Son histoire
par Henri Wallon
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La chronique de Charles VII par Jean Chartier
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ean Chartier est l'historiographe officiel de Charles VII. Ce titre lui était conféré le 18 novembre 1437 par Charles VII, six jours après que
ce prince venait de rentrer dans sa capitale, où il n'avait pas mis les pieds
depuis les derniers jours de mai 1418. Jean Chartier était chargé de continuer
l'œuvre du Religieux inconnu de Saint-Denis auquel nous sommes
redevables de l' Histoire si justement appréciée de Charles VI.
Le nouvel historien écrivit d'abord en latin, comme son prédécesseur,
l'histoire du nouveau règne. Vallet de Viriville, dans ses Historiens de
Charles VII, avait signalé les débuts en cette langue qu'il avait trouvés
dans le n° 5959 du Fonds latin de la Bibliothèque nationale à la suite de
l'histoire de Charles VI dont nous venons de parler. L'éminent paléographe
avait pensé que, après ces premières pages en latin, Jean Chartier s'était
arrêté pour nous donner en français la Chronique bien connue qui a trait au
règne de Charles VII. Tout le monde pensait comme lui.
C'est une erreur. M. Kervyn de Lettenhove, dans un article sous ce titre : Notes sur quelques-uns des manuscrits des bibliothèques d'Angleterre, écrivait en 1866 dans le Bulletin de l'Académie royale de Belgique : « Entre
tous les manuscrits de Sir Thomas Philips concernant le XVe siècle, il n'en
est aucun qui offre plus d'intérêt qu'un volume... renfermant le seul texte
latin de Jean Chartier composé avant la Chronique française... Il y aura
lieu d'y puiser désormais pour l'histoire de Jeanne d'Arc. »
Les manuscrits de Sir Thomas Philips ne sont pas à Londres, mais
entre les mains de ses héritiers, à Cheltenham...
Voici la traduction du prologue de la Chronique latine,
cité par Vallet de Viriville :
« Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et de la glorieuse Vierge
Marie, de Monseigneur saint Denis, patron de la France, et des Bienheureux
du Ciel. Le roi Très-Chrétien ayant naguère ordonné que la suite des faits
et gestes de l'histoire serait, comme par le passé, couchée par écrit, j'ai été chargé de ce travail, après avoir prêté serment à Sa Royale Majesté,
en présence de plusieurs témoins, le 18 novembre, en l'an 1437 de l'Incarnation,
de son règne le seizième. Après avoir reçu les lettres du roi qui
assurent au titulaire de pareil office la somme accoutumée de deux cents
livres par an, quelque défiant que je sois de mes forces, je n'ai point osé
pousser la hardiesse jusqu'à me refuser aux ordres du souverain. La
difficulté s'accroît de la nécessité de combler une lacune de quinze ans, la
Chronique de France n'ayant pas été continuée, ou fort peu, et étant
restée sans titulaire, depuis le 21e jour d'octobre 1422, jour où Charles,
sixième du nom, rendit son âme au Dieu Très-Haut. Il a donc fallu recueillir
année par année, et pièce par pièce, les matériaux de cette période. »
Ces lignes prouvent que ce n'est pas, ainsi que l'avait pensé M. de Lettenhove,
avant d'être officiellement nommé historiographe que Jean
Chartier a écrit sa Chronique latine.
Dans le prologue de la Chronique française, l'auteur dit se nommer
Frère Jean Chartier, religieux et chantre de l'église Monseigneur Saint-Denis. Il est universellement donné comme le frère d'Alain Chartier
secrétaire du roi, et de Guillaume Chartier, plus tard évêque de Paris. Il ne semble pas qu'il faille s'écarter de ce sentiment, parce que, tandis
que ses frères ont suivi le roi chassé de sa capitale, le religieux serait
resté dans son abbaye (1)...
Les pièces découvertes jusqu'ici ne nous font connaître Jean Chartier
qu'à partir de 1430. Il est donné à cette époque comme prévôt de la Garenne;
en 1433 il est prévôt de Mareuil-en-Brie ; en 1435, il est commandeur de
l'abbaye, charge qui lui conférait l'administration de la justice dans l'enclos
du monastère, avec la gestion de plusieurs revenus de l'abbé et des
religieux. On vient de voir qu'en 1437 il était grand chantre du couvent;
dignité qui était une des premières de la communauté. Il devait être assez
jeune, puisque, sans qu'on puisse assigner la date de sa mort, on trouve
qu'il vivait encore en 1474.
Il a donc vu la plus longue partie du règne de Louis XI. Il n'a pas
cependant entrepris de le raconter; sa Chronique finit à la mort de
Charles VII. Bien inférieure à celle que son prédécesseur nous a laissée
de Charles VI, elle est sévèrement jugée par les modernes. Elle ne doit être appréciée ici que pour la partie consacrée à Jeanne d'Arc. Quicherat,
peu favorable à l'ensemble de l'œuvre, donne le récit sur la
Pucelle, comme un des plus circonstanciés que nous ayons. Il ajoute : « Comme on n'y découvre aucune réminiscence du procès de réhabilitation,
c'est une raison de croire que le chroniqueur en recueillit les éléments à l'époque où il entra en fonctions, entre 1440 et 1450. » L'on
peut présumer que se mettant à l'oeuvre, aussitôt après sa nomination, il
aura terminé cette partie avant 1443. Il avait dû voir la Pucelle à Saint-Denis, durant les quinze jours qu'elle passa autour de Paris. Quicherat dit
encore : « On verra par la suite que c'est ce récit qui a engendré presque
tous les autres, du moins ceux conçus dans l'esprit français ». L'étude très attentive des documents ne nous a rien révélé de semblable. Jean
Chartier a puisé dans la Chronique des Cousinot, et à part le Journal du
siège qui reproduit la même source, rien, à nos yeux, ne révèle dans les
autres Chroniques une parenté avec celle de Jean Chartier. Son récit n'est
pas des plus circonstanciés.
Jean Chartier écrit fort mal en français (2). Il répète les mêmes mots à
satiété. Ses phrases ternes, monotones, se terminent en queues superflues.
Son latin ne vaut pas mieux que son français.
On possède de nombreux manuscrits de Jean Chartier. Vallet de Viriville
en a fait la recension dans ses Historiens de Charles VII. Quicherat,
comme l'insinue son collègue en paléographie, n'a pas été heureux dans
le choix. Il a reproduit le numéro 2691, qui provient de la collection du
seigneur de la Gruthuise. Ce vélin in-quarto est, il est vrai, un chef-d'oeuvre
de calligraphie ; lettres d'or, vignettes, belles miniatures, c'est séduisant
pour l'oeil; mais le texte est considérablement altéré. Non seulement le scribe a changé l'orthographe, écrivant ching pour cinq, Franchois pour
Français, il a changé les mots eux-mêmes, en a ajouté et en a retranché.
Cette Chronique ne parut qu'après la mort du
Roi, à la fin de 1461 ou dans l'une des années suivantes. Elle ne fut imprimée pour
la première fois que dans le Recueil général
des grandes Chroniques de France ou de Saint-Denis, que publia
Robert Gaguin en trois volumes in folio (1476-1477). Elle figure,
sans nom d'auteur, en français, dans le troisième
volume, à partir du folio 166.
Denys Godefroy, qui l'inséra en 1661 dans son Histoire de Charles VII, donne le nom de l'auteur. Vallet
de Viriville en a fait paraître, en 1858-59, une édition
revue sur les manuscrits. C'est cette édition qui est ici donné sur ce site du chapitre 30 au chapitre 77.
La mise en Français plus moderne est de J.-B.J. Ayroles (textes bleus). Voici ses commentaires sur ce travail :
" C'est sur le numéro 2596 que notre travail de rajeunissement a été fait.
La raison de ce choix est la suivante. Le premier ouvrage profane
imprimé en France, avons-nous lu, ce sont les Grandes Chroniques de
Saint-Denis (1476-1477). La Chronique de Chartier, à deux folios près
omis ou disparus, se trouve au tome IIIe. L'auteur vivait peut-être
encore. Or le texte imprimé est exactement celui du manuscrit 2596. La
collation ne nous a révélé que deux mots différents, évidemment fautifs
dans le manuscrit, qui ne le cède pas d'ailleurs en beauté calligraphique à celui qu'a préféré l'éditeur du Double Procès (J. Quicherat). Il peut se faire encore que
le chroniqueur ait introduit des variantes dans son texte. Il en est une
dans les textes de Quicherat et de Vallet de Viriville que nous reproduisons à la suite. Les chapitres de Jean Chartier sont courts. Les titres
seront conservés dans nos divisions plus générales. Ils permettront de
juger du style de l'historiographe.
Dans un appendice sont relevées les assertions de la Chronique latine
que l'on ne trouve pas dans la Chronique française. La Société de l'Histoire
de France voudra peut-être étudier dans son entier le texte que
nous sommes heureux de signaler. "
Chapitres (édition Vallet de Viriville) :
...
chap.30- D'une entreprise faicte par les François contre les Anglois sus...
chap.31- La ville de Pontorson remparée par les François
chap.32- Siège mis à Orléans
chap.33- La journée des harengs
chap.34- La mort de Salisbury
chap.35- Continuacion dudit siège
chap.36- Venue de la Pucelle
chap.37- Comment Orléans fut advitaillé
chap.38- La prinse des boulevers et bastille du bout du pont
chap.39- Comment le siège d'Orléans fut levé
chap.40-
La prinse de Laval par les Anglois
chap.41- La délivrance du duc d'Alençon
chap.42- Armée de gens de guerre
chap.43- Comment les Angloiz de Baugency se rendirent aux François
chap.44- La bataille de Patay pour les François
chap.45- [Nouvelle] armée de gens d'armes
chap.46- Paiement de gens d'armes
chap.47-
Siège mis devant Troys en Champagne
chap.48- Comment le roi fut sacré et courroné à Rains
chap.49-
Comment Lan et Soissons se rendirent François avec plussieurs...
chap.50-
Comment le duc de Betfort partit de Paris et s'en alla à Corbeil...
chap.51- Comment le roi s'en voulloit aller de l'Isle de France
chap.52- Entreprinse d'Engloiz sur les François
chap.53-
Comment les Angloiz vindrent près Senlis pour combatre le roy...
chap.54-
Comment les François se disposoient à combattre les Angloiz
chap.55- Comment François et Angloiz se departirent
chap.56-
Comment Compiengne, Beauvaiz et Senliz se rendirent François
chap.57- Garnsisons d'Angloiz mis ès places à eulx obaisans
chap.58-
Escarmouches de François et d'Angloiz entre Paris et Saint-Denis
chap.59-
Comment la Pucelle donna ung assault devant Paris
chap.60-
Réparacion du chastel de Saint-Célerin par les François
chap.61- Comment ceux
de Laigny se mirent en l'obbaissance du roy...
chap.62- Comment le roy se partit de l'Isle de France
chap.63-
Comment les Angloiz de Paris pillèrent Saint-Denis
chap.64-
Comment la ville de Laval fut prinse par les François
chap.65-
Une entreprinse de François sur la ville de Rouen
chap.66-
Une grande pillerie en France
chap.67-
Comment Saint Pierre le Moustier fut pris d'assault
chap.68- Rencontre d'Angloiz
chap.69- Siège mis par les Angloiz devant Saint Célerin
chap.70-
Rencontre sur les Angloiz
chap.71- Siège mis à Compiègne par Angloiz et Bourguongnons.
chap.72- Comment Melun se rendit François
chap.73- Une journée de François contre Anglaiz et Bourguongnons
chap.74- Comment le roi Henry d'Angleterre fut couronné à Paris
...
Particularités de la chronique en latin.


près pou de temps fut faicte par les François une
entreprise sur la ville du Mans par le moyen d'aucuns habitans en
icelle ville, et à exécuter icelle entreprinse estoient
le sire d'Orval (3), frère du
sire d'Albret (4) ; le sire de Bueil,
le sire de Thucé, Estienne de Vignolles dit la Hire, Roberton
des Croix et plussieurs aultres cappitaines, qui prindrent et entrèrent
en icelle, et retirrèrent partie des Angloiz estans en icelle
ville en une tour que on appelle la tour Orbendelle, assise près
d'une porte de la ville, que on appelle la Saint Vincent, et se
deffendirent et résistèrent iceulx Angloiz tout le
jour de ladite entrée, et envoyèrent hastivement devers
le sire de Tallebot, Angloiz, qui estoit en la ville d'Alençon,
et pour aucunes causes avoit gens assemblez. Et sy tost que se vint
à sa congnoessance, se partit hastivement et vint entrer
le landemain entre le point du jour et soleil levant par ladite
porte Saint-Vincent, que encore tenoient lesditz Angloiz en ladite
ville du Mans. Et là eult mors et prins plussieurs François,
et les autres s'en yssirent à grant haste. Et par ainssy
regaigna ledit sire de Tallebot ladite ville du Mans sur iceulx
Francçois.
Et fist ledit sire de Tallebot plussieurs grans pugnicions
de ceulx qui avoient esté cause d'y avoir bouté iceulx
Francois. Et disoient aucuns que iceulx François faisoient
mauvaise dilligence d'assaillir la compaignie de leurs ennemis,
et que chacun voulloit garder et tenir leurs logis en ladite ville
à son aise et à son plaisir.
Et depuis ladite ville ainssy regaignée par les
Angloiz, comme dit est, y vint le sire de Beaumanoir avec grant
compaignie, lequel en fut bouté dehors comme les aultres
par ledit sire de Tallebot.

nviron ce temps, le conte de Richemont, connestable de France, fist emparer la ville, de Pontourson en Normendie et y mist grosse garnison
contre les Angloiz, et en fist cappitaine et chief le sire de Rothelain
(5), lequel assez tost après
fist une course en Normendie, devant Avrenches, auquel lieu il fut
desconfit et prins prisonniers par les Angloiz. Et après
ce fut mis et estably cappitaine de ladite ville de Pontourson Bertrand
de Dinan, frère du sire de Chasteaubruyant, mareschal du
duc de Bretaigne, à bien grosse armée de gens d'armes,
pour ce que on doubtoit que les Angloiz voullissent mettre le siège
devant icelle ville. Et ne demoura guaires après que le conte
de Varouic et, le sire de Tallebot, avec grant armée d'Angloiz, vindrent
mectre et asseoir le siège devant icelle ville de Pontourson,
et y furent par longc temps. Durant lequel temps y oult de moult
grandes et dures escarmouches et assaulz.
Lequel siège durant, Messire Jehan de La Haye,
baron de Coulomces, le sire de la Hunauldaye, le sire de Chasteau-Giron
et autres, saillirent de la ville, laquelle n'estoit pas du tout
assiegée, et vindrent rencontrer ès greves de la mer,
entre Avrenches et le Mont-Saint Michiel, le sire de Scalles, Angloiz,
lesquelz conduisoient vivres en l'ost devant ladite ville de Pontourson,
et là se combatirent ensamble. Et finablement furent lesdits
barons de Coulomces, de Hunauldaye et Chasteau-Giron mors, et en
y ut plussieurs prisonniers et tous leurs gens desconfilz. Et ce
fait, s'en alla ledit sire d'Escalles en l'ost dudit conte de Varouic,
devant ladite ville de Pontourson. Et après fut rendue audit
conte de Varouic par composicion.

' an m cccc vingt et neuf fust mis le siège devant la ville
d'Orléans (6) par le conte de
Salbery, le sire de Tallebot et plusieurs aultres Angloiz à
bien grant ost, et mesmes yestoit le conte de Sufford ; et firent
iceulx Angloiz devant ladite ville d'Orléans plussieurs bastilles,
c'est assavoir une en ung lieu nommé Saint-Laurent, une autre
bien grant bastille devant et vis à vis de la porte, laquelle
bastille iceulx Angloiz appelloient Londres, une autre bastille
devant la porte de Bourguongne à ung moustère (7)
nommé Saint Loup, et de l'aultre costé de la rivière
de Loire, prindrent le boullevert du pont et la Bastille de dessus
icelluy pont. Et firent une aultre bastille en ung lieu nommé
Saint Jehan le Blanc, et plussieurs bastilles avoient d'un costé
et d'aultre, tant que à grant paine povoient entrer nulz
vivres dedans icelle ville ne par eaue ne par terre, car la ville
de Gien estoit englesche, aussy estoit celle de Baugency et Meun,
sont audessoubz. Et tousjours se deffendoient ceulx de ladite ville
d'Orléans vigoureusement, à l'aide que le roy de France
leur bailloit des gens, et le bastard d'Orléans, qui moult
avoit la chose à ceur, qui continuellement labouroit à
la deffence d'icelle ville ; le mareschal de France seigneur de
Boussac, Estienne de Vignolles, dit la Hire, et plussieurs cappitaines,
qui à la deffence et résistence d'icelle faisoient
de grans deffences ; tant c'om disoit qu'il y avoit esté
abatu bien vingt-deux églises.
Et entre les aultres y fut abatue une grant et notable
église nommée Saint Egnen (8),
et générallement tous iceulx faulxbours, lesquelz
estoient presque aussy grans que ladite ville d'Orléans.
Et tant que gens à cheval et à pié povoient
aller franchement partout où estoient assises lesdites églises
et faulxbours, partout entour ladite ville du costé de la
Beaulce.

our aider et secourir icelle ville d'Orléans, fut fait une grant armée de François, de laquelle estoit chief
le duc de Bourbon et estoit en sa compaignie ung chevallier nommé
Senart (9), connestable d'Escosse, le sire d'Orval, frère du sire d'Albreth, Estienne de Vignolles,
dit la Hire, et plussieurs autres. Et vint à leur congnoissance
que ung chevallier angloiz nommé Messire Jean Fastol (10)
estoit party de Paris pour avitallier et amener vivres au siège
d'Orléans. Car les Angloiz estans et tenans ledit siège
n'avoient que pou de vivres, se ils ne venotent de Paris et à
grant conduitte de gens d'armes. Et ce qui fut raporté audit
duc de Bourbon et à sa compaignie estoit vray, car ledit
Fastol, Messire Simon Morhier, qui pour lors estoit prévost
de Paris et natif de ce royaulme, lequel gouvernoit l'artillerie
des Angloiz, partirent de Paris avecques plussieurs charges et charrettes
chargiées de vivres, et principallement, pource que c'estoit
ou temps de karesme, il y avoit plussieurs charges de harens. Et
furent iceulx Fastol et autres rencontrés près d'Yenville
en Beauce, dudit duc de Bourbon et de sa compaignie, lesquelz estoient
beaucoup en plus grand nombre que les ditz Angloiz. Et là
ot de très grans et grosses escarmouches, et se mirent iceulx
Angloiz à pié et se clouirent et fortiffièrent
de leur charoy. Et là se dessendirent à pié
sans ordonnance, cesdits Senart, connectable d'Escosse, le sire
d'Orval et plusieurs autres. Lesquelz Senart et d'Orval furent mors,
environ deux cens hommes en leur compaignie. Et se retira ledit
duc de Bourbon et son armée à Orléans et ailleurs
ès forteresses françoises.
Et icelluy Fastol et ses Angloiz avecques leurs vivres
s'en allèrent audit siège d'Orléans. Et povoit
bien tousjours entrer et yssir en ladite ville gens à cheval,
pource que lesdits Angloiz estoient à pié en leurs
bastilles. Et y avoit grant espace de la bastille à icelle
de Saint Loup, combien que chacun jour besongnoient iceulx Angloiz
à faire fossés doubles pour cuider empescher icelle
entrée, ainssy qu'ils avoient fait depuis la bastille Saint
Laurens jucques à la grant bastille nommée Londres (11).

ssés tost après, et durant ledit siège, le
conte de Salbery estoit en la tour et bastille de dessus le pont
d'Orléans, lesquelles tour et Bastille, avoient gaigné
les Angloiz sur les François, et regardoit ledit conte par
une fenestre vers ladite ville d'Orléans, et disoit-on que
ung de ses cappitaines, nommé Guillaume Clasidal (12),
luy disoit telles parolles ou semblables : "Monseigneur, regardez
bien vostre ville ; vous la voyez d'icy bien applain." Et soubdainement
vint une pierre de canon de ladite ville, qui ferit contre ung des
costés de ladite fenestre, tellement que icelle pierre de
canon ou des pierres d'icelle fenestre ferirent parmy le visage
d'icelluy conte de Salbery, tant que trois ou quatre jours après
il ala de vie à trespassement. Et toutesfoiz oncques homme
de ladite ville ne peult savoir qui avoit bouté le feu ne
tiré icellui canon. Et n'en savoit on rien en ladite ville,
deux jours après icelluy coup advenu. Et fut emporté
et mené le corps d'icelluy conte de Salbery en Angleterre.
Et néanmoins, combien qu'il fust chief d'icelui ost, si se
tint le siège tousjours comme devant estoit.
Et estoit en la grant bastille continuellement le conte
de Sufford, le sire de Tallebot (13),
Messire Jean Fastol (14) et plussieurs
autres seigneurs et cappitaines angloiz. Es autres bastilles de
Saint Laurens et de Saint Loup estoient autres cappitaines, et en
boulevart et bastille du bout du pont et autres bastilles du costé
devers la Soilongue estoient le sire de Moulins (15)
et le sire de Pomnimis (16), Guillaume
Glassidal, lequel conduisoit tous les autres de ce costé
; car il estoit bien vaillant homme et entrepreneur. Et disoit-on
que icellui siège se gouvernoit plus par luy que par nulz
autres, combien qu'il ne fust pas de si grant estat comme plussieurs
des dessus nommez.
Et finablement fut mise icelle ville par iceulx Angloiz
tenans icellui siège à si grant neccessité
que les habitans d'icelle eussent volentiers trouvé aucun
traictié de composicion par payant aucune grosse somme d'argent
à iceulx Angloiz sans rendre ladite ville, ou se fussent
voluntiers mis en l'obeissance de Philippe, duc de Bourgongne, lequel
tenoit le party d'iceulx Angloiz, et y envoièrent en embassade
ung escuier nommé Poton de Santrailles pour luy offrir mettre
icelle ville en son obéissance par certains traictiez et
moyens desquelz estoit chargé ledit Poton de dire plus applain
audit duc de Bourgongne, dont icelluy duc fut content d'entendre
à icelluy traictié, pourveu que le duc de Bethefort,
lequel se disoit regent de France en fust content. Et envoya tantost
icelluy duc de Bourgongne devers icelluy duc de Bethefort pour celle
cause, pour luy faire savoir la charge que ledit Poton avoit de
par ceulx de ladite ville d'Orléans. De laquelle chose ledit
duc de Bethefort ne fut en riens d'accord ne content, ainssois disoit
qu'il avoit icelle ville d'Orléans à sa voulenté,
et que ceulx d'Orléans lui paieroient ce qu'il avoit cousté
à tenir ledit siège et qu'il seroit bien couroucé
d'avoir batu les buissons à ce que d'autres deussent avoir
les oiseillons. Et à tant ledit Poton print congié
dudit duc de Bourgongne, et s'en retourna audit lieu d'Orléans,
sans autre appoinctement faire.

près ce que ledit siège eult esté tenu par
iceulx Angloiz devant icelle ville d'Orléans par l'espace
de sept moys, et qu'il y ot esté fait plussieurs guerres
et vaillances d'un costé et d'autre ; et que ladite ville
estoit en si grant necessité que bonnement ne povoit plus
durer pour la grant necessité de vivres qui là estoit,
combien que tousjours le bastard d'Orléans, le sire de Boussac,
mareschal de France, La Hire et plussieurs cappitaines y faisoient
le mieulx qu'ilz povoient de résister contre les Angloiz,
comme de avictaillier icelle ville de leur puissance, sy disoit-on
communément que icelle ville seroit perdue. Et comme dessus
est dit, les villes de dessus la rivière de Loire jucques
à Blois estoient anglesses ; toutes les forteresses de la
Beauce, excepté Chasteaudun, estoient semblablement anglesses
; La Ferté-Hubert, en la Soulongne, estoit aussy tenue des
Angloiz. Et n'y véoit-on nulle bonne provision ne remède.

n celuy temps vint nouvelle qu'il y avoit une pucelle près Vaucouleur, ès marches de Barrois, laquelle estoit aagée
de vingt ans ou environ, et dist par plussieurs foiz à ung
nommé Messire Robert de Beaudricourt, cappitaine du dit Vaucouleur, et
à plussieurs autres, qu'il estoit neccessité qu'ilz
la menassent devers le roy de France, et qu'elle luy feroit grans
services en ses guerres et par plussieurs foiz les en requist. Et
de ce ne se faisoient que rire et mocquer, et réputoient
icelle Jehanne pour simple personne, et ne tenoient aucun conte
des parolles. Et finablement fist tant icelle Jeanne qu'elle fut
amenée devers le roy de France par un nommé Ville
Robert et autres en sa compaignie (17).
Et icelle venue devers le roy fist les inclinacions
et révérences acoustumées de faire aux roys
ainssi que se elle eust esté nourrie en sa cour. Et en sa
subjection et salutation dist, en adressant sa parolle au roy :
"Dieu vous doint bonne vie, gentil roy." Combien
qu'elle ne le congnoessoit et qu'elle ne l'avoit oncques veu, et
y avoit plussieurs seigneurs pompeusement et richement vestuz et
plus que n'estoit le roy. Pourquoy respondit à ladite Jehanne
: "Ce ne suys je pas qui suys roy, Jehanne." Et
en luy monstrant l'un de seigneurs, dit : "Vélelà
le roy !" A quoy elle respondi : "A ! non ! gentil
prince, c'estes vous, et non autres."
Et adonc fut examinée et interroguée dillangement
par plussieurs saiges clercs et autres gens de plussieurs estaz,
pour savoir qui la mouvoit de venir devers le roy. Et elle respondit
qu'elle venoit pour mettre le roy en sa seignourie et que Dieu ainssy
le voulloit, et qu'elle lèveroit le siège que tenoient les Angloiz devant la ville d'Orléans, et après ce, qu'elle maineroit le roy couronner à Rains, et qu'elle voulloit combatre les Angloiz, quelle part qu'elle les pourroit trouver, et qu'il failloit que le roy luy baillast telle puissance que le roy pourroit finer : car de lever icellui siège, de mener couronner le roy à Rains, de desconfire et débouter les Angloiz, elle n'en faisoit aucune doubte, et disoit plussieurs autres choses merveilleuses. Et respondit merveilleusement aux questions qui luy estoient faictes. Et au regard de la guerre, sembloit qu'elle en fust treffort expérimentée. Et s'es-merveilloient plussieurs docteurs et cappitaines de guerre et autres de son fait et des responces qu'elle faisoit, tant des choses divines que de la guerre.
Et pour pourveoir à la neccessité dudit siège d'Orléans, fut advisé par le roy en son conseil que icelle Jehanne la Pucelle yroit advitailler et besongner ce qui luy seroit possible sur ledit siège, ainssy qu'elle luy requéroit chaque jour. Et fist le roy certains mandemens de gens d'armes pour accompaigner icelle Jehanne la Pucelle. Entre lesquelz furent mandez de par le roy le sire de Raiz, Messire Ambrois, sire de Loré et plussieurs autres, lesquelz conduisirent et amenèrent icelle Jehanne la Pucelle en la ville de Blois (18), auquel lieu trouvèrent Messire Regnault de Chartres, archevesque de Rains et chancelier de France, le bastard d'Orléans, La Hire et autres. Et furent chargés en ladite ville de Blois plussieurs chevaulx et charettes de blé et prins grant force de beufz, moutons, vaches, pour-ceaulx et autres vivres.
Et print son chemin icelle Jehanne la Pucelle et cappitaines dessunommez à tirer droit à Orléans , du costé de la Soilongne, et couchèrent une nuyt dehors, et le lendemain arriva ladite Jehanne la Pucelle et les dessus dits cappitaines avec iceulx vivres devant ladite ville d'Orléans. Et desamparèrent d'icelle heure les Angloiz d'une bastille, laquelle ilz tenoient, nommée Saint Jehan le Blanc, et se retirèrent les Angloiz estans en icelle aux Augustins avec autres qui là estoient près du bout du pont. Et entra ladite Jehanne la Pucelle, le bastard d'Orléans et plussieurs autres cappitaines avec tous iceulx vivres en ladite ville. Et lesditz sires de Raix et de Loré s'en retournèrent à Blois avec la plus grant part de la compaignie (19). Et faisoit on difficulté de mettre tant de gens en ladite ville d'Orléans, pour ce qu'il y avoit trop pou de vivres.
Ceste dite Pucelle, après qu'elle oult été examinée, requist au roy qu'il luy ploust bailler l'un de ses armeuriers pour aller à Saincte Katherine de Fierbois quérir une espée qui estoit en certain lieu de l'église venue par la grace de Dieu, et en laquelle avoit pour emprainte de chacun costé cinq croix (20), laquelle chose luy fut adcordée, en luy demandant par le roy se elle avoit oncques esté audit lieu, comment elle savoit ladite espée estre telle, et comment elle y avoit esté apportée. A quoy respondit que oncquez n'avoit esté ne entré en l'église de ladite Saincte Katherine, mais bien savoit que icelle espée y estoit entre plussieurs vieilles ferrailles, comme elle le sçavoit par révélacion divine, et que par le moien d'icelle espée devoit expeller les ennemis du royaulme de France, et mener le roy enoindre et couronner en la ville de Rains. Après lesquelles parolles ainssy exposées par ladite Jehanne, par le congié et mission du roy l'un de sesdits ar-meuriers ala audit lieu, et véritablement trouva ladite espée et l'aporta à ladite Jehanne; qui estoit chose bien merveilleuse. De laquelle elle a milité et mené guerre ausditz ennemis du roy moult vaillanment, et par son entreprinse et nouveau commencement a avitaillé, avec les dessus nommez, ladite ville comme dit est.
Et quant lesdits sires de Raiz et de Loiré furent arrivez à Blois, ils trouvèrent ledit chancellier de France, et adonc tindrent conseil de rechief savoir ce que on avoit affaire et estoient presque tous ceulx de la compaignie en voulenté de retourner audit lieu d'Orléans pour y faire et besongner chacun ce qu'il pourroit au bien du roy et d'icelle ville. Et, en parlant d'icelle matière, survint le bastard d'Orléans, lequel parla ausditz chancellier et cappitaines, en leur requérant et priant que on feist à l'ayde et secours d'icelle ville du mieulx com pourroit, et que se icelle compaignie s'en retournoit, que icelle ville estoit en voye de perdicion, et tantost fust conclud de retourner et de mener de rechief des vivres à puissance, et que on yroit par le costé de la Beausse, où estoit la puissance des Angloiz en la grant bastille dont dessus est faite mencion. Et avoient fait difficulté d'i aller à l'autre fois, que on y ala par la Souloigne avecques ladite Jehanne la Pucelle, où estoit trois foiz plus de gens que on n'estoit à aller par la Beauce.

En ce temps-là il vint des nouvelles au roi de France qu'il y avait une
pucelle près de Vaucouleurs ès marches du Barrois, âgée de vingt ans ou
environ, qui par plusieurs fois dit à un nommé messire Robert de Baudricourt,
capitaine dudit Vaucouleurs, et à plusieurs autres, qu'il était
de nécessité qu'on la menât devant le roi de France, et qu'elle lui serait
d'un grand secours en ses guerres. Elle les en requit par plusieurs fois;
et de ce ils ne faisaient que rire et se moquer, et ils réputaient ladite
pucelle une personne idiote (simple), et ne tenaient pas grand compte
de ses paroles. Finalement cette pucelle, nommée Jeanne, fit tant par
ses paroles qu'elle fut amenée vers le roi de France par un nommé VilleRobert (21), et par d'autres en sa compagnie.
Venue devant le roi elle fit les inclinations et les révérences accoutumées à faire aux rois, comme si toute sa vie elle eût été nourrie à la
cour. Et en lui adressant la parole elle lui dit : « Dieu vous donne bonne
vie, gentil roi », quoiqu'elle ne le connût point, qu'elle ne l'eût jamais
vu, et qu'il y eût plusieurs seigneurs vêtus aussi richement et plus que
l'était le roi ; ce qui fit qu'il lui répondit : « Ce, je ne suis pas le roi,
Jeanne »; et en lui montrant un de ses seigneurs : « Voilà le roi »; à
quoi elle répondit : « En nom de Dieu, gentil roi, c'est vous qui l'êtes
et non un autre. »
Elle fut donc examinée et interrogée diligemment par plusieurs sages
clercs et autres gens de plusieurs états, pour savoir ce qui l'amenait
auprès du roi. A quoi elle répondit qu'elle venait pour le mettre en son
royaume et seigneurie, que Dieu ainsi le voulait, qu'elle lèverait le siège
de devant Orléans, qu'ensuite elle le mènerait couronner à Reims,
qu'elle voulait combattre les Anglais quelque part qu'elle les trouvât, et
qu'il convenait que le roi lui donnât toutes les forces qu'il pourrait
réunir; car de lever le siège d'Orléans, de mener sacrer le roi à Reims,
de déconfire et mettre dehors les Anglais (22), elle n'en faisait aucun doute.
Elle disait plusieurs autres grandes choses prodigieuses ; elle répondait
merveilleusement aux questions qui lui étaient faites, et au regard de la
guerre, il semblait qu'elle y fût fort expérimentée ; et plusieurs docteurs
et capitaines s'émerveillaient de son fait et des réponses qu'elle faisait
tant sur les choses divines que sur la guerre.
Afin de pourvoir aux nécessités du siège d'Orléans, le roi en son
conseil avisa que icelle Pucelle irait ravitailler la cité, et ouvrer son
possible audit siège, ainsi qu'elle le requérait chaque jour.
Le roi fit des mandements à plusieurs gens de guerre pour faire accompagner la Pucelle; parmi lesquels il manda le sire de Rais, le sire de
Loré, et plusieurs autres, qui conduisirent et menèrent Jeanne à Blois.
Là ils trouvèrent messire Regnault de Chartres, archevêque de Reims,
chancelier de France, le bâtard d'Orléans, La Hire et d'autres; et ils
firent charger plusieurs chevaux et charrettes de blé et d'autres vivres; et
avec la Pucelle les capitaines prirent leur chemin vers Orléans du côté
de la Sologne. Ils couchèrent une nuit dehors, et le lendemain ils arrivèrent
avec le convoi devant Orléans. A leur arrivée les Anglais abandonnèrent
une de leurs bastilles, celle de Saint Jean-le-Blanc, et ceux qui
l'occupaient se retirèrent aux Augustins, et se réunirent à ceux qui s'y
trouvaient, près du bout du pont.
La Pucelle, le bâtard d'Orléans et plusieurs autres capitaines entrèrent
avec tous leurs vivres dans Orléans ; les seigneurs de Loré, de Rais, et
le plus grand nombre de ceux qui les accompagnaient s'en retournèrentà Blois; on craignit de mettre tant de gens dans la ville, parce qu'il y
avait peu de vivres.
Jeanne, après qu'elle eut été examinée, avait requis du roi qu'il lui
plût d'envoyer l'un de ses armuriers à Sainte-Catherine-de-Fierbois,
quérir une épée venue de la grâce de Dieu, qui se trouvait en un endroit
de l'église, ayant pour empreinte de chaque côté cinq fleurs de lis. Ce
qui lui fut accordé, mais le roi lui demanda si elle avait jamais été audit
lieu, comment elle savait la forme de l'épée, et comment elle y avaitété apportée. Jeanne répondit qu'elle n'avait jamais été à Sainte-Catherine-de-Fierbois, mais qu'elle savait bien que cette épée s'y trouvait
entre plusieurs vieilles ferrailles, qu'elle le savait par révélation divine,
et par le moyen de cette épée elle devait chasser les ennemis du royaume
de France, et mener le roi recevoir l'onction et la couronne à Reims.
Après ces explications de Jeanne, un armurier, par ordre du roi, alla audit
lieu de Sainte-Catherine, trouva véritablement l'épée indiquée, et la
porta à Jeanne, ce qui était une bien merveilleuse chose. La Pucelle a
milité avec cette épée, et mené vaillamment la guerre contre les ennemis
du roi. Ainsi que cela vient d'être dit ; par son entreprise, et pour son
commencement, Orléans fut ravitaillé.
Les sires de Rais et de Loré de retour à Blois, où ils trouvèrent le chancelier de France, des conseils furent tenus par eux pour savoir ce qu'il
y avait à faire. Presque tous ceux de la compagnie étaient d'avis de
retourner à Orléans, pour s'y employer chacun de leur pouvoir au bien
du roi et de la ville ; et ils délibéraient à ce sujet, lorsque survint le
bâtard d'Orléans, qui requit lesdits seigneurs de faire le mieux qu'ils
pourraient pour donner aide et secours à la cité, sans quoi elle était en
voie de perdition.
Il fut aussitôt conclu de presque tous qu'on retournerait, qu'on mènerait
des vivres en quantité, et qu'on irait par le côté de la Beauce, où se
trouvaient les grandes forces des Anglais, en la grande bastille dont il a été parlé. Ils avaient fait difficulté la première fois d'y aller, quand ils étaient venus par la Sologne avec la Pucelle, quoiqu'ils fussent alors
trois fois plus de gens qu'ils ne l'étaient maintenant qu'ils allaient par la
Beauce.

a veille de l'Ascencion (23) de rechief se partirent de la ville de Bloys ledit bastard d'Orléans, lesditz sires de Raiz et de Loré, et plussieurs autres, avec grant compaignie et grant quantité de blé et bestail, et autres vivres, et vindrent au coucher presque my chemin de Blois, et le lendemain (24) prindrent leur chemin droit à Orléans. Et quand ilz furent ainssy que à une lieue de ladite ville d'Orléans, leur vindrent au devant ladite Jehanne la Pucelle, son estandart en sa main; La Hire, Messire Florent d'Illiers et plussieurs autres, et vindrent tous ensamble passer par devant la grant bastille des Angloiz, nommée Londres, avecques leurs vivres entrer en ladite ville d'Orléans. Et environ deux ou trois heures après qu'ilz furent ainssy en ladite ville d'Orléans, se partit ladite Jehanne la Pucelle d'icelle ville, armée de tous harnoiz, et plussieurs autres gens de guerre en sa compaignie, et se tirèrent vers la bastille de Saint-Loup, en laquelle avoit grant nombre d'Angloiz, et fut assaillie durement, et treffort et très-longuement se deffendirent. Et, finablement, fut prinse icelle bastille, et furent tous iceulx Angloiz mors et prins. Et se mirent en chemin ceulx de la grant bastille pour leur cuider donner secours, maiz ilz n'allèrent guairez loingtz que ilz ne s'en retournassent en leur dite bastille. Et ce fait, s'en retournèrent icelle Jehanne la Pucelle, et autres qui estoient en sa compaignie en ladite ville d'Orléans.
Et le landemain (25) fut tenu conseil pour savoir que on avoit affaire pour endonmager et grever iceulx Angloiz tenant le siège d'un costé et d'autre d'icelle ville d'Orléans, et fut tenu icellui conseil en l'ostel du chancellier d'Orléans, auquel lieu estoient le bastard d'Orléans, les sires de Raiz (26), de Grasville, La Hire, Messire Ambrois de Loré, le sire de Gaucourt et plussieurs autres.
Auquel conseil fut conclud et délibéré que on feroit certains appareilz, comme mantaulx, taudiz de bois, pour aller assaillir la grant bastille qui estoit du costé de la Beausse, affin que on fist venir les Angloiz qui estoient de l'autre costé, devers la Soloigne pour aider et secourir ceulx de ladite grant bastille et autres du costé de la Beausse, et non obstant n'estoit que une chose fainte ; car ilz n'avoient aucune intencion d'assaillir icelle bastille. Maiz estoit la conclusion d'iceluy conseil que sitost que, du costé de la Soulongne, seraient passés la rivière, laquelle ilz passeraient bien à bateaulx des ungtz aux autres , que tout à coup passeraient icelle rivière du costé de la Solongne pour aller assaillir ceulx qui seroient demourez du costé de la Solongne. Et fut chascun de ceste oppinion. Et n'estoit point icelle Jehanne à ce conseil, maiz estoit en l'ostel du chancellier d'Orléans (27) avec la femme d'icelluy chancellier.
Et fut dit, après conclusion prinse, par aucuns , que il seroit bon d'envoyer quérir Jehanne la Pucelle pour luy dire la conclusion qui avoit esté prinse pour besongner sur les ennemis le jour ensuivant. Et en yot aucuns qui dirent qu'il n'estoit point de neccessité de luy dire le passage que on avoit intencion de faire de l'autre part de la rivière, du costé de la Soloigne, pource c'om le devoit tenir segret, et en doublant que par icelle Jehanne ne fust révélé; que on ne luy dist sinon qu'il avoit esté conclud à ce conseil de assaillir et prendre la grand bastille. Et fut envoyée quérir, pour venir à ce conseil, par Messire Ambrois, sire de Loré. Et quant elle fut venue, on luy dist et récita le conseil qui avoit esté tenu au regard de essaier à prendre ladite grant bastille, en laquelle estoit le sire de Sufford, le sire de Tallebot, le sire de Scalles, Messire Jehan Fastol et plussieurs autres en grant compaignie. Et ne luy dist on pas l'intencion que on avoit de passer à l'autre costé devers la Soloigne, comme dessus est dit, lesquelles parolles furent dictes par le chancellier d'Orléans. Et après ce qu'elle oult ouy et entendu ledit chancellier, respondit telles parolles ou semblables comme personne couroucée : « Dictez (28) ce que vous avez conclud et appointé ; je sèleroye (29) bien plus grant chose que ceste cy » ; et alloit et venoit par la place sans soy seoir. Et tantost le bastard d'Orléans luy dist telles parolles ou semblables en substance : « Jehanne, ne vous couroucez pas, on ne vous peult pas tout dire à une foiz ; ce que le chancellier vous a dit est ce qui a esté conclud et appoincté. Mais se ceulx de l'autre costé de la rivière de la Solongne se désemparent pour venir aider à la grant bastille et à ceux de par deçà, nous avons appoincté de passer de là la rivière de l'autre costé pour besongner ce que nous pourrons sur ceulx de par delà, et nous semble que ceste conclusion est bonne et prouffitable. » Et lors respondit Jehanne la Pucelle qu'elle estoit contente et qu'il luy sembloit que celle conclusion estoit bonne, maiz qu'elle fust ainssy exécutée.
Et touteffoiz de celle conclusion ne fut riens fait ne exécuté, et bien souvent estoient ledit bastard et autres cappitaines ensamble pour conseiller ce qui estoit à faire. Et quelque conclusion qu'ilz prinssent, quant icelle Jehanne la Pucelle venoit, elle concluoit aucune autre chose ou contraire et contre l'oppinion de tous les cappitaines, chiefs de guerre et autres qui là estoient. Et faisoit souvent de telles entreprinses sur les ennemis, dont tousjours bien lui prenoit, et n'y fut fait guaires de chose de quoy il faille parler que ce ne fust à l'entreprinse d'icelle Jehanne la Pucelle. Et combien que cappitaine et autres gens de guerre exécutassent ce quelle disoit, ladite Jehanne alloit tousjours à l'escarmouche armée de son harnois, combien que ce fust contre la voulenté et oppinion de la plus grant part d'iceulx gens de guerre, et montoit sur son courssier toute armée aussy tost que chevallier qui fust en la cour du roy ; de quoy les gens de guerre estoient couroucez et moult esbahiz.

Ce plan arrêté, la veille de l'Ascension, partirent de nouveau de
Blois, le bâtard d'Orléans, les sires de Rais et de Loré, et plusieurs
autres, en grande compagnie et avec grande quantité de blés, de bétail et
de vivres, et ils vinrent coucher presque à mi-chemin, entre Blois et
Orléans. Le lendemain au matin, à presque une demi-lieue d'Orléans,
vinrent à leur rencontre Jeanne la Pucelle, son étendard en mains,
La Hire, messire Florent d'Illiers et plusieurs autres capitaines. Tous
ensemble vinrent passer devant la grande bastille nommée Londres (30),
et ils entrèrent ainsi dans la ville.
Environ deux ou trois heures après leur entrée, Jeanne la Pucelle, suivie
de plusieurs gens de guerre, sortit de la ville, armée de harnois
toutes pièces; et se dirigea vers la bastille Saint-Loup, où il y avait
grand nombre d'Anglais. La bastille fut assaillie durement et très fort, et
longuement défendue par les Anglais; mais finalement elle fut prise
d'assaut, à la vue des Anglais de la grande bastille, et tous les Anglais de
Saint-Loup furent tués ou pris. Ceux de la grande bastille s'étaient mis
en chemin dans la pensée de leur porter secours; mais ils n'allèrent
guère loin sans revenir sur leurs pas. Les Français, après ce fait,
rentrèrent dans la ville.
Le lendemain fut tenu conseil sur ce qu'il y avait à faire pour grever
de nouveau les assiégeants. Le conseil se tint en l'hôtel du chancelier
d'Orléans ; y assistaient le bâtard d'Orléans, La Hire, les sires de Loré et
de Gaucourt, et d'autres chefs de guerre.
L'on délibéra et l'on conclut que
l'on ferait certains appareils de guerre, comme manteaux de bois, et
autres taudis pour aller assaillir la grande bastille du côté de la Beauce,
dans le but de faire accourir au secours ceux qui étaient du côté de la
rivière. C'était une attaque simulée ; on n'avait pas l'intention d'assaillir
la grande bastille ; mais sitôt que pour venir en aide à ceux de la Beauce
les Anglais de la Sologne auraient passé la rivière, les Français, au moyen
des bateaux par lesquels ils communiquaient facilement, devaient assaillir ceux qui seraient restés à la garde, du côté de la Sologne.
Chacun adopta le plan.
La Pucelle n'était point au conseil; mais elle était dans l'hôtel même
avec la femme du chancelier.
La conclusion prise, il fut dit qu'il serait
bon d'envoyer quérir la Pucelle pour lui faire part de ce qui avait été
arrêté. Quelques-uns observèrent qu'il n'y avait pas nécessité de lui
parler du passage que l'on avait intention d'opérer du côté de la Sologne,
parce qu'on devait tenir secrète cette partie du plan; qu'il y avait à
craindre qu'elle ne le révélât, et qu'il suffirait de lui dire qu'on avait
conclu qu'il fallait essayer d'assaillir et de prendre la grande bastille. On l'envoya quérir par messire Ambroise de Loré; et quand elle fut
venue on lui dit que la décision avait été d'essayer de prendre la grande
bastille, où étaient le comte de Suffolk, le sire de Talbot, le sire de
Scalles, messire Jean Fastolf et plusieurs autres, avec de grandes
forces, sans lui parler de l'intention où l'on était de passer devers la
Sologne, ainsi qu'il a été dit. Cet exposé fut fait par le chancelier d'Orléans.
Lorsque Jeanne l'eut entendu, elle répondit à peu près en ces
termes, en personne courroucée : « Dites ce que vous avez conclu, je célerai
bien plus grand secret que celui-là » ; et elle allait et venait dans l'appartement
sans s'asseoir; et aussitôt le bâtard d'Orléans lui dit en substance
les paroles suivantes : « Jeanne, ne vous courroucez point, l'on ne
peut pas tout dire et déclarer à une fois ; ce que le chancelier vous a dit
a été conclu et appointé; mais si ceux de l'autre côté de la rivière, en
la Sologne, viennent à désemparer pour venir porter aide et secours à
ceux de la grande bastille, et aux autres de par deçà, nous avons appointé
de passer de l'autre côté pour besogner sur ceux qui y demeureront
et faire ce qui sera possible ; et il nous semble que cette conclusion
est bonne et profitable ». Jeanne la Pucelle répondit alors qu'elle étaient bien contente, que cela lui semblait être bien avisé ; mais que
cela fût exécuté ainsi qu'il avait été conclu. Et toutefois de cette conclusion,
rien ne fut exécuté.
Bien souvent ledit Bâtard et les autres seigneurs s'abouchaient pour
aviser à ce qu'il y avait à faire ; et quelque conclusion qu'ils prissent, quand
Jeanne la Pucelle arrivait, elle concluait tout à l'opposé et toute autre
chose à faire, et quasi contre toutes les opinions des chefs de guerre qui se
trouvaient réunis; de quoi toujours lui en prenait bien. Il ne se fit pas chose dont il faille parler que ce ne fut sur l'entreprise de Jeanne la Pucelle. Encore que les capitaines et gens de guerre exécutassent ce
qu'elle disait, Jeanne allait cependant toujours armée de son harnais
complet, quoique que ce fut contre la volonté et l'opinion des mêmes gens de guerre. Elle montait sur son coursier tout armée aussi prestement que chevalier qui fût en la cour du roi ; ce dont les gens de guerre étaient ébahis et courroucés.

l advint ung jour, après plusieurs grans escarmouches et prinses de plussieurs bastilles dudit siège, icelle Jehanne la Pucelle voulut passer la rivière de Loire à puissance devers la Soloigne pour besongner sur les Angloiz qui tenoient le siège au bout du pont d'Orléans. Lesquelz estoient logez aux Augustins et en boullevart et bastille du bout du pont, et à bateaux fist passer grand nombre de gens et presque tous les cappitaines dessus nommez, et iceulx dessenduz à terre vindrent au bout d'icellui pont où estoient logez environ de sept à huit cens Angloiz, lesquels ne saillirent aucunement dehors pour faire aucune escarmouche jucques à ce que icelle Jehanne la Pucelle, les cappitaines et autres gens se vouldrent retirer pource que il estoit presque soleil couchant.
Et pour ce que iceulx Angloiz virent que on remontoit les bateaulx pour repasser la rivière, saillirent de l'ostel des Augustins et du bout du pont, et vindrent treffort charger sur les François, tant que icelle Jehanne la Pucelle et les cappitaines qui là estoient furent contrains d'eulx deffendre et vindrent charger sur iceulx Angloiz. Lesquelz estoient eslongnés de leurs forteresses bien environ le trait de trois erbalestes, et tellement qu'il en y ot plussieurs mors et prins et furent reboutez par les François en l'ostel des Augustins, lequel ils avoient fortiffié. Et d'icelle heure fut prins d'assault sur iceulx Angloiz, et se retraire du tout en boullevert et en la bastille du bout du pont, devant lesquelz boulleverts et bastille demourèrent toute la nuyt ladite Jeanne la Pucelle , le bastard d'Orléans, le sire de Raiz, le sire de Loré et plussieurs autres cappitaines, et le landemain au matin commença l'assault au boullevert dudit pont. Auquel boullevert et en la bastille estoient deux barons d'Angleterre, l'un nommé le sire de Moulins, et l'autre le sire de Bunnis ou Pounis, et ung escuier bien renommé de vaillance, nommé Guillaume Gassidal, lequel on disoit qu'il estoit gouverneur et conduiseur de tout icellui siège.
Et estoient en iceulz boullevert et bastille environ de cinq à six cens Angloiz, lesquelz furent tout icelluy jour assailliz, les estandars tousjours sur le bort du fossé, et plussieurs foys aucuns estandars et gens de guerre dessendoient et montoient contre iceulx Angloiz à combatte main à main, et puis estoient reboutez par iceulx Angloiz en fossé, et tousjours disoit icelle Jehanne la Pucelle que chascun eust bon cœur et bonne espérance en Dieu, que l'eure s'aprouchoit que iceulz Angloiz seroient prins. Et icelle ung pou après midi navrée d'un vireton en icellui assault parmy l'espaulle, et ce non obstant oncques ne se voult retirer ne bouter hors dessus le bort d'icellui fossé. Et environ soleil couchant tout en ung moment entrèrent lesditz François ès fossez de toutes pars, et montèrent à mont en boullevert et le prindrent d'assault. Et furent mors lesditz sires de Moulins et Bommis, ledit Guillaume Glassidal et plussieurs autres, jucques au nombre de quatre cens ou environ et les autres prisonniers. Et celle nuyt logèrent ladite Jehanne la Pucelle et les cappitaines dessus nommez avec leurs gens d'icelui costé de la Soloigne, car ilz ne povoient pas retourner en ladite ville d'Orléans sinon par bateaulx, pour ce que les pontz estoient rompuz.

Or il advint qu'un jour, après plusieurs escarmouches et la prise de
plusieurs bastilles, Jeanne la Pucelle voulut passer la Loire à puissance,
du côté de la Sologne, pour en venir aux mains avec les Anglais qui
tenaient le siège au bout du pont, et qui étaient logés aux Augustins et
au boulevard et à la bastille au bout du même pont. Elle fit passer en bateau un grand nombre d'hommes d'armes, parmi
lesquels presque tous les capitaines ci-dessus nommés. Descendus à terre
ils virent, vers le bout du pont, de sept à huit cents Anglais, lesquels
ne saillirent aucunement pour faire des escarmouches, jusqu'à ce que
les Français voulurent se retirer, parce qu'il était presque soleil couchant.
Les Anglais, les voyant remonter sur les bateaux pour passer la rivière,
sortirent des Augustins et du bout du pont, et vinrent charger très fort
les Français, si bien que la Pucelle et les capitaines qui se trouvaient
autour d'elle furent contraints de se défendre et revinrent sur les Anglais
qui étaient éloignés de leurs bastilles d'environ deux traits d'arc. Ils les
repoussèrent si fortement, qu'ils en tuèrent et en prirent plusieurs, et
que le couvent des Augustins, que les Anglais avaient fortifié, fut emporté
d'assaut, et que les Anglais se réfugièrent ès boulevard et bastilles du
bout du pont, devant lesquels demeura toute la nuit Jeanne la Pucelle,
avec les sires de Loré et de Rais, le bâtard d'Orléans et plusieurs autres
capitaines. Le lendemain commença au matin l'assaut contre le boulevard du pont.
Dans la bastille se trouvaient deux barons d'Angleterre, nommé l'un le
sire de Molins, l'autre le sire de Pomins, et un écuyer bien renommé
pour sa vaillance, nommé Guillaume Glacidas, qu'on disait tout conduire
et tout gouverner au fait du siège.
Le boulevard et la bastille renfermaient
environ de cinq à six cents Anglais, qui durant le jour tout entier eurent à tenir tête à l'assaut qui leur était donné. Les étendards flottaient toujours
sur les bords du fossé; plusieurs fois des gens de guerre avec leurs
bannières descendaient dans le fossé, montaient jusqu'aux Anglais,
combattaient main à main, et étaient ensuite rejetés au fossé par les
Anglais.
Jeanne disait toujours que chacun devait avoir bon coeur et bonne
espérance en Dieu, et que l'heure approchait où les Anglais seraient
pris. En cet assaut, Jeanne, un peu après midi, fut blessée à l'épaule
d'un coup de vireton, et, ce nonobstant, elle ne voulut jamais se retirer
ni s'éloigner des bords du fossé. Environ le soleil couchant, tout en un
instant, les Français entrèrent de toutes parts dans le fossé, grimpèrent
le long des parois du boulevard et le prirent d'assaut. Trouvèrent la mort
les seigneurs de Molins, de Pomins, Glacidas et plusieurs autres, jusques
au nombre de quatre cents environ; le reste fut fait prisonnier. Cette
nuit logèrent du côté de la Sologne la Pucelle et les autres seigneurs
déjà mentionnés, ainsi que leurs gens, parce que, les ponts étant rompus.
L'on ne pouvait rentrer dans la ville qu'en bateau.

elle prinse ainssy faicte desditz boullevers et bastille, toutes les cloches de ladite ville se prindrent à sonner et les habitans d'icelle à louer et mercier Dieu. Laquelle prinse povoient bien veoir les Angloiz estans de l'autre costé de la rivière devers la Beausse, en une bastille nommée Saint-Laurens. Pourquoy le sire de Tallebot, le conte de Sufford, le sire d'Escalles, Messire Jehan Fastol et plussieurs autres, lesquelz estoient en la grant bastille nommée Londres, dont dessus est faicte mencion, furent conseillez de désemparer, avecquez eulx toute leur compaignie, et de désemparer icelluy siège. Et se partirent le dimenche (31) de quoy lesditz boullevers et bastille avoient esté prins le samedi au soir. Et deslogèrent d'icelle bastille en très grant désaroy, et tant que bien pou de gens qui saillirent de la ville leur firent laisser la plus grant partie de leur charroy, artillerie et autres biens. Et touteffoyz il n'estoit pas possible que l'autre compaignie qui estoit de l'autre costé peussent passer sitost qu'ilz peussent aucune chose besongner sur iceulx Angloiz. Lesquelz estoient quatre mille combatans ou environ. Et s'assemblèrent ensemble et s'en allèrent en ordonnance à Meun sur Loire, qui appartenoit à iceulx Angloiz. Et furent chevauchez et escarmuchez deux ou trois lieues par Estienne de Vignolle, dit La Hire, et Messire Ambrois, sire de Loré, avec cent ou six vingtz lances. Lesquelz estoient repassez en ladite ville, après la prinse desditz boullevers et bastille, dès le soir de ladite prinse.
Et estoit prisonnier des Angloiz en ladite grant bastille ung cappitaine françois nommé le bourg (32) de Bar, lequel estoit enferré par les piez d'une père de fers si pesans qu'il ne povoit aller. Et luy estant en prison estoit souvent revisité par ung Augustin angloiz qui estoit confesseur audit sire de Tallebot, maistre dudit prisonnier. Lequel Augustin avoit acoustumé lui livrer et administrer vivres pour sa substance. Duquel prisonnier le dit sire de Tallebot s'atendoit fort audit Augustin de le bien garder comme son prisonnier. Et quant ledit sire de Tallebotet autres se partirent hastivement de la bastille comme dit est, icellui Augustin se demoura avecques ledit prisonnier pour le cuider mener après ledit sire de Tallebot son maistre. Et le mena icellui Augustin bien demy trait d'arc par dessoubz le bras après ledit sire de Tallebot et autres Angloiz qui tousjours tiroient leur chemin. Et lequel bourgc du Bar, comme courageux et bien advisé, non obstant qu'il fust prisonnier et enferré, voyant que iceulx Angloiz estoient en grant désaroy, print ledit Augustin et luy dist qu'il n'yroit plus avant, mais contraigny icelluy Augustin ainssy féré qu'il estoit de le porter sur ses espaulles jucques en la ville d'Orléans, combien que partout là entour estoient François et Angloiz qui escarmouchoient les ungtz après les autres. Mais néantmoins à la veue de tous tant d'Angloiz comme François se fist ainssy porter comme dit est.
Le boulevard et la bastille emportés, toutes les cloches de la ville se mirent à sonner,
et les habitants à louer et remercier Dieu.
Les Anglais qui étaient en une bastille appelée Saint-Laurent, du côté
de la Beauce, pouvaient bien voir la prise de celle du pont. Ceux qui étaient en la grande bastille nommée Londres (33), le sire de Talbot, le comte de Suffolk, les sires de Scales, Fastolf, et plusieurs autres, prirent
par suite de cette défaite le conseil de se retirer et de lever le siège. Ils partirent, eux et leurs troupes, le dimanche au matin, lendemain du jour où avaient été pris les boulevard et bastille du pont, conquis
le samedi soir. Ils délogèrent en très grand désarroi, si bien qu'une
poignée de gens qui saillirent de la ville leur firent laisser la plus grande
partie de leurs charrois, de leur artillerie, et d'autres biens encore.
Cependant la partie des vainqueurs qui étaient du côté de la Sologne ne
pouvait pas passer la rivière assez promptement pour inquiéter les
Anglais, forts de quatre mille combattants ou environ. Ces derniers se
réunirent et s'en allèrent à Meung-sur-Loire, qui était en leur pouvoir. Ils furent chevauchés et escarmouches durant deux ou trois lieues par
Etienne de Vignoles, dit La Hire, et par messire de Loré avec cent ou
six-vingts lances composées d'hommes qui étaient repassés dans la ville
le soir après la dernière victoire...

nviron ce temps, le sire de Tallebot, Angloiz, print d'eschielle la ville de Laval en pays du Maine, et y gaigna plussieurs grans finances et en chastel dudit lieu Messire Andrieu de Laval, seigneur de Lohéac, lequel fist composition pour luy et autres dudit chastel à vingt-cinq mille escuz d'or, et demoura prisonnier jucques à ce que ot payé ou baillé plege de ladite somme.

n icelluy mesme an fut mis à finance (34) le duc d'Alençon par le duc de Betheford, Angloiz, auquel il estoit prisonnier de la prinse de la bataille de Vernoil, dont dessus est faicte mencion. De laquelle finance il paya partie comptant en la ville de Rouen, où il estoit prisonnier, et de l'autre partie bailla ostages, et fut délivré et s'en ala devers le roy de France. Et combien que sa-dite finance ne montast que six vingtz mille (35) saluz, sy luy cousta il devant qu'il peust estre délivré deux cens mille escuz; Iesquelz il paia, et acquicta bien loyaument ses pleiges.

n ce mesme temps ensuivant que icellui duc d'Alençon eust acquicté ses obtages, le roy Charles de France, dont dessus est faicte mention, fist une grant armée par le moien et amonnestement de Jehanne la Pucelle, de laquelle est dessus parlé. Et manda ledit duc d'Alençon de toutes pars pour venir au service du roy, plus pour accompaigner icelle Jehanne la Pucelle que autrement. En espérance qu'elle venoit de par Dieu, plus que pour gaiges ne autre prouffit qu'ilz eussent du roy, s'asemblèrent grant compaignie de gens d'armes et d'archiers avec icellui duc d'Alençon et ladite Jehanne la Pucelle, à laquelle toutes gens d'armes avoient grant espérance : le bastard d'Orléans, le sire de Boussac, mareschal de France, le sire de Grasville, maistre des erbalestiers, le sire de Culent, admiral de France, Messire Ambrois, sire de Loré, Estienne de Vignolle dit La Hire, Gaultier de Bussac et plussieurs autres cappitaines. Lesquelz duc d'Alençon et autres dessus nommez allèrent devant la ville de Guergeau, et là se mirent à siège, et après plussieurs escarmouches firent asseoir leurs bombardes et faire plussieurs aprochemens pour gaigner et conquester icelle ville de Gergeau, laquelle tenoit le party des Angloiz, et en estoit cappitaine et garde pour le roy d'Angleterre le conte de Sufford, Anglois, et avoit en sa compaignie de six à sept cens Angloiz.
Et environ huit jours après le siège mis, fut assaillye de toutes pars et finablement fut prinse d'assault. En laquelle fut prisonnier ledit conte de Sufford, par ung escuier nommé Guillaume Regnault; lequel conte fist chevallier icellui Guillaume Regnault. Et y fut prins aussi le sire de la Poulle, son frère (36). Et y fut mort Messire Alexandre de la Poulle, son autre frère, et bien trois ou quatre cens Angloiz, et les autres prisonniers. Lesquelz prisonniers furent les plus (37) tués, sur aucuns débatz d'aucuns François, entre Gergeau et Orléans. Et se tira ladite armée audit lieu d'Orléans. Ce venu à la congnoessance du roy que ladite ville de Gergeau avoit ainssy esté prinse d'assault comme dit est, manda gens d'armes de toutes pars pour venir et soy joindre avecquez ledit duc d'Alençon, Jehanne la Pucelle et autres seigneurs et cappitaines dudit lieu d'Orléans. Et s'en vindrent logier ès champs devant la ville de Meun, sur la rivière de Loire, et gaignèrent le pont près dudit lieu sur les Angloiz. Et ce fait, y establirent garnison pour tousjours obvier aux entreprises desditz Angloiz, et pour les surmonter en conquestant sur eulx ce que injustement avoient occupé sur le royaulme de France, de longtemps et sans raison.

Le duc d'Alençon, qui avait été pris à la journée de Verneuil, venait, en acquittant sa rançon, de délivrer ses otages et ses répondants. Le
roi Charles, sur les instances de la Pucelle, leva une grande armée, et le
duc d'Alençon manda de toutes parts des gens au service du roi, plus
pour les mettre à la suite de Jeanne la Pucelle que pour tout autre
motif ; dans l'espérance qu'elle était divinement envoyée, beaucoup plus
que pour la paye et profits à attendre du roi. Grande compagnie de gens
d'armes et d'archers vinrent pareillement joindre le duc d'Alençon et la
Pucelle, dans laquelle on mettait grande espérance. On y voyait réunis
le bâtard d'Orléans, le sire de Boussac, maréchal de France, de Culan, amiral de France, messire Ambroise de Loré, La Hire, Gaultier de
Boussac. Tous allèrent ensemble devant Jargeau, et y mirent le siège;
et après plusieurs grands engagements ils firent dresser les bombardes,
confectionner plusieurs machines d'approche, afin de conquérir cette
ville, occupée par les Anglais. Le comte de Suffolk, qui avait en sa
compagnie de six à sept cents Anglais, y commandait pour le roi
d'Angleterre.
Après environ huit jours de siège (38), la ville fut assaillie de
toutes parts et finalement emportée d'assaut. Le comte de Suffolk fut
fait prisonnier par un écuyer nommé Guillaume Regnault, que ledit
comte fit chevalier; fut pris comme lui son frère
le sire de La Poule; son autre frère Alexandre de La Poule fut tué avec
d'autres Anglais au nombre de trois à quatre cents ; les autres furent
faits prisonniers ; la plupart de ces derniers furent tués par suite de
débats survenus parmi les Français entre Jargeau et Orléans. L'armée
rentra dans cette ville. Le roi de France ayant eu connaissance de la prise de Jargeau manda
de toutes parts des gens d'armes pour qu'ils s'adjoignissent au duc
d'Alençon, à la Pucelle, et aux autres chefs de guerre.
Bientôt après le duc d'Alençon et ceux qui étaient à sa suite partirent
d'Orléans et se mirent aux champs devant la ville de Meung-sur-Loire ;
ils gagnèrent sur les Anglais le pont qui est près de la ville, y établirent
une garnison pour résistera leurs entreprises et les abattre, en continuant à conquérir sur eux ce que depuis longtemps ils occupaient sans raison
au royaume de France.

e landemain au matin se desloga icellui ost et s'en alla logier devant la ville de Baugency sur Loire, en laquelle estoient les Angloiz. Et tantost se retirèrent iceulx Angloiz au chastel et sur le pont d'icellui Baugency, et ha-bandonnèrent la ville. Et cecy fait, le duc d'Alençon, Jehanne la Pucelle, le bastard d'Orléans et autres, entrèrent dedans icelle ville et y logèrent, et firent promptement assortir leurs bombardes devant ledit chastel, ouquel avoit bien de sept à huit cens Angloiz. Et durant le temps que on assortissoit lesdites bombardes et canons, les Lombars estans en la compaignie faisoient grant devoir de tirer. Pendant ce aussy que on approuchoit de toutes pars, lesditz Angloiz ne faisoient que bien pou de résistence, eulx voyans aller la besongne à déclin et à mal pour eulx. Et tantost après requirent à avoir composicion et eulx rendre.
Auquel siège ariva Artus, conte de Richemont, connestable de France, et le sire de Beaumanoir en sa compaignie. Et disoit on que ilz estaient bien de dix à douze cens combatans, qui estoit grant secours et aide, et en est ledit connestable bien à reconmander, car icy et en plussieurs autres lieux a fait de grans services au roy. Outre plus, venoient chacun jour en l'ost gens de toutes pars, et avoient prins les François en eulx moult grant couraige et har-dement pour la venue de ladite Jehanne la Pucelle, laquelle tenoient plussieurs estre venue de par Dieu, car ses œuvres et gouvernement le démonstroient assez. Et les Angloiz, qui de ce oyoient parler chacun jour, estoient moult espovantez et apovriz. Et requisdrent iceulx Angloiz de parlementer pour rendre iceulx chasteau et pont. Et finablement leur fut donnée composicion, et saufconduit de eulx aller et de emporter tous leurs biens. Et le landemain au matin s'en partirent et rendirent lesditz chasteau et pont de Baugency, et les convoya et mist hors de l'ost Messire Ambrois, sire de Loré, par l'ordonnance des seigneurs dessusditz.

Le lendemain matin, l'armée se remit en marche, et vint camper
devant Baugency-sur-Loire occupé par les Anglais. Les Anglais se
retirèrent aussitôt au château qui est à l'entrée du pont, et abandonnèrent
la ville dont s'emparèrent le duc d'Alençon, Jeanne la Pucelle, le bâtard
d'Orléans et les autres ci-dessus nommés. Ils s'y logèrent, et incontinent
ils firent dresser leurs bombardes contre ledit château, où étaient
renfermés de sept à huit cents Anglais.
Pendant qu'on assortissait les bombardes et les canons, les Lombards
qui étaient dans l'armée se faisaient un grand devoir de tirer contre le
château; les Anglais, à mesure qu'on les entourait de toutes parts, ne
faisaient que peu de résistance, voyant bien que leurs affaires allaient en
déclin. Presque aussitôt après ils demandèrent à entrer en composition
et à se rendre.
A ce siège arriva Arthur, connétable de France et comte de Richemont:
le seigneur de Beaumanoir était en sa compagnie ; on disait qu'ils amenaient de mille à douze cents combattants, ce qui était un grand secours.
En outre, chaque jour l'armée grossissait de gens accourus de tous côtés,
pleins de courage et de hardiesse, à cause de la présence de Jeanne la
Pucelle que plusieurs tenaient être venue du ciel, comme ses œuvres et
son gouvernement le montraient assez. Les Anglais, au contraire, étaient fort épouvantés d'en entendre parler;
ils demandaient à parlementer pour la reddition du pont et du château.
Finalement on leur accorda permission de se retirer et d'emporter leurs
biens; ils partirent le lendemain au matin en rendant le pont et le château
de Baugency; par ordonnance des seigneurs, messire Ambroise de Loré
présida à leur départ et à leur sortie.

t environ une heure après que iceulx Angloiz se furent partiz à saufconduit pour eulx en aller, vint certaines nouvelles en l'ost des François que le sire de Tallebot, Anglois, le sire de Scalles, Messire Jehan Fastol et plussieurs autres seigneurs et cappitaines d'Angleterre, jucques au nombre de quatre à cinq mille, estoient passez par Yemville en Beausse, pour venir droit à Meun sur Loire. Et tantost furent mis chevaucheurs en chemin pour savoir de ce la vérité plus applain, et toujours faisoient tirer ledit duc d'Alençon, le conte de Richemont, connestable de France, le conte de Vandosme (39), et ladite Jehanne la Pucelle, ledit ost aux champs hors de ladite ville de Baugency et mettre en bataille. Et tantost après revindrent iceulx chevaucheurs; lesquelz raportèrent que ilz avoient veuz iceulx Angloiz près de Meun sur Loire, et que ceulx de ladite ville de Meun s'en estoient partiz, et avoient laissé et habandonné icelle ville de Meun, et s'en alloient avecquez les autres. Lesquelz Angloiz tiroient droit à Yemville en Beausse.
Et ce venu à la congnoessance du duc d'Alençon, le conte de Richemont, connestable de France, le conte de Vandosme, le bastard d'Orléans, Jehanne la Pucelle et autres chiefz de guerre et cappitaines, fut conclud retirer hastivement celle part où que on disoit que iceulx Angloiz estoient, et les combatre quelque part qu'ilz les peussent trouver. Et tantost desplacèrent les batailles et chevauchèrent dilliganment en tirant vers une église forte nommée Patay en Beausse, et là furent trouvez et aconçuz (40) iceulx Angloiz qui s'en alloient à pié et à cheval, et en marchant tousjours leur chemin furent trouvés par les coureurs et avangarde des François. Et tant que en la bataille où estoient lesditz sire d'Alençon, le connestable de France, le conte de Vandosme, le bastard d'Orléans, Jehanne la Pucelle et autres, aprochoient très fort et là povoient bien veoir les Angloiz. Lesquelz Angloiz se desmarchèrent pour prendre place en l'orée d'un bois emprès un village, et à celle heure lesditz coureurs et avant-garde des François, en laquelle estoient le sire de Beaumanoir, Messire Ambrois de Loré, la Hire, Poston de Sentrailles et autres cappitaines, férirent sur iceulx Angloiz en telle manière que iceulx qui estoient à cheval, ou la plus grant partie d'iceulx, se prindrent à fuir. Et ceulx à pié, lesquelz estoient en grant nombre, se boutèrent dedens icellui bois et village.
Et à icelle heure ariva la bataille des François, et finablement furent iceux Angloiz desconfitz. Et y en eult environ de deux à trois mille de mors, et de prisonniers grant nombre. Et y furent prins le sire de Tallebot, le sire de Scalles, Messire Gaultier de Hongrefort et plussieurs autres grans seigneurs d'Angleterre. Et dura la chasse jucques à Yemville en Beausse. Laquelle ville de Yenville estoit tenue par lesdits Angloiz, et fut d'icelle heure rendue et mise en l'obéissance du roy de France, avecques plussieurs autres forteresses dudit pays de Beauce. Et se retournèrent Messire Jehan Fastol et plussieurs Angloiz qui peurent eschapper de la besongne à Corbeil. Et les François dessus ditz couchèrent la nuyt ensuivante audit lieu de Patay (41).

Environ une heure après que les Anglais étaient partis munis de saufsconduits, se répandirent dans l'armée des bruits que le sire de Talbot,
le sire de Scalles, messire Jean Fastolf, plusieurs autres seigneurs et
capitaines, à la tête de quatre à cinq mille combattants, étaient passés par
Janville-en-Beauce, venant droit à Meung-sur-Loire. Incontinent des
chevaucheurs furent mis aux champs pour en savoir la vérité. En
attendant, le duc d'Alençon, le comte de Richemont, connétable de France,
le comte de Vendôme et Jeanne la Pucelle faisaient déployer leur armée
dans les campagnes de Baugency, et la mettaient en ordre de bataille.
Les chevaucheurs ne tardèrent pas à revenir; ils rapportaient avoir
réellement vu les Anglais près de Meung-sur-Loire. Ceux qui occupaient
Meung étaient partis, avaient abandonné la ville, s'étaient joints aux
autres, et tous se dirigeaient vers Janville-en-Beauce.
Ceci venu à la connaissance du duc d'Alençon, du Connétable, du
comte de Vendôme, du bâtard d'Orléans, de Jeanne la Pucelle et des
autres seigneurs et capitaines, il fut convenu qu'on marcherait en toute
hâte vers le lieu où l'on disait qu'étaient les Anglais, et qu'on les combattrait
en quelque lieu qu'ils fussent rencontrés. Aussitôt ils se mirent
en marche et chevauchèrent diligemment, droit vers une église fortifiée,
nommée Patay-en-Beauce. Là arrivèrent les Anglais, les uns à pied, les
autres à cheval; ils marchaient toujours leur chemin, quand ils furent
aperçus par les coureurs et par l'avant-garde française. Le gros de
l'armée elle-même, où se trouvaient le duc d'Alençon, le Connétable, le
comte de Vendôme, le bâtard d'Orléans, Jeanne la Pucelle, approcha
de très près, au point d'avoir les Anglais en vue. Les Anglais arrêtèrent
leur marche pour prendre place sur la lisière d'un bois, près d'un village.
A ce moment même, les coureurs et l'avant-garde des Français fondirent
sur eux avec tant d'impétuosité que ceux qui étaient à cheval, la plupart
du moins, prirent la fuite; et ceux qui étaient à pied — ils étaient en
grand nombre — se jetèrent dans le bois et dans le village. En ce moment
arriva l'armée française elle-même. Finalement il y eut de deux à trois
mille Anglais morts, et beaucoup de prisonniers, parmi lesquels le sire
de Talbot, le sire de Scales, messire Gauttier de Hungerfort, et plusieurs
grands seigneurs anglais. La chasse (42) dura jusqu'à Janville. Cette ville était alors au pouvoir des Anglais ; elle fut rendue à l'obéissance du roi
ainsi que plusieurs autres forteresses du pays de Beauce.
Messire Jean Fastolf et plusieurs autres qui purent échapper de la
bataille se retirèrent à Corbeil ; et les Français couchèrent audit lieu
de Patay.

' an mil quatre-cent-vingt-neuf, au commencement du moys de juing, le roy Charles de France fist une grant armée, par l'amonnestement de ladite Jehanne la Pucelle, laquelle disoit que c'estoit la voulenté de Dieu que le roy Charles allât à Rains pour illec estre sacré et couronné. Et quelques difficultés ou doubtes que feist ledit roy ou son conseil, il fut conclud, par l'amonnestement de ladite Jehanne, que ledit roy manderoit ce qu'il pourroit finer de gens pour aller à prendre le voiage de son couronnement à Rains, combien que icelle ville de Rains fust tenue en l'obéissance des Angloiz et toutes les villes de Picardie, de Champaigne, l'Isle de France, Brye, Gastinois, l'Auxerrois, Bourgoungne, et généralement tout le pays d'entre la rivière de la Loire et la mer. Lequel roy de France fist son assemblée à Gien sur Loire, et avoit en sa compaignie le duc d'Alençon, le duc de Bourbon (43), le conte de Vendosme, Jehanne la Pucelle, le sire de Laval, le sire de La Trimoulle (44), le sire de Raiz, le sire d'Albreth, le sire de Lohéac, frère du sire de Laval, et plussieurs autres grans seigneurs et grans cappitaines.
Et venoient gens d'armes de toutes pars au service du roy, et avoient chacun grant attente que par le moien d'icelle Jehanne la Pucelle en eust beaucoup de biens au royaulme de France. Laquelle on convoitoit fort voir et disiroit-on à cognoestre ses faitz comme chose congnue de par Dieu (45), et chevauchoit tousjours armée et en habillement de guerre, ainssy qu'estoient les autres gens de guerre de la compaignie. Et parloit aussy preudanment de la guerre comme ung cappitaine eust sceu faire. Et quant le cas advenoit qu'il avoit en ost aucun cry ou effray d'armes, elle venoit, fust à pié ou à cheval, aussy vaillanment comme cappitaine de la compaignie eust sçeu faire, en donnant cuer et hardement à tous les autres et en les admonestant de faire bon guet et garde en l'ost, ainssy que par raison doit faire. Et en toutes les autres choses estoit bien simple personne, et estoit de belle vie et honneste, et se confessoit bien souvent, et recevoit le corps Nostre-Seigneur presque toutes les sepmaines. Estoit tousjours armée ou autrement en habit d'omme. Et disoit on que c'estoit trop estrange chose de veoir chevaucher une femme en telle compaignie, et tant d'autres raisons disoit on qu'il n'y avoit clerc ne autre qui de son fait ne fust esmerveillé.
Et pour celle heure estoit le sire de la Trimoulle avec le roy de France, et disoit-on qu'il avoit fort bien entreprins le gouvernement du royaulme de France. Et pour celle cause grant question eurent icellui sire de la Trimoulle et le conte de Richemont, connestable de France. Pourquoy il faillut que ledit connestable, qui avoit bien en sa compaignie douze cens combatans, s'en retournast. Et aussi (46) firent plussieurs autres seigneurs et cappitaines, desquelz ledit sire de la Trimoulle se doubtoit (47), dont se fut très grant dommage pour le roy et son royaulme. Car par le moien d'icelle Jehanne la Pucelle venoient tant de gens de toutes pars devers le roy pour le servir à leurs despens, que on disoit que icellui de la Trimoulle et autres du conseil du roy estoient bien courroucez que tant y en venoit que pour la doubte de leurs personnes. Et disoient plussieurs que ledit sire de la Trimoulle et autres du conseil du roy eussent voulu recuillir tous ceulx qui venoient au service du roy qu'ilz eussent peu légièrement recouvrer tout ce que les Angloiz tenoient en royaulme de France.
Et n'osoit on parler pour celle guerre contre ledit sire de la Trimoulle, combien que chascun véoit clerement que la faulte venoit de luy.
L'an mil quatre cent vingt-neuf, au commencement de juin, le roi
Charles de France fit une grande armée sur les instances de Jeanne la Pucelle qui disait que c'était la volonté de Dieu que le roi allât à Reims se faire sacrer et couronner ; car encore qu'il fût appelé roi, il n'était pas encore couronné. Malgré les difficultés et les craintes manifestées par le roi et son conseil, Jeanne la Pucelle, par ses pressantes demandes, fit décider
que le roi manderait ce qu'il pourrait trouver de gens pour entreprendre
le voyage de son couronnement à Reims, encore que cette ville
fût occupée par les Anglais, ainsi que toutes les villes et forteresses de
Picardie, de Champagne, de l'Ile-de-France, de la Brie, du Gâtinais, de
l'Auxerrois, de la Bourgogne, et généralement tout le pays entre la
Loire et la mer. Le roi convoqua son assemblée à Gien-sur-Loire. Il y avait en sa compagnie
le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, le comte de Vendôme,
Jeanne la Pucelle, le sire de Laval, le sire de Rais, le sire d'Albret, le sire
de Lohéac, frère du sire de Laval, et plusieurs autres grands seigneurs et
capitaines.
De toutes parts les gens d'armes venaient au service du roi et
chacun avait grande attente que, par le moyen de Jeanne la Pucelle,
beaucoup de biens arriveraient au royaume de France. Chacun désirait
fort la voir et connaître ses faits comme chose venue par la grâce et volonté de Dieu.
Jeanne la Pucelle chevauchait toujours avec les gens d'armes et les
capitaines, armée et équipée en guerre comme tous les autres de sa
compagnie. Elle parlait de la guerre d'une manière aussi entendue qu'eût
su le faire un capitaine. Quant le cas advenait, qu'on poussait un cri
d'armes ou d'effroi, elle accourait soit à pied, soit à cheval, aussi vaillamment
que capitaine de la compagnie, donnant coeur et hardiesse à
tous les hommes de la compagnie, les admonestant de faire bon guet et
bonne garde, ainsi qu'il était expédient de le faire. Et en toutes les autres
choses, elle était une bien simple personne. Elle menait une vie belle et
honnête, se confessait bien souvent, et recevait le corps de Notre-Seigneur
presque toutes les semaines ; elle était toujours en habits d'armes ou en
habits d'homme. Et disait-on aussi que c'était fort étrange chose que de
voir chevaucher une femme en telle compagnie, et bien d'autres raisons
l'on disait; et il n'y avait ni docteur, ni clerc, ni autre personne qui ne
fût émerveillé de son fait.
A cette époque le sire de La Trémoille était auprès du roi de France,
et l'on disait qu'il entrait trop avant dans le gouvernement du roi. Cela
avait été cause qu'un grand différend et débat s'était ému entre ledit de
La Trémoille et le connétable de France, comte de Richemont; et il fallut
que ledit Connétable, qui avait bien en sa compagnie douze cents bons
combattants, s'en retournât. Pareillement firent plusieurs autres seigneurs
et capitaines que le sire de La Trémoille redoutait; ce qui fut un très grand dommage pour le roi et la chose publique ; car, par le moyen de Jeanne la Pucelle, tant de gens venaient de toutes parts pour servir le
roi, et à leurs dépens, que de La Trémoille et d'autres seigneurs du
conseil étaient bien courroucés d'une telle multitude, par crainte pour
leurs personnes, et plusieurs disaient que si le susdit de La Trémoille et
d'autres du conseil avaient voulu recevoir tous ceux qui venaient au
service du roi, on aurait pu aisément recouvrer tout ce que les Anglais occupaient au royaume de France.
Mais on n'osait pas alors parler contre ledit de La Trémoille, quoique chacun vît clairement que de lui venait
la faute.

uquel lieu de Gien sur Loire fut fait ung paiement aux gens d'armes tel qu'il ne se montoit pas plus de deux à trois francs pour homme d'armes. Duquel lieu de Gien s'en partit icelle Jehanne la Pucelle et plussieurs cappitaines de gens en sa compaignie, et s'en alla logier environ quatre lieues loing dudit Gien, en tirant le chemin de Rains, vers Auserre. Et le roy de France se partit le lendemain ensuivant en tirant celle part, et ce jour assembla tout l'ost ensamble. Et avoit on dit ost plussieurs femmes diffamées qui empeschoient aucuns gens d'armes à faire dilligence à servir le roy.
Et ce voyant, icelle Jehanne la Pucelle, après le cry fait que chacun allast avant, tira son espée et en bâtit deux ou trois tant qu'elle rompit sadite espée, dont le roy fut bien desplaisant et marry, et luy dist qu'elle deust avoir prins ung très-bon baston et frapper dessus, sans habandonner ainssy celle espée qui luy estoit venue divinement, comme elle disoit. Et chevaucha ledit roy tant qu'il vint devant la cité dudit lieu d'Aucerre; laquelle cité ne luy fist pas plaine obéissance, mais vindrent devers le roy aucuns des bourgeois d'icelle cité, et disoit on qu'ils avoient donné argent audit de la Trimoulle affin qu'ilz demeurassent en trèves icelle foiz. De laquelle chose furent bien mal contens aucuns seigneurs et cappitaines d'icellui ost, et en parlement bien fort, en murmurant contre icellui seigneur de la Trimoulle et autres estans du conseil du roy. Et voulloit tousjours icelle Jehanne la Pucelle que icelle ville fust assaillye. Et finablement demoura en icelle trève, combien que ceulx de ladite ville baillèrent plussieurs vivres à ceulx de l'ost pour leur argent, desquelz ilz avoient grand neccessité en icellui ost.

En ce lieu de Gien-sur-Loire fut fait aux gens de guerre un payement
tel quel; car il ne se montait pas à plus de deux ou trois francs pour chaque
homme d'armes. De ce même lieu de Gien-sur-Loire partit Jeanne la
Pucelle, ayant plusieurs autres capitaines en sa compagnie; elle alla
camper à environ quatre lieues de distance, sur le chemin de Reims par
Auxerre.
Le roi de France partit le lendemain en suivant la même route, et avant
la fin du jour toute l'armée se trouva réunie.
Il faut savoir qu'il y avait dans l'armée plusieurs femmes diffamées qui
empêchaient quelques hommes d'armes de suivre diligemment le roi. Ce
que voyant Jeanne la Pucelle, après le cri d'ordre d'aller en avant, elle
tira son épée, et en battit si bien deux ou trois qu'elle rompit son épée (48); ce dont le roi fut fort marri ; il dit qu'elle aurait dû prendre un bâton pour
frapper de tels coups, sans employer une épée qui lui était venue divinement,
ainsi qu'elle le disait. Ce jour, le roi chevaucha tellement qu'il vint devant la cité d'Auxerre,
qui ne lui fit pas pleine obéissance. Quelques bourgeois vinrent à sa rencontre,
après avoir, disait-on, donné de l'argent à La Trémoille afin d'obtenir
pour cette fois de demeurer en trêve et abstinence de guerre; ce dont
furent très mécontents quelques capitaines de l'armée, qui s'en plaignaient
fort et accusaient le sire de La Trémoille et quelques conseillers du roi.
Jeanne maintenait constamment qu'il fallait donner assaut à la ville ; on
finit cependant par accorder l'abstinence demandée. Toutefois les habitants
d'Auxerre donnèrent pour de l'argent des vivres à l'armée, qui en sentait
une très grande nécessité et besoin.

près que ledit roy de France eult esté devant icelle cité d'Aucerre pour trois jours, se partit avec son ost en tirant vers Saint-Florentin, laquelle ville de Saint-Florentin luy fist obéissance. Et de là print son chemin droit à Trois à Champaigne, et tant chevaucha qu'il vint logier devant la cité de Trois, en laquelle avoit bien de cinq à six cens Anglois et Bourgongnons. Et à l'arivée saillirent iceulx Angloiz et Bourgongnons sur l'ost du roy, lequel roy et son ost fut logié d'un costé et d'autre par l'espace de six ou sept jours en parlementant et cuidant tous-jours que icelle cité lui feist obéissance. Mais aucun appoinctement ne s'i povoit trouver, et avoit en l'ost si très grant chierté de pain et d'autres vivres, car il avoit en icellui ost de six à sept mille hommes, qui n'avoit mangié du pain passé avoit huit jours. Et vivoient le plus (49) des gens d'icelui ost de fèves et de blé frotté en espy (50).
Et manda ledit roy venir devers lui le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, le conte de Ven-dosme, et plussieurs autres seigneurs et cappi-taines, avecques autres gens de son conseil en grant nombre pour avoir avis qu'il avoit à faire (51). Et là fut mis en termes et délibération audit conseil par l'arcevesque de Rains, chancellier de France, que ledit ost ne povoit bonnement de-mourer devant ladite ville de Trois, par plussieurs raisons, premièrement pour la grant famine qui estoit oudit ost, et que vivres ne venoient en icellui ost de nulle part, et aussy qu'il n'y avoit plus homme qui eust point d'argent; et oultre, que c'estoit merveilleuse chose de prendre la ville de Trois, qui estoit forte, bien garnie de vivres, de gens d'armes et de peuple, et, selon ce c'om povoit veoir, ceulx de dedens n'avoient point de voulenté de rendre et mettre icelle ville en l'obéissance du roy de France; et aussy qu'il n'y avoit bombardes ne artillerie à souffisant nombre pour gaigner et combatre icelle ville ; et d'autre part n'y avoit ville françoise dont on peust avoir aide ne secours plus près que Gien sur Loire, de laquelle ville ilz estoient à plus de trente lieues jucques à l'ost. Et si alégua et dist plussieurs autres raisons et inconvéniens dont il estoit vray semblable qui povoient advenir en icellui ost (52). Et commanda le roy audit chancellier qu'il demandast par oppinion à ceulx qui présens estoient à ce conseil qu'il estoit à faire pour le meilleur.
Et adonc commença ledit chancellier à demander à plussieurs, les chargant que chacun s'aquictast loyaulment envers le roy de le conseiller de ce qu'il avoit à faire sur ce que dit est. Et furent presque tous ceulx de ce conseil d'oppinion que, veu et considéré les choses dessus desclairées et que le roy avoit esté reffusé à ladite ville d'Auxerre, laquelle n'estoit garnie de gens d'armes ne si forte que icelle ville de Trois, et plussieurs autres choses que ung chacun alleguoit selon son entendement, furent d'oppinion que ledit roy et son ost s'en retournassent.
Et vint ledit chancellier à demander à ung ancien conseiller nommé Messire Robert le Masson, seigneur de Trèves, lequel respondit par son oppinion qu'il falloit envoier quérir ladite Jehanne la Pucelle, dont dessus est faite mencion, laquelle estoit en l'ost et non pas au conseil, et que bien povoit estre qu'elle diroit quelle chose qui seroit prouffitable pour le roy et sa compaignie. Et dist oultre que, quand le roy estoit party qu'il avoit entreprins ce voyage, il ne l'avoit pas fait par la grant puissance de gens d'armes qu'il eust, ne par le grant argent de quoy il fust garny pour paier ses gens d'armes, ne aussy parce que icellui voyage lui semblast bien possible, maiz seullement avoit entreprins icellui voyage par l'admonnestement de Jehanne la Pucelle, laquelle disoit tousjours qu'il tirast avant pour aller à son couronnement à Rains, et que il ne trouveroit que bien pou de résistence, et que c'estoit le plaisir et voulenté de Dieu, et que se icelle Jehanne ne conseilloit aucune chose qui en icellui conseil n'eust esté dicte, qu'il estoit de la grant et commune oppinion, c'est assavoir que ledit roy et son ost s'en retournassent dont ilz estoient venus; mais que ladite Jehanne la Pucelle pourroit dire aucune chose sur laquelle le roy pourroit prendre autre conclusion. Et par l'oppinion d'icellui Messire Robert le Masson fut envoyé quérir icelle Jehanne la Pucelle.
Et icelle venue en icellui conseil, fist la révérence au roy, ainssy qu'elle avoit acoustumé. Et luy fut dit par ledit chancellier que le roy l'avoit envoyé quérir affin de lui faire dire et desclairer son oppinion pour conclure sur les grandes neccessités de l'ost comment ladite ville de Trois estoit forte et garnie de vivres et de gens d'armes. Et lui exposa et dist tous les grans inconvéniens et doubtes qui là avoient esté débatus audit conseil et que de ce elle dist son oppinion au roy et quelle chose il luy sembloit que on avoit à faire au sourplus. Laquelle tourna sa parolle au roy et lui demanda s'elle seroit creue de ce qu'elle lui diroit. A quoy il respondit que s'elle disoit chose qui feust prouffitable et raisonnable, que voluntiers on la crerroit. Et re-print de rechief sa parolle et demanda s'elle seroit creue, et le roy respondit que ouy, selon ce qu'elle diroit. Et adonc lui dist ses parolles : « Gentil roy de France, se vous vouliez demourer devant vostre ville de Trois, elle sera en vostre obéissance dedens deux jours, soit par force ou par amour, et n'en faictes nulle doubte. » Adonc lui fut respondu par le chancellier : « Jehanne, qui seroit certain de l'avoir dedans six jours, on l'attendrait bien. Maiz je ne scay s'çil est vrai ce que vous dictes. » Et de rechief dist que n'en faisoit nulle doubte. A l'oppinion de laquelle Jehanne la Pucelle le roy et son conseil s'arestèrent et fut conclud de là demourer.
Et à celle heure monta ladite Jehanne la Pucelle sur ung coursier, ung baston en sa main, et mist en besongne chevalliers, escuiers et autres gens de tous estaz à porter fagos, huys, tables, fenestres et chevrons, pour faire taudiz et aprouchemens contre ladite ville pour asseoir une petite bombarde, autres canons estans en l'ost, et faisoit de merveilleuses dilligences, ainssy comme eust peu faire ung cappitaine qui eust esté nourry tout son temps à la guerre. Et pou de temps après parlementèrent ceulx de ladite ville, et vindrent l'évesque et plussieurs autres de ladite ville, tant de gens de guerre que de bourgeois, devers le roy. Et finablement prindrent composicion et traictié ; c'est assavoir que les gens de guerre s'en yroient eulx et leurs biens, et ceulx de ladite ville demoureroient en l'obéissance du roy, et luy rendroient ladite ville, laquelle il receut. Et le landemain entra le roy dedens (53), lui et ses gens, environ neuf heures du matin. De laquelle tant Angloiz que Bourgongnons s'en allèrent où bon leur sembla. Et en devoient enmener leurs prisonniers, maiz ladite Jehanne les leur osta à la porte. Et faillict que le roy contentast iceulx gens d'armes de leurs finances.
Et laissa le roy en icelle ville de Trois bailly, cappitaines et autres officiers de par luy. Et cedit jour que ledit roy de France entra en ladite ville de Troyes demoura garde de sondit ost ledit Messire Ambrois de Loré, lequel demoura garde sur les champs, lequel ost passa le landemain parmy ladite ville.

t l'andemain ensuivant ledit roy de France desloga de ladite ville de Troyes, et print son chemin avecques son ost droit à Challons, et tant chevaucha qu'il arriva devant icelle ville de Challons, et lui vindrent au devant l'évesque avec grant nombre bourgois d'icelle ville, et lui firent obéissance. Et se loga avecques son ost la nuy en icelle ville, en laquelle il establit de par lui cappitaine et officiers (54). De laquelle ville de Challons se partit ledit roy et son ost, et print son chemin droit à Rains. Et tant chevauchèrent que lui et sondit ost arrivèrent devant ladite ville de Rains, laquelle estoit tenue de par le roy d'Angleterre, ainssy que les autres villes dont dessus est faicte mention, laquelle ville de Rains luy fist plaine obéissance. Et entra dedens icelle avecques.son ost, en laquelle il fut receu à grant joye. Et vindrent devers ledit roy pour estre à son service le duc de Bar et de Lorraine, le sire de Commercy, à grant compaignie de gens d'armes, pour eulx emploier au service du roy.
Et le landemain, que fut jour de dimanche (55), fut couronné et sacré le roy en l'église de Rains par Messire Regnault de Chartres, archevesque dudit lieu et chancellier de France. Et fut fait ledit roy chevallier par le duc d'Alencon. Et après se, fist ledit roy le sire de Laval conte (56). Et y fut fait parle roy, le duc d'Alencon, le duc de Bourbon et autres princes qui là estaient, plussieurs chevalliers (57). Et y estoit ladite Jehanne la Pucelle, laquelle tenoit son estendart en sa main, et laquelle estoit cause dudit couronnement du roy, et de toute icelle assemblée ainssy que dessus est dit. Et fut rapporté de l'abaye Saint-Remy ladite ampoulle en l'église Nostre-Dame, par le sire de Raiz, mareschal de France. Et après ce, séjourna le roy en ladite ville de Rains trois jours, et puis se partit avecques son dit ost pour aller en une abbaye nommée Saint-Marcoul, ou quel lieu les roys de France ont acoustumé d'aller après leur couronnement. Et leur fait on là certain service et mistère, pourquoy on dit que le roy de France garist des escrouelles.

' icelle abbaye Saint -Marcoul s'en alla le roy avec son ost en une ville nommée Veelly (1), appartenant à l'arcevesque de Rains, de laquelle lui fut faicte obéissance, et s'i loga pour le jour, et envoya ses messagers à Laon, laquelle ville se mist semblablement en son obéissance. De là s'en ala à Soisons, qui semblablement se mist en son obéissance, et y séjourna deux ou trois jours avec son ost (2). Et lui fut rendu Chasteau-Thierry, Provins, Coulommiers, Cressy en Brye et plussieurs autres forteresses.

près ce que ledit roy de France eult séjourné à Soisons, comme dessus est dit, se desloga et se mist au chemin avec son ost, droit à Chasteau-Thierry, et de là s'en ala droit à Provins, où il séjourna deux ou trois jours. Et ce venu à la congnoessance du duc de Betheford, Angloiz, qui se disoit pour lors régent du royaulme de France et se tenoit à Paris, lequel vint à grant puissance à Corbeil et Melun, disant qu'il se voulloit trouver aux champs et combatre icellui roy de France. Lequel roy, quant il sceult que ledit duc de Betheford le voulloit combatre, se desloga de Provins et s'en vint logier aux champs avecques son ost, près d'un chasteau, près de La Motte, nommé Langis en Brye, et furent ordonnées les batailles dudit roy de France, et se tindrent aux champs presque tout ung jour, pour ce que continuellement venoient nouvelles que le duc de Betheford venoit pour combatre. Et touteffoiz il ne vint point et s'en retourna à Paris avec son ost, auquel on disoit qu'il y avoit bien de dix à douze mille combatens, et que ledit roy de France en povoit bien avoir autant ou plus.

edit roy de France, par le conseil d'aucuns et de sa voulenté, fut délibéré repasser la rivière de Saine, pour aller à une ville nommée Bray sur Saine, assez près de Prouvins, pour s'en retourner avecques son armée en son pays obéissant oultre la rivière de Loire, et lui fut promis passage et obéissance en ladite ville par les habitans d'icelle. Maiz la nuyt dont il devoit passer le landemain matin, y ariva certaine quantité d'Angloiz. Et iceulx qui s'avancèrent devant pour passer furent les aucuns prins (60), les autres destroussez. Parquoy fut le passage empesché, donc le duc du Bar, le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, le conte de Vandosme, le conte de Laval, Jehanne la Pucelle et plussieurs autres seigneurs et cappitaines furent très joieulx et bien contens, pource que celle conclusion de passer estoit contre leur gré et voulenté.

n icellui an, la veille de la Nostre Dame my aoust, par le conseil des seigneurs françois dessus nommez, le roy de France retourna avecques son ost droit à Chasteau-Thierry (61), et passa tout oultre droit à Crespy en Valloys, et s'en vint loger aux champs assez près de Dampmartin. Et ce venu à la congnoessance du duc de Betheford, qui estoit à Paris à grant ost d'An-gloiz, se tira sur les champs et se vint mettre en bataille et ordonnance en place d'avantaige (62), comme on disoit, à Mitry en France, soubz ledit lieu de Dampmartin. Et fut envoyé La Hire et plussieurs autres cappitaines par manière de courcerie sur l'ost du duc de Betheford, et durèrent presque tout le jour les escarmouches. Et fut rapporté audit roy de France que ledit duc de Betheford estoit en place d'avantaige. Et ne fut pas conseillé audit roy de France passer plus avant pour assaillir iceulx Angloiz. Et le landemain retourna ledit duc de Betheford avec son ost à Paris. Et ledit roy de France tira vers Crespy en Vallois. Et avoit envoyé icelluy roy certains messages à la cité de Beauvois et à Compiengne, lesquelles villes lui firent assavoir qu'ilz se voulloient mettre en son obéissance.

out en suivant, ledit roy se party pour aller audit lieu de Compiengne, et se vint logier en ung village nommé Barron (63), environ deux lieues de Senliz, lequel Senliz estoit en l'obéissance des Angloiz. Et au matin vindrent nouvelles de devers Paris au roy de France que le duc de Betheford et son ost estoient deslogez de Paris pour tirer le chemin droit à Senliz. Et lui estoient venus de renfort une grant compaignie d'Angloiz, ainssy comme de trois à quatre mille combatans, lesquelz le cardinal d'Angleterre, oncle du feu roy d'Angleterre, avoit amenez. Et disoit-on que iceulx Angloiz estoient souldoiez de l'argent du pape, et que icellui cardinal les devoit mener sur une manière de gent qui créoient contre la foy, que on appelloit Boesmes, ès parties d'Almaigne. Et touteffoiz furent employez iceulx Angloiz par l'ordonnance d'icelluy cardinal contre le roy de France.
Et ce venu à la congnoessance du roy, que le duc de Betheford tiroit celle part, charga à Messire Ambrois, sire de Loré, et le sire de Sentrailles, de monter tantost à cheval et de tirer vers Paris, ainssi qu'ilz aviseraient, pour savoir veritablement le fait dudit duc de Betheford et de son ost. Lesquelz dilliganment montèrent à cheval et prindrent de leur gens environ quinze ou vingt seullement. Et tant chevauchèrent et approuchèrent d'icellui ost qu'ilz veyrent et aperceurent sur le grant chemin dudit Senliz grans pouldres de l'ost dudit duc de Betheford. Lesquels envoyèrent diliganment ung chevaucheur devers le roy pour lui faire assavoir. Et approuchèrent encores plus près, tant qu'ilz veyrent ledit ost qui tiroit vers Senliz, et tantost envoyèrent de rechief ung autre chevaucheur devers le roy pour lui signiffier. Et bien dilliganment le roy avecques son ost tirèrent aux champs et furent ordonnez les batailles, et commencèrent à chevaucher entre la rivière qui passe à Barron et ung lieu nommé Mont-Espiluel ou Montespilouer (64), en tirant droit à Senliz.
Et icellui duc de Betheford et son ost, environ heure de Vespres, arriva près d'icelle ville de Senliz, et se mist à passer une petite rivière qui vient dudit Senliz audit Barron, et estoit le passage si estroit que ilz ne povoient passer que ung cheval ou deux à la foiz. Et sitost que ledit sire de Loiré et de Sentrailles virent que lesditz Angloiz commencèrent à passer, ilz s'en retournèrent hastivement devers le roy et lui acertenèrent que ledit duc de Betheford et son dit ost passoient audit passage. Maiz iceulx Angloiz estoient jà la plus grant partie passez. Et s'entrevéoient l'ost des François et des Angloiz ainssy comme à une petite lieue.
Et y eult de grans escarmouches entre lesdites deux compaignies. Et à celle heure estoit près de souleil couchant, parquoy lesditz Angloiz se logèrent sur le bord d'icelle rivière, et les François se logèrent viz à viz près d'un lieu nommé Mont-Espilouel.

e landemain ensuivant au matin se mist le roy de France et son ost sur les champs et fist ordonner ses batailles, de la plus grant desquelles avoient le commandement le duc d'Alençon et le conte de Vandosme. D'une autre bataille avoit la charge le duc du Bar. De la tierce, qui estoit en la manière d'une esle (65), avoient la charge les sires de Raiz et de Bous-sac, mareschals de France. D'une autre bataille qui souvent se desplaçoit pour escarmoucher et guerroier iceulx Angloiz avoient le gouvernement le sire d'Albreth, Jehanne la Pucelle, le bastard d'Orléans, La Hire et plussieurs autres capitaines. Et à la conduite et gouvernement des archiers estoient le sire de Grasville, maistre des arbalestiers, et ung chevallier limosin nommé Messire Jehan Foucault. Et se tenoit le roy assez près de ses batailles, et avoit pour la garde de sa personne le duc de Bourbon et le sire de la Trimouille et plussieurs autres. Et par plussieurs foyz chevaucha le roy devant ses batailles au veu des Angloiz ; aussy firent le duc de Bourbon et de la Trimoulle ; et ledit duc de Betheford, le conte de Sufford et le sire de Tallebot, Angloiz, le bastard de Saint-Pol, Bourguignon, et plusieurs autres, qui estoient en bataille près d'un village et avoient au dos ung estanc et ladite rivière.
Et toute icelle nuyt et le jour très-diliganmant se fortiffièrent de fossez, de paux (66) et d'autres taudiz. Et combien qu'il fust prins conclusion par le roy de France et son conseil de combatre icellui duc de Bethford et son dit ost, quant plussieurs cappitaines et autres eurent veu la place que tenoient lesditz Angloiz, et leur fortification, ledit roy fut conseillé de ne les point combatre aucunement en ladite place ainssy fortiffiée. Maiz les batailles des François s'aprou-chèrent à deux traitz d'arbaleste ou environ d'iceulx Angloiz, en leur disant chacune heure qu'ilz saillissent hors de leur parc, et que on les combatroit. Lesquelz Angloiz de leur dit parc ne vouldrent saillir. Et tout cedit jour y oult de grandes escarmouches, et tellement que les François venoient main à main combatre à pié et à cheval en fortiffiement des Angloiz. Et toutes voys iceulx Angloiz sailloient à pié et à cheval aux champs, en reboutant lesditz François, et y en avoit souvent de mors et de prins d'un costé et d'autre. Et se passa tout ledit jour jucques environ souleil couchant en escarmouches. Et comme (67) à l'eure du souleil couchant, s'aprouchèrent grant nombre de François tant qu'ilz vindrent combatre et escarmoucher lesditz Angloiz main à main. Et lors saillit grand nombre d'iceulx Angloiz à pié et à cheval, et de rechief s'efforcèrent iceux François, et y eult à celle heure plus grant escarmouche qu'il n'y avoit eu de tout le jour, et y avoit si grans pouldres que on ne congnoessoit ne François ne Angloiz, et tant que les batailles ne s'entrepovoient veoir, combien qu'ilz fussent près les ungtz des autres, et dura icelle escarmouche tant qu'il fut nuyt obscure. Et se retirèrent lesdits Angloiz en leur parc, et aussi se retirèrent les François aux batailles. Et demourèrent iceulx Angloiz logiez où ilz estoient, et les François où ilz avoient logé la nuyt devant, environ demye lieue (68) desditz Angloiz, près du Mont-Espilouel.

e landemain au matin, environ dix heures, se deslogea l'ost desditz François, et s'en ala vers Crespy en Vallois. Et aussitost lesditz Angloiz s'en retournèrent à Paris.

e landemain ensuivant, le roy de France, avec son ost, print son chemin droit à Compiengne, laquelle ville de Compiégne lui fist obéissance, et y establit de par luy ung capitaine nommé Guillaume de Flavy, natif du pays; et là vindrent devers luy les bourgois de Beauvaiz, lesquelz mirent icelle ville de Beauvaiz en son obéissance. Et s'asemblèrent les evesque, bourgoys de Senliz, et vindrent devers le roy, et pareillement mirent ladite ville de Senliz en son obéissance. Et d'illec se partit le roy de France, et ala en ladite ville de Senliz.
Le jour suivant, le roi avec son armée alla droit à Compiègne qui lui
fit obéissance ; il y établit comme capitaine un nommé Guillaume de Flavy,
originaire de ce pays. Les bourgeois de Beauvais vinrent l'y trouver pour
lui faire acte de soumission de la part de leur ville. Semblablement se mirent en mouvement l'évêque et les bourgeois de Senlis, et vinrent aussi à Compiègne pour mettre leur ville en l'obéissance
du roi, qui sortit de Compiègne pour venir à Senlis.

n icellui an, en la fin du mois d'aoust, se desloga de Paris le duc de Betheford dessus nommé et son ost et tira vers Normendie, et départit sondit ost et l'envoya en plussieurs lieux, tant en pays de Normendie comme ailleurs, pour garder les places dont il avoit le gouvernement et qui estoient en son obéissance. Et laissa à Paris Messire Loys de Luxembourg, évesque de Thérouenne, soy disant chancellier de France, ung chevallier angloiz nommé Messire Jehan Rachel, et ung autre chevallier de France nommé Messire Simon Morhier, qui lors estoit prévost de Paris. Et avoient en leur compaignie environ deux mille Angloiz pour la garde d'icelle ville de Paris, ainssi c'om disoit.
La même année, sur la fin du mois d'août, le duc de Bedford sortit de Paris, gagna la Normandie, amenant son armée, qu'il dissémina en divers lieux
de ce pays et d'ailleurs, pour garder les places confiées à son gouvernement
et lui rendant obéissance. Il laissa à Paris messire Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, soi-disant chancelier de France, un chevalier anglais nommé messire Jean Radley; un autre, natif de France, du
nom de messire Simon Morhier, pour lors prévôt de Paris. Pour la garde et la défense de Paris, ils avaient environ deux mille Anglais.

n laffin dudit moys d'aoust se desloga ledit roy de France de Senliz, et lui firent ceulx de la ville obaissance, en laquelle entra lui et son ost et se loga en icelle ville. Et adonc se commencèrent grans courses et escarmouches entre les gens dudit roy, estans logié à Saint-Denis et les Angloiz et autres estans à Paris.
A la fin du même mois d'août, le roi de France, quittant Senlis, s'en vint
avec son armée à Saint-Denis en France; les habitants lui rendirent
obéissance et il y entra avec ses troupes. Après leur entrée, de grandes
escarmouches commencèrent entre les Français et les Anglais de Paris.

t environ trois ou quatre jours après, le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, le conte de Vendosme, le conte de Laval, le sire d'Albreth, Jehanne la Pucelle, les sires de Raiz et de Boussac, mareschaulx de France, et autres en leur compaignie, se vindrent logier comme en my voye de Saint-Denis et de Paris, en ung village sur le grant chemin, nommé La Chappelle Saint-Denis, et l'endemain commencèrent grandes escarmouches entre les Angloiz et les François et autres de Paris. Et premièrement au lieu dit le moullin à vent, et le lendemain vindrent les dessus nommez, ducz et autres seigneurs François, à grant compaignie, aux champs près de la porte Saint-Honnouré, sur une grant bute que on dit le marché aux pourceaulx, et firent assortir plussieurs canons et couleuvrines pour tirer dedens ladite ville de Paris. Et estaient les Angloiz tournoiant avecques leurs seigneurs entre lesquelz portaient une grant banière à une grand croix vermeille au longe de la muraille de Paris, par dedens ladite ville. Et de plaine arivée fut prins le boullevart d'icelle porte Saint-Honnouré d'assault (69). Et estait à celle prinse ung chevallier françois que on appelloit le sire de Saint-Vallier, et ses gens, qui très-bien y firent leur devoir. Et cuidoient les François que les Angloiz et autres gens de Paris deussent saillir par la porte Saint-Denis ou quel-qu'autre pour férir sur eulx. Parquoy le duc d'Alençon, le duc de Bourbon, le seigneur de Montmorency et autres, avec grant puissance, se tenoient tousjours en la bataille desrière icelle grant bute. Et y fut fait chevallier le seigneur de Montmorency. Car plus près ne se povoient tenir, pour les canons et couleuvrines qui tiroient sans cesse. Et dist ladite Jehanne la Pucelle qu'elle voulloit assaillir ladite ville de Paris. Laquelle Jehanne n'estoit pas bien informée de la grant eaue qui estoit ès fossés. Et néantmoins, vint à tout grant puissance de gens d'armes, entre lesquelz estoit le sire de Raiz, mareschal de France, et se dessendirent en l'arrière fossé, où elle se tint avecques ledit mareschal à grant compaignie de gens d'armes tout icellui jour, et y fut navrée icelle Jehanne d'un vireton parmy la jambe.
Neantmoins elle ne voulloit partir arrière dudit fossé, et faisoit ce qu'elle povoit faire de getter fagots et boys en l'aultre fossé pour cuider passer, laquelle chose et veue la grant eaue qui y estoit, n'estoit pas possible d'y entrer. Et depuis qu'il fut nuyt fut envoyé quérir par plussieurs foiz par lesditz duc d'Alençon et de Bourbon, maiz pour riens ne se voulloit partir ne retraire, tant qu'il fallut que le duc d'Alençon l'alast quérir et la ramena. Et se retrait toute la compaignie audit lieu de La Chappelle, où ilz avoient logié la nuyt devant. Et le landemain s'en retournèrent lesditz ducz d'Alençon et de Bourbon, ladite Jehanne la Pucelle et autres à Saint-Denis, où estoit ledit roy de France et son ost. Et là, devant les précieulx corps de Monseigneur Saint-Denis et ses compaignons, furent pendus et laissés les armeures d'icelle Pucelle, lesquelles elle offrit par grant dévotion.

Le lendemain les ducs nommés et d'autres seigneurs français se mirent
aux champs près de la porte Saint-Honoré, sur une butte qu'on appelle
le marché aux pourceaux; et ils firent ajuster plusieurs canons et coulevrines
afin de tirer dans la ville de Paris. Les Anglais tournoyaient à
l'intérieur le long des murailles, leurs enseignes déployées, parmi lesquelles
l'on remarquait une bannière blanche traversée d'une grande
croix vermeille. A leur arrivée les Français prirent d'assaut le boulevard
Saint-Honoré. A cette prise se trouvait un chevalier nommé le sire de
Saint-Vallier, qui, avec ses gens, fit grandement son devoir.
Les Français pensaient que les Anglais et les autres défenseurs de
Paris sortiraient par la porte Saint-Denis, ou par toute autre porte pour
tomber sur eux : voilà pourquoi les ducs d'Alençon et de Bourbon, le
sire de Montmorency, d'autres encore, se tenaient toujours avec de grandes
forces derrière cette grande butte, prêts à combattre. Le sire de
Montmorency fut fait chevalier ce jour-là (70). Ils ne pouvaient pas se tenir
plus près du combat, à cause des canons et des coulevrines qu'on tirait
sans cesse de Paris. Jeanne la Pucelle dit qu'elle voulait donner l'assaut à Paris ; elle n'était
pas bien informée de la grande profondeur de l'eau dans les fossés. Elle
s'avança néanmoins avec une grande suite d'hommes d'armes, parmi
lesquels le sire de Rais, maréchal de France ; ils descendirent dans l'arrière-fossé, où ils se postèrent, Jeanne, le maréchal de Rais et d'autres en
grand nombre. Ils y restèrent tout le jour. La Pucelle y fut blessée à la
jambe par un vireton (71).
Elle ne voulut cependant pas sortir de l'arrière-fossé
; et elle se donnait grand mouvement pour faire jeter des fascines
et d'autres bois dans le principal fossé, dans l'espérance de passer; ce
qui n'était pas possible à cause de la grande quantité d'eau.
La nuit survenue, les ducs d'Alençon et de Bourbon envoyèrent
plusieurs fois la quérir, et pour rien elle ne voulut se retirer. Il fallut que le duc d'Alençon vînt la chercher et la ramener. L'armée se replia sur
La Chapelle, où elle avait passé la nuit précédente. Le lendemain les ducs d'Alençon et de Bourbon, Jeanne la Pucelle et d'autres retournèrent à Saint-Denis, où était le roi. Les jours suivants
Jeanne la Pucelle suspendit ses armures devait le précieux corps de Monseigneur
saint Denis et de ses compagnons, et elle les offrit par grande dévotion.

n icelluy moys d'aoust, l'an que dessus, furent prins les chasteau et ville de Bonmoulin sur les Angloiz, par certains moyens, à l'entreprinse d'un nommé Ferrebourg ou Fourbourg, auquel le duc d'Alençon donna la cappitainerie. Et fut emparé le chastel Saint-Célerin, près Alençon, par un escuier nommé Jehan Armenge, de la compaignie de Messire Ambrois sire de Loré, et ung autre gentihomme nommé Henry de Villeblanche. Et au tiers jour qu'ils furent entrés en icelle place, les Angloiz de la garnison d'Alençon vindrent courir devant eulx avec canons et autres habillemens, et les assaillirent. Lesquelz François dessus nommez se defendirent vaillanment, tant qu'ilz demourèrent maistres de ladite place, et lesdits Angloiz s'en retournèrent audit lieu d'Alençon.

e vingteufviesme jour dudit mois d'aoust, l'an que dessus, le prieur de l'abbaye de Laigny et Artus de Saint-Marry, avecques aucuns de ladite ville de Laigny, vindrent à Saint-Denis devers le roy de France pour mettre ladite ville de Laigny en son obéissance. Et charga le roy au duc d'Alençon d'y envoyer Messire Ambrois sire de Loré, auquel fut baillée icelle ville par les bourgois et habitans d'icelle, lequel sire de Loré leur fist faire serment au roy ainssy que en tel cas appartenoit, c'est assavoir, d'estre vrays et loyaulx au roy de France.

e douziesme du mois de septembre, l'an dessus dit, le roy de France ordonna que le duc de Bourbon, le conte de Vendosme, Messire Loys de Culand et plussieurs autres cappitaines demourroient ès pays qui de ce voyage s'estoient redduitz en son obéissance, et laissa son lieutenant le duc de Bourbon. Et audit lieu de Saint-Denis laissa le conte de Vendosme et le sire de Culand, admiral de France, à grant compaignie de gens d'armes, et se partit avecquez son ost. Auquel departement Jehanne la Pucelle laissa toutes ses armeures complètes devant Saint-Denis, comme dessus est dit, ausquelles elle avoit esté blécée devant Paris. Et s'en ala ledit roy coucher à Laigny sur Marne. Auquel lieu il ordonna demourer Messire Ambrois sire de Loré, lequel print et accepta icelle charge ; et demoura avecques luy ung chevallier nommé Messire Jean Foucault. Et le lendemain ensuivant se partit le roy d'icelle ville de Laigny, et s'en alla passer la rivière de Saine à [Bray-sur-Seine] (72) et la rivière d'Yonne au gué emprès Sens. Et de là s'en ala à Montargis et tout oultre la rivière de Loire.
Le douzième jour de septembre de l'an susdit, le roi de France ordonna
que le duc de Bourbon, le comte de Vendôme, messire Louis de Culan
et plusieurs autres capitaines demeureraient aux pays qui en ce voyage
s'étaient soumis à son obéissance. Il laissa comme son lieutenant le duc
de Bourbon; et à Saint-Denis il laissa le comte de Vendôme et l'amiral
de Culan avec grande compagnie de gens d'armes.
Le roi partit ensuite avec l'autre partie de ses gens ; et au départ,
ainsi qu'il a été dit, Jeanne laissa devant Saint-Denis toutes ses armures
complètes dans lesquelles elle avait été blessée devant Paris. Le roi alla
coucher à Lagny, dont il confia la garde à sire Ambroise de Loré qui
y avait été déjà envoyé, ainsi qu'il a été dit. Le sire de Loré accepta cette charge; son chevalier messire Jean Foucault resta avec lui. Le jour
suivant le roi quitta Lagny, passa la Seine, franchit l'Yonne à un gué
près de Sens, s'en alla à Montargis et au delà de la rivière de Loire.

antost après s'assemblèrent à Paris grant compaignie d'Angloiz et de Bourgueignons, et les François que le roy de France avoit laissez dedens Saint-Denis en France à son parlement, comme dessus est dit, laissèrent et habandonnèrent icelle ville de Saint-Denis et s'en allèrent à Senliz. Et tantost après ledit département vindrent les Angloiz de Paris audit lieu de Saint-Denis, et trouvèrent lesdites armures de Jehanne la Pucelle, lesquelles furent prinses et emportées par l'ordonnance de l'évesque de Thérouenne, chancellier ès parties au roy d'Angleterre obaissant, sans pour ce faire aucune récompense à ladite église, qui est pur sacreleige et magnifeste.
En icelluy moys de septembre, l'an que dessus, vindrent devant la ville de Laigny les Angloiz et les Bourgueignons à grant puissance, faisant manière d'y voulloir mettre le siège. Et ledit Messire Ambrois sire de Loré et Jehan Foucault avec plussieurs autres gens de guerre en leur compaignie, voyans et congnoessans que ladite ville de Laigny estoit très-foible et n'avoit aucune espérance de secours, saillirent aux champs contre iceulx Angloiz et Bourgueignons, et si leur trindrent si très grande et si très-forte escarmouche par trois jours et par trois nuyts, que iceulx Angloiz et Bourgueignons n'aprouchèrent oncques plus près de la berrière que le trait d'une arbaleste. Et quant ils aperceurent si grant résistence, et qu'ilz virent avec iceulx chevalliers grant compaignie de gens d'armes, ilz s'en retournèrent à Paris sans autre chose faire; et y en ot ausdites escarmouches plussieurs mors et prins d'un costé et d'autre.

s moys de septembre et an dessus dits, fut faicte une entreprinse par le sire du Hommet, le sire du Bouchet et Bertrand de la Ferrière pour regaigner la ville de Laval, laquelle avoit esté prinse d'eschielle par le sire de Tallebot, Angloiz. Et fut faicte une embusche de gens à pié en ung moulin estant sur la rive de la rivière de Mayenne, qui passe au-dessoubz de ladite ville, et puis joignant le bout du pont et du costé d'icelle ville, près d'une porte dont les barrières sont sur icellui pont, par le moien d'un monnier (73). Et à ung matin, à l'ouverture d'icelle porte, saillirent iceulx gens d'armes à pié, ainssi que les portiers allèrent ouvrir certaines barrières estans sur icellui pont, et entrèrent en ladite ville de Laval, en laquelle avoit bien quatre à cinq cens Angloiz. Et iceulx François à pié n'estoient pas plus de deux à trois cens. Desquelz Angloiz y en ot plussieurs mors et prins, et les autres saillirent par dessus la muraille de ladite ville pour eulx sauver. Et par ce moien fut prinse et remise ladite ville de Laval en l'obéissance du roy de France.

n icelle saison, le duc de Bourbon, lequel estoit demouré lieutenant du roy de France ès pays qui de nouvel estoient redduitz en son obéissance, donc dessus est faicte mencion, se tenoit à Senliz, Laon, Beauvaiz et autres villes, pour tousjours les garder et y mettre ordre et gouvernement. Maiz il ne trouvoit pas partout hommes obéissans, combien qu'il mettoit grant paine de bien conduire le fait du roy et d'exécuter quelque chose sur les Angloiz. Et advint que Messire Ambrois sire de Loré et Messire Jehan Foucault, estans à Laigny, avoient certaine entreprinse sur la ville de Rouen, par le moyen d'un homme d'icelle ville, nommé le Grant Pierre.
Et pource que, en temps que l'exécucion se devoit faire, n'estoit point de lune pour chevaucher par nuyt, prolonguèrent et misdrent ung autre jour audit Grand Pierre. Car bien leur sembloit qu'il n'estoit pas possible de mener si grosse compaignie par le pays où il falloit passer sans s'entreperdre ou adirer. Et s'en ala ledit Grant Pierre par Senliz, où il trouva ledit duc de Bourbon, le conte de Vendosme, l'archevesque de Rains, chancellier de France, par lesquelz il fut contraint de dire dont il venoit et de desclairer toute icelle entreprinse. Lesquelz ne firent point de difficulté en ce que lesdits Messire Ambrois sire de Loré et Messire Jehan Foucault avoient dessein de faire, et mandèrent gens de toutes pars pour exécuter icelle entreprinse. Et en allant de nuyt, perdirent et adirèrent l'un l'autre, desquelz les ungtz furent devant les portes de Rouen.
Et en retournant, ainssy c'om disoit, trouvèrent de soixante à quatrevingtz Angloiz, lesquelz dessendirent à pié et se deffendirent et résistèrent contre la compaignie d'iceulx François, et après plussieurs escarmouches se demourèrent les Angloiz en leur place et les François s'en retournèrent. Touteffoiz ce n'estoit pas l'intencion des chevalliers dessus dits d'exécuter icelle entreprinse sans aller devers ledit duc de Bourbon et de lui desclairer. Laquelle entreprinse fut ainssy perdue et faillie. Et ainssi c'om disoit, ce fut parce que ladite compaignie fut ainssi perdue et adirée l'un l'autre comme dit est, par le temps qui estoit aussi noir, obscur et trouble. Dont ledit duc de Bourbon et autres n'avoient fait aucune difficulté, ainssi que avoient fait lesdits Messire Ambrois sire de Loré et Jehan Foucault.

n ce mesme temps cy commencèrent de toutes parts très grandes pilleries et ravages ès pays de France que le roy avoit nouvellement conquis dessus les Angloiz, dont dessus est faicte mencion, sans ce que guaires lui eust cousté. Car, sans coup férir, on venoit de toutes pars lui faire obéissance, et estoient iceulx pays riches et bien peuplés et bien labourés. Néantmoins que tantost furent destruis les laboureurs et plussieurs villes bien apressées, apovries, tellement que plussieurs contrées demourèrent toutes inhabitées et sans labourer. Et voulloit chacun faire ce qu'il faisoit plus de voulenté indeue que de raison. Et quant ledit duc de Bourbon congnult la désolation et pillerye dessusdites, s'en ala en son pays. Esquelz pays demoura le conte de Vendosme, lequel avoit principalement la charge de la cité de Senliz, et si eult de par le roy de France le gouvernement de tout icelluy pays. Et fut envoyé de par ledit roy le sire de Boussac, mareschal de France, avec huit cens ou mille combatans, pour ayder à secourir et garder icellui pays, et de ce estoit grande neccessité. Car les Angloiz, qui tenoient Normendie et plussieurs autres pays en France, guerroyoint d'un costé, et le duc de Bourgongne, qui tenoit la Picardie, de l'autre.
En ce même temps, commencèrent de toutes parts les pillages et les
rapines dans les pays que le roi de France, ainsi que cela vient d'être
dit, avait conquis sur les Anglais, sans que cela lui eût guère coûté ; car
sans coup férir on venait de toutes parts lui faire obéissance. Ces paysétaient riches, bien peuplés, bien cultivés. Bientôt après les laboureurs
disparurent des champs, plusieurs villes furent oppressées et appauvries,
plusieurs contrées restèrent inhabitables et sans culture; chacun voulait
faire le maître et obéir au caprice plus qu'à la raison. Le duc de Bourbon,
témoin de cette manière de faire, de cette désobéissance et de ce brigandage,
s'en retourna à son pays.
Le comte de Vendôme resta, veillant principalement sur la cité de
Senlis. Dans la suite le roi lui donna le gouvernement total de la contrée,
et envoya à son aide et secours le sire de Boussac, maréchal de France,
avec huit cents ou mille combattants. C'était de grande nécessité, car d'un côté les Anglais venaient de Normandie, d'autres pays et des places de France, faire la guerre ; et de l'autre, c'était le duc de Bourgogne qui tenait le pays de Picardie.

nviron ce temps fut faicte par l'ordonnance du roy de France une armée, en laquelle estoit Jehanne la Pucelle et plussieurs cappi-taines et chiefs de guerre, et allèrent devant une ville nommée Saint Pierre le Moustier, laquelle ilz prindrent d'assault, et après vindrent sur la Charité-sur-Loire, de laquelle estoit cappitaine ung nommé Perrinet Grasset, et se mirent à siège devant icelle ville de la Charité, et y firent asseoir et assaulter aucunes bonbardes, canons et autres artilleries. Devant laquelle se tindrent par aucun temps, et en laffin se levèrent et s'en allèrent de devant icelle ville, et y perdirent, comme on disoit, la plus grant part de leur artillerie.
En ce même temps, par ordre du roi de France, fut formée une armée
en laquelle se trouvait Jeanne la Pucelle avec plusieurs autres capitaines.
Ils allèrent devant une ville appelée Saint-Pierre-le-Moustier et la prirent
d'assaut. Ils vinrent ensuite devant La Charité-sur-Loire, où commandait
Perrinet Grasset, et y mirent le siège, disposant quelques bombardes,
canons et autres pièces d'artillerie. Ils s'y tinrent durant quelque temps,
et finirent par lever le siège, s'en allant sans avoir rien fait, après avoir
perdu, à ce que l'on dit, la plus grande partie de leur artillerie.

n moys d'octobre ou dit an, ensuivant, Messire Ambrois sire de Loiré, cappitaine de Lagny sur Marne, Messire Jehan Foucault, une cappitaine escot nommé Quenide ou Quenede (Kannedy), se partirent de Lagny environ quatre ou cinq cens combatans et leur compaignie, et vindrent logier à Louvre en Parisy. Et le landemain cuidèrent trouver entre Paris et Pontoise certains Angloiz, que on leur avoit dit qui devoient passer. Lesquelz ne le trouvèrent pas et s'en retournèrent audit lieu de Louvre. Et en eulx retournant rencontrèrent ung cappitaine angloiz nommé Ferrières, lequel avoit en sa compaignie de huit vingtz à deux cens Angloiz et Bourgueignons. Furent desconfilz et y en ot plussieurs mors et prins. Et fut ledit Ferrières prins prisonnier. Et le landemain s'en allèrent devant la ville de Paris, aux portes de Saint-Denis et de Saint-Anthoine. Et d'illec s'en retournèrent audit lieu de Laigny.

nviron laffin du moys de décembre (74) ou dit an, le duc d'Alençon manda aller devers lui Messire Ambrois sire de Loire, lequel tenoit Laigny sur Marne pour le roy de France. Et tantost après ces nouvelles oyes se partit de Laigny et s'en ala devers ledit duc d'Alençon, et laissa audit lieu de Laigny Messire Jehan Foucault, Guieffroy de Saint-Aubin, et ledit Quenede, escot. Et quant ledit sire de Loré fut arivé devers ledit duc d'Alençon, il fist et ordonna ledit sire de Loré son mareschal, et l'envoya au chastel de Saint-Célerin, à trois lieues d'Alençon, lequel avoit esté de nouvel emparé, ainssy que dessus est dit. Lequel mareschal fist dilliganment labourer à l'enforcement d'iceluy, et le fist garnir de vivres et d'artillerie. Et tantost après fut mis le siège devant icellui chastel par le sire d'Escalles, Messire Robert de Bouteillier, Messire Robert Ros, Messire Guillaume Hodehalle, à grant ost d'Angloiz, avec grans habillemens de bombardes, canons et autres artilleries. Et touteffoiz icellui chastel n'estoit encores si fort habillé ne advitaillé qu'il peust longuement tenir. Et estoit bien advis à iceulx Angloiz que depuis qu'ilz avoient assiégé et affermé ou dit chastel Messire Ambrois sire de Loré, mareschal dudit duc d'Alençon, que nul secours ne seroit donné ne pourchassé à icellui chasteau.
Et après ce que ledit mareschal eut ordonné à chacun sa garde et fait faire plusieurs réparacions, lui fut requis par tous ses compaignons que se voulsist mettre en adventure de s'en aller hors du chastel pour quérir secours, ou autrement qu'ilz savoient bien qu'ilz estoient perduz. De laquelle chose fist grant difficulté, tant pour ce qu'il disoit que ce ne seroit pas son honneur de s'en aller, que aussi pour le grand dangier où il se mettoit, pour ce que ledit chastel estoit assiégé de toutes pars. Et touteffoiz, à la requeste de tous, s'en saillit lui cinquiesme par nuyt parmy l'ost d'iceulx Angloiz, soubz umbre d'une grant saillie faicte sur icellui siège, et chevaucha jour et nuyt dilliganment, tant qu'il vint à Chinon, auquel lieu il trouva le roy de France et le duc d'Alençon en sa compaignie, et dist et exposa au roy le siège ainssy mis par iceuly Angloiz devant ledit chastel de Saint-Célerin.
Et tantost le roy manda gens de toutes pars, et aussi fist le duc d'Alençon, et tirèrent les gens d'armes ès parties du Maine pour combatre iceulx Angloiz. Et ce venu à la congnoessance desdits Angloiz tenans ledit siège, après ce qu'ilz ouïrent esté devant ledit chastel de dix à douze jours, donnèrent ung grant assault qui dura de quatre à cinq heures, et furent lesdits Angloiz plussieurs foiz à combatre main à main. Et y moururent plussieurs Angloiz et François, et entre autres y mourut ung chevallier françois nommé Messire Jean de Beaurepaire.
Et le landemain se deslogèrent iceulx Angloiz sans autre chose faire. Et à celle heure semblablement se misdrent lesditz Angloiz à siège devant Laigny, et après plussieurs bateries de bombardes et assault, s'en retournèrent semblablement, sans autre chose faire. Et estaient dedens ledit Laigny Messire Jehan Foucault, un escot nommé Quenede, et plussieurs autres vaillans gens.

' an mil quatre cens et trente (75), se partit Jehanne la Pucelle du pays de Berry, accompaignée de plussieurs gens de guerre, et s'en vint à Laigny-sur-Marne. Et assés tost après vindrent nouvelles que il traversoit en l'Isle de France de trois à quatre cens Angloiz. Et tantost icelle Jehanne la Pucelle tira sur les champs avecques Messire Jehan Foucault, Gueffroy de Saint-Aubin, ung cappitaine nommé Barrette, Canede escot et autres de la garnison de Laigny. Et vindrent trouver iceulx Angloiz, lesquelz se mirent tous à pié contre une haye. Et adonc ladite Jehanne la Pucelle, Messire Jehan Foucault et autres se délibérèrent de les combatre, et en très bon appareil vindrent à pié et à cheval frapper sur iceulx Angloiz. Et y ot très dure besongne, car les François n'estoient guaires plus que Angloiz. Et finalement furent tous iceulx Angloiz mors et prins. Et y ot plussieurs Françoiz mors et blecez. Et s'en retournèrent lesdits Jehanne la Pucelle, Messire Jehan Foucault et autres audit lieu de Laigny avec leur prinse.
L'an mil quatre cent trente, Jeanne la Pucelle quitta le Berry, et en compagnie
de plusieurs gens de guerre elle vint à Lagny-sur-Marne. Il advint
qu'à son arrivée, trois à quatre cents Anglais traversaient l'Ile-de-France.
Promptement la Pucelle se met aux champs avec messire Jean Foucault,
Guiffray de Saint-Aubin, un capitaine nommé Barie, Quennède, Écossais,
et d'autres de la garnison de Lagny. Ils joignirent les Anglais qui se
mirent à pied et se rangèrent le long d'une haie. Il fut incontinent résolu
par les Français qu'on les combattrait. Ils vinrent en très bon ordre, à
pied et à cheval, tomber sur les Anglais. La besogne fut très dure et trèsâpre ; car les Français n'étaient guère plus nombreux que les Anglais.
Ces derniers finirent par être déconfits, presque tous tués, et les autres pris. Il y eut aussi des morts et des blessés du côté de Français qui,
avec Jeanne la Pucelle, rentrèrent à Lagny en amenant leur capture.

t en l'an dessus dit, Messire Jehan de Luxembourg, le conte de Hautinton, le conte d'Arondel et plussieurs autres Angloiz et Bourgueignons, vindrent, à grant ost, mettre le siège devant la ville de Compiengne d'un costé et d'autre de la rivière d'Aise (76). Et firent plussieurs bastilles où ilz se tenoient. Et ce venu à la congnoessance de Jehanne la Pucelle, dont dessus est faicte mencion, se partit dudit lieu de Laigny pour aider à secourir les assiégés d'icelle ville, en laquelle icelle Jehanne la Pucelle entra. Et après commencèrent chacun jour grans escarmouches entre les Angloiz et Bourgueignons tenans ledit siège, d'une part, et les cappitaines et gens de ladite ville, d'aultre. Et advint ung jour que ladite Jehanne la Pucelle estoit saillie sur ledit siège moult vaillamment et hardiement; maiz aussi les Angloiz et Bourgueignons chargèrent très fort sur elle et sa compaignie, et tant qu'il fut de nécessité à ladite Jehanne la Pucelle et autres à eulx retirer. Et disoient aucuns que la barrière leur fut fermée au retourner, et autres disoient que trop grand presse y avoit à l'entrée. Et finablement fut prinse et emmenée ladite Jehanne la Pucelle par iceulx Angloiz et Bourgueignons (77).
De laquelle prinse plussieurs du party du roy de France furent dollens et couroucez; et fut tenue longuement en prison par les Bourgueignons de la compaignie dudit Luxembourg. Lequel Luxembourg la vendit aux Angloiz, qui la menèrent à Rouen, où elle fut durement traictée, et tellement que, après grant dillacion de temps, sans procès, maiz de leur voulenté indeue, la firent ardoir en icelle ville de Rouen (78) publiquement, en luy imposant plusieurs maléfices, qui fut bien inhumainement fait, veu la vie et gouvernement dont elle vivoit. Car elle se confessoit et recepvoit par chacune sepmaine le corps de nostre Seigneur, comme bonne catholique. Et n'est point à doubter que l'espée qu'elle envoya quérir en la chapelle Saincte-Katherine de Fierbois, dont dessus est faicte mention, ne fut trouvée par miracle, comme ung chascun tenoit, mesmement veu que par le moien d'icelle espée, en paravant qu'elle fust rompue, a fait de beaulx conquestz cy dessus desclairez. Et est assavoir que après la journée de Patay, ladite Jehanne la Pucelle fist faire ung cry, que nul homme de sa compaignie ne tensist aucune fame diffamée ou cuquebine. Néantmoins elle trouva aucuns trespassans son commandement, par-quoy elle les frappa tellement d'icelle espée, qu'elle fut rompue. Et tantost ce venu à la con-gnoessance du roy, fut baillée à ouvrier pour la resoulder, ce que ilz ne peurent faire, ne la peurent rassembler oncques, qui est grant aprobacion qu'elle estoit venue divinement. Et estoit chose notoire que, depuis que ladite espée fut rompue, ladite Jehanne ne prospéra en armes au prouffit du roy ne autrement, ainssi que par avant avoit fait.
Or est vray que quant icelluy siège de Compiengne eult esté tenu desdits Angloiz et Bourgueignons par l'espace de six mois ou environ, et que les François estans en icelle ville estoient en grant neccessité, se vint mettre et entrer dedens ung escuier breton nommé Jamet de Teillay (79), accompaigné de quatre vingtz à cent combatans, lequel reconforta fort lesdits assiégez, et s'i porta et gourverna moult vaillamment. Et après ce fit une armée et assemblée de mille cinq cens combatans ou environ, de laquelle estoient chiefz le conte de Vendosme, le sire de Boussac, mareschal de France ; et vindrent courir sur iceulx Angloiz et Bourgueignons tenans ledit siège devant la ville de Compiengne, lesquelz Angoiz estoient clos de foussez, et devant les portes avoient de grans bastilles, et par force à pié et à cheval entrèrent en icelle fortifficacion. Et y ot plussieurs Angloiz et Bourguei-gnons mors et prins, et plussieurs se retirèrent par dessus ung pont qu'ilz avoient fait à travers la rivière d'Aise.
Et par lesdits conte de Vendosme, le sire de Boussac, mareschal de France et autres de leur compaignie, y eult fait de plussieurs belles armes et grans vaillances. Et à celle heure qu'ilz se combatoient à gaigner iceulx fossez et fortifficacions, ceux de la ville saillirent dehors et assaillirent vaillamment une bastille qui estoit viz à viz de leur porte, en laquelle avoit, ainssi c'om disoit, de trois à quatre cens combatans picars de la compaignie dudit de Luxembourg, lesquelz furent presque tous mors en la place. Et à celle heure fut desconfit tout le siège du costé devers la forest de ladite ville de Compiengne ; et s'aproucha fort la nuyt, parquoy convint que ledit conte de Vendosme, le mareschal de France et autres de leur campaignie entrassent en ladite ville. Et tantost commencèrent à passer de l'autre part devers la rivière plussieurs gens de guerre en bateaulx, pour ce que la saillie de dessus le pont estoit rompue. Et toute nuyt se deslogèrent Angloiz et Bourgueignons et s'en allèrent sans ordonnance en Normendie les ungtz, et les autres en Picardie, en très grant désarroy.
Et disoit on que ce iceulx conte de Vendosme et mareschal de France avec leur compaignie eussent peu passer ladite rivière, ilz eussent tous desconfitz iceulx Angloiz et Bourgueignons. Et laissèrent iceulx Angloiz deux ou trois grosses bombardes et plussieurs canons et autres artillerie et moult grant quantité de vins et de vivres. Et estoit dedens ladite ville Messire Philippe de Gamaches, abbé de Saint-Pharaon (80), lequel, ainssi c'om disoit, fut cause de tenir icelle ville de Compiengne contre iceulx Angloiz et Bourguaignons si longuement; lequel s'i porta moult vaillamment et grandement au bien du roy de France. Et en estoit cappitaine Guillaume de Flavy, lequel semblablement s'i porta vaillanment. Et devant le siège fut prins certain appoinctement pour traicter de paix entre le roy de France et le duc de Bourguongne, par lequel fut appoincté que ledit duc de Bourguongne, auroit ladite ville de Compiengne en sa main, pource que c'estoit passage de rivière, affin qu'il allast à Paris et ailleurs, pour besongner au fait d'icelui traicté. Et fut mandé audit Guillaume de Flavy, de par le roy de France, de bailler et délivrer icelle ville audit duc de Bourguongne, de laquelle chose il fut refusant, dont le roy fut d'abord très mal content, et touteffoiz plussieurs disoient que la désobéissance que icellui de Flavy avoit faicte avoit prouffité au roy, car par icelle ville furent les Angloiz et Bourgueignons très fort endommagez, et fut cause d'entretenir les autres villes que ledit roy avoit conquises.

En l'an dessus dit, messire Jean de Luxembourg, le comte de
Huntinton, le comte d'Arondel, d'autres Anglais et Bourguignons, vinrent
avec de grandes forces devant Compiègne, et l'assiégèrent des deux
côtés de l'Oise. Ils y firent des bastilles où ils se tenaient. Jeanne la
Pucelle, dès qu'elle en eut connaissance, partit de Lagny pour porter aide
et secours aux assiégés. Incontinent après son arrivée, de grandes et
nombreuses escarmouches commencèrent entre les Anglais et les Bourguignons
d'une part, et ceux de la ville de l'autre.
Or il advint qu'un jour Jeanne la Pucelle fit une sortie très vaillante
et très hardie ; mais les Anglais et les Bourguignons chargèrent aussi
très fort sur elle et sur ses hommes, en sorte qu'elle fut contrainte de
battre en retraite avec ses gens.
Quelques-uns disent que la barrière lui fut fermée au retour ; d'autres
qu'il y avait trop grande presse à l'entrée ; finalement elle fut prise par
les Anglais et les Bourguignons et amenée captive. Plusieurs gens du roi
en furent très dolents.
Les Bourguignons de la compagnie de Luxembourg la tinrent longtemps
en prison. Luxembourg la vendit aux Anglais qui l'emmenèrent à Rouen,
où elle fut cruellement traitée. Après l'avoir longuement détenue, ils la
firent brûler publiquement à Rouen, en lui imposant plusieurs maléfices,
en réalité en vertu de la loi Sic volo, sic jubeo, stat pro ratione voluntas (Je le veux, je l'ordonne, mon vouloir est raison.)... (81)

n icellui an mil quatre cens trente, les Angloiz et Bourgueignons estans en garnison ès chastel et ville de Melun estoient allez et partis d'iceulx courir sur les François. Et adonc les bourgois d'icelle ville, voyans que pou estoit demouré desdits Angloiz et Bourguongnons, s'esmeurent et rebellèrent contre iceulx. Et y avoit ung vieil homme trompette qui autreffoiz avoit servi le roy de France, qui sonna sa trompette en disant vive le Roy ! Et à celle voix s'eslevèrent lesdits bourgois et habitans, qui tousjours avoient eu bonne voullenté envers le roy de France, et qui par force et par siège avoient esté conquis.
A celle heure frappèrent sur leurs ennemis, et tellement qu'ilz furent maistres d'icelle ville. Lesdits Angloiz et Bourguongnons, voyans le peuple de la ville ainsy esmeu contre eulx, furent en grand effroy, car ils visdrent bien qu'ilz ne porroient résister. Parquoy n'y eust sy hardy ne assurré qui se ozast monstrer ne arrester, ains le plus hastivement qu'il leur fust possible se retrairent dudit chastel. Et tantost envoyèrent iceulx habitans devers deux chevalliers qui tenoient aucunes places en pays d'environ, l'un nommé le commandeur de Giresmes, et l'autre Messire Denis de Chailly, lesquelz vin-drent dilliganment à tout ce qu'ils peurent finer de gens d'armes au secours desdits. bourgois et habitans, et assiégèrent ledit chastel, ouquel avoit de quatre-vingtz à cent hommes Angloiz et Bourguongnons. Et vindrent les Angloiz de Paris et de Corbeuil audit Melun, pour cuider secourir ceulx qui estaient oudit chastel, lesquelz furent reboutez par lesdits deux chevalliers, Messire Jehan Foucault, ung capitaine nommé Housse et plussieurs autres vaillans gens. Et après ce que iceulx Angloiz de Paris et de Corbueil furent ainssy reboutez, lesdits deux chevalliers et autres dessus nommez tindrent le siège devant le chastel par l'espace de douze jours ou environ. Et en lafin leur fut rendu par lesdits Angloiz et Bourguongnons, qui se retirèrent à Paris et ailleurs, en party desdits Angloiz.
Et furent iceulx chevalliers moult profittables et firent de très grans et notables services au roy, tant en la garde de son pays, en plussieurs lieux de ce royaulme, comme aux prinses et recouvrement de Prouvins, qu'ilz prindrent d'eschielle sur les Angloiz, qui pareillement avoit esté prins d'eschielle par lesdits Angloiz sur les François. Et gaignèrent iceulx chevalliers d'assault sur les Angloiz ung petit chastel que lesdits Angloiz avoient fortiffié ou grand chastel de Prouvins. Et furent mors à celle prinse de quatrevingtz à cent Angloiz, et firent coupper les testes à plussieurs des bourgois d'icelle ville qui s'estoient retirés oudit chastel en la compaignie des Angloiz.
Et huit jours après, prindrent semblablement lesdits deux chevalliers sur lesdits Angloiz la ville de Moret en Gastinois.
Et avant et après ces choses faictes, trouvèrent façon et manière de mettre en l'obéissance du roy maintes autres villes et forteresses moult proffitables pour le roy, pour les congnoessances qu'ilz avoient au pays, et par promettre et donner argent à aucuns des ennemys segrettement : comme Crécy en Brye, Coulommiers en Brye ; Blandy, que ilz prindrent par siège, Corbueil, le boys de Vincennes et plussieurs autres forteresses. Et firent plussieurs belles destrousses et rencontres sur les Angloiz, et tant qu'ilz en sont dignes de grande recommandacion envers le roy de France et le royaulme.

udit an y avoit une grant compaignie d'Angloiz et de Bourguongnons assemblez, et jucques au nombre de sept à huit mille combatans, lesquels tiroient pays pour aller mettre aucun siège ou autrement quérir leur advantaige. Et quant ilz furent entre la ville de Chaallons en Champaigne et Nostre-Dame de l'Espine, vint bruit audit Chaallons de ladite assemblée. Pourquoy, doubtant qu'ilz n'eussent fait aucune entreprinse sur icelle ville, par le conseil d'un ancien chevallier moult subtil en guerre, nommé Messire Barbazam, qui pour lors estoit logié audit lieu de Challons en Champaigne, en l'abbaye de Saint-Mange, et fut appoincté que on prévendroit sur lesdits Angloiz et Bourguaignons, et que on les yroit assaillir. Et pour ce furent assemblez avecques ledit Barbazam monseigneur Eustace de Comflans, chevallier capitaine dudit lieu de Challons, ung escuier nommé Versailles, ung aultre escuier, Pierre Martel, cappitaine de Sepsaulx, et plussieurs autres cappitaines de gens d'armes des garnisons d'environ, et jucques au nombre de trois mille ; qui estoit pou de chose au regard de la compaignie d'iceulx Angloiz et Bourguongnons. Et néantmoins se partirent dudit Challons et allèrent courir sus ausdessus dits Angloiz et Bourguongnons. Lesquels se misdrent à leur advantaige, quant ils virent lesdits François venir en ung lieu appellé la Croisette, et là fut vaillanment combatu tant d'une part comme d'autre.
Et durant que ladite bataille se faisoit, fut envoyé quérir par ledit Barbazan ung escuier nommé Henry de Bourges, cappitaine du chastel et ville de Sarré (82), pour venir à leurs secours. Et combien que ledit cappitaine fust promptement venu de courir les pays de ses ennemys, touteffoiz, comme vaillans, preux et hardi, changèrent lui et ses gens nouveaulx chevaulx, et y avoit en sa compaignie quinze cens (83) combatans ou environ, bien en point. Desquels estoit le principal le bourg (84) de Vignolles, frère de La Hire, et vindrent audit lieu où la bataille estoit, à une lieue près dudit Sarré. Et tindrent leur chemin tout au long des vignes tout le plus couvert qu'ilz peurent, et sans marchander se boutèrent dedans icelle bataille, et tellement s'i gouvernèrent que lesdits Angloiz et Bourguongnons furent desconfilz, et n'en eschappa guaires que tous ne fussent mors et prins. Et disoit on qu'ils estoient bien de cinq à six cens prisonniers, qui furent menez dedans ladite ville de Challons. Et furent enterrez les mors par les gens des villages d'environ. Et si y mourut des François quatre vingts ou environ. Icelle desconfiture relactée par Pierre de Bruyères, serviteur dudit bourg de Vignolles, lequel estoit présent à ladite journée.

'an mil quatre cens trente-un (85) passa la mer et descendit en France le roy d'Angleterre Henri VI du nom, filz du feu roy d'Angleterre, aussi nommé Henry, dont dessus est faicte men-cion, et de Katherine, fille de France, lequel estoit en l'aage de douze ans ou environ. Et s'en vint tout droit à Paris acompaignié du cardinal de Vicestre, du duc de Betheford, son oncle, du conte de Varuich et de plussieurs autres seigneurs d'Angleterre. Auquel lieu de Paris il fut reçeu moult grandement et honnourablement en cryant Noël ! pour sa venue et en faisant plussieurs mistères et jeux de personnages en plussieurs carrefours de ladite ville de Saint-Denis. Au hault de la bastille de la porte Saint-Denis, par laquelle il entra, fut fait ung grant escu armoyé des armes dudit roy, et plussieurs autres paintures et histoires en louant sa venue. Et par l'évesque de Thérouenne, soy-disant chancellier de France pour ledit roy Henry, l'évesque de Paris, les présidens, les conseilliez et autres tant de parlement, des comptes, des généraux, des requestes et autres, les prévosts de Paris, des marchans, eschevins et autres de ladite ville de Paris, furent à le renconter aux champs, en lui faisant révérence comme à leur souverain seigneur. Et se vint logier ledit roy d'Angleterre au pallaiz.
Et furent faiz grans eschaffaulx de boys en l'église Nostre-Dame de Paris, et solempnellement devant tout ledit peuple fut ledit roy Henry couronné à roy de France par ledit cardinal. Et avoit pour l'eure deux couronnes, dont l'une lui fut mise sur la teste par ledit cardinal, et l'autre estoit tenue emprès lui en manière que ung chacun la povoit bien veoir, en signiffiance du royaulme d'Angleterre. Et le service et mistère fait et acomply, s'en alla disgner au Pallaiz, où il tint estat royal.
Source : "Chronique de Charles VII par Jean Chartier" - Vallet de Viriville - 1868.
Présentation de la chronique, mise en Français plus moderne et variantes de la version latine : J.-B.-J. Ayroles "La vraie Jeanne d'Arc - t.III - 1897.
Notes :
1 Vallet de Viriville, dans la notice qu'il lui a consacrée, et bon nombre d'auteurs, font de lui le frère d'Alain Chartier, secrétaire du roi, et de Guillaume Chartier, évêque de Paris à
l'époque du Procès de réhabilitation. M. de Beaucourt, dans son Histoire de Charles VII, dit que c'est une erreur et que ces trois personnages n'auraient de commun que le nom.
2 son style " est lourd, diffus, négligent, vulgaire, sans goût ". (Vallet de Viriville).
3 Guillaume d'Albret, sire d'Orval.
4 Charles d'Albret.
5 "Rostrenen" dans la chronique de Richemont.
6 Le siège fut posé devant Orléans par les Anglois le 12 octobre 1428.
7 Monastère
8 Saint-Aignan.
9 Jean Stuart d'Aubigny, comte d'Évreux.
10 Falstaff
11 La journée des harengs eut lieu le 12 février 1429.
12 William Glasdale
13 Sir John Talbot
14 John Falstaff
15 Lord Molyns
16 Lord Poynings, les textes l'appelent aussi Pommis, Pomiers, Pomus...
17 La date généralement établie de la venue de la Pucelle à Chinon est celle du 6 mars 1429 et de sa présentation devant le Roi le 9 mars.
La relation du greffier de La Rochelle a donné comme date d'arrivée à Chinon le 23 février 1429, date souvent reprise par les historiens actuels et qui correspond à la date de départ donnée par Jean de Metz dans son témoignage. (ndlr)
Lire à ce sujet l'étude de Jean Boissonade (1933) qui fait autorité auprès de certains historiens comme Régine Pernoud. (ndlr)
18 Le 25 avril, elle partit de Blois et se mit en campagne.
19 Elle entra dans Orléans le 29.
20
Nous mettons ici cinq croix, encore bien qu'aucun texte manuscrit ou imprimé de Jean Chartier ne fournisse cette leçon. Les motifs qui nous ont ainsi porté à corriger l'auteur lui-même résultent de l'exposé qui va suivre. On trouve dans le texte des diverses éditions de la chronique, savoir: Mss. 8350, 9679, 2, a, et Saint-Germain françois 1540 : cinq petites espées ; mss. 8298, Saint-Germain françois 1539 et Arsenal, 160, ainsi que les imprimés de 1477, 1493 , 1518, 1661 : cinq fleurs de lis. Mais, d'un autre côté, la Geste des nobles françois, par Guillaume Cousinot, le chancelier (mss. 10297 et 9656), la Chronique de la Pucelle, par Cousinot de Montreuil, dans Godefroy, p. 507, le Journal du siège, dans Quicherat, procès, etc., p. 129, donnent, au passage correspondant : cinq croix. Cette leçon est évidemment la bonne, et ce qui doit fixer la controverse, c'est le témoignage direct, sur ce point, de la Pucelle. « Interrogée comment elle savoit que cette épée étoit en ce lieu, a répondu... qu'il y avoit dessus cinq croix, et qu'elle le savoit par ses voix. » (Procès de condamnation, t. I, p. 76 et 236.) Cette particularité offre un nouvel argument ou un nouvel appui en faveur de la thèse que j'ai développée dans ma dissertation intitulée : Essais critiques sur les historiens, etc. Chronique de Cousinot. Paris, 1857, in-8°. Jean Chartier, qui, après 1437, travailloit sur des textes communiqués, a évidemment ici altéré le texte, lui ou ses copistes, et cette altération, comme on voit, porte tantôt cinq fleurs de lys et tantôt cinq petites épées.
21 On se demande vainement d'où Chartier aurait tiré ce nom (Ayroles).
22 De desconfire et débouter hors les Anglais, c'est le texte. Or, d'après Lacurne débouter signifie : chasser, expulser, repousser. (Dictionnaire de l'ancienne langue française.)
23 L'Ascension le 5 mai. La veille doit donc être le 4.
24 Le 5 mai.
25 Ce conseil eut lieu le 5 mai.
26 Le fameux Gilles de Rais. Il fut exécuté en 1440 pour ses crimes.
27 Guillaume Cousinot, auteur de la Geste des Nobles.
28 Dites
29 De céler, tenir secret.
30 Paris.
31 Les Anglais partirent dans la nuit du 7 au 8 mai.
32 Le Bourg veut dire Bâtard.
33 Il semble que la grande bastille de la rive droite était Saint-Pouair, ou Paris.
34 Jean Duc d'Alençon cessa d'être captif en 1427.
35 120.000.
36 Frère du Comte de Suffolk.
37 La plupart.
38 Ce fut 2 jours après. Chartier reproduit l'erreur de la chronique de la Pucelle.
39 Louis de Bourbon.
40 Atteints, de Aconsuivre
41 La victoire de Patay fut remportée le 18 juin.
42 L'imprimé de 1477 a heureusement substitué le mot chasse au mot chose du manuscrit. C'est un des deux mots différents que la collation nous a fait découvrir.
43 C'est-à-dire Charles, comte de Clermont : celui-ci ne fut duc de Bourbon qu'après son frère, en 1454. Jean Chartier l'appelle ainsi parce qu'il écrivoit après 1437. Voy. notice de Jean Chartier.
44 Georges de la Trimouille, personnage hétéroclite. La sincérité même de son attachement à la cause de Charles VII et sa probité se présentent également dans l'histoire sous un jour douteux. Il exerça, dans cette période critique, une funeste influence.
45 (Ms. de Rouen et autres.) Godefroy : comme chose toute extraordinaire venue de la part de Dieu.
46 Ainsi : c'est à dire que plusieurs capitaines se retirèrent aussi.
47 Se défiait.
48 C'est à Saint-Denis que le fait arriva d'après la déposition du Duc d'Alençon.
49 La plupart.
50 Des épis de blé que les soldats frottaient dans leurs mains ou autrement, de manière à isoler le grain, qu'ils mangeaient ainsi.
51 Cette séance eut lieu le 8 juillet.
52 Traduisez : Qui vraisemblablement pouvaient advenir.
53 Le 9 juillet.
54 Le roi était à Châlons le 14.
55 17 juillet.
56 Les lettres-patentes de cette érection, datées de Reims, 17 juillet 1429, sont dans le ms. Dupuy, n" 476, f" 15-14.
57 Les trois ducs et autres princes firent plusieurs chevaliers.
58 Wailly : on y était le 22.
59 Du 23 au 26 juillet.
60 Ms de Rouen : tuez au lieu de prins.
61 Le 14 août.
62 Avantageuse.
63 Il était à Baron le 17.
64 Montépilloy.
65 Aile.
66 Pieux, pluriel de pal.
67 Environ.
68 Manuscrit de Rouen (Godefroy) : deux lieues.
69 Cette affaire eut lieu le 8 septembre 1429.
70 D'après d'autres chroniques, il ne sortit de Paris que le lendemain.
71 Trait d'arbalète.
72 Jean Chartier a laissé en blanc ce nom de lieu; nous le restituons d'après le témoignage du hérault Berry. Ce passage eut lieu vers le 15 septembre.
73 Meunier.
74 Godefroy donne octobre.
75 Pâques le 16 avril.
76 Oise (ndlr).
77 La Pucelle fut prise le 23 mai 1430.
78 Elle périt le 30 mai 1431.
79 Jamet du Tillay.
80 Saint Faron de Meaux.
81 C'est ainsi que, dans le numéro 2396, Jean Chartier termine les chapitres consacrés à la Pucelle. La manière est différente, tant dans le manuscrit reproduit par Quicherat que dans celui qu'a reproduit Vallet de Viriville. Il y rapporte une particularité intéressante qui ne se trouve pas dans le texte que nous avons cru devoir préférer.
82 Sarry-lès-Châlons. Château appartenant à l'évêque.
83 Godefroy : quelque quatre cents.
84 Bâtard.
85 Pâques le 1er avril.
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