Son histoire
par Henri Wallon

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La chronique du héraut d'armes Berri
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  On s'explique assez difficilement que l'on ait attribué à Alain Chartier une Chronique dont l'auteur se fait connaître dans le prologue, à peu près dans les termes suivants, qui se lisent dans plusieurs manuscrits du XVe siècle.
  « Je, Berry, premier hérault du roy de France, mon naturel et souverain seigneur, et roy d'armes de son pays de Berry, honneur et révérence à tous ceux qui ce petit livre liront. Plaise savoir qu'à la seizième année de mon âge, alors que chacun, ainsy que nature l'ordonne, pense à s'appliquer là où sa plaisance l'incline, je pris mon plaisir et délectation à voir et à suivre le monde. A cette heure (1), le noble royaulme de France et la noble cité de Paris avoient la plus haute renommée de tous les royaulmes chrétiens. Là abondoient le plus, prélats, chevalerie, marchands, clercs et commun peuple; là se trouvoient haults honneurs, richesses et plaisirs. Je m'appensai de voir à mon pouvoir les honneurs et haults faits de ce très noble et très chrestien royaulme, de me trouver, par le plaisir de Dieu, partout où je saurois voir les haultes assemblées et haults faicts d'iceluy royaulme et des aultres à mon pouvoir, et que la vue d'icelles choses seroit mise par moy en escrit, tant les biens faicts que les mauvois. »

  Ce n'est pas Denys Godefroy qui a restitué au héraut Berry, ainsi qu'on le lit dans nombre d'écrits modernes, la Chronique dont il est l'auteur. Godefroy donnait son Recueil des historiens de Charles VII en 1661 ; or en 1651, dans son Abrégé royal de l'alliance chronologique de l'Histoire sacrée et profane, le Père Labbe signalait, d'après le savant André Duchesne, l'erreur qui l'attribuait à Alain Chartier.
  Berry nous donne d'autres détails personnels dans son Traité des armoiries, qui débute ainsi : « Je, Gilles Le Bouvier, dit Berry, premier hérault de très hault et très chrestien roy Charles septiesme, par luy nommé et créé hérault en l'an MCCCCXX, et depuis coronné et créé par iceluy prince en son chastel de Mehun en la feste de Noël, roy d'armes des pays et marches du Berry, etc. »
  Roi d'armes était le titre le plus haut d'une hiérarchie qui comprenait les hérauts d'armes, le poursuivant d'armes, et les aspirants au titre de poursuivant, ou les simples chevaucheurs. Les hérauts d'armes avaient une haute importance dans le moyen âge, chargés qu'ils étaient de proclamations aussi significatives que les déclarations de guerre, ou les propositions de paix, de veiller à ce que dans les tournois tout se passât conformément aux règles de la chevalerie, d'animer les combattants, etc. Ils devaient être très versés dans l'art héraldique. Aussi Gilles Le Bouvier a-t-il fait un Traité des armoiries. Il a écrit une Géographie; un passage en a été cité au premier chapitre de ce volume; enfin il a écrit une Chronique de l'an 1402 à 1455.

  Berry est très succinct dans ses récits. Comme témoin sur la Pucelle, il n'offre guère d'intérêt que pour ce qui regarde le siège de La Charité, et la tentative faite par Jeanne afin de déloger le duc de Bourgogne du siège de Choisy; pour tout le reste, c'est presque un sommaire souvent inexact (2).
  Il existe de nombreux manuscrits de la Chronique de Berry. Quicherat se servit de textes renfermant deux phrases qu'il déclare justement inintelligibles, mais il a tort d'ajouter qu'elles sont telles dans tous les manuscrits. Les manuscrits n° 2860 et 2861 renferment des phrases fort claires, et en accord avec le contexte. Il y a dans le n° 2861 plusieurs faits omis dans le texte de Quicherat, faits qui aident à mieux comprendre l'histoire de Jeanne d'Arc, et qui seront reproduits; tel le recouvrement de Melun.

chapitres :
...
chap. I (Venue de la Pucelle)
chap. II (Orléans)
chap. III (Beaugency - Patay)
chap. IV (Troyes - Reims)
chap. V (... Paris)
chap. VI (Melun - Sens - La Charité)
chap. VII (Choisy-au-Bac - Compiègne)


                      



                                         

elluy an, en ce mesmes temps de karesme, arriva une jeune fille de l'aage de XVIII ou XX ans par devers le roy, au chastel de Chinon, nommée Jehanne la Pucelle ; laquelle estoit née et nourie d'emprès Vaucoulour, d'un villaige de dessus la rivière de Meuse, et avoit esté toute sa jeunesse jusques à celle heure à garder les berbis. Et vint devant le roy en le saluant et luy dist ces parolles : Que Nostre Seigneur l'envoyoit devers luy pour le mener couronner à Rains et pour lever le siège que les Anglois tenoient devant la bonne cité d'Orléans; et que Dieu à la prière des Sains ne vouloit point que ladicte cité fut prinse ne périe.
  Et à ces parolles le roy la fist examiner par pluseurs saiges docteurs de son royaume, ausquelz elle respondit saigement et par bonne manière, et tellement que tous les docteurs estoient d'oppinion que son fait, son dit et ses parolles estoient faictes et dictes par miracle de Dieu. Et pour ce, fut dit et ordonné en grant délibéracion du conseil que, pour faire et acomplir les choses quelle avoit dictes, en entencion de commencer et achever au plaisir de Dieu, on luy bailleroit chevaulx, harnois et gens pour la compaignier à veoir son fait et que ce seroit. Et fut tout fait, conseillé et ordonné audit chastel de Chinon durant ledit temps de karesme que ung chascun estoit en dévocion. Et la conduisoient le mareschal de Rieux (3) et le sire de Cullant, l'un mareschal et l'autre admiral.


  En cet an 1429, et en ce même temps de carême, arriva par devers le roi, au châtel de Chinon, une jeune fille de l'âge de dix-huit à vingt ans, nommée Jeanne la Pucelle. Elle était née et nourrie d'emprès Vaucouleurs, à un village de dessus la rivière de Meuse, et avait été toute sa jeunesse jusqu'à cette heure à garder les brebis. Elle vint devant le roi et en le saluant lui dit ces paroles : « Que Notre-Seigneur l'envoyait vers lui pour le mener couronner à Reims et pour lever le siège que les Anglais tenaient devant la bonne cité d'Orléans, et que Dieu, à la prière des saints, ne voulait pas que ladite cité fût prise ni périe ».
  Sur ces paroles, le roi la fit examiner par plusieurs sages docteurs de son royaume, auxquels elle répondit sagement et par bonne manière, tellement que tous les docteurs étaient d'opinion que son fait, son dit et ses paroles, étaient faits et dits par miracle de Dieu. Et pour ce, il fut proposé et ordonné en grande délibération du conseil que, pour faire et accomplir les choses qu'elle avait dites, en intention qu'elle pût les commencer et achever au plaisir de Dieu, on lui baillerait chevaux, harnais et gens pour l'accompagner et voir son fait et ce que ce serait. Et tout fut fait, conseillé et ordonné audit châtel de Chinon durant ledit temps de carême, alors que un chacun était en dévotion. Et la conduisaient le maréchal de Rais et le sire de Culan, l'un maréchal et l'autre amiral.



                                         

'an mil IIIIc et vingt neuf fut levé le siège d'Orléans le XIIe jour de may. Et en ce temps se partit ladicte Pucelle du chastel de Chinon et print congié du roy, et chevaucha tant par ses journées qu'elle arriva dedans la bonne cité d'Orléans malgré les Anglois, et leur envoia lettres par ung hérault publiquement devant tout le monde, qu'ilz s'en alassent et que Dieu le vouloit, ou si non il leur mescherroit, et que Dieu se courouceroit à eulx s'ilz faisoient le contraire. Lesditz Anglois prindrent ledit hérault et jugèrent qu'il seroit ars et firent faire l'atache pour le ardoir. Et toutes voies, avant qu'ilz eussent l'oppinion et conseil de l'université de Paris et de ceulx tenus de ce faire, ilz furent levés, mors et desconfiz et partirent si hastivement qu'ilz laissèrent ledit hérault en leurs logis, tout enferré, et s'enfouirent.
  Ladicte Pucelle visita les bastilles qu'ilz avoient emparrées; et estoient avec elle le sire de Rieux, mareschal de France ; le bastard d'Orléans et messire Loys de Cullant, admiral, et plusieurs aultres chevaliers et escuyers dessus nommez. Et l'endemain se partit laditte Pucelle d'Orléans et vint à Blois (4) pour avoir gens et vivres. Et ce fait vint audit lieu d'Orléans atout une grosse puissance de gens d'armes.
  Et si tost qu'elle fut entrée en la dicte ville, le peuple s'enpartit d'Orléans du grant voulloir qu'ilz avoient d'estre hors de la servitute desdis Anglois. Et assaillirent la bastide de Saint Lo que les François (5) avoient prinse. Mais quant ilz furent myvoie ilz apperceurent que le feu estoit dedans et qu'elle estoit perdue pour eulx.
  Et y estoient allés monseigneur le bastard d'Orléans, le sire de Rieux et plusieurs autres, quant ilz sceurent que le peuple estoit esmeu de y aller. Et fut le commencement du siege levé; et là furent mors et ars LX Anglois, et XXII prisonniers qui furent à monseigneur le bastard d'Orléans. Et tenoit celle ditte bastille ung capitaine anglois nommé Thomas Guerrard, lequel estoit à Monstereau dont il estoit cappitaine pour lesdis Anglois.
  Et ce soir passèrent les François en bateaulx la rivière de Loire et allèrent assaillir les bastilles du costé de Beausse (6) et celle des Augustins devant la porte du pont, et les prindrent. Et ce soir se retrahirent lesdits François en la ditte ville et la ditte Pucelle avec eulx et une partie des gens d'armes demourèrent au champ toute la nuyt.
  Et l'endemain au matin qui estoit jour de samedi, lesditz François passèrent de rechief ladicte rivière pour assaillir la bastille du pont. Et là furent le sire de Rieux, le bastard d'Orléans, le sire de Gaucourt, le seigneur de Graville, le sire de Guitry (7), le sire de Courraze (8), le sire de Villars (9), messire Denis de Chailly, l'admiral messire Loys de Cullant, La Hire, Poton, le commandeur de Giresme, messire Florant d'Illiers, Le Bourg de Masquaren, Thibault de Tarmes et plusieurs aultres; lesquelz donnèrent l'assault de toutes pars à laditte bastille du pont, depuis le midi jusques au soleil couchant, et tant que par force d'armes ladicte bastille fut prinse. Et y moururent les seigneurs de Pougnis et de Moulins (10) et ung cappitaine nommé Clacidas, Anglois, lequel estoit cappitaine d'icelle bastille; et en se cuidant retraire dedans la tour du boulevart, le pont fondit, et luy et tous ceulx qui estoient sur ledit pont fondirent en la rivière de Loire ; et là dedans furent que mors, que prins, que noiés, de IIII à Vc Anglois.
  Et le lendemain au matin, qui fut dimanche, se levèrent les Anglois de devant Orléans et s'en allèrent à Mehun sur Loire, la plus part à pié, et laissèrent leurs bastilles, vivres et artillerie. Dont ceulx de la ditte ville d'Orléans furent moult reffaiz et eurent assés grant confort des vivres qu'ilz trouvèrent ès dittes bastilles.

  

  L'an mil IIIIe et vingt-neuf fut levé le siège d'Orléans, le XIIe jour de mai (11). Et en ce temps se partit la Pucelle du châtel de Chinon ; elle prit congé du roi, et chevaucha tant par ses journées qu'elle arriva dedans la bonne cité d'Orléans malgré les Anglais. Par un héraut, elle leur envoya publiquement devant tout le monde des lettres portant qu'il s'en allassent, que Dieu le voulait, que sinon il leur mescherroit (arriverait malheur), et que Dieu se courroucerait contre eux s'ils faisaient le contraire. Lesdits Anglais prirent le héraut, et décidèrent qu'il serait ars, et firent faire l'attache (le bûcher [?]) pour le brûler. Toutefois, avant qu'ils eussent reçu le sentiment et conseil de ceux de l'Université de Paris et de ceux tenus de ce faire (de donner conseil), ils durent lever le siège, furent morts et déconfits, et partirent si hâtivement qu'ils laissèrent le héraut en leurs logis tout enferré, et s'enfuirent.
  La Pucelle visita les bastilles qu'ils avaient élevées ; et étaient avec elle le sire de Rais, maréchal de France, le bâtard d'Orléans, et messire Louis de Culan, amiral, et plusieurs autres chevaliers et écuyers dessus nommés. Le lendemain la Pucelle partit d'Orléans et vint à Blois pour avoir argent et vivres (12). Cela fait, elle vint audit lieu d'Orléans avec une grosse puissance de gens d'armes.
  Sitôt qu'elle fut entrée en la ville, le peuple sortit d'Orléans (des remparts) par le grand vouloir qu'ils avaient d'être hors la servitude des Anglais. Ils assaillirent la bastide de Saint-Loup et la prirent d'assaut. Et alors les Anglais qui étaient dans les autres bastilles loin de là se mirent en chemin pour secourir la bastille de Saint-Loup. Mais avant qu'ils fussent à mi-chemin, ils aperçurent que le feu était dedans et qu'elle était perdue pour eux (13).
  Étaient allés à l'attaque Mgr le bâtard d'Orléans, le sire de Rais, et plusieurs autres, quand ils surent que le peuple était ému d'y aller. Ce fut le commencement de la levée du siège. Là furent morts et brûlés 60 Anglais, et 22 furent faits prisonniers. Ils furent à Mgr le bâtard d'Orléans. Cette bastille était tenue par un capitaine anglais nommé Thomas Guérard, qui était capitaine de Montereau pour les Anglais.
  Ce soir (14), les Français passèrent en bateaux la rivière de Loire, et allèrent assaillir les bastilles du côté de la Vicomté (15), et celle des Augustins devant la porte du pont et les prirent. Et ce soir, les Français se retirèrent en la ville, et la Pucelle avec eux, et une partie des gens demeurèrent aux champs toute la nuit.
  Le lendemain au matin, qui était jour de samedi, les Français passèrent de nouveau la rivière pour assaillir la bastille du pont. Et là furent le sire de Rais, le bâtard d'Orléans, le sire de Gaucourt, le seigneur de Graville, le sire de Guitry, le sire de Coarraze, le sire de Villars, messire Denis de Chailly, l'amiral messire Louis de Culan, La Hire, Poton, le commandeur de Giresme, messire Florent d'Illiers, le Bourg de Mascaran, Thibaud de Thermes et plusieurs autres; lesquels donnèrent l'assaut de toutes parts à ladite bastille du pont depuis le midi jusque au soleil couchant, et tant, que par force d'armes la bastille fut prise. Et là moururent les seigneurs de Poynings, et de Molyns, et un capitaine nommé Glacidas, Anglais, qui était capitaine d'icelle bastille. Comme il pensait se retirer dedans la tour du boulevard, le pont fondit, et lui et tous ceux qui étaient sur ce même pont fondirent en la rivière de Loire; et là dedans furent qui morts, qui pris, qui noyés, de 400 à 500 Anglais.
  Le lendemain matin, qui fut dimanche, les Anglais se levèrent de devant Orléans et s'en allèrent à Meung-sur-Loire, la plupart à pied; et ils laissèrent leurs bastilles, leurs vivres et leur artillerie; ce dont ceux de la ville d'Orléans furent moult refaits, et ils eurent très grand confort des vivres qu'ils trouvèrent dans les dites bastilles.



                                         

ors le conte de Suffort print la charge de cinq cens Anglois pour mener à Jargueau par l'ordonnance du sire de Tallebot, lieutenant pour le roy d'Angleterre. Et demoura le sire de Tallebot à Mehun et à Baugency jusques ad ce qu'ilz eussent nouvelles du duc de Bethefort et grant secours. Lequel duc leur envoya messire Jehan Fastot à tout ce qu'il puist finer de gens. Et lors les chiefz de guerre qui avoient esté dedans la ville d'Orléans, le siége durant, et monseigneur le connestable de France conte de Richemont, monseigneur d'Allençon et monseigneur d'Alebret, vindrent et mirent le siege à Gergueau et le prindrent d'assault. Et là furent que prins que mors de quatre à cinq cens Anglois; et fut prins sur le pont de la ville, soubz lequel passe la rivière de Loire, le conte de Suffort qui s'estoit retraict sur ledit pont après la prinse de la dicte ville; et se rendit à ung escuier d'Auvergne nommé Guillaume Regnault; lequel conte fist chevallier ledit Guillaume Regnault affin que l'on dist qu'il estoit prins d'un chevalier. Et à la prinse qui fut faicte sur ledit pont des François et Anglois, se noia Alixandre de la Poulle, frère dudit conte.
  Et de là vindrent les François et la Pucelle mectre le siége à Baugency; et veu la paour que les Anglois avoient de la fortune qu'ilz véoient sur eulx, se randirent et délivrèrent Baugency par composicion. Et dedans estoient de six à sept cens Anglois, et en estoit cappitaine messire Guischart Guetin.
  Et quant le sire de Tallebot et messire Jehan Fastot sceurent que ledit Baugency estoit rendu et que les Anglois s'en estoient allés en Normandie ung baston en leur poing, se partirent lesdis sire de Tallebot et messire Jehan Fastot pour tirer à Yenville. Et lors lesdis seigneurs de France le sceurent et les poursuivirent bien six lieues et les actaingnirent au droit d'un fort moustier nommé Patay. Et là furent combatus et desconfis lesdis Anglois; et là fut prins le sire de Tallebot et autres, jusques au nombre de troys cens Anglois prisonniers, et de mors XXIIc, et s'en fouit messire Jehan Fastot et pluseurs autres. Et par celle journée laissèrent Mehun, Yinville, la Ferté-[Hubert] et plusieurs autres forteresses ou pays de Beausse.

                    

  Le comte de Suffolk prit la charge de cinq cents Anglais, pour les mener à Jargeau, sur l'ordre de sire de Talbot, lieutenant pour le roi d'Angleterre. Le sire de Talbot demeura à Meung et à Baugency jusqu'à ce qu'ils eussent des nouvelles du duc de Bedford, et de grands secours. Le duc leur envoya messire Jean Fastolf et tout ce qu'il put réunir de gens.
  Et lors les chefs de guerre qui avaient été dedans la ville d'Orléans durant le siège, et Mgr le connétable de France, comte de Richemont (16), Mgr d'Alençon et Mgr d'Albret, vinrent et mirent le siège à Jargeau et le prirent d'assaut. Là furent pris ou tués de quatre à cinq cents Anglais; et fut pris, sur le pont de la ville sous lequel passe la rivière de Loire, le comte de Suffolk qui s'y était retiré après la prise de la place. Il se rendit à un écuyer d'Auvergne, nommé Guillaume Regnault, que le comte fit chevalier pour que l'on dît qu'il avait été pris par un chevalier. A la prise des Anglais, qui fut faite sur le pont par les Français, se noya Alexandre de la Poule, frère dudit comte.
  Les Français et la Pucelle vinrent de là mettre le siège devant Baugency; les Anglais, vu la peur qu'ils avaient en voyant la fortune tourner contre eux, se rendirent et livrèrent Baugency par composition. Dans la place étaient de six à sept cents Anglais, ayant pour capitaine messire Guichard Guettin.
  Quand le sire de Talbot et messire Jean Fastolf surent que Baugency s'était rendu et que les Anglais s'en étaient allés en Normandie un bâton en leur poing, ils partirent pour se rendre à Janville (17). Les seigneurs de France le surent ; ils les poursuivirent bien six lieues, et ils les atteignirent en face d'un fort monastère nommé Patay. C'est là que les Anglais furent combattus et déconfits ; là furent pris le sire de Talbot, et d'autres jusqu'au nombre de trois cents ; il y eut vingt deux cents morts (18) ; messire Jean Fastolf s'enfuit avec plusieurs autres. Par cette journée les Anglais laissèrent Meung, Janville, La Ferté, et d'autres forteresses du pays de Beauce.



                                         

t lors sceut le roy les nouvelles, et s'en alla à Gien et de là à Aucerre à tout son ost et vint devant la cité de Troyes. Et renvoya le connestable, et aussi contremanda le conte de Perdriac (19) pour ce que le sire de La Trimoille craignoit qu'ilz ne voulsissent entreprandre à avoir le gouvernement du roy ou luy faire desplaisir de sa personne et le bouter hors.
  La dicte cité de Troyes fist obéissance au roy, lequel se partit de là et vint à Challons qui luy fist pareillement obéissance, et de là à Rains où il fut grandement acompaigné des seigneurs de son sang et barons de son royaulme, comme le duc d'Alençon, le conte de Vendosme, le sire de Lebret, le bastard d'Orléans, le conte de Clermont, les mareschaulx, l'admiral, le maistre des arballestriers, le sire de Laval et moult d'autres barons. Et fut le roy sacré et couronné à Rains en moult grant solempnité.


  Le roi, instruit de ces nouvelles, s'en alla à Gien et de là à Auxerre avec toute son armée, et il vint à Troyes. Il renvoya le Connétable et contremanda le comte de Pardiac, parce que le sire de La Trémoille craignait qu'ils ne voulussent avoir le gouvernement du roi, lui faire déplaisir de sa personne, et le bouter dehors.
  La cité de Troyes fit obéissance au roi, qui, partant de là, vint à Châlons qui lui fit pareillement obéissance, et de là à Reims où il fut grandement accompagné des seigneurs de son sang et des barons de son royaume, tels que le duc d'Alençon, le comte de Vendôme, le sire d'Albret, le bâtard d'Orléans, le comte de Clermont, les maréchaux, l'amiral, le maître des arbalétriers, le sire de Laval et moult d'autres barons. Et le roi fut sacré et couronné à Reims en moult grande solennité.



                                         

t après se partit le roy de Rains et vint à Soissons et de là à Chasteau-Tierry, et à Provins, lesquelz il mist en son obéissance. Et de là vint à Crespy en Valloys. Et le duc de Bethefort fist savoir au roy que s'il voulloit bataille, que il le recevroit. Et lors, incontinant les lettres receues des héraulx, le roy se parti et vint à Laigny-le-Sec, et laissa son avant-garde à Dampmartin. Et le duc de Bethefort estoit à tout son ost à Mitry en France. Et escarmouschèrent les coureurs françois et anglois tout le jour sur une petite eaue à ung villaige que on appelle Thieux (20). Et sur le vespre de ce jour se partit le duc de Bethefort à tout son ost et s'en alla à Louvres. Et le roy de France et son ost estoit à Crespy et l'avant-garde à Barron.
  Et l'endemain au point du jour, l'ost du dit Bethefort vint emprès Senlis en ung lieu nommé la Victoire. Et par les villages près de là estoient logiés lesdis François. Et quant ilz sceurent la venue des Anglois, ilz se mirent ensemble et en bataille. Et le roy de France vint de Crespy à Montespillouer, et là couscha celle nuyt. Et l'endemain tout le jour furent l'un devant l'autre sans hayes et sans buisson, près l'un de l'autre le traict d'une coullevrine, et ne combatirent point. Et le soir le roy se partist et s'en alla avec son ost audit Crespy, et le duc de Bethefort alla audit Senliz.
  Et l'endemain le roy ala à Compiengne qui lui fist obéissance et y fut huit jours ; et là vint messire Jehan de Luxembourg qui là fist moult de promesses de faire la paix entre le roy et le duc de Bourgongne : dont il ne fist riens, si non le decevoir. Et se parti le roy de là et s'en vint à Senlis ; lequel la ville avoit envoyé querir. Et son avant-garde passa oultre et vint à Saint Denis. Et là conduisoient l'armée du roy monseigneur d'Alençon et la Pucelle et les mareschaulx. Et vint le duc de Bar nommé René à l'aide du roy et le damoiseau de La Marche (21) et celluy de Roudemac.  Et delà vint le roy à Saint Denis et fut l'ost du roy devant Paris pour le assaillir ; mais le sire de La Trimoille fist retourner les gens d'armes à Saint Denis.
  Et furent pour ceste cause à la Chappelle Saint Denis devant Paris le duc de Bethefort et son ost, et delà s'en alla à Rouen de paour que le pays de Normandie ne se rebellast pour cause de Beauvais et d'Aumalle qui s'estoient reduictz au roy.
  Et après le roy se partist de Saint Denis pour venir en Berry. Et vint à Laigny qui estoit à lui reduict ; et de là s'en ala à Provins et à Bray qui se reduisist à lui. Et passa la rivière d'Yonne à gué luy et son ost près de Sens, et vint à Courtenay et à Chasteau-Regnart, et de là à Gien, cuidant avoir accord avec le duc de Bourgongne ; lequel duc luy avoit mandé qu'il luy feroit avoir Paris, par le sire de Charny qui en avoit apporté les nouvelles, et qu'il viendroit à Paris pour parler à ceulx qui tenoient son party. Et pour ceste cause le roy luy envoya son sauf conduit pour venir à Paris ; mais quant il fut à Paris, le duc de Bethefort et luy firent leurs alliances plus fort que devant n'avoient fait à l'encontre du roy. Et s'en retourna ledit duc à tout son sauf conduit par les pays de l'obéissance du roy en ses pays de Picardie et de Flandres (22).

                       

  Le roi partit ensuite de Reims et vint à Soissons, de là à Château-Thierry et à Provins qu'il mit en son obéissance ; et de là il vint à Crépy en Valois. Le duc de Bedford fit savoir au roi que s'il voulait la bataille, il le recevrait. Et aussitôt les lettres reçues des mains des hérauts, le roi partit et vint à Lagny-le-Sec, et il laissa son avant-garde à Dammartin. Les coureurs français et anglais escarmouchèrent tout le jour sur une petite rivière à un village que l'on appelle Thieux. Sur le soir de ce jour, le duc de Bedford partit avec toute son armée, et s'en alla à Louvres. Le roi de France et son armée étaient à Crépy et l'avant-garde à Baron.
  Le lendemain, au point du jour, l'armée de Bedford vint près de Senlis en un lieu nommé La Victoire. Les Français étaient logés dans les villages d'alentour. Quand ils surent la venue des Anglais, ils se réunirent et se disposèrent en ordre de bataille. Le roi de France vint de Crépy à Montépilloy, où il coucha cette nuit. Le lendemain les deux armées furent durant tout le jour l'une près de l'autre, sans haie et sans buisson, à la portée d'un trait de coulevrine, et ne se combattirent pas. Le soir le roi se retira et s'en alla avec son armée à Crépy, et le duc de Bedford à Senlis.
  Le lendemain le roi s'en alla à Compiègne qui lui fit obéissance ; il y resta huit jours. Là vint messire Jean de Luxembourg, qui lui fit de grandes promesses de faire la paix entre le roi et le duc de Bourgogne ; ce dont il ne fit rien, sinon le décevoir. Le roi partit de là et s'en vint à Senlis ; la ville l'avait mandé quérir. Son avant-garde passa outre et vint à Saint-Denis. L'armée était sous la conduite de Mgr d'Alençon, de la Pucelle et des maréchaux. Vinrent à l'aide du roi le duc de Bar nommé René, le damoiseau de la Marche et celui de Roudemac.  De là le roi vint à Saint-Denis, et son armée vint devant Paris pour l'assaillir; mais le Sire de La Trémoille fit retourner les gens d'armes à Saint Denis.
  Le duc de Bedford vint pour cette cause à La Chapelle-Saint-Denis avec son armée (23), et de là il s'en alla à Rouen, de peur que la Normandie ne se révoltât, à la suite de Beauvais et d'Aumale qui s'étaient donnés au roi.
  Le roi partit ensuite de Saint-Denis pour venir en Berry. Il vint à Lagny, qui s'était mis sous son obéissance, d'où il s'en alla à Provins et à Bray, qui se réduisit à lui. Il passa la rivière d'Yonne à gué lui et son armée, près de Sens, d'où il vint à Courtenay et à Château-Renard, et de là à Gien.  Il pensait avoir accord avec le duc de Bourgogne. Le duc lui avait mandé par le sire de Charny, qui lui en avait apporté les nouvelles, qu'il lui ferait avoir Paris, et qu'il viendrait à Paris pour parier à ceux qui tenaient son parti. Pour cette cause le roi lui envoya son sauf-conduit pour venir à Paris; mais quand il fut à Paris, le duc de Bedford et lui resserrèrent leurs alliances à l'encontre du roi, plus fort qu'ils ne l'avaient fait jusque-là (24). Ce même duc s'en retourna avec son sauf-conduit par les pays de l'obéissance du roi en ses pays de Picardie et de Flandres.



                                         

e roy estoit à Gien au retour de son sacre, et le duc d'Alençon avec luy ; lequel desiroit amener avec luy la Pucelle et les gens d'armes du roy en Normandie. Mais le sire de La Trimoille ne le voullut pas, mais l'envoya avec son frère, le sire de Lebret, au plus fort de l'iver, et le mareschal de Boussac à bien pou de gens, devant la ville de la Charité; et là furent environ ung mois et se levèrent honteusement, sans ce que secours venist à ceulx de dedens; et y perdirent bombardes et artillerie; et y morut à ung assault ung baron du païs du Daulphiné, nommé Raymon de Montremur (22), dont fut dommaige...


  (23) Ledit an (24), en hiver, ceux de la cité de Sens se réduisirent en l'obéissance du roi, et eurent leur abolition (25). Ils mirent dehors leur capitaine nommé Pierre de Beaufort.
  En ce même an la ville de Melun se mit en l'obéissance du roi, et ils eurent une abolition.
  La manière dont elle fut réduite fut celle-ci : les gens de ladite ville qui étaient bons Français virent que la plupart des gens de la garnison avaient été courir devant Yèvres-en-Gâtinais, pour prendre des vaches. Les gens de la ville, pour parvenir à leurs fins, publièrent qu'à Pontoise il y avait grande foison de gens d'armes Picards qui voulaient venir en garnison à Melun, et qu'ils voulaient être maîtres des gens des villes où ils se trouvaient : et ils dirent qu'ils n'y entreraient pas. Or Melun était tenu par messire Jean de Luxembourg, et le château était gardé pour lui par Dreux d'Humières, avec grand nombre de gens. Il advint qu'il n'y avait dans le château que dix personnes, les autres étant sorties au dehors. Ceux de la ville leur ôtèrent les clefs, fermèrent les portes, et envoyèrent quérir promptement le capitaine du Pont-de-Seine, le commandeur de Giresmes, et messire Denis de Chailly qui se mirent en la ville, et en l'île du château, qui fut ainsi assiégé.
  Ceux qui étaient allés courir trouvèrent les portes fermées et s'en allèrent à Corbeil, qui tenait pour les Bourguignons. Les gens du roi vinrent au siège de toutes parts. Ceux de Corbeil vinrent par la rivière, espérant ainsi entrer; mais quand ils surent que la bastille était en l'île du château, ils s'en retournèrent. Ainsi la ville et le château furent réduits au roi, Melun redevint français et les Bourguignons et les Anglais perdirent ce passage (26).

               

  Le roi étant à Gien au retour du sacre, et le duc d'Alençon avec lui, celui-ci désirait amener avec lui en Normandie la Pucelle et les hommes d'armes du roi ; mais le sire de La Trémoille ne le voulut pas; il envoya la Pucelle, au plus fort de l'hiver, avec son frère, le sire d'Albret et le maréchal de Boussac et bien peu de gens, devant la ville de La Charité. Ils furent là environ un mois, et ils en partirent honteusement, sans que secours vint à ceux de dedans; ils y perdirent bombardes et artillerie. Dans un assaut il y mourut un baron du pays du Dauphiné, nommé Raymond de Montmor, dont fut dommage.

  En cet an fut couronné en Angleterre le roi Henri, encore bien jeune, et le duc de Bourgogne épousa la fille du roi de Portugal ; leurs noces furent célébrées à Bruges-en-Flandre, et il y eut moult grande fête.
  Le duc de Bourbon partit pour Beauvais avec tous les gens d'armes des frontières de France et de Beauvaisis ; étaient avec lui le comte de Vendôme, l'archevêque de Reims, Poton de Xaintrailles et plusieurs autres capitaines et gens de guerre, tous assemblés pour entrer à Rouen, par le moyen de quelques habitants de la ville. Or, il arriva que lesdits seigneurs, en chevauchant entre Beauvais et Rouen, rencontrèrent cinq ou six-vingts Anglais, qui descendirent à pied ; les Français leur coururent sus à cheval, mais les Anglais se défendirent si vaillamment qu'à la fin les Français retournèrent à Beauvais et les Anglais demeurèrent aux champs.



                                         

'an mil IIIIc et XXX, fut mis le siege à Soisi (30) près Compiengne par le duc de Bourgongne, les contes de Suffort et d'Arondel et messire Jehan de Luxembourg ; et en la fin la prindrent par composicion. Et eulx estans audit siége, ung escuier gascon, nommé Poton de Xaintrailles, et les gens d'armes de sa compaignie passèrent la rivière d'Esne entre Soissons et le pont, et frappèrent sur ledit siege, et prindrent et tuèrent plusieurs gens; et entre les autres fut prins ung nommé Jehan de Brimeu, du païs de Picardie...

  ...En ce temps s'en partit de Compiengne la Pucelle, acompaigniée de l'arcevesque de Reims, du conte de Vendosme et plusieurs autres cappitaines et gens de guerre. Et chevauchèrent tant qu'ilz vindrent devant la ville de Soissons, cuidans passer par laditte ville pour aller combatre le duc de Bourgongne, lequel estoit devant ledit Pont-a-Soissy entre les deux rivières d'Oise et d'Esne.
  Et quant les dessusditz furent arivés devant la ville de Soissons, ung escuier de Picardie nommé Guischard Bournel, que le conte de Clermont, filz du duc de Bourbon, avoit fait capitaine de laditte place, refusa l'entrée de ladite ville ausditz seigneurs et gens d'armes, et suborna les gens de laditte ville en leur faisant entendre que iceulx seigneurs et gens d'armes venoient pour y estre en garnison, affin que le peuple de laditte ville fust d'oppinion de ne les bouter point dedens icelle ville. Les gens d'armes couschèrent celle nuyt aux champs, et à la fin ledit capitaine bouta lesditz arcevesque, Pucelle et conte de Vendosme à petite compaignie. Et l'endemain s'en allèrent lesditz gens d'armes oultre la rivière de Marne et de Seine, pour ce qu'ilz ne trouvoient de quoy vivre sur le pays, et aussi qu'ilz estoient grans seigneurs en grant nombre de pluseurs gens de guerre acompaigniés avec eulx; et ne pooient vivre dedens laditte ville de Compiengne, car ceulx dudit lieu actendoient de jour en jour le siege sur eulx. Et lesdis seigneurs s'en allèrent à Senlis, et laditte Pucelle à Compiengne ; et incontinent qu'ilz furent partis de Soissons, ledit Guischard vendit laditte cité au duc de Bourgongne et la mist en la main de messire Jehan de Luxembourg : dont il fist laidement, contre son honneur ; et ce fait s'en alla avec ledit duc, lequel par ce moyen eust obéissance dudit Pont-à-Soisi, et vint mettre le siege devant Compiengne. Et vindrent à son aide les contes de Staffort et d'Arondel, Anglois, à tout mil et Vc combatans au siege devant laditte ville de Compiengne ; et y fut prinse laditte Pucelle d'ung Picart; et depuis la vendit messire Jehan de Luxembourg aux Anglois.

  

  L'an mil IIIIe et XXX, le siège fut mis à Choisy, près de Compiègne, par le duc de Bourgogne, les comtes de Stafford et d'Arondel et messire Jean de Luxembourg, et à la fin, ils prirent la place par composition. Pendant le siège un écuyer gascon, nommé Poton de Xaintrailles, et les gens d'armes de sa compagnie passèrent la rivière d'Aisne entre Soissons et le Pont, et frappèrent sur ledit siège, ils en tuèrent et prirent plusieurs. Entre les autres fut pris un nommé Jean de Brimeu, du pays de Picardie (alias, moult riche écuyer.)

  En cette saison Étienne de Vignoles, dit La Hire, partit de Louviers avec une grande compagnie de gens d'armes. Ils passèrent la rivière de la Seine en bateaux, et ils vinrent prendre par échelles Château-Gaillard, qui est à sept lieues de Rouen, assis sur un roc, près de ladite rivière de la Seine. Là ils trouvèrent le sire de Barbazan, prisonnier du roi d'Angleterre, qui avait été pris (31) dans la ville de Melun, dont il était capitaine. Barbazan fut amené vers le roi notre sire, qui fut moult joyeux de sa délivrance.

  En ce temps (32) la Pucelle partit de Compiègne accompagnée de l'Archevêque de Reims, du comte de Vendôme et de plusieurs autres capitaines et gens de guerre. Ils chevauchèrent tant qu'ils vinrent devant la ville de Soissons, pensant passer par ladite ville pour aller combattre le duc de Bourgogne qui était devant ledit Pont-à-Choisy, entre les deux rivières d'Oise et d'Aisne.
  Quand ils furent arrivés devant la ville de Soissons, un écuyer de Picardie nommé Guichard Bournel, que le comte de Clermont, fils du duc de Bourbon, avait fait capitaine de la place, refusa l'entrée de la ville aux seigneurs et gens d'armes ; il suborna les gens de la ville en leur faisant entendre que ces seigneurs et gens d'armes venaient pour s'y mettre en garnison, afin d'amener le peuple à la résolution de ne pas les admettre dans l'intérieur de la ville. Les gens d'armes couchèrent cette nuit aux champs ; et, sur la fin, quand on approcha de la nuit, le capitaine bouta dans la ville la Pucelle, l'archevêque de Reims, et le comte de Vendôme avec une petite compagnie de leurs gens (33). Le lendemain les gens d'armes s'en allèrent au delà de la rivière de la Marne et de la Seine, parce qu'ils ne trouvaient pas de quoi vivre sur le pays, et aussi qu'ils étaient grands seigneurs, en grand nombre, et accompagnés de plusieurs gens de guerre. Ils ne pouvaient pas vivre dans la ville de Compiègne, car les habitants s'attendaient à ce que, de jour en jour, le siège fût mis devant leurs murailles. Les seigneurs s'en allèrent à Senlis, et la Pucelle à Compiègne. Incontinent qu'ils furent partis de Soissons, ledit Guichard vendit la cité au duc de Bourgogne et la mit en la main de messire Jean de Luxembourg ; ce qu'il fit laidement et contre son honneur.  Cela fait il s'en alla avec ledit duc, qui par ce moyen eut obéissance du Pont-à-Choisy, et vint mettre le siège devant Compiègne. Vinrent à son aide les comtes de Stafford et d'Arondel, Anglais, avec mille et cinq cents combattants qui furent au siège devant Compiègne. La Pucelle y fut prise par un Picard, et depuis messire Jean de Luxembourg la vendit aux Anglais.


                                 


Source : "Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d'Arc", t.IV, Jules Quicherat.
Présentation, corrections et mise en Français plus moderne : J.-B.-J. Ayroles "La vraie Jeanne d'Arc - t.III"

Notes :
1 Vers 1402.

2 Quicherat reconnait que Berri "se laissa aller à un assez grand nombre d'erreurs, surtout en ce qui tient à la chronologie ; mais ces erreurs sont celles d'un homme qui a vu".

3 Maréchal de Rais.

4 Erreur. Elle sortit au-devant du convoi à son arrivée, mais n'alla pas le chercher à Blois.

5 Les manuscrits et l'édition sont conformes sur ce passage qui est inintelligible. Godefroy suppose qu'il faut substituer Anglois à François ; mais cela produit un contre-sens. Évidemment une phrase est tombée du texte. L'auteur devait dire que les Anglais des autres bastilles étaient sortis pour venir au secours de leurs compatriotes assiégés à Saint-Loup.

6 Lisez Sologne.

7 Guillaume de Chaumont, seigneur de Guitry.

8 Raimon Arnaut, seigneur de Coarraze en Béarn.

9 Archambault de Villars, très-vieux chevalier, autrefois favori du duc Louis d'Orléans et Capitaine de Montargis. Il s'était rendu célèbre dans le combat de sept Anglais contre sept Français qui eut lieu à Montendre en 1402.

10 Les lords Poynings et Molyns (Calend. Inquis. post mortem, Henry VII septième année).

11 Le 8 et pas le 12.

12 C'est une erreur.

13 La phrase donnée par Quicherat est de tout point inintelligible. Il le constate lui-même, et il a raison ; mais il a tort d'affirmer que c'est la phrase donnée par tous les manuscrits. Le manuscrit 23 283 est le seul qui présente cet imbroglio. Les manuscrits 2860 et 2861 portent la phrase ici reproduite.

14 C'est encore inexact. Entre l'assaut de Saint-Loup et de Saint-Augustin se place la fête de l'Ascension, qui ne fut pas un jour de combat.

15 Le manuscrit reproduit par Quicherat porte « la Beauce », les deux autres « de la Vicomté ». C'est « de la Sologne », qu'il faut lire. 16 Encore une erreur. Richemont ne fut nullement à la prise de Jargeau.

17 De tous les chroniqueurs, Wavrin, est celui qui expose le plus nettement les mouvements qui eurent lieu de part et d'autre à la veille, ou le jour même de la bataille de Patay. Les autres, et particulièrement celui-ci, présentent des obscurités.

18 2200 morts.

19 Bernard d'Armagnac, fils cadet de celui qui fut assassiné à Paris en 1418.

20 La petite rivière sur laquelle Thieux est situé, s'appelle la Biberonne.

21 Lisez Comarchis ou Commercy au lieu de La Marche. Ce seigneur s'appelait de son nom Robert de Sarrebrück.

22 Suit le récit de la bataille d'Anthon, de la soumission de Sens et de celle de Melun.

23 Bedford avait pris le chemin de la Normandie avant la tentative contre Paris.

24 Le duc de Bourgogne fut nommé gouverneur de Paris, et reçut du roi d'Angleterre la Champagne, joignant ainsi ses États de Bourgogne à ses États de Flandres et du Nord. C'était une formidable puissance. Heureusement la Champagne était à conquérir. La Pucelle l'avait donnée au roi.

25 Godefroy, dans son édition, a corrigé Mommor.

26 Dans les manuscrits 23 282 et 2861. on trouve à la suite le récit de la victoire d'Anthon, de la reddition de Sens et de Melun, dont il n'est pas question dans le manuscrit 2860.
  Le récit de la victoire d'Anthon est anticipé. Cette victoire fut gagnée le 11 juin 1430, plus de quinze jours après la prise de la Pucelle, contre le prince d'Orange et le duc de Savoie qui voulaient se partager le Dauphiné. Voici ce qui regarde Sens, et surtout Melun, où Jeanne devait recevoir, dans la semaine de Pâques 1430 (Pâques était le 16 avril) la révélation qu'elle serait prise avant la Saint-Jean.

27 1429 anc. st.

28 Amnistie pour le passé.

29 Melun fut repris par les Anglais par la suite.

30 Il faut lire au Pont-à-Soissy ainsi que cela est écrit plus loin ; il s'agit de Choisy-au-Bac, situé presque au confluent de l'Aisne et de l'Oise.

31 En 1420.

32 Pendant le siège de Choisy. Pour délivrer cet avant-poste de Compiègne, la Pucelle, empêchée de passer la rivière de l'Aisne, fît par Soissons le détour dont il va être parlé.

33 Quicherat a suivi le manuscrit 28283, qui n'est guère intelligible ; les manuscrits 2860 et 2861 expriment bien clairement le sens ici relaté.
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