Son histoire
par Henri Wallon
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Les chroniques d'Angleterre
Jean de Wavrin du Forestel - index
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Voici la déposition d'un soldat qui combattit avec les Anglais contre la Pucelle. Jean de Wavrin, chevalier, seigneur du Forestel
près de Lille, était fils naturel de Robert de Wavrin
qu'il vit tuer à côté de lui à la bataille
d'Azincourt. Dès ce temps-là, Jean de Wavrin était
un homme de guerre consommé et fort en renom dans les armées
bourguignonnes. Plus tard il devint chef d'une compagnie de soudoyers,
avec laquelle il servit tantôt le duc de Bourgogne, tantôt
le roi d'Angleterre. Envoyé par ce dernier pour intercepter
un convoi français pendant le siège d'Orléans,
il échoua dans son entreprise, s'en vint à Paris et y renouvela son engagement
avec les Anglais. On l'incorpora alors dans l'armée qui allait
se faire battre à Patay. Comme il avait eté placé
sous le commandement de Sir John Falstolf, il prit part à
la retraite qui fut si chèrement payée par ce vaillant
capitaine.
Jean de Wavrin a laissé de curieux mémoires,
mais sous une forme qui les a soustraits jusqu'à présent
à la publicité. Au lieu de faire un livre à
part, il les a disséminés dans une vaste compilation
formée par lui avec les principaux chroniqueurs de son siècle,
tels que Froissart, Monstrelet et Mathieu de Coussy. Bon nombre
de ces additions concernant l'Angleterre, à cause de la prédilection
de l'auteur, il donna à son travail le titre de Chroniques
d'Angleterre. Il l'exécuta en grande partie de 1455 à
1460, pour l'instruction d'un sien neveu, héritier légitime,
quoiqu'indirect, du nom de Wavrin.
Comme addition du témoignage de Monstrelet sur
Jeanne d'Arc, le récit de la campagne du mois de juin 1429
est ce que les Chroniques d'Angleterre offrent de plus intéressant.
On y voit à découvert, et la perplexité du
gouvernement anglais, et les fautes de ses généraux,
et la supériorité d'intelligence avec laquelle, au
contraire, l'armée française fut dirigée en
ce moment. Il est regrettable que l'esprit lucide et impartial auquel
on doit ce morceau, se soit laissé égaré en
d'autres endroits par l'esprit de parti. Ainsi Wavrin est le premier
entre toous les écrivains, qui ait représenté
Jeanne d'Arc comme l'instrument d'une manoeuvre politique : il la
fait endoctriner par Baudricourt et paraitre devant le roi de France
instruite de ce qu'elle avait à faire. Plus loin il traite
de folz ceux qui croyaient en elle : ce qu'il fait au moyen
d'une petite incise glissée dans le texte de Monstrelet ;
et par une autre interpolation il envenime la conclusion déjà
si peu favorable du même auteur, ajoutant l'épithète
de femme monstrueuse, là où son devancier avait
mis tout simplement ladite Pucelle...
chapitres :
- Livre IV - Chap. VII : Comment les Anglois alans au secours du siège d'Orliens rencontrèrent les François, qui les assaillirent.
- Livre IV - Chap. VIII : Comment Jehanne la Pucelle vint devers
le roy de France à Chynon en poure estat, et de son abus.
- Livre IV - Chap. X : Comment Jehanne la Pucelle fut cause du
siege levé de devant Orlyens, [et de l'armée qui fut faite par le duc de Bethford
pour porter secours aux Anglois].
- Livre IV - Chap. XI : Comment le connestable de France, le duc d'Allen-chon et la Pucelle prindrent Ghergeauz.
- Livre IV - Chap. XII : Comment les Anglois estans à Jenville furent advertis de la prinse de Ghergeauz et de Meun, et de la venue du seigneur de Thalbot.
- Livre IV - Chap. XIII : Comment les François eurent par composition le chastel de Baugensi, que tenoient les Anglois, et de la journee que les Anglois perdirent à Pathai contre les François.

omment les Anglois alans au secours du siège d'Orliens rencontrèrent les François, qui les assaillirent,
En ces jours, le duc de Bethfort régent, estant à Paris, fist assambler, tant des marches de Normandie comme de l'Isle de France et à l'environ, de quatre à cinq cens, que chars que charrettes, lesquelz, avec la diligence de plusieurs marchans, furent chargiés de vivres, artilleries et autres marchandises, pour mener devers les dessusdiz Anglois. Et après que ledit charroy et autres besongnes furent prestes, tout fu baillié à conduire à messire Jehan Fastot (1), grand maistre d'ostel dudit duc de Bethfort. Avec lequel furent commis, le prévost de Paris, nommé messire Simon Mahieu (2), le bastard de Thian, chevalier, bailly de Senlis, le prévost de Melun et pluiseurs aultres officiers des marches de l'Isle de France et d'environ, acompaigniés de seize cens combatans, et bien mil communes. A tout lesquelz se départi ledit Fastot de Paris, le jour des Cendres (3), et conduist par plusieurs journées ledit charroy et ses gens en bonne ordonnance jusques à ung village nommé Rouvroy en Beausse (4), séant entre Genville et Orliens. Auquel lieu estoient assamblés, pour les combatre, pluiseurs capitaines François, qui long temps par avant sçavoient assez bien leur venue. C'est assavoir, Charles, duc de Bourbon, les deux mareschaulx de France, le connestable d'Escoce et son filz, le seigneur de La Tour, le seigneur de Chauvegni, le seigneur de Graville, messire Guillaume de Labreth, le visconte de Thouars, le bastard d'Orliens, Jacques de Chabannes, le seigneur de La Faiette, Pothon de Sainte-Treille, Estievene de Vignolles, autrement apellé La Hire, messire Theolde de Walleperghe et pluiseurs aultres nobles hommes, qui tous ensemble avoient de trois à quatre mille combatans. Desquelz les dessusdiz Anglois savoient bien l'assamblée par aulcuns de leurs gens des garnisons qu'ilz avoient oudit pays. * Et pour tant, en grand diligence firent de leur charroy ung grand parc en plains champs, auquel ilz laissèrent deux yssues ouvertes, et se mirent tout ensamble dedens ycelui, c'est assavoir les archiers, gardant ycelles entrées, et les hommes d'armes, assez près ès lieux nécessaires. Et à l'un des costés, au plus fort lez, estoient les marchands, charretons, paiges et autres gens de petite deffence, avec tous les chevaux. Les quelz Anglois, en cest estat, attendirent bien deux heures leurs ennemis, lesquelz en grand bruit se vinrent mettre en bataille devant ledit parc, hors du trait. Et leur sambloit, entendu la noblesce et le grand nombre qu'ilz estaient, et qu'ilz n'avoient à faire qu'à gens de plusieurs tires, et n'y avoit que de cinq à six cens anglois de la nacion d'Angleterre, qu'ilz ne povoient eschapper de leurs mains et seroient tantost vaincus. Nientmains, les aulcuns faisoient grand doubte que le contraire ne leur en advenist, pour ce que les capitaines d'iceulx François ne se concordoient point bien ensamble. Car les uns, et par espécial les Escossois, vouloient combatre à pied, et les aultres vouloient demeurer à cheval. Et adonc, Charles de Bourbon fut fait chevalier, du seigneur de La Faiette ; et aulcuns aultres. Et entretant, ledit connestable d'Escoce et son filz se mirent à pied et avec eulx toutes leurs gens. Sy alèrent en assez brief terme, les ungs à pied, les autres à cheval, envayr et combatre leurs ennemis, desquelz ilz furent receuz très courageusement. Et commencèrent les archers Anglois, qui estoient très bien targiés de leur charroy, à tirer très raidement. Duquel trait, de plaine venue, firent redonder arrière d'eulx ceulx de cheval avec les hommes d'armes. Et lors, à l'une de leurs entrées, se combati le connestable d'Escoce et ses gens, qui, à brief comprendre, furent desconfis et mors en la place. Et fu mort messire Jehan Stouart, avec lequel furent mors son filz, messire Guillaume de Labreth, seigneur d'Orval, le seigneur de Chasteaubrun, le seigneur de Monpipel, messire Jehan Larigot, le seigneur de Verduisant, le seigneur d'Yvery, le seigneur de La Grève, messire Anthoine de Prully, et bien six vins gentilz hommes et aultres, jusques au nombre de cinq à six cens combatans, desquelz la plus grande partie estoient Escossois. Et les autres capitaines dessusdiz, à tout leurs gens, se départirent et s'en ralèrent ès parties dont ils estoient venus. Et les dessusdiz Anglois se rafreschirent ceste nuit oudit Rouvroy, et lendemain s'en partirent et s'en alèrent, à tout leur charroy, par aulcuns peu de jours, jusques à Orliens, moult joieusement, tant pour la bonne fortune qu'ilz avoient eue, comme pour les vivres qui leur menoient. Si fu la journée dessudicte, depuis ce jour jusques en avant [dite], en langage commun, la Bataille des harens. Et la cause de ce nom, si fut pour ce que grand partie du charroy desdiz Anglois estoit chargés de harens et autres vivres de quaresme. Pour laquelle male aventure ainsy advenue, Charles, roy de France, eut au cuer grand tristesse, véant de toutes pars ses besongnes venir au contraire et persévérer de mal en pis.
La dessusdicte bataille de Rouvroy fu faite la nuit des Brandons, environ trois heures après midi (5) * . Et n'y eut mort de la partie des Anglois, des gens de nom, que ung seul homme nommé Bresantiau, nepveu de messire Simon Morhier, prévost de Paris. Et y furent fais chevaliers, de la partie des Anglois, Le Galois d'Aunay, seigneur d'Orville, le Grand Raulin et Loys de Luru, savoyen. Et povoient estre lesdiz Anglois environ seize cens combatans de bonne estoffe, sans les communes. Et comme dit est dessus, les François estaient bien de trois à quatre mille. Et furent fais chevaliers avec ledit Charles de Bourbon, le seigneur de ... (6) et le seigneur de Chasteaubrun. Et n'y eut ce jour prins, que ung prisonnier, qui estoit escossois.

omment Jehanne la Pucelle vint devers le roy de France à Chynon en poure estat, et de son abus.
En cel an que pour lors on comptoit mil cccc xxviii,
le siége estant à Orlyens, vint devers le roy Charles
de France à Chynon, où il se tenoit pour lors, une
josne fille quy se disoit estre pucelle, eagie de xx ans
ou environ. Laquelle fut envoiée devers le roy de France
par ung chevallier nommé messire Robert de Baudricourt,
capittaine du lieu de Vaucoullour, commis de
par ledit roy Charles, lequel messire Robert luy bailla chevaulz et chincq ou six compaignons. Et si
l'introduisi et aprinst de ce qu'elle devoit dire et
faire, et de la manière qu'elle avoit à tenir, soy disant
pucelle inspirée de la Providence divine ; et qu'elle
estoit transmise devers ledit roy Charles pour le restituer
et remettre en la possession de tout son royaulme
generallement, dont il estoit, comme elle disoit dechassiés
et déboutez à tant. Et estoit ladicte pucelle
en assez poure estat à sa venue. Si fut environ deux
mois en l'hostel du roy dessusdit, lequel par pluiseurs
fois elle admonnesta par ses parolles, ainsi comme elle
estoit introduite, que il luy baillast gens et ayde, et
elle rebouteroit et enchasseroit ses annemis et exaulceroit
son nom, ampliant ses seignouries ; certiffiant
que de ce elle avoit eu souffisante revélation.
*Durant lequel temps, le roy ne son conseil ne adjoustoient
point grand foy à elle, ne à chose qu'elle
sceust dire, et le tenoit on comme une folle desvoyée
de sa santé ; car, à si grans prinches et aultres nobles
hommes, telles ou pareilles parolles sont moult
doubtables et périlleuses à croire, tant pour l'yre de
Nostre-Segneur principalement, comme pour le blaspheme
qu'on en pourrait avoir des parlers du monde.
Nientmains, après qu'elle heubt esté en l'estat que dit
est, une espace, elle fut aidie et ly furent baillies gens
et habillemens de guerre ; et esleva un estendart où
elle fist pindre la représentacion de nostre Créateur.
Si estoient toutes ses parolles du nom de Dieu. Pour
quoy grand partie de cheulx qui la véoient et ooient
parler, avoient grand credence et variacion qu'elle fust
inspirée de Dieu, comme elle se disoit estre. Et fut par
pluiseurs fois examinée de notables clercz et autres
saiges hommes de grande auctorité, affin de sçavoir
plus a plain son intencion ; mais tousjours elle se tenoit en son propos, disant que se le roy la vouloit croire,
elle le remettrait en sa signourie. Et depuis che temps,
fist aulcunes besongnes dont elle acquist grande renommée, desquelles sera chi après plus à plain déclairié.*
Et lorsqu'elle vint devers le roy, estoient à court le
duc d'Allenchon, le marissal de Raix et pluiseurs
autres grans seigneurs et capittaines, avec lesquelz le
roy avoit tenu conseil, touchant le fait du siege d'Orlyens.
Et s'en alla tost aprez avec luy celle Pucelle de
Chinon à Poitiers, où il ordonna que ledit marissal
menroit vivres et artillerie et autres besongnes necessaires
audit lieu d'Orlyens à puissance. Avec lequel
volt aller Jehanne la Pucelle et fit requête qu'on lui baillât harnois , pour soi armer et habiller, lequel lui fut baillé. Et tôt après, leva son étendard et alla à Blois où l'assemblée se faisoit, et de là à Orléans avec les autres. Si étoit toujours armée de plein harnois; et, en ce même voyage, se mirent plusieurs jçens de guerre sous elle.
Quant ladite Pucelle fut dedens la cité d'Orlyens
venue, on luy fist très grant chière. Et furent aulcuns
moult joyeulz de le veoir estre en leur compaignie. Et
quant les François gens de guerre, quy avoient amené
les vivres dedens Orlyens, s'en retournèrent devers le roy, la Pucelle demoura illec. Si fut requise d'aler auz
escarmuches avec les autres par La Hire et aulcuns
capittaines ; mais elle fist responce que point n'yroit
se les gens d'armes quy l'avoient amené n'estoient
aussi avec elle. Lesquelz furent remandez de Blois
et des autres lieux où ilz s'estoient jà retrais. Et ilz
retournèrent à Orlyens où d'ycelle Pucelle furent
joyeusement recheus. Si alla au devant d'eulx pour les
bienvingnier, disant qu'elle avoit bien veu et advisé
le gouvernement des Anglois, et que, se ilz le voulloient
croire, elle les feroit tous riches.
Si commença ce propre jour à issir hors de la ville
et s'en alla moult vivement assaillir une des bastilles
des Anglois qu'elle prinst par force. Et depuis, en continuant,
fist des choses très esmerveillables dont cy
aprez sera fait mention en son ordre.
* Comme Monstrelet, chap. LVII

En cet an que pour lors on comptait mil quatre cent et vingt-huit (7), le siège étant à Orléans, vint devers le roi Charles de France à Chinon,
où il se tenait pour lors, une jeune fille qui se disait Pucelle, âgée de
vingt ans ou environ, nommée Jeanne. Elle était vêtue et habituée en
guise d'homme, née des parties entre Bourgogne et Lorraine, d'une ville
nommée Domrémy, assez près de Vaucouleurs. Cette Jeanne fut pendant
un long espace de temps demeurant en une hôtellerie, où elle était très
hardie à chevaucher les chevaux, à les mener boire, et aussi à faire
autres tours et habiletés que les jeunes filles n'ont pas coutume
de faire, laquelle fut envoyée devers le roi de France par un chevalier
nommé Messire Robert de Baudricourt, capitaine dudit lieu de
Vaucouleurs, commis de par ledit roi Charles. Messire Robert lui donna
des chevaux et cinq ou six compagnons, et si l'introduisit (la forma), et lui
apprit ce qu'elle devait dire et faire, et la manière qu'elle avait à tenir,
se disant Pucelle inspirée de la Providence divine, et qu'elle était transmise
devers ledit roi Charles pour le restituer et remettre en la possession
de tout son royaume généralement, dont il était, comme elle disait,
chassé et débouté à tort.
Cette Pucelle était à sa venue en fort pauvre état ; elle fut environ
deux mois en l'hôtel du roi, lequel par plusieurs fois, ainsi qu'elle y avait été formée, elle admonesta par ses paroles de lui donner gens et aide et
qu'elle rebouterait et chasserait ses ennemis, exalterait son nom et amplifierait
ses seigneuries ; certifiant que de cela elle en avait eu bonne
révélation; mais quoiqu'elle sut dire, en ce commencement, le roi ni
ceux de son conseil n'ajoutaient pas grande foi à ses paroles et à ses
instances. Et on ne la tenait alors en la cour que comme une folle dévoyée, parce qu'elle se vantait de conduire à bonne
fin une si haute besogne qu'elle semblait chose impossible aux hauts
princes, vu qu'eux tous ensemble n'y avaient pu pourvoir. C'est pourquoi
l'on tournait ses paroles en folie et en dérision, car il semblait bien à ces
princes que c'était chose périlleuse d'y ajouter foi, à cause des blasphèmes qui pourraient s'ensuivre, et des paroles ou
brocards du peuple, vu que c'est une grande confusion à homme sage
d'être abusé pour croire trop légèrement, spécialement en choses suspectes
de leur nature.
Néanmoins, après que la Pucelle eût demeuré en la cour du roi en cet état durant un bon espace de temps, elle fut mise en avant et reçut aide ;
elle arbora un étendard où elle fit peindre la figure et représentation de
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Toutes ses paroles étaient pleines du nom
de Dieu. C'est pourquoi une grande partie de ceux qui la voyaient et
entendaient parler, en fols qu'ils étaient, avaient grande confiance et
inclination (à croire) qu'elle fût inspirée, ainsi qu'elle disait. Elle fut
plusieurs fois examinée par de notables clercs et gens de grande autorité,
afin de s'enquérir et de savoir plus à plein son intention ; mais
toujours elle maintenait son propos, disant que si le roi la voulait croire
elle le rétablirait en sa seigneurie. Maintenant pareil propos, elle conduisit à heureuse fin certaines besognes, qui lui valurent grande renommée,
bruit et exhaussement; ce dont il sera parlé plus à plein ci-après.
Lorsqu'elle vint devers le roi, se trouvaient à la cour le duc d'Alençon, le maréchal de Rais, et plusieurs autres grands seigneurs et capitaines avec lesquels le roi avait tenu conseil sur le fait du siège d'Orléans. Cette Pucelle s'en alla bientôt avec lui de Chinon à Poitiers, où le roi
ordonna que ledit maréchal mènerait des vivres, de l'artillerie et d'autres
approvisionnements nécessaires audit lieu d'Orléans, avec une forte
escorte. La Pucelle voulut aller avec le maréchal ; elle fit donc requête
qu'on lui donnât équipement pour s'armer, ce qui lui fut délivré ; puis
son étendard au vent, ainsi qu'il a été dit, elle s'en alla à Blois où se
faisait rassemblée, et de là à Orléans avec les autres; elle était toujours
armée de toutes pièces, et dans ce même voyage plusieurs gens d'armes
se mirent sous sa conduite.
Quand la Pucelle fut venue dans la cité d'Orléans, on lui fit très bon
accueil, et plusieurs furent très joyeux de la voir être en leur compagnie.
Lorsque les gens de guerre français qui avaient amené les vivres dans
Orléans s'en retournèrent devers le roi, la Pucelle demeura à Orléans.
Elle fut requise par La Hire et quelques capitaines d'aller avec les autres
aux escarmouches ; elle répondit qu'elle n'irait point, si les gens d'armes
qui l'avaient amenée n'étaient aussi avec elle ; ils furent redemandés de
Blois et des autres lieux où ils étaient déjà retirés. Ils retournèrent à
Orléans où ils furent joyeusement reçus par cette Pucelle. Elle leur alla
au-devant pour leur témoigner de leur bienvenue disant qu'elle avait
bien vu et considéré le gouvernement des Anglais, et que s'ils voulaient
la croire elle les ferait tous riches.
Elle commença ce même jour à saillir hors de la ville, et s'en alla
moult vivement assaillir une des bastilles des Anglais qu'elle prit par
force; et depuis en continuant elle fit des choses très merveilleuses,
dont il sera en son ordre fait mention ci-après.

es compaignons d'Orlyens doncques, voians eulz très fort par la dilligence des assegans oppresser, tant par leurs engiens comme par les bastilles qu'ilz avoient fait autour de la ville jusques au nombre de XXII (8), et que par ycelle continuation estoient en péril d'estre mis en la servitude et obéissance de leurs ennemis les
Anglois, se disposèrent à tous périlz et conclurent de
resister de tout leur povoir et par toutes les manières
que bonnement faire pourraient ; sic que, pour au
mieulz y remedier, envoièrent devers le roy Charles
adfin d'avoir ayde de gens et de vivres. Si leur fut lors
envoié de quatre à cincq cens combatans, et aprez
leur en fut envoié bien VII mille avec aulcuns bateaulz
chargiés de vivres, venans au long de la rivière, soubz
la guide et conduite d'iceulz gens d'armes. En laquelle
compaignie fut Jehanne la Pucelle, dont dessus est
faite mention, quy encores n'avoit fait choses dont
guères feust recommandée.
Lors les capittainnes anglois tenans le siége, sachans
la venue desditz bateaulz et ceulz qui les guidoient,
tost et hastivement s'efforcèrent à puissance de résister
adfin de leur deffendre de aborder en la ville
d'Orlyens. Et d'autre part les François s'esvigouroient
de, par force d'armes, les y bouter. A l'aborder des
vaisseaulx pour passer, y eut mainte lance rompue, mainte flesche traicte et maint cop d'engien gecté ; et
y ot si grant noise faite tant par les assegiés comme
par les assegans, et deffendans et assaillans, que horreur
estoit à les oyr ; mais quelque force ou resistence
que sceussent illec faire les Anglois, tout malgré eulx,
les François misrent leurs bateaulz à sauveté dedens la
ville. De quoy lesdis Anglois furent moult troublez et les François joyeux de leur bonne adventure. Si s'en entrèrent aussi en ladite ville où ilz furent bien venuz, tant pour les vivres qu'ilz amenoient comme pour la Pucelle qu'ilz, avec eulz, avoient ramenée ; faisans de toutes pars très joieuse chiere pour le beau secours que le roy Charles leur envoioit : à quoy ilz parchevoient
plainement la bienveillance qu'il avoit vers
eulz, dont grandement s'esjoissoient les habitans de la
cité en menant tel glay, que tout plainement estoient
oys des assegans.
Puis quant ce vint l'endemain qu'il estoit joeudy (9),
que chascun estoit rasseurisié, la Pucelle Jehanne,
assez matin levée, parla en conseil à aulcuns capittaines
et chiefz de chambres (10), ausquelz elle remoustra
par vives raisons comment ilz estoient illec voirement
venuz pour deffendre ceste cité à l'encontre
des anchiens ennemis du roiaulme de France, qui fort
l'opressoient ; et telement qu'elle le véoit en grant
dangier, se bonne provision n'y estoit briefvement
administrée. Si les admonestoit d'aller eulz armer, et
tant fist par ses parolles qu'elle les induisi à ce faire.
Et leur dist que, se ilz le voulloient sievyr, elle ne
doubtoit point que tel dommage ne leur portast, que à
tousjours en seroit mémoire et mauldiroient les ennemis le jour de sa venue.
Tant les prescha la Pucelle, que tous se allèrent
armer avec elle. Si s'en issirent en moult belle ordonnance
hors de la ville ; et au partir, dist auz capittaines
: « Seigneurs, prenez corage et bon espoir. Avant qu'il soit quatre jours passez, vos annemis seront vaincus. » Si ne se povoient les capittaines et gens de guerre quy là estoient assez esmerveillier de
ses parolles, *dont la plus
grand partie se mist en armes, et s'en alèrent avoecq elle assalir la bastille de Saint-Leup, qui estoit moult
forte, et avoit dedens de trois à quatre cens Angloix
ou environ. Lesquelx assés tost furent conquis, mors
et pris, et mis à grand meschief ; et ladicte fortificacion
fut toute demolie et mise en feu et en flambe. Si s'en
retourna ladicte Pucelle Jehenne, atout ses gens
d'armes, dedens la cité d'Orliens, où elle fut moult grandement et de toutes gens honnourée et festoyée.
Et l'endemain, qui fut le vendredi, yssy ladicte Pucelle
Jehenne de rechief hors de la ville, atout certain
nombre de combatans, et ala assaillir la seconde bastille
plaine d'Angloix, laquelle pareillement comme
la première, fut gagnée et vaincue, et ceulx de dedans
mors et mis à l'espée. Et après que ladicte Pucelle Jehenne
heubt fait ardoir et embraser icelle seconde
bastille, elle s'en retourna dedans la ville d'Orliens,
où elle fu plus que devant exauchée et honnourée de
tous les habitans d'ycelle. Et le samedi ensievant, assailly
par grand vaillance et de grand voulenté la trefforte
bastille du bout du pont, qui mervilleusement et
poissamment estoit fortifiée, et si estoit dedans la fleur
des railleurs gens de guerre d'Angleterre, et droittes
gens d'armes d'eslite, lesquelx moult longuement et
prudentement se deffendirent ; mais che ne leur valy
gaires, car par vive force et proesce de combatre, furent prins et conquis, et la grineur partie mis à l'espée.
Entre lesquelx y fu mort ung très renommé et vaillant
capitainne angloix, appelé Classedas, et avoecq lui le
seigneur de Molins, le bailly d'Evreux, et pluiseurs
aultres nobles hommes de grand estat.
Après laquelle conqueste retournèrent dedens la
ville Jehenne la Pucelle et les Franchoix, à petite perte de leurs gens.
*Et non obstant qu'à ches trois
assaulx la dessusdicte Pucelle enportast la commune renommée
d'en avoir esté conduiteresse, nienmains si
y estoient tous les capitainnes, ou au mains la plus
grand partie, qui, durant ledit siége, avoient esté dedans
ladicte ville d'Orliens, desquelx pardesus est faite mencion, auxdiz assaulx. Et se y gouvernèrent chacun
endroit soy si vaillamment comme gens de guerre
doibvent faire en tel cas, tellement que en ches trois
bastilles furent, que mors, que prins, de six à huit
cens combatans, et les Franchoix ne perdirent que
environ cent hommes de tous estas.
Le dimenche ensievant, les capitainnes Angloix,
est assavoir le conte de Suffort, Talebot, le segneur
d'Escalles et aulcuns aultres, voians la prinse de leurs
bastilles et la destruction de leurs gens, prinrent ensamble
conclusion qu'ils se assambleroient et meteroient
tous en une bataille seulle, en delaissant leur
logis et fortificacion ; et, en cas que les Franchoix les
vouldroient combatre, ilz les attenderoient, ou se che
non, ilz se departiroient en bonne ordonnance et retourneroient ès bonnes villes et forteresces de leur
party.
Laquelle conclusion, ainsy qu'ilz l'avoient avisée,
ilz l'entretinrent. Car che diemence, très matin, ilz
habandonnèrent toutes leurs aultres bastilles, et en
boutant les feux en aulcunes ; puis se mirent en bataille,
comme dit est, où ilz se tinrent assés bonne
espace, attendant que les Franchoix. les alassent combatre ; lesquelx Franchoix n'eubrent talent de che faire par l'exortacion de la Pucelle. Et adont les Angloix,
qui véoient leur puissance malement affoiblie et trop
diminuée, et aussi qu'il étoit impossible à eulx de là
plus demourer, se pis ne vouloient faire, se mirent à
chemin, et retournèrent en ordonnance ès villes et
plaches tenans leur party. Si firent lors par toute la
ville d'Orliens grand joie et grand esbaudissement,
quand ainsy se veirent delivrés de leurs ennemis, et le
remanant en aler à leur confusion ; lesquelx par long
temps les avoient grandement tenus en dangier. Sy
furent envoyés pluiseurs gens de guerre dedans ycelles
bastilles, où ilz trouvèrent aulcuns vivres et autres
biens très largement, qui tantost par eulx furent portésà sauveté. Si en firent bonne chière, car il ne leur
avoit gaire cousté. Et lesdites bastilles furent prestement
arses et demolies jusques en terre, adfin que
nulles gens de guerre ne se y pussent plus logier.
Tantost après le siege d'Orlyens levé, lesdis François
estans dedens Orlyens, especialement les capittaines
et Jehanne la Pucelle ; tout d'un accord commun envoièrent
leurs messages pardevers le roy Charles luy
nunchier les victorieuses besongnes par eulz achevées ;
et comment enfin les Anglois, ses annemis, avoient
honteusement habandonné le siege de devant Orlyens ;
si s'en estoient retrais parray leurs garnisons.
De ces nouvelles fut le roy Charles moult joyeux ;
si en regracia humblement son Créateur. Et puis tost
aprez, lesdiz capittaines estans audit lieu d'Orlyens,
escripvirent au roy conjoinctement par leurs lettres,
que le plus grant nombre de gens d'armes et de trait
qu'il porroit finer, il envoiast dilligamment devers
eulz et, avec, aulcuns grans seigneurs pour les conduire,
adfin qu'ilz peussent grever leurs annemis quy
de ceste heure fort les doublaient ; mesmement par le
bruit de la Pucelle dont il estoit grant renommée
desjà parmy le pays ; et mesmes en la chambre du roy
s'en faisoient de grans devises, disant les aulcuns que
tout l'exploit se faisoit par ses consaulz et emprinses.
Si ne sçavoient les plus sages que penser d'elle. Et
escripvoient, avec tout ce, lesdis capittaines au roy que
luy mesmes en personne tyrast avant ou pays, disant
que sa présence, quant au peuple ratraire, vauldroit
grant nombre d'autres hommes.
** Finablement, environ le my may, que le siége avoit esté levé de
devant la cité d'Orlyens à l'entrée d'ycelluy mois, les
François se misrent auz champz environ de V à VI mil bons combatans, tous gens esleuz très expertz et duitz
en fait de guerre ; lesquelz tous ensamble tyrèrent vers
Baugensy, séant à deux lieues de Meun sur Loire ; si
y misrent le siége. En laquelle place estoient en garnison
ung Anglois gascon (11), nommé Mathago, messire
Richard Guettin (12) et ung autre anchien chevallier anglois.
Si povoient estre illec gens de garnison environ
V ou VI cenz hommes anglois, lesquelz se laissèrent
laians assegier et enclore : où ilz furent forment
mollestez et leurs murs durement batus de
canons et engiens à pierre quy, nuit et jour, ne cessoient
de bondir. Et pareillement estoient ilz servis
d'autres divers engiens de guerre et habillemens soubtilz,
telement que impossible leur estoit de longuement
durer sans avoir secours. Si boutèrent hors de
la place, à une saillie qu'ilz firent sur leurs annemiz,
ung messagier, lequel par grant dilligence de chevaulchier
fist tant qu'il vint devers le seigneur de
Thalbot (13), auquel il portoit lettres de crédence. Si luy
exposa la charge qu'il avoit de par les assegiés. Lequel
oyant le messagier parler, lui dist qu'il y pourverroit
le plus brief que faire porroit et qu'il le recommandast
auz compaignons qui l'envoioient ; disant
qu'ilz feissent bonne chiere et bon debvoir d'eulz
deffendre, et qu'ilz orroient briefment bonnes nouvelles
de luy, car à la vérité il desiroit moult de les
secourre, ainsi que bien estoit raison, comme ilz feussent
de ses gens.
Le seigneur de Thalleboth doncques, tout le plutost
qu'il peult, noncha ces nouvelles au duc de Bethfort, régent, qui prestement fist gens appareillier ès parties
tenans la querelle du roy Henry. Si y vindrent ceulz
quy mandez y furent. Et moy mesmes acteur dessusdit,
quy pour ce tempz estoie nouvellement retournez
avec Philippe d'Aigreville (14) des marches d'Orlyennois,
où, par le commandement du régent, estions
allez adfin de destourner vivres à ceulx d'Orlyens,
que le duc de Bourbon et le seigneur de La Fayette
leur voulloient mener durant le siége que les Anglois
y tenoient : ouquel voyage feismes assez petit exploit,
par les communaultez du pays qui s'eslevèrent contre
nous pour nous destourner les passages. Si nous convint
retourner sans rien faire, et alasmes moy et le
seigneur d'Aigreville à Nemour, dont il estoit capittaine,
et de là m'en vins à Paris devers le régent, à
tout environ VIxx combatans ; lequel me retint lors
de tous poins au service du roy Henry, desoubz messire
Jehan Fastre (15), grant maistre d'hostel dudit régent,
auquel il ordonna aller ou pays de Beausse
pour baillier secours aux dessusdis assegiés dedens
Beaugensy.
Et partismes en la compaignie dudit Fastre à ceste
fois, environ V mil combatans, aussi bien prins que
j'eusse oncques veu ou pays de France. En laquelle
brigade estoient messire Thomas de Rameston (16), Anglois,
et pluiseurs autres chevalliers et escuyers natifz
du royaulme d'Angleterre ; qui tous ensamble partismes
de Paris et allasmes gesir à Estampes où nous feusmes trois jours ; puis partismes au IIIIe jour et
cheminasmes parmy la Beausse, tant, que nous vinsmes à Jenville, qui est assez bonne petite ville, où, par
dedens, a une grosse tour à manière de donjon ; la quelle tour, n'avoit guères de tempz, avoit esté prinse
par le conte de Salisbery (17). Dedens laquelle ville feusmes quatre jours atendans ancores plus grant puissance quy par le duc de Bethfort nous devoit estre
envoiée, car en Angleterre, en Northmandie et à tous
costez, il avoit mandé secours et ayde.
Or dirons aussi un peu de l'estat des Francois quy tenoient le dit siege devant Baugensy.

Les compagnons qui la défendaient se voyaient très fort oppressés par
la diligence des assiégeants, par leurs engins, et par les bastilles qu'ils
avaient faites autour de la ville jusqu'au nombre de vingt-deux. Par icelle
continuation ils étaient en péril d'être mis en la servitude et obéissance
de leurs ennemis les Anglais. Ils se disposèrent à tous les périls et
conclurent de résister de tout leur pouvoir et par toutes les manières que
bonnement employer ils pourraient. Pour mieux y réussir, ils envoyèrent
devers le roi Charles afin d'avoir aide de gens et de vivres; de
quatre à cinq cents combattants leur furent alors envoyés ; et bientôt
après il leur en fut bien envoyé sept mille avec plusieurs bateaux
chargés de vivres, venant le long de la rivière sous la guide et conduite
de ces mêmes gens d'armes, en la compagnie desquels fut Jeanne la
Pucelle, dont mention a été faite ci-dessus, qui n'avait pas encore fait
grand'chose qui la recommandât.
Les capitaines anglais tenant le siège, sachant la venue des bateaux et
de ceux qui les guidaient, s'efforcèrent aussitôt et à la hâte de résister
fortement pour les empêcher d'aborder en la ville d'Orléans ; et d'autre
part les Français s'évigouraient par force d'armes pour les y bouter.
A l'aborder des vaisseaux pour passer, il y eut mainte lance rompue,
mainte flèche décochée, et main coup d'engin jeté ; il y
eut si grande mêlée faite tant par les assiégés que par les assiégeants,
tant par les défendants que par les assaillants, que c'était horreur
de l'ouïr ; mais quelque force ou résistance que sussent faire les Anglais, les Français tout malgré eux mirent leurs bateaux en sécurité
dedans la ville : ce dont les Anglais furent moult troublés, et les Français
bien joyeux de leur bonne aventure. Des Français, plusieurs
entrèrent aussi en la ville, où ils furent les bienvenus tant pour les
vivres qu'ils amenaient, comme pour la Pucelle qu'ils avaient ramenée avec eux, et ils firent de toutes parts très joyeuse chère pour le beau secours que Charles leur envoyait, à quoi ils voyaient clairement la bienveillance qu'il avait pour eux; ce dont les habitants se réjouissaient grandement, faisant éclater telle allégresse qu'ils étaient clairement entendus des assiégeants.
Puis quand ce vint le lendemain qui était un jeudi, Jeanne, levée de
fort matin, parla en conseil à quelques capitaines et chefs de chambre,
leur remontrant par vives raisons, comment ils étaient venus en cette
cité uniquement pour la défendre à l'encontre des anciens ennemis du
royaume de France qui fort l'oppressaient, au point qu'elle la voyait en
grand danger, si bonne provision n'y était promptement apportée ; qu'elle
les pressait d'aller s'armer. Elle fit tant par ses paroles qu'elle leur persuada
de ce faire, et leur dit que s'ils voulaient la suivre, elle ne doutait
pas de porter aux ennemis tel dommage qu'à toujours il en serait mémoire,
et que ces ennemis maudiraient le jour de sa venue.
Tant les prêcha la Pucelle que tous allèrent s'armer avec elle, et qu'ils
sortirent ainsi en bonne ordonnance de la ville ; et au partir elle dit aux
capitaines : « Seigneurs, prenez courage et bon courage ; avant qu'il soit
passé quatre jours, vos ennemis seront vaincus ». Et les capitaines et
gens de guerre présents ne pouvaient assez s'émerveiller de ces paroles. Ils marchèrent alors en avant, et moult fièrement vinrent aborder une des
bastilles de leur ennemis que l'on appelait la bastille Saint-Loup. Elle était moult forte ; il s'y trouvait de trois à quatre cents combattants ; en
fort brief terme ils furent conquis, pris et tués, et la bastille brûlée et
démolie. Cela fait la Pucelle et les siens s'en retournèrent joyeusement
en la cité d'Orléans, où elle fut universellement honorée et louée de
toutes manières de gens. Derechef le lendemain qui fut vendredi, elle et ses gens sortirent de la ville, et elle alla envahir la seconde bastille qui fut aussi prise de bel assaut, et ceux qui la défendaient furent tous morts ou pris. Après qu'elle eut fait abattre, brûler et entièrement mettre à néant ladite bastille, elle se retira en la ville, ou plus qu'auparavant, elle fut honorée et exaltée par tous les habitants.
Le samedi suivant, la Pucelle sortit derechef et s'en alla envahir la bastille du bout du pont, laquelle était forte et grande à merveille, et
avec cela garnie de grande quantité de combattants, des meilleurs et des plus éprouvés parmi les assiégeants. Ils se défendirent longuement et
vaillamment, mais rien ne leur valut ; à la fin ils furent comme les
autres déconfits, pris et morts. Parmi les morts furent le seigneur de
Molins, Glacidas un moult vaillant écuyer, le bailli d'Évreux et plusieurs
autres hommes nobles et de haut état. Après cette belle conquête, les
Français retournèrent joyeusement en la ville avec de faibles pertes.
Nonobstant que dans les trois assauts dessusdits, la Pucelle, d'après le bruit commun, emportât la renommée et l'honneur d'en avoir été la principale conductrice, néanmoins s'y trouvèrent la plupart des capitaines français qui durant le siège avaient conduit les affaires de la ville, et dont il a été fait mention ci-dessus. Aux assauts et conquêtes des bastilles, ils se gouvernèrent hautement chacun de leur côté, ainsi qu'en
pareil cas doivent faire des gens de guerre tels qu'ils étaient, si bien
qu'en ces bastilles il y eut de sept à huit cents Anglais pris ou tués, et
que les Français y perdirent environ cent hommes de tous états.
Le dimanche suivant, les capitaines anglais, à savoir le comte de
Suffolk, le seigneur de Talbot, le seigneur de Scales et les autres, voyant
la prise et la destruction de leurs bastilles et de leurs gens, prirent conclusion
que tous s'en iraient en un seul corps d'armée, laissant le siège,
logis et fortifications, et au cas où les assiégés les poursuivraient pour
les combattre, il les attendraient et les recevraient; sinon ils s'en iraient
en bonne ordonnance, chacun d'eux ès bonnes villes, châteaux et forteresses
qui tenaient pour lors le parti d'Angleterre :
Cette conclusion, qui
sembla à tous la plus profitable qu'on pouvait élire en la présente conjoncture,
fut arrêtée, accordée et tenue. En exécutant ce plan, le dimanche, bien matin, ils abandonnèrent
toutes les bastilles, logis et fortifications où ils s'étaient tenus durant le
siège, mirent le feu en certains lieux, puis se mirent en ordre de bataille,
ainsi qu'il a été dit, et qu'ils l'avaient tous résolu ; ils s'y tinrent un long
espace, attendant que les Français vinssent les combattre ; ceux-ci ne
montrèrent aucun semblant de ce faire.
J'ai été informé qu'ils retardèrent
et s'abstinrent par le conseil et exhortation de la Pucelle Jeanne, à laquelle
ils ajoutaient grande créance. Les Anglais donc, voyant et sachant alors de combien en vérité leur puissance était affaiblie, virent bien que continuer à séjourner en ce lieu ne serait pas pour eux chose de grand sens ; ils se mirent en chemin, s'éloignant de la ville en belle et bonne ordonnance, et quand ils se virent hors de la poursuite de leurs adversaires, ils se séparèrent prenant congé les uns des autres, et s'en allèrent chacun dans les garnisons de leur obéissance, à l'exception des grands seigneurs et des capitaines qui s'en allèrent à Paris, vers le régent pour lui conter leurs aventures, et avoir ordre et conseil sur leurs affaires. Le régent et tous ceux tenant le parti d'Angleterre furent moult dolents de cette perte, mais pour cette heure, ils ne le pouvaient amender, et il leur convint de souffrir. Les Français qui étaient dedans Orléans furent moult joyeux du départ
des Anglais leurs ennemis, de se voir eux et la cité délivrés à leur très
grand honneur du dangereux péril où ils étaient ; et pour ce qui est des
bourgeois, bourgeoises, manants et habitants de la cité, chacun de son
côté se réjouit, louant et remerciant Notre-Seigneur Jésus-Christ de ce
qu'il les avait ainsi préservés du malheur et des mains de leurs ennemis,
qui s'étaient retirés à leur confusion, après les avoir tenus en sujétion
un si grand espace de temps.
Plusieurs gens de guerre furent alors envoyés en quelques bastilles qui
n'avaient pas été atteintes par le feu ; ils y trouvèrent très grande abondance
de biens et de vivres, qu'ils mirent en sûreté, et ces mêmes bastilles
furent prestement démolies et brûlées, pour que les Anglais ne pussent
plus s'y loger.
Après la levée du siège, les Français qui étaient dans Orléans, spécialement les capitaines et Jeanne la Pucelle, d'un commun accord
envoyèrent leurs messages devers le roi Charles, annoncer les victorieuses
besognes ci-dessus racontées et, par eux accomplies, comment à la fin
les Anglais ses ennemis avaient abandonné le siège de devant Orléans
et s'étaient retirés dans leurs garnisons.
De ces nouvelles, le roi fut joyeux et en remercia moult humblement
son Créateur. Bientôt après les capitaines qui se trouvaient à Orléans écrivirent conjointement au roi, lui demandant que le plus grand nombre
de gens d'armes et de trait qu'il pourrait trouver, il les envoyât diligemment
vers eux, avec quelques grands seigneurs pour les conduire, afin
qu'ils pussent aller charger leurs ennemis qui en ce moment les redoutaient
fort, surtout à cause du bruit de la Pucelle dont il était déjà grande
renommée par le pays. On en faisait grandes devises en la chambre du
roi, quelques-uns disant que tous les exploits se faisaient par ses
conseils et entreprises, les plus sages ne sachant que penser d'elle.
Les capitaines écrivaient encore au roi que lui-même en personne tirât
en avant dans le pays, que, pour attirer le peuple, sa présence vaudrait
plus que celle d'un grand nombre d'autres hommes.
Finalement de la mi-mai que le siège avait été levé de devant Orléans,à l'entrée du présent mois, les Français se mirent aux champs au
nombre d'environ cinq à six mille combattants, tous gens d'élite, très
experts et habiles en fait de guerre. Tous ensemble, ils tirèrent vers
Baugency (18), séant à deux lieues de Meung-sur-Loire, et ils y mirent le
siège. En cette place étaient en garnison un Anglais-Gascon nommé Mathago, Messire Richard Guettin et un autre ancien chevalier anglais. Ils
se laissèrent enclore et assiéger là dedans ; ils y furent fortement molestés
et leurs murs durement battus de canons et engins à pierres, qui, nuit
et jour, ne cessaient de rebondir. Ils étaient pareillement servis d'autres
divers engins de guerre et subtils moyens d'attaque, en sorte qu'il était
impossible aux assiégés de tenir longtemps s'ils ne recevaient pas de
secours.
Dans une saillie qu'ils firent sur les ennemis, ils mirent hors de la
place un messager qui, chevauchant avec grande diligence, arriva jusqu'au
seigneur Talbot, pour lequel il portait des lettres de créance.
Il lui exposa la charge qu'il avait de par les assiégés, et celui-ci l'oyant
parler lui dit qu'il y pourvoirait le plus bref que faire il le pourrait ; qu'il
recommandait aux compagnons qui l'envoyaient de faire bonne diligence et bon devoir, de se défendre, que brièvement ils auraient bonnes
nouvelles de lui, car à la vérité il désirait moult les secourir, ainsi qu'il
en était bien raison, vu qu'ils étaient de ses gens.
Le seigneur de Talbot annonça donc le plus tôt qu'il pût toutes ces
nouvelles au duc de Bedford qui fit promptement appareiller des gens
dans les contrées tenant la querelle du roi Henri. Vinrent ceux qui
furent mandés, et moi-même acteur dessus dit, qui en ce temps étais
nouvellement revenu des marches de l'Orléanais avec Philippe d'Aigreville, où, par le commandement du régent, étions allés afin d'empêcher le ravitaillement que le duc de Bourbon et le seigneur de la Fayette voulaient mener durant le siège tenu par les Anglais. Durant ce voyage, nous fîmes petite besogne en raison des habitants du pays qui s'élevèrent contre nous pour nous empêcher le passage. Nous dûmes rebrousser chemin sans rien faire; et allâmes le seigneur d'Aigreville et moi à Nemours, dont il était Capitaine, et de là je viens à Paris.
De retour à Paris vers
le régent avec environ 120 combattants, il me retint dès lors de tout point au service du roi Henri sous messire Jean Fastolf, grand
maître d'hôtel dudit régent, auquel il ordonna d'aller au pays de Beauce
porter secours à ceux qui étaient assiégés dedans Baugency.
Nous partîmes en la compagnie dudit Fastolf, cette fois environ cinq
cents combattants, aussi bien pris que j'en eusse jamais vus au pays de
France. En cette brigade étaient Messire Thomas de Rampston, Anglais,
et plusieurs autres chevaliers et écuyers natifs du royaume d'Angleterre.
Nous partîmes tous ensemble de Paris et allâmes coucher à Étampes, où
nous fûmes trois jours ; nous partîmes le quatrième et nous cheminâmes
par la Beauce, tant que nous arrivâmes à Janville. C'est une très bonne
petite ville, ayant à l'intérieur une grosse tour à manière de donjon, qui
naguère avait été prise par le comte de Salisbury. Nous fûmes durant quatre jours dans cette ville, attendant encore de plus grandes forces que le duc de Bedford nous devait envoyer; car il avait demandé secours et
aide en Angleterre, en Normandie, et de tous côtés.
Or, nous dirons un peu l'état des Français qui tenaient le siège de Baugency.

l est verité que, es propres jours que ces seigneurs anglois, c'est à scavoir messire Jehan Fastre, messire Thomas de Rameston et leur puissance, estaient sejournans dedens Jenville, le connestable de France, le duc d'Allenchon, Jeanne la Pucelle et les autres capittaines francois, estans tous ensamble, comme dit est, devant Baugensy, leur siege bien garny, s'en partirent environ de v à vi m combatans, tous gens d'estoffe ; si se misrent au chemin, tyrant vers Ghergeauz où ilz parvindrent. En laquele ville tenoit garnison le conte de Suffort atout de trois à quatre cens Anglois natifz d'Engleterre, avec les manans de la ville, qui prestement, à toute dilligence, se ordonnerent à deffence quant ilz veyrent les Francois qui tantost les eurent avironnez de toutes pars. Si les commencerent tres aigrement à envahir et assaillir en pluiseurs lieux; lequel assault dura bonne espace en le continuant merveilleusement, et tant firent les dis Francois, par grant dilligence et traveil, que, maulgré les Anglois, leurs annemis, ilz entrerent en la ville par force d'armes; à laquele prinse furent environ trois cens Anglois occis, dont il y mourut ung frère (19) du conte de Suffort, lequel conte avec ung sien autre frère (20), nommé le seigneur de la Poulle, furent constituez prisonniers, et de leurs gens jusques à LX ou au dessus. Ainsi doncques fut ceste ville et forteresse de Ghergeauz prinse par les Francois, où ilz rafreschirent; puis tyrerent à Meun, quy tantost leur fist obeissance. Laquelle chose sachant, les Anglois qui tenoient la Fraité (21) se trayrent tous ensemble à Baugensy, habandonnant la dite Fraité Hubert, jusques auquel lieu ilz furent des Francois poursievis, tousjours Jehanne la Pucelle au front devant, atout son estandart, et n'estoit lors, par toutes les marches de là environ, si grant bruit que de sa renommee. Si furent lors dedens Baugensy jusques au nombre de VIIIcc combatans, gens de bonne estoffe.

Or, il est vrai qu'en ces mêmes jours, où les seigneurs anglais à savoir, Messire Jean Fastolf, Messire Thomas de Rampston et ses troupes séjournaient dans Janville, le connétable de France, le duc d'Alençon, Jeanne la Pucelle et les autres capitaines français, réunis, comme il a été déjà dit, devant Baugency, le siège bien garni, s'en partirent au nombre
d'environ cinq ou six mille combattants, et se mirent en chemin vers
Jargeau où ils parvinrent (22). Tenait garnison en cette ville le sire de Suffolk
avec de trois à quatre cents Anglais, natifs d'Angleterre, et les manants
de la cité qui prestement et en toute diligence se mirent en défense
quand ils virent les Français qui bientôt les eurent environnés de toutes
parts, et commencèrent à les envahir très aigrement, à les assaillir par
plusieurs côtés. L'assaut dura un bon espace de temps, continué merveilleusement. Les Français firent tant par leur grande diligence et travail que, malgré les Anglais leurs ennemis, ils entrèrent dans la ville par force d'armes. A cette prise, environ trois cents Anglais furent tués, parmi lesquels un frère du comte de Suffolk. Ce comte et un de ses frères furent faits prisonniers, avec soixante et plus de leurs gens.
Ainsi fut prise cette ville et forteresse de Jargeau par les Français qui s'y
rafraîchirent, et d'où ils tirèrent vers Meung, qui leur lit obéissance.
Cette nouvelle parvenue aux Anglais qui tenaient La Ferté, ils se retirèrent
tous ensemble à Baugency, abandonnant cette ville de La Ferté-Hubert. Ils furent poursuivis jusqu'à cette place par les Français, Jeanne toujours au front des combattants, son étendard déployé. Et alors, dans
toutes les marches des environs, il n'était si grand bruit que de sa renommée.
Il se trouva alors dans Baugency jusqu'au nombre de huit cents
combattants, tous gens de bonne étoffe.

es capittaines anglois dessus nommez estans à Jenville, furent advertis que nouvellement les Fran-chois à grant puissance d'armes avoient prins d'assault la ville de Ghergeauz, ainsi comme il a esté dit ou chapittre precedent, et mis en leur obeissance la ville de Meun, tenant tousjours leur siege devant Baugensy. Lesqueles nouvelles leur furent en moult grant desplaisance, mais amender ne le peurent quant au present. Si se misrent en conseil pour avoir advis tous ensamble sur ce qu'ilz avoient à faire. Et ainsi comme ilz estoient en ce conseil, entra en la ville le seigneur de Thalboth, atout environ quarante lanches et deux cens archiers ; de la venue duquel furent les Anglois moult joyeulz. Ce fut raison, car on le tenoit, pour ce tempz, estre le plus sage et vaillant chevallier du royaulme d'Engleterre.
Quant le dit seigneur de Thalbot fut descendu en son hostel, messire Jehan Fastre, messire Thomas Rameston et les autres seigneurs Anglois l'allerent bienviengnier et reverender, luy demandant de ses nouvelles; lequel leur en dist ce qu'il en estoit, puis s'en allerent disner tous ensamble. Et quant les tables furent ostees, ilz entrerent en une chambre à conseil, où maintes choses furent ataintes et debatues; car messire Jehan Fastre, que l'on tenoit moult sage et vaillant chevallier, fist maintes remonstrances au seigneur de Thalbot et auz autres, disant comment ilz scavoient bien la perte de leurs gens de devant Orliens, de Ghergeauz et autres lieux; pour lesqueles choses estoient ceulz de leur parti moult amatis et effraez, et leurs annemis, au contraire, moult fort s'en esjouissoient, exaltoient et résviguoroient ; pour-quoy il conseilloit de non aller plus avant et laissier faire auz assegiés de Baugensy, en prendant le meilleur traitié qu'ilz pourroient avoir auz François ; si se tyrassent entreulz es villes, chasteaulz et forteresses tenans leur party, et qu'ilz ne combatissent point leurs annemys si en haste jusques à ce que ilz feussent plus asseurez, et aussi que leurs gens feussent à eulz venus, que le duc de Bethfort, regent, leur debvoit envoier. Lesqueles remonstrances faites en ycelluy conseil par ledit messire Jehan Fastre, ne furent pas bien agreables à aulcuns des aultres capittaines; en especial au seigneur de Thalbot, lequel dist que s'il n'avoit que sa gent et ceulz qui le volroient ensievir, si les yroit il combatre à l'ayde de Dieu et de monseigneur Saint George.
Lors messire Jehan Fastre, voyant que nulle excusation ou remonstrances n'y valloit, ne ses parolles n'y avoient lieu, il se leva du conseil. Aussi firent tous les autres, et s'en allerent chascun en son logis. Si fut commandé auz capittaines et chiefz d'escadres que lendemain au matin, feussent tous pretz pour eulz mettre sur les champz, et aller où leurs souverains leur ordonneroient. Et ainsi se passa ceste nuit; puis, au matin, issirent tous de la porte, et se misrent auz plains champs estandars, penons et guidons. Et lors, aprez que tous furent en ordonnance issus de la ditte ville, tous les capittaines se tyrerent de rechief ensamble en ung tropel emmy le champ, et illec parla ancores à eulz messire Jehan Fastre, disant et remonstrant pluiseurs raisons tendans à fin de non passer plus avant; mettant au devant de leurs entendemens tous les doubtes des dangereux perilz qu'ilz povoient bien encourre, selon son ymagination; et aussi ilz n'estoient que une poignié de gens au regard des Francois, certiffiant que, se la fortune tournoit maul-vaise sur eulz, tout ce que le feu roy Henry avoit concquis en France, à grant labeur et long terme, seroit en voye de perdition : pourquoy il voulroit mieulz un peu soy reffraindre, et atendre leur puissance estre renforcee.
Ces remonstrances ne furent pas ancores agreables au seigneur de Thalbot, ne aussi à aulcuns autres chiefz de la dite armee. Pourquoy messire Jehan Fastre, voiant que nulle quelconcque remonstrance qu'il sceust faire, ne povoit prouffiter à ses dis compaignons retraire de leur emprinse volloir parsievir, il commanda auz estandars qu'ilz prensissent le droit chemin vers Meun. Si veissiés de toutes pars parmy celle Beausse, qui est ample et large, les Anglois chevaulchier en tres belle ordonnance; puis, quant ilz parvindrent ainsi comme à une lieue prez de Meun, et assez pres de Baugensi, les François, advertis de leurs venue, eulz environ VIm combatans, dont estoient les chiefz Jehanne la Pucelle, le duc d'Alenchon, le bastard d'Orlyens (23), le marissal de la Fayette, la Hyre, Pothon et autres capitaines, se rengerent et misrent en battaille sur une petite montaignette, pour mieulz veoir, et veritablement la contenance des Anglois. Les-quelz, plainement parchevans que Franchois estoient rengiés par maniere de battaille, cuidans que de fait les deussent venir combattre, prestement fut fait commandement expres, de par le roy Henry d'Engleterre, que chascun se meist à pié, et que tous archiers eussent leurs peuchons estoquiez (24) devant eulz, ainsi comme ilz ont coustume de faire quant ilz cuident estre combatus. Puis envoierent deux heraulz devers lesdis Francois, quant ilz veyrent qu'ilz ne se mouvoient de leurs lieux, disans qu'ils estoient trois chevalliers quy les combatroient se ilz avoient hardement de descendre le mont et venir vers eulz. Ausquelz responce fut faite de par les gens de la Pucelle : « Allez vous logier pour maishuy, car il est assez tard ; mais demain, au plaisir de Dieu et de Nostre Dame, nous vous verrons de plus prez. »
Alors les seigneurs anglois, voians qu'ilz ne serroient point combatus, se partirent de celle place, et chevaulcherent vers Meun, où ils se logerent celle nuit, car ilz ne trouverent nulle resistence en la ville, fors tant seullement que le pont se tenoit pour les Francois. Si fut conclu illec par les capittaines anglois qu'ilz feroient celle nuit battre ledit pont par leurs engiens, canons et veuguelaires, adfin d'avoir passage de l'autre costé de la riviere. Et ainsi le firent les Anglois qu'ilz l'avoient proposé ceste nuit, laquele ilz geurent à Meun jusques à lendemain.
Or, retournerons auz Francois quy estoient devant Baugensy; et dirons des Anglois quant lieu et tempz sera.

Les capitaines anglais dessus nombrés étant à Janville furent avertis que nouvellement les Français avaient par grande puissance d'armes pris d'assaut la ville de Jargeau, ainsi qu'il a été dit au chapitre précédent, qu'ils avaient la ville de Meung en leur obéissance, et qu'ils tenaient toujours leur siège devant Baugency. Ces nouvelles leur furent en moult grande déplaisance, mais y amender ne purent quant au présent. Ils se réunirent tous en conseil pour délibérer ensemble sur ce qu'ils avaient à faire. Et ainsi, comme ils étaient en conseil, le seigneur Talbot entra en la ville avec environ quarante lances et deux cents archers. Les Anglais furent moult joyeux de sa venue, et c'était raison, car en ce temps on le tenait pour le plus sage et le plus vaillant capitaine du royaume d'Angleterre.
Quand ledit seigneur de Talbot fut descendu en son hôtel, Messire
Jean Fastolf, Messire Thomas Rampston et les autres seigneurs anglais
allèrent lui souhaiter la bienvenue et lui faire révérence, lui demandant
de ses nouvelles ; il leur dit ce qui en était, et ils allèrent dîner tous
ensemble.
Quand les tables furent enlevées, ils entrèrent en une chambre pour tenir conseil. Maintes choses furent touchées et débattues, car Messire Fastolf, que l'on tenait moult sage et vaillant chevalier, fit maintes remontrances au seigneur de Talbot et aux autres, disant comment ils savaient bien la perte de leurs gens devant Orléans, Jargeau et autres lieux; pour lesquelles choses ceux de leur parti étaient moult abattus
et effrayés, tandis que, au contraire, leurs ennemis s'en réjouissaient
très fort, en tressaillaient et se revigoraient; c'est pourquoi il conseillait de ne pas aller plus avant, de laisser les assiégés de Baugency prendre avec les Français le
meilleur traité qu'ils pourraient avoir, et pour eux de se retirer ès villes,
châteaux et forteresses tenant leur parti, de ne point combattre leurs
ennemis en si grande hâte, d'attendre jusqu'à ce que leurs gens fussent
plus rassurés, et qu'à eux fussent venus se joindre ceux que le régent
duc de Bedford devait leur envoyer.
Ces remontrances faites en plein conseil par Messire Jean Fastolf ne
furent pas agréables à plusieurs des autres capitaines, et spécialement
au seigneur de Talbot, qui dit qu'alors qu'il n'aurait que ses gens et
ceux qui le voudraient suivre, il irait combattre à l'aide de Dieu et de
Monseigneur saint Georges.
Messire Jean Fastolf, voyant alors que nulle observation ou remontrance ne valait pas plus que s'il n'avait rien dit, se leva du conseil. Ainsi firent tous les autres, et chacun s'en alla à son logis. Il fut commandé
aux capitaines et aux chefs de compagnies d'être prêts le lendemain
au matin pour se mettre aux champs et aller là où leurs souverains
l'ordonneraient. Ainsi se passa cette nuit. Puis au matin ils sortirent tous
hors de la porte, et se mirent en pleins champs, étendards, pennons et
guidons au vent.
Après que tous furent hors de la ville en bonne ordonnance, tous les
chefs s'assemblèrent de nouveau en groupe au milieu d'un champ, et
Messire Jean Fastolf parla encore, déduisant et remontrant plusieurs
raisons pour ne pas passer plus avant, mettant devant les entendements
toutes les craintes de dangers et de périls que, selon son imagination, ils
pouvaient bien encourir, et aussi qu'ils n'étaient qu'une poignée de gens,
eu égard au nombre des Français ; que si la fortune leur était contraire,
tout ce que le roi Henri avait conquis par grand labeur et long temps
serait en voie de perdition ; c'est pourquoi il vaudrait mieux se refréner
un peu et attendre que leur armée fût renforcée.
Ces remontrances ne
furent pas encore agréables au seigneur de Talbot, ni aussi aux chefs de
l'armée. C'est pourquoi Messire Jean Fastolf, voyant que, quelque observation
qu'il sût faire, il ne pouvait rien pour empêcher ses compagnons
de vouloir poursuivre leur entreprise, il commanda aux étendards de
prendre le chemin de Meung. Vous eussiez vu par cette Beauce qui est
ample et large les Anglais chevaucher en très belle ordonnance, et puis
quand ils furent parvenus à une lieue près de Meung et assez près de Baugency, les Français avertis de leur venue, au nombre d'environ six mille combattants, ayant pour chefs Jeanne la Pucelle, le duc
d'Alençon, le bâtard d'Orléans, le maréchal de La Fayette, La Hire,
Poton et d'autres capitaines, se rangèrent et se mirent en bataille sur une
petite montagnette, pour mieux voir, et s'assurer de la contenance des Anglais. Ceux-ci s'apercevant clairement que les Français étaient rangés
en ordre de bataille, et pensant qu'ils allaient venir les combattre, commandement
exprès fut fait immédiatement de par le roi Henri d'Angleterre,
que chacun se mît à pied, et que tous les archers eussent leurs
pieux en arrêt devant eux, ainsi qu'ils ont coutume de le faire quand ils
pensent devoir être combattus. Quand ils virent que les Français ne se
mouvaient pas de leurs positions, ils envoyèrent vers eux deux hérauts,
disant qu'ils étaient trois chevaliers qui les combattraient s'ils
avaient la hardiesse de descendre de leur élévation et de venir vers eux.
Il fut répondu de par les gens de la Pucelle : « Allez vous loger pour aujourd'hui, car il est trop tard ; mais demain, au plaisir de Dieu et de Notre-Dame, nous nous verrons de plus près. »
Alors, les seigneurs anglais, voyant alors qu'ils ne seraient pas combattus,
quittèrent leur campement, et chevauchèrent vers Meung, où ils prirent
leurs logis pour cette nuit ; car ils ne trouvèrent nulle résistance dans la
ville, le pont seul tenant pour les Français. Il fut conclu par les capitaines
anglais que cette nuit ils feraient battre ledit pont par leurs engins,
canons et veuglaires, afin d'avoir passage de l'autre côté de la rivière. Ils
le firent ainsi qu'ils se l'étaient proposé durant cette nuit qu'ils passèrent à Meung jusqu'au lendemain.
Or, retournons aux Français qui étaient devant Baugency, et nous
parlerons ensuite des Anglais en lieu et temps.

omme vous avez oy, les Anglois estoient logiez à Meun, et les Francois devant Baugensy à siege, où ilz constraignoient moult fort la garnison de dedens, en leur faisant entendre que le secours qu'ilz atendoient (ne vendroit pas); leur faisant entendre aussi qu'ilz s'en estoient retournez vers Paris. Laquele chose voiant et oiant lesdis assegiés, avec autres pluiseurs samblables parolles que leur disoient les Francois, ne sceurent pas bonnement en quel parti de conseil eulz arrester pour le meilleur et plus prouffitable; considerant que par la renommee de Jehanne la Pucelle, les courages anglois estoient fort alterez et faillis. Et veoient, ce leur sambloit, fortune tourner sa roe rudement à leur contraire, car ilz avoient desjà perdu pluiseurs villes et forteresses qui s'estoient remises en l'obeissance du roy de France, principalement par les entreprinses de la dite Pucelle, les ungz par force, les autres par traitié; si veoient leurs gens amatis, et ne les trouvoient pas maintenant de tel ou si ferme propos de prudence qu'ilz avoient acoustumé; ains estoient tous, ce leur sambloit, tres desirans d'eulz retraire sur les marches de Northmandie, habandonnant ce qu'ilz tenoient en l'Isle de France et là environ.
Toutes ces choses considerees, et autres pluiseurs qui sourvenoient en leurs ymaginations, ilz ne scavoient quel conseil eslire, car ilz n'estoient pas adcertenez d'avoir brief secours; mais se ilz eussent sceu qu'il estoit si prez d'eulz, ilz ne se feussent pas sitost rendus. Touteffois finablement, toutes considerees les doubtes que ilz admetoient en leur fait, firent traitié aux Francois au mieulx qu'ils peurent, par condition que saulvement s'en yroient et emmenroient tous leurs biens, et la place demourroit en l'obeissance du roy Charles et de ses commis.
Lequel traitié ainsi fait, le samedy au matin se departirent les Anglois, prenant le chemin vers Paris, tout parmy la Beausse, et les Francois entrerent dedens Baugensy. Puis prindrent conclusion, par l'enhort de la Pucelle Jehanne, que lors yroient querant les Anglois jusques à ce qu'ilz les auroient trouvez en plaine Beausse, à leur avantage, et que là les combateroient ; car il n'estoit pas doubte que les Anglois, quant ilz scauroient la reddition de Baugensi, ne s'en retournassent parmy la Beausse vers Paris, où il leur sambloit qu'ilz en auroient bon marchié.
Or doncques lesdis Francois, pour parvenir à leur emprinse, se misrent auz plains champz. Si leur aplouvoient et venoient chascun jour gens nouveaulz de lieux divers. Si furent adont ordonnez le connestable de France, le marissal de Bousac (25), la Hire, Pothon et autres capittaines, à faire l'avantgarde; et le sourplus, comme le duc d'Alenchon, le bastard d'Orlyens, le marissal de Rays (26), estoient les conducteurs de la battaille et sievoient assez de prez ladite avantgarde. Si povoient estre yceulz Francois en tout de XII à XIIIIm combatans. Si fut lors demandé (à la Pucelle) par aulcuns des Princes et principaulz capittaines là estans, quel chose il lui sambloit de present bonne à faire. Laquele respondy qu'elle estoit certaine et scavoit veritablement que les Anglois, leurs annemis, les atendoient pour les combatre; disant oultre que, ou nom de Dieu, on chevaulchast avant contre eulx, et qu'ilz seroient vaincus. Aulcuns luy demanderent où on les trouveroit : ausquelz elle fist response qu'on chevaulchast sceurement et que l'en auroit bon conduit. Si se misrent les battailles des Francois à chemin en bonne ordonnance, aiant les plus experts, montez sur fleurs de chevaulz jusques à LX ou IIIIxx hommes, mis devant pour descouvrir. Et ainsi par longue espace chevaulchant ce samedy, estaient assez prez de leurs annemis les Anglois, comme cy aprez porrez oyr.
Quant doncques les Anglois qui s'estoient logiés à Meun, ainsi comme il a esté dit cy dessus, en intencion de guaignier le pont, adfin de rafreschir de vivres la garnison de Baugensy qui dès le soir devant s'estoient rendus aux Francois (dont lesdis Anglois ne scavoient rien, car ce samedy, environ VIII heures du matin que les capittaines eurent oy messe, il fut cryé et publié parmy l'ost que chascun se preparast et mist en point, garnis de pavaix, huys et fenestres, avoec autres habillemens necessaires, pour assaillir ledit pont qui la nuit paravant avoit esté rudement battu de nos engiens), si advint, ainsi comme tous estions garnis de ce que besoing nous estoit pour l'assault et prestz à partir pour commencier, que, droit à ceste heure, arriva ung poursievant, lequel venoit tout droit de Baugensy. Si dist aux seigneurs, nos capittaines, que ladite ville et chastel de Baugensy estaient en la main des Francois et que, dès qu'il party, ilz se mettaient auz champz pour les venir combattre.
Alors fut prestement commandé en tous les quartiers par les capittaines anglois, que toutes manieres de gens laissassent l'assault; sy se tyrast on auz champz; et que, à mesure que on isteroit auz champz hors de la ville, chascun en droit soy se meist en ordonnance de belle battaille. Laquele chose fut faite moult agreement. L'advangarde se mist premiers à chemin, laquele conduissoit ung chevallier anglois quy portoit ung estendart blancq ; puis mist on entre l'advangarde et la battaille, l'artillerie, vivres et marchans de tous estas. Aprez venoit la battaille, dont estoient conducteurs messire Jehan Fastre, le seigneur de Thalbot, messire Thomas Rameston et autres. Puis chevaulchoit l'arrieregarde, quy estoit de purains anglois.
Quant ceste compaignie fut auz plains champz, on prinst le chemin, chevaulchant en belle ordonnance, vers Pathay, tant que l'en vint à une lieue prez ; et illec s'arresterent, car ilz furent advertis à la verité par les coureurs de leur arrieregarde, qu'ilz avoient veu venir grans gens aprez eulz, lesquelz ilz esperoient estre Francois. Et lors, pour en scavoir la verité, les seigneurs anglois les envoierent chevaulchier aulcuns de leurs gens ; lesquelz tantost retournerent, et firent relation ausdis seigneurs que les Francois venoient aprez eulz raddement chevaulchant, une moult grosse puissance : comme assez tost aprez on les vey venir. Si fut ordonné par nos capittaines que ceulz de l'advangarde, les marchans, vitailles et artillerie yroient devant prendre place tout au long des haies qui estoient auprez de Pathay. Laquele chose fut ainsi faite. Puis marcha la battaille tant que on vint entre deux fortes hayes par où il convenoit les Francois passer. Et adont le seigneur de Thalbot, voiant ledit lieu assez advantageuz, dist qu'il descenderoit à pié atout Vcz (27) archiers d'eslite, et que là se tendroit, gardant le passage contre les Francois, jusques à tant que la battaille et l'arrieregarde serroient joinctes. Et prinst le dit Thalbot place auz hayes de Pathay, avec l'avantgarde quy là les atendoit, Et ainsi le seigneur de Thalbot, gardant cest estroit passage alencontre des annemis, esperoit de soy revenir joindre avec la battaille en costoiant lesdites hayes, voulsissent ou non les Francois; mais il en fut tout autrement.
Moult radement venoient les Francois aprez leurs annemis, lesquelz ancores ilz ne povoient pas choisir, ne ne, scavoient le lieu où ilz estaient, tant que d'avanture les avant coureurs veyrent ung cherf partir hors des bois, lequel prinst son chemin vers Pathay et s'en alla ferir parmy la battaille des Anglois : parquoy ilz esleverent ung moult hault cry, non sachant que leurs annemis feussent si prez d'eulz. Oyant lequel cry les dessus dis coureurs francois, ilz furent adcertenez que c'estoient les Anglois, et aussi les veyrent tost aprez tout plainement. Si envoierent aulcuns compaignons nonchier à leurs capittaines ce qu'ilz avoient veu et trouvé, en leur faisant scavoir que par bonne ordonnance ilz chevaulchassent avant, et qu'il estoit heure de besongnier. Lesquelz promptement se preparerent de tous poins et chevaulcherent tant qu'ilz veyrent tout plainement iceulz Anglois.
Quant doncques les dis Anglois veyrent les Francois eulz approchier de si prez, ilz se hasterent le plus qu'ilz peurent, adfin de eulz joindre auz hayes avant leur venue; mais tant ne seurent exploitier que, avant ce que ilz feussent ensamble joinctz esdites hayes à leur avangarde, les Francois s'estaient feruz à l'estroit passage où estoit le seigneur de Thalbot. Et alors messire Jehan Faste tyrant et chevaulchant vers l'avangarde pour se joindre avec eulz, ceulz de ladite avangarde cuiderent que tout fust perdu et que les battailles fuissent. Pourquoy ledit capittaine de l'avangarde, cuidant pour verité que ainsi feust, atout son estendart blancq, luy et ses gens prindrent la fuite et habandonnerent la haye.
Adont messire Jehan Fastre, voiant le dangier de la fuite, cognoissant tout tres mal aller, eut conseil de soy sauver. Et luy fut dit, moy, acteur, estant present, qu'il prensist garde à sa personne, car la battaille estoit perdue pour eulz. Lequel à toutes fins voulloit rentrer en la battaille, et illec actendre l'adventure tele que Nostre Seigneur luy voirait envoier; disant que mieulz amoit estre mors ou prins que honteusement fuyr et ainsi ses gens habandonner. Et anchois qu'il se volsist partir, avoient les Francois rué jus le seigneur de Thalbot, lui prins prisonnier (27) et tous ses gens mors. Et si estoient desjà lesdis Francois si avant en la battaille que ilz povoient, à leur voullenté, prendre ou occire ceulz que bon leur sembloit. Et finablement les Anglois y furent desconfis à peu de perte des Francois. Si y morut de la partie desdis Anglois bien deux mille hommes, et deux cens prisonniers.
Ainsi comme vous oez alla ceste besongne. Laquele chose voiant messire Jehan Fastre, s'en party moult envis, à moult petite compaignie, demenant le plus grant duel que jamais veisse faire à homme. Et pour verité, se feust reboutté en la battaille, se n'eussent esté ceulz quy avec luy estoient, especialement messire Jehan, bastard de Thian (29), et autres, quy l'en des-tourberent (30). Si prinst son chemin vers Estampes, et moy, je le sievis comme mon capittaine, auquel le duc de Betfort m'avoit commandé obeyr et mesmes servir sa personne. Si venismes, environ heure de myenuit, à Estampes, où nous geusmes, et lendemain à Corboeil.
Ainsi, comme vous oez, obtindrent François la victore au dit lieu de Pathai, où ilz geurent ceste nuit, regraciant Nostre Seigneur de leur belle adventure advenue. Et lendemain se deslogerent dudit lieu de Pathai, qui sied à deux lieues de Jenville; pour laquele place ainsi appelee, ceste battaille portera perpetuelement nom, la journee de Pathay. Et de là s'en allerent, atout leur proye et prisonniers, à Orlyens, où ilz furent generalement de tout le peuple conjoys : et par especial sur tous autres, Jehanne la Pucelle acquist en ycelles besongnes si grant loenge et renommee qu'il sembloit veritablement à toutes gens que les annemis du roy Charles n'eussent puissance de resister en quelque lieu où elle feust presente, et que briefment, par son moyen, le dit roy dut estre remis en son royaulme, maulgré tous ceux ceulz quy y volroient contredire.
Aprez ceste belle victore, s'en allerent tous les capittaines francois qui là estoient, avec eulz Jehanne la Pucelle, devers le roy Charles, qui moult les conjoy et grandement remercya de leur bon service et dilligence. Lesquelz lui dirent que, sur tous, en devoit scavoir gré à ladite Pucelle, qui dès ceste heure fut retenue du privé conseil du roy. Et là fut il conclud d'assambler le plus grand nombre de gens de guerre que l'en porroit finer parmy les pays au dit roy obeissans, adfin qu'il se peust bouter avant en pays, et ses annemis poursievir.

Comme vous l'avez vu, les Anglais étaient logés à Meung, tandis que les Français tenaient le siège devant Baugency. Ils pressaient fort les
assiégés, leur faisant entendre qu'ils ne recevraient pas le secours qu'ils
attendaient, que ceux qui devaient l'amener étaient retournés vers Paris.
Ce que voyant et entendant lesdits assiégés, ainsi que plusieurs semblables
paroles que leur disaient les Français, ils ne surent bonnement à quel
parti et à quel conseil ils devaient s'arrêter comme au meilleur et au
plus profitable. Ils considéraient que par la renommée de Jeanne la
Pucelle les courages anglais étaient fort altérés et défaillis ; ils voyaient,
ce leur semblait, la fortune tourner raidement sa roue à leur encontre ;
ils avaient déjà perdu plusieurs villes et forteresses qui, les unes par force,
les autres par traité, s'étaient remises en l'obéissance du roi de France, principalement par les entreprises de ladite Pucelle; ils voyaient leurs gens amatis, et ne leur trouvaient plus maintenant le même et ferme
propos de prudence qu'ils avaient coutume de leur trouver ; mais tous,
ce leur semblait, étaient très désireux de se retirer sur les marches de
Normandie, abandonnant ce qu'ils tenaient en l'Ile-de-France, et dans les
pays environnants.
En considérant ces choses et plusieurs autres qui se
présentaient à leurs imaginations, ils ne savaient quel parti choisir, car
ils n'étaient pas acertenés d'avoir prompt secours; mais s'ils avaient su
qu'il était si près d'eux, ils ne se fussent pas rendus de sitôt. Toutefois
finalement, vu les incertitudes qu'ils mettaient dans leur fait, ils traitèrent
avec les Français du mieux qu'ils purent, ayant obtenu comme
conditions qu'ils s'en iraient la vie sauve et emmèneraient tous leurs
biens, et que la place demeurerait en l'obéissance du roi Charles et de ceux
qui étaient commis à sa place.
Le traité ainsi fait, le samedi matin les
Anglais partirent, prenant leur chemin vers Paris à travers la Beauce,
et les Français entrèrent dans Baugency.
Puis, à la persuasion de la Pucelle Jeanne, ils conclurent qu'ils allaient
se mettre à la recherche des Anglais, jusqu'à ce qu'ils les auraient trouvés en pleine Beauce, en un lieu avantageux pour le combat, et que là ils les combattraient; car il n'était pas douteux que les Anglais, dès qu'ils sauraient la reddition de Baugency, ne s'en retournassent vers Paris, à travers la Beauce, où il leur semblait qu'ils en auraient bon marché.
Or, pour exécuter leur projet, lesdits Français se mirent aux
champs. Chaque jour il leur pleuvait, il leur arrivait de divers lieux
des gens nouveaux. Donc à faire l'avant-garde furent ordonnés le connétable
de France, le maréchal de Boussac, La Hire, Poton et d'autres
capitaines; les autres, tels que le duc d'Alençon, le bâtard d'Orléans, le
maréchal de Rais étaient les conducteurs de l'armée et suivaient de fort
près ladite avant-garde. Les Français pouvaient être en tout de douze à treize mille combattants. Il fut alors demandé à la Pucelle par quelques-uns des principaux
seigneurs et capitaines quelle chose lui semblait de présent bonne à faire. Elle répondit qu'elle était certaine et savait en toute vérité que les
Anglais leurs ennemis les attendaient pour les combattre, et dit en outre
qu'on chevauchât en avant contre eux et qu'ils seraient vaincus. Quelques-uns lui demandèrent où on les trouverait, auxquels elle fit réponse que l'on chevauchât hardiment et que l'on aurait bon conduit. Ainsi les divers corps de l'armée française se mirent en chemin en bonne ordonnance, les plus experts, montés sur fleur de chevaux, au nombre de 60 ou 80 hommes, étant mis en avant pour la découverte, et ainsi chevauchant ce samedi par long espace, ils arrivèrent fort près de leurs ennemis les Anglais, comme vous pourrez ouïr ci-après.
Ainsi donc, comme il a été dit ci-dessus, les Anglais s'étaient logés à Meung, avec l'intention de conquérir le pont pour aller rafraîchir (31) de
vivres la garnison de Baugency, qui dès le soir s'était rendue aux Français; ce dont les Anglais ne savaient rien. Ce samedi, en effet, environ huit heures du matin, après que les capitaines eurent ouï la messe, il fut crié et publié dans l'armée que chacun se préparât et se mît en point, se pourvoyant de pavois, d'huis, de fenêtres et d'autres appareils nécessaires pour assaillir ledit pont qui, la nuit précédente, avait été rudement battu de nos engins. Comme nous étions tous garnis de ce
dont il était besoin pour l'assaut et prêts à partir pour commencer, il
advint que juste à cette heure arriva un poursuivant [d'armes] qui
venait tout droit de Baugency. Il dit aux seigneurs nos capitaines que la
ville et le château de Baugency étaient en la main des Français, qui, à
son départ, se mettaient aux champs pour les venir combattre.
Il fut alors promptement commandé dans tous les quartiers, par les
capitaines anglais, que tous laissassent l'assaut, qu'on se tirât aux
champs, et qu'à mesure qu'on arriverait aux champs hors de la ville,
chacun de son côté se mît en bel ordre de bataille. La chose fut faite
avec promptitude. L'avant-garde se mit d'abord en
chemin, conduite par un chevalier anglais qui portait un étendard blanc;
puis l'on mit entre l'avant-garde et le gros de l'armée l'artillerie, les
vivres et les marchands de tous états. Après, venait l'armée dont étaient
conducteurs Messire Jean Fastolf, le seigneur de Talbot, Messire Thomas
Rampston et autres. Puis chevauchait l'arrière-garde qui ne se composait
que d'Anglais.
Quand cette compagnie fut en rase campagne, on prit, en chevauchant
en belle ordonnance, le chemin vers Patay, si bien que l'on en vint à
une lieue près ; et là on s'arrêta, car les coureurs de l'arrière-garde avertirent qu'ils avaient vu venir beaucoup de gens après eux qu'ils comptaient être les Français. Et alors, pour en savoir la vérité, les seigneurs anglais envoyèrent quelques-uns de leurs gens courir à cheval; lesquels retournèrent bientôt, et firent relation auxdits seigneurs que les
Français venaient après eux, chevauchant rondement, en très grosse
puissance; en effet, on ne tarda guère à les voir venir.
Il fut alors ordonné par nos capitaines que ceux de l'avant-garde, les
marchands, les victuailles et l'artillerie iraient devant prendre place tout
le long des haies qui étaient près de Patay. Laquelle chose fut ainsi faite.
Puis l'armée marcha si bien qu'elle vint entre deux fortes haies entre
lesquelles les Français devaient passer. Et alors le seigneur de Talbot,
voyant le lieu avantageux, dit qu'il descendait à pied avec cinq cents
archers d'élite, et qu'il se tiendrait là, gardant le passage contre les
Français jusques à ce que l'armée et l'arrière-garde seraient jointes, et
Talbot prit place aux haies de Patay, avec l'avant-garde qui là attendait.
Le seigneur de Talbot, gardant cet étroit passage à l'encontre des ennemis,
espérait pouvoir revenir de lui-même rejoindre le gros de l'armée en
côtoyant les haies, que les Français le voulussent ou non ; mais il en fut
tout autrement.
Les Français venaient très rapidement après leurs ennemis, qu'ils ne pouvaient pas encore aborder, ne sachant pas le lieu où ils étaient, lorsque, par hasard, les avant-coureurs virent un cerf sortir des bois et, prenant son chemin vers Patay, aller se jeter dans l'armée des Anglais. Ceux-ci à cette vue poussèrent un grand cri, ne sachant pas que leurs ennemis fussent si près d'eux. Par ce cri les dessusdits coureurs français furent acertenés que c'étaient les Anglais, et, bientôt après, ils les virent bien manifestement. Ils envoyèrent quelques-uns de leurs compagnons annoncer à leurs capitaines ce qu'ils avaient vu et trouvé, en leur faisant savoir de chevaucher en avant par bonne ordonnance, et que c'était l'heure de besongner. Ceux-ci se préparèrent promptement de tous points, et chevauchèrent si bien qu'ils eurent les Anglais bien clairement sous leurs yeux.
Quand les Anglais virent les Français les approcher de si près, ils se
hâtèrent le plus qu'ils purent, afin de se rendre aux haies avant leur
arrivée, mais ils ne surent pas exécuter leur mouvement si promptement,
qu'avant qu'ils fussent joints à leur avant-garde auxdites haies, les
Français s'étaient précipités à l'étroit passage où était le seigneur de
Talbot. Et alors Messire Jean Fastolf, courant et chevauchant vers ceux
de l'avant-garde pour se joindre à eux, ceux de ladite avant-garde pensèrent
que tout était perdu et que les compagnies étaient en fuite. C'est
pourquoi le capitaine de l'avant-garde, pensant qu'il en était vraiment
ainsi, avec son étendard blanc prit la fuite, et ses gens avec lui, et tous
abandonnèrent la haie.
Alors Messire Jean Fastolf, voyant le danger de la fuite, connaissant tout aller très mal, fut conseillé de se sauver. Il lui fut dit, moi acteur étant présent, qu'il prît garde à sa personne, car la bataille était perdue
pour eux. Il voulait à toutes forces rentrer en la bataille, et là attendre
le sort que Notre-Seigneur lui voudrait envoyer, disant qu'il aimait mieux être mort ou pris que fuir honteusement et abandonner ainsi ses gens,
et avant qu'il voulût partir, les Français avaient rabattu le seigneur de
Talbot, ils l'avaient fait prisonnier et tous ses gens étaient morts, et les
Français étaient déjà si avant dans la bataille qu'ils pouvaient à leur
volonté prendre ou tuer ceux que bon leur semblait. Finalement
les Anglais y furent déconfits avec peu de pertes de la part des Français.
Du côté des Anglais il y mourut bien deux mille hommes, et il y eut
bien deux cents prisonniers.
Ainsi alla cette besogne comme vous venez de l'ouïr. Ce que voyant
Messire Jean Fastolf, il s'en partit bien malgré lui à très petite compagnie,
menant le plus grand deuil que jamais je visse faire à un homme.
Et en vérité, il se fut remis en la bataille, n'eussent été ceux qui étaient
avec lui, spécialement Messire Jean, bâtard de Thian, et autres qui l'en
détournèrent. Il prit son chemin vers Étampes, et moi je le suivis comme étant mon capitaine, auquel le duc de Bedford m'avait commandé
d'obéir, bien plus de servir sa personne. Nous arrivâmes une heure après
minuit à Étampes où nous couchâmes, et le lendemain à Corbeil.
Ainsi, comme vous l'entendez, les Français obtinrent la victoire audit
lieu de Patay où ils couchèrent cette nuit, rendant grâces à Notre-Seigneur
de leur belle fortune. Et le lendemain ils partirent de Patay, qui est
situé à deux lieues de Janville. Du nom de cette place, cette bataille portera
perpétuellement le nom de journée de Patay. Et de là les Français
s'en allèrent avec leur butin et leurs prisonniers à Orléans où ils furent
universellement conjouis de tout le peuple.
Après cette belle victoire, tous les capitaines français qui s'y étaient trouvés, Jeanne la Pucelle avec eux, s'en allèrent vers le roi Charles qui moult les félicita et les remercia grandement de leur service et diligence. Ils lui dirent que par-dessus tout on devait savoir gré à la Pucelle qui, de cette heure, fut du conseil privé du roi (32). Et là il fut conclu d'assembler le plus grand nombre d'hommes de guerre que l'on pourrait dans les pays obéissants audit roi, afin qu'il pénétrât en avant dans les pays et poursuivît ses ennemis.
Sources :
- Introduction (Procès de Jules Quicherat, t.IV, P.405 et 406)
Chronique : J.B.J. Ayroles : "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III, p. 485 à 504.
Notes :
* reprise paragraphe de Monstrelet pour compléter le texte de Quicherat (marqué etc, etc...)
** paragraphe propre à Wavrin.
1 Lire Falstolf.
2 Lire : Simon Morhier.
3 Le 18 février 1429.
4 Rouvray St-Denis (Eure-et-Loir).
5 Le 21 février 1429.
6 Ici un mot en blanc dans le ms. 8346. Vérard ne mentionne que Charles de Bourbon et le seigneur de Chasteaubrun.
7 Ancien calendrier.
8 C'est XII qu'il faut lire, et encore en comprenant dans ce nombre les boulevards, qui n'étaient que des enceintes fermées de palissades et de fossés.
9 Il est suffisamment établi par les autres témoignages que le jeudi, qui était le jour de l'Ascension , il n'y eut pas de sortie.
10 Les chefs de chambre étaient les officiers inférieurs dans les compagnies. Ils avaient une vingtaine d'hommes sous leur commandement. Rien n'est plus rare que de trouver la mention de ce grade dans les auteurs.
11 Erreur de Wavrin ; Mathe Gough était Gallois.
Mathieu Gough, communément nommé Matagon, « capitaine gallois » (Bercy, 427). Il est désigné dans une montre passée en la ville de Baieux, le 1er juin 1443, ainsi qu'il suit : « Noble homme, Mathieu Goth, escuier, capitaine de ladite place » (Bib. imp., Mss., Monstres, Originaux, t. II, G-H, cabinet des titres). Mort en 1450. Voy. ci-après, au tome II, le chapitre vii du livre III de la VIe partie, n° 1169. Note de Mlle Dupont (1858)
12 « Richard Ghetin, escuier, capitaine de Exmes, fait ses premieres monstres le xv octobre 1424 ». (Bib. imp., Mss., n° 94366 fol. 151.) Il figure dans une autre montre, passée à Mante le 2 janvier 1432 (v. s.), conduisant des hommes d'armes « establiz soubz noble homme, messire Richard Guethin, chevalier, bailli et cappitaine de Mante, à lui ordonnez pour sa seurté et exercite de son dit office de bailli. » (Bib. imp., Mss., Monstres de 1400-1469, t. III, cabinet des titres.) Note de Mlle Dupont (1858)
13 Jean, sire Talbot et de Fournival, créé comte de Shrewbury, le 20 mars 1442. Tué à la bataille de Châtillon le 20 juillet 1453 (Dugdale, I, 328-330). Note de Mlle Dupont (1858)
14 Philippe d'Esgreville, capitaine de Château-Landon dès le 26 novembre 1426 (Bib. imp., Mss., n° 94363.a., fol. 155 verso), nommé par Henri VI, le 26 août 1428, à la garde de la ville et chastel de Moret (Id., ib., 164), écuyer, institué de nouveau dans l'office de maître des eaux et forêts de France, Champagne et Brie, au lieu de sire Guy de Pontaillier, par lettres de Charles VII, en date du 13 février 1431, v. s. (Bib. imp., Mss., fonds Gaignières, n° 771, fol. 97) était capitaine de Nemours et servait dans l'armée de Charles VII, au siége de Rouen, en 1449, où il fut fait chevalier (Chronique de la Pucelle, t; X, 187, 190). Capitaine de Montargis en 1461 (Chronique scandaleuse. Voy. Lenglet, II, 7.)Note de Mlle Dupont (1858)
15 John Fastoff, chevalier, banneret, gouverneur du Maine et de l'Anjou. Capitaine très-renommé sous les rois Henri IV, V et VI. Mort le 6 novembre 1459 (Biographia Britannica, III, 1899-1909). C'est une biographie complète de ce personnage.
16 Thomas Rampston , chevalier, capitaine d'Argentan dès 1424 (Bib imp., Mss., n° 94366, fol. 155). Fait prisonnier au siège de Saint-Sever, en 1442 (Monstrelet, VII, 199). Était eucore'détenu par Raoul de Gaucourt le 1er mars 1447 (La Thaumassière, p. 588).
17 Le 29 août 1428.
18 C'est une erreur. Wavrin fait venir deux fois la Pucelle au siège de Baugency, et prolonge le siège de cette place bien plus qu'il ne le fut en réalité. Le 11 juin, l'armée française vint assiéger Jargeau, le 17 Baugency. Il est vraisemblable que le messager, qu'il dit être parti de Baugency, partit en réalité de Jargeau. (Ayroles)
19 Alexandre de la Pole.
20 John.
21 La Ferté-Hubert.
22 Jargeau fut pris avant le siège de Baugency et le Connétable n'était nullement présent. (Ayroles).
23 Jean d'Orléans, comte de Dunois, fils naturel de Louis de France et de Mariette d'Enghien, femme d'Aubert le Flamenc, seigneur de Cany. Mort le 24 novembre 1468 (Anselme, I, 212).
24 C'est-à-dire leurs pieux en arrêt, présentant la pointe à l'ennemi. (Quicherat)
25 Jean de la Brosse, seigneur de Sainte-Sevère, de Boussac, fut pourvu de l'office de maréchal de France le 26 mai 1423.
Mort en 1433 (Anselme, VII, 71).
26 André de Laval, seigneur de Loheac et de Rais, amiral et maréchal de France.
Mort en 1486 (Anselme, VII, 72).
27 Cinq cents.
28 Il fut échangé quatre ans plus tard contre Ambroise de Loré. (Dugdale, I, 329).
29 Jean de Thien, dit le Bâtard, fait chevalier au siége de Meaux en 1422, « qui autrefois avoit esté grant capitaine avec les regens des compagnies, sous le duc Jehan de Bourgogne. » (Monstrelet, IV, chap. CCLXIX).
Était capitaine de Senlis dès 1428 (Bib. imp., Mss,, n°94365- a-,fol.17 verso).
Par lettres datées de Rouen le 19 octobre 1430, il est désigné comme étant nouvellement bailli de Senlis (Bib. imp., Mss., Fonds Gaignières, n° 771, p. 97).
Fait prisonnier par les Anglais au siége de Meaux, en juillet 1439, il fut aussitôt décapité (Monstrelet, VII, chap. CCXXXIX).
30 Voici comme ce fait est raconté par Monstrelet (V, chap. LXI) :
« A la journée de la bataille de Patay, avant que les Anglois sussent la venue de leurs ennemis, messire Jean Fascot, qui estoit un des principaux capitaines..., s'assembla en conseil avecque les autres, et fit plusieurs remontrances : c'est à savoir, comment ils savoient la perte de leurs gens que les François avoient fait devant Orléans et Jargeau, et en aucuns autres lieux, pour lesquelles ils avoient du pire ; et estoient leurs gens moult ébahis et effrayés, et leurs ennemis, au contraire, estoient moult enorgueillis et résignés. Pourquoi il conseilla qu'ils se retrahissent aux chasteaux et lieux tenant son parti à l'environ, et qu'ils ne combattissent point leurs ennemis si en haste, jusques à ce qu'ils fussent mieux rassurés ; et aussi que leurs gens fussent venus d'Angleterre, que le régent devoit envoyer brieve-ment. Lesquelles remontrances ne furent point bien agreables à aucuns des capitaines, et par especial à messire Jean de Talbot ; et dit, que si les ennemis venoient, qu'il les combattroit. Et par especial, comme le dit Fascot s'enfuit de la bataille sans coup férir, pour cette cause grandement lui fut reproché quand il vint devers le duc de Bedfort, son seigneur; et en conclusion, lui fut osté l'Ordre du blanc jarretier, qu'il portait entour la jambe. Mais depuis, tant en partie comme pour les dessusdites remontrances qu'il avoit faites, qui sembloient assez raisonnables, comme pour plusieurs autres excusances qu'il mit avant, lui fut, par sentence de procès, rebaillée ladite Ordre de la Jarretière, jà soit ce qu'il en sourdit grant débat, depuis, entre icelui Fascot et sire Jean de Talbot, quant il fut retourné d'estre prisonnier de la bataille dessusdite. »
31 Le pont conquis, les Anglais auraient longé la rive gauche jusqu'à Baugency, dont la garnison s'était retirée sur le pont que canonnait l'armée française campée sur la rive droite. (Ayroles).
32 Cette assertion ne se trouve que chez Wavrin et est démentie par les faits. (Ayroles)
Présentation de la chronique par J.B.J. Ayroles :
[Jean Wavrin est un bâtard d'une ancienne et grande famille de
Picardie. Non seulement il parvint à être légitimé, mais encore à
occupera la cour de Philippe, duc de Bourgogne, les charges de conseiller
et de chambellan. Il doit être né vers les dernières années du XIVe siècle,
puisqu'il assista comme héraut d'armes à la journée d'Azincourt, où
périrent son père et l'unique représentant légitime de la famille.
Wavrin, préférant prendre rang parmi les combattants que compter
les coups qu'ils se portaient, quitta la carrière de héraut d'armes pour
devenir, dans le sens strict du mot, un homme d'armes. Il fit partie
en 1420 d'une expédition contre les hussites, et au retour, Bourguignon
déclaré, prit part aux batailles de Crevant, de Verneuil, et à la guerre
du duc de Bourgogne contre Jacqueline. Il passa bientôt après au
service direct et immédiat de l'armée anglaise. Bedford l'envoya en
mission dans l'Orléanais, et l'attacha au service de son homme de
confiance, du grand maître de sa maison, Fastolf, le vainqueur de
Rouvray, avant d'être le fuyard de Patay. Il est vraisemblable qu'il
continua à servir dans l'armée anglaise jusqu'au traité d'Arras, après
lequel il serait revenu au service de son seigneur naturel, le duc de
Bourgogne, qui, avec les titres déjà rappelés, lui fit des dons importants.
Ces hautes faveurs et ses exploits ne l'auraient pas sauvé de l'oubli, s'il n'avait pas écrit. Le sujet qu'il choisit témoigne de la sympathie qu'il
garda toujours aux Anglais. Il écrivit l'Histoire de l'Angleterre depuis
les temps fabuleux jusqu'à l'année 1472. Son texte enrichi de notes forme
cinq volumes de la belle Collection des historiens de la Grande-Bretagne.
La Société de l'Histoire de France a édité ce qui dans Wavrin a trait à l'Histoire de France. Mlle Dupont, à laquelle cette tâche fut confiée, l'a
fait précéder de chapitres préliminaires auxquels sont empruntées la
plupart des indications que l'on vient de lire.
Forestel compose son récit en insérant mot à mot les pages détachées
des chroniqueurs qui l'ont précédé, tels que Froissart, de Saint-Rémy, Monstrelet, Leclerc. Pour ce qui regarde la Libératrice, il suit
pas à pas la Chronique de Monstrelet, l'amplifiant le plus souvent, mais
surtout l'envenimant. Il est loin d'imiter la réserve du premier. Il donne
un sens défavorable aux faits que Monstrelet se contente de relater.
Ses amplifications sont accompagnées de nombreuses inexactitudes.
C'est ainsi qu'il fait commencer le siège de Baugency avant celui de
Jargeau, et fait courir la Pucelle de la première ville à la seconde pour la
faire revenir emporter une place dont le siège ne dura pas deux jours.
L'on dirait qu'il n'a idée ni des lieux ni de la suite des événements ; il
assistait cependant à la bataille de Patay, comme attaché à la personne
de Fastolf, avons-nous dit. Aussi s'efforce-t-il de justifier son maître.
Le lecteur pourra juger de la valeur de l'apologie. Wavrin donne à cette
occasion, sur les préludes de la journée de Patay, des détails que l'on ne
trouve que dans sa Chronique.
Certains modernes nous paraissant apprécier trop favorablement
Wavrin de Forestel, l'on trouvera ici tout ce qu'il dit sur la Pucelle
jusqu'à la bataille de Patay. Il rend malgré lui à la Libératrice de précieux
témoignages.
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