuez mais non mie grand foison. Des François fut prins le connestable d'Escosse, Ventadour, Bellay et Gamaches ; de tuez, le seigneur de Fontaines, Messire Thomas Stonhameton. Le mareschal de Séverac, Messire Robert de Laire et autres s'enfuirent très déshonnestement qui fut un grand dommaige pour le roy de France ; et s'ils eussent arresté et fait leur devoir, la chose, comme il est vray semblable, eus esté autrement. Le roy avoit envoyé au pays de Champagne, au pays de Retel et ès Marches voisines, pour y faire guerre et faisoient ce que gens de guerre ont accoustumé de faire : Et au contraire s'assemblèrent le comte de Salisbery, Messire Jean de Luxembourg et foison de gens de guerre avec eux. Et quand les François apperceurent qu'ils n'estoient pas gens pour résister a si grand puissance, ils passèrent la rivière de Meuse et se retirèrent à Mouson, qui est une ville hors du royaume, appartenant au roy.


                                         

n iceluy temps, un chevalier d'Angleterre, nommé la Poule (8), de grand sens et lignage, et vaillant chevalier ; partit du pays de Normandie avec bien deux mille et cinq cens combattans Anglois, et s'en vint courre au pays d'Anjou et se logea au dit pays devant un chastel nommé Segré. Laquelle chose vint à la congnoissance de Messire Ambroise de Loré, lequel très diligemment envoya et fit hastivement sçavoir au comte d'Aumale, qui estoit à Tours, et assembloit gens pour une entreprinse qu'il avoit au pays de Normandie, laquelle le dit seigneur de Loré sçavoit bien.

  Comme le dit de la Poule estoit au dict pays d' Anjou, le dit comte d'Aumale estoit lieutenant du roy, et aussitost qu'il eut receu les lettres du dict de Loré, il s'en vint très hastivement en la ville de Laval, et manda gens de toutes parts qu'ils se rendissent à luy, lesquels le fisrent très volontiers ; et le dit seigneur de Fontaines y alla. Et là vint un chevalier, nommé Messire Jean de la Haye, baron de Coulonces, qui y amena une belle et gente compaignée de guerre ; lequel estoit pour lors en l'indignation du dict comte d'Aumale, pour plusieurs désobéissances qu'il luy avoit faictes ou dit pays, et ne vouloit point qu'il fust en sa compaignée. Toutefois le dit de Loré fit tant que pour cette fois il estoit content qu'il y fust, mais que il ne le veist point, et qu'il ne se monstrast devant luy ; si estoit-il très vaillant chevalier. Et le lendemain bien matin se partit le dict comte d'Aumale et sa compaignée, qui estoit un jour de samedy pour soy aller mettre entre le pays de Normandie et les dicts Anglois, en un lieu qu'on disoit qu'ils devoient passer, pour eulx en retourner et entrer au dit pays de Normandie, et furent choisis plusieurs gens de guerre, des plus suffisans et cognoissans à ce, pour les chevaucher, et furent chargez de par le dit comte de lui faire sçavoir toutes nouvelles d'iceux Anglois. Ils trouvèrent qu'ils estoient partis du dit chastel de Segré et s'en venoient par devant un autre chasteau nommé La Gravelle et amenoient avec eux les hostages du dict chastel de Segré, et plusieurs, et plus de mille à douze cens bœufs et vaches.
  Et s'en vint le dit comte d'Aumale loger en un village nommé le Bourg Neuf de la Forest, et eut certaines nouvelles que les Anglois estoient partis à trois lieues du dit lieu, ou environ, et qu'ils tiroient tout droit pour aller passer en un lieu nommé la Brossinière, à une lieue du dit lieu de Bourneuf. Et alors le dict comte d'Aumale qui estoit sage et vaillant, envoya quérir le bastard d'Alençon, et envoya aussi à Madame de Laval, luy prier qu'elle luy voulust envoyer l'aisné de ses fils, nommé Andry de Laval, lors estant jeune d'âge de douze ans ; laquelle le fit très volontiers, et luy bailla pour l'accompaigner Messire Guy de Laval, seigneur de Mont-Jean, et tous les gens de la seigneurie de Laval, et autres plusieurs ses vassaux et hommes qu'elle peut avoir promptement d'autre part.
  Le dict comte d'Aumale manda pareillement quérir Louis de Tromargon et le sire de Loré, ausquels il dit les nouvelles qui luy estoient venues des dicts Anglois, et leur requist conseil, pour ce qu'il vouloit là conclure ce qu'il avoit à faire ; et y eut de diverses opinions et imaginations, et finalement fut conclu de combatre les dits Anglois s'ils vouloient attendre et que le dit comte avec tous ses gens seroient au dit lieu de la Brossinière le dimanche matin à soleil levant, et que le dit comte d'Aumale se mettroit au dit lieu à pied, avec les seigneurs dessus dits, pour attendre les dits Anglois ; et que le dit de Loré et Louis de Tromargon seroient à cheval, à tout sept ou huit vingt lances, pour besongner sur iceux Anglois, ainsi qu'ils verroient à faire, sans nulle charge : que s'ils avoient affaire d'un autre capitaine, ils le pourroient prendre. Et on disoit cela pour le dit capitaine de Coulonces, qui estoit en l'indignation du dist comte d'Aumale.
  Si se trouvèrent ainsi qu'il avoit esté ordonné et à l'heure, audit lieu de la Brossinière ; et fut la bataille ordonnée à pied, et lesdits de Loré, Tromargon, et Coulonces à cheval ; et l'ordonnance ainsi faite, on veit dedans deux heures après les coureurs des Anglois, qui chassoient aucuns coureurs des François : et lors lesdits capitaines à cheval chargèrent sur lesdits coureurs Anglois, et leur firent tellement l'escarmouche qu'ils les contraignirent de descendre à pied près de leur bataille : et les Anglois venoient en belle ordonnance, marchans contre la bataille du comte d'Aumale, laquelle ils ne pouvoient bonnement voir, pour ce que ceux de cheval estoient tousjours entre deux, et se tenoient tous ensemble se retirans tout bellement avec ledit comte d'Aumale.
  Et quand les batailles dudit comte d'Aumale et du susdit la Poulle Anglois furent près l'une de l'autre, comme d'un traict d'arc, les Anglois marchoient fort et en marchant ils picquoient de gros paulx, qu'ils avoient en grand nombre et portoient avec eux : et lors lesdits trois capitaines et les gens de cheval passèrent par entre les deux batailles, cuidans frapper d'un costé sur lesdits Anglois ; ce qu'ils ne peurent bonnement faire, pour occasion des paulx : et pour ce tout à coup tournèrent sur un costé de la bataille on il n'y avoit aucuns paulx et frappèrent vaillamment sur eux. Ceux de pied marchoient tousjours les uns contre les autres ; et au frapper que firent ceux de cheval, les Anglois se rompirent, et serrèrent ensemble contre un grand fossé, et estoient comme sans aucune ordonnance. Et lors la bataille à pied joignit aux Anglois, et combatirent main à main; il y eut de grandes vaillances d'armes faites.
  Mais lesdits Anglois ne peurent soustenir le faix que leur bailloient les François, et furent desconfits au champ et y en eut de quatorze à quinze cent de tuez qui furent faits enterrer par la dicte dame, obstant ce que la bataille avoit esté en sa terre. Et y estoit présent Alençon le Hérault qui rapporta le nombre des morts : et y en eut de tuez à la chasse de deux à trois cent. Et si y eut plusieurs prisonniers, et entre les autres le susdit seigneur de la Poule, Thomas Aubourg , et Messire Thomas Clisseton (9), et n'en eschappa pas six vingt, que tous ne fussent mors ou prins. (10)
  Et y eut là des chevaliers faits et entre les autres Messire André de Laval, lequel fut depuis seigneur de Lohéac et mareschal de France, et plusieurs autres. Et y eut un chevalier françois tué Messire Jehan le Roux, et peu d'autres. Et de là ledit comte d'Aumale et sa compaignée s'en allèrent loger à la Gravelle. Dudit lieu de la Gravelle ce dit comte d'Aumale print son chemin droit au pays de Normandie et s'en alla devant Avranches, et y laissa le seigneur d'Aussebourg avec certaine quantité de gens d'armes pour sçavoir s'ils pourroient mettre la ville d'Avranches en l'obéissance du roy ; et ledit comte passa outre et s'en vint loger aux fauxbourgs de Sainct Lou en Normandie, et y fut trois ou quatre jours ; et y eut prins plusieurs prisonniers et biens, puis revint par devant la dite ville d'Avranches, laquelle pour lors n'estoit pas bien aysée à avoir; et pour ce s'en retourna luy et toute sa compaignée au pays du Mayne sans faire autre chose.


                                         

n ce temps, les Anglois mirent le siège par mer et par terre devant le Mont Sainct Michel, et sur la mer avoit grand navire et foison de gens de guerre bien armez, habillez et garnis de toutes choses nécessaires ; et environnèrent tellement la dite place, qu'il n'estoit pas possible qu'on la peust avitailler en aucune manière. Et pour secourir icelle ville fut fait une armée à Sainct Malo de l'Isle, de laquelle estoit capitaine un vaillant chevalier nommé le seigneur de Beaufort de Bretaigne qui fut admiral de la dite armée et fit tant qu'il eut du navire compétemment ; et y eut de vaillantes gens tant d'hommes d'armes que de traict, lesquels très volontiers et libéralement se boutérent ès dits navires ; tellement qu'ils furent bien équipez et garnis de tout ce qui leur falloit, et singlèrent par mer tellement, qu'ils vinrent à arriver sur les Anglois, lesquels se deffendirent vaillamment et y eut bien dure et aspre besongne. Et y fut tellement combatu par les François que les Anglois furent desconfits et le siège fut levé ; et y estoit en la compaignie, avec le susdit admiral, le seigneur d'Aussebourg. Quand les Anglois qui estoient à terre sceurent que leur navire estoit parti, ils s'en allèrent.
  Pour ledict temps, les Anglois misrent une bastille à une lieue près dudit Mont Sainct Michel en un lieu nommé Ardevon (11) ; et ceux de la garnison dudit Mont sailloient souvent, et presque tous les jours, pour escarmoucher avec les Anglois, et y faisoit on de belles armes.

  Messire Jean de la Haye, baron de Coulonces, estoit en un chastel du bas Mayne, nommé Mayenne la Juhais, et alloient souvent de ses gens audit Mont Sainct Michel et pareillement de ceux du Mont à Mayenne. Ledit baron sceut la manière des Anglois et fit sçavoir à ceux du Mont qu'ils saillissent un certain jour et livrassent grosse escarmouche au vendredy, et qu'il y seroit sans faute. Et ainsi fut fait : car ledit de Coulonces partit de sa place avant jour accompagné de ceux de sa garnison, en chevauchant de neuf à dix lieues, et puis eux et leurs chevaux repeurent assez légèrement ; et après remontèrent à cheval en eulx venant tout droit vers la place des Anglois.
  Cependant ceux du Mont qui avoient bien espérance que ledit baron de Coulonces viendroit, saillirent pour escarmoucher, et aussi firent les Anglois. Et tousjours François sailloient de leur place , et aussi faisoient Anglois de leur part, tellement que de deux à trois cents reboutèrent les François jusques près du Mont ; et lors environ deux heures après midy arrivèrent ledit baron de Coulonce et sa compagnée, et se mit entre Ardevon et les Anglois, tellement qu'ils n'eussent peu entrer en leur place, sans passer parmy les François que avoit ledit de Coulonces. Finalement ceux du Mont et les autres François chargèrent à coup sur lesdits Anglois, lesquels se deffendirent vaillamment ; mais ils ne peurent résister, et furent desconfits, et y en eut de deux cent à douze vingts (12) de mors et de pris ; et entre les autres y fut pris Messire Nicolas Bordet Anglois. Puis ledit baron de Coulonces et sa compagnée s'en retournèrent joyeux en sa place de Mayenne la Juhais.

  Le quatriesme jour de juillet audit an (13) fut né Louis aisné fils du roy de France et de Madame Marie fille du roy de Sicile. Le duc d'Alençon le tint sur les fons et Maistre Guillaume de Champeaux, evesque et duc de Laon, le baptisa.


                                         

es François faisoient forte guerre en Masconnois et tenoient une place nommée la Bussière, et y eurent aucuns qui se firent fort de mettre le mareschal de Bourgongne, nommé Thoulonjon, vaillant, sage, et discret homme d'armes, dedans la place. Lequel se douta fort qu'il n'y eust quelque mauvaistié et tromperie ; et pour ce s'advisa qu'il y viendroit bien accompagné ; laquelle chose ceux de la place sceurent et mandèrent le séneschal de Lyon, de Grolée, le Borgne Caqueran et le seigneur de Valpargue, qui avoient plusieurs Lombards en leur compagnée ; et firent tant qu'ils trouvèrent ledit mareschal de Bourgongne et ses gens. Si frappèrent sur eux qui firent petite résistance, car les François estoient plus, et si estoient les Lombards bien montez et armez ; il y en eut plusieurs de tuez et de prins et entre les autres y fut tué ledit mareschal de Bourgongne, et pour luy fut délivré le connestable d'Escosse.


                                         

' an mil quatre cent vingt quatre (14), l'archevesque de Rheims (15), lequel estoit allé en Escosse, pour avoir secours et ayde à l'encontre des Anglois, retourna et amena en sa compaignée le conte du Glas (16), et à cinq à six mille Escossois. Il descendit à la Rochelle et vint devers le roy, lequel le receut grandement et honnorablement et luy fit grand chère et luy donna le duché de Touraine avec les appartenances et appendances, pour en jouyr sa vie durant, exceptez les chasteaux et places de Loches et de Chinon, qui sont places fortes que le roy réserva à luy.


                                         

r est vray que le duc de Betfort, qui se nommoit régent au royaume de France, mist le siège devant une place vers le pays de Normandie, nommée Yvry (17), et par dedans y avoit de vaillants gens qui se deffendoient vertueusement et fut de deux à trois mois devant. Mais finalement il y eut appointement ou composition entre ledit duc de Betfort et le capitaine dudit lieu d'Yvry qui estoit gascon et se nommait Girault de la Pallière : c'est à sçavoir qu'il rendroit la place, la ville et le chasteau d'Yvry à ce duc de Betfort, au cas que dedans certain temps il n'auroit secours du roy de France son souverain seigneur.
  Durant ces choses le seigneur de Valpargue, le Borgne Caqueran Lombards, le mareschal de la Fayète et le viconte de Narbonne s'en allèrent vers les Marches de Nivernois, et fisrent forte guerre et prisrent deux places, c'est à sçavoir Tuisy et la Guerche. Il se faisoit plusieurs rencontres de François, de Bourguignons et d'Anglois et y en avoit souveut de tuez et de pris. Quand ladite composition fut faicte des ville et chasteau d'Yvry, Girault de la Pallière le fit sçavoir au roy, en luy requérant qu'il luy baillast et envoyast ayde et secours, ou il seroit contraint de rendre la place aux ennemis. Le roy délibéra d'y pourvoir, et manda les ducs d'Alençon, les contes du Glas, de Boucan, connestable de France, le conte d'Aumale, le viconte de Narbonne, le mareschal de la Fayète et plusieurs autres, et leur ordonna qu'ils advisassent comment ils pourroient faire et donner le secours que ledit de la Pallière requéroit. Ils délibérérent de eulx mettre sur les champs et de tirer sur les Anglois audit lieu d'Yvry. Si vinrent loger emprès Chartres en laquelle ville estoient gens de guerre tenans le party des Anglois et Bourguignons. Et après s'en vinrent loger en un village près de Dreux nommé Nonancourt ; et là ils eurent nouvelles certaines que les ville et chasteau dudit Yvry estoient rendues et livrées audit duc de Betfort.


                                         

t pour ce, lesdits duc d'Alençon, comtes du Glas et de Boucan furent conseillez de tirer vers la ville de Verneuil, qui compétoit et appartenoit an dit duc d'Alençon de son propre héritage et y vinrent. Et quand ceux de la ville veirent leur droit seigneur, ils se mirent en son obéissance et se rendirent à luy, excepté la tour, en laquelle plusieurs Anglois s'estoient retirez ; laquelle tour fut assez tost après rendue par composition des Anglois qui estoient dedans, lesquels s'en allèrent, saulvés leurs corps et biens. Et ainsi la ville et tour furent nuement en l'obéissance du roy et de Monseigneur d'Alençon. Puis s'assemblèrent les seigneurs et capitaines, pour sçavoir ce qu'on avoit à faire : plusieurs furent d'opinion qu'on mit une bonne grosse garnison dedans Verneuil contre les Anglois, et que lesdits seigneurs et le demeurant de la compagnée s'en allassent diligemment devant plusieurs places que tenoient les Anglois, lesquelles estoient despourveues de gens et n'y avoit point de garnison, et que veu que lesdits chastel et ville d'Yvery estoient rendus, il n'estoit pas de nécessité ou expédient de combatre pour ledit temps et à cette heure.
  De cette opinion estoient les comte d'Aumale, vicomte de Narbonne, et autres anciens capitaines et gens de guerre qui sçavoient parler de telles matières, renommez d'estre vaillans et eulx cognoissans en faict de guerre : car oncques on ne conseilla au royaume de France combatre les Anglois en batailles rangées, et si on l'avoit faict il en estoit mal avenu. Au contraire, les comtes du Glas et de Boucan, les Ecossois et aucuns François jeunes de grande volonté et courage qui n'avoient pas cognoissance des faicts de guerre et venoient droict de leurs maisons, furent d'autre opinion ; et y eut aucuns qui disoient qu'il sembloit que ceux qui estoient d'opinion qu'on ne combatist point avoient peur ; et toutesfois c'estoit des plus vaillans et mieux cognoissans en faict de guerre ; et en parlant et débatant de la matière pour sçavoir ce qu'on avoit à faire, il vint nouvelles que le duc de Betfort et sa compagnée qui estoit grande et puissante, estoient logez à trois ou quatre lieues dudit Verneuil, et qu'il venoit pour combatre. Alors ne fut plus mis en question si on combatroit, car les Escossois et aucuns François conclurent que on combatroit et que bataille se feroit.
  Et un jeudy matin après la Nostre-Dame de mi-aoust (18), les ducs d'Alençon, comte du Glas, de Boucan, d'Aumale et les autres François se mirent sur les champs et s'ordonnèrent en bataille assez près de la dite ville de Verneuil ; et furent commis gens à cheval aux deux aisles, pour frapper sur les archers, et spécialement les Lombards sur l'une des aisles, qu'on estimoit à environ cinq cent hommes, lances au poing ; et de l'autre estoient François, de deux à trois cent lances. Les princes et seigneurs dessus dits estoient à pied.
  Les choses ainsi ordonnées, le duc de Betfort, les comtes de Suffolc et de Salisbery parurent assez tost après à moult grant compaignée ; lesquels aussitost qu'ils veirent les François, se misrent à pied en moult belle ordonnance, et leurs archers estoient aux aisles, d'un costé et d'autre ; si firent reculer leurs chevaux et bagages. Alors commencèrent à marcher les uns contre les autres ; mais les Anglois marchoient pesamment et sagement, sans eulx guères eschauffer ; et au contraire les Escossois marchoient légèrement et trop hastivement, du désir qu'ils avoient de parvenir à leurs ennemis, et pareillement les François, tellement qu'on disoit que la plupart d'eux estoit hors d'haleine avant que de joindre aux ennemis. Le vicomte de Narbonne s'avanca devant les autres et s'adressa au comte de Salisbery où il se porta vaillamment. Les Lombards qui estoient à cheval frappèrent aucunement à l'assembler sur un coing des archers anglois ; si passèrent outre, puis allèrent au bagage et le gaingnèrent, si s'en partirent, sans plus rien faire.
  Les François à cheval, qui estoient de deux à trois cent lances, frappèrent vaillamment sur l'autre costé, où il y avoit bien de deux à trois mille archers et deux cent lances d'Anglois ; et s'y portèrent si grandement et honnorablement qu'ils rompirent et desconfirent lesdits Anglois, et y en eut foison de tuez et de prins. Cela fait, ils ne s'attendoient qu'à eux et cuidoient certainement que tous les Anglois fussent desconfits ; mais la chose estoit autrement, car la desconfiture cheut bien grande pour les François, et y eut une bien aspre et dure besongne. Et y furent tuez, le comte de Glas, James son fils, et Boucan Escossois, et de leurs gens plus que d'autres ; et aussi le comte d'Aumale, le comte de Ventadour, le vicomte de Narbonne, le comte de Tonnerre, les seigneurs de Graville, de Beausault, Messire Charles le Brun, Messire Antoine de Caourse seigneur de Malicorne, Messire Guillaume de la Palu, et plusieurs autres, jusques au nombre de six à sept mille hommes. Et y furent pris : le duc d'Alençon, le bastard d'Alençon, le seigneur de la Fayète, mareschal de France, le seigneur de Mortemer et plusieurs autres. Et quand ils trouvèrent le vicomte de Narbonne mort, ils firent pendre le corps en un arbre, pource qu il avoit esté à la mort du duc de Bourgongne. Et le lendemain leur fut rendue la ville de Verneuil et la tour où s'estoient retirez plusieurs François ; lesquels, par ordonnance du duc de Betfort, s'en allèrent, saulvés leurs vies et leurs biens. En cette bataille mourut grande quantité d'Anglois et autres tenans leur party ; tellement que le dit duc envoyant par les citez et villes de leur party dire les nouvelles de la victoire, manda expressément qu'on n'en fit aucune solennité : car combien qu'ils eussent eu l'honneur, toutesfois ils avoient beaucoup de dommage. Les Anglois souffrirent prendre et emporter les corps des seigneurs morts, et le roy les fist enterrer et faire leurs services bien honnorablement.


                                         

eux mois ou environ après, Messire Jean Fastol, chevalier anglois, lequel estoit capitaine d'Alençon et gouverneur desdites marches de par le duc de Bethfort, fist une armée et s'en vint mettre le siège devant une place du pays du Mayne nommée Tannie (19) et n'y fut guères ; car ledit chasteau luy fut rendu par composition.


                                         

n ce mesme temps aussi le comte de Salisbery délibéra d'aller mettre le siège devant la cité du Mans et se mit en chemin pour y aller. Il y avoit à Maine-la-Juhais un chevalier, capitaine de la place, nommé Pierre le Porc, qui estoit un vaillant chevalier et accompaigné de vaillans gens, auquel l'entreprinse dudit comte vint à congnoissance. Si partit de la dite place de Maine, ayant en sa compagnée de huict vingts (20) à deux cents combatans et alla mettre une embusche près de Sées en Normandie sur le chemin dudit comte de Salisbery et de son ost, et assez loing au devant de luy avoit de ses gens qui chevauchoient et ne se doutoient de riens ; sur lesquels ledit Messire Pierre et ses gens frappèrent et en tuèrent et prinsrent grand foison, puis après, ce nonobstant, ils s'en retournèrent arrière en leur place à toute leur prinse.
  Or combien que le susdit comte en fust bien desplaisant, il ne laissa pas à mettre son siège, et fit mander et assembler gens de toutes parts, et mit et forma son siège devant la dite ville, et y fit assortir grosses bombardes et autres engins pour abbatre les murs de la dicte cité ; et de faict, il y en eut une grande partie d'abbatue, du costé de la maison de l'évesque. Et ce nonobstant ceux de dedans se deffendoient vaillamment, et firent plusieurs et diverses saillies, en grevant leurs ennemis. Toutesfois ils considéroient bien qu'ils n'avoient aucun secours, et qu'ils n'eussent peu tenir longuement ; et pour ce delibérèrent-ils de trouver expédient le meilleur qu'ils peurent ; et finalement la ville et cité fut rendue audit comte de Salisbery par composition telle que les gens de guerre et autres qui s'en voudroient aller et partir de la ville, s'en iroient, et ceux qui voudroient demeurer demeureroient en l'obéissance des Anglois. Et les François estans en icelle ville, payèrent mil et cinq cents escus pour les fraiz et mises que ce dit comte avoit faits à mettre le siège devant la dicte cité.
  Cette prinse ainsi faicte, le dist comte de Salisbery voyant et considérant la puissance des François estre ainsi diminuée, et qu'il seroit difficile au roy de trouver ou assembler gens pour les grever, poursuivit sa conqueste, et vint mettre le siége devant les chastel et ville de Saincte Suzanne, au mesme pays du Mayne, où estoit capitaine Messire Ambroise de Loré; et icelluy comte y fit assortir et asseoir plusieurs grosses bombardes. A la venue duquel ledit Messire Ambroise fit plusieurs belles escarmouches et saillies, lesquelles portèrent grand dommage aux Anglois ; et après ce le siége fut clos de toutes parts. Et quand il y eut esté quelques dix jours, il commença à faire tirer les dits canons et bombardes incessamment jour et nuit, tellement qu'ils abbatirent grand foison des murs de ladite ville , et y fit-on plusieurs escarmouches et saillies d'un costé et d'autre, et essays pour assaillir ; et finalement ledit de Loré et ses compagnons furent contraints de rendre iceux chastel et ville audit comte de Salisbery, et luy et ses compagnons perdirent tous leurs biens et leurs prisonniers et s'en allèrent, après ladite place ainsi rendue, tous à pied, un baston en leur poing. Et pour les fraiz faitz par ledit comte à mettre iceluy siége, ledit Ambroise de Loré luy bailla deux mille escus d'or comptant.
  Ladicte ville de Saincte-Suzanne ainsi eue par ledict comte de Salisbery, il alla mettre le siége devant le chastel de Mayenne la Juhais et y fit mener plusieurs grosses bombardes, comme devant les autres places. Un vaillant chevalier, nommé Pierre le Porc, estoit capitaine d'iceluy chasteau, lequel y fut fort merveilleusement batu de grosses bombardes et si y eut plusieurs et diverses mines faites, et les Anglois y donnèrent plusieurs et divers assauts ; et mesmement un bien merveilleux; tant par les murailles que par les mines, ausquels fut vaillamment et vigoureusement résisté par ceux de dedans ; et y eut plusieurs Anglois de tuez et blessez. Il n'estoit doubte qu ils n'eussent peu avoir aucun secours, et pour ce la place fut rendue par composition audit comte de Salisbery. Par laquelle composition ceux qui s'en voulurent aller s'en allèrent, et ceux qui voulurent demeurer demeurèrent : mais il fut payé deux mille escus par ledit capitaine et autres François pour les frais et mises que ledit comte de Salisbery avoient faites à mettre ledit siége.


                                         

' an mil quatre cent vingt cinq (21) le Roy envoya vers le duc de Bretagne Messire Tanneguy de Chastel, qui estoit natif du pays de Bretagne, et lequel on disoit estre luy et ses parens bien aymez du Duc ; et luy fit prier et requérir qu'il le voulust ayder et secourir, en luy remonstrant, qu'il y estoit tenu en plusieurs et diverses manières. Le Duc respondit pleinement qu'il n'y entendroit en rien, sinon que, préalablement et avant tout œuvre, le roy mit hors de sa compagnée et de son hostel tous ceux qui estoient consentans de sa prise, et les nomma. Le roy envoya pareillement vers le Duc de Savoye, pour sçavoir si le duc de Bourgongne ne voudroit point entendre à quelque traité ; ct aussi si ledit duc ne voudroit point ayder au roy : lequel respondit qu'il scavoit bien que le duc de Bourgongne n'entendroit à aucun traité, sinon que préalablement le roy mit hors d'avec luy ceux qui avoient esté consentans de la mort du feu duc de Bourgongne son père ; et ce fait, aussi que le duc de Savoye ayderoit volontiers au roy de ce qu'il pourroit.
  Et estoit aucune renommée que le duc de Bourgongne se lassoit fort d'estre allié avec les Anglois ; et aucuns estans près de luy l'induisoient fort de s'en démettre et que ce qu'il avoit fait, fut bien soudainement et par une chaleur causée de desplaisance de la mort de son père ainsi mort. Ceux qui furent envoyez devers lesdits seigneurs retournèrent devers le roy et luy exposèrent la responce qui leur avoit esté faicte par lesdits seigneurs. Mesmes ledit Tanneguy qui estoit présent et lequel relata ce que le duc de Bretagne luy avoit respondu, dit ; Que combien qu'il ne fust consentant ny de la mort du duc de Bourgongne, ny de la prise du duc de Bretagne ; toutesfois, pour ce qu'au temps des choses advenues il estoit près du roy ; il estoit content de s'en partir. Et de faict s'en alla en Languedoc, en une place nommée Beaucaire. Et au regard du président de Provence (22) il luy faisoit mal d'en partir, et dit qu'il ne s'en iroit point ; toutesfois il s'en partit et alla à la fin : et aussi fit le physicien, nommé Maistre Jehan Cadart, lcquel on tenoit le plus sage et mieux advisé ; car il s'en alla riche de vingt cinq à trente mille escus. Et ledit président mit en son lieu le seigneur de Giac, lequel estoit des plus prochains du roy.


                                         

e comte de Salisbery en continuant ses conquestes fist une grande armée et vint mettre le siège devant la Ferté-Bernard, au pays du Maine, de laquelle place estoit capitaine un escuyer nommé Louis d'Avaugour : il estoit garny de tous les habillements de guerre dessus déclarez, et si fut-il devant trois à quatre mois, sans ce qu il la peust avoir. La dite place fut bien batue et ceux de dedans se défendirent le mieux qu'il peurent ; mais finalement ils furent contraints d'eulx rendre au dit comte de Salisbery, comme à sa volonté, et la place luy fut baillée. Il retint prisonnier par aucun temps le dit Messire Louis d'Avaugour ; mais combien qu'il fust bien gardé il trouva moyen de soy eschapper.


                                         

nviron ce temps, il vint a la cognoissance du roy que Artus fils du duc de Bretagne, comte de Richemont, avoit grand désir de venir vers luy, dont il en estoit bien joyeux. Le dit seigneur comte de Richemont fut prins a la bataille d'Azincourt, et estoit dès son âge de grand, noble et vaillant courage ; et est vray que n'avoit pas grand terre pour soutenir son estat. Le duc de Bretagne son frère et aussi le duc de Bourgongne, voulurent bien trouver moyen de le mettre à délivrance ; et fut comme contraint, ou jamais n'eust été délivré, de faire ce que lesdits deux ducs ordonneroient, c'est à sçavoir qu'il feroit serment au roy d'Angleterre de le servir ; ce qu'il fit : mais ses volontés et courage estoient toujours à la couronne de France.
  Quand ce roi d'Angleterre fut mort, il luy sembla et aussi estoit-il vray qu'il estoit quitte de toutes les promesses qu'il avoit faites au roy d'Angleterre ; car elles n'estoient que personnelles, sçavoir à la personne du roy d'Angleterre et non d'autre. Toutesfois il doutoit fort de venir devers le roy, s'il n'avoit aucunes seuretez ; ny son frère le duc de Bretagne ne le vouloit souffrir, veu que le dit duc avoit autresfois, comme il estoit renommée, fait serment au roy d'Angleterre, et le dit de Richemont servy le dit roy. Et pour ce que le roy sçavoit assez la bonne volonté qu'il avoit, fut content pour seurté de luy bailler pour lors en ses mains Lusignan, Chinon et Loches, qui sont les plus belles places qu'il eust, afin d'y mettre telles gens que bon lui sembleroit ; et ainsi fut fait ; et il promist aussi de les rendre ès mains du roy, la chose accomplie et parfaite.
  Et fut ordonné que le roy viendroit à Angers et là le dit comte de Richemont viendroit vers luy. Il estoit lors bien accompaigné, car les barons d'Auvergne et de Bourbonnois et cinq à six cents chevaliers et escuyers se vinrent, après la dite besongne de Verneuil, offrir à son service. Aussi firent ceux de Guyenne et de Languedoc ; et y eut un seigneur d'Arpajon qui vint vers le roy en luy, disant qu'il estoit encores assez puissant pour résister à ses ennemis ; et que le roy fineroit ès pays dont il venoit de dix à douze mille arbalestriers d'arbalestes d'acier.
  Le roy s'en alla donc à Angers bien accompagné, comme dit est, et le comte de Richemont vint devers luy en la dite cité, habillé et monté bien gentement, et s'offroit a son service, comme celuy auquel le courage et la volonté n'avoit oncques changé ou mué, depuis le jour qu'il avoit esté pris à la dicte bataille d'Azincourt, quelques feintes que sagement il eut faites pour procurer sa délivrance, et comme contraint. Et le roy voyant la loyale volonté du dit comte de Richemont, le receut à grande joye et grand honneur et fut moult joyeux de sa venue.
  Et pour ce que la connestablie de France vaca par la mort du comte de Boucan, lequel naguères avoit esté tué à la bataille de Verneuil dont dessus est fait mention, le roy le fit et ordonna connestable de France ; mais le dit comte de Richemont s'excusa aucunement en bien et grandement remonstrant la charge que c'estoit ; et après plusieurs parolles et difficultés print et accepta charge et office de connestable et receut l'espée et fit les sermens au roy et au royaume, en la forme et manière accoustumée, et fist-on à Angers grans joyes et chères. Puis remist en les mains du roy les places qu'il avoir eues pour seureté en intencion de se mettre sus en armes pour résister et faire guerre aux Anglois.


                                         

n ce temps Messire Olivier de Mauny et le sire de Coëquen (23), firent une grande assemblée de gens d'armes en Bretagne et vinrent contre le Parc-l'Évesque, une place appartenant à l' évesque d'Avranches, auquel lieu avoit foison d'Anglois et plus largement que les Bretons ne cuidoient, et pour ce les dits Anglois saillirent bien et vaillamment et combatirent fort, et finalement les Anglois desconfirent les Bretons et il y en eut plusieurs de tuez et prins ; entre les autres y fut prins Messire Olivier de Mauny, lequel s'estoit vaillamment deffendu ; et, si chascun eust fait comme luy, la chose eust autrement esté.


                                         

n ce temps advint un grand brouillis en Rouergue, en la comté d'Armagnac, dont fussent venus plusieurs inconvéniens, s'il n'y eust esté mis remède, car la mère du comte d'Armagnac et du seigneur de Perdriac, son frère, avoit plus grand amour à Perdriac moinsné (24) que à l'aisné, et eust bien voulu tant faire que l'aisné eust laissé la comté à Perdriac ou qu'il eust bien largement de la succession du père.
  Le mareschal de Séverac qui estoit lors puissant de gens, estoit de cette volonté, et tendoit à cela ; le dit de Perdriac l'appelloit son père et Séverac l'appeloit son fils , et disoit qu'il seroit son héritier ; et est vray que le dit de Séverac estoit subjet et vassal du comte d'Armagnac. Finalement ils firent tant que le dit comte d'Armagnac, avec sa mère et Séverac, vinrent aux Cordeliers de Rodès hors la ville, et le tinrent là comme prisonnier, par aucun temps, et le vouloient induire à consentir à aucunes choses à luy bien préjudiciables, et cependant on gardoit les entrées des maisons des dits Cordeliers, tellement que personne n'y entroit sans le congé du dit Séverac.
  Le comte d'Armagnac fit tant, qu'il trouva un compaignon qui alla vers le seigneur d'Alpajon, luy requérir qu'il vint parler à luy, et y alla le message, et luy dit les manières qu'on tenoit au dit comte ; et le dit Alpajon comme bon et loyal serviteur et vassal, en eut grand déplaisance et vint ausdits Cordeliers, et fit tant qu'il y entra et parla au comte, lequel luy dit les choses qu'on luy faisoit et vouloit faire, et spécialement le dit de Séverac.
  Alors eut hautes paroles entre le dit d'Alpajon et Séverac ; et le dit d'Alpajon en s'en allant dehors, dit que Séverac, en faisant ce qu'il faisoit estoit faux et mauvais traistre et desloyal ; puis il monta à cheval et s'en alla. Le dit seigneur de Séverac se sentit fort injurié et s'en alla aussi, et par ce moyen tout fut rompu : et assez tost après il envoya un poursuyvant vers le dit d'Alpajon avec lettres de deffiances parties par a, b, c, c'est à sçavoir, qu'elles estoient escrites dessus et dessous d'une feuille de papier, et au milieu estoient trois lettres parmy coupées, contenans deffiances (25). Le dit d'Alpajon ne faillit pas à faire response, et tellement que guerre mortelle estoit ouverte ; et tous les deux disoient et maintenoient qu'ils pouvoient en Guyenne faire guerre l'un et l'autre de leur propre auctorité et qu'ils en avoient usé au temps passé.
  La chose vint à la cognoissance du roy, lequel leur envoya diligemment deffendre la voye de faict, et ordonna qu'on les adjournast tous deux en Parlement, pour comparoir en personne pour faire telles demandes qu'ils vouloient l'un contre l'autre, fust en gage de bataille ou autrement ; car en craignoit fort la division au pays de par de là, veue la guerre qui y estoit. Les parties comparurent au jour assigné ou autres dépendans, par plusieurs et diverses fois , et y eut ès matières de grands plaidoyers et escritures longues et prolixes ; et le roy et autres leur parloient souvent d'accorder, leur remonstrant que les paroles avoient esté chaudement dites ; mais remède ne s'y pouvoit trouver, combien qu'il s'entre-aimassent auparavant comme frères.
  Or advint une fois que tous deux estoient à Meun sur Yèvre (26), et Séverac estoit en la chambre du roy et en vouloit issir, et le seigneur d'Alpajon ignorant qu'il y fust, cuidoit y entrer, et se rencontrèrent l'un l'autre et heurtèrent des poitrines et s'acolèrent et baisèrent soudainement, pleurans à chaudes larmes, et pardonnèrent l'un à l'autre tous mal-talens, et furent bons amis ensemble, qui fut un grand bien, car ils pouvoient fort ayder au roy et résister aux ennemis, ce qu'ils firent, et laissèrent la division qui sembloit bien périlleuse ceux qui cognoissoient l'estat du royaume.


                                         

' an mil quatre cent vingt six (27), le roy envoya une notable ambassade devers le duc de Bretagne, en luy faisant sçavoir qu'il avoit mis hors ceux dont il avoit fait mention, et qu'ils s'en estoient partis et allez en luy requérant qu'il luy voulust ayder. Le duc assembla sur ce un grand conseil pour avoir advis sur ce qu'il auroit à faire, et y eut diverses opinions, et n'est doute qu'en ce temps là il y avoit des différens et imaginations bien merveilleuses. Toutesfois le duc se conclud et délibera de servir le roy. En après le roy vint à Saumur et le duc s'en vint là vers luy bien habillé et ordonné, et ses gens aussi ; et fut reccu à bien grand joye et luy fit on très bonne chère ; et il y fit l'hommage de la duché et le serment au roy comme à son souverain seigneur, et se disposa et ordonna luy et ses gens de faire guerre aux Anglois.
  En ce temps avoit une place tenue par les Anglois nommée Pontorson (28), qui portoit grand dommage à plusieurs pays ; le comte de Richemont, connestable de France, y mist le siège et la print ; et y eut plusieurs Anglois de tuez et prins, puis la fit razer et abbatre.


                                         

e roy s'en vint après à Yssoudun, et estoit avec luy le seigneur de Giac, qui estoit bien hautain, et disoit on que le roy l'aimoit fort et qu'en effect il faisoit ce qu'il vouloit, dont les choses alloient très mal.
  Le roy fit une fois assembler ses trois estats à Meun sur Yèvre ; ce n'estoit que pour avoir argent, sous ombre de faire cesser les pilleries et roberies, qui estoient bien grandes et trop destructives du peuple et du royaume. Et y eut des gens des bonnes villes qui furent contens d'aider au roy, mais que premièrement on veit les choses disposées à oster les pilleries et non autrement. Et entre les autres, il y avoit un évesque nommé Maistre Hugues Comberel (29) qui soustint fort cette opinion ; et pour abréger, fut conclue une taille ; et quand le roy fut en sa chambre, ledit Giac va dire que qui l'en croiroit, on jetteroit ledit Comberel en la rivière, avec es autres qui avoient esté de son opinion. Et dès lors plusieurs seigneurs et autres furent très mal contens de luy. Les seigneurs de Lignères et de Culant (30) qui avoient noise ou débats ensemble, estoient adjournez audit lieu de Meun, où le roy leur avoit donné jour. Et estoient pour lors à la cour les comtes de Foix et de Comminges (31), ayant foison de capitaines et de gens d'armes de leur pays ; et si y estoit le seigneur de la Trémouille, lequel soustenoit Culant, et Giac soustenoit Lisniéres. Or advint, un jour qu'on parloit en la présence du roy du débat entre lesdites parties, où Giac parla bien hautainement, en chargeant en aucune manière le seigneur de la Trémouille, et en multipliant paroles il advint que la Trémouille démentit Giac, dont le roy fut très mal content.
  Puis ledit de la Trémouille se partit du chastel et le comte de Foix, qui avoit espousé sa soeur de mère (32), luy demanda qu'il s'en partist bientost ou qu'il auroit desplaisir ; et il s'en vint hastivement à Yssoudun et le lendemain à Sully, et là se tint par aucun temps, doubtant tousjours qu'il ne luy survint quelque grand empeschement, car Giac excitoit fort le roy à faire quelque desplaisir au seigneur de la Trémouille ; et aussi ledit de la Trémouille et le connestable considérans que ledit de Giac avoit fait de l'argent de la taille dessus dite ce que bon luy avoit semblé, sans en employer comme riens a résister aux ennemis, pensoient tousjours comme ils le pourroient oster d'emprès le roy.
  Et au mois de janvier audit an (33), le roy estant à Yssoudun , et ledit de Giac ne se doutant de riens, lesdits connestable et de la Trémouille entrèrent à un poinct de jour dedans le chastel et vinrent jusques à la chambre dudit Giac, et rompirent l'huis, le prisrent en son lict et le menèrent à Bourges et depuis à Dun le Roy, où ils le firent examiner par un homme de justice qui estoit au connestable sur le faict des finances prinses ; et il en confessa bien et largement. Et pour ce qu'il estoit aucune renommée qu'il avoit par poisons fait mourir sa femme, en intention d'avoir dame Catherine de Lisle-Bouchart, belle et bonne dame, laquelle auparavant avoit esté mariée à Messire Hugues de Chalons, comte de Tonnerre , on l'interrogea sur ce cas, et il le confessa avec autres choses, ainsi qu'on disoit. Par quoy il fut jetté et noyé en la rivière, puis fut tiré de l'eau et baillé à aucuns de ses gens pour enterrer. Et assez tost après ledit de la Trémouille espousa ladicte dame Catherine, et en eut plusieurs beaux enfans. Et lors, un escuyer nommé le Camus de Beaulieu se mit près du roy.


                                         

n ce temps, les Anglois avoient esté remparer une place en Normandie nommée Saint Jame de Beuvron vers les Marches de Bretagne, et estoient dedans Messire Thomas de Rameston, Messire Philippe Branche, Messire Nicolas Bourdet, Anglois, accompaignez de six à sept cens Anglois, lesquels couroient le pays et faisoient plusieurs grands dommages en Bretagne et au pays de Normandie. Et pour cette cause fut faite une grande armée par le connestable au pays de Bretaigne, en bien grand nombre de gens, tant du pays de Normandie que de Bretaigne, et tant du commun du peuple que d'hommes d'armes et de traict, qu'on estimoit bien de quinze a seize mille combatans, et vint mettre le siège devant ladite place de Saint Jame de Beuvron. Durant lequel les Anglois firent plusieurs saillies sur le connestable, et y eut de dures escarmouches, tant d'un costé que d'autre.
  Or advint un jour que les gens du siège du connestable délibérèrent d'assaillir ladite place, et de faict le firent, et y eut un très aspre assaut, qui dura de trois à quatre heures, et les gens du connestable combatoient souvent main à main aux Anglois. Il y avoit une poterne en ladicte ville de Sainct Jame, pres d'un estang du costé de laquelle les François n'eussent pas peu s'ayder l'un à l'autre.
  Les Anglois saillirent dehors par là et vinrent frapper sur ceux qui assailloient, qui en furent bien esbahis, et non sans cause ; et y en eut bien quatre cens de morts, tant de glaive que de noyez audit estang, et rompirent l'assaut par le moyen de ladite saillie ; et après, le connestable et ses gens se retirèrent en leur logis et les Anglois dedans ladite ville de Sainct Jame de Beuvron.
  Environ deux heures après minuict, survint un grand bruit et désarroy en l'ost des François ; et si ne scavoit on, ni ne sceust oncques depuis, la cause pourquoy, et s'en allèrent chacun où il peut et où il sçavoit le chemin. Ils laissèrent et abandonnèrent leur artillerie sans scavoir dont venoit ce désarroy, ny qu'il en fust aucune nécessité. Ce qu'estant sceu dudit connétable, il en fut moult courroucé et dolent, non sans cause ; mais il n'y peut mettre remède. Aucuns disoient qu'icelle compagnée estoit pour la pluspart de gens qui oncques mais n'avoient esté en guerre, dont la plus grande partie estoient venus de Bretagne ; à l'ayde et secours du connestable.


                                         

udit temps, le seigneur de Filvastre, Anglois, descendit au pays de Hainaut à bien trois ou quatre mille combatans, cuidant aysément conquester ladite comté de Hainaut ; laquelle chose venue à la cognoissance de Philippe duc de Bourgongne, il assemblat diligemment et hastivement gens d'armes de toutes parts, et vint trouver ledit seigneur de Filvastre et les Anglois, à la descente de leur navire et les combatit audit lieu. Il y fut vaillamment fait tant d'un party que d'autre, mais finalement les Anglois furent desconfits, et y en eut de morts, comme on disoit, bien cinq mille et cinq cents, et grand nombre de prisonniers, et ledit seigneur Filvastre fut contraint de se retirer en son navire, et retourna, a tout ce qu'il peut recouvrer de ses gens, en Angleterre.


                                         

n ce temps, le comte de Richemont, connestable de France, fist une armée, et vint à La Flèche au pays d'Anjou, puis envoya ses gens mettre le siège devant une place nommée Galerande, où il y avoit assez fort basse-court et donjon, et assez tost après la dite bassecourt fut assaillie et prise d'assaut et les Anglois se retirèrent audit donjon , puis ils se rendirent par composition.
  En ce mesme temps, les Anglois prirent d'escalade la place nommée Reinefort, en Anjou et assez tost après, le seigneur de Rays et le seigneur de Beaumanoir qui estoit capitaine de Sablé, firent une assemblée de gens de guerre et s'en vinrent loger à Sainct-Laurent de Mortiers (34), environ deux lieues dudit Reinefort ou Romefort et celui jour, Messire Ambroise, seigneur de Loré, s'alla loger devant ladite place, et y eut dure et grande escarmouche où il y en eut plusieurs d'un costé et d'autre de tuez et de prins. Et le boulevard dudit chasteau fut prins d'assaut, et ledit seigneur de Loré demeura devant ladite place toute la nuict jusques au lendemain dix heures, à laquelle heure les Anglois se mirent à composition ; et promirent audit chevalier rendre la place le lendemain et de ce luy baillèrent ostages. Celui jour vinrent lesdits seigneurs de Rays et de Beaumanoir et fut rendue la place et le chasteau livré et baillé par lesdits Anglois. On y trouva dedans plusieurs de la langue françoise, lesquels furent pendus, car ils n'estoient en rien compris en ladite composition.
  Environ ce temps, estoit un capitaine françois nommé Du Coing, lequel pour trouver son adventure, partit de Sablé, ayant en sa compaignée de cent à six vingts chevaux (35), et rencontra à une lieue près du Mans un chevalier anglois nommé Messire Guillaume Hodehal qui avoit en sa compaignée seulement de seize à vingt Anglois ; et quand il veit lesdits François venir devers lui, il descendit et ses gens aussi, a pied, en un grand chemin, près d'une haye, pour se defendre et combattre contre iceux François ; lesquels luy vinrent courir sur sus tout a cheval. Mais il se gouverna et deffendit si vaillamment, qu'il demeura lui et ses gens en sa place, sans avoir comme point de dommage, et y eut des François de tuez et de prins, et entre les autres un escuyer de Bretaigne nommé Jean Soret ; et iceluy Hodehal s'en alla, sans rien perdre, en la ville du Mans.
  Assez tost après, les seigneurs de Rays et de Beaumanoir fisrent une armée et allèrent mettre le siège devant un chasteau nommé Malicorne que les Anglois tenoient et estoit une gente compaignée dedans et bien vaillans. La place fut aucunement battue d'engins, puis on l'assaillit ; car il y en eut peu de ceux de dedans qui ne fussent blessez ; et quand le capitaine veit qu'il ne pourroit bonnement guères tenir, il commença a parlementer à Messire Ambroise de Loré qui n'a guères y estoit arrivé, et se rendirent tous prisonniers. Les Anglois furent tous mis à finance, et ceux de la langue de France qui s'étoient rendus à la volonté desdits seigneurs de Rays et de Beaumanoir, furent tous pendus.


                                         

' an mil quatre cent vingt sept (36), les comtes de Warwick et de Sufolc, Anglois, délibérèrent de mettre le siège à Montargis et mandèrent gens de toutes parts en grant nombre, tant Anglois que de leurs alliez, et si firent provision d'artillerie, puis vinrent mettre le siège tant devant la ville comme devant le chasteau. Il y avoit dedans un gentilhomme gascon nommé Bouzon de Failles et de vaillans gens en sa compaignée. A l'arrivée des Anglois aucuns compaignons saillirent et il y eut par diverses fois de gaillardes escarmouches. Les Anglois fermèrent tellement leur siège qu'il n'y eust pu, sinon à grande difficulté entrer ny yssir, et firent par dehors fossez et hayes, réservant aucunes entrées par lesquelles on entreroit en l'ost. Avec ledit Bouzon et ses gens estoient les habitants de la ville qui avoient tous bonne volonté d'eulx défendre. Les Anglois faisoient fort tirer leurs bombardes et canons, tellement que la ville fut fort batue en divers lieux ; et nonobstant ceux dedans se défendoient vaillamment et grevoient beaucoup les Anglois, spécialement de traict, tant de grosses arbalestes que de canons.

  Un certain jour y eust fait une saillie où fut prins un de ceux de la garnison, lequel avoit autrefois esté du party du duc de Bourgongne ; et pour se délivrer il dit aux Anglois que s'ils le vouloient laisser aller, qu'il luy sembloit bien qu'il trouveroit moyen de leur bailler le chasteau, par un lieu dont il avoit la garde ; quand il y estoit ; et entre autres le dit à Messire Simon Morhier (37), un chevalier françois, et leur montra par dehors la manière et le lieu ; et les Anglois advisèrent sur ce que la chose estoit bien faisable, et fut prins le jour et l'heure, puis ils le laissèrent aller. Il entra dedans la place et aussi tost qu'il y fut il dit audit Bouzon tout ce qu'il avoit dit et fait ; lequel en fut bien joyeux ; car il luy sembloit bien que par ce moyen il en pourroit prendre et accabler.
  Les Anglois et Bourguignons vinrent au jour assigné, et à l'heure entreprise ; et furent diligens de dresser leurs eschelles puis entrèrent dedans ; mais aussi tost qu'ils estoient entrez on les prenoit et désarmoit-on, et entre les autres le susdit Messire Simon y entra et fut pris ; il ne retournoit personne à la fenestre par où ils entroient ; par quoy les Anglois apperceurent bien qu'il y avoit tromperie ; néantmoins il y en eut quinze ou seize de pris. Ceux de dedans tinrent longuement , et se défendoient fort, mais vivres leur failloient, et n'estoit pas possible qu'ils peussent plus guères longuement tenir.

  Laquelle chose venue à la connoissance du comte de Richemond, connestable de France, et du comte de Dunois, ils assemblèrent vivres le plus qu'ils peurent et aussi gens de guerre ; entre les autres estoient en leur compaignée les seigneurs de Graville, de Gaucourt, Estienne de Vignoles dit La Hire, et autres, pour adviser comment on pourroit mettre des vivres dedans la ville et au chasteau. Et fut advisé que si on livroit ou faisoit une escarmouche en un certain lieu, qu'on y pourroit bouter et mettre vivres par un autre costé.
  Le connestable se tint à Jargeau à toutes ses gens et le comte de Dunois alla vers Montargis (38), avec lequel estoit Estienne de Vignoles, dit La Hire, lequel accompaigné de soixante lances, fut chargé d'aller courir devant le siège pour sçavoir leur maintien, auquel ledit de Dunois promit de le suivre, et aussi le fit-il. Les Anglois, comme dessus a esté touché, avoient fermé et clos leurs logis de paulx et de fossez, au long desquelles estoient les logettes de ceux qui tenoient le siège, couvertes de chaumes, de feure (39) et d'herbes seiches. Avec La Hire estoit aussi un capitaine d'Escosse nommé Quennede (40) et l'abbé de Serquenciaux, qui avoient bien de trois à quatre mille hommes de pied. Quand La Hire approcha du siège et eut apperceu que c'estoit chose très difficile d'y entrer, il advisa un passage par où il luy sembla qu'on passeroit bien. Alors lui et ses compaignons prirent leurs salades et leurs lances au poing, et y estoit le seigneur de Graville, Brangonnet d'Arpajon, Saulton de Mercadieu et autres.
  La Hire trouva un chapelain auquel il dist qu'il luy donnast hastivement absolution, et le chapelain luy dit qu'il confessast ses péchez. La Hire lui répondit qu'il n'auroit pas loisir, car il falloit promptement frapper sur l'ennemy, et qu'il avoit fait ce que gens de guerre ont accoutumé de faire. Sur quoy le chapelain luy bailla absolution telle quelle ; et lors La Hire fit sa prière à Dieu, en disant en son gascon, les mains jointes : "Dieu, je te prie que tu fasses aujourd'huy pour La Hire, autant  que tu voudrois que La Hire fit pour toi s'il estoit Dieu et tu fusses La Hire." Et il cuidoit très bien prier et dire (41).
  Advisant donc une des entrées du siège, luy et ses compaignons y entrèrent, comme environ midy, les lances au poing pendant que ceux du siège disnoient. On cria à l'arme, et Anglois se misrent sus armez et habillez, et les François et Escossois qui estoient avec les susdits abbé et Quennede, boutèrent au long des fossez que les Anglois avoient faits autour de leur siège et entrèrent ès logis boutans les feus dedans, et combattirent contre ceux qu'ils trouvoient et rencontroient, puis ils se joignirent aux gens de cheval ; les bannières et estendarts des Anglois furent levez et s'assemblèrent et rallièrent par diverses fois.
  Les seigneurs cuidoient au commencement que ce ne fussent que coureurs et compaignons qui vinssent escarmoucher ; et y eut de moult belles armes faites d'un costé et d'autre ; et furent les bannières et estendarts ruez par terre et abbatus. Les comtes de Warwich et de Suffolc se commencèrent à retirer avec une partie de leurs gens, en passant la rivière , et les François les suivirent tellement que les Anglois furent desconfits et y en eut plusieurs de tuez et de prins.
  Le dit comte de Dunois arriva aussi de bonne heure à belle compaignée, et les François ne trouvèrent depuis résistance, sinon d'un chevalier anglois nommé Henry Biset, qui estoit encores en son parc, et avoit environ deux cens Anglois. Il se défendit vaillamment, mais à la fin il fut prins et ses gens mis à mort ; aucuns saillirent de la ville, qui firent grande occision sur les Anglois. Ceux qui tenoient le siège de l'autre costé de la rivière se misrent comme en bataille et les François aussi d'autre costé, lesquels n'entrèrent oncques es ville et chastel de Montargis, jusque à ce qu'il fust nuict fermée et que les Anglois fussent despartis et en allez.
  Et ainsi fut le siège levé ; qui fut, comme on disoit, une bien vaillante entreprise mise à effet par ledit Estienne de Vignoles dit la Hire. Et y furent gagnées plusieurs bombardes et canons, biens, meubles et vivres. Au pourquoy les pauvres gens firent la nuict grande joye et chère dans la ville. Le seigneur de Graville et ledit d'Arpajon s'y portèrent vaillamment, et aussi fist Saulton de Mercadieu, lequel eut d'une lance par la bouche et passa outre de demy pied ; il se déferra luy mesme et la tira, et ne cessa point pourtant de toujours combatre.


                                         

nviron ce temps, le Camus de Beaulieu, lequel, comme il a esté dit cy dessus, estoit près du roy en grand crédit, et auquel le roy faisoit du bien, commença à entrer en aucune haultesse de courage en mesprisant aucuns. Et une journée, le roy estant au chasteau de Poitiers, ledit de Beaulieu se voulut aller esbattre hors du chastel et n'avoit avec luy qu'un gentilhomme nommé Jean de la Granche , et estant en un pré sur une rivière, où le lieu estoit assez plaisant, survinrent là soubdainement cinq ou six compaignons qui tirèrent à coup leurs espées, frappèrent sur luy et le tuèrent tout roide. La chose venue à la cognoissance du roy, il en fut bien desplaisant et ordonna quon les suivist diligemment pour les prendre et en faire justice. Plusieurs montèrent à cheval, mais on ne les peut trouver ; aucuns furent soupçonnez qui en estoient innocens ; enfin il n'en fut autre chose. Et lors le seigneur de la Trémouille, qui estoit grand et puissant seigneur, tant de parens et amis que de terres et seigneuries, se mit et tint près du roy.


                                         

e jour mesme que le siège de Montargis fut levé, Messire Ambroise seigneur de Loré, partit de Sablé avec sept ou huit vingt (42) combatants et prit son chemin vers la ville de Sainte-Suzanne, auquel lieu estoit logé un Anglois nommé Jean Fastot (43), accompagné de deux à trois milles combattans, et un capitaine anglois nommé Henry Branche, se vint loger en un village à demie lieue de Saincte-Suzanne, à bien de cens à douze vingt combatans, lequel village on nomme Ambrières (44). Laquelle chose venue à la cognoissance dudit seigneur de Loré, il s'en vint, accompaigné de ses gens férir sur les logis dudit Branche, où ils trouvèrent forte défense et grande résistance ; mais finalement les Anglois furent desconfists et y en eust de sept à huit vingt tuez, et n'y eut prisonnier que ledit Branche et un autre gentilhomme d'Angleterre ; et les autres s'enfuirent.

  Ce faict, ledict chevalier s'en retourna audict lien de Sablé avec plusieurs chevaliers et harnois gagnez sur lesdicts Anglois. Peu de temps après, le dessus dit Fastot mit le siège devant un chastel nommé Sainct-Ouan, qui appartenoit au seigneur de Laval, et le prist par composition, et aussi n'estoit-il pas tenable.
  Tantost apris ledit Fastot assiégea un chasteau nommé la Gravelle, et ceux de dedans le tinrent par aucun temps, puis se mirent à composition, au cas qu'ils n'auroient secours à certain jour, et en baillèrent hostages. Et cependant aucuns François plus forts que ceux de la garnison y entrèrent. Le duc de Betfort vint au jour assigné, requérant qu'on luy rendist la place ; mais il n'y eut aucuns de ceux qui avoient esté à la composition qui dissent parole ou mot, et pour ce fist-il couper la teste aux hostages, à la desplaisance de ceux qui avoient faicte la dicte composition ; puis le siège fut levé et les Anglois s'en allèrent.


                                         

n ce temps, le duc d'Alençon qui avoit esté prisonnier à la bataille de Verneuil, fut délivré des Anglois et paya bien deux cent mille escus dont il paya une partie comptant et de l'autre bailla pour ostages le sire de Beaumesnil, Messire Jean le Verrier, Ferron de Villeprouvée, Hardouin de Montlorées (45), Jean le Séneschal, Hue de Fontenay et le seigneur de Boisseneur ; et puis fit telle diligence qu'il mit ses ostages à pleine délivrance: pour quoy faire il vendit sa terre et seigneurie de Fougères, afin de leur tenir ce qu'il leur avoit promis, et luy cousta en oultre tout ce qu'il avoit et peut finer de meubles.
  Assez tost après, les seigneurs de Rais et de Beaumanoir feisrent une armée et assemblèrent des François ce qu'ils peurent et mirent le siège devant une place nommée le Lude, sur la rivière du Loir, de laquelle estoit capitaine un Anglois nommé Blanqueborne, qui avoit en sa compaignée de vaillans Anglois bien garnis de vivres et d'habillemens de guerre et lesdits seigneurs y firent asseoir certains canons, tellement que ladite place fut bien batue en aucun lieux, puis assaillie et prise d'assant par les François. Là furent tuez ou pris plusieurs Anglois, et par espécial y fut tué ledit Blanqueborne, capitaine de la place.
  Audict temps, avoit toujours des débats et brouillis, touchant le faict du gouvernement du royaume, et le duc de Bourbon (46), le connestable, le comte de la Marche et autres seigneurs estoient mal contens de ce que le roy n'entendoit autrement au gouvernement de son royaume et à la deffense d'iceluy contre ses ennemis. Pourquoy ils s'en vinrent à Bourges et entrèrent dedans, puis mirent le siège devant la tour, en laquelle estoit un vaillant chevalier nommé le seigneur de Prye, leduel fut plusieurs fois sommé de bailler la place. Mais il respondoit toujours, que le roy la luy avoit baillé et qu' il ne la rendroit à autre sinon à luy. Il y eut de diverses escarmouches, et un jour que ledit de Prye entendoit (47) à la deffense de la place, il fut frappé d'un vireton, dont il alla de vie à trépas. Ce nonobstant, le seigneur de la Borde (48) tint ladite place contre lesdits seigneurs. La chose venue à la cognoissance du roy il se partit de Poitiers et le seigneur de la Trémouille avec luy ; si vinrent devant Bourges, et estoit le roy très malcontent desdits seigneurs et de leur manière de faire. Enfin leur paix fut faicte par le moyen dudict seigneur de la Trémouille, lequel y travailla de tout son pouvoir, puis le roy entra à Bourges, et firent très bonne chère ensemble.


                                         

' an mil quatre cent vingt huit (49), aucuns seigneurs entreprirent d'entrer dedans la cité du Mans ; et y avoit aucuns des habitants de la ville qui se faisoient fort de bouter les François dedans et à ce faire mirent grand peine et diligence. A exécuter la dicte entreprise estoient le seigneur d'Orval, frère du seigneur d'Albret, le sire  de Bueil, le seigneur de Beaumanoir, Estienne de Vignoles dit La Hire, Roberton des Croix, et plusieurs autres capitaines et gens de guerre ; lesquels vinrent devant la place au jour qui leur avoit esté dit et assigné et entrèrent assez soudainement dans la cité par le moyen desdicts habitants, dont ceux de la ville furent bien esbahis et mesmement les Anglois estans en icelle. Par quoy ils se retirèrent en une tour appelée la Tour Ribendèle, assise près d'une des portes de la dicte ville, appellée la porte Sainct-Vincent, laquelle les Anglois tinrent avec ladite tour, et se deffendirent fort et résistèrent tout le jour très vaillamment contre lesdits François.
  Or, est vray que le seigneur de Talbot, un vaillant chevalier anglois, estoit à Alençon et avoit assemblé grand foison d'Anglois, pour certaine entreprise qu'il avoit sur les François. Les Anglois de la dite tour se voyans en tel party, luy envoyèrent demander secours ; et tantost qu'il en sceust les nouvelles, vint hastivement audit lieu du Mans à tout environ de trois à quatre cents combatans, et arriva entre le point du jour et le soleil levant auxdites tours et portes, où les François mal advisez et conseillez n'avoient mis aucune provision et fortification ; mais estoient en leurs licts et logis, où le soir ils avoient faict bonne chère ; puis entra dedans la ville criant : Sainct-Georges.

  Les François furent de ce bien esbahis, dont les uns montèrent hastivement à cheval et partirent hors de la dicte ville ; les autres résistèrent le mieux qu'ils peurent, mais la plus grande partie furent tuez et pris. Assez tost après survint le seigneur de Beaumanoir qui cuida rebouter ledit Talbot, mais il ne trouva aucun ayde et pour ce s'en retourna et ainsi ladicte cité fut recouvrée par ledit Talbot, lequel fit incontinent enquérir des consentans de l'entrée faicte par les François et en trouva aucuns, si les prist et les fist piteusement mourir, et si fist punition de ceux qui avoient aucunement fait semblant d'être joyeux de la dite entrée, et y moururent des François plusieurs gens de bien.


                                         

nviron ce temps, le comte de Richemont, connestable de France, fit emparer la ville de Pontorson en Normandie et y mit grosse garnison contre les Anglois, dont il fit et ordonna capitaine un vaillant chevalier, nommé le seigneur de Rotelan, lequel assez tost après fit une course en Normandie devant Avranches. Les François et Anglois se trouvèrent sur les champs, et se batirent trop (50) bien l'un et l'autre. Finalement les François furent desconfits et ledit seigneur de Rotelan prinst par les Anglois.

  Après la prise dudit Rotelan, fut mis et estably capitaine en sa place, en ladite ville de Pontorson, Bertran de Dinan, frère du seigneur de Chasteaubriant mareschal du duc de Bretaigne, à bien grosse compaignée de gens, pour ce qu'on se doutoit que les Anglois n'y vinssent mettre le siège. Et ne demeura point longtemps que le conte de Warwick et le seigneur de Talbot, avec grande compaignée d'Anglois, vinrent mettre et asseoir le siège devant icelle ville de Pontorson, où ils furent par longtemps ; durant lequel temps y eut moult grandes escarmouches, et divers assauts où les Anglois perdirent de leurs gens. Et durant iceluy siège, le baron de Coulonces, le seigneur de la Hunaudaye, le seigneur de Chasteaugiron, le viconte de la Bélière et autres saillirent de la dite ville, car elle n'estoit pas du tout assiégée, et vinrent rencontrer ès grèves de la mer, entre Avranches et le Mont Saint-Michel, le seigneur de Scales, à grand compaignée d'Anglois, lesquels conduisoient vivres en l'ost devant ladicte ville de Pontorson. Là se combatirent-ils très-fort et très-longuement ensemble ; et finalement les barons de Coulonces, Hunaudaye et Chasteaugiron furent desconfits et y moururent tous trois ; et y en eut plusieurs de pris prisonniers, entre lesquels fut le vicomte de la Bélière : et ce fait, ledit seigneur de Scales mena et conduisit lesdits vivres jusques au siège que tenoit iceluy comte de Warwick devant Pontorson ; et après aucun temps ladite ville fut rendue par composition et ceux de dedans s'en allèrent, saufs leurs corps et biens.

  En ce temps, Talbot et ses gens prinrent d'eschèle la ville de Laval et y entrèrent ; il y avoit moult de richesses dedans qu'ils pillèrent et firent tout ce qu'ennemis pouvoient faire. Messire Andry de Laval, seigneur de Lohéac estoit pour lors dedans icelle ville ; mais il se retira au chasteau et paya après par composition vingt mil escus.


                                         

a ville et cité de Tournay, qui estoit comme entre les mains du duc de Bourgongne, obéit tout pleinement et se tint nuement au roy.
  Messire Jacques de Harcourt tenoit le Crotoy, et avoit des gens de guerre avec luy ; les Anglois y mirent le siège et la prirent par composition. Ledit de Harcourt, qui estoit neveu du seigneur de Parthenay s'en vinct en Poictou, et se disoit avoir droit à ladicte place de Partenay. Nonobstant ala il voir son oncle, seigneur de ladite place, lequel luy fit grant chère, et le receut honnorablement. Ledit de Harcourt regarda fort ladicte place, qui sembloit belle et forte et convoita fort a l'avoir, s'imaginant et considérant que son oncle n'estoit pas bien sage comme l'on disoit. Puis s'en retourna, pensant qu il retournerait une autre fois, et qu'il auroit la place, s'il pouvoit ; car si luy et ses gens pouvoient entrer au chastel ils seroient les plus forts ; ce qui lui sembloit bien facile a exécuter, veu qu'audit chastel il y avoit une yssue qui sailloit aux champs, laquelle il ouvriroit à force et mettroit gens par là, puis feroit lever le pont levis du faire. Après disner, il vint au seigneur de Parthenay son uncle et lui dit plainement qu'il avoit sa part audit chastel, et qu'il falloit qu'il le gardast à son tour ; et que s'il y avoit homme qui l'en voulust empescher, qu'il le tueroit ou feroit mourir ; et dit-on que lui et ses gens tirèrent leurs espées. Le seigneur et ses gens furent bien esbahis, desquels aucuns se retirèrent en la tour du pont levis de devers la ville, lequel estoit levé. Si tinrent ladite tour, et commencèrent d'en haut à crier l'allarme. Pourquoy le peuple de la ville s'esmeut tout à coup et apportèrent eschelles, si gaingnèrent et abbatirent le pont-levis et entrèrent dedans la place à l'ayde de ceux de dedans la tour, puis tuèrent tous les gens dudit de Harcourt, lequel se retira en une tour en bas, où il yavoit de petites arbalestes, et fenestres qui estoient bien estroites ; toutesfois on luy perça les deux cuisses d'une lance par une des lucarnes. Et pour abréger il fut tué, et ses gens furent jettez tous morts en la rivière, et il fut enterré en un cimetière.


                                         

n l'an mil quatre cent vinct huit (51), Thomas de Montagu chevalier, conte de Salibery, fut ordonné, commis et député par les trois Estats d'Angleterre à venir en France faire guerre ; laquelle chose venue à la cognoissance du duc d'Orléans prisonnier en Angleterre, il pria audit comte qu'il ne voulust faire aucune guerre en ses terres, ny à ses subjets, veu qu'il estoit prisonnier et qu'il ne se pouvoit deffendre ; et dit-on qu'il luy promit et octroya sa requeste. Il passa la mer à grande puissance et vint en France ; si vint premier devant Nogent le Roy, dont l'obéissance luy fut baillée par ceux de la garnison qui se rendirent à sa mercy, sans livrer aucun assaut, et François vuidèrent en brief par composition, les places de Châteauneuf sur Loire, Rambouillet, de Berthencourt et Rochefort.


                                         

n juillet iceluy an, le comte de Salisbery vint au Puiset et prinst la forteresse d'assaut et fist par sa cruauté pendre tous ceus qui furent prins dedans.
  Girault de la Pallière tenoit Thury en Beausse, mais il s'enfuit hastivement pour la venue du comte de Salisbery, après le partement duquel ses compagnons qui estoient dedans, rendirent par composition la place au comte, qui fit bouter le feu dedans.
  Puis mit le siège de toutes parts devant Yanville laquelle il fist fort battre de bombardes et canons, qui y fisrent peu d'effet ; et nonobstant que dedans ils fussent peu de gens pour la deffense, si est-ce qu'ils se deffendoient vaillamment. Le jour de la décolation de Sainct-Jehan, vingt neufiesme jour d'aoust, en iceluy an, le comte de Salisbery fit assaillir vers le soir la ville d'Yenville et en icelluy assaut, qui fut fier et merveilleux, ceux de la ville furent tant blessez qu'ils furent conquis par force, dont aucuns se retirèrent en la tour, mais en la fin il les convint se rendre avcc le chastel. Là furent pris le Galois de Viliers, Prégent de Coitivy, qui fut depuis admiral de France, et autres nobles, avec les bourgeois de la ville.


                                         

près la prinse de Yenville, le comte de Salisbery y séjourna par aucuns jours, pendant lesquels ceux de Meun sur Loire envoyèrent par devers luy et traita là avec leurs messages, qui mirent les Anglois dedans, un jour de samedy, au mois de septembre et firent tant qu'ils leur livrèrent en ce mesme jour le pont de Meun, lequel les Anglois fortifièrent. Après la réduction de la ville et du chastel de Meun sur Loire, le comte fit mener à Paris tous ses prisonniers, pour plus entretenir son commun peuple et leur donner plus d'espérance.
  Et ce faict, vint de Meun par devant Montpipeau qui luy fut rendu par composition. Luy venu à Meun, il envoya grand nombre de gens à Baugency, qui trouvèrent la ville ouverte et vuide. François s'estoient retirez au pont et au chastel ; néantmoins les Anglois se logèrent dedans la ville sans assaillir.


                                         

u mois de septembre, l'an mille quatre cent vingt huit, le comte de Salisbery envoya des Anglois en très grand nombre en l'église de Cléry, qui la pillèrent et les chanoines et autres là retirez, et y firent des maux innumérables (52).
  Le comte avoit laissé en la ville de Yenville à son partir ses canons et habillemens, et pour ce qu'il fut en doute de les faire amener devers luy sans grand conduite, ledict comte vint à grand puissance en bataille ordonnée faire visage devant Orléans, le huictiesme jour de septembre environ midy, et la se tint jusques a la basse vespre, pour empescher que François ne fussent au devant ; pendant laquelle demeure, son charroy passa. Le bastard d'Orléans, Poton de Sainte-Traille et autres nobles, avec les bonnes gens d'Orléans, issirent de la ville à l'arrivée dudit comte et se continrent honorablement et vaillamment. Il y eut de moult grandes escarmouches là où Anglois perdirent et se retirèrent sur la nuitée à Meun. (53)

 


                                         

udit mois de septembre mille quatre cent vingt huict, le comte de Salisbery mist le siège devant Baugency, du costé de la Beausse et de la Solongne, et fist batre le chasteau et le pont de bombardes ; lesquels luy furent rendus par composition, avec l'abbaye, le jour Sainct Fremin [le 25] en iceluy mois. Puis l'abbé avec autres fist le serment aux Anglois.
  Environ ce temps, le comte de Salisbéry envoya grand nombre de gens devant Marchesnoir, qui fut rendu en son obéissance. Il envoya aussi devant la Ferté Hubert dont le chasteau luy fut rendu par traicté.
  En ce temps, Messire Jean de Lesgot avoit la garde de la ville et du chastel de Sully pour le sire de la Trimouille ; auquel lieu vint Messire Guillaume de Rochefort qui en fist partir ledit de Lesgot et sa compaignée, puis y ordonna garnison de Bourguignons et Anglois. Et tost après y vint le seigneur de Jonvelle, frère dudict de la Trimouille, qui prit la garde de la ville et du chastel (54).
  Le second jour d'octobre mil quatre cent vingt huict, le susdit comte de Salisbery envoya devant Jergeau, Messire Jean de la Poule à tous grands gens et appareil qui tant tost conquist le pont et fit fort batre la ville qui estoit moult foible ; dedans laquelle s'estoient retirez les compagnons qui avoient esté en garnison en plusieurs forteresses de la Beausse et Gastinois, lesquelles avoient esté rendues par composition aux Anglois. Si entrèrent ceste gent là en composition dont partie devinrent Anglois et rendirent la ville de Jargeau ausdits Anglois, le cinquiesme jour du mois d'octobre. Iceluy de la Poule mit grande garde en ladicte ville, et envoya grand nombre de gent devant Chasteauneuf sur Loire, qui se mist en son obéissance.


                                         

e septiesme jour d'octobre mille quatre cent vingt huict, la Poule se partit de Jergeau, et print à puissance logis à Olivet, près Orléans et Anglois vinrent férir, jusques aux barrières de Sainct Marcel. Là eut grande escarmouche, où Anglois furent boutez, lesquels se retirèrent le lendemain à Meun et Baugency.
  Le mardy douziesme jour d'octobre de l'an mille quatre cent vingt huict, le comte de Salisbery, accompagné de la Poulle, Glacidas (55), du seigneur de Ros, Lancelot de Lisle, Gilbert de Halsale, Thomas Guérard, le sire de Scales, Guillaume de Rochefort, et autres chevaliers et escuyers, tant Anglois comme faulx François, avec ceux des villes de Paris, Chartres et de Normandie, vint à toute puissance mettre le siège devant Orléans. A la venue desquels saillirent contre Anglois le bastard, les nobles et bourgeois, qui avoient paravant abbatu partie des forbourgs du Portereau et avoient esté commencé devant les Tournelles un boulevart qui n'estoit pas encores parfait, mais y besongnoient jour et nuict.
  Si boutèrent les François le feu au demeurant desdicts fauxbourgs et en l'église des Augustins ; et Anglois tinrent loin d'illec leurs tentes, sans approcher le pont, jusques à ce que le feu desdits fauxbourgs fut cessé. Et cependant ceux d'Orléans abbatirent la muraille des fauxbourgs et remplirent le boulevart, à l'opposite duquel Anglois fermèrent une bastide en l'église et en l'hostel des Augustins, qui n'estoient du tout abbatus ; laquelle bastide Anglois fortifièrent de profonds fossez et de clostures et vinrent souvent faire des escarmouches devant le boulevart ; assortirent merveilleuses bombardes et canons, dont ils firent jetter jour et nuict contre les murailles de la cité et des Tournelles du pont. Le comte de Salisbery se vint loger en cette bastille et fit commencer la mine, pour conquérir le boulevart. Ceuxd'Orléans en eurent cognoissance qui prirent alors à contreminer, et furent tant menées les mines et contremines qu'ils furent moult approchez. Là dessus ledit comte fit appareil d'eschelles et autres habillemens pour assaillir le boulevart ; dont ceux d'Orléans s'aperceurent bien et garnirent leur boulevart de gens de faict, et d'habillemens de guerre pour la défense. Entre lesquels furent, le sire de Villars, le sire de Guitry, le sire de Couraze (56), Messire Nicole de Giresme, chevalier de Rhodes, Poton de Sainte-Traille, Pierre de la Chapelle et autres chevaliers et escuyers de nom et d'armes, et avec eux les bourgeois d'Orléans en bien grand nombre.


                                         

e jeudy vingt et unième jour d'octobre mille quatre cent vingt huict, Anglois livrèrent à toute puissance environ heure de midy, un fier et merveilleux assault contre les François qui tenoient le boulevart du bout du pont d'Orléans. L'assault dura longuement, auquel furent tuez et navrez plusieurs Anglois, car François les abbatoient des eschelles dedans les fossez, dont ils ne se pouvoient relever, aftendu qu'on jettoit sur eux cercles liez et croisez, cendres vives, chaux, presses fondues et eaues chaudes que les femmes d'Orléans apportoient. Et pour rafraischir les François du grand travail qu'ils souffroient, lesdites femmes leur bailloient vin, viandes, fruicts, vinaigres et tousilles blanches ; et aussi leur portoient pierres et tout ce qui pouvoit servir à la défense ; dont aucunes furent veues durant l'assault qui repoussoient de lances les Anglois, des entrées du boulevart et les abbatoient ès fossez.
  Anglois furent la grevez a merveilles, et tant qu'ils cessèrent l'assault, où moult perdirent. En iceluy assault fut blessé Pierre de la Chapelle dont il mourut le second jour et fut moult plaint. Aussi y furent blessez les seigneurs de Guitry, de Couraze, de Villars, Nicole de Giresme et Poton de Sainte-Traille, lesquels furent du depuis guéris. Après lequel assault, Anglois, qui n'avoient pas faict la mine encommencer, y besognèrent tant jour et nuict que ledit boulevart fut presque tout miné et n'estoit retenu que sur estayes (57), où il ne failloit fors mettre le feu pour faire fondre iceluy boulevart et accabler ceux qui estoient dedans. Mais le samedy ensuivant vingt et troisiesme jour dudit mois d'octobre ceux d'Orléans, qui de ce eurent cognoissance, mirent le feu audit boulevart, a la veue des Anglois, et se retirèrent ès Tournelles du pont, dont ils levèrent le pont. Et se doutant toujours qu'ils ne peussent longuement tenir les Tournelles dont partie estoit fort batue et empirée, ils rompirent aucunes arches du pont, outre lesquelles ils levèrent un boulevart du costé par devers la ville et fortifièrent ledit pont.


                                         

r advint que le dimanche vingt et quatriesme jour d'octobre en iceluy an, Anglois vinrent à puissance assaillir les Tournelles qui estoient peu garnies de gens de faict, car le plus avoient esté blessez en l'assaut du jeudy, fait au boulevart. Si dressèrent les Anglois des eschelles, tant par terre comme par Loire, qui estoit lors fort basse, et firent tant qu'ils prinrent à peu de résistance lesdites Tournelles, environ deux heures après midy, et rompirent une arche entre icelles et le boulevart du pont ; puis fortifièrent jour et nuict icelles Tournelles en telle manière qu'ils furent defensables et tenables contre toute puissance, dont le comte de Salisbery commit la défense et garde à Glacidas, qui fut de hault courage, plein de toute tyrannie et orgueil.

  

  Cestuy Glacidas fit renforcer le boulevart qui avoit esté abandonné, et assortit, tant là comme ès Tournelles, canons et merveilleuses bombardes, dont il fit jetter jour et nuit en la cite et contre le boulevart du Pont, dont Messire Nicole de Giresme eut la garde à tout grande compaignée de nobles et bourgeois d'Orléans, que d'autre part fisrent fort battre de canons et merveilleuses bombardes les Tournelles, dont, en peu de temps, ils abbatirent tout le comble avec le plus de la muraille. Mais les Anglois se fortifièrent tant par dedans de bois qu'on ne les pouvoit que peu grever. Les bourgeois d'Orléans furent en grande douleur pour cette prise des Tournelles. Mais le bastard d'Orléans, la Hire, Monseigneur de Bueil, Monseigneur de Chaumont et Messire André d'Averton, Messire Théaulde de Valepargue, le seigneur de Saincte-Sévére et de Boussac mareschal de France, Messire Jacques de Chabannes, séneschal de Bourbonnois, le sire de Villars, le sire de Couraze et autres nobles vinrent le lundy après la susdite prise à grand compaignée de gens d'armes, dont ceux d'Orléans furent moult réjouis, et fortifièrent et garnirent leur pont de plus en plus, faisans jetter jour et nuit canons et vuglaires ; pour quoy Glacidas usa souvent de grands menaces, et s'alloit ventant par son orgueil qu'il feroit tout meurtrir à son entrée dans la ville, tant hommes que femmes sans en espargner aucuns.


                                         

près la venue du bastard d'Orléans et de la chevalerie, advint, un jour, que le comte de Salisbery vint aux Tournelles, par l'exhortement de Glacidas, pour voir plus à plain la fermeture de la cité d'Orléans. Ledit comte estant près d'une fenestre devant lesdictes Tournelles où il regardoit et visoit la cite, fut, par juste jugement de Dieu (58) qui tout connoist et qui traite et guerdonne les hommes selon leurs mérites, féry (59) de l'esclat d'une pierre de canon, qui entra par ladite fenestre ; et perdit l'œil du coup et cheut à terre près de Glacidas avec un autre chevalier qui fut occis de ce mesme coup.
  Alors les Anglois qui estoient dedans et courroucez de l'adventure, prinrent ledict comte et l'envoyèrent à Meun le plus celéement (60) qu'ils peurent, auquel lieu il trespassa an mois de novembre mille quatre cent vingt huict, dont le courage des Anglois fut moult affoibly ; lesquels envoyèrent hastivement devers le duc de Betfort qui se disoit régent de France, requérant chef au lieu dudict comte, avec secours de gens, argent et vivres. Lequel régent envoya grande chevalerie, argent et vivres, pour maintenir le siège. Et pour gouverner la guerre fit principaux chefs et capitaines : Messire Guillaume la Poule, comte de Suffort, les seigneurs de Talbot , de Gray, de Scales, Messire Robert Héron, Lancelot de Lisle, Gilbert de Halsates, Glacidas et autres chevaliers et escuyers anglois, avec aucuns faux François, entre lesquels fut Messire Guillaume de Rochefort, Huc des Prez (61), Eustace Gaudin, Geoffroy de Lamé, Jean de Chainviller, Jean le Baveux , Guillaume Languedoc, Jean de Mazis, Guillaume du Broillac. Et fut bien la puissance du siège nombrée de dix mille hommes.
  Ces chefs de guerre tinrent plusieurs conseils à Baugency, à Meun et à Jargeau, et finalement délibérèrent que aux Tournelles, au boulevart de devant, ès bastides des Augustins, de Sainct-Privé, et de Sainct-Jean le Blanc, qui furent bien grandement fortifiez, gens seroient establis pour garder les passages par eaue et par terre, sous le gouvernement de Glacidas capitaine des Tournelles ; et ce faict mettroient siège de l'autre part de la cité d'Orléans.


                                         

' an mille quatre cent vingt huict, le vingt neufiesme jour de décembre, le comte de Suffort, les seigneurs de Talbot, de Scales et autres grands seigneurs anglois et bourguignons chefs de guerre se partirent de Jargeau, vinrent à puissance mettre le siège devant Orléans du costé devers la Beausse ; et pour enclore la cité fermèrent et fortifièrent plusieurs bastides encloses de fossez et de tranchées sur tous les grands chemins passans, c'est à sçavoir : la bastide Sainct-Laurens, la bastide du Colombier, la bastide de la Croix-Boissée, la bastide qu'ils nommèrent Londres , au lieu des Douze-Pairs (62), la bastide Haro, nommée Rouan, la bastide de Sainct-Pouoir, nommée Paris, la bastide Sainct Loup; et édifièrent dedans la Loire, au droict de Sainct-Laurens en l'isle de Charlemaigne, une autre bastide, et là, levèrent port et passage par eaue en telle manière qu'un siege pouvoit secourir l'autre.
  Et ainsi appert que la ville fut enclose tant de la partie de Beausse que de Soulongne, de treize places fortifiées, tant boulevarts, commc bastides : dont la cité fut en telle destresse qu'ils ne peurent avoir secours de vivres par eaue ny par terre. Néantmoins les nobles et les bourgeois qui estoient dedans la cite, issirent souvent et feirent de grand saillies et si furent assaillir Anglois jusques aux bastides, lesquels issoient aucunes fois. Il y eut moult de grandes escarmouches, où eut grand nombre des chevaux du mareschal de Saincte Sévère de tuez : ce mareschal fut de grande entreprinse et hardy, et gouverna tant honorablement les gens de guerre, qu'il tenoit à Orléans, qu'ils y séjournèrent depuis la Toussaint jusques à l'Ascension, sans faire aucun excès entre eux et ceux d'Orléans (63).


                                         

urant ce siège, Charles, comte de Clermont, fils aisné (64) du duc de Bourbon, se mit sus pour secourir la cité d'Orléans. Il vint à puissance à Blois où il sceut nouvelles que le duc de Bedfort avoit mis sus Anglois à grand nombre qui estoient partis de Paris à grande quantité de vivres, pour avitailler l'ost des Anglois, et le secourir de gens. Si départit de Blois pour aller au-devant et fist sçavoir son entreprinse au bastard d'Orléans et aux chefs de guerre qui estoient avec luy à Orléans, lesquels se tirerent hastivement par devers luy, et trouverent près d'Yenville ledict comte et sa compaignée, qui furent joyeux de leur venue, et eurent tantost nouvelles que Anglois estoient près de Rouvray Saint-Denys, qui conduisoient grand charroy chargé de vivres et d'artillerie.
  François furent moult désirans de combatre Anglois, et pour ce faire misrent ensemble leur puissance, qui estoit grande, car là estoient le comte de Clermont, accompagné de tous les hauts barons d'Auvergne et de Bourbonnois ; le bastard d'Orléans, les sires de la Fayete, et de Saincte-Severe mareschaux, le sire de Culant, admiral de France, le viconte de Thouars, le sire de Belleville, les plus (65) chevaliers et escuyers du Berry et de Poitou, Messire Jehan Estuart ou Stuart connestable des Ecossois, comte d'Evreux, auquel le roy avoit donné cette comté, et son frère à grand compaignée d'Escossois, Messire Guillaume d'Albret, sire d'Orval, Messire Jean de Nilhat (66) seigneur de Châteaubrun, vicomte de Bridiers, Messire Jehan de Lesgot, La Hire et plusieurs chevaliers et escuyers, et chefs de guerre qui ordonnèrent leurs batailles. Et fut conclu qu'ils ne descendroient point de cheval, fors seulement les gens de traict, qui à la veue des Anglois et à leur venue, assortiroient leurs canons, couleuvrines et autres traicts.
  François allèrent tant qu'ils trouvèrent les Anglois près Rouvray, qui doutamment s'attendoient d'avoir bataille. Ils estoient enclos de leur charroy, pour lequel garder ordonnèrent illec a leurs gens de traict, avec les marchands qui estoient là venus de Paris et autres citez, et plantèrent entour le parc où ils estoient retirez, grande quantité de paulx aigus. Alors les batailles de pied françoises (67) assortirent leurs canons, couleuvrines, et autres traicts, puis approchèrent le charroy et les archers anglois, contre lesquels ils commencèrent à tirer de telle sorte, que peu tinrent-ils leurs places, car ceux d'Orléans, qui estoient là en grand nombre, les chargèrent à merveilles de belles couleuvrines, contre lesquelles rien ne résistoit, qu'il ne fust mis en pièces.
  Là fut faict a cette attaque grande occision d'Anglois et de marchands de Paris, pour lesquels secourir Anglois n'ozèrent partir de leur parc, redoutans les batailles de cheval qui estoient en leur veue. Mais le connestable d'Escosse fut tant désirans d'assembler contre ses ennemis, que lui et tous ses gens descendirent à pied pour aller quérir Anglois jusques en leur parc, oultre la première ordonnance et sans attendre les autres ; avec lequel descendit le bastard d'Orléans, les seigneurs d'Orval et de Chasteaubrun, messire Jean de Lesgot et aucuns nobles, qui cuidoient bien que les batailles de cheval deussent à l'assembler férir sur Anglois, mais ils n'en firent oncques rien.
  A cette heure, qui fut environ vespres, le samedy douziesme jour de février, veille des Brandons, l'an mil quatre cent vingt huict, Anglois issirent tout à coup de leur enclos et assemblèrent contre les susdits Escossois qui furent desconfits en peu d'heures. Ce voyant, les Auvergnats et autres se prinrent à fuir sans assembler contre Anglois, et se retirèrent à Orléans, avec eux ledict bastard, qui fut griefvement blessé en ladicte bataille, où furent occis lesdits connestable d'Escosse, les sires d'Orval, de Chasteaubrun, de Lesgot, et autres nobles de renom, jusques au nombre d'environ trois à quatre cent combatans, et la pluspart hommes d'armes. Il y eut aussi plusieurs Anglois occis ; Messire Jean Fastot fut chef de la bataille des Anglois, lequel amena, à la veue des François, les vivres et le charroy en l'ost devant Orléans, le mardy après la desconfiture (68).

  


                                         

r, après que ledit comte de Clermont se fut retiré à Orléans, il tint illec aucuns conseils et jura et promist à son parlement secourir la ville de gens et de vivres dedans un certain jour, auquel il défaillit ; et demeurèrent seulement pour conforter la ville le mareschal de Saincte-Severe, avec le bastard d'Orléans. Et d'autant que ceux d'Orléans n'espéroient plus avoir secours du roy, eux tendans à conserver la seigneurie du duc d'Orléans, leur naturel seigneur, qui estoit prisonnier en Angleterre, et sçachans de certain que tout le plus des nobles de France avoient compassion de sa personne, et que le conseil d'Angleterre luy avoit octroyé pour ses pays abstinence de guerre à certain temps, sous la puissance du duc de Betfort, soy disant régent de France ; lequel par la dureté du conseil de Paris, ne voulut passer l'abstinence, mais fist mettre le siège devant ladicte ville.
  Pour venir à celle fin aucuns nobles et bourgeois de la ville d'Orléans se retirèrent par devers le duc de Bourgongne, et Messire Jean de Luxembourg, requérans, que pour pitié leur pleust tant faire que, par leur moyen, ladite abstinence peust sortir à aucun effect ; à quoy ils furent moult enclins. A cette fin, lesdits ducs de Bourgongne et Luxembourg allèrent à Paris. Si menèrent avec eux les messagers d'Orléans, et requirent le duc de Betfort qu'il voulust faire lever le siége et consentir ladicte abstinence, dont il les refusa tout à plein. Pourquoy le duc de Bourgongne en prit grand desplaisir et envoya avec les messagers d'Orléans, l'un de ses héraults, lequel vint en l'ost par devers tous ceux qui cstoient du party dudit duc, leur faire commandement qu'ils se departissent dudict siége, et ainsi le fisrent la pluspart des Picards, Champenois et Bourguignons, dont la puissance des Anglois affoiblit moult.
  La dite cité d'Orléans ainsi assiégée et d'autre costé garnie de vaillans gens, et de plus les habitans de la ville ayans bon et grand courage de tenir et se défendre, comme ils avoient desjà bien monstré, feirent abbatre leurs beaux fauxbourgs, presque aussi grands, s'ils eussent esté ensemble, comme la ville, et vingt six églises, dont celle de Monseigneur Sainct Aignan d'Orléans, qui estoit collégiale, et un cloistre pour les chanoines, et où y avoit belles et grandes maisons canoniales en estoit une. Les habitans donc estans en grand doute et danger d'estre perdus, et en la subjection de leurs ennemis, ouyrent nouvelles, qu'il venoit une pucelle vers le roy, laquelle se faisoit fort de lever le siége de ladicte ville d'Orléans.


                                         

' an mille quatre cent vingt-neuf (69), y avoit une jeune fille vers les Marches de Vaucouleurs, native d'un village nommé Domp-Remy, de l'eslection de Langres, qui est tout un avec le village de Gras, fille de Jacques Daïx (70) et d'Ysabeau, sa femme, simple villageoise, qui avoit acoustumé aucunes fois de garder les bestes ; et quand elle ne les gardoit, apprenoit à couldre, on bien filoit. Elle estoit aagée de dix-sept à dix-huict ans, bien compassée de membres, et forte ; laquelle, un jour, sans congé de pére ou de mére (non mie qu'elle ne les eust en grand honneur et révérence, et les craingnoit et doubtoit ; mais elle ne s'osoit descouvrir à eux, pour doubte qu'ils ne luy empeschassent son entreprinse), s'en vint à Vaucouleurs devers Messire Robert de Baudricourt, un vaillant chevalier tenant le party du roy ; et avoit en sa place foison gens de guerre vaillans, faisans guerre tant aux Bourguignons qu'autres tenans le party des ennemis du roy ; et luy dist Jeanne simplement les paroles qui s'ensuivent : "Capitaine messire, sçachez que Dieu, despuis aucun temps en çà, m'a plusieurs fois faict à sgavoir et commandé que j'allasse devers le gentil Dauphin, qui doibt estre et est vray roy de France ; et qu'il me baillast des gens d'armes, et que je léverois le siége d'Orléans, et le mènerois sacrer à Reims." Lesquelles choses Messire Robert réputa à une moquerie et dérision, s'imaginant que c'estoit un songe ou fantaisie ; et luy sembla qu'elle seroit bonne pour ses gens, à eux esbattre en pesché ; et y eut aucuns qui avoient volonté d'y essayer ; mais aussi tost qu'ils la voyoient, ils estoient refroidis et ne leur en prenoit volonté.
  Elle pressoit tousjours instamment ledict capitaine qu'il l'envoyast vers le roy ; et luy fist avoir habillemens d'homme, et cheval et compaignons à la conduire ; et entre autres choses luy dist : "En nom Dieu, vous mettez trop à m'envoyer ; car aujourdhuy le gentil Daulphin a eu assez près d'Orléans un bien grand dommaige, et sera il encore taillé de l'avoir plus grand, si ne m'envoyez bien tost vers lui." Lequel capitaine mist lesdictes paroles en sa mémoire et imagination, et sceut depuis que ledict jour fut quand le connestable d'Escosse et le seigneur d'Orval furent desconfits par les Anglois (71). Et estoit ledict capitaine en grand pensée qu'il en feroit ; si délibéra et conclud qu'il l'envoyeroit ; et luy fist faire robe et chaperon à homme, gipon, chausses à attacher, houseaux et esperons, et luy bailla un cheval et un varlet, puis ordonna a deux gentilhommes du pays de Champaigne, qu'ils la voulussent conduire : l'un des gentilshommes, nommé Jean de Metz, et l'autre Bertrand de Pelonge ; lesquels en feirent grand difficulté, et non sans cause ; car il failloit qu'ils passassent par les dangers et périls des ennemis. Ladicte Jeanne congneut bien la crainte et doubte qu'ils faisoient ; si leur dist : "En nom Dieu, menez-moi devers le gentil Daulphin, et ne faictes doubte, que vous ne moy n'aurons aucun empeschement." Et est à sçavoir qu'elle n'appella le roy que Daulphin jusques ce qu'il fust sacré. Et lors lesdicts compagnons conclurent qu'ils la méneroient vers le roy, lequel estoit lors à Chinon.
  Si se partirent et passérent par Auxerre et plusieurs autres villes, villages et passages de pays des ennemis, et aussi par les pays obéissans au roy, où régnoient toutes pilleries et roberies, sans ce qu'ils eussent ou trouvassent aucuns empeschements, et vindrent jusques en la ville de Chinon. Eux mesmes disoient qu'ils avoient passé aucunes rivieres à gué bien profondes, et passages renommés périlleux, sans quelconque inconvénient, dont ils estoient esmerveillez. Eux arrivés en ladicte ville de Chinon [le 6 mars], le roy manda les gentilshommes qui estoient venus en sa compaignée, et les feit interroger en sa présence ; lesquels ne sceurent que dire sinon ce qui est récité cy dessus.

  Si eut le roy et ceux de son conseil grand doubte si ladicte Jeanne parleroit au roy ou non, et si il la feroit venir devers lui ; sur quoy y eut diverses opinions et imaginations, et fut conclud qu'elle verroit le roy. Ladicte Jeanne fut amenée en sa présence, et dist qu'on ne la déceust point, et qu'on luy monstrast celuy auquel elle debvoit parler. Le roy estoit bien accompaigné, et combien que plusieurs faingnissent qu'ils fussent le roy, toustesfois elle s'adressa à luy assez plainement, et luy dist que Dieu l'envoyoit là pour lui ayder et secourir ; et qu'il luy baillast gens, et elle léveroit le siége d'Orléans, et si le méneroit sacrer à Reims ; et que c'estoit le plaisir de Dieu que ses ennemis les Anglois s'en allassent en leurs pays ; que le royaume lui debvoit demeurer ; et que si ils ne s'en alloient, il leur mescherroit.

  Après ces choses ainsi faictes et dictes, on la fist remener en son logis, et le roy assembla son conseil pour sçavoir qu'il avoit à faire : où estoit l'archevesque de Reims, son chancelier (72), et plusieurs prélats, gens d'église et laïcs. Si fut advisé que certains docteurs en théologie parleroient a elle et l'examineroient, et aussi avec eux canonistes et légistes ; et ainsi fut faict. Elle fut examinée et interrogée par diverses fois et diverses personnes : dont estoit chose merveilleuse comme elle se portoit en son faict, et ce qu'elle disoit luy estre chargé de par de Dieu, comme elle parloit grandement et notablement, veu que en autres choses elle estoit la plus simple bergère que on veit onques. Entre autres choses, on s'esbahissoit comme elle dist à Messire Robert de Baudricourt, le jour de la bataille de Rouvray, autrement dicte des Harens, ce qui estoit advenu ; et aussi de la maniére de sa venue, et comme elle estoit arrivée sans empeschement jusques à Chinon.

  Un jour elle voulut parler au roy en particulier, et luy dist : "Gentil Daulphin, pourquoy ne me croyez-vous ? Je vous dis que Dieu a pitié de vous, de vostre royaume, et de vostre peuple ; car sainct Louys et Charlemaigne sont à genoux devant luy, en faisant priére pour vous ; et je vous diray, s'il vous plaist, telle chose, qu'elle vous donnera à congnoistre que me debvez croire." Toutesfois elle fut contente que quelque peu de ses gens y fussent, et en la présence du duc d'Alençon, du seigneur de Trèves (73), de Christofle de Harcourt, et de Maistre Gérard Machet, son confesseur (74), lesquels il fist jurer, à la requeste de ladicte Jeanne, qu'ils n'en révéleroient ny diroient rien, elle dist au roy mie chose de grand conséquence, qu'il avoit faicte, bien secréte dont il fut fort esbahy, car il n'y avoit personne qui le peust sçavoir, que Dieu et luy. Et dés lors fut comme conclud que le roy essayeroit à exécuter ce qu'elle disoit. Toutesfois il advisa qu'il estoit expédient qu'on l'amenast à Poitiers, où estoit la Court de parlement, et plusieurs notables clercs de théologie, tant séculiers comme réguliers ; et que luy mesmes iroit jusques en ladicte ville. Et de faict le roy y alla ; et faisoit amener et conduire ladicte Jeanne ; et, quand elle fut comme au milieu du chemin, elle demanda où on la menoit ; et il luy fut respondu que c'estoit à Poitiers. Et lors elle dist : "En nom Dieu, je sçay que je y auray bien affaire ; mais Messires m'aydera ; or allons, de par Dieu."
  Elle fut donques amenée en la cité de Poitiers, et logée en l'hostel d'un nommé Maistre Jean Rabateau, qui avoit espousé une bonne femme : auquel on la bailla en garde. Elle estoit tousjours en habit d'homme, ny n'en vouloit autre vestir. Si fist on assembler plusieurs notables docteurs en théologie et autres, bacheliers, lesquels entrérent en la salle où elle estoit ; et quand elle les void, s'alla seoir au bout du banc et leur demanda qu'ils vouloient. Lors fut dict par la bouche d'un d'eux qu'ils venoient devers elle pource qu'on disoit qu'elle avoit dict au roy que Dieu l'envoyoit vers luy ; et monstrérent par belles et douces raisons qu'on ne la devoit pas croire. Ils y furent plus de deux heures, où chascun d'eux parla sa fois ; et elle leur respondit : dont ils estoient grandement esbahis, comme une si simple bergére, jeune fille, pouvoit ainsi prudemment respondre. Et entre les autres, y eut un carme, docteur en théologie, bien aigre homme, qui luy dist que la Saincte Escriture deffendoit d'adjouster foy à telles paroles, si on ne monstroit signe ; et elle respondit plainement qu'elle ne vouloit pas tenter Dieu, et que le signe que Dieu luy avoit ordonné, c'estoit lever le siége de devant Orléans et de mener le roy sacrer à Reims; qu'ils y vinssent, et ils le verroient : qui sembloit chose forte et comme impossible, veue la puissance des Anglois, et que d'Orléans ny de Blois jusques à Reims, n'y avoit place françoise. Il y eut un autre docteur en théologie, de l'ordre des frères prescheurs, qui luy va dire : "Jeanne, vous demandez gens d'armes, et si dictes que c'est le plaisir de Dieu que les Anglois laissent le royaume de France et s'en aillent en leur pays. Si cela est, il ne fault point de gens d'armes, car le seul plaisir de Dieu les peut desconfire, et faire aller en leur pays." A quoy elle respondit qu'elle demandoit gens, non mie en grand nombre, lesquels combatroient, et Dieu donneroit la victoire. Après laquelle response faicte par icelle Jeanne, les théologiens s'assemblèrent, pour veoir ce qu'ils conseilleroient au roy ; et conclurent sans aucune contradiction, combien que les choses dictes par ladicte Jeanne leur sembloient bien estranges, que le roy s'y debvoit fier, et essayer à exécuter ce qu'elle disoit.

  Le lendemain y allèrent plusieurs notables personnes, tant de présidens et conseillers de Parlement, que autres de divers estats ; et avant qu'ils y allassent, ce qu'elle disoit leur sembloit impossible à faire, disans que ce n'estoit que resveries et fantaisies ; mais il n'y eut celuy, quand il en retournoit et l'avoit ouye, qui ne dist que c'estoit une créature de Dieu ; et les aucuns, en retournant, pleuroient à chaudes larmes. Semblablement y furent dames, damoiselles et bourgeoises, qui luy parlèrent, et elle leur respondit si doucement et gracieusement, qu'elle les faisoit pleurer. Entre les autres choses, ils luy demandèrent pourquoy elle ne prenoit habit de femme et elle leur respondit : "Je croy bien qu'il vous semble estrange, et non sans cause ; mais il fault, pour ce que je me doibs armer et servir le gentil Daulphin en armes, que je prenne les habillemens propices et nécessaires à ce ; et aussi quand je seroie entre les hommes, estant en habit d'homme, ils n'auront pas concupiscence charnelle de moi ; et me semble qu'en cest estat je conserveray mieulx ma virginité de pensée et de faict".
  Pour le temps de lors, on faisoit grand diligence d'assembler vivres, et spécialement blez, chairs salées et non salées, pour essayer à les mener dedans la ville d'Orléans. Si fut délibéré et conclud qu'on esprouveroit ladicte Jeanne sur le faict desdicts vivres ; et luy furent ordonnez harnois, cheval et gens ; et luy fut spécialement baillé pour la conduire et estre avec elle, un bien vaillant et notable escuyer, nommé Jehan d'Olon, prudent et sage, et pour paige, un bien gentil homme, nommé Louys de Comtes, dict Imerguet, avec autres varlets et serviteurs. Durant ces choses, elle dist qu'elle vouloit avoir une espée qui estoit à Saincte Catherine du Fierbois, où il y avoit en la lame, assez près du manche, cinq croix. On lui demanda si elle l'avoit oncques veue, et elle dist que non ; mais elle sçavoit bien qu'elle y estoit. Elle y envoya, et n'y avoit personne qui sceust où elle estoit ny que c'estoit. Toutesfois, il y en avoit plusieurs qu'on avoit autresfois données à l'église, lesquelles on fist toutes regarder, et on en trouva une toute enrouillée, qui avoit lesdictes cinq croix. On la luy porta, et elle dist que c'estoit celle qu'elle demandoit. Si fut fourbie et bien nettoyée, et luy fist on faire un beau fourreau tout parsemé de fleurs de lys (75).
  Tant que ladicte Jeanne fut à Poitiers, plusieurs gens de bien alloient tous les jours la visiter, et tousjours disoit de bonnes paroles. Entre les autres, y eut un bien notable homme, maistre des requestes de l'hostel du roy (76), qui luy dist : "Jeanne, on veult que vous essayez à mettre les vivres dedans Orléans ; mais il semble que ce sera forte chose, veues les bastilles qui sont devant, et que les Anglois sont forts et puissants.".
  "En nom Dieu, dist-elle, nous les mettrons dedans Orléans à nostre aise ; et si n'y aura Anglois qui saille, ne qui face semblant de l'empescher."

  Elle fut armée et montée à Poitiers ; puis s'en partit ; et en chevauchant, portoit aussi gentilement son harnois, que si elle n'eust faict autre chose tout le temps de sa vie. Dont plusieurs s'esmerveilloient ; mais bien davantage les docteurs, capitaines de guerre et autres, des responses qu'elle faisoit, tant des choses divines que de la guerre. Le roy avoit mandé plusieurs capitaines pour conduire et estre en la compaignée de ladicte Jeanne, et entre autres, le mareschal de Rays, Messire Ambroise de Loré et plusieurs autres, lesquels conduirent ladicte Jeanne jusques en la ville de Blois. (77)

  

                                            
  En l'an mil quatre cent vingt-neuf, il y avait, vers les marches de Vaucouleurs, une jeune fille, native d'un pays nommé Domrémy, qui est tout un avec le village de Gras (Greux), de l'élection de Langres. Elle était fille de Jacques Darc et d'Ysabeau sa femme. C'était une simple villageoise, qui avait coutume de garder quelquefois les bêtes, et quand elle ne les gardait pas, de s'exercer à coudre, ou bien elle filait. Elle était âgée de dix-sept à dix-huit ans, bien compassée de membres et forte.
  Sans congé ni de père ni de mère (ce n'est pas qu'elle ne leur portât grand honneur et révérence, elle les craignait et respectait, mais elle n'osait se découvrir à eux par peur qu'ils n'empêchassent son entreprise), un jour elle s'en vint à Vaucouleurs devers messire Robert de Baudricourt, un vaillant chevalier tenant le parti du roi, et ayant en sa place de Vaucouleurs foison de gens de guerre vaillants, faisant guerre tant aux Bourguignons qu'à tous autres tenant le parti des ennemis du roi ; et Jeanne lui dit simplement les paroles qui s'ensuivent: « Capitaine messire, sachez que Dieu, depuis quelque temps déjà, m'a fait plusieurs fois savoir et commandé que j'allasse devers le gentil Dauphin, qui doit être et est vrai roi de France ; et qu'il me baillât des gens d'armes, et que je lèverais le siège d'Orléans, et le mènerais sacrer à Reims ». Messire Robert réputa ces choses moqueries et dérision, s'imaginant que c'était rêve ou fantaisie; et il lui sembla qu'elle serait bonne pour servir de honteux ébats à ses gens ; et quelques-uns avaient la volonté d'en faire l'essai ; mais sitôt qu'ils la voyaient, ils étaient refroidis et n'en avaient plus le vouloir.
  Elle pressait toujours instamment ledit capitaine de l'envoyer vers le roi, de lui faire avoir habillements d'homme, cheval et compagnons pour la conduire, et, entre autres choses, elle lui dit un jour : « En nom Dieu, vous tardez trop à m'envoyer; car aujourd'hui le gentil Dauphin a eu assez près d'Orléans un bien grand dommage; et encore sera-t-il taillé de l'avoir plus grand, si vous ne m'envoyez bientôt vers lui ». Le capitaine mit lesdites paroles en sa mémoire et imagination, et sut après que ledit jour avait été, quand le connétable d'Écosse et le seigneur d'Orval furent déconfits (78) par les Anglais; et ledit capitaine était en grande pensée sur ce qu'il ferait; il délibéra et conclut qu'il l'enverrait. Il lui fit faire vêtements et chaperon d'homme, gippon, chausses à attacher, houseaux et éperons (79), et lui bailla un cheval et un varlet; puis il ordonna à deux gentilshommes du pays de Champagne qu'ils la voulussent conduire ; l'un se nommait Jean de Metz et l'autre Bertrand de Pélonge; lesquels en firent grande difficulté et non sans cause ; car il leur fallait passer au milieu des périls et des dangers des ennemis. Ladite Jeanne, connaissant bien leur crainte et les difficultés qu'ils faisaient, leur dit: « En nom Dieu, menez-moi vers le gentil Dauphin, et n'ayez nul doute; ni vous, ni moi n'aurons aucun empêchement ». Et il faut savoir qu'elle ne donna au roi que le nom de Dauphin jusqu'à ce qu'il fût sacré. Et lors lesdits compagnons conclurent qu'ils la mèneraient vers le roi, qui lors était à Chinon.

  Ils partirent, et passèrent par Auxerre et par plusieurs autres villes, villages et passages du pays des ennemis; ils passèrent aussi par les pays obéissants au roi, où régnaient les pillards et les voleurs de grand chemin, sans avoir, ni trouver aucun empêchement, et ils vinrent jusques en la ville de Chinon. Eux-mêmes disaient qu'ils avaient traversé à gué des rivières bien profondes et des passages réputés bien périlleux, sans inconvénient quelconque ; ce dont ils étaient émerveillés. Arrivés en ladite ville de Chinon, le roi manda les gentilshommes qui étaient venus en la compagnie de la jeune fille, et les fit interroger en sa présence; ils ne surent que dire ce qui est rapporté ci-dessus.
  Le roi et ceux de son conseil ne savaient si ladite Jeanne devait être admise à parler au roi, ou non, et s'il la devait faire venir vers lui ; sur quoi il y eut diverses opinions et divers avis ; et il fut conclu qu'elle verrait le roi. Ladite Jeanne fut amenée en sa présence, et elle dit qu'on ne la déçût pas, et qu'on lui montrât celui auquel elle devait parler. Le roi était bien accompagné, et quoique plusieurs feignissent d'être le roi, toutefois elle s'adressa à lui très directement (80); et elle lui dit que Dieu l'envoyait en ce lieu pour l'aider et le secourir; qu'il lui baillât des gens et qu'elle lèverait le siège d'Orléans, et de là le mènerait sacrer à Reims ; que c'était le plaisir de Dieu que les Anglais s'en allassent en leur pays ; et que s'ils ne s'en allaient, il leur en arriverait malheur.
  Ces choses ainsi faites et dites, on la fit ramener en son logis, et le roi assembla son conseil pour savoir ce qu'il avait à faire. A ce conseil se trouvaient l'archevêque de Reims, son chancelier, et plusieurs prélats, des gens d'Eglise et des laïques. Il fut arrêté que quelques docteurs en théologie l'entretiendraient et l'examineraient, et qu'il y aurait avec eux des canonistes et des légistes ; et ainsi il fut fait. Elle fut examinée et interrogée par diverses fois et par diverses personnes : et c'était chose merveilleuse comment elle se comportait en son fait; et quand elle parlait de ce dont elle était chargée de par Dieu, comme elle parlait grandement et notablement, vu qu'en autres choses, elle était la plus simple bergère qu'on vît jamais. Entre autres choses, on s'ébahissait comme elle avait dit à messire Robert de Baudricourt, le jour de la bataille de Rouvray, autrement dite des Harengs, ce qui était advenu; et aussi de la manière de sa venue, et comme elle était arrivée sans empêchement jusques à Chinon.
  Un jour, elle voulut parler au roi en particulier, et elle lui dit : « Gentil Dauphin, pourquoi ne me croyez-vous pas? Je vous dis que Dieu a pitié de vous, de votre royaume, et de votre peuple ; car saint Louis et Charlemagne sont à genoux devant lui, en faisant prière pour vous ; et je vous dirai, s'il vous plaît, telle chose, qu'elle vous donnera à connaître que vous me devez croire. » Toutefois elle fut contente que quelques-uns de ses gens y fussent présents ; et là, en la présence du duc d'Alençon, du seigneur de Trêves, de Christophe de Harcourt, et de Gérard Machet, confesseur du roi, qui, à la requête de Jeanne, jurèrent qu'ils n'en révéleraient et n'en diraient rien, elle dit au roi une chose de grande conséquence, qu'il avait faite, bien secrète; ce dont il fut fort ébahi, car il n'y avait personne qui le pût savoir, si ce n'est Dieu et lui ; et, dès lors, il fut conclu que le roi essayerait d'exécuter ce qu'elle disait.

  Toutefois le roi pensa qu'il était expédient qu'on l'amenât à Poitiers, où étaient la cour du parlement, et plusieurs notables maîtres en théologie, tant séculiers que réguliers ; et il décida qu'il irait lui-même en ladite ville. Et, de fait, le roi y alla, faisant amener et conduire ladite Jeanne; et quand elle fut comme au milieu du chemin, elle demanda où on la menait, et il lui fut répondu que c'était à Poitiers. Et lors elle dit: « En nom Dieu, je sais que j'y aurai bien à faire ; mais Messire m'aidera. Or allons de par Dieu. »
  Elle donc amenée en la cité de Poitiers, elle fut logée en l'hôtel d'un nommé maître Jean Rabateau, mari d'une honnête femme, à laquelle elle fut donnée en garde. Elle était toujours en habit d'homme et n'en voulait vêtir d'autre. On convoqua plusieurs notables docteurs en théologie et autres, des bacheliers, qui entrèrent en la salle où elle était ; et quand elle les vit elle alla s'asseoir au bout du banc et leur demanda ce qu'ils voulaient. Il lui fut répondu par la bouche de l'un d'eux qu'ils venaient devers elle, parce qu'on disait qu'elle s'était présentée au roi comme envoyée par Dieu vers lui ; et ils lui montrèrent par de belles et douces raisons qu'on ne devait pas la croire. Ils y furent pendant plus de deux heures où chacun parla à son tour ; et elle leur répondit de telle sorte qu'ils étaient grandement ébahis comment une si simple bergère, une jeune fille, pouvait si prudemment répondre.
  Entre les autres, il y eut un Carme, docteur en théologie, bien aigre homme, qui lui dit que la sainte Écriture défendait d'ajouter foi à telles paroles, si elle ne montrait pas des signes ; elle répondit aussitôt qu'elle ne voulait pas tenter Dieu, et que le signe que Dieu lui avait ordonné, c'était de lever le siège de devant Orléans et de mener sacrer le roi à Reims ; qu'ils y vinssent et qu'ils le verraient; ce qui semblait chose forte et comme impossible, vu la puissance des Anglais, et que d'Orléans et de Blois jusqu'à Reims, il n'y avait place française. Il y eut un autre docteur en théologie, de l'ordre des Frères prêcheurs, qui lui dit: « Jeanne, vous demandez des hommes d'armes, et vous dites en même temps que c'est le plaisir de Dieu que les Anglais laissent le royaume de France, et s'en aillent dans leur pays. Si cela est, il ne faut pas de gens d'armes, car le seul plaisir de Dieu peut les déconfire, et les faire aller en leur pays. » A quoi elle répondit qu'elle demandait des gens, mais nullement en grand nombre, qu'ils combattraient et que Dieu donnerait la victoire.
  Après cette réponse faite par Jeanne, les théologiens s'assemblèrent pour voir ce qu'ils avaient à conseiller au roi ; ils conclurent, sans qu'un seul y contredît, que, bien que les choses dites par ladite Jeanne leur parussent bien étranges, le roi devait cependant s'y fier, et essayer d'exécuter ce qu'elle disait.
  Le lendemain allèrent vers elle plusieurs notables personnes, présidents et conseillers du parlement et autres de divers états ; et avant d'y aller, ce qu'elle disait leur paraissait impossible à faire, disant que ce n'était que rêveries et fantaisies; mais il n'y en eut pas un, quand il s'en retournait et l'avait ouïe, qui ne dît que c'était une créature de Dieu; et quelques-uns en retournant pleuraient à chaudes larmes. Semblablement y furent dames, demoiselles et bourgeoises qui lui parlèrent, et elle leur répondait si doucement et si gracieusement qu'elle les faisait pleurer.
  Entre plusieurs autres choses, elles lui demandèrent pourquoi elle ne prenait pas habit de femme, et elle leur répondit : « Je crois bien que cela vous semble étrange, et ce n'est pas sans cause ; mais il faut, puisque je me dois armer et servir le gentil Dauphin en armes, que je prenne des habits propices et nécessaires pour cela; et aussi quand je serai entre les hommes, avec des habits d'homme, ils n'auront pas concupiscence mauvaise à mon sujet, et il me semble qu'en cet état je conserverai mieux ma virginité de pensée et de fait ».
  Pendant ce temps, on faisait grande diligence pour assembler des vivres, et spécialement des blés, des chairs salées et non salées, afin d'essayer de les mener dedans la ville d'Orléans. Il fut délibéré et conclu qu'on éprouverait ladite Jeanne sur le fait desdits vivres; et on ordonna pour elle harnois, cheval et gens ; et lui fut spécialement baillé pour la conduire et être à sa suite un bien vaillant et notable écuyer, nommé Jean d'Aulon, prudent et sage ; et pour page lui fut assigné un bien gentil homme, nommé Louis de Coutes, dit Imerguet, avec d'autres varlets et serviteurs.
  Durant ces préparatifs, elle dit qu'elle voulait avoir une épée qui était à Sainte-Catherine-de-Fierbois, portant cinq croix en la lame, assez près du manche. On lui demanda si elle l'avait jamais vue, et elle dit que non, mais qu'elle savait bien qu'elle y était. Elle y envoya, et il n'y avait personne qui sût où elle était, ni si elle y était. Toutefois il y en avait plusieurs qu'on avait autrefois données à l'église, lesquelles on fit toutes regarder ; et on en trouva une toute rouillée, qui avait lesdites cinq croix. On la lui porta, et elle dit que c'était celle qu'elle demandait. Elle fut fourbie et bien nettoyée, et on lui fit faire un beau fourreau tout parsemé de fleurs de lis.
  Tant que Jeanne fut à Poitiers, plusieurs gens de bien allaient tous les jours la visiter, et toujours elle disait de bonnes paroles. Entre les autres, il y eut un bien notable homme, maître des requêtes de l'hôtel du roi qui lui dit: « Jeanne, on veut que vous essayiez de mettre les vivres dedans Orléans; mais il semble que ce sera forte chose, vu les bastilles qui sont devant, et vu que les Anglais sont forts et puissants. — En nom Dieu, dit-elle, nous les mettrons dedans à notre aise; et il n'y aura pas Anglais qui saille de ses bastilles, ni qui fasse semblant de l'empêcher. »

  Elle fut armée et montée à Poitiers ; puis elle s'en partit. Et en chevauchant elle portait son harnois (81) aussi gentiment que si elle n'eût fait autre chose tout le temps de sa vie; ce dont plusieurs s'émerveillaient; mais plus que tous les autres, les docteurs, capitaines de guerre et autres, s'émerveillaient des réponses qu'elle faisait tant des choses divines que de la guerre. Le roi avait mandé plusieurs capitaines pour faire la conduite et être en la compagnie de ladite Jeanne, et entre autres le maréchal de Rais, messire Antoine Loré, et plusieurs autres, lesquels conduisirent ladite Jeanne jusques en la ville de Blois.



                                         

es nouvelles de ladicte Pucelle vindrent à Orléans : comme c'estoit une fille de saincte et religieuse vie, qui fut fille d'un pauvre laboureur de la contrée, de l'élection de Langres, près de Barrois, et d'une pauvre femme du mesme pays, qui vivoient de leur labeur ; qu'elle estoit aagée environ de dix-huict à dix-neuf ans, et avoit esté pastoure au temps de son enfance ; qu'elle sçavoit peu de choses mondaines, parloit peu, et le plus de son parler estoit seulement de Dieu, de sa benoiste mère, des anges, des saincts et sainctes de paradis ; disoit que par plusieurs fois luy avoient esté dictes aucunes révélations touchant la salvation du roy et préservation de toute sa seigneurie, laquelle Dieu ne vouloit luy estre tollue ny usurpée ; mais que ses ennemis en seroient déboutez ; et estoit chargée de dire et signifier ces choses au roy dedans le terme de la Sainct Jean [24 juin] 1429. Que ladicte Pucelle avoit esté ouye par le roy et son conseil, où elle ouvrit les choses à elles chargées, et traicta merveilleusement des manières de faire vuider Angloys du royaume ; et ne fut là chef de guerre qui sceust tant proprement remonstrer les manières de guerroyer ses ennemis : dont le roy et tout son conseil fut esmerveillé ; car elle fut autant simple en toutes autres manières, comme une pastourelle. Que pour ceste merveille, le roy alla à Poitiers, et mena là la Pucelle, qu'il fist interroger par notables clercs du Parlement et par docteurs bien renommez en théologie ; et elle ouye, affermèrent qu'ils la réputoient inspirée de Dieu, et approuvèrent tout son faict et ses paroles : pour quoy le roy la tint en plus grand révérence et manda dès lors gens de toutes parts et fist mener à Blois grand quantité de vivres et d'artillerie, pour secourir la cité d'Orléans. Que la Pucelle requist, pour conduire le secours, qu'il pleust au roy lui bailler telles gens et tel nombre qu'elle requerroit, qui ne seroit pas grand nombre ny grande puissance, et pour son corps se fist administrer un harnois entier.
  Alors le roy ordonna que tout ce qu'elle requerroit luy fust baillé ; puis la Pucelle print congé du roy pour aller en la cité d'Orléans ; et elle venue à Blois à peu de gent, séjournoit illec par aucuns jours, attendant plus grande compaignée. Pendant son séjour, elle fist faire un estendart blanc, auquel elle fist pourtraire la représentation du sainct Saulveur et de deux anges, et le fist bénistre en l'église Sainct-Saulveur de Blois. Auquel lieu vindrent tantost après, le mareschal de Saincte-Sevère, les sires de Rays et de Gaucourt, à grand compaignée de nobles et de commun, qui chargerent une partie des vivres pour les mener à Orléans. Ladicte Pucelle se mist en leur compaignée ; et cuidoit bien qu'ils deussent passer par devant les bastides du siège, devers la Beausse ; mais ils prindrent leur chemin par la Solongne ; et ainsi fut menée à Orléans le pénultiesme jour d'avril, au mesme an. (82)

      


  Les nouvelles de ladite Pucelle vinrent à Orléans. On y disait que c'était une fille de sainte et religieuse vie, fille d'un pauvre laboureur de l'élection de Langres, près du Barrois, et d'une pauvre femme du même pays qui vivaient de leur labeur; qu'elle était âgée environ de dix-huit à dix-neuf ans, et avait été pastoure au temps de son enfance. On y disait qu'elle savait peu des choses mondaines, parlait peu, et que le plus de son parler était seulement de Dieu, de sa benoîte Mère, des anges, des saints et saintes du paradis; qu'elle disait que, par plusieurs fois, des révélations lui avaient été faites touchant le salut du roi, et la préservation de toute sa seigneurie, laquelle Dieu ne voulait pas lui être enlevée ni usurpée; que ses ennemis en seraient déboutés ; qu'elle était chargée de signifier ces choses au roi avant le terme de la Saint-Jean 1429. On ajoutait que ladite Pucelle avait été ouïe par le roi et son conseil, devant lesquels elle s'élait ouverte des choses dont elle était chargée; qu'elle traitait merveilleusement des manières de faire évacuer les Anglais du royaume ; et qu'il n'y avait pas chef de guerre qui sût tant proprement remontrer les manières de faire la guerre aux ennemis ; ce dont le roi et son conseil avaient été émerveillés ; car, en toutes autres matières, elle était autant simple qu'une pastourelle. Pour cette merveille, disait-on encore, le roi était venu à Poitiers, amenant la Pucelle, qu'il avait fait interroger par notables clercs du parlement, et par docteurs en théologie bien renommés; et, après l'avoir ouïe, ils avaient affirmé qu'ils la réputaient inspirée de Dieu, et avaient approuvé tout son fait et ses paroles; c'est pourquoi le roi la tint en plus grande révérence, manda dès lors des gens de toutes parts, et fit mener à Blois grandes quantité de vivres et d'artillerie pour secourir la cité d'Orléans; que la Pucelle avait requis pour conduire le secours qu'il plût au roi de lui bailler telles gens et en tel nombre qu'elle le requerrait ; que ce n'était ni grand nombre, ni grande puissance, et que, pour son corps, elle s'était fait administrer un harnois tout entier.
  Alors le roi ordonna que tout ce qu'elle requerrait lui fut baillé ; puis la Pucelle prit congé du roi pour aller en la cité d'Orléans ; et arrivée à Blois avec peu de gens, elle y séjourna pendant quelques jours attendant plus grande compagnie. Pendant son séjour, elle fit faire un étendard blanc (83), sur lequel elle fit peindre la représentation du saint Sauveur et de deux Anges, et elle le fit bénir en l'église Saint-Sauveur de Blois. Dans cette ville ne tardèrent pas à arriver le maréchal de Sainte-Sévère, les sires de Rais et de Gaucourt, et grande compagnie de nobles et de gens du commun, qui chargèrent une partie des vivres pour les mener à Orléans. Ladite Pucelle se mit en leur compagnie ; et elle pensait bien qu'ils allaient passer devant les bastilles du siège, devers la Beauce ; mais ils prirent leur chemin par la Sologne; et ainsi elle fut menée à Orléans, le pénultième jour d'avril, en la même année.



                                         

este Pucelle séjournant à Blois, en attendant la compaignée qui la debvoit mener à Orléans, escrivit et envoya par un hérault aux chefs de guerre qui tenoient siège devant Orléans, une lettre dont la teneur s'ensuit, et est telle :


          JHESUS, MARIA.   
  "Roy d'Angleterre, faictes raison au roy du ciel de son sang royal. Rendez les clefz à la Pucelle de toutes les bonnes villes que vous avez enforcées. Elle est venue de par Dieu pour réclamer le sang royal, et est toute preste de faire paix, se vous voulez faire raison ; par sinsi que vous mettez jus, et paiez de ce que vous l'avez tenue.
  Roy d'Angleterre, se ainsi ne le faictes, je suis chief de guerre ; en quelque lieu que je attandray voz gens en France, se ilz ne veulent obéir, je les feray yssir, veuillent ou non ; et se ilz veulent obéir, je les prendrai à mercy, Croiez que s'ilz ne veulent obéir, la Pucelle vient pour les occire. Elle vient de par le roy du ciel, corps pour corps, vous bouter hors de France ; et vous promet et certiffie la Pucelle que elle y fera si gros hahay, que encore a mil ans en France ne fut veu si grant, se vous ne lui faictes raison. Et croiez fermement que le roy du ciel lui envoiera plus de force que ne sarez mener de touz assaulz à elle et à ses bonnes gens d'armes.
  Entre vous, archiers, compaignons d'armes gentilz et vaillans (84), qui estes devant Orleans, alez vous en en vostre païs, de par Dieu ; et se ainsi ne le faictes, donnez vous garde de la Pucelle, et de voz domages vous souviengne. Ne prenez mie vostre opinion, que vous ne tenrez mie France du roy du ciel, le filz sainte Marie ; maiz le tendra le roy Charles, vray héritier, à qui Dieu l'a donnée, qui entrera à Paris en belle compaignie. Se vous ne créez les nouvelles de Dieu et de la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons, nous ferrons dedens à horions, et si verrons lesquelx meilleur droit auront, de Dieu ou de vous.
  Guillaume de La Poule, conte de Suffort, Jehan, sire de Talbort, et Thomas, sire de Scalles, lieuxtenans du duc de Bethford, soy disant régent du royaume de France pour le roy d'Angleterre, faictes réponse se vous voulez faire paix à la cité d'Orléans. Se ainsi ne le faictes, de voz domages vous souviengne briefment.
  Duc de Bethford, qui vous dictes régent de France pour le roy d'Angleterre, la Pucelle vous prie et requiert que vous ne vous faictes mie destruire. Se vous ne lui faictes raison, elle fera que les François feront le plus beau fait qui oncques feust fait en la christianté.

  Escript le mardy de la grant sepmaine (85): Entendez les nouvelles de Dieu et de la Pucelle.
  Au duc de Betford, qui se dit régent le royaulme de France pour le roy d'Angleterre."

                 

  Après lesdictes lettres envoyées par la Pucelle aux Anglois, fut conclud qu'on iroit à Orléans mener des vivres. Et furent chargez en ladicte ville de Blois plusieurs chariots, charrettes et chevaux de grains ; et y assembla on foison de bestial, tant boeufs, vaches, moutons, brebis et pourceaux ; et fut conclud par les capitaines, tant par ceux qui les debvoient conduire comme par le bastard d'Orléans, qu'on iroit par la Solongne, pour ce que toute la plus grand puissance estoit du costé de la Beausse. Ladicte Jeanne ordonna que toutes les gens de guerre se confessassent et se missent en estat d'estre en la grâce de Dieu ; [si] leur fist oster leurs fillettes, et laisser tout le bagaige ; puis ils se misrent tous en chemin pour tirer à Orléans. Ils couchèrent en chemin une nuict dehors. Et quand les Anglois sceurent la venue de ladicte Pucelle et des gens de guerre, ils désémparérent une bastide qu'ils avoient faicte en un lieu nommé Sainct-Jean-le-Blanc ; et ceux qui estoient dedans s'en vindrent en une autre bastide, que lesdicts Anglois avoient faiçte aux Augustins, emprès le bout du pont ; et ladicte Pucelle et ses gens, avec les vivres, vindrent vers la ville d'Orléans, au dessus de ladicte bastide, à l'endroit dudict lieu Saint-Jean-le-Blanc.
  Ceux de la ville, tantost et incontinent préparèrent et habillèrent vaisseaux pour venir quérir tous lesdicts vivres ; mais la chose estoit si mal à poinct que le vent estoit contraire : or ne pouvoit on monter contremont ; car on n'y peut conduire les vaisseaux, sinon à force de voile. Laquelle chose fut dicte à la dicte Jeanne, qui dist : "Attendez un petit, car, en nom Dieu, tout entrera en la ville." Et soudainement le vent se changea, en sorte que les vaisseaux arrivèrent très aiséement et légèrement où estoit ladicte Jeanne.

  En iceux estoit le bastard d'Orléans et aucuns bourgeois de la ville, qui avoient grand désir de voir ladicte Jeanne ; lesquels luy prièrent et requirent de par la ville et les gens de guerre estans en icelle, qu'elle voulust venir et entrer en la ville, et que ce leur seroit un grand confort, s'il luy plaisoit d'y venir. Alors elle demanda audict bastard : "Estes-vous le bastard d'Orléans ?" et il répondit : "Ouy, Jeanne." Après elle luy dist : "Qui vous a conseillé de nous faire venir par la Soulongne, et que n'avons esté par la Beausse, tout emprès la grand puissance des Anglois ? les vivres eussent entré sans les faire passer par la rivière."
  Le bastard, en soy excusant, luy respondit que ce avoit esté par le conseil de tous les capitaines, veue la puissance des Anglois par la Beausse. A quoy elle répliqua : "Le conseil de Messires (c'est à sçavoir Dieu) est meilleur que le vostre et celuy des hommes, et si est plus seur et plus sage. Vous m'avez cuidé décevoir, mais vous vous estes déceus vous mesmes ; car je vous ameine le meilleur secours que eut onques chevalier, ville ou cité ; et ce est le plaisir de Dieu et le secours du Roy des cieux, non mie pour l'amour de moy, mais procède purement de Dieu ; lequel, à la requeste de sainct Louys et sainct Charles le Grand, a eu pitié de la ville d'Orléans, et n'a pas voulu souffrir que les ennemis eussent le corps du duc d'Orléans et sa ville. Quant est d'entrer en la ville, il me feroit mal de laisser mes gens, et ne le doibs pas faire ; ils sont tous confessez, et en leur compaignée je ne craindrois pas toute la puissance des Anglois." Alors les capitaines lui dirent : "Jeanne, allez y seurement, car nous vous promettons de retourner bien brief vers vous." Sur ce, elle consentit d'entrer dans la ville avec ceux qui luy estoient ordonnez, et y entra ; et fut receue à grand joye, et logée en l'hostel du thrésorier du duc d'Orléans, nommé Jacques Boucher, où elle se fist désarmer. Et est vray que, depuis le matin jusques au soir, elle avoit chevauché toute armée, sans descendre, boire ny manger. On luy avoit faict appareiller à souper bien et honorablement ; mais elle fist seulement mettre du vin dans une tasse d'argent, où elle mist la moitié d'eau, et cinq ou six soupes dedans, qu'elle mangea, et ne print autre chose tout le jour pour manger ny boire ; puis s'alla coucher en la chambre qui luy avoit esté ordonnée ; et avec elle estoient la femme et la fille dudict thrésorier, laquelle fille coucha la nuict avec ladicte Jeanne. Et ainsi vint ladicte Pucelle en la ville d'Orléans, le pénultiesme jour d'avril, l'an mille quatre cent vingt-neuf.

  Tantost elle sceut que les chefs du siège ne tinrent compte de ses lettres ny de tout leur contenu, mais réputèrent tous ceux qui croyoient et adjoustoient foy à ses paroles, pour hérétiques contre la saincte foy et si avoient faict prendre les héraults et les vouloient faire ardoir. Laquelle prinse venue à la cognoissance du bastard d'Orléans, qui estoit pour lors à Orléans, il manda aux Anglois, par son hérault, qu'ils luy renvoyassent lesdicts héraults, en leur faisant sçavoir que s'ils les faisoient mourir, il feroit mourir de pareille mort leurs héraults qui estoient venus à Orléans pour faict de prisonniers : lesquels il fist arrester ; et feroit le mesme de tous les prisonniers anglois, qui y estoient lors en bien grand nombre. Et tantost après, lesdits héraults furent rendus. (86)
  Toutesfois, aucuns dient que quand la Pucelle sceut qu'on avoit retenu les héraults, elle et le bastard d'Orléans envoyèrent dire aux Anglois qu'ils les renvoyassent ; et ladicte Jeanne disoit tousjours : "En nom Dieu, ils ne leur feront jà mal." Mais lesdicts Anglois en envoyèrent seulement un, auquel elle demanda : "Que dit Tallebot ?", et le hérault respondit que luy et tous les autres Anglois disoient d'elle tous les maulx qu'ils pouvoient, en l'injuriant, et que si ils la tenoient, ils la feroient ardoir. "Or, t'en retourne, luy dist-elle, et ne  fais doubte que tu amèneras ton compaignon. Et dy à Tallebot que si il s'arme, je m'armeray aussi, et qu'il se trouve en place devant la ville ; et s'il me peut prendre, qu'il me face ardoir ; et si je le desconfis, qu'ils facent lever les siège et s'en aillent en leur pays." Le hérault y alla et ramena son compagnon. Et paravant qu'elle arrivast, deux cent Anglois chassoient aux escarmouches cinq cent François ; et depuis sa venue , deux cent François chassoient quatre cent Anglois ; et en creut fort le courage des François.

  Quand les vivres furent mis ès vaisseaux ou bateaux, avec ladicte Jeanne, le mareschal de Rays, le seigneur de Loré et autres s'en retournèrent audict lieu de Blois, et là trouvèrent l'archevesque de Reims, chancelier de France, et tinrent conseil pour sçavoir qu'on avoit à faire. Aucuns estoient d'opinion que chacun s'en retournast en sa garnison ; mais ils furent après tous d'opinion qu'ils debvoient retourner audit lieu d'Orléans, pour les ayder et conforter au bien du roy et de la ville. Et ainsi qu'ils parloient de la manière, vint nouvelles du bastard d'Orléans, lequel leur faisoit sçavoir que s'ils desemparoient et s'en alloient, ladicte cité estoit en voye de perdition. Et lors il fut conclu presque de tous, de retourner et de mener derechef vivres et puissance ; et qu'on iroit par la Beausse, où estoit la puissance des Anglois, en la grand bastide qu'on nommoit Londres ; combien qu'à l'autre fois ils vindrent par la Soulongne, et toutesfois ils estoient trois fois plus de gens que on n'estoit à venir par la Beausse. Ils feirent provision de foison de vivres, tant de grains que de bestial, et se partirent le troisiesme jour de may, et couchèrent la nuict en un village estant comme à my chemin de Blois et d'Orléans, et prinrent le lendemain leur chemin vers ladicte ville.

                                                  
  Cette Pucelle, séjournant à Blois pour attendre la compagnie qui devait la mener à Orléans, écrivit, et envoya par un héraut aux chefs de guerre qui tenaient le siège devant Orléans, une lettre dont la teneur s'ensuit, et elle est telle :

« JHESUS, MARIA.

« Roi d'Angleterre, faites raison au roi du Ciel de son sang royal. Rendez à la Pucelle les clefs de toutes les bonnes villes que vous avez forcées. Elle est venue de par Dieu pour réclamer le sang royal; et elle est toute prête de faire paix, si vous voulez faire raison, par ainsi que vous laissiez France, et payiez de ce que vous l'avez tenue.
« Roi d'Angleterre, si ainsi ne le faites, je suis chef de guerre ; en quelque lieu que j'attendrai vos gens en France, s'ils ne veulent obéir, je les en ferai sortir, qu'ils veuillent ou non, et s'ils veulent obéir, je les prendrai à merci. Croyez que s'ils ne veulent obéir, la Pucelle vient pour les occire. Elle vient de par le roi du Ciel, corps pour corps, vous bouter hors de France, et vous promet et vous certifie la Pucelle, que si vous ne lui faites raison, elle y fera un si grand hahay (87), que de mille ans, il n'en fût vu si grand en France. Et croyez fermement que le roi du Ciel lui enverra plus de force que vous ne sauriez en mener dans tous vos assauts contre elle et ses bonnes gens d'armes.
« Entre vous, archers, compagnons d'armes, gentils et vaillants, qui êtes devant Orléans, allez-vous-en en votre pays, de par Dieu, et, si vous ne le faites, donnez-vous garde de la Pucelle, et que de vos dommages il vous souvienne. Ne vous obstinez pas dans votre opinion (88); vous ne tiendrez pas France du roi du Ciel, le Fils de sainte Marie, mais la tiendra le roi Charles, vrai héritier, à qui Dieu l'a donnée, lequel entrera à Paris en belle compagnie. Si vous ne croyez les nouvelles de Dieu et de la Pucelle, en quelque lieu que nous vous trouverons, nous frapperons du fer dans vos rangs à horions (89), et nous verrons lesquels auront meilleur droit de Dieu ou de vous.
« Guillaume de la Poule, comte de Suffort ; Jean, sire de Talbort, et Thomas, sire de Scales, lieutenant du duc de Bedford, soi-disant régent du royaume de France pour le roi d'Angleterre, faites réponse si vous voulez faire paix à la cité d'Orléans. Si ainsi ne le faites, de vos dommages qu'il vous souvienne brièvement (90).
« Duc de Bedford, qui vous dites régent de France pour le roi d'Angleterre, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne vous fassiez pas détruire. Si vous ne lui faites raison, elle fera que les Français feront le plus beau fait qui oncques fut fait en la chrétienté.
« Écrit le mardi de la grande semaine. Entendez les nouvelles de Dieu et de la Pucelle.
« Au duc de Bedford qui se dit régent le royaume de France pour le roi d'Angleterre. » (91)

  Lesdites lettres envoyées par la Pucelle aux Anglais, il fut conclu qu'on irait à Orléans mener des vivres ; et en ladite ville de Blois furent chargés de grains plusieurs chariots, charrettes et chevaux; et on y assembla foison de bétail, boeufs, vaches, brebis et pourceaux; et il fut conclu par les capitaines qui devaient les conduire, comme aussi par le bâtard d'Orléans, qu'on irait par la Sologne, la plus grande puissance des Anglais se trouvant du côté de la Beauce. Ladite Jeanne ordonna à tous les gens de guerre de se confesser, et de se mettre en état d'être en la grâce de Dieu; elle leur fit ôter leurs fillettes et laisser tout bagage de péché; puis ils se mirent tous en chemin en tirant vers Orléans. Ils couchèrent une nuit en route en pleins champs. Quand les Anglais surent la venue de ladite Pucelle et des gens de guerre, ils désemparèrent une bastide qu'ils avaient faite en un lieu nommé Saint-Jean-le-Blanc ; et ceux qui étaient dedans se retirèrent en une autre bastide qu'ils avaient faite aux Augustins, près du bout du pont, et ladite Pucelle et ses gens vinrent avec les vivres vers la ville d'Orléans, au-dessus de la dite bastide, à l'endroit dudit lieu Saint-Jean-le-Blanc.
  Ceux de la ville, aussitôt et incontinent, préparèrent et équipèrent des bateaux pour venir quérir tous lesdits vivres; mais la chose était mal en point, car le vent était contraire ; or on ne pouvait monter contre le courant ; car on n'y peut conduire les vaisseaux, sinon à force de voiles. Ce fut dit à Jeanne qui répondit : « Attendez un petit peu, car, en nom Dieu, tout entrera en la ville », et soudainement le vent se changea, en sorte que les vaisseaux arrivèrent très aisément et légèrement là où était ladite Jeanne.
  Sur ces bateaux étaient le bâtard d'Orléans, et quelques bourgeois de la ville, très désireux de voir ladite Jeanne; ils la prièrent et la requirent de par la ville et de par les gens de guerre qui s'y trouvaient, de vouloir bien venir et y entrer, disant que ce serait un grand réconfort pour tous s'il lui plaisait d'y venir. Elle demanda alors audit Bâtard : « Êtes-vous le bâtard d'Orléans? — Oui, Jeanne. » Après elle lui dit : « Qui vous a conseillé de nous faire venir par la Sologne, et pourquoi pas par la Beauce, tout auprès de la grande puissance des Anglais ? Les vivres fussent entrés, sans les faire passer par la rivière. » Le Bâtard, pour s'excuser, répondit que tel avait été l'avis de tous les capitaines, vu la puissance des Anglais du côté de la Beauce. A quoi elle répliqua : « Le conseil de Messire (c'est à savoir de Dieu) est meilleur que le vôtre et que celui des hommes; il est plus sûr et plus sage. Vous avez pensé me décevoir ; mais vous vous êtes déçus vous-mêmes; car je vous amène le meilleur secours qu'eut jamais chevalier, ville ou cité ; c'est le plaisir de Dieu et le secours du roi des Cieux; non assurément pour l'amour de moi, mais cela procède purement de Dieu, lequel à la requête de saint Louis et de saint Charles le Grand a eu pitié de la ville d'Orléans, et n'a pas voulu souffrir que les ennemis eussent le corps du duc d'Orléans et sa ville. Pour ce qui est d'entrer en ville, il me ferait mal de laisser mes gens, et je ne le dois pas faire, ils sont bien confessés, et en leur compagnie, je ne craindrais pas toute la puissance des Anglais ». Alors les capitaines lui dirent : « Jeanne, allez-y sûrement; car nous vous promettons de retourner bien brief vers vous ». Sur ce, elle consentit d'entrer dans la ville avec ceux qui devaient l'accompagner, et elle y entra. Elle fut reçue à grande joie, et logée en l'hôtel du trésorier du duc d'Orléans, Jacques Boucher, où elle se fit désarmer. Et c'est la vérité que, depuis le matin jusqu'au soir, elle avait chevauché tout armée, sans descendre, sans boire ni manger. On lui avait apprêté à souper, bien et honorablement; mais elle fit seulement verser du vin dans une tasse d'argent, où elle mit la moitié d'eau, et cinq ou six trempes de pain dedans qu'elle mangea, et de tout le jour ne prit ni autre manger, ni autre boire ; puis elle s'en alla coucher en la chambre qui lui avait été préparée; et avec elle étaient la femme et la fille dudit trésorier, laquelle fille coucha avec ladite Jeanne. Ainsi s'envint la Pucelle en la ville d'Orléans, le pénultième jour d'avril, l'an mil quatre cent vingt-neuf.
  Elle sut bientôt que les chefs des assiégeants ne faisaient aucun compte de ses lettres ni de leur contenu, mais qu'ils réputaient tous ceux qui croyaient et ajoutaient foi à ses paroles comme hérétiques en la sainte foi ; aussi avaient-ils fait arrêter les hérauts de la Pucelle, et ils voulaient les faire brûler. Cette prise venue à la connaissance du bâtard d'Orléans, pour lors à Orléans, il manda aux Anglais par son héraut, qu'ils eussent à lui renvoyer les hérauts de Jeanne, leur faisant savoir que s'ils les faisaient mourir, il ferait mourir de pareille mort leurs hérauts qui étaient venus à Orléans pour le fait des prisonniers ; lesquels il fit arrêter; il ajoutait qu'il en ferait autant des prisonniers anglais, qui pour lors se trouvaient en bien grand nombre. Et tantôt après les hérauts furent rendus.
  Toutefois quelques-uns disent que, quand la Pucelle sut qu'on avait retenu les hérauts, elle et le bâtard d'Orléans envoyèrent dire aux Anglais de les renvoyer, et ladite Jeanne disait toujours : « En nom Dieu, ils ne leur feront aucun mal » ; mais lesdits Anglais en envoyèrent seulement un, auquel elle demanda : « Que dit Talbot ? », et le héraut répondit que Talbot et tous les autres Anglais disaient d'elle tous les maux qu'ils pouvaient en l'injuriant, et que s'ils la tenaient, ils la feraient brûler :
  « Or, t'en retourne, lui dit-elle, et ne fais de doute que tu amèneras ton compagnon; et dis à Talbot que s'il s'arme, je m'armerai aussi, et que s'il se trouve en place devant la ville, et s'il peut me prendre, qu'il me fasse brûler; et si je le déconfis, qu'il fasse lever le siège, et que lui et les siens s'en aillent en leur pays. »
  Le héraut y alla et ramena son compagnon. Et avant que la Pucelle arrivât, deux cents Anglais chassaient dans les escarmouches cinq cents Français, et après sa venue deux cents Français chassaient quatre cents Anglais ; et s'en accrut fort le courage des Français.

  Quand les vivres furent mis ès vaisseaux ou bateaux, et que Jeanne y fut montée, le maréchal de Rais, le seigneur de Loré et d'autres s'en retournèrent audit lieu de Blois, et là ils trouvèrent l'archevêque de Reims, chancelier de France, et ils tinrent conseil sur ce qu'on avait à faire. Quelques-uns étaient d'avis que chacun s'en retournât en sa garnison ; mais ils finirent par être tous d'opinion qu'ils devaient retourner audit lieu d'Orléans, pour en aider et conforter les habitants au bien du roi et de la ville. Ainsi qu'ils délibéraient, vinrent des nouvelles du bâtard d'Orléans qui leur faisait savoir que s'ils désemparaient et s'en allaient, la cité était en voie de perdition ; et dès lors il fut conclu de l'avis de presque tous, de retourner et de mener de nouveau des vivres à puissance (92), et qu'on irait par la Beauce, où était la force des Anglais, en la grande bastide qu'on nommait Londres ; quoique à l'autre fois ils fussent venus par la Sologne ; et toutefois ils étaient trois fois plus de gens qu'il n'y en avait à venir par la Beauce. Ils firent provision de grande abondance de vivres soit en grains, soit en bétail, et ils partirent le troisième jour de mai ; ils couchèrent la nuit en un village qui est comme à mi-chemin entre Blois et Orléans, et le lendemain ils prirent leur chemin vers ladite ville.



                                         

e dict troisiesme jour de may, vinrent aussi à Orléans les garnisons de Montargis, Gien, Chasteau-Regnard, du pays de Gastinois et de Chasteaudun, avec grand nombre de gens de pied garnis de traict et de guisarmes. Et le mesme jour, au soir, vinrent nouvelles que le mareschal de Saincte-Sévère, le sire de Rays, Monseigneur de Bueil et La Hire, qui amenoient les vivres et l'artillerie, venoient de Blois par la Beausse. Si doubtoit on que Anglois deussent aller au devant d'eux ; pour quoy, le mercredy matin, veille de l'Ascension, quatriesme jour de may, mille quatre cent vingt-neuf, se partirent très bien matin d'Orléans, le bastard et la Pucelle armée, à grand compaignée de gens d'armes et de traict, et allèrent, à estendart desployé, au devant des vivres, qu'ils rencontrèrent ; et si passèrent par devant les Anglois qui n'osèrent yssir de leurs bastides, et puis entrèrent dedans la ville environ prime (93).


  Le troisième jour de mai, vinrent aussi à Orléans les garnisons de Montargis, Gien, Château-Renard, du pays du Gâtinais et de Châteaudun, avec grand nombre de gens de pied, pourvus de traits et de guisarmes. Et le même jour, au soir, vinrent des nouvelles que le maréchal de Sainte-Sévère, le sire de Rais, Mgr de Bueil et La Hire, arrivaient de Blois par la Beauce. On soupçonnait les Anglais de vouloir aller à leur rencontre; c'est pourquoi le mercredi matin, veille de l'Ascension, quatrième jour de mai 1429, partirent d'Orléans, de très bon matin, le Bâtard et la Pucelle en armes, en grande compagnie de gens d'armes et de gens de traits, et à étendard déployé. Ils allèrent au-devant des vivres qu'ils rencontrèrent ; et ils passèrent ainsi devant les Anglais qui n'osèrent sortir de leurs bastides ; et après les avoir passés ils entrèrent dans la ville environ prime (94).


                                         

udict jour, environ midy, aucuns des nobles issirent d'Orléans avec grand nombre de gens de traict et de commun, qui livrèrent un fier et merveilleux assault contre Anglois qui tenoient la bastide Sainct-Loup, laquelle fut moult deffensable et fortifiée ; car elle avoit esté, grandement garnie par le sire de Tallebot, tant de gens, vivres, comme d'habillemens. François furent moult grevez en iceluy assault. Et durant iceluy y vint très hastivement la Pucelle armée, à estendart desployé parquoy l'assault enforça de plus en plus.(95)
  Ceste Pucelle ne sçavoit riens de la sortie desdicts gens de guerre hors la ville, ny n'en estoit nouvelles en son hostel ny en son quartier, et s'estoit mise à dormir ; et n'y avoit audict hostel que son paige et la dame de leans, qui s'esbatoient à l'huys. Et soudainement elle s'esveilla et leva, et commença à appeller gens. Alors vint la dame et le paige, auquel elle dist : "Va quérir mon cheval. En nom Dieu, les gens de la ville ont affaire devant une bastide, et y en a de blessez." Si dist qu'on l'armast hastivement, et on luy aydast à s'armer. Et quand elle fut preste, monta à cheval et courut sur le pave, tellement que le feu en sailloit ; et alla aussi droict, comme si elle eust sceu le chemin par avant ; et toutesfois onques n'y avoit entré. Ladicte Jeanne dist depuis que sa voix l'avoit esveillée et enseigné le chemin, et que Messires luy avoit faict sçavoir.

                     

  Et depuis sa venue audit lieu, ne fut Anglois qui peust illec blesser François ; mais bien François conquirent sur eux la bastide ; et Anglois se retirèrent au clocher de l'église, et là François recommançèrent l'assault, qui dura longuement. Pendant lequel Tallebot fist issir Anglois à puissance des autres bastides, pour secourir ses gens ; mais à ceste mesme heure estoient issus d'Orléans tous les chefs de guerre, atout leur puissance, qui se misrent aux champs en batailles ordonnées, entre la bastide assaillie et les autres bastides angloises, attendans illec Anglois pour les combattre. Mais le sire de Tallebot, ce voyant, fist retirer Anglois au dedans de leurs bastides, délaissant en abandon les Anglois de la bastide Sainct-Loup, qui furent conquis par puissance, environ vespres (96).
  Et il y eut là des Anglois audict clocher, qui prindrent habillemens de prestres ou de gens d'église, lesquels on voulut tuer ; mais ladicte Jeanne les garda, disant qu'on ne debvoit rien demander aux gens d'église, et les fist amener à Orléans.

  Dont fut l'occision nombrée à huit vingts hommes (97), et la bastide fut arse et démolie ; en laquelle François conquirent très grand quantité de vivres et autres biens. En après, la Pucelle, les grans seigneurs et leur puissances rentrèrent à Orléans ; dont à icelle heure furent rendues grâces et louanges à Dieu par toutes les églises, en hymnes et dévotes oraisons, à son de cloches, que Anglois pouvoient bien ouyr ; lesquels furent fort abaissez de puissance par ceste partye, et aussi de courage (98).
  La Pucelle désiroit fort de faire partir entièrement Anglois du siège ; et par ce, requist les chefs de guerre qu'ils ississent à toute puissance, le jour de l'Ascension, pour assaillir la bastide Sainct-Laurens, où furent tous les plus grands chefs de guerre et le plus de la puissance des Anglois ; et néanmoins elle ne fist aucun doubte que tantost ne les deust conquérir ; mais bien se tenoit seure de les avoir, et disoit ouvertement que l'heure estoit venue, mais les chefs de guerre ne furent point d'accord d'issir ny besongner ceste journée, pour la révérence du jour ; et d'autre part furent d'opinion de, premièrement, tant faire que les bastides et boulevars du costé de la Soulongne peussent estre conquis avec le pont, afin que la ville peust recouvrer vivres de Berry et autres pays. Ainsi la chose print délay ceste journée, à la grand desplaisance de la Pucelle, qui s'en tint mal contente des chefs et capitaines de guerre.
  Ladicte Pucelle avoit grand désir de sommer elle mesme ceux qui estoient en la bastille du bout du pont et des Tournelles, où estoit Glacidas, car on pouvoit parler à eux de dessus le pont ; si y fut menée. Et quand les Anglois sceurent qu'elle y estoit, y vindrent en leur garde ; et elle leur dist "que le plaisir de Dieu estoit qu'ils s'en allassent, ou sinon qu'ils se trouveroient courroucez." Alors il commencèrent à se mocquer et y injurier ladicte Jeanne, ainsi que bon leur sembla. Dont elle ne fut pas contente, et son courage luy en creut ; si delibéra le lendemain de les aller visiter.


  Ce même jour, sur le midi, quelques nobles sortirent d'Orléans avec un grand nombre de gens de trait et d'hommes du peuple, et ils livrèrent un fier et merveilleux assaut contre les Anglais qui tenaient la bastide Saint-Loup, bastide bien défendable et bien fortifiée, le sire de Talbot l'ayant grandement approvisionnée de gens, de vivres et de munitions de guerre. Les Français furent très maltraités en cet assaut, auquel vint très hâtivement la Pucelle, en armes, et étendard déployé; ce qui fit reprendre l'assaut avec plus d'acharnement.
  La Pucelle n'avait rien su de la sortie des gens de guerre hors de la ville, et il n'en était pas nouvelles en son hôtel ni en son quartier; elle s'était mise à dormir, et il n'y avait audit hôtel que son page et la dame de céans, qui s'ébattaient à la porte. Soudainement elle s'éveilla, se leva, et commença à appeler ses gens. Alors vint la dame, et avec elle le page auquel elle dit : « Va quérir mon cheval. En nom Dieu, les gens de la ville ont affaire devant une bastide, et il y en a de blessés. » Elle demanda qu'on se hâtât de l'armer, et on lui donna de quoi s'armer. Et quand elle fut prête, elle monta à cheval et courut sur le pavé, tellement que le feu en jaillissait ; elle alla aussi droit que si elle avait su le chemin par avant ; et toutefois jamais elle ne l'avait parcouru. Jeanne a dit depuis que sa voix l'avait éveillée et lui avait enseigné le chemin, et que Messire le lui avait fait savoir.
  Depuis sa venue sur les lieux, aucun Anglais ne put y blesser un Français ; mais bien les Français conquirent sur eux la bastide ; les Anglais se retirèrent au clocher, et les Français recommencèrent l'assaut qui dura longuement. Pendant ce temps, Talbot fit sortir les Anglais en force des autres bastides pour secourir ses gens ; mais, à la même heure, étaient sortis d'Orléans tous les chefs de guerre, avec tous leurs hommes, qui se mirent aux champs, ordonnés en bataille entre la bastille assaillie et les autres bastides ennemies, attendant les Anglais pour les combattre. Le sire de Talbot, ce voyant, fit rentrer ses Anglais au dedans de leurs bastides, délaissant en abandon les Anglais de la bastide Saint-Loup, qui furent conquis de vive force, environ l'heure des vêpres.
  Il y eut audit clocher des Anglais qui prirent des vêtements de prêtre ou de gens d'Eglise ; on voulut les tuer, mais Jeanne les préserva, en disant qu'on devait ne rien demander aux gens d'Eglise, et elle les fit amener à Orléans.
  Les morts pour les Anglais furent nombres huit-vingts hommes; la bastide fut brûlée et démolie ; les Français y conquirent une très grande quantité de vivres et d'autres biens. Par après, la Pucelle, les grands seigneurs, et leurs hommes rentrèrent à Orléans ; sur-le-champ furent rendues grâces et louanges à Dieu dans toutes les églises par hymnes et dévotes oraisons, au son des cloches, que les Anglais pouvaient bien ouïr, lesquels, par ce coup, furent fort abaissés de puissance et aussi de courage.
  La Pucelle désirait ardemment faire lever entièrement le siège aux Anglais ; et, pour ce, elle requit les chefs de guerre de sortir avec toutes leurs forces, le jour de l'Ascension, afin d'assaillir la bastide Saint-Laurent, où se trouvaient les plus grands chefs de guerre avec les meilleures forces des Anglais ; elle ne faisait, nonobstant, le moindre doute qu'elle ne dût les vaincre, et se tenait sûre de les avoir; elle disait ouvertement que l'heure était venue ; mais les chefs ne furent point d'accord de sortir et de combattre ce jour, pour la révérence de la fête; et, d'autre part, leur avis fut qu'il fallait premièrement s'efforcer de conquérir les boulevards et les bastides du côté de la Sologne, ainsi que le pont, pour que la ville pût recevoir des vivres du Berry et des autres pays. Ainsi la chose prit délai cette journée à la grande déplaisance de la Pucelle, qui se tint mal contente des chefs et des capitaines de guerre (99).
  La Pucelle avait grand désir de sommer par elle-même ceux qui étaient en la bastille du bout du pont et des Tournelles où était Glacidas, car on pouvait leur parler de l'extrémité de la partie du pont occupée par les assiégés; aussi y fut-elle menée. Quand les Anglais surent qu'elle y était, ils vinrent en leur lieu de garde, et elle leur dit que le plaisir de Dieu était qu'ils s'en allassent; sans quoi ils s'en trouveraient mal. Alors ils commencèrent à se moquer d'elle, et à l'injurier, ainsi que bon leur sembla; ce dont elle ne fut pas contente, mais son courage s'en accrut; et elle arrêta d'aller le lendemain les visiter.



                                         

' an mille quatre cent vingt-neuf, le vendredy, sixiesme jour de may, François passèrent oultre la Loire à grand puissance, à la veue de Glacidas, qui tantost fust désemparer et ardoir la bastide de Sainct-Jean-le-Blanc, et fist retirer ses Anglois avec ses habillemens en la bastide des Augustins, au boulevart et aux Tournelles. Si marcha avant la Pucelle à tout ses gens de pied, tenant sa voye droict au Portereau. Et à ceste heure n'estoient encores tous ses gens passer, ainsy en avoit grand partie en une isle, qui pouvoient peu finer de vaisseaux pour leur passage. Néantmoins la Pucelle alla tant, qu'elle approcha du boulevart, et illec planta son estendart à peu de gens. Mais à ceste heure, survint un cry que les Anglois venoient à puissance du costé de Sainct-Privé ; pour lequel cry, les gens qui estoient avec la Pucelle furent espouventez, et se prindrent à retirer droict audict passage de Loire. Dont la Pucelle fut en grand douleur, et fut contrainte de se retirer à peu de gent. Alors Anglois levèrent grand huée sur les François, et issirent à puissance pour poursuivre la Pucelle, crians grans cris après elle, et luy disans paroles diffamables ; et tout soudain elle tourna contre eux, et tant peu qu'elle eut de gens, elle leur fist visage, et marcha contre les Anglois à grans pas et à estendart desployé. Si en furent Angloys, par la volonté de Dieu, tant espouventez, qu'ils prinrent la fuite laide et honteuse. Alors François retournèrent, qui commencèrent sur eux la chasse, en continuant jusques à leurs bastides, où Anglois se retirèrent à grand haste. Ce veu, la Pucelle assist son estendart devant la bastide des Augustins, sur les fossez du boulevart, où vint incontinent le sire de Rays. Et tousjours François allèrent croissant, en telle sorte qu'ils prinrent d'assault la bastide desdicts Augustins, où estoient Anglois en très grand nombre, lesquels furent illec tous occis. Et y avoit foison de vivres et de richesses ; mais pour tant que François furent trop ententifs au pillage, la Pucelle fist bouter le feu en la bastide, où tout fut ars. Et iceluy assault, la Pucelle fut blessée de chausse-trapes (99) en l'un des pieds ; et à cause qu'il ennuictoit, fut rammenée à Orléans, et laissa grand gent au siège devant le boulevart et les Tournelles. Ceste nuit, Anglois, qui estoient dedans le boulevart de Sainct-Privé, s'en departirent, et y misrent le feu ; puis passèrent Loire en vaisseaux, et se retirèrent en la bastide Sainct-Laurens.

  

  L'an mil quatre cent vingt-neuf, le vendredi, sixième jour de mai, les Français passèrent la Loire en grande puissance, à la vue de Glacidas qui fit aussitôt désemparer et brûler la bastide de Saint-Jean-le-Blanc, et fit retirer ses Anglais avec leur attirail de guerre en la bastide des Augustins, au boulevard et aux Tournelles. La Pucelle marcha en avant avec ses gens de pied, tenant sa voie droit au Portereau. Et à cette heure tous ses gens n'étaient pas encore passés, mais une grande partie se trouvait dans une île, retenus par la pénurie des bateaux pour le passage. Néanmoins la Pucelle s'avança tant qu'elle approcha du boulevard, et elle y planta son étendard, suivie seulement d'une poignée de ses gens; mais à cette heure un grand cri fit connaître que les Anglais venaient avec de grandes forces du côté de Saint-Privé; à ce cri, les gens qui étaient avec la Pucelle furent épouvantés et se prirent à reculer vers le passage de la Loire. La Pucelle en fut en grande douleur, mais elle fut contrainte de se retirer avec une petite suite.
  Les Anglais poussèrent alors de grandes huées à l'adresse des Français, et saillirent en nombre afin de poursuivre la Pucelle, faisant de grands cris après elle, et vomissant paroles de diffamation. Tout soudain elle se tourna vers eux, et quoique ayant peu de gens avec elle, elle leur fit visage, marcha à leur encontre à grands pas, son étendard déployé.
  Les Anglais en furent par la volonté de Dieu si épouvantés qu'ils prirent laide et honteuse fuite. Les Français se retournèrent alors et se mirent à leur donner la chasse, les poursuivant jusques à leurs bastides, où ils se retirèrent à grande hâte. A cette vue, la Pucelle fixa son étendard devant la bastide des Augustins, sur les fossés du boulevard, où le sire de Rais vint incontinent la joindre. Le nombre des Français alla toujours croissant, en sorte qu'ils prirent d'assaut la bastide desdits Augustins, où en très grande multitude se trouvaient des Anglais qui y furent tous tués. Il y avait foison de vivres et de richesses, et parce que les Français se montrèrent trop avides de pillage, la Pucelle y fît mettre le feu, et tout fut brûlé. Dans cette assaut, la Pucelle fut blessée à l'un de ses pieds par une chausse-trape; et comme la nuit venait, elle fut ramenée à Orléans, laissant grand nombre de gens au siège devant le boulevard et les Tournelles.
  Cette nuit, les Anglais qui étaient dans le boulevard de Saint-Privé, en partirent après y avoir mis le feu ; ils passèrent la Loire sur des bateaux et ils se retirèrent en la bastide Saint-Laurent.



                                         

a Pucelle fut celle nuict en grand doubte que les Angloys férissent sur ses gens devant les Tournelles ; et pour ce, le sabmedy, septiesme jour de may, environ soleil levant, par l'accord et consentement des bourgeois d'Orléans, mais contre l'opinion et volonté de tous les chefs et capitaines qui estoient là de par le roy, la Pucelle se partit à tout son effort, et passa Loire.

  Et ainsi qu'elle delibéroit de passer, on présenta à Jacques Boucher, son hoste, une alose ; et lors il luy dist : "Jeanne, mangeons ceste alose avant que partiez." "En nom Dieu, dist-elle, on n'en mangera jusques au souper, que nous repasserons par-dessus le pont, et ramènerons un godon (100) qui en mangera sa part."

  Si luy baillèrent ceux d'Orléans canons, coulevrines, et tout ce qui estoit nécessaire pour assaillir le boulevart et les Tournelles, avec vivres, et des bourgeois d'Orléans, de l'une part. Et pour icelles Tournelles assaillir et conquérir le pont, de la partie de la ville ils establirent sur ledict pont de l'autre part, grand nombre de gens d'armes et de traict, avec grand appareil, que les bourgeois avoient faict pour passer les arches rompues et assaillir les Tournelles.
  A iceluy assault fut ladicte Jeanne blessée dès le matin d'un coup de traict de gros garriau, par l'espaule tout oultre. Et elle-mesmes se desferra, et y fist mettre du coton et autres choses, pour estancher le sang : ce nonobstant, n'en laissa oncques a faire les diligences de faire assaillir, Et quant ce vint au soir, il sembla au bastard d'Orléans et autres capitaines que en celuy jour on n'auroit point le boulevart, veu qu'il estoit tard. Si délibérèrent de eux retirer de l'assault, et faire reporter l'artillerie en la ville, jusques au lendemain ; et vinrent dire ceste conclusion à Jeanne, laquelle respondit que en nom de Dieu, ils y entreroient en brief, et qu'ils n'en fissent doubte. Néantmoins, on assailloit tousjours ; et lors elle demanda son cheval, si monta dessus et laissa son estendart ; et elle, alla en un lieu destourné, où elle feit son oraison à Dieu, et ne demeura guères qu'elle ne retournast et descendist ; si print son estendart, et dist à un gentilhomme qui estoit emprès d'elle ; "Donnez vous garde quand la queue de mon estendard touchera contre le boulevart." Lequel un peu après luy dist : "Jeanne, la queue y touche". Alors elle dist : "Tout est vostre, et y entrez".

  
  Si furent Anglois assaillis des deux parties moult asprement ; car ceux d'Orléans jectérent à merveilles contre Anglois de canons, de coulevrines, de grosses arbalestes, et d'autre traict. L'assault fut fier et merveilleux, plus que nul qui eust esté oncques veu de la mémoire des vivans ; auquel vindrent les chefs qui estoient dedans Orléans, quand ils en aperceurent les manières. Et vaillamment se deffendirent les Anglois et tant jectèrent, que leurs pouldres et autre traict s'en alloient faillant ; et deffendoient de lances, guisarmes et autres bastons, et pierres, le boulevart et les Tournelles.
  Et est à sçavoir que du costé de la ville on trouvoit tres mal aise manière d'avoir une pièce de bois pour traverser l'arche du pont, et de faire la chose si secrètement que les Anglois ne s'en aperceussent. Et d'adventure, on trouva une vieille et large gouttière ; mais il s'en failloit bien trois pieds qu'elle ne fust assez longue ; et tantost un charpentier y mist un advantage, à fortes chevilles, et descendit en bas, pour mettre une estaye, et feist ce qu'il peut pour la seureté ; puis y passèrent le commandeur de Giresme et plusieurs hommes d'armes. Si réputoit on comme une chose impossible, ou au moins bien difficile, d'y estre passez ; et tousjours on asseuroit le dict passage. (101)

  La Pucelle fist de son costé dresser eschéles contremont par ses gens dans le fossé du boulevart ; et renforça de toutes parts l'assault de plus en plus, qui dura despuis prime jusques à six heures après midy. Si furent tant Anglois charges de coulevrines et autre traict, qu'ils ne se osoient plus monstrer à leurs deffenses ; et furent aussi assaillis de l'autre part des Tournelles, dedans lesquelles François boutèrent le feu. Enfin Anglois furent tant oppressez de toutes parts, et tant blessez, qu'il n'y eut plus en eux de deffense. A ceste heure, Glacidas et autres seigneurs anglois se cuidèrent retraire du boulevart ès Tournelles, pour saulver leurs vies ; mais le pont levis rompit soubs eux, par le jugement de Dieu, et noyèrent en la rivière de Loire. Alors entrèrent François de toutes parts dedans le boulevart et les Tournelles, qui furent conquises en la veue du comte de Suffort, du seigneur de Tallebot, et autres chefs de guerre, sans monstrer ny faire semblant d'aucun secours. Si là fut grand occision d'Anglois ; car du nombre de cinq cent chevaliers et escuyers, réputez les plus preux et hardis de tout le royaume d'Angleterre, qui estoient là soubs Glacidas avec autres faux François, ne furent retenus prisonniers en vie, fors environ deux cent. En ceste prinse furent morts ledict Glacidas, les seigneurs de Ponvains, de Commus (102), et autres nobles d'Angleterre et d'autres pays.

  Si nous dirent et affermèrent des plus grands capitaines des François que, après que ladicte Jeanne eut dict les paroles dessusdictes, ils montèrent contremont le boulevart, aussi aiséement comme par un degré ; et ne sçavoient considérer comme il se pouvoit faire ainsi, sinon par un œuvre divin.

  Après laquelle tant glorieuse victoire, les cloches furent sonnées par le mandement de la Pucelle, qui retourna ceste nuictée par-dessus le pont ; et rendirent graces et louanges à Dieu, en moult grand solemnité, par toutes les églises d'Orléans. Et audict assault la Pucelle fut férue de traict, comme dict est. Avant lequel advenu, elle avoit bien dit qu'elle y debvoit estre férue jusques au sang ; mais elle devint tost à convalescence.
  Et aussi, après son arrivée, elle fut diligemment appareillée, désarmée et très bien pensée. Si voulut seulement avoir du vin en une tasse, où elle mist la moitié d'eau, et s'en alla coucher et reposer. Et est à, noter que avant qu'elle partist, elle ouyt messe, se confessa, et receut en moult grande dévotion le précieux corps de Jésus-Christ ; aussi se confessoit elle, et le recepvoit très souvent. Si se confessa à plusieurs gens de grand dévotion et austère vie, lesquels disoient plainement que c'estoit une créature de Dieu. (103)

  

  La Pucelle fut cette nuit en grande anxiété dans la crainte que les Anglais ne vinssent à se jeter sur ses gens qui étaient devant les Tournelles. C'est pourquoi le samedi, septième jour de mai, environ le soleil devant, d'accord et d'entente avec les bourgeois accord et d'entente avec les bourgeois d'orléans mais contre le sentiment et la volonté de tous les chefs et capitaines qui se trouvaient la de par le roi, la pucelle partit de force et passa la loire.
  Comme elle s'apprêtait à partir, on présenta une alose à Jacques Boucher, son hôte, qui lui dit : « Jeanne, mangeons cette alose avant que vous partiez.
— En nom Dieu, répondit-elle, on n'en mangera pas jusqu'au souper, que nous repasserons par-dessus le pont, et que nous ramènerons un goddon qui en mangera sa part.
»

  Les Orléanais donnèrent à la Pucelle des canons, des coulevrines, tout ce qui était nécessaire pour assaillir le boulevard et les Tournelles ; ils lui fournirent des vivres ; et des bourgeois vinrent avec elle pour l'attaque du côté de la Sologne ; et pour assaillir les mêmes Tournelles du côté de la ville; ils établirent sur la partie du pont dont ils étaient restés les maîtres, un grand nombre de gens d'armes et d'hommes de trait, avec tous les appareils qu'ils avaient faits pour passer les arches rompues et assaillir les Tournelles.
  A cet assaut, Jeanne fut, dès le matin, blessée d'un coup de trait de gros garriau, qui lui traversa l'épaule d'outre en outre. Elle-même enleva le fer, et fit mettre dans la blessure du coton et autres choses pour étancher le sang; et nonobstant cette blessure, elle n'en continua pas moins à faire diligence pour faire donner l'assaut. Quand vint le soir, il sembla au bâtard d'Orléans et aux autres capitaines qu'en ce jour on n'aurait pas le boulevard, vu qu'il était tard. Ils délibérèrent entre eux de faire cesser l'assaut et de faire reporter l'artillerie en ville jusqu'au lendemain ; et ils vinrent faire part à Jeanne de cette décision. Elle répondit qu'en nom de Dieu ils entreraient bien brief, et qu'ils n'en fissent doute. Néanmoins le combat continuait toujours. La Pucelle demanda alors son cheval, monta dessus et laissa son étendard ; et elle alla en un lieu détourné et fit son oraison à Dieu ; elle ne demeura guère qu'elle ne retournât, et descendit de cheval; elle prit son étendard et dit à un gentilhomme qui était près d'elle : " Donnez-vous de garde quand la queue de mon étendard touchera contre le boulevard. " Le gentilhomme lui dit un peu après : " Jeanne, la queue y touche. " Alors elle dit : " Tout est vôtre, et entrez-y ! "

  Les Anglais furent assaillis très âprement des deux côtés ; car ceux du côté d'Orléans faisaient merveille, faisant jouer canons, coulevrines, grosses arbalètes et autres traits. L'assaut fut fier et merveilleux, plus que jamais on n'en eût vu de mémoire des vivants. C'est quand ils en aperçurent les manières, que les chefs qui étaient dedans Orléans vinrent y prendre part. Les Anglais se défendirent vaillamment; ils jetèrent tant de projectiles que leurs poudres et leurs traits allaient s'épuisant ; et ils défendaient le boulevard et les Tournelles de leurs lances, de leurs guisarmes, avec d'autres armes manuelles, et avec des pierres.
  Et il faut savoir que, du côté de la ville, on trouvait fort malaisément la manière d'avoir une pièce de bois pour traverser l'arche du pont rompue, et de faire la chose si secrètement que les Anglais ne s'en aperçussent pas. D'aventure on trouva une vieille et large gouttière; mais il s'en fallait bien trois pieds qu'elle fût assez longue ; un charpentier finit par y mettre un prolongement avec de fortes chevilles ; il descendit en bas pour l'étayer, et fit ce qu'il put pour la consolider. Le commandeur de Giresmes et plusieurs hommes d'armes y passèrent; passage regardé comme chose impossible, ou tout au moins très difficile, et l'on continuait toujours à le rendre moins périlleux.
  La Pucelle, de son côté, fit par ses gens dresser dans le fossé du boulevard des échelles contre-mont; elle renforça de plus en plus l'assaut qui dura depuis prime jusques à six heures après-midi. Par suite les Anglais reçurent tant de décharges de coulevrines et d'autres traits, qu'ils n'osaient plus se montrer à leurs défenses ; et ils étaient assaillis de l'autre côté des Tournelles, au dedans desquelles les Français mirent le feu. Enfin les Anglais furent tant oppressés de toutes parts, tant blessés, qu'ils n'opposèrent plus de défense. A cette heure Glacidas et les autres seigneurs anglais, pour sauver leurs vies, pensèrent à se retirer du boulevard dans les Tournelles; mais, par jugement de Dieu, le pont-levis rompit sous eux, et ils se noyèrent dans la rivière de Loire. Les Français entrèrent alors de toutes parts dans le boulevard et dans les Tournelles, qui furent conquises à la vue du comte de Suffolk, du seigneur de Talbot, et des autres chefs de guerre, sans qu'on les vit apporter, ni même faire semblant d'apporter quelque secours. Il y eut grand nombre de morts parmi les Anglais; car de cinq cents chevaliers et écuyers, réputés les plus preux et les plus hardis du royaume d'Angleterre, qui étaient là avec d'autres faux Français sous les ordres de Glacidas, environ deux cents seulement furent retenus en vie et prisonniers. En cette journée moururent Glacidas, les seigneurs de Poning et de Molyns et autres nobles d'Angleterre.
  Plusieurs des plus grands capitaines français nous dirent et nous affirmèrent que, lorsque Jeanne eut dit les paroles déjà rapportées, ils montèrent le boulevard à contre-mont, comme s'il y avait eu des degrés ; et ils ne savaient voir comment cela se pouvait faire ainsi, sinon par œuvre divine.

  Après une tant glorieuse victoire, les cloches furent sonnées par mandement de la Pucelle qui, cette nuit, retourna à Orléans par le pont; et grâces et louanges furent en grande solennité rendues à Dieu, dans toutes les églises d'Orléans.
  La Pucelle, comme il a été dit, avait été percée d'un trait à l'assaut. Avant que cela advint, elle avait annoncé qu'elle en serait percée jusqu'au sang; mais elle vint bientôt à convalescence. Aussi, après son arrivée, fut-elle diligemment appareillée, désarmée et très bien pansée. Elle ne voulut qu'un peu de vin dans une tasse, où elle mit la moitié d'eau, et elle alla se coucher et reposer.
  Il est à noter qu'avant de partir, elle ouït la messe, se confessa, et reçut en très grande dévotion le précieux corps de Jésus-Christ; aussi se confessait-elle, et le recevait-elle très souvent. Elle se confessa à plusieurs gens de grande dévotion, et de vie austère, qui disaient ouvertement que c'était une créature de Dieu.



                                         

e ceste desconfiture, les Anglois furent en grand détresse, et tindrent ceste nuictée grand conseil. Si issircnt de leurs bastides le dimanche huictiesme jour de moy mille quatre cent vingt-neuf, avec leurs prisonniers, et tout ce qu'ils pouvoient emporter, mettans en l'abandon tous leurs malades, tant prisonniers comme autres, avec leurs bombardes, canons, artillerie, pouldres, pavois, habillement de guerre, et tous leurs vivres et biens, et s'en allèrent en belle ordonnance, leurs estendarts desployez, tout le chemin d'Orléans, jusques à Meun-sur-Loire. Si feirent les chefs de guerre estans dans Orléans, ouvrir les portes environ soleil levant, dont ils issirent à pied et à cheval, à grand puissance, qui voulurent aller férir sur les Anglois ; mais là survint la Pucelle qui desconseilla la poursuite et voulut qu'on les laissast libres de partir, sans les assaillir celle journée, si ils ne venoient contre les François pour les combattre ; mais Anglois tournèrent doubtablement le dos, dont les aucuns gectèrent parmi les champs leurs harnoys, et tant à Meun comme à Jargeau se retrairent. Par ce désemparement de siège, se départit le plus de la puissance des Anglois, qui se retrairent tant en Normandie comme autre part. Et après ledict désemparement, les Anglois estans encore en la veue de la Pucelle, elle fist venir aux champs les gens d'église revestus, qui chantèrent à grande solemnité hymnes, respons et oraisons dévotes, rendans louanges et graces à Dieu.
  Si fist apporter une table et un marbre (104), et dire deux messes. Icelles dictes, elle demanda : "Or, regardez si ils ont les visages devers vous, ou le dos ?" Ou luy dist qu'ils s'en alloient, et avoient le dos tourné. A quoy elle répliqua : "Laissez les aller ; il ne plaist pas à Messire qu'on les combate aujourdhuy ; vous les aurez une autre fois." Elle estoit seulement armée d'un jesseran, pour la blesseure qu'elle avoit eu la journée de devant.

  Et ce faict, issit la commune d'Orléans, qui entrèrent ès bastides où ils trouvèrent largement vivres et autres biens ; puis toutes les bastides f'urent jectées par terre, suivant la volonté des seigneurs et capitaines ; et leurs canons et bombardes furent retrais en la ville d'Orléans. Si se retrairent Anglois en plusieurs places par eux conquises, c'est à sçavoir le comte de Suffort à Jargeau, et les seigneurs de Scales, de Tallebot, et autres chefs de leur party, se retrairent tant à Meun, à Baugency, comme en d'autres places par eux conquises. Si mandèrent hastivement ces choses au duc Jean de Betfort, régent, qui de ce fut moult dolent, et doubtant que aucuns de ceux de Paris se deussent pour ceste desconfiture réduire en l'obéissance du roy et faire esmouvoir le commun peuple contre Anglois, si se partit à très grand haste de Paris et se retira au bois de Vincennes, où il manda gens de toutes parts ; mais peu y en vint ; car les Picards et autres nacions du royaume qui tenoient son party, se prinrent à deslaisser les Anglois, et à les haïr et desprisert.

  Ainsi que les dicts Anglois s'en alloient, Estienne de Vignolles, dict La Hire, et Messire Ambroise de Loré, accompaignez de cent à six vingt lances, montèrent à cheval, et les chevauchèrent en les costoyant bien trois grosses lieues, pour veoir et regarder leur maintien ; puis s'en retournèrent en ladicte ville.
  Les Anglois détenoient prisonniers en leur bastille un capitaine françois nommé le Bourg de Bar, lequel estoit enferré par les pieds d'un gros et pesant fer, tellement qu'il ne pouvoit aller, et estoit souvent visité par un Augustin anglois, confesseur de Talbot, maistre dudit prisonnier. Le dit Augustin avoit accoutumé de luy donner à manger et le dit de Talbot se fyoit en luy de le bien garder, comme son prisonnier, espérant d'en avoir une grosse finance, ou délivrance d'autres prisonniers. Donc, quand le dict Augustin veid les dicts Anglois se retirer ainsi hastivement, il demeura avec ledict prisonnier pour le cuider mener après le dict seigneur de Talbot son maistre, et le mena par dessoubs le bras, bien demy traict d'arc. Mais ils n'eussent jamais peu atteindre les dicts Anglois. Lors icelui Bourg, voyant les dicts Anglois s'en aller en grand désarroi congneut bien qu'ils avoient du pire. Si print l'Augustin à bons poings et luy dit qu'il n'iroit plus avant, et que, s'il ne le portoit jusques à Orléans, il lui feroit ou lui feroit faire desplaisir. Et combien qu'il y eust tousjours Anglois et François qui escarmouchoient, toutesfois le dict Augustin le porta sur ses espaules jusques à Orléans, et par iceluy Augustin on sceut plusieurs choses de la commune des Anglois (105).


  Cette déconfiture mit les Anglais en très grande détresse, et ils tinrent grand conseil durant la nuit. Le dimanche, huitième jour de mai mil quatre-cent-vingt-neuf, ils sortirent de leurs bastides avec leurs prisonniers et tout ce qu'ils pouvaient emporter, mettant à l'abandon tous leurs malades, tant les prisonniers que les autres, laissant leurs bombardes, canons, artilleries, poudres, pavois, engins de guerre, tous leurs vivres et biens; et ils s'en allèrent en belle ordonnance, étendards déployés, tout le long du chemin d'Orléans à Meung-sur-Loire. Les chefs de guerre d'Orléans firent ouvrir les portes vers le soleil levant, et ils en sortirent à pied et à cheval, avec de grandes forces, dans l'intention de courir sur les Anglais ; mais alors survint la Pucelle qui les détourna de la poursuite, et voulut qu'on les laissât libres de partir sans les assaillir ce jour-là, à moins qu'ils ne se retournassent contre les Français pour les combattre ; mais ils tournèrent le dos en bon ordre; quelques-uns jetèrent leurs harnois dans les champs, et ils se retirèrent, partie à Meung, partie à Jargeau. Par cette levée du siège, les Anglais perdirent beaucoup de leur puissance, et ils se retirèrent tant en Normandie comme autre part.
  Après ledit désemparement, les Anglais étant encore en vue, la Pucelle fit venir aux champs les prêtres vêtus de leurs ornements, qui chantèrent à grande solennité des hymnes, des répons, et de dévotes oraisons, rendant grâces et louanges à Dieu. Elle fit apporter une table et un marbre, et dire deux messes. Quand elles furent dites, elle demanda : « Or, regardez s'ils ont les visages ou le dos tourné vers nous ? » On lui dit qu'ils s'en allaient et avaient le dos tourné. A quoi elle répliqua : « Laissez-les aller ; il ne plaît pas à Messire qu'on les combatte aujourd'hui ; vous les aurez une autre fois. »
  Elle était seulement armée d'un jesseran, à cause de la blessure de la veille. Cela fait, les habitants d'Orléans se dispersèrent, entrant dans les bastides où ils trouvèrent largement vivres et autres biens; puis sur l'ordre des seigneurs et des capitaines, toutes les bastides furent jetées parterre; et leurs canons et bombardes retirés à Orléans. Les Anglais se cantonnèrent en plusieurs places par eux conquises, le comte de Suffolk à Jargeau, et les seigneurs de Scales, Talbot et autres chefs de guerre de leur parti, soit à Meung, soit à Baugency, ou en d'autres places, dont ils étaient les maîtres.
  Ils se hâtèrent de mander ces choses au régent, le duc Jean de Bedford, qui en fut très affligé et craignit qu'à la suite de cette déconfiture quelques Parisiens ne voulussent se réduire en l'obéissance du roi, et à cet effet faire émouvoir le peuple contre les Anglais ; il partit de Paris en très grande hâte et se relira au bois de Vincennes, où il manda des gens de toutes parts, mais il en vint peu ; car les Picards et les autres provinces du royaume, qui tenaient à son parti, se prirent à délaisser les Anglais, à les haïr et à les mépriser.
  Ainsi que les Anglais s'en allaient, Etienne de Vignoles, dit La Hire, et messire Ambroise de Loré, accompagnés de cent à six-vingts lances, montèrent à cheval, et les chevauchèrent en les côtoyant, bien trois grosses lieues, pour voir et observer leur maintien; et puis ils s'en retournèrent à Orléans.
  Les Anglais tenaient prisonnier en leur bastille un capitaine français nommé Le Bourg de Bar, qui était enferré par les pieds d'une grosse et pesante chaîne, tellement qu'il ne pouvait aller; et il était souvent visité par un Augustin, moine anglais, confesseur de Talbot, le maître dudit prisonnier. Ledit Augustin avait coutume de lui donner à manger, et Talbot se fiait sur lui de le bien garder prisonnier, espérant d'en avoir grosse finance, ou par échange la délivrance d'autres prisonniers. Donc quand ledit Augustin vit les Anglais se retirer ainsi hâtivement, il demeura avec son prisonnier, résolu de le mener à la suite de Talbot son maître; et de fait il le mena par-dessous le bras, bien un demi-trait d'arc; mais ils n'eussent pu jamais atteindre les Anglais. Le Bourg, voyant les Anglais s'en aller en désarroi, connut bien qu'ils avaient eu du pire; il prit donc l'Augustin à bons poings, et lui dit qu'il n'irait pas plus avant, et que s'il ne le portait pas jusqu'à Orléans, il lui ferait ou lui ferait faire déplaisir. Aussi, quoique il y eût toujours des Français et des Anglais qui se livraient à des escarmouches, l'Augustin porta son prisonnier sur ses épaules jusqu'à Orléans, et par cet Augustin l'on sut plusieurs choses de ce qui se passait parmi les Anglais.



                                         

a Pucelle ne pouvant à, ceste heure entretenir l'armée, par deffault de vivres et de paycment, elle se partit, le mardy dixiesme jour de may, accompaignée de haults seigneurs, et s'en alla par devers le roy, qui la receut à grand honneur, et tint à Tours aucuns conseils, lesquels finis, il manda de toutes parts ses nobles ; et pour nettoyer la rivière de Loire, bailla la charge, au duc d'Alençon, qui voulut avoir la Pucelle en sa compaignée. Si vindrent à grand puissance devant Jargeau, où estoit le comte de Suffort à grande compaignée d'Anglois, qui avoient fortifié la ville et le pont. Les François misrent là le siège de toutes parts, au sabmedy, jour de la Sainct-Barnabé, onziesme jour du mois de juin ; et fut en peu d'heures la ville fort empirée de bombardes et de canons. Et le dimanche ensuivant, douziesme jour du mesme mois, la ville et le pont furent prins d'assault, où fut occis Alexandre La Poule, avec grand nombre d'Anglois. Si furent illec prins prisonniers Guillaume de la Poule, comte de Suffort, Jean La Poule, son frère ; et fut la desconfiture des Anglois nombrée environ cinq cent combattans, dont le plus furent occis, car les gens du commun occioient entre les mains des gentilshommes tous les prisonniers anglois qu'ils avoient prins à rançon. Parquoy il convint mener à Orléans par nuict, et par la rivière de Loire, le comte de Suffort, son frère, et autres grands seigneurs anglois, pour sauver leurs vies. La ville et l'église fut du tout pillée ; aussi estoit elle pleine de biens ; et cette nuict se retrairent à Orléans le duc d'Alençon, la Pucelle et les chefs de guerre, avec la chevalerie de l'ost, pour eux raffraischir ; et, là ils furent receus à très grand joie.

  Quand la Pucelle Jeanne fait devant le roy, elle s'agenouilla et l'embrassa par les jambes, en lui disant : "Gentil Daulphin, venez prendre vostre noble sacre à Reims ; je suis fort aiguillonnée que vous y alliez, et ne faicte doubte que vous y recevrez vostre digne sacre." Lors le roy et aucuns qui estoient devers luy, qui sçavoient et avoient veu les merveilles qu'elle avoit faictes par la conduite, sens, prudence et diligence qu'elle avoit en faict d'armes, autant que si elle eust suivy les armes toute sa vie ; considérans aussi sa belle et honneste façon de vivre : combien que la plus grande partie fust d'opinion qu'on allast en Normandie, muèrent leur imagination. Et le roy en luy mesme, et aussi trois ou quatre des principaux d'entour luy, pensoient si ils desplairoit point à ladicte Jeanne qu'on lui demandast que sa voix luy disoit. De quoy elle s'apperceut aucunement, et dist : "En nom Dieu, je sçay bien que vous pensez ; et voulez dire de la voix que j'ay ouye touchant vostre sacre ; et je vous le diray. Je me suis mise en oraison en ma manière accoustumée. Je me complaignois, pour ce qu'on ne me vouloit pas croire de ce que je disois. Et lors la voix me dist : Fille, va, va, je seray à ton ayde ; va. Et quand ceste voix me vient, je suis tant resjouie que merveilles. En disant lesdictes paroles, elle levoit les yeux au ciel, en monstrant signe d'une grande exultation. Et lors on la laissa avec le duc d'Alencon (106).
  Et pour plus à plein déclarer la forme de la prinse de Jargeau, et l'assault, il est vray que après que le duc d'Alençon eut acquitté ses hostages, touchant la rançon accordée pour sa délivrance, et qu'on veid et apperceut la conduite de la Pucelle, le roy, comme dict est, bailla la charge du tout au duc d'Alençon, avec la Pucelle, et manda gens le plus diligemment qu'il peut. Si y venoient de toutes parts ; croyant fermement que ladicte Jeanne venoit de par Dieu ; et plus pour cette cause que en intention d'avoir soldes ou proficts du roy (107).

  Là vindrent aussi le bastard d'Orléans, le sire de Boussac, maréchal de France, le seigneur de Graville, maistre des arbalestriers, le sire de Culant, Amiral de France, Messire Ambroise, seigneur de Loré, Estienne de Vignoles, dict La Hire, Gaultier de Brusac, et autres capitaines, qui allèrent tous avec lesdicls duc et Pucelle devant la ville de Jargeau, ou estoit, comme dict est, le comte de Suffort. Et en mettant le siège, y eut par divers jours plusieurs grandes et aspres escarmouches : aussi estoient ils puissans en gens, comme de six à sept cents Anglois tous vaillans gens.
  Cependant on jectoit de la ville, où avoit fort traict de canons et vulgaires (108). Quoy voyant la Pucelle, vint au duc d'Alençon, et luy list : "Beau duc, ostez vous du logis où vous estes, comment que ce soit, car vous y seriez en danger des canons." Le duc creut [ce] conseil ; et n'estoit pas reculé de deux toises, qu'un vulgaire de la ville fut laissé aller, qui osta tout jus la teste à un gentilhomme d'Anjou, assez près dudict seigneur, et au propre lieu où il estoit quand la Pucelle parla à luy.
  Les François furent environ huict jours devant la ville, laquelle fut fort batue de canons estans devant. Si fut assaillie devant bien asprement ; et ceux de dedans se deffendoient aussi vaillamment ; et entre les autres, avoit un grand et fort Anglois armé de toutes pièces, ayant en sa teste un fort bassinet, lequel faisoit merveilles de jecter grosses pierres, et abatre gens et echeles, et estoit au lieu plus aisé à assaillir. Le duc d'Alençon, appercevant ceste chose, alla à un nommé maistre Jean le canonnier, et luy monstra ledict Anglois. Lors le canonnier assortit sa coulevrine au lieu où estoit et se descouvroit fort l'Anglois ; si fut frappé dudit canonnier, par la poitrine, et cheut dedans la ville, où il mourut. La Pucelle descendit au fossé, son estendart au poing, au lieu où les faisoient plus grand et aspre deffense. Si fut apperceue par aucuns Anglois, dont un print une grosse pierre de faix et luy jecta sur la teste, tellement que du coup elle fut contraincte à s'asseoir ; bien que ladicte pierre, qui estoit dure, se mia par menues pièces, dont on eut grans merveilles ; nonobstant [quoy] elle se releva assez tost après, et dist tout hault aux compaignons françois : "Montez hardiement et entrez dedans ; car vous n'y trouverez plus aucune résistance".

  Et ainsi fut la ville gaingnée, comme dict est, et le comte de Suffort se retira sur le pont ; si fut poursuivy par un gentilhomme, nommé Guillaume Regnault, auquel ledict comte demanda : "Es tu gentilhomme ?" Et il luy respondit que ouy. "Et es tu chevalier ?". Et il respondit que non. Alors le comte de Suffort le fist chevalier, et se rendit à luy. Et semblablement y fut prins le seigneur de la Poulle, son frère ; et, comme dict est, il y en eut plusieurs de morts ; et foison de prisonniers que on menoit à Orléans ; mais le plus furent tuez en chemin, soubs ombre d'aucuns débats meus entre les François. Ladicte prinse de Jargeau fut tantost faict sçavoir au roy, lequel en fut moult joyeux, et en remercia et regracia Dieu, et manda très diligemment gens de guerre de toutes parts, pour venir se joindre avec lesdicts duc d'Alençon et Jeanne la Pucelle, et autres seigneurs et capitaines.


  

  La Pucelle ne pouvant à cette heure, par défaut de vivres et de payement, entretenir l'armée, partit le mardi dixième jour de mai, accompagnée de hauts seigneurs. Elle s'en alla par devers le roi, qui la reçut avec de grands honneurs, et tint à Tours plusieurs conseils, après lesquels il manda ses nobles de toutes parts.
  Il donna la charge de nettoyer la Loire au duc d'Alençon, qui voulut avoir la Pucelle en sa compagnie. Ils vinrent avec de puissantes forces devant Jargeau, où était le duc de Suffolk avec de forts détachements d'Anglais qui avaient fortifié le pont. Les Français mirent là le siège de toutes parts, le samedi, jour de la Saint-Barnabé, onzième jour du mois de juin, et en peu d'heures la ville fut fort endommagée par les canons et les coulevrines. Le dimanche suivant, douzième jour du même mois, la ville et le pont furent pris d'assaut ; Alexandre de La Poule y fut tué avec un grand nombre d'Anglais. Furent faits prisonniers Guillaume de La Poule, comte de Suffolk, et Jean de La Poule son frère. Les pertes des Anglais furent évaluées à environ cinq cents combattants, la plupart tués ; car les milices urbaines massacraient entre les mains des gentilshommes tous les prisonniers anglais qu'ils avaient pris à rançon ; ce qui nécessita de mener de nuit et par eau à Orléans le comte de Suffolk, son frère, et d'autres grands seigneurs anglais, afin de leur sauver la vie. La ville et l'église furent entièrement pillées; c'est qu'elles étaient pleines de biens. Cette nuit rentrèrent à Orléans le duc d'Alençon, la Pucelle, et les chefs de guerre avec la chevalerie de l'armée, pour y prendre quelque repos; ils y furent reçus à très grande joie.
  Quand la Pucelle Jeanne fut devant le roi, elle s'agenouilla, et l'embrassa aux genoux, en lui disant : « Gentil Dauphin, venez prendre votre noble sacre à Reims; je suis fort aiguillonnée que vous y alliez ; et ne faites nul doute que vous y recevrez votre digne sacre ». Alors le roi et quelques-uns de ceux qui étaient devers lui, sachant et ayant vu les merveilles qu'elle avait faites, par la conduite, le sens, la prudence et diligence qu'elle avait montrés au fait des armes, autant que si elle les eût suivies toute sa vie, considérant aussi sa belle et honnête façon de vivre, quoique décidés pour la plupart à aller en Normandie, changèrent d'avis. Le roi lui-même, et aussi trois ou quatre des principaux de son entourage, se demandaient s'il ne déplairait pas à Jeanne qu'on l'interrogeât sur ce que ses voix lui disaient. Elle le comprit et dit : « En nom Dieu, je sais bien ce que vous pensez; vous voulez que je vous parle de la voix que j'ai entendue touchant votre sacre; je vous le dirai. Je me suis mise en mon oraison en ma manière accoutumée. Je me complaignais parce qu'on ne voulait pas me croire de ce que je disais et alors la voix me dit : « Fille, va, va, je serai à ton aide; va! Et quand cette voix me vient, je suis si réjouie que merveille. » En disant ces paroles, elle levait les yeux au ciel, et montrait des signes d'une grande exultation.
  Et alors on la laissa avec le duc d'Alençon. Et pour déclarer plus pleinement la prise de Jargeau et comment eut lieu l'assaut, il faut dire que lorsque le duc d'Alençon eut délivré ses otages, en versant la rançon consentie pour sa délivrance, et qu'on vit et que l'on constata la conduite de la Pucelle, le roi, comme il est dit, donna la charge de tout conduire au duc d'Alençon avec la Pucelle, et il manda des gens le plus diligemment qu'il put. Les gens accoururent de toutes parts, croyant que ladite Jeanne venait de par Dieu; et beaucoup plus pour cette cause qu'en vue d'avoir soldes ou profits du roi.
  Là vinrent le bâtard d'Orléans ; le sire de Boussac, maréchal de France, le sire de Graville, maître des arbalétriers ; le sire de Culan, amiral de France; Gaultier de Bursac et autres capitaines, qui allèrent tous avec lesdits ducs et la Pucelle devant la ville de Jargeau, où était, comme il est dit, le comte de Suffolk. Pendant qu'on asseyait le siège, il y eut par divers jours plusieurs âpres escarmouches ; les assiégés étaient puissants ; il y avait comme de six à sept cents Anglais, tous gens vaillants.
  Cependant on jetait de la ville, où l'on était bien muni, force décharges de canon, et de veuglaires. Ce que voyant la Pucelle, elle vint au duc d'Alençon, et lui dit : « Beau duc, ôtez-vous du lieu où vous êtes, de quelque manière que ce soit; car vous y seriez en danger d'être atteint par les canons ». Le duc crut ce conseil, et il n'était pas reculé de deux toises, qu'un veuglaire fut déchargé de la ville, et enleva net la tête à un gentilhomme d'Anjou, près dudit seigneur, et au propre lieu où il était quand la Pucelle lui parla.
  Les Français furent environ huit jours devant la ville de Jargeau et la battirent fort de canons, et l'assaillirent fort âprement. Ceux du dedans se défendaient aussi vaillamment. Entre autres, il y avait un Anglais robuste, armé de toutes pièces, ayant sur la tête un fort bassinet, qui faisait merveilles de jeter de grosses pierres et d'abattre gens et échelles ; et il était au lieu plus aisé à assaillir. Le duc d'Alençon, qui s'en aperçut, alla à un nommé maître Jean le Canonnier, et lui montra ledit Anglais. Ledit Canonnier ajusta sa coulevrine à l'endroit où il se trouvait et où il se découvrait beaucoup ; il le frappa en pleine poitrine, et le fit choir dans la ville où il mourut.
  La Pucelle descendit dans le fossé, son étendard au poing, au lieu où la défense était plus grande et plus âpre. Elle fut aperçue par quelques Anglais, dont l'un prit une grosse pierre de faix 1, et la lui jeta sur la tête, tellement que du coup elle fut contrainte de s'asseoir; cependant la pierre, qui était dure, s'émietta en menues pièces; ce qui fut grande merveille. Nonobstant, elle se releva assez tôt après, et dit à haute voix aux compagnons français : « Montez hardiment, et entrez; car vous n'y trouverez plus aucune résistance ».
  Ainsi la ville fut gagnée, comme il a été dit, et le comte de Suffolk se retira sur le pont ; il y fut poursuivi par un gentilhomme nommé Guillaume Regnault, auquel le comte demanda : « Es-tu gentilhomme ? » il lui répondit que oui. « Et es-tu chevalier ? » et il répondit que non. Alors le comte le fit chevalier, et se rendit à lui. Semblablement y fut pris le seigneur de La Poule son frère.
  Comme il a été dit, il y eut plusieurs morts, et une multitude de prisonniers que l'on menait à Orléans ; mais le plus grand nombre furent tués en chemin sous l'ombre de quelques débats qui s'émurent entre Français. La prise de Jargeau fut mandée aussitôt au roi, qui en fut très joyeux ; il en remercia et en regracia Dieu, et il manda très diligemment des gens de guerre de toutes parts, pour venir se joindre avec le duc d'Alençon et Jeanne la Pucelle, et d'autres seigneurs et capitaines.



                                         

e duc d'Alençon et la Pucelle séjournèrent en la ville d'Orléans par aucuns jours, pendant lesquels vindrent illec, à grand chevalerie, le seigneur de Rays, le seigneur de Chauvigy, le seigneur de Laval et le seigneur de Lohéac, son frère, et autres grans seigneurs, pour servir le roy Charles en son armée ; lequel vint environ ce temps à Sully, fût d'autre part vint à Blois, à grand chevalerie, le comte Artus de Richemont, connestable de France, et frère du duc de Bretaigne, contre lequel le roy, pour aucuns rapports, avait conceu hayne et malveillance. La Pucelle et les chiefs de guerre tindrent de grans conseilz dedans Orléans, et firent faire grand appareil pour mettre le siège devant Meun et Baugency, où se tinrent en iceluy temps le sire de Scales et le sire de Tallebot, à grand compaignée d'Anglois. Et pour reconforter les garnisons desdictes places mandèrent les Anglois qui tenoient la Ferté-Hubert ; lesquels, après en avoir receut le mandement, ardirent la basse-cour et abandonnèrent le chastel et s'en allèrent à Baugency. Si partit une nuictée le sire de Tallebot de Baugency pour aller au devant de messire Jean Fastol, qui s'estoit party de Paris, à grande compaignée d'Anglois, de vivres et de traict, pour venir advitailler et reconforter la puissance des Anglois. Mais pource qu'il y ouyt nouvelles de la prinse de Jargeau, il laissa les vivres dedans Estampes et vint avec sa compaignée dedans Yenville, et auquel lieu il trouva le sire de Tallebot ; et eux illec assemblez, tindrent aucuns conseils.


  Le duc d'Alençon et la Pucelle séjournèrent à Orléans quelques jours, durant lesquels vinrent vers eux, avec grande chevalerie, le seigneur de Rais, le seigneur de Chauvigny, le seigneur de Laval, le seigneur de Lohéac, son frère, et d'autres grands seigneurs, désireux de servir le roi en son armée. Le roi vint vers ce temps à Sully. D'autre part arrivèrent à Blois, avec grande chevalerie, le comte Arthur de Bretagne, connétable de France et frère du duc de Bretagne, contre lequel le roi, sur quelques rapports, avait conçu de la haine et de la malveillance. La Pucelle et les chefs de guerre tinrent à Orléans de grands conseils, et firent faire de grands préparatifs pour mettre le siège devant Meung et Baugency, où stationnèrent en ce temps le sire de Scales et le sire de Talbot avec grande compagnie d'Anglais. Pour renforcer les garnisons desdites places, les capitaines mandèrent les Anglais qui tenaient La Ferté-Hubert, et ceux-ci, le commandement reçu, mirent le feu à la basse-cour, abandonnèrent le château et s'en allèrent à Baugency.
  Une nuit, le sire de Talbot partit de Baugency pour aller au-devant de messire Jean Fastolf, qui était parti de Paris avec une grande compagnie d'Anglais et provision de vivres et de traits pour ravitailler et conforter les forces des Anglais ; mais, ayant appris la nouvelle de la prise de Jargeau, Fastolf laissa les vivres à Étampes, et vint avec sa compagnie à Janville, lieu où il trouva le sire de Talbot; là, s'étant abouchés, ils tinrent quelques conseils.



                                         

e mercredy, quinziesme jour de juin mille quatre cent vingt-neuf, Jean, duc d'Alençon, lieutenant général de l'armée du roy, accompaigné de la Pucelle et de plusieurs haults seigneurs, barons et nobles, entre lesquels estoient Monseigneur Louys de Bourbon, comte de Vendosme ; le sire de Rays, le sire de Laval, le sire de Lohéac, le vidame de Chartres, le sire de la Tour, et autres seigneurs, à tout grand nombre de gens de pied et grand charroy chargé de vivres et d'appareil de guerre, se partirent d'Orléans pour mettre le siège devant quelques places angloises. Tenans leur voye droit à Baugency, ils s'arrestèrent devant le pont de Meun, que Anglois avoient fortifié et fort garny, et tantost à leur venue, fut prins par assault et garny de bonnes gens. Et ce fait, François n'arrestèrent point ; mais pensans que les sires de Tallebot et de Scales se fussent retrais, ils allèrent devant Baugency. Pour la venue desquels Anglois abandonnèrent la ville, et se retrairent sur le pont et au chasteau. Adoncques François entrèrent dedans ladicte ville et assiégèrent le pont et le chasteau par devers Beausse ; si dressèrent et assortirent là canons et bombardes, dont il battirent fort ledict chasteau (109).

  Le comte de Richemont, connestable de France, vint en cestuy siège, à grand chevalerie ; et avec luy estoient le comte de Perdriac, Jacques de Dinan, frère du seigneur de Chasteaubriant, le seigneur de Beaumanoir, et autres. Et d'autant que ledict connestable estoit dans l'indignation du roy, et à ceste cause tenu pour suspect, il se mist en toute humilité devant ladicte Pucelle, luy suppliant que, comme le roy luy eust donné puissance de pardonner et remettre toutes offenses commises et perpétrées contre luy et son authorité, et que, pour aucuns sinistres rapports, le roy eust conceu hayne et mal talent contre luy, en telle manière qu'il avoit faict faire deffense, par ses lettres, que aucun recueil, faveur ou passage ne luy fussent donnez pour venir en son armée : la Pucelle le voulust, de sa grace, recevoir pour le roy au service de sa couronne, pour y employer son corps, sa puissance et toute sa seigneurie, en luy pardonnant toute offense. Et à celle heure estoient illec le duc d'Alençon et tous les haults seigneurs de l'ost, qui en requirent la Pucelle ; laquelle leur octroya, parmy ce qu'elle receut en leur présence le serment dudict connestable, de loyalement servir le roy, sans jamais faire ny dire chose qui luy doibve tourner à desplaisance. Et à ceste promesse tenir ferme, sans l'enfraindre, et estre contraincts par le roy si ledict connestable estoit trouvé défaillant, lesdicts seigneurs s'obligèrent à la Pucelle par lettres sellées de leurs seaulx.

  Si fut alors ordonné que le connestable mettroit siège du costé de Soulongne, devant le pont de Baugency. Mais le vendredy, dix-septiesme jour du mois de juin, le baillif d'Evreux, qui estoit dedans Baugency, fist requérir à la Pucelle traicté, qui fut faict et accordé entour minuit, en telle manière qu'ils rendroient au roy de France, entre les mains du duc d'Alençon et de la Pucelle, le pont et le chasteau, leurs vies sauves, lendemain à heure de soleil levant, et sans emporter ny mener, fors leurs chevaux et harnois, avec aucuns de leurs meubles montans pour chascun à un marc d'argent seulement, et qu'ils s'en pourroient franchement aller ès pays de leur party ; mais ils ne se debvoient armer jusques après dix jours passés. Et en ceste manière se departirent Anglois qui estoient bien nombrez à cinq cens combatans, qui rendirent le pont et le chastel, le sabmedy, dix-huictième jour de juin mille quatre cent vingt-neuf.

                                                         

  Le mercredi, quinzième jour de juin 1429, Jean, duc d'Alençon, lieutenant général de l'armée du roi, accompagné de la Pucelle et de plusieurs hauts seigneurs, barons et nobles, parmi lesquels Mgr Louis de Bourbon comte de Vendôme, le sire de Rais, le sire de Laval, le sire de Lohéac, le vidame de Chartres, le sire de La Tour, et autres seigneurs, avec grand nombre d'hommes de pied, et grand convoi chargé de vivres et d'appareils de guerre, partirent d'Orléans pour mettre le siège devant quelques places anglaises. Tout en tenant leur chemin droit vers Baugency, ils s'arrêtèrent devant le pont de Meung, que les Anglais avaient fortifié et fort garni, et aussitôt après leur arrivée, il fut pris par assaut et pourvu de vaillants défenseurs. Cela fait, les Français ne s'arrêtèrent pas, mais, pensant que les sires de Talbot et de Scales s'étaient retirés, ils allèrent devant Baugency. Leur venue fit que les Anglais abandonnèrent la ville et se retirèrent sur le pont et au château. Les Français entrèrent donc dans la ville, et assiégèrent le pont et le château par devers la Beauce, dressant et pointant de ce côté canons et bombardes, et battant fort ledit château.

  Le comte de Richemont, connétable de France, vint à ce siège avec grande chevalerie : avec lui étaient le comte de Pardiac ; Jacques de Dinan, frère du seigneur de Beaumanoir, et d'autres. Le Connétable étant alors en l'indignation du roi, et à cette cause tenu pour suspect, se mit en toute humilité devant la Pucelle. Il la supplia que, puisque le roi lui avait donné puissance de pardonner et de remettre toutes les offenses commises et perpétrées contre lui et son autorité, et que, à cause de sinistres rapports, le roi ayant conçu haine et mal talent contre lui, au point de faire défense par ses lettres qu'aucun accueil, faveur ou passage lui fussent donnés pour venir en son armée, la Pucelle voulût bien, de sa grâce, le recevoir à la place du roi au service de la couronne, résolu qu'il était d'y employer son corps, sa puissance et toute sa seigneurie, toute offense lui étant pardonnée. En ce moment se trouvaient là le duc d'Alençon et tous les hauts seigneurs de l'armée, qui firent pareille requête à la Pucelle; elle la leur octroya, à condition de recevoir en leur présence le serment dudit Connétable de loyalement servir le roi, sans jamais faire ni dire chose qui dut lui tourner à déplaisance. Les seigneurs s'obligèrent à la Pucelle, par lettres scellées de leurs sceaux, à ce que cette promesse fût tenue ferme, sans être enfreinte, et à l'y contraindre de par le roi si ledit Connétable était trouvé infidèle.

  Il fut alors ordonné que le Connétable mettrait le siège du côté de la Sologne, devant le pont de Baugency; mais le vendredi dix-septième jour du mois de juin, le bailli d'Évreux, qui défendait Baugency, fit demander à la Pucelle de traiter; ce qui fut fait et accordé à l'entour de minuit, à la condition de rendre au roi de France, le lendemain au soleil levant, entre les mains du duc d'Alençon et de la Pucelle, le pont et le château; moyennant quoi les Anglais auraient leurs vies sauves, et pourraient franchement s'en aller en pays de leur parti, sans emporter ni mener autre chose que leurs chevaux et leurs harnais, et de leurs meubles montants, chacun pour la valeur d'un marc d'argent seulement; et ils ne se devaient armer qu'après dix jours passés. C'est en cette manière que se retirèrent les Anglais, au nombre de cinq cents combattants, après avoir rendu le pontet le château, le samedi dix-huitième jour de juin 1429.



                                         

n la ville de Meun, entrérent une nuictéc les sires de Tallebot, de Scales et Fastot, qui ne peurent avoir entrée au chastel de Baugency, par l'empeschement du siége. Et eux cuidans faire désemparer le siége, ils assaillirent, la nuict de la composition, le pont de Meun ; mais ledict dix-huictiesme jour de juin, tantost que Anglois furent departis de Baugency, vint l'avantgarde des François devant Meun, et incontinent toute leur puissance en batailles très bien ordonnées. Alors Anglois cessèrent l'assault du pont ; si issirent aux champs à toute leur puissance, et se misrent en batailles, tant à pied comme à cheval. Mais ils se commencèrent à retraire tout soubdain, délaissans Meun avec leurs vivres et habillemens, et prindrent leur chemin par la Beausse, du costé par devers Patay. Si partirent hastivement le duc d'Alençon, la Pucelle, le comte de Vendosme, le connestable de France, le sire de Saincte-Sévère et de Boussac, mareschal, messire Louys de Culant, admiral de France, le sire d'Albret, le sire de Laval, le sire de Lohéac, le sire de Chauvigny, et autres grans seigneurs, qui chevauchèrent en batailles ordonnées, et poursuivirent tant asprement les Anglois, qu'ils les aconsuirent près Patay, au lieu dict Coynces.
  Et lors le duc d'Alençon dist à la Pucelle : "Jeanne, voilà les Anglois en bataille, combatrons-nous ?" Et elle demanda audict duc : "Avez vous vos esperons ?" Lors le duc luy dist : "Comment dà, nous en fauldra il retirer, ou fuir ?" Et elle dist : "Nenny, en nom Dieu, allez sur eulx, car ils s'enfuiront, et n'arresteront point, et seront desconfits, sans guères de perte de vos gens ; et pour ce fault il vos esperons pour les suivre."

  Si furent ordonnez coureurs, par manière d'avantgarde, le seigneur de Beaumanoir, Poton et La Hire, Messire Ambroise de Loré, Thiébault de Termes, et plusieurs autres.
  Lesquels embesongnèrent tant les Anglois, qu'ils ne peurent plus entendre à eux ordonner, et mettre en bataille. Si s'assemblèrent contre eux les François en bataille, tant que les Anglois furent desconfits en peu d'heures, dont l'occision fut nombrée sur le champ par les héraults d'Angleterre, à plus de deux mille deux cent Anglois. En ceste bataille, qui fut le dix-huictiesme jour de juin mille quatre cent vingt-neuf, furent prins les seigneurs de Tallebot et de Scales, messire Thomas Rameston, et Hougue Foie (110), ,avec plusieurs chefs de guerre, et autres nobles du pays d'Angleterre ; et furent bien nombrez en tout à cinq mille hommes. Si commença la chasse des fuyans, et fut poursuivie jusque près des portes d'Yenville ; en laquelle chasse plusieurs Anglois furent occis. Les bonnes gens d'Yenville fermèrent leurs portes contre les Anglois qui fuyoient, et montèrent sur la muraille à leurs deffenses. Pour lors estoit au chastel, à peu de compaignée, un escuyer anglois, lieutenant du capitaine, qui avoit le chastel en garde ; lequel, cognoissant la desconfiture des Anglois, traicta avec les bonnes gens de rendre ledict chasteau, sa vie saulve, et fist serment d'être bon et loyal François : à quoy ils le receurent. Il demeura grand avoir en icelle ville qui y avoit esté laissé par les Anglois à leur partir, pour aller à la bataille, avec grand quantité de traict, de canons, et autres habillemens de guerre, de vivres et marchandises. Et tantost ceux de ladicte ville d'Yenville se réduirent en l'obéissance du roy.

  Après la fuite des Anglois, les François entrèrent dedans Meun, et pillèrent toute la ville ; et s'enfuit Messire Jehan Fastot et autres, jusques à Corbueil. Quand Anglois, qui estoient en plusieurs autres places du pays de Beausse, comme à Mont-Pipeau, Saint-Symon, et autres forteresses, ouyrent nouvelles de cette desconfiture, ils prindrent hastivement la fuite, et boutèrent le feu dedans. Après lesquelles glorieuses victoires et recouvrement de villes et chasteaux, toute l'armée retourna dedans Orléans, ledict dix-huictiesme jour de juin, où ils furent receus à grand joye par les gens d'église, bourgeois et commun peuple, qui en rendirent grâces et louanges à Dieu. Les gens d'église et bourgeois d'Orléans cuidèrent bien que le roy deust là venir, pour lequel recepvoir, ils feirent tendre les rues à ciel, et grand appareil voulurent faire pour l'honorer à sa joyeuse venue. Mais il se tint dedans Sully, sans venir à Orléans : dont aucuns qui estoient entour le roy ne furent mie contents. Et atant demeura la chose à celle fois : par quoy la Pucelle alla devers le roy et fist tant, que le vingt-deuxiesme jour de juin, iceluy an, il vint au Chasteau-Neuf sur Loire auquel lieu se tirèrent par devers luy, les seigneurs et chefs de guerre. Et là tint aucuns conseils, après lesquels il retourna à Sully. Et à Orléans la Pucelle vint, et fist tirer par devers le roy tous les gens d'armes avec habillemens, vivres et charroy. Après se partit la Pucelle d'Orléans et alla à Gien, où le roy vint à puissance, et manda par hérauts aux capitaines et autres qui tenoient les villes et forteresses de Bonny, Cosne et La Charité, qu'ils se rendissent en son obéissance : dont ils furent refusans.

  
  En la ville de Meung entrèrent une nuitée les sires de Talbot, de Scales, et Fastolf, qui n'avaient pu avoir entrée au château de Baugency, empêchés qu'ils avaient été par le siège. Et, dans la pensée où ils étaient de le faire lever, ils assaillirent le pont de Meung la nuit même de la composition de Baugency ; mais le dix-huitième jour de juin, aussitôt que les Anglais furent partis de Baugency, l'avant-garde des Français vint devant Meung, et incontinent toutes leurs forces furent rangées en bataille bien ordonnée. Alors les Anglais cessèrent l'assaut du pont, et saillirent aux champs avec toute leur armée, et ils se mirent aussi en ordre de bataille, tant ceux qui étaient à pied que ceux qui étaient à cheval, mais tout soudainement ils se mirent à se retirer, délaissant avec Meung leurs vivres et préparatifs de guerre ; et ils prirent leur chemin par la Beauce du côté de Patay. Aussitôt partirent à la hâte le duc d'Alençon, la Pucelle, le comte de Vendôme, le connétable de France, le sire de Sainte-Sévère et Boussac, maréchal, messire Louis de Culan, amiral de France, le sire d'Albret, le sire de Laval, le sire de Lohéac, le sire de Chauvigny, et d'autres grands seigneurs qui chevauchèrent ordonnés en bataille. Ils poursuivirent si âprement les Anglais qu'ils les joignirent près de Patay, au lieu appelé Coinces.
  Le duc d'Alençon dit alors à la Pucelle : « Jeanne, voilà les Anglais en bataille, combattrons-nous ? » Et elle répondit au duc : « Avez-vous vos éperons? » et le duc de se récrier : « Comment donc, nous faudra-t-il reculer ou fuir ? » et elle dit : « Nenni, en nom Dieu, allez sur eux, car ils s'enfuiront et ne tiendront pas ; ils seront déconfits, sans presque pas de perte de nos gens ; et pour ce faut-il vos éperons pour les poursuivre. » Et furent ordonnés coureurs en manière d'avant-garde, le seigneur de Beaumanoir, Poton et La Hire, messires Ambroise de Loré, Thibaud de Thermes et plusieurs autres. Ils embarrassèrent tant les Anglais que ceuxci ne purent plus entendre à se mettre en bataille; tandis que les Français se jetèrent sur eux en bon ordre, si bien que les Anglais furent déconfits en peu d'heures ; leurs morts furent nombrés sur le champ de bataille, par les hérauts d'Angleterre, à plus de deux mille deux cents Anglais. Dans cette bataille, qui fut le dix-huitième jour de juin 1429, furent pris les seigneurs de Talbot et de Scales, messire Thomas Rameston et Hungerford, ainsi que plusieurs chefs de guerre, et autres nobles du pays d'Angleterre, et en tout (tués ou prisonniers) le nombre s'éleva bien à cinq mille hommes. Et aussitôt commença la chasse des fuyards qui fut poursuivie jusqu'aux portes de Janville, en laquelle chasse plusieurs Anglais furent tués.
  Les bonnes gens de Janville fermèrent leurs portes aux Anglais qui fuyaient, et montèrent sur leurs murailles pour les défendre. Il y avait alors au château, avec quelques hommes d'armes seulement, un écuyer anglais, lieutenant du capitaine chargé de le garder. Connaissant la déconfiture des Anglais, il traita avec les bons habitants de Janville pour le rendre, en conservant la vie sauve, et en faisant le serment d'être bon et loyal Français ; ce à quoi les habitants le reçurent. Il resta en cette ville grand avoir, laissé à leur départ par les Anglais allant à la bataille, grande quantité de traits, de canons, et autres engins de guerre, quantité de vivres et de marchandises ; et ceux de ladite ville se réduisirent aussitôt en l'obéissance du roi.
  Après la fuite des Anglais, les Français entrèrent dans Meung et pillèrent toute la ville. Messire Jean Fastolf s'enfuit jusques à Corbeil, et d'autres avec lui. Les Anglais, qui étaient en plusieurs autres places de la Beauce, à Mont-Pipeau et à Saint-Simon et autres forteresses, à la nouvelle de la défaite, prirent hâtivement la fuite, après avoir mis le feu aux places qu'ils occupaient.

  Ces glorieuses victoires remportées, ces villes et châteaux recouvrés, toute l'armée rentra à Orléans, ce même dix-huitième jour de juin. Elle y fut reçue à grande joie par les gens d'Église, les bourgeois et le commun peuple, qui en rendirent grâces et louanges à Dieu. Les gens d'Eglise et les bourgeois d'Orléans pensèrent bien que le roi viendrait dans la ville ; et pour le recevoir ils firent tendre les rues à ciel, et firent grand appareil pour honorer sa joyeuse venue ; mais il se tint dedans Sully sans venir à Orléans; ce dont plusieurs de ceux qui étaient autour de lui ne furent pas contents. La chose en demeura là pour cette fois ; ce fut cause que la Pucelle alla devers le roi, et elle fit tant que, le vingt-deuxième jour de juin, il vint à Châteauneuf-sur-Loire, auquel lieu se retirèrent devers lui les seigneurs et les chefs de guerre ; et là furent tenus plusieurs conseils, après lesquels il retourna à Sully. La Pucelle revint à Orléans, et fît tirer vers le roi tous les gens d'armes avec armements, vivres et charrois ; elle partit ensuite elle-même d'Orléans, et alla à Gien, où le roi vint avec des troupes; et d'où il manda par des hérauts aux capitaines et autres qui tenaient les villes et forteresses de Bonny, Cosne et La Charité, de se rendre à son obéissance; ce dont ils furent refusants.



                                         

e comte de Richemont, connestable de France, séjourna par aucuns jours, après la bataille, en la ville de Baugency ; attendant response du duc Jean d'Alençon, de la Pucelle et des haults seigneurs qui s'estoient portez forts d'appaiser le roy et lui faire pardonner son maltalent. A quoy ils ne peurent parvenir ; et le roy ne voulut souffrir qu'il allast par devers luy, pour le servir dont il fut en grand desplaisance. Néantmoins ledict connestable, qui avoit grand compaignée de nobles, désirant nettoyer le pays du duc d'Orléans, voulut mettre le siége devant Marchenoy , près Blois, qui fut garny de Bourguignons et d'Anglois. Lesquels de ce ouyrent nouvelles, et doubtans le siége, se tirèrent, soubs saulfconduit, à Orléans, par devers le duc d'Alençon qui estoit là pour le temps. Si traictèrent tant lesdicts Bourguignons, que parmy leur faisant pardonner par le roy toutes offenses, et leur donnant dix jours de terme pour emporter leurs biens, ils seroient et demeureroient à tousjours bons et loyaux François. Et ainsi le jurèrent, et donnèrent aucuns hostages ès mains du duc d'Alengon, qui fist sçavoir ceste chose au connestable, lequel s'en partit à tant ; mais après son partement, les Bourguignons dudict Marchenoy firent tant, qu'ils prindrent et retindrent prisonniers aucuns des gens dudict duc d'Alençon, pour recouvrer leurs hostages ; et ainsi faulsèrent leurs serments.


  Le comte de Richemont, connétable de France, séjourna quelques jours après la bataille de Patay en la ville de Baugency, attendant réponse du duc d'Alençon, de la Pucelle et des hauts seigneurs qui s'étaient portés forts d'apaiser le roi et de lui faire pardonner son maltalent. A quoi ils ne purent parvenir; le roi ne voulut pas souffrir qu'il allât devers lui pour le servir; ce dont il fut en grande déplaisance.
  Néanmoins ledit Connétable, qui avait grande compagnie de nobles, dans le désir de nettoyer le pays du duc d'Orléans, voulut mettre le siège devant Marchenoir, près de Blois, ville garnie de Bourguignons et d'Anglais. Ces derniers en eurent nouvelles, et, par crainte du siège, ils envoyèrent sous sauf-conduit, à Orléans, par devers le duc d'Alençon, qui par ce temps était là. Lesdits Bourguignons traitèrent si bien qu'on leur fit pardonner par le roi toutes offenses, et, qu'on leur donna dix jours de terme pour emporter leurs biens, sous promesse qu'ils seraient et demeureraient à toujours bons et loyaux Français. Ainsi ils jurèrent, et ils mirent quelques otages ès mains du duc d'Alençon, qui fit tout savoir au Connétable, lequel se départit du siège ; mais après son partement, les Bourguignons dudit Marchenoir firent tant, qu'ils prirent et retinrent prisonniers quelques-uns des gens du duc d'Alençon, pour recouvrer leurs otages, et ainsi ils faussèrent leurs serments.



                                         

urans ces choses, le roy alla en la ville de Gyen ; lequel envoya Messire Louys de Culant, son admiral, devant Bonny, à tout grand gent ; et le dimanche après la Saint-Jean 1429 [le 26 juin], celle place luy fut rendue par composition. Et pour ce que la Pucelle fut désirant, avant que le roy employast sa puissance à recouvrer ses villes et chasteaux ; de le mener tout droict à Reims, pour la estre couronné et recepvoir la saincte onction royale, à quoi aucuns estoient de contraire opinion, tendans à ce que le roy assiégeast premièrement Cosne et La Charité, pour nettoyer les pays de Berry, d'Orléans et du fleuve de Loire : il tint sur ces choses de grands conseils à Gyen, pendant lesquels la royne fut illec amenée, en espérance d'estre menée couronner à Reims avec le roy. Et eux séjournans illec, les barons et haults seigneurs de plusieurs contrées du royaume vindrent au service du roy à grand puissance. Si en la fin le roy délibéra en son conseil de renvoyer la royne à Bourges, et qu'il prendroit son chemin droict à Reims, pour recepvoir son sacre , sans mettre aucuns sieges sur Loire. Donc retourna la royne à Bourges, et le roy se partit de Gyen, le jour Sainct-Pierre, au mois de juin 1429, à toute sa puissance, tenant sa voye droict à Reims (111).
  Et ce, par l'instigation et pourchas de Jeanne la Pucelle, disant que c'estoit la volonté de Dieu qu'il allast à Reims se faire couronner et sacrer ; et que, combien qu'il fust roy, toutesfois ledict couronnement luy estoit nécessaire. Et combien que plusieurs, et le roy mesmes, de ce feissent difficulté, veu que ladicte cité de Reims, et toutes les villes et forteresses de Picardie, Champaigne, l'Isle de France, Brye, Gastinois, l'Auxerrois, Bourgongne , et tout le pays d'entre la rivière de Loire et la mer, estoit occupé par les Anglois, toutesfois le roy s'arresta au conseil de ladicte Pucelle, et délibéra de l'exécuter. Si feit son assemblée à Gyen sur Loire ; et vindrent en sa compaignée les ducs d'Alençon, de Bourbon, le comte de Vendosme, ladicte Pucelle, le seigneur de Laval, les sires de Lohéac, de la Trimoille, de Rays, d'Albret. Et plusieurs autres seigneurs, capitaines et gens d'armes venoient encore de toutes parts au service du roy ; et plusieurs gentilshommes, non ayans de quoy eux armer et monter, y alloient comme archers et coustillers, montez sur petits chevaulx ; car chascun avoit grande attente que par le moyen d'icelle Jehanne il adviendroit beaucoup de bien au royaume de France ; si désiroient et convoitoient à la servir, et congnoistre ses faits, comme une chose venue de par de Dieu.
  Elle chevauchoit tousjours armée de toutes pièces, et en habillement de guerre, autant ou plus que capitaine de guerre qui y fust ; et quand on parloit de guerre, ou qu'il failloit mettre gens en ordonnance, il la faisoit bel ouyr et veoir faire les diligences ; et si on crioit aucunes fois à l'arme, elle estoit la plus diligente et première, fust à pied ou à cheval ; et estoit une très grand admiration aux capitaines et gens de guerre, de l'entendement qu'elle avoit en ces choses, veu que en autres elle estoit la plus simple villageoise que on veid oncques. Elle estoit très dévote, se confessoit souvent, et recepvoit le précieux corps de Jésus-Christ ; estoit de très belle vie et honneste conversation.


  Durant ces choses, le roi était arrivé à Gien, d'où il envoya messire Louis de Culan, son amiral, devant Bonny, avec grand nombre de gens ; et le dimanche après la Saint-Jean 1429 (112), cette place lui fut rendue par composition. Cependant la Pucelle était désireuse que le roi, avant que d'employer sa puissance à recouvrer ses villes et châteaux, se laissât mener tout droit à Reims, pour là être couronné et recevoir la sainte onction royale; ce à quoi plusieurs étaient d'opinion contraire, étant d'avis que le roi assiégeât premièrement Cosne et La Charité pour nettoyer les pays de Berry, d'Orléans et du fleuve de la Loire. Il se tint à Gien sur ces choses de grands conseils, pendant lesquels la reine fut amenée en cette ville, en espérance d'être menée couronner à Reims avec le roi.
  Durant ce séjour, les barons et hauts seigneurs du royaume vinrent au service du roi, avec grande puissance, et en la fin le roi arrêta en son conseil de renvoyer la reine à Bourges, et de prendre son chemin droit à Reims, pour recevoir son sacre, sans mettre aucuns sièges sur la Loire. La reine retourna donc à Bourges, et le roi partit de Gien, le jour de Saint-Pierre, au mois de juin 1429, à toute sa puissance, tenant sa voie droit à Reims. Et cela fut par l'instigation et instances de Jeanne la Pucelle, qui disait que c'était la volonté de Dieu qu'il allât à Reims se faire couronner et sacrer, et qu'encore qu'il fût roi, toutefois ledit couronnement lui était nécessaire. Plusieurs, et le roi même, de ce faisaient difficulté, vu que la cité de Reims, et toutes les villes et forteresses de Picardie, Champagne, Ile-de-France, Brie, Gâtinais, Auxerrois, Bourgogne, et tout le pays d'entre la rivière de la Loire et la mer était occupé par les Anglais ; cependant le roi finit par s'arrêter au conseil de la Pucelle, et se mit en devoir de l'exécuter ; il réunit pour cela son armée à Gien-sur-Loire. Et vinrent en sa compagnie les ducs d'Alençon, de Bourbon, le comte de Vendôme, ladite Pucelle, le seigneur de Laval, les sires de Lohéac, de La Trémoille, de Rais, d'Albret.
  Plusieurs autres seigneurs, capitaines et gens d'armes venaient encore de toutes parts au service du roi ; et plusieurs gentilshommes n'ayant pas de quoi s'armer et se monter y allaient comme archers et coutilliers, montés sur de petits chevaux; car chacun avait grande attente que par le moyen d'icelle Jeanne, il adviendrait beaucoup de bien au royaume de France ; aussi désiraient-ils et convoitaient-ils de la servir, et de connaître ses faits, comme étant une chose venue de la part de Dieu.
  Elle chevauchait toujours armée de toutes pièces et équipée en guerre, autant ou plus que capitaine qui y fut; et quand on parlait de guerre, ou qu'il fallait, mettre gens en ordonnance, il la faisait bel ouïr et voir faire les diligences ; et si on criait quelquefois à l'arme, elle était la plus diligente et la première, fût-ce à pied, fût-ce à cheval ; et c'était une très grande admiration aux capitaines et gens de guerre de l'entendement qu'elle avait en ces choses, vu que dans les autres elle était la plus simple villageoise que l'on vit jamais. Elle était très dévote, se confessait souvent, et recevait le précieux corps de Jésus-Christ, elle était de très belle vie et honnête conversation.



                                         

n ce temps, le seigneur de La Trimouille estoit en grand crédit auprés du roy ; mais il se doubfoit tousjours d'estre mis hors de gouvernement, et craingnoit spécialement le connestable et autres ses alliez et serviteurs. Par quoy, combien que ledict connestable oust bien douze cent combatants et gens de faict, et si avoit autres seigneurs, lesquels fassent volontiers venus au service du roy : ledict de La Trimouille ne le vouloit souffrir ; et si n'y avoit personne qui en eust osé parler contre iceluy de La Trimouille. Audit lieu de Gyen sur Loire, fut faict un payement aux gens de guerre de trois francs pour homme d'armes, qui estoit peu de chose ; puis s'en partit la Pucelle, ayant plusieurs capitaines de gens d'armes en sa compaignée, avec leurs gens, et s'en allèrent loger à environ quatre lieues de Gyen, tirant le chemin vers Auxerre ; et le roy partit le lendemain en prenant le mesme chemin. Et le jour dudict partement du roy, se trouvèrent tous ses gens ensemble, qui estoit une belle compaignée ; et vint loger avec son ost devant ladicte cité d'Auxerre, laquelle ne fist pas plaine obéissance ; car ils vindrent devers le roy luy prier et requérir qu'il voulust passer oultre, en demandant et requérant abstinence de guerre ; laquelle chose leur fut octroyée par le moyen et la requeste dudict de La Trimouille, qui en eut deux mille escus dont plusieurs seigneurs et capitaines furent très mal contens d'iceluy de La Trimouille et du conseil du roy, et mesmement la Pucelle, à laquelle il sembloit qu'on l'eust eue bien aisément d'assault. Toutesfois ceux de la ville baillèrent et délivrèrent vivres aux gens de l'ost du roy, lesquels en estoient en grande nécessité.

                      

  Ladicte Pucelle avoit de coustume que aussitost qu'elle venoit en un village, elle s'en alloit à l'église faire ses oraisons, et faisoit chanter aux prestres une antienne de Nostre-Dame. Si faisoit ses prières et oraisons, et puis s'en alloit en son logis, lequel estoit communément ordonné pour elle en la plus honneste maison qu'on pouvoit trouver, et où y avoit quelque femme honneste. Oncques homme ne la veid baigner ny se purger, et le faisoit tousjours secrètement, et si le cas advenoit qu'elle logeast aux champs avec les gens de guerre, jamais ne se désarmoit. Il y eut plusieurs, mesme de grans seigneurs, délibérez de sçavoir si ils pourroient avoir sa compaignée charnelle ; et pour ce, venoient devant elle gentement habillez ; mais aussi tost qu'ils la voyoient, toute volonté leur cessoit, et quand on luy demandoit pourquoy elle estoit en habit d'homme, et qu'elle chevauchoit en armes, elle respondoit qu'ainsy luy estoit il ordonné, et que principalement c'estoit pour garder sa chasteté plus aiséement ; aussi que c'eust esté trop estrange chose de la veoir chevaucher en habit de femme entre tant de gens d'armes. Et quand gens lettrez parloient à elle sur ces matières elle leur répondoit tellement, qu'ils estoient très contens, disant qu'ils ne faisoient doubte qu'elle estoit venue de par Dieu.


  En ce temps, le seigneur de La Trémoille était en grand crédit auprès du roi ; mais il tremblait toujours d'être mis hors du gouvernement, et il craignait spécialement le Connétable et autres de ses alliés et serviteurs. Aussi, quoique ledit Connétable eut bien douze cents combattants et gens de trait, et avec lui d'autres seigneurs qui fussent volontiers venus au service du roi, ledit de La Trémoille ne le voulut souffrir; et il n'y avait personne qui eût osé parler contre icelui de La Trémoille.
  Au lieu de Gien-sur-Loire fut fait aux gens de guerre un payement de trois francs par homme d'armes ; ce qui était peu de chose ; puis la Pucelle en partit ayant en sa compagnie plusieurs capitaines d'hommes d'armes avec leurs gens ; et ils s'en allèrent loger à environ quatre lieues de Gien, en s'avançant sur le chemin d'Auxerre ; et le roi partit le lendemain par le même chemin.
  Et le jour du départ du roi, tous ses gens se trouvèrent ensemble; ce qui était une belle compagnie; et il vint avec son armée s'établir devant la cité d'Auxerre, qui ne lui fit pas pleine obéissance ; car les bourgeois vinrent devers le roi lui faire prière et requête qu'il voulût passer outre, en demandant et sollicitant abstinence de guerre; ce qui leur fut octroyé par le moyen et requête du sire de La Trémoille, qui en eut deux mille écus; ce pourquoi plusieurs seigneurs et capitaines furent très mal contents d'icelui de La Trémoille et du conseil du roi, et la Pucelle elle-même, à laquelle il semblait qu'on s'en fût bien aisément emparé par assaut. Toutefois ceux de la ville donnèrent et délivrèrent des vivres aux gens du roi, qui en avaient grande nécessité.
  La Pucelle, aussitôt qu'elle venait en un village, avait coutume de s'en aller à l'église faire ses oraisons, et de faire chanter aux prêtres une antienne de Notre-Dame. Ses prières et oraisons faites, elle s'en allait à son logis, qui lui était communément préparé en la plus honnête maison qu'on pouvait trouver, et où il y avait quelque femme honnête. Jamais homme ne la vit se baigner ni se purger; elle le faisait toujours secrètement ; et si le cas advenait qu'elle couchât aux champs, jamais elle ne se déshabillait.
  Plusieurs, même des grands seigneurs, voulaient savoir s'ils pourraient avoir sa compagnie charnelle, et, pour ce, ils venaient devant elle gentiment vêtus, mais aussitôt qu'ils la voyaient tout leur vouloir coupable cessait. Quand on lui demandait pourquoi elle était en habits d'homme et chevauchait en armes, elle répondait que cela lui était ainsi ordonné, que c'était principalement pour mieux garder ainsi sa chasteté, et aussi que c'eût été chose trop étrange de la voir chevaucher en habits de femme parmi tant d'hommes d'armes. Et quand les gens lettrés lui parlaient sur ces matières, elle leur répondait si bien qu'ils étaient très satisfaits, disant n'avoir aucun doute qu'elle ne fût venue de par Dieu.



                                         

près ce que le roy eut esté logé devant ladicte ville d'Auxerre trois jours, il se partit avec son ost, en tirant vers la ville de Sainct-Florentin, où ceux de la ville luy feirent plainière obéissance. Et là n'arresta guères, mais s'en vint avec son ost devant la cité de Troyes, qui estoit grande et grosse ville. Et y avoit dedans de cinq à six cent combattans, Anglois et Bourguignons, lesquels saillirent vaillamment à l'arrivée du roy, et y eut dure et aspre escarmouche, où il y en eut de ruez par terre d'un costé et d autre. Car les gens du roy les receurent très bien et furent contraints lesdits Anglois de se retirer en ladicte cité.
  Les gens du roy se logèrent d'un costé et d'autre au mieulx qu'ils purent, et le roy y fut cinq ou six jours sans ce que ceux de dedans monstrasscnt oncques semblant d'avoir volonté d'eulx mettre en son obéissance ; car il ne s'y pouvoit trouver appointement, combien que souvent on parlementoit. Et pour lors y avoit en l'ost si grande cherté de pain et autres vivres qu'il y avoit plus de cinq à six mille personnes, qui avoient esté plus de huit jours sans manger pain et vivoient seulement d'espies de bled froissez et de febves nouvelles, dont ils trouvèrent largement, et disait on, qu'il y avoit un cordelier, nommé frère Richard, qui alloit preschant par le pays, et fut en la ville de Troyes, où preschant durant l'advent, il disoit tous les jours : "Semez des febves largement ; celui qui doibt venir viendra en bref." Et fit tellement qu'on sema febves tant largement que ce fut merveilles, dont l'ost du roy se nourrit par aucun temps. Et toutesfois ledit prescheur ne songeoit point à la venue du roy.
  Les ducs d'Alençon et de Bourbon, le comte de Vendosme, et plusieurs autres seigneurs et gens du conseil en grand nombre furent mandez par le roy, pour sçavoir ce qu'il avoit à faire. Et la fut renconstré par l'archevesque de Reims, chancellier de France, comment le roy estoit là arrivé, et que lui ni son ost n'y pouvoit plus longuement demeurer pour plusieurs causes ; lesquelles il remonstra grandement et notablement, c'est à sçavoir pour la grande famine qui y estoit et que vivres ne venoient en l'ost de nulle part, et qu'il n'y avoit homme qui n'eust plus d'argent. En outre, que c'estoit merveilleuse chose de prendre la ville et cité de Troyes, qui estoit forte de fossez et bonnes murailles, bien garnye de vivres et de gens de guerre et de peuple, ayant par apparence volonté de résister et de non obéyr au roy. Joint qu'il n'y avoit bombardes, canons, artillerie, ny habillemens nécessaires à battre ou rompre les murs d'icelle ville ; ny à la guerroyer. Et si n'y avoit ville ni forteresse françoise dont on peust avoir aide ou secours, plus près de Gien sur Loire ; de laquelle ville jusques à Troyes avoit plus de trente lieues. Il allégua encores plusieurs autres grandes et notables raisons et bien apparentes, par lesquelles il monstroit évidemment qu'il en pouvoit advenir grand inconvénient si on s'y tenoit longuement.
  Après cela, le roy ordonna à son chancellier qu'il demandast les oppinions à tous les présents pour sçavoir ce qu'il estoit de faire pour le meilleur. Et le chancellier commença à demander les oppinions, en leur commandant que chascun s'acquitast loyalement, et conseillast le roy pour sçavoir ce qu'il avoit à faire sur ce que dist est. Tous les présens furent presque d'oppinion que veu et considéré les choses dessus desclairées et que le roy avoit esté reffusé à ladite ville d'Auxerre, laquelle n'estoit garnie de gens d'armes ne si forte que icelle ville de Troyes et plussieurs autres choses que ung chacun alléguoit selon son entendement et imagination, furent d'opinion que ledit roy et son ost s'en retournassent et que de demeurer plus devant ladite ville de Troyes, ny d'aller plus avant, n'y sçavoient voir on congnoistre que toute perdicion de son ost. Les autres furent d'oppinion que le roy passast en tirant vers Reims, d'autant que tout le pays estoit plein de biens et trouveroient assez de quoy vivre.
  Et vint ledit chancellier à demander à ung ancien et notable conseiller du roy, nommé Messire Robert le Masson, seigneur de Trèves, qui avoit esté chancellier, lequel estoit sage et prudent. Si dist qu'il falloit envoier quérir ladite Jeanne la Pucelle, dont dessus est faite mencion, laquelle estoit en l'ost et non pas au conseil, et que bien povoit estre qu'elle diroit quelle chose qui seroit prouffitable pour le roy et sa compaignée. Et dist oultre que quand le roy estoit party qu'il avoit entreprins ce voyage, il ne favoit pas fait par la grant puissance de gens d'armes qu'il eust, ne par le grant argent de quoy il fust garny pour paier ses gens d'armes, ne aussi parce que icellui voyage lui semblast bien possible, maiz seullement avoit entreprins icellui voyage par l'admonnestement de Jeanne la Pucelle, laquelle disoit tousjours qu'il tirast avant pour aller à son couronnement à Reims, et que il ne trouveroit que bien peu de résistence, et que c'estoit le plaisir et voulenté de Dieu, et que se icelle Jeanne, ne conseilloit aucune chose qui en icellui conseil n'eust esté dicte, qu'il estoit de la grant et commune oppinion, c'est assavoir que ledit roy et son ost s'en retournassent dont ilz estoient venus.

  Et ainsi comme on débattoit la matière, ladicte Jeanne heurta très fort à l'huis où estoit le conseil. Si luy fut ouvert et entra dedans. Puis fist la révérence au roy, et icelle faite, le chancellier luy dist : "Jeanne, le roy et son conseil a eu de grandes perplécitez pour sçavoir ce qu'il avoit à faire." Et en effet, lui récita les choses dessus dictes le plus amplement qu'il peut, en luy requérant qu'elle dist son oppinion au roy et ce qu'il luy en sembloit. Alors elle adressa sa parolle au roy et lui demanda s'elle seroit creue de ce qu'elle lui diroit. Le roy respondit ouy, selon ce qu'elle diroit. Alors elle dist telles paroles : "Gentil roy de France, ceste cité est vostre. Et si vous voulez demeurer devant deux ou trois jours, elle sera en vostre obéyssance ou pour amour ou par force et n'en faites aucun doubte." Dont luy fut respondu par le dict chancelier : "Jehanne, qui seroit certain de l'avoir dedans six jours, on attendroit bien ! Mais je ne sçay s'il est vray ce que vous dites." Et elle dit derechef qu'elle n'en faisoit aucun doubte. A laquelle opinion de ladite Jeanne le roy et son conseil s'arrestèrent et fut conclu qu'on demeureroit là. Et à celle heure, ladite Jeanne monta sur un coursier, un baston en son poing. Si mit en besongne chevaliers et escuyers, archers, manouvriers et autres gens de tous estats, à apporter fagots, huis, tables, fenestres et chevrons pour faire des taudis et approchements contre la ville pour asseoir une petite bombarde et autres canons estans en l'ost. Elle faisoit de merveilleuses diligences, aussi bien qui eust sceu faire un capitaine, lequel eust esté en guerre tout le temps de sa vie ; dont plusieurs s'émerveilloient.
  Les gens de la ville sceurent et aperceurent les préparations que on faisoit ; et sur ce, considérèrent que c'estoit leur souverain seigneur ; et aucunes simples gens disoient qu'ils avoient veu autour de l'estendart de ladicte Pucelle une infinité de papillons blancs. Et comme meus soubdainement d'une bonne volonté inspirée de Dieu, congnoissans aussi les choses merveilleuses que ceste Pucelle avoit faictes à lever la siège d'Orléans, délibérèrent que on parlementeroit avec le roy, pour sçavoir quel traicté ils pourroient avoir. Et les gens de guerre mesmes, ennemis du roy, estans dedans la ville, le conseillèrent. Et de faict, l'évesque (113) et les bourgeois de la ville et des gens de guerre en bien grand nombre vindrent devers le roy, et prindrent finablement composition et traicté ; c'est à savoir que les gens de guerre s'en iroient, eux et leurs biens, et ceux de la ville demeureroient en l'obéissance du roy, et luy rendroient ladicte ville ; parmy qu'ils eurent abolition générale, et au regard des gens d'église qui avoient régales et collations de bénéfices du roy son père, il approuva les collations ; et ceux qui les avoient du roy Henri d'Angleterre, prindrent lettres du roy ; et voulut qu'ils eussent les bénéfices, quelques collations qu'il en oust faict à autres.

  Ceux de la ville feirent grand feste et grand joye, et ceux de l'ost eurent vivres à leur plaisir. Et le matin s'en partirent presque toute la garnison, tant Anglois que Bourguignons, tirans la où ils voulurent aller. Et combien que, par le traicté, ils maintinssent qu'ils pouvoient enmener leurs prisonniers, et de faict les emmenoient, mais icelle Jeanne se tint à la porte en disant que, en nom Dieu, ils ne les enmèneroient pas, et de faict les en garda. Et le roy contenta aucunement lesdicts Anglois et Bourguignons des finances auxquelles lesdicts prisonniers estoient mis ; puis y entra le roy environ neuf heures du matin. Mais premièrement y estoit entrée ladicte Jeanne, et avoit ordonné des gens de traict à pied au long des rues. Et avec le roy entrèrent à cheval les seigneurs et capitaines, bien habillez et montez, et les faisoit très beau voir. Si mist en ladicte ville capitaines et officiers, et fut ordonné par le roy que le seigneur de Loré demeureroit aux champs avec les gens de guerre de l'ost. Et le lendemain tous passèrent par ladicte cité en belle ordonnance : dont ceux de la ville estoient bien joycux ; et feirent serment au roy d'estre bons et loyaux et tels se sont ils toujours monstrez depuis.


  

  Après que le roi se fut arrêté durant trois jours devant la ville d'Auxerre, il en partit avec son armée, en tirant vers la ville de Saint-Florentin, dont les habitants lui firent plénière obéissance. Il ne s'y arrêta guère, mais il s'en vint avec son armée devant la cité de Troyes, qui était grande et grosse ville. Il y avait dedans de cinq à six cents combattants, Anglais et Bourguignons, qui sortirent vaillamment à la rencontre du roi ; il y eut dure et âpre escarmouche, et il y en eut de part et d'autre de couchés par terre, car les gens du roi les reçurent très bien, en sorte que les Anglais furent contraints de se retirer derrière les murailles.
  Les gens du roi se logèrent de côté et d'autre, au mieux qu'ils purent, et le roi resta là cinq ou six jours sans que ceux du dedans montrassent jamais semblant de volonté de se soumettre à son obéissance ; on n'y pouvait trouver appointement, quoique souvent l'on parlementât.
  Il y avait pour lors en l'armée si grande cherté de pain et de vivres que plus de cinq à six mille personnes avaient passé plus de huit jours sans manger de pain. L'on vivait d'épis de blé froissés et de fèves nouvelles, qu'on trouvait très largement. Et l'on disait qu'un Cordelier, nommé Frère Richard, qui allait prêchant par le pays, était venu en la ville de Troyes, où, prêchant durant l'Avent, il disait tous les jours :
« Semez des fèves largement, celui qui doit venir viendra bientôt ». Et il fit tellement qu'on sema des fèves si largement que ce fut merveille ; ce dont l'armée du roi se nourrit par quelque temps. Et toutefois ledit prêcheur ne songeait point à la venue du Roi.
  Les ducs d'Alençon et de Bourbon, le comte de Vendôme et plusieurs autres seigneurs et gens du conseil, furent par le roi mandés en grand nombre pour savoir ce qu'il y avait à faire. Et là il fut remontré par l'archevêque de Reims, chancelier de France, comment le roi était venu en ce lieu, et que ni lui ni son armée n'y pouvaient demeurer plus longtemps pour plusieurs causes, qu'il remontra longuement et notablement ; c'est à savoir pour la grande famine qui y régnait, sans que les vivres arrivassent de nulle part en l'armée, et qu'il n'y avait plus d'homme qui eût de l'argent. En outre, disait-il, c'était merveilleuse chose de prendre la ville et cité de Troyes, forte par ses fossés et ses bonnes murailles, bien garnie de vivres, de gens de guerre et de peuple, ayant toute apparence de vouloir résister et de ne pas obéir au roi; il fallait ajouter qu'on manquait de bombardes, de canons, d'artillerie, d'appareils de guerre pour battre les remparts et lui faire la guerre ; qu'il n'y avait ni ville ni forteresse française pouvant prêter aide et secours, plus rapprochée que Gien-sur-Loire ; et que de cette ville à Troyes, il y avait plus de trente lieues. Il allégua encore plusieurs autres grandes et notables raisons par -lesquelles il montrait évidemment qu'il pouvait en advenir grand inconvénient, si l'on restait longuement là où l'on était.
  Après cela le roi ordonna à son chancelier de demander les sentiments de tous ceux qui étaient présents, pour savoir ce qu'il y avait de meilleur à faire. Et le chancelier commença à demander les avis en ordonnant à chacun de s'acquitter loyalement de son devoir, et de conseiller le roi sur ce qu'il y avait à faire, après ce qui avait été dit. Presque tous ceux qui étaient présents furent d'opinion que, vu et considéré les choses ci-dessus déclarées, après que le roi s'était vu refusé par la ville d'Auxerre qui n'était pas pourvue de gens d'armes, ni si forte que la ville de Troyes, et pour plusieurs autres raisons que chacun alléguait selon son entendement et imagination, le roi et son armée devaient s'en retourner, et que demeurer plus longtemps devant la ville de Troyes, ou aller plus. avant, c'était, autant qu'ils savaient voir ou connaître, toute perdition pour l'armée. Les autres furent d'avis que le roi allât en avant en tirant vers Reims; le pays étant plein de biens, on trouverait assez de quoi vivre.
  Le chancelier en vint à interroger un ancien et notable conseiller, nommé messire Robert le Maçon, seigneur de Trèves, qui avait été chancelier, homme sage et prudent. Il dit qu'il fallait envoyer quérir Jeanne la Pucelle qui était en l'armée et non pas au conseil; que peutêtre elle dirait quelque chose de profitable au roi et à sa compagnie. Il dit en outre que lorsque le roi avait entrepris ce voyage, il ne l'avait pas fait à cause de la grande puissance des hommes d'armes dont il disposait, ni pour le grand argent en sa possession afin de les payer, ni parce que ce voyage lui semblait bien possible ; mais qu'il l'avait entrepris uniquement sur l'admonestement de Jeanne la Pucelle, qui ne cessait de lui dire de tirer en avant pour aller à son couronnement à Reims, qu'il ne trouverait que bien peu de résistance, et que tel était le bon plaisir et volonté de Dieu. Si Jeanne ne conseillait rien qui n'eût été dit en ce conseil, il était de la grande et commune opinion, à savoir que le roi et son armée s'en retournassent au lieu d'où ils étaient venus.

  Comme on délibérait sur la matière, Jeanne heurta très fort à la porte du conseil. On lui ouvrit, et elle entra; elle fit la révérence au roi, et, la révérence faite, le chancelier dit: « Jeanne, le roi et son conseil sont en grande perplexité pour savoir ce qu'il y a à faire ». Et il lui exposa le plus amplement qu'il put ce qui avait été dit, en la requérant de manifester au roi son avis, et ce qu'il lui en semblait. Alors elle adressa la parole au roi et lui demanda si elle serait crue de ce qu'elle dirait. Le roi répondit oui, selon ce qu'elle avancerait. Alors elle dit ces paroles :
« Gentil roi de France, cette cité est vôtre; et si vous voulez demeurer devant ses murs deux ou trois jours, elle sera en votre obéissance par amour ou par force; et n'en faites aucun doute ». Il lui fut répondu par le chancelier : « Jeanne, qui serait certain de l'avoir dans six jours, on attendrait bien ; mais je ne sais si c'est vrai ce que vous dites ». Et elle affirma de nouveau qu'elle n'en faisait aucun doute. Le roi et son conseil s'arrêtèrent à l'opinion de Jeanne, et il fut conclu qu'on demeurerait là.
  Sur l'heure Jeanne monta sur un coursier, un bâton à la main; et elle mit en besogne chevaliers, écuyers, archers, manouvriers et gens de tous états, afin d'apporter des fagots, portes, tables, fenêtres et chevrons, pour faire des taudis et des machines d'approche contre la ville, pour asseoir une petite bombarde et autres canons qui étaient dans l'armée. Elle faisait des diligences merveilleuses, aussi bien qu'eût su les faire un capitaine qui eût été en guerre tout le temps de sa vie ; ce dont plusieurs s'émerveillaient.
  Les gens de la ville surent et aperçurent les préparatifs qu'on était en train de faire ; et, sur ce, se mirent à considérer que Charles était leur souverain seigneur ; quelques gens simples disaient qu'ils avaient vu autour de l'étendard de la Pucelle une infinité de papillons blancs. Comme soudainement mus d'une bonne volonté inspirée de Dieu, connaissant aussi les choses merveilleuses, faites par ladite Pucelle pour faire lever le siège d'Orléans, ils délibérèrent de parlementer avec le roi et de savoir quel traité ils pourraient en avoir. Ce fut l'avis des gens de guerre, même ennemis du roi, qui étaient dans la ville.
  De fait, l'évêque, les bourgeois et bon nombre de gens de guerre vinrent vers le roi, et finalement l'on conclut composition et traité, à savoir que les gens de guerre s'en iraient avec corps et biens, et que les habitants demeureraient sous l'obéissance du roi, et le mettraient en possession de la ville ; qu'il y aurait amnistie générale, et que, pour ce qui est des gens d'Église, il approuverait les régales et collations de bénéfices provenant du roi son père ; quant à celles qui venaient du roi d'Angleterre, ils en prendraient de nouvelles lettres du roi, et qu'ils garderaient leurs bénéfices, quelque collation qui en eût été faite déjà à d'autres.

  Ceux de la ville firent grande fête et grande joie, et ceux de l'armée eurent des vivres à leur plaisir. Le matin du lendemain, presque toute la garnison, Anglais et Bourguignons, partirent, se dirigeant là où ils voulurent aller. Comme ils maintenaient que, d'après le traité, ils pouvaient emmener leurs prisonniers, de fait ils les emmenaient ; mais Jeanne se tint à la porte en disant qu'en nom Dieu ils ne les emmèneraient pas, et de fait elle les garda. Le roi contenta les Anglais et les Bourguignons en payant les rançons auxquelles les prisonniers avaient été mis.
  Le roi entra ensuite dans la ville sur les neuf heures du matin ; mais Jeanne y était entrée avant lui, et avait ordonné des gens de trait le long des rues. Avec le roi entrèrent à cheval les seigneurs et les capitaines bien équipés, bien montés, et il faisait très beau les voir. Le roi mit en la ville capitaines et officiers, après avoir ordonné au seigneur de Loré de rester aux champs avec les gens d'armes de l'armée. Le lendemain tous passèrent par ladite cité en belle ordonnance ; ce dont les habitants étaient bien joyeux, et ils firent serment au roi d'être bons et loyaux, et tels ils se sont toujours montrés depuis (114).



                                         

a Pucelle hastoit le roy, le plus diligemment qu'elle pouvoit, d'aller à Reims, et ne faisoit doubte qu'il y seroit sacré. Pour ce le roy se partit de sa cité de Troyes, et print son chemin a Châlons en Champaigne, avec tout son ost, la Pucelle toujours devant, armée de toutes pièces, et chevaucha tant qu'il vint devant ladite ville de Châlons. Et quand ceux de la ville sceurent sa venue, l'évesque (115) avec grande multitude de peuple de ladicte cité, vinrent au devant du roy et lui firent pleine obéissance. Il logea la nuict avec son ost en ladite ville, en laquelle il establit capitaine et autres officiers de par luy et tout ny plus ny moins comme à ceux de Troyes.
  De ladite cité de Châlons, le roy prit son chemin pour aller à Rheims, et vint à un chastel qui est à l'archevesque de Rheims, nommé Sepesaulx (116), qui est à quatre lieues de Rheims ; en laquelle cité estoient les seigneurs de Chastillon sur Marne et de Saveuses, tenans le party des Anglois et Bourguignons, devers lesquels ceux de la ville vinrent par leur ordonnance et commandement, et s'en disoit ledit de Chastillon capitaine. Ils demandèrent auxdicts habitans s'ils avoient bonne volonté d'eulx tenir et défendre. Et les habitans leur demandèrent s'ils estoient assez pour leur ayder à garder. Et ils respondirent que non, mais s'ils pouvoient tenir six semaines, ils leur amèneroient un grand secours, tant du duc de Betfort que de Bourgongne ; et sur ce, s'en partirent par la volonté des habitants de la ville, dedans laquelle il y avoit lors aucuns de bonne volonté, lesquels commencèrent à dire qu'il falloit aller vers le roy, et le peuple dit lors qu'on y envoyast, et y envoya-t-on des notables gens de la ville, tant d'église qu'autres ; et après plusieurs requestes qu'ils faisoient, lesquelles on trouva expédiens, délibérèrent et conclurent de laisser entrer le roy et l'archevesque d'icelle ville (117) et leur compaignée dedans.
  Et est vray que l'archevesque n'avoit point encore fait son entrée, et la fit le samedi matin ; et après disner, sur le soir, entra le roy, lui et ses gens, dedans la ville où Jeanne la Pucelle estoit fort regardée ; et là vinrent les ducs de Bar et de Lorraine et le seigneur de Commercy, bien accompaignez de gens de guerre eulx offrans à son service.
  Le lendemain, qui fut le dimanche (118), on ordonna que le roy prendroit et recevroit son digne sacre, et toute la nuit fict-on diligence que tout fust prest au matin, et fut un cas bien merveilleux, car on trouva en ladite cité toutes les choses nécessaires qui sont grandes, et si ne pouvoit-on avoir celles de Sainct-Denys en France (119). Et pour ce que l'abbé de Sainct-Remy n'a pas accoustumé de bailler la saincte Ampoulle, sinon en certaine forme et manière, le roy y envoya le seigneur de Rais (120), mareschal de France, le seigneur de Boussac et de Saincte-Sévère, aussi mareschal de France, le seigneur de Graville, maistre des arbalestriers, et le seigneur de Culant, admiral de France, lesquels firent les serments accoutumez, c'est à sçavoir de la conduire seurement et aussi raconduire jusques en l'abbaye, et ledist abbé l'apporta, revestu d'habillements ecclésiastiques, bien solemnellement et dévotement dessous un poille jusques a la porte de devant Sainct-Denys.
  Là, l'archevesque revestu, accompaigné de chanoines, l'alla quérir et l'apporta dedans la grande église, et la mit sur le grand autel. Lors vint le roy au lieu qui luy avoit esté ordonné, vestu et habillé de vestements à ce propices, et l'archevesque lui fit faire les serments accoustumez, et fut fait chevalier par le duc d'Alençon. Puis l'archevesque procéda à la consécration, gardant tout au long les cérémonies et solennitez contenues au Pontifical (121).
  Le roy y fit le seigneur de Laval comte , et il y eut plusieurs chevaliers faits par les ducs d'Alençon et de Bourbon. Et là estoit présente Jeanne la Pucelle, tenant son estendart en sa main, laquelle, en effet, estoit cause dudit sacre et couronnement et de toute l'assemblée. Si fut rapportée et conduite ladicte saincte Ampoulle par les dessus dits jusques en ladicte abbaye. Et qui eut veu ladicte Pucelle accoler le roy à genoulx par les jambes et baiser le pied, pleurant à chaudes larmes, en eust eu pitié ; et elle provoquoit plusieurs à pleurer en disant : "Gentil roy, ores est exécuté le plaisir de Dieu, qui vouloit que vinssiez à Rheims recevoir vostre digne sacre, en monstrant que vous estes vray roy, et celuy auquel le royaume doit appartenir !"

  

  La Pucelle pressait le roi le plus diligemment qu'elle pouvait, d'aller à Reims, et ne faisait nul doute qu'il y serait sacré. Aussi quitta-t-il sa cité de Troyes, et prit-il son chemin vers Châlons en Champagne avec toute son armée, la Pucelle à la tète des hommes d'armes, armée de toutes pièces. On chevaucha si bien que l'on arriva à Châlons. Quand les habitants de la ville surent la venue du roi, l'évêque et une grande multitude de peuple avec lui vinrent à sa rencontre, et lui firent pleine obéissance. Il passa la nuit dans la ville avec son armée, et y établit de son autorité des capitaines et des autorités, ni plus ni moins qu'il l'avait fait à Troyes.
  De Châlons le roi prit son chemin sur Reims ; et il vint à un château qui est à l'archevêque de Reims, au lieu nommé Sept-Saulx, à quatre lieues de la ville. Dans cette cité de Reims étaient les seigneurs de Châtillon-sur-Marne et de Saveuses, tenant le parti des Anglais et des Bourguignons. Sur leur ordre et commandement, les habitants vinrent les trouver, car Châtillon se disait capitaine de Reims. Les seigneurs leur demandèrent s'ils avaient la volonté de bien se tenir et de se défendre. Les habitants demandèrent à leur tour si les hommes d'armes étaient en assez grand nombre pour les aider à se garder. Ils répondirent que non, mais que, s'ils pouvaient tenir six semaines, ils leur amèneraient un grand secours tant du duc de Bedford que du duc de Bourgogne ; et sur ce ils partirent, du consentement des habitants.
  Il y avait alors dans la ville quelques hommes de bonne volonté qui commencèrent à dire qu'il fallait aller vers le roi, et le peuple demanda qu'on y envoyât. On députa des notables, tant d'Église que d'autres ; et, après plusieurs requêtes qui furent trouvées opportunes, il fut délibéré et conclu qu'on laisserait entrer le roi et l'archevêque avec tous ceux qui les suivaient.
  Et il est vrai que l'archevêque n'avait point encore fait son entrée, et il la fit le samedi matin. Après dîner, sur le soir, le roi entra, lui et ses gens, et Jeanne la Pucelle était fort regardée. Et là vinrent les ducs de Bar et de Lorraine et le seigneur de Commercy (122), bien accompagnés de gens de guerre qui s'offraient à son service Il fut ordonné que le lendemain, qui fut un dimanche, le roi prendrait et recevrait son digne sacre ; aussi toute la nuit on fit diligence pour que tout fût prêt au matin; et ce fut un cas bien merveilleux, car on trouva en ladite cité toutes les choses nécessaires, qui sont grandes ; excepté qu'on ne pouvait avoir celles qui sont à Saint-Denis en France. Et parce que l'abbé de Saint-Rémy n'a pas coutume de bailler la sainte ampoule, sinon d'après certaines formes et certaines manières, le roi envoya vers lui le seigneur de Rais, maréchal de France, le seigneur de Boussac et Sainte-Sévère, aussi maréchal de France, le seigneur de Graville, maître des arbalétriers, et le seigneur de Culan, amiral de France, qui firent les serments accoutumés, c'est à savoir de la conduire sûrement, etaussi de la reconduire jusques en l'abbaye. L'abbé, en grands habits ecclésiastiques, l'apporta bien solennellement et dévotement sous un poêle jusqu'à la porte devant Saint-Denis. Là, l'archevêque, pompeusement vêtu, accompagné de chanoines, l'apporta dedans la grande église, et la mit sur le grand autel. Le roi vint alors au lieu qui lui avait été ordonné, habillé des vêtements propres à la cérémonie, et l'archevêque lui fit faire les serments accoutumés, et il fut fait chevalier par le duc d'Alençon. Puis l'archevêque procéda à la consécration, gardant tout au long les cérémonies et solennités contenus au Pontifical. Le roi y fit comte le seigneur de Laval, et il y eut plusieurs chevaliers faits par les ducs d'Alençon et de Bourbon.
  Et là était présente Jeanne la Pucelle, tenant son étendard en sa main, laquelle en effet était cause dudit sacre et couronnement et de toute l'assemblée. La sainte ampoule fut rapportée et conduite par les dessusdits jusques en ladite abbaye. Et qui eût vu la Pucelle embrasser le roi à genoux par les jambes, et baiser le pied, pleurant à chaudes larmes, en aurait eu pitié (123) ; et elle provoquait plusieurs à pleurer en disant: « Gentil roi, maintenant est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que (vous) vinssiez à Reims recevoir votre digne sacre, en montrant que vous êtes vrai roi, et celui auquel le royaume doit appartenir. »



                                         

e roy séjourna,en ladite cité par trois jours. Or est vray que de tous temps les rois de France, après leurs sacres, avoient accoustumé d'aller en un prieuré qui est de l'église Sainct-Remy, nommé Corbigny, assis et situé à environ six lieues de Rheims, auquel est un glorieux sainct qui est du sang de France, nommé sainct Marcoul, auquel tous les ans a grande affluence de peuple pour la maladie des écrouelles, par le mérite duquel on dit que les roys en guarissent. Et pour ce s'en alla audit lieu de Sainct-Marcoul et y fit bien et dévotement ses oraisons et offrandes. Et de ladite église il print son chemin à aller en une petite ville fermée, appartenant à l'archevesque de Rheims, nommée Vailly, qui est à quatre lieues de Soissons et aussi quatre lieues de Laon. Et les habitans de ladite ville luy fisrent pleine obéyssance et le receurent grandement bien selon leur pouvoir, et se logea pour le jour, luy et son ost, audist pays et de là envoya à Laon, qui est une notable et forte cité, les sommer qu'ils se missent en son obéyssance, ce qu'ils firent très bien et volontiers. Et pareillement fisrent ceux de la cité de Soissons, en laquelle il alla droict de Vailly et y fut receu à grande joye. Il y séjourna trois jours et son ost, tant en la ville comme és environs. Et pendant qu'il y estoit, luy vint nouvelles que ChasteauThierry, Provins, Coulommiers, Crécy en Brye et plusieurs autres se rendirent françoises et en son obéyssance ; dans ce temps y mit officiers, et les habitants y laissoient entrer sans aucune contradiction ses gens et serviteurs.
  Quand le roy sceut que Chasteau-Thierry estoit en son obéissance, et qu'il eut séjourné par aucun temps en la ville et cité de Soissons, il se mit à chemin et alla audit lieu de Chasteau-Thierry, et dudit lieu s'en alla à Provins et y séjourna deux ou trois jours. Lesquelles choses vinrent à Paris en la congnoissance du duc de Betfort, qui se disoit régent du royaume de France pour le roy d'Angleterre, et dit qu'il viendroit combattre le roy. Si assembla gens de toutes parts à bien grande puissance et vint à Corbeil et à Melun, et assembla bien dix mille combatans qui estoit grande chose.
  Quand le roy sceut que le duc de Betfort le vouloit combatre, luy et les gens de son ost en furent bien joyeux, et se partit de ladicte ville de Provins et tint les champs, et rassembla son ost près d'un chasteau nommé La Motte de Nangis, qui est en Brye, et là les batailles furent ordonnées bien notablement et prudemment. Et c'estoit gente chose de voir le maintien de Jeanne la Pucelle et les diligences qu'elle faisoit. Et tousjours venoient nouvelles que le duc de Betfort venoit pour combattre. Et pour ce, le roy se tinst tout le jour en son ost emmy les champs, cuidant que ledit duc de Betfort deust venir ; mais il mua conseil et s'en retourna à Paris, combien qu'il eût bien en sa compaignée dix ou douze mille combattans comme dit est, et le roy en avoit bien autant, et la Pucelle et les seigneurs et gens de guerre estans avec elle, y avoient grand désir et volonté de combattre.
  Il y avoit aucuns en la compaignée du roy qui avoient grand désir qu'il retournast vers la rivière de Loire et luy conseillèrent fort ; auquel conseil il adhéra fort, et estoit de leur opinion et conclud qu'il s'en iroit, et luy fit-on sçavoir qu'il passeroit la rivière de Seine, par une ville nommé Bray, dans le pays de Champaigne, où il y avoit bon pont (124) et luy fut promis obéyssance et passage par les habitants d'icelle.
  Mais la nuict dont il devoit passer le matin, y arriva certaine quantité d'Anglois auxquels on ouvrit la porte et entrèrent dedans, et y eut des gens du roy lesquels s'avancèrent pour cuider passer des premiers dont les aucuns furent prins et les autres destroussez, et par ce moyen ce passage fut rompu et empesché , dont les ducs d'Alençon, de Bourbon et de Bar, et les comtes de Vendosme et de Laval et tous les capitaines furent bien joyeux et contents, pour ce que ladite conclusion de passer fut contre leur gré et volonté ; et estoient d'opinion que le roy devoit passer oultre pour tousjours conquester, veue la puissance qu'il avoit et que ses ennemis ne l'avoient osé combatre.
  La vigille de la Nostre-Dame my-aoust, le roy, par le conseil desdits seigneurs et capitaines, s'en retourna à Chasteau-Thierry et passa outre avec son tout ost vers Crespy en Valois, et se vint loger aux champs, assez près de Dampmartin ; et le pauvre peuple du pays crioit : Noël ! et pleuroient de joie et de liesse. Laquelle chose la Pucelle considérant, et qu'ils venoient au-devant du roy en chantant Te Deum laudamus, et aucuns respons et antiennes, dit audits chancelier de France et au comte de Dunois : "En nom Dieu, voicy un bon peuple et dévot, et quand je devray mourir, je voudrois bien que ce fût en ce pays." Et lors ledit comte de Dunois luy demanda : "Jeanne, savez-vous quand vous mourrez et en quel lieu ?" Et elle respondit qu'elle ne sçavoit et qu'elle en estoit à la volonté de Dieu. Et si dit oultre auxdits seigneurs : "J'ay accomply ce que Messire m'a commandé de lever le siège d'Orléans et faire sacrer le gentil roy ; je voudrois bien qu'il voulut me faire ramener auprès mes père et mère, et garder leurs brebis et bestail, et faire ce que je soulois (125) faire." Et quand lesdits seigneurs ouyrent ladite Jeanne ainsi parler, et que les yeux au ciel remercioit Dieu, ils creurent mieulx que c'estoit chose venue de par Dieu qu'autrement.


  Le roi séjourna en la cité de Reims durant trois jours. Or il est vrai que de tout temps les rois de France, après leur sacre, avaient accoutumé d'aller en un prieuré dépendant de l'église de Saint-Rémy, nommé Corbigny, assis et situé à environ six lieues de Reims. Là est un glorieux saint qui est du sang de France, nommé Saint-Marcoul, vers lequel se rend tous les ans une grand affluence de peuple pour la maladie des écrouelles, par les mérites duquel l'on dit que les rois en guérissent. Et pour cela le roi s'en alla audit lieu de Saint-Marcoul, et y fit bien dévotement ses oraisons et ses offrandes.
  De ladite église, il prit son chemin pour aller en une petite ville fermée, nommé Vailly, appartenant à l'archevêque de Reims, à quatre lieues de Soissons et aussi à quatre lieues de Laon. Les habitants lui firent pleine obéissance et le reçurent grandement bien, selon leur pouvoir. Il se logea durant un jour, lui et son armée, en ce lieu, et de là il envoya à Laon, qui est une notable et forte cité, sommer les habitants de se mettre en son obéissance; ce qu'ils firent très bien et volontiers. C'est ce que firent pareillement ceux de Soissons, où il alla droit de Vailly, et où il fut reçu à grande joie. Il y séjourna trois jours avec son armée qui se logea soit dans la ville, soit dans les environs. Pendant qu'il y était, lui vinrent les nouvelles que Château-Thierry, Provins, Coulommiers, Crécy-en-Brie, et plusieurs autres cités, s'étaient rendues françaises et mises en son obéissance ; il y nomma des officiers ; et les habitants y laissaient entrer sans aucune contradiction ses gens et ses serviteurs. Quand le roi sut que Château-Thierry était en son obéissance, après avoir séjourné quelques jours en la ville et cité de Soissons il se mit en chemin et alla audit lieu de Château-Thierry, d'où il s'en vint à Provins, et y passa deux ou trois jours.
  Ces choses vinrent à Paris en la connaissance du duc de Bedford qui se disait régent du royaume de France pour le roi d'Angleterre, et il annonça qu'il irait combattre le roi. Il assembla donc des gens de toutes parts à grande puissance, vint à Corbeil et à Melun, et réunit bien dix mille combattants; ce qui était grande force. Quand le roi sut que le duc de Bedford voulait le combattre, lui et les gens de son armée en furent bien joyeux; il partit de Provins, tint les champs et rassembla son armée près d'un château nommé La Mothe de Nangis, qui est en Brie; là les corps de l'armée furent ordonnés très notablement et prudemment; et c'était gentille chose de voirie maintien de la Pucelle et les diligences qu'elle faisait. Et toujours arrivaient des nouvelles que le duc de Bedford s'avançait pour combattre; et pour ce, le roi se tint tout le jour en plein champ, pensant que le duc de Bedford dut venir; mais il changea d'avis, et s'en retourna à Paris, quoiqu'il eût en sa compagnie dix ou douze mille combattants, ainsi qu'il a été dit ; le roi en avait bien autant ; et la Pucelle, ainsi que les seigneurs et gens de guerre étant avec elle, avaient grand désir et grande volonté de combattre.
  Quelques-uns de la compagnie du roi avaient grande envie qu'il retournât vers la rivière de Loire, et le lui conseillaient fort, conseil auquel il adhéra très volontiers lui-même. Étant de leur sentiment, il conclut qu'il s'en retournerait. Or on lui fit savoir qu'il pourrait passer la rivière de la Seine par une ville nommée Bray-en-Champagne, où se trouvait un bon pont. L'obéissance et le passage lui étaient promis par les habitants. Mais la nuit du matin où il devait passer, vinrent un certain nombre d'Anglais auxquels on ouvrit les portes et qui s'établirent dans la ville ; et parmi les gens du roi qui s'avancèrent, croyant passer les premiers, quelques-uns furent pris et les autres détroussés, et par là le passage fut rompu et empêché ; ce dont les ducs d'Alençon, de Bourbon et de Bar, les comtes de Vendôme et de Laval, tous les capitaines, furent bien joyeux et contents ; car la résolution de se retirer allait contre leur gré et volonté; ils étaient d'avis que le roi devait aller de l'avant pour faire toujours des conquêtes, vu les forces qu'il avait à sa disposition et que ses ennemis n'avaient pas osé le combattre.
  La vigile de Notre-Dame de la mi-août, le roi, par le conseil de ces seigneurs et capitaines, retourna à Château-Thierry, passa outre, et avec toute son armée, se dirigea vers Crépy-en-Valois, et vint camper en rase campagne assez près de Dammartin.
  Le pauvre peuple du pays criait Noël et pleurait de joie et d'allégresse ; la Pucelle, considérant ce spectacle, et qu'ils venaient au-devant du roi en chantant Te Deum laudamus et certains répons et antiennes, dit au chancelier de France et au comte de Dunois : « En nom Dieu, voici un bon peuple, bien dévôt, et quand je devrai mourir, je voudrais que ce fut en ce pays ». Le comte de Dunois lui demanda : « Jeanne, savez-vous quand vous mourrez et en quel lieu ? » et elle répondit qu'elle n'en savait rien, et qu'elle était à la volonté de Dieu, et ajouta : « J'ai accompli ce que Messire m'a commandé, de lever le siège d'Orléans, et de faire sacrer le gentil roi; je voudrais bien qu'il voulût me faire ramener auprès de mon père et de ma mère et garder leurs brebis et leur bétail, et faire ce que j'avais coutume de faire ». Quand lesdits seigneurs virent Jeanne ainsi parler, et les yeux au ciel remercier Dieu, ils crurent plus que jamais que c'était chose venue de par Dieu.



                                         

e duc de Betfort estoit à Paris avec grande quantité d'Anglois et autres gens ennemis et adversaires du roy. Si vint à sa connoissance que le roy estoit sur les champs vers Dampmartin, et partit de Paris à bien grande et grosse compaignée et s'achemina vers Mitry en France, soubs ledit lieu de Dampmartin, et prit une place bien advantageuse ou il ordonna ses batailles.
  Le roy fist pareillement mettre ses gens en belle, ordonnance prests d'attendre la bataille si l'autre le venoit assaillir, voire d'aller à luy si ils se trouvoient en pareil champ. Et pour sçavoir de leur estat et commune , il fut conclu qu'on y envoyeroit des gens par manière de coureurs ; spécialement y fut envoyé Estienne de Vignoles, dit la Hire, vaillant homme d'armes, comme les autres, et y eut de grandes escarmouches qui durèrent presque tout le jour, et n'y eut comme point de perte ou dommage de costé et d'autre. Si fut rapporté au roy par gens eulx congnoissans bien en faict de guerre, comme ledict duc de Betfort estoit en place advantageuse et que les Anglois s'estoient fortifiez, et pour ce le roy ne fut pas conseillé d'aller plus avant assaillir ses ennemis, et le lendemain ledict duc de Beaufort, avec tout son ost, s'en retourna d Paris, et le roy tira vers Crespy en Valois.
  Le roy envoya certains hérauts à ceux de Compiègne les sommer qu'ils se missent en son obéyssance, lesquels respondirent qu'ils estoient prests et appareillez de le recevoir et luy obéir comme il leur souverain seigneur. Pareillement aussi allèrent des hauts seigneurs en la ville et cité de Beauvais, dont estoit évesque et seigneur un nommé Maistre Pierre Cauchon (126) extrême Anglois, combien qu'il fut de la nation emprès Rheims, et aussitost qu'ils virent des hérauts qui avoient les armes de France, ils crièrent : Vive Charles, roy de France, et se mirent en son obéyssance ; et, ceux qui ne voulurent aller en ladite obéyssance, les laissèrent aller avec leurs biens.
  Le roy délibéra de venir en la ville de Compiègne, laquelle luy avoit fait obéyssance. Si tira vers Senlis et se logea en un village à deux lieues de Senlis, nommé Barron, laquelle ville de Senlis estoit en l'obéyssance des Anglois et Bourguignons. Et au matin vinrent nouvelles au roy que le duc de Betfort partoit de Paris à tout son ost pour venir à Senlis, et que luy estoient venus de nouveau quatre mille Anglois que le cardinal d'Angleterre, son oncle, avoit admenez, et ledict cardinal les devoit mener contre les Bohesmes hérétiques en la foy ; mais il les fist descendre pour guerroyer les vrais catholiques françois, et estoient souldoyez, comme on disoit, de l'argent du Pape, et en intention que il allast contre lesdits Boesmes.
  Lesquelles choses vinrent à la connoissance du roy, et il fut ordonné que Messire Ambroise de Loré et le seigneur de Sainte-Traille (127), monteroient à cheval et iroient vers Paris et ailleurs, où bon leur sembleroit, et ainsi qu'ils adviseroient, pour sçavoir véritablement le fait du duc de Betfort et de son ost ; lesquels montèrent diligemment à cheval, et prirent seulement vingt de leurs gens des mieux montez. Puis partirent et chevauchèrent tant qu'ils approchèrent l'ost des Anglois ; si virent et aperceurent sur le grand chemin de Senlis grandes pouldres qui venoient et procédoient de la compaignée du duc, et diligemment envoyèrent un chevaucheur devers le roy pour luy faire sçavoir : si approchèrent encore plus près tant qu'ils veirent ledict ost des Anglois qui tiroit vers Senlis, et derechef, envoyèrent un autre chevaucheur vers le roy luy signifier ce que dit est.
  Alors le roy, avec son ost, se tirèrent très diligemment emmy les champs ; si furent ordonnées les batailles et commencèrent à chevaucher entre la rivière qui passe à Barron et Montespillouer, en tirant droit à Senlis. Et le duc de Belfort et son ost arriva environ l'heure de vespres (128) près de Senlis. Et se, mit à passer une petite rivière qui vient de ladicte ville de Senlis, au susdit village nommé Barron ; et estoit le passage si estroit qu'ils ne pouvoient passer que deux chevaux à la fois. Et aussi tost que lesdits de Loré et Sainte-Traille virent que lesdicts Andlois commencèrent à passer, ils se en retournèrent hâtivement devers le roy et luy acertainèrent que ledit de Betfort et son ost passoient au susdict passage ; et celle heure (129) le roy fit tirer les batailles audict lieu tout droit, cuidant les combatre audict passage ; mais la plus part, et comme tous estoient desjà passez, et les deux osts s'entreveirent ; aussi n'estoient-ils qu'à une bien petite lieue l'un de l'autre ; et y eut de grandes esçarmouches entre lesdites compaignées, et de belles armes faites.
  A ceste heure il estoit comme le soleil couchant, et lesdicts Anqlois se logèrent sur le bord et au bout de ladicte rivière, et les François se campèrent à Montespillouer. L'endemain au matin, le roy et son ost se misrent sur les champs, et fist ordonner ses batailles, de la plus grande desquelles le duc d'Alençon et le comte de Vendosme avoient le gouvernement. De la seconde, les ducs de Bar et de Lorraine avoient la charge. De la tierce, qui estoit en manière d'une aille, les seigneurs de Rais et de Boussac, mareschaux de France, avoient aussi la charge. Et d'une autre bataille qui souvent se délaissoit pour escarmoucher et guerroyer lesdits Anglois, avoient le gouyernement le seigneur d'Albret, le bastard d'Orléans, Jeanne la Pucelle, la Hire et plusieurs autres capitaines. Et à la conduite et gouvernement des archers estoit le seigneur de Graville, maistre des arbalestriers de France et un chevalier de Limosin, nommé Maistre Jean Foucault.
 Et se tenoit le roy assez près de ses batailles, et avoit pour sa personne et en sa compaignée le duc de Bourbon, le seigneur de la Trémouille, et grand foison de chevaliers et escuyers ; et plusieurs fois chevaucha le roy par devant la bataille d'iceluy duc de Betfort, en la compaignée duquel estoit le bastard de Sainct-Pol, et plusieurs Bourguignons, et estoient en bataille près d'un village et avoient au dos un grand estang et ladicte rivière ; et ne cessèrent toute la nuit de se fortifier très diligemment de pieux, de taudis et de fossez. Et le roy et les seigneurs estant avec luy avoient prins conclusion et estoient tous délibérez de combatre le duc de Betfort, et les Anglois et les Bourguignons.
  Quand les capitaines estans avec le roy eurent veu et considéré la place que tenoient lesdicts Anglois et leur fortification, ils apperceurent et cogneurent qu'il n'y avoit aucune apparence de combatre ledict duc de Betfort en ladicte place. Toutefois les batailles des François s'approchèrent à deux traicts d'arbaleste desdits Anglois ou environ ; et leur firent sçavoir que s'ils vouloient saillir hors de leur parc qu'on les combatroit, mais ils ne voulurent oncques saillir et desloger de leur parc.
  Il y eut grandes et merveilleuses escarmouches, tellement que les François alloient souvent à pied et à cheval jusques à la fortification des Anglois ; et aucunes fois les Anglois sailloient à puissance et reboutoient les François ; et y en eut d'un costé et d'autre de tuez et de prins, et tout le jour se passa en faisant les dites escarmouches, jusques à environ le soleil couchant. Le seigneur de la Trimouille, qui estoit bien joly, et monté sur un grand coursier, voulut venir aux escarmouches, et de fait print sa lance et vint jusques au frapper ; mais son cheval cheut, et s'il n'eut eu bien tost secours il eut esté prins ou tué, et fut remonté à grand'peine (130) et y eut à ceste heure une grande escarmouche, et environ ladite heure de soleil couchant se joingnirent ensemble grand nombre de François et vinrent vaillamment jusques près du parc des Anglois combatre main à main et escarmoucher, et à cette heure saillirent grand foison d'Anglois et pied et à cheval, et aussi les François se renforcèrent et à cette fois y eut plus grande et rude escarmouche qu'il n'y avoit en tout le jour, et y avoit tant de pouldre qu'on ne cognaissoit ny François ny Anglois ; tellement que combien que les batailles fussent bien près les unes des autres, toutefois ne s'entre pouvoient-ils voir.
  Ladicte escarmouche dura tant qu'il fut nuict serrée et obscure, et les Anglois se retirèrent tous ensemble et serrèrent en leur parc ; et aussi les François se retirèrent à leurs batailles. Lesdicts Anglois se logèrent en leur parc et les François se logèrent là où ils avoient logé la nuict de devant, environ demie lieue desdicts Anglois, emprès Montespillouer ; et les Anglois se deslogèrent le lendemain bien matin et s'en retournèrent à Paris ; et le roy et ses gens s'en allèrent à Crespy en Valois.


  Le duc de Bedford était à Paris avec grand nombre d'Anglais et autres gens ennemis et adversaires du roi. Étant venu à sa connaissance que le roi était sur les champs vers Dammartin, il partit de Paris avec une bien grande et grosse armée, et s'achemina vers Mitry-en-France, sous Dammartin, et il prit une place bien avantageuse où il ordonna ses troupes.
  Le roi fît pareillement mettre ses gens en belle ordonnance, prêts à livrer bataille si l'autre venait l'assaillir, ou même d'aller à lui s'il se mettait lui aussi en rase campagne. Et pour savoir leur état et contenance, il fut décidé qu'on y enverrait des gens par manière de coureurs; y fut spécialement envoyé Etienne de Vignoles, dit La Hire, vaillant homme d'armes, ainsi que ceux qui marchaient avec lui. Il y eut de grandes escarmouches qui durèrent presque tout le jour, sans presque aucune perte ni dommage d'un côté ni de l'autre. Cependant il fut rapporté au roi par des gens bien entendus au fait de la guerre que le duc de Bedford était en place avantageuse et que les Anglais s'étaient fortifiés, et c'est pourquoi le roi ne fut pas conseillé d'aller plus avant assaillir ses ennemis, et le lendemain le duc de Bedford avec toute son armée s'en retourna à Paris, et le roi tira vers Crépy-en-Valois. Le roi envoya des hérauts aux habitants de Compiègne les sommer de se mettre en son obéissance ; à quoi ils répondirent qu'ils étaient prêts et disposés à le recevoir et à lui obéir comme à leur souverain seigneur. De hauts seigneurs allèrent pareillement en la ville et cité de Beauvais, dont était évêque et seigneur un nommé maître Pierre Cauchon, Anglais extrême, quoique Français de nation, né emprès Reims. Aussitôt que les habitants virent les hérauts revêtus des armes de France, ils crièrent
Vive Charles, roi de France! et ils se mirent en son obéissance. Quant à ceux qui ne voulurent accepter pareille obéissance, ils les laissèrent aller avec leurs biens.

  Le roi songea alors à venir en la ville de Compiègne, qui lui avait fait soumission. Il se dirigea vers Senlis, et s'arrêta en un village nommé Baron, à deux lieues de Senlis, ville qui obéissait aux Anglais et aux Bourguignons. Le matin les nouvelles lui vinrent que le duc de Bedford partait de Paris avec toute son armée pour venir à Senlis, et que de nouveau quatre mille Anglais lui étaient arrivés, conduits par son oncle le cardinal d'Angleterre. Ledit Cardinal devait les conduire contre les Bohémiens hérétiques en la foi; mais il les détourna pour guerroyer contre les Français, de vrais catholiques; et, comme on disait, ils étaient soudoyés de l'argent du Pape, dans le but qu'ils fussent conduits contre lesdits Bohêmes.
  Ces choses venues à la connaissance du roi, ordre fut donné à Ambroise de Loré et au seigneur de Xaintrailles de monter à cheval, et d'aller vers Paris ou ailleurs, ainsi qu'il leur semblerait bon et meilleur, pour savoir véritablement ce qu'il en était du duc de Bedford et de son armée. Ils montèrent diligemment à cheval, et prirent seulement une vingtaine de leurs gens des mieux montés, puis partirent et chevauchèrent si bien qu'ils approchèrent de l'armée anglaise. Ils aperçurent sur le grand chemin de Senlis grands tourbillons de poussière qui s'avançaient et procédaient de la suite du duc, et ils envoyèrent diligemment un chevaucheur devers le roi pour le lui faire savoir; ils approchèrent encore de plus près, si bien qu'ils virent l'armée anglaise tirant vers Senlis, et derechef ils envoyèrent un autre chevaucheur vers le roi pour lui dire ce qui en était.
  Le roi alors et son armée se dirigèrent très diligemment au milieu des champs ; et s'ordonnèrent en ordre de bataille, chevauchant entre la rivière qui passe à Baron et Montépilloy, en tirant droit à Senlis. Le duc de Bedford et son armée arrivèrent à l'heure de vêpres près de Senlis, et se mirent à passer une rivière qui vient de cette ville à Baron; le passage était si étroit qu'il ne pouvait y aller que deux chevaux de front. Aussitôt que Loré et Xaintrailles virent les Anglais s'engager dans ce passage, ils retournèrent en hâte vers le roi, et lui en donnèrent l'assurance ; sur-le-champ le roi fit marcher ses corps d'armée directement vers ce lieu, pour les combattre au moment dudit passage ; mais la plupart des Anglais et comme tous, étaient déjà sur l'autre rive; et les deux armées s'entrevirent l'une l'autre; il y eut de grandes escarmouches, et de belles passes d'armes furent faites. A cette heure, c'était comme le soleil couchant. Les Anglais se logèrent sur le bord et au bout de cette rivière, et les Français établirent leur camp à Montépilloy. Le lendemain au matin, le roi et son armée se mirent aux champs, et l'on ordonna les diverses parties de l'armée. Le duc d'Alençon et le comte de Vendôme gouvernaient le corps le plus nombreux ; les ducs de Bar et de Lorraine (5) avaient la charge du second. Le troisième, qui était en manière d'aile, était sous la conduite de Rais et de Boussac, maréchaux de France. Un autre corps, qui souvent se mettait en mouvement pour escarmoucher et guerroyer les Anglais, était sous le gouvernement du seigneur d'Albret, du bâtard d'Orléans, de Jeanne la Pucelle, de La Hire et de plusieurs autres capitaines. A la conduite et au gouvernement des archers étaient préposés le seigneur de Graville, maître des arbalétriers de France, et un chevalier limousin, nommé maître Jean Foucault. Le roi se tenait assez près de ses corps d'armée, ayant autour de sa personne et en sa compagnie le duc de Bourbon, le seigneur de La Trémoille, et grande foison de chevaliers et d'écuyers.
  Par plusieurs fois, le roi chevaucha par devant l'armée du duc de Bedford, auprès duquel étaient le bâtard de Saint-Polet plusieurs Bourguignons, avec les troupes rangées près d'un village, ayant au dos un grand étang et la susdite rivière ; ils n'avaient cessé toute la nuit de se fortifier très diligemment avec des pieux, des taudis et des fossés. Le roi et les seigneurs de sa suite avaient délibéré et conclu qu'il fallait combattre le duc de Bedford avec ses Anglais et Bourguignons ; mais quand ils eurent vu et considéré la place qu'ils occupaient, leurs fortifications, ils virent et connurent qu'il n'y avait nulle apparence de les combattre avec succès, en la place qu'ils occupaient. Toutefois les Français s'approchèrent à environ deux traits d'arbalète des Anglais, et leur firent savoir que s'ils voulaient sortir de leur parc, on les combattrait; ils ne voulurent jamais sortir ni déloger de leur enclos.
  Il y eut de grandes et merveilleuses escarmouches, tellement que les Français allaient souventtant à pied qu'à cheval jusques aux fortifications des Anglais ; et quelquefois les Anglais saillaient en force et repoussaient les Français ; il y eut de côté et d'autre des morts et des prisonniers, et toute la journée se passa ainsi en escarmouches jusques à environ le soleil couchant.
  Le seigneur de La Trémoille, qui était bien joli et monté sur un grand coursier, voulut y prendre part. De fait il prit sa lance et vint jusqu'au frapper; mais son cheval s'abattit, et si le cavalier n'eût eu bientôt secours, il eût été pris ou tué ; il fut remonté à grand'peine. Il y eut à cette heure une grande escarmouche ; vers le soleil couchant grand nombre de Français se joignirent ensemble, et vinrent vaillamment jusque près du parc des Anglais combattre main à main et les provoquer; les Anglais saillirent en grande foison, à pied et à cheval; les Français se renforcèrent, et à cette heure l'escarmouche fut plus vive et plus rude qu'elle n'avait été en tout le jour ; il y avait tant de poussière qu'on ne connaissait ni Français, ni Anglais, tellement que, quoique les armées fussent bien près les unes des autres, cependant elles ne pouvaient s'entrevoir. Ledit engagement dura jusqu'à ce qu'il fût nuit serrée et obscure. Les Anglais se retirèrent tous ensemble et se serrèrent dans leur parc, et les Français aussi se retirèrent dans leur campement ; les Anglais s'établirent dans leur clos, et les Français là où ils avaient passé la nuit précédente, à environ demi-lieue des Anglais, près de Montépilloy. Les Anglais le lendemain partirent bien matin et s'en retournèrent à Paris ; et le roi et ses gens s'en allèrent à Crépy-en-Valois.



                                         

e lendemain le roy se partit de Crespy et print son chemin vers Compiègne, où il fut receu grandement et honorablement, et se remirent en son obéyssance ; puis y commit officiers et ordonna capitaine un gentilhomme du pays de Picardie, bien allié de parens et amis, nommé Guillaume de Flavy (131); et là, les manans et habitans de la ville de Beauvais envoyèrent devers luy et mirent eulx et la ville en son obéyssance. Semblablement ceux de Senlis se mirent en l'obéyssance du roy, en laquelle ville le roy vint se loger.
  En la fin du mois d'aoust, le duc de Betfort doubtant que le roy ne tirast en Normandie, partit de Paris avec son ost, pour y aller, et départit son armée en plusieurs et divers lieux et les mist en garnison és pays où il avoit obéyssance, pour garder les places, et laissa à Paris Messire Louys de Luxembourg, évesque de Thérouenne, soy disant chancelier de France pour les Anglois, et un chevalier anglois nommé Messire Jean Rathelet, et un chevalier françois nommé Messire Simon Morhier, qui se disoit lors estre prévost de Paris, lesquels avoient en leur compaignée environ deux mille Anglois pour la garde et défense de ladicte ville, ainsi qu'on disoit.
  Environ la fin dudict mois d'aoust le roy se deslogea de Senlis et s'envint à Sainct-Denys, où ceux de la ville luy firent ouverture et pleine obéyssance et avec luy tout son ost se tint et logea en ladicte ville. Alors se commencèrent grand courses et escarmouches entre les gens du roy, estans à Sainct-Denys et les Anglois, et autres estans lors dans Paris. Et quand ils eurent esté par aucun temps à Sainct-Denys, comme trois ou quatre jours, le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, le comte de Vendosme, le comte de Laval, Jeanne la Pucelle, les seigneurs de Rais et de Boussac, et autres en leur compaignée se vinrent loger en un village qui est comme en my-chemin de Paris et de Sainct-Denys, nommé la Chapelle ; et le lendemain commencèrent plus grands escarmouches et plus aspres que devant, aussi estoient ils plus près un de l'autre ; et vinrent lesdicts seigneurs aux champs vers la porte Sainct-Honoré sur une manière de butte ou de montaigne, que on nommoit le Marché aux pourceaux, et fisrent assortir plusieurs canons et coulevrines point jester dedans la ville de Paris et en eut plusieurs coups de jectez.

  

  Estoient les Anglois autour des murs circuiant et tournoyant à tout estendarts, et entre les autres y en avoit un blanc à une croix vermeille, et alloient et venoient par ladicte muraille. Aucuns seigneurs estans là devant, voulurent aller jusques à la porte Sainct-Honoré, et entre les autres spécialement un chevalier nommé le seigneur de Sainct-Vallier et ses gens allèrent jusques au boulevart et boutèrent le feu aux barrières ; et combien qu'il y eust foison d'Anglois et de ceux de Paris qui le défendoient, toutesfois ledit boulevart fut pris par les François d'assaut, et les ennemis se retirèrent par la porte dedans la ville.
  Les François avoient imagination que les Anglois vinssent par la porte Sainct-Denys frapper sur eux ; parquoy les ducs d'Alençon et de Bourbon avoient assemblé leurs gens et s'estoient mis comme par manière d'embusche derrière laditte butte ou montaigne et ne pouvoient bonnement approcher de plus près pour doubte des canons, vuglaires et coulevrines qui venoient de la dite ville et qu'on tiroit sans cesse. Ladite Jeanne dist qu'elle vouloit assaillir la ville ; mais elle n'estoit pas bien informée de la grande eaue qui estoit ez fossez, et si en avoit aucuns audict lieu qui le sçavoient bien ; et selon ce qu'on pouvoit considérer, eussent bien voulu par envie, qu'il fut mescheu à ladicte Jeanne. Néantmoins elle vint à grant puissance de gens d'armes, entre lesquels estoit le seigneur de Rais, mareschal de France, et descendirent en l'arrière-fossé avec grand foison de gens de guerre, puis atout (avec) une lance monta jusques sur le dos-d'asne, et tenta l'eaue qui estoit bien profonde ; quoy faisant elle eut d'un traict les deux cuisses percées, ou au moins l'une.
  Ce nonobstant, elle ne vouloit partir et faisoit toute diligence de faire apporter et jecter fagots et bois en l'autre fossé, pour cuider passer jusques au mur, laquelle chose n'estoit pas possible, veue la grande eaue qui y estoit. Et depuis qu'il fut nuict, fut envoyée quérir par plusieurs fois, mais elle ne vouloit partir, ny se retirer en aucune manière ; et fallut que ledict duc d'Alençon l'allast quérir, et la ramenast ; et toute la susdicte compaignée se retira audict lieu de la Chapelle Sainct-Denys, où ils avoient logé la nuict devant, et lesdicts ducs d'Alençon et de Bourbon, s'en retournèrent le lendemain en la ville Sainct-Denys, où estoit le roy et son ost. Et disoit-on qu'il ne vint oncques de lasche courage de vouloir prendre la ville de Paris d'assault, et que s'ils y eussent esté jusques au matin, il en eut eu qui se fussent advisez. Il y eut plusieurs de blessez et comme nuls morts.


  

  Le lendemain le roi partit de Crépy et prit son chemin vers Compiègne, où il fut reçu grandement et honorablement, et où on lui rendit obéissance. Il y commit des officiers, et ordonna comme capitaine un gentilhomme de Picardie, bien allié de parents et d'amis, nommé Guillaume de Flavy. Là les manants et habitants de la ville de Beauvais envoyèrent devers lui, et se mirent eux et la ville en son obéissance ; semblablement se mirent en l'obéissance du roi ceux de Senlis, ville en laquelle le roi vint se loger. En la fin du mois d'août, le duc de Bedford, dans la crainte que le roi ne vînt en Normandie, partit de Paris avec son armée pour se rendre en cette province. Il départit son armée en divers lieux de son obéissance pour en garder les places. Il avait laissé à Paris messire Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, soi-disant chancelier de France pour les Anglais, un chevalier anglais nommé messire Jean Rathelet, et un chevalier français, nommé messire Simon Morbier, qui se disait alors prévôt de Paris ; lesquels, pour la garde et défense de la ville, avaient à leur disposition environ deux mille Anglais, ainsi que l'on disait.
  Vers la fin dudit mois d'août, le roi quitta Senlis et s'en vint à Saint-Denis, où ceux de la ville lui ouvrirent leurs portes et firent pleine obéissance ; et avec son armée il s'établit à Saint-Denis.
  Alors commencèrent grandes courses et escarmouches entre les gens du roi étant à Saint-Denis, et les Anglais soutenus par les habitants de Paris. Après que les gens du roi eurent été quelque temps à Saint-Denis, comme trois ou quatre jours, le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, le comte de Vendôme, le comte de Laval, Jeanne la Pucelle, les seigneurs de Rais et de Boussac, et autres à leurs suite, vinrent se loger en un villagequi est comme à mi-chemin entre Paris et Saint-Denis, et qu'on nomme La Chapelle.
  Le lendemain, comme ils étaient plus près, les escarmouches recommencèrent plus âpres que devant, et lesdits seigneurs vinrent aux champs vers la porte saint-Honoré, sur une manière de butte ou de montagne que l'on nommait le marché aux Pourceaux; ils y firent ajuster plusieurs canons et coulevrines pour tirer dans la ville de Paris, et en effet ils en firent partir plusieurs coups.
  Les Anglais circulaient et tournoyaient autour des remparts, les étentards déployés, parmi lesquels s'en trouvait un blanc à croix vermeille ; ils allaient et venaient par ladite muraille. Quelques-uns des seigneurs qui étaient de l'entreprise voulurent aller jusqu'à la porte Saint-Honoré ; entre les autres spécialement un chevalier nommé le seigneur de Saint-Vallier ; lui, ses gens allèrent jusqu'au boulevard, et mirent le feu aux barrières, et malgré le grand nombre d'Anglais et d'habitants de Paris qui le défendaient, le boulevard fut pris d'assaut, et les ennemis rentrèrent par la porte dans la ville.
  Les Français s'attendaient à ce que les Anglais vinssent par la porte Saint-Denis fondre sur eux ; c'est pourquoi les ducs d'Alençon et de Bourbon entourés de leurs gens s'étaient mis comme en embuscade derrière ladite butte ou montagne ; et ils ne pouvaient bonnement approcher de plus près par crainte des canons, veuglaires et coulevrines qui tiraient sans cesse de la ville.
  Jeanne dit qu'elle voulait assaillir la ville de Paris; mais elle n'était pas bien informée de la profondeur de l'eau qu'il y avait dans les fossés; et il y en avait autour d'elle qui le savaient fort bien ; mais on pouvait voir que par envie ils eussent bien voulu qu'il lui arriva male aventure. Néanmoins elle vint avec grande force, et nombreux hommes d'armes, parmi lesquels le seigneur de Rais, maréchal de France ; ils descendirent en l'arrière-fossé avec de nombreux gens de guerre ; puis avec sa lance Jeanne monta sur le dos d'âne, et se mit à sonder l'eau qui était bien profonde. Pendant qu'elle y était occupée, un trait lui blessa les deux cuisses, ou l'une tout au moins. Ce, nonobstant, elle ne voulait pas se retirer, et elle se donnait toute sorte de soins pour faire apporter et jeter fagots et bois dans le second fossé, dans l'espérance de passer jusqu'au mur ; ce qui n'était pas possible vu la grande quantité d'eau dont il était rempli. Dès que la nuit commença, on envoya plusieurs fois la quérir ; mais elle ne voulait en aucune manière ni partir ni se retirer; il fallut que le duc d'Alençon vint la quérir et l'emmenât sous sa tente. Et tous se retirèrent à La Chapelle-Saint-Denis, où ils avaient passé la nuit précédente. Le lendemain, les ducs d'Alençon et de Bourbon revinrent à Saint-Denis, où le roi se trouvait avec son armée.
Et l'on disait que par lâcheté de courage, il n'avait jamais voulu prendre Paris d'assaut, et que si on y fut resté jusqu'au matin il y en eut qui se fussent avisés.
  Il y eut plusieurs blessés, et comme pas un mort.



                                         

udict mois d'aoust mille quatre cent vingt neuf, un capitaine du pays de Bretaigne, nommé Ferbourg, fist adviser comme il pourroit avoir la place de Bonsmolins, laquelle les Anglois tenoient, et de fait trouva moyen d'y entrer et de bouter les Anglois dehors ; et le duc d'Alençon lui donna la capitainerie. En ce temps avoit un gentilhomme au pays, nommé Jean Armange, de la compaignée de Messire Ambroise de Loré, lequel se bouta dedans la place de Sainct-Célerin, qui avoit esté abbatue ; et avec luy avoit un gentilhomme de Bretaigne nommé Henri de Ville-Blanche, et emparèrent icelle place. Et au tiers jours qu'ils furent entrez en icelle place, les Anglois de la garnison d'Alençon, et autres en leur compaignée, s'assemblèrent et vinrent devant ladite place, garnis de canons, vuglaires, coulevrines et arbalestes ; et après ce qu'ils y eurent esté aucun temps la cuidèrent prendre d'assault et de faict l'assaillirent fort et merveilleusement. Mais lesdicts capitaines et leurs gens se défendirent si vaillamment et tellement qu'ils demeurérent en ladicte place et lesdits Anglois s'en retournèrent à Alençon.

  Le vingt-neufiesme jour dudict mois, le prieur de l'abbaye de Laigny et un nommé Artus de Sainct-Merry, avec plusieurs autres, vinrent devers le roy audit lieu de Sainct-Denys pour mettre ladicte ville de Laigny en son obéyssance, lequel les receut bénignement et doucement, et ordonna au duc d'Alençon qu'il y pourveut et y envoya Messire Ambroise de Loré, lequel fut receu par les habitans à grand  joys, et quand il y ent eu plainiere obèyssance il fit faire aux habitans le serment en tel cas accoustumé.

  Le douziesme jour de septembre, le roy assembla son conseil pour savoir qu'il avoit à faire, veu que ceux de Paris ne monstroient quelque semblant d'eulx vouloir réduire, et aussi n'eussent-ils osé parler ensemble veue la puissance des Anglois et Bourguignons, et si n'y avoit denier de quoy il eut peu entretenir son ost. Si fut délibéré par le conseil qu'il laissast grosses garnisons de par deça, avec aucuns chefs de son sang et qu'il s'en allast vers et outre la rivière de Loire. Et en exécutant cette délibération du conseil, il laissa le duc de Bourbon, le comte de Vendosme, Messire Louys de Culant, admiral de France, et autres capitaines, et ordonna que ledit duc seroit son lieutenant, et laissa dans Sainct-Denys le comte de Vendosme et le seigneur de Culant, à grande compaignée de gens d'armes. Puis le roy s'en partit avec son ost, et s'en alla au giste à Laingny-sur-Marne ; et le lendemain se partit et ordonna à Messire Ambroise de Loré qu'il demeurast audict lieu de Laingny, et luy fut baillé en sa compaignée un vaillant chevalier de Limosin, nommé Messire Jean Foucault, avec plusieurs gens de guerre. Et quand les Anglois et Bourguignons sceurent que le roy estoit ainsi party, ils assemblèrent de toutes parts de leurs gens en grand nombre, et ceux qui estoient à Sainct-Denys, considérant que la ville estoit foible, s'en partirent, c'est à sçavoir ledict comte de Vendosme et autres délaissèrent ladicte ville et s'en vinrent à Senlis.
  Environ ledict mois de septembre, audit an, vinrent les Anglois et aussi leurs alliez de la langue françoise, nommez Bourguignons, et se misrent à grand puissance sur les champs, en intention, comme on disoit, de venir mettre le siège devant Laingny, laquelle estoit ville mal fermée et habillée des choses pertinens à défense de guerre. Ils vinrent devant la ville et faisoient les manières d'y arrester, et quand lesdits Messire Ambroise de Loré et Foucault les veirent, considérans ladicte ville, estre foible et qu'ils n'auroient aucuns secours, saillirent aux champs eulx et leurs gens en belle ordonnance contre lesdits Anglois et Bourguignons, et leur tinrent si grandes et fortes escarmouches, par trois jours et trois nuicts, que lesdicts Anglois et Bourguignons n'approchèrent oncques des barriéres plus près que du trait d'une arbaleste ; et quand ils apperceurent si grande résistance et qu'ils virent avec lesdits chevaliers, tant de gens de guerre et si vaillans, ils se retirèrent et s'en retournèrent à Paris sans faire autre chose. Et auxdites escarmouches y en eut plusieurs de tuez, tant d'un costé que d'autre.


 

  Le douzième jour de septembre, le roi assembla son conseil pour savoir ce qu'il y avait à faire. Vu que les habitants de Paris ne montraient aucun semblant de vouloir se réduire à obéissance, qu'ils n'auraient pas osé se concerter sous l'oeil des Anglais et des Bourguignons qui étaient fort puissants, que l'argent manquait pour entretenir l'armée, le conseil fut d'avis de laisser de grosses garnisons dans le pays conquis, sous le commandement de princes du sang, et que le roi s'en allât vers la Loire et au delà.
  En exécution de cet avis du conseil, le roi laissa le duc de Bourbon, le comte de Vendôme, messire de Culan, amiral de France, et d'autres capitaines ; il ordonna que le duc serait son lieutenant et il laissa dans Saint-Denis le comte de Vendôme et l'amiral de Culan, avec grande compagnie de gens d'armes; il partit ensuite avec son armée et vint prendre gîte à Lagny-sur-Marne. Il partit le lendemain, après avoir ordonné à messire Ambroise de Loré de rester à Lagny, et après lui avoir assigné pour compagnon un vaillant chevalier du Limousin, nommé messire Jean Foucault, ainsi que plusieurs gens de guerre.
  Quand les Anglais et les Bourguignons surent que le roi était ainsi parti, ils assemblèrent de toutes parts un grand nombre de leurs gens; et ceux de Saint-Denis, c'est-à-dire le comte de Vendôme et les autres, considérant que la ville était faible, la délaissèrent et vinrent à Senlis (132).
...


                                         

e seigneur de Talbot, vaillant chevalier anglois, print d'eschèle par faute de guet et de garde la ville de Laval, avant le siège mis à Orléans, comme cy-dessuc a esté touché, et y gaingna de moult fort grandes richesses et chevaulx. Estoit pour lors dedans Messire André de Laval, seigneur de Lohéac, lequel estoit au chasteau dudit lieu de Laval, et fist composition pour luy et autres dudict chasteau, à vingt mille escus d'or, comme dessus est dit ; et demeura prisonnier jusques à ce qu'il eust payé ladite somme on baillé plège. Et audit mois de septembre fut faite une entreprinse par les seigneurs Du Hommet, Messire Raoul du Bouchet et Bertrant de la Ferrière, sçavoir comme ils pourroient recouvrer ladite ville de Laval ; et par le moyen d'un meusnier, homme de bien qui avoient desplaisance que les Anglois fussent seigneurs et maistres en ladicte ville, fisrent bien secrètement une embusche de gens d'armes à pied en un moulin, dont ledit meusnier avoit le gouvernement, estant sur la rivière de Mayne qui passe au dessoubs et joingnant ladite ville, et joingnant aussi au bout du pont et du costé de ladite ville dont les barriéres sont par iceluy pont. Et un matin, à l'ouverture d'icelle porte, saillirent lesdits gens de guerre à pied, ainsi que les portiers estoient allez ouvrir les barrières estant sur iceluy pont et entrèrent en ladite ville de Laval crians : Nostre-Dame ! Sainct Denys ! En laquelle avoit de deux à trois cent Anglois, et les François n'estoient pas plus de deux cent, combien qu'il y en avoit plus de six cent qui les suivirent. Il y eut plusieurs Anglois de tuez et prins, les autres saillirent par dessus la muraille de cette ville là pour eulx sauver. Et par ce moyen, ladite ville fut remise en l'obéyssance du roy.

  Environ ladicte saison, le duc de Bourbon, lequel estoit demeuré lieutenant du roy ès pays de nouveau réduits en son obéyssance, dont dessus est faite mention, se tenoit à Senlis, Laon, Beauvais, et autres villes pour toujours les garder, et y mettre provision, ordre, et gouvernement; car en plusieurs lieux il ne trouvoit pas bonne obéyssance, comhien qu'il menoit grand peine à bien conduire le faict du roy, et d'exécuter quelque chose sur les Anglois, lesquels estoient bien diligens, et mettoient peine à grever les François. Or advint que le dict Messire Ambroise de Loré et Messire Jean Foucault, estans à Laigny, avoient en mesme temps fait certaine entreprise sur la ville de Rouen, par le moyen d'un nommé le Grand Pierre ; et pour ce qu'au temps que l'exécution se devoit faire, il n'estoit point clair de lune, pour chevaucher par nuict, ils prolongèrent et remirent un autre jour audict Grand Pierre ; car il leur sembloit qu'ils n'estoit pas possible de mener si grosse compaignée par le pays, où il falloit passer, sans s'entreperdre, si c'estoit en une nuit obscure. Et s'en alla le dict Grand Pierre par Senlis, où il trouva le duc de Bourbon, le comte de Vandosme et l'archevesque de Rheims (133), chancelier de France. Et pour ce que les dicts de Loré et Foucault avoient aucunement ouvert la matière aux diets seigneurs, mais non mie la manière que le dint Grand Pierre disoit, ils contraignirent le diet Grand Pierre a leur déclarer dont il venoit et la forme de la dicte entreprinse. Les quels, icelle ouye, ne tindrent compte de l'opinion et de la difficulté que les dicts Messires Ambroise et Foucault faisoient et mandérent très diligemment gens de toutes parts pour exécuter la dicte entreprinse. Et de faict se mirent à chemin, et en allant perdirent l'un l'autre et ne se trouverent pas tous ensemble, et y en eut qui furent jusques aux portes de Rouen ; et quand ils veirent que leur entreprinse estoit faillie, retournèrent. Et ceux retournans, trouvèrent environ quatre-vingts Anglois, les quels, quand ils veirent les François , descendirent ü pied au fond d'une haye et fichèèrent des paulx devant eulx. Si furent assaillis par diverses escarmouches par des gens de guerre françois, qui estoient une bien grosse compagnie. Mais les Anglois se défendirent si vaillamment, qu'ils demeurerent en leur place sans rien perdre. Or supposé que les dicts de Loré et Foucault sçeussent la dicte entreprinse, si n'avoient-ils pas intencion de l'exécuter sans le faire savoir et déclarer tout au long aux dicts seigneurs. Et ainsy, en effet, la dicte entreprinse fut perdue et faillie par faulte de ce que les dicts seigneurs n'avoient creu le conseil des dicts deux chevaliers, qui estoit bon et raisonnable.

                                   


Source : Présentation et mise en Français moderne de la chronique : J.-B.-J. Ayroles "L'histoire complète de Jeanne d'Arc" -
tome III - 1897, p.61-66.
- texte original : Vallet de Viriville - 1859

Notes :
1 Charles Samaran, dans un article paru en 1926 dans " l'annuaire-bulletin de la Société de l'Histoire de France " démontre que Vallet de Viriville ne s'est pas appuyé sur des preuves suffisantes pour l'attribuer la Chronique de la Pucelle à Cousinot de Montreuil.

2 René Planchenault, dans un article paru en 1932 dans "la bibliothèque de l'École des Chartes" reprend à son compte l'article de Ch. Samaran et attribue la chronique de la Pucelle à Jean Juvénal des Ursins. (voir cet article bien argumenté dans la bibliothèque de Jeanne d'Arc).

3 Le 22 octobre 1422 est la date légale de l'avènement de Charles VII au trône de France.

4 Grand maître des arbalétriers ou commandant général des milices à pied.

5 Huit vingt : 160.

6 Sic dans Godefroy, le mot "Sieur" n'est pas du XV° siècle.

7 En grande majorité des Écossais.

8 William Pole

9 ou Clifton.

10 Le succès remporté à la Gravelle produisit une très vive impression sur les esprits. Aussi les vainqueurs résolurent-ils d'en perpétuer le souvenir par un monument élevé sur le théâtre même de cette victoire. Charles VII était très pauvre à cette époque. II contribua néanmoins pour une somme importante à l'érection de ce monument, qui fut construit aux frais du comte d'Aumale, et qui, dans l'intention du fondateur, était destiné à servir de lieu de sépulture pour ce comte lui-même et ses successeurs.
"Extrait du compte de Guillaume Charrier, receveur général de toutes finances"

11 Ardevon, près de Pontorson, arrondissement d'Avranches.

12 200 à 240.

13 1423.

14 Pâques, le 23 avril.

15 Regnault de Chartres.

16 Douglas ou de Douglas.

17 en août 1424.

18 Le 17 août

19 Tanis, vers la frontière du Maine près de Pontorson.

20 Cent soixante.

21 Pâques le 18 avril.

22 Jean Louvet.

23 Raoul III de Coetquen, chevalier, chambellan et conseiller des Ducs Jean VI et François Ier, gouverneurs de Dol et de Léon. Il prit part au recouvrement de la Normandie. Charles VI le nomma chambellan en 1450. 24 Puîné.

25 Ce genre de pièces est connu des diplomates sous le nom de chartes parties, particles ou endentures. Ce procédé avait pour but de constater avec certitude l'origine commune des deux copies.

26 L'une des résidences habituelles du Roi.

27 Pour le changement d'année, Pâques le 31 mars.

28 Chef-lieu de canton, arrondissement d'Avranches.

29 Hughes de Combarel, évêque de Poitiers.

30 Lignières et Culant en Berry.

31 Mathieu de la Foix, frère de Jean.

32 Georges de la Trémoille était fils de Guy et de Marie de Sully unis en mariage vers 1382.

33 1427.

34 Canton de Bierné, arrondissement de Chateau-Gontier (Mayenne), ce lieu donne à peu près la position de Reinefort en Anjou.

35 Cent-vingt.

36 Pâques le 20 avril

37 Simon Morhier : prévôt de Paris pour le Roi d'Angleterre.

38 Le 16 et 17 juillet 1427, Jean, bâtard d'Orléans était à Blois. L'entreprise de Dunois sur Montargis eut lieu sans doute du 18 au 25 ou 30 juillet 1427.

39 Paille, fourrage.

40 Kennedy.

41 La Hire descendait des barons de Vignoles, il était né au château de Vignoles, en Bigorre, canton de Boulogne, arrondissement de Saint-Gaudens (Hte-Garonne).

42 Cent soixante.

43 Sir John Falstalf

44 Arrondissement de Mayenne.

45 ou de Monbroez.

46 Il désigne ainsi Charles de Bourbon, comte de Clermont. Il fut Duc en 1434 après son père qui mourut en Angleterre, prisonnier d'Azincourt.

47 S'employait, en anglais : intended

48 Philippe de Melun.

49 Pâques le 4 avril.

50 Très.

51 Pâques, le 4 avril.

52 Mise à sac du sanctuaire de Cléry qui scandalisa les Français. (ndlr)

53 Contrairement à la promesse faite au Duc d'Orléans, Salisbury montre ses intentions d'attaquer Orléans.

54 Curieux arrangement entre les Anglais et La Tremoille!

55 William Glasdale, nom imprononçable à l'époque pour les Français.

56 Ou Coarase, gentilhomme béarnais.

57 Estayes : étais.

58 ndlr : Après la mise à sac du sanctuaire de Cléry et l'attaque de la cité d'Orléans, à l'encontre de toutes les règles de la Chevalerie, sans compter les actes de cruauté dont ce sire s'était rendu coupable.

59 féry : frappé (on dit encore de nos jours "sans coup férir").

60 Céléement : secrètement.

61 Huc des Prez : bailli de Chartres.

62 Les Douze Pairs de France, dénomination nationale. Il y avait six pairs laïques et six pairs ecclésiastiques ; six ducs dont 3 laïques : Bourgogne, Guyenne, Normandie et trois ecclésiastiques : Reims, Laon, Langres. Six comtes laïques : Flandre, Champagne, Toulouse ; ecclésiastiques : Noyon, Châlons, Beauvais.

63 La Toussaint : 1er novembre 1428 - L'Ascension : 5 mai 1429.

64 C'est le personnage que l'auteur appelle Duc de Bourbon au chap.26.

65 La plupart des...

66 Jean de Naillac.

67 L'infanterie française.

68 Le 15 février 1429.

69 Pâques le 27 mars

70 Le père de Jeanne s'appelait Jacques Darc (voir la famille de Jeanne)

71 La journée des harengs (le 12 février 1429 à Rouvray)

72 Regnault de Chartres, archevêque de Reims et chancelier de France.

73 Robert Le Maçon, seigneur de Trèves en Anjou.

74 Confesseur du Roi.

75 Tout ce chapitre jusqu'ici se retrouve dans le Journal du Siège.

76 Guillaume Cousinot de Montreuil, l'auteur de cette chronique selon Vallet de Viriville.

77 Tout ce chapitre et l'ensemble de la présente chronique a été copiée ou compilée par Jean Chartier

78 Déconfits : taillés en pièces. On emploie encore le mot "déconfiture".

79 Voir ce dossier : "Les vêtements de Jeanne"

80 Assez plainement. Dans la langue du moyen âge, assez, assay a souvent l'acception de très, fort, beaucoup. Plainement signifie aussi directement, de plano.

81 Harnois : équipement.

82 Le vendredi 29 avril 1429.

83 L'étendard fut confectionné à Tours.

84 Voir les commentaires de concernant cette lettre dans les chroniques de Windecke. En l'occurence, il ne s'agit pas du mot vaillans mais du mot villains.

85 C'est à dire le 22 mars 1429.

86 Paragraphe repris de la geste des nobles Français

87 Hahay : tumulte, carnage...

88 Mie : jamais.

89 Horions : coups

90 Il vous souviendra prochainement

91 Jeanne dicta cette lettre, et la dicta telle qu'elle pouvait le faire, connaissant imparfaitement le français. La lettre fut répandue au loin, et nous la trouverons dans de nombreuses Chroniques. Le fond et le ton sont identiques, mais il y a quelques variantes ; elle fut présentée à Jeanne à Rouen ; le texte qu'elle accepta est évidemment le vrai. La dernière phrase diffère notablement en ce qu'elle promet que le plus beau fait qui ait encore été accompli, sera fait pour la chrétienté. Elle y invite Bedford. Il faudra y revenir. En attendant, on remarquera comment Jeanne se donne constamment le nom de la Pucelle et affirme sa mission divine; avec quelle énergie elle parle du sang royal et des droits que confère à ce sang la volonté du Fils de sainte Marie.

92 A puissance, ce mot, très fréquent dans les Chroniques, peut signifier « de vive force », « une troupe nombreuse ».

93 § repris de la geste des nobles

94 De sept à huit heures du matin.

95 Chapitre repris de la geste des nobles François

96 Vêpres : de 6 heures à 9 heures du soir.

97 Cent-soixante hommes (160).

98 D'autres disent que la Pucelle ne voulut pas combattre par révérence pour la fête.

99 Engin de guerre à quatre pointes, mis en forme de piège.

100 Godon : sobriquet désignant un Anglais, provient de God damn (Dieu me damne) qu'ils disaient tout le temps.

101 Repris dans le journal du siège.

102 Poining et Moleyns

103 L'alternance de passages empruntés à la Geste des nobles et de paragraphes ajoutés par Cousinot de Montreuil rend cette narration un peu décousue et dans un ordre chronologique imparfait. 104 Autel portatif.

105 Repris dans le journal du siège.

106 Voir le Journal du siège.

107 Reproduit avec beaucoup d'autres passages dans la Chronique de Jean Chartier.

108 Veuglaires.

109 Voir Journal du siège.

110 Hungerford.

111 Ici s'arrêtent les emprunts tirés de la "Geste des Nobles"

112 26 juin.

113 Jean Laiguisé.

114 ndlr : On voit bien par cette narration que malgré le miracle d'Orléans, le crédit accordé à Jeanne est encore bien faible. Les réunions stratégiques se font sans elle et elle ne parvient à s'imposer que bien difficilement au milieu de cette lâcheté ambiante.
On peut dire que ce triste roi Charles VII n'a été que le témoin passif des miracles de son règne et couronné presque malgré lui !
Regnault de Chartres montre déjà la petitesse de son esprit et de ses vues. Comparé à un Jean Gerson, à un Jacques Gélu et même à Robert Le Maçon, il fait bien pâle figure. Il démontrera encore la petitesse de sa politique après le sacre de Reims.

115 Jean de Sarrebruck.

116 Aujourd'hui Sept-Saulx, canton de Verzy, arrondissement de Reims (Marne).

117 Regnaud de Chartres.

118 Itinéraire : Le roi était le ler et le 2 juillet à Auxerre ; 6 et 11. Troyes ; 14, Saint-Phal et Châlons ; 16, Sept-Saulx et Reims ; 17. sacré à Reims ; 20, Saint-Marcou ; 22, Vailly ; 25, Soissons ; 28 à 31 Château-Thierry.

119 Le ms. du roi 6356 français de la Bibliothèque nationale contient l'inventaire des joyaux de Charles V et Charles VI, rois de France. On y trouve au feuillet 294 un chapitre intitulé : "Parties des nouveaulx habiz royaulx ordonnez pour le fait du sacre des rois de France, baillez en garde aux religieux, abbé et couvent de M. S.Denys, par le roy Charles-quint, le 7° jour de may 1380, oultre et pardessus ceux qu'ils ont eu en garde par le temps passé.

120 II s'agit ici du fameux Gilles de Retz, et mieux Rais. Le roi à ce qu'il paraît, l'avait fait maréchal le jour même, 17 juillet 1429, à l'occasion du sacre. Voir Charles VII et ses conseillers, 1858, in-8°, p.35, note 5.

121 Le ms. latin 1246, ancien fonds du roi, est un Pontifical du sacre. Ce manuscrit, sur parchemin vélin, paraît avoir été exécuté sous le règne de saint Louis ou de Philippe le Hardi. Il est orné de miniatures contemporaines. Le texte liturgique, en latin, est accompagné de rubriques en français. (Fol. 1 : C)
Commence le corunement des Roys de France. Les rubriques et les chapitres de l'Ordo se succèdent avec les miniatures, qui peignent aux yeux chaque phase ou chacun des actes de la cérémonie. (Fol. xcxijv) : Ici finist le corunement des rois de France. (Fol. xcxiii) : Mémoire de ce qui se doibt faire au coronement de la royne de France quand elle n'est coronée avec le roy, et appartient à l'archevêque de Reims. Cette addition parait avoir été introduite à la fin du manuscrit primitif, vers 1600. Enfin une main du quinzième siècle a écrit à la dernière page de ce volume : "L'an de grâce mil quatre cent soixante et ung, le mercredi vingt deuxiesme jour de juillet, trespassa le roy Charles septiesme." Voici le texte, traduit en français, du serment que prêtaient les rois de France à leur couronnement, et que dut jurer Charles VII à Reims, le 17 juillet 1429 : "Au nom du Christ, je promets au peuple chrétien qui m'est soumis ces trois choses : 1° de conserver en tout temps, selon mon pouvoir, en vraie paix l'Église de Dieu et tout le peuple chrétien ; 2° d'interdire les exactions et toute iniquité aux différents degrés de l'État ; 3° de prescrire dans tous les jugements l'équité ainsi que la miséricorde, afin d'obtenir pour moi et pour tous la miséricorde du Dieu clément et miséricordieux, qui vit et qui règne, etc...." "Le texte latin qui précède est extrait d'un Pontifical de l'abbaye de Saint-Denis en France, qui paroit être du quatorzième siècle, et que l'on porte au sacre de nos roys." (Lévesque de la Ravallière, Collection de Champagne, volume 126, intitulé Sacre des rois, folio 86.)

122 C'est une erreur. Les ducs de Bar et de Lorraine étaient alors au siège de Metz Le duc de Bar, René, rejoignit son beau-frère à Provins plus de quinze jours plus tard, le duc de Lorraine ne rompit jamais avec le parti bourguignon.

123 Ici pitié signifie attendrissement, c'est une des significations du mot. 124 On s'explique la valeur de ce trait, si l'on se reporte au portrait moral que Georges Chastelain nous fait de Charles VII : "N'étoit nulle part sûr, nulle part fort ; craignoit toujours mourir par le glaive par jugement de Dieu, parce que présent fut en la mort du duc Jehan. Ne s'osoit loger sur un plancher, ni passer un pont de bois à cheval, tant fût bon."

125 Que je soulois faire : que j'avais l'habitude de faire.

126 Juge de Jeanne.

127 Poton de Xaintrailles.

128 C'est à dire vers 6 heures de l'après-midi.

129 Heure de vêpres.

130 Si le chroniqueur entend faire deux personnages différents du duc de Bar et de Lorraine, il se trompe. René avait, il est vrai, rejoint l'armée le 3 août à Provins, mais son beau-père, le duc de Lorraine, inclinait toujours pour le parti anglo-bourguignon. (Ayroles)

131 Sera Capitaine de la ville de Compiègne lors de la prise de la Pucelle.

132 Cousinot de Montreuil n'a plus qu'une page où il n'est pas question de Jeanne d'Arc. A-t-il arrêté là son travail ? la suite en est-elle perdue ? C'est ce que l'on ignore jusqu'à ce jour.

133 Regnauld de Chartres, à la fois archevêque de Reims et chancelier de France. Une lecture attentive de cette chronique montre que le texte ou manuscrit de Cousinot de Montreuil a été par intervalles remanié et interpolé.
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