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par Henri Wallon

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La chronique normande de Pierre Cochon
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  Ce n'est nullement du bourreau de la Pucelle, du Caïphe de Beauvais qu'il s'agit; mais de l'un des douze notaires apostoliques que l'on comptait à Rouen alors que la Pucelle y subissait son martyre. Celui-ci a laissé une Chronique que le premier éditeur, Vallet de Viriville, a appelée Chronique Normande, appellation que lui a maintenue le second éditeur, M. de Robillard de Beaurepaire.

  M. de Beaurepaire a étudié avec son ordinaire diligence, et apprécié, avec la justesse d'esprit qu'on lui connaît, la Chronique Normande et son auteur. D'après le docte archiviste, Pierre Cochon est né vers 1390, au pays de Caux, à Fontaine-le-Dun dans la vicomté d'Arques, aujourd'hui dans l'arrondissement de Dieppe. Il serait mort vers 1456. Prêtre, il exerça les fonctions de notaire apostolique, c'est-à-dire de notaire nommé médiatement par le Pape, qui avait délégué à la corporation des notaires de Rouen le droit de choisir leurs collègues. Pierre Cochon fut l'ami de Manchon, le greffier du procès de Rouen, et lui succéda dans la cure de Vittefleur. On les voit nommés tous deux simultanément exécuteurs testamentaires d'un collègue, et ils boivent ensemble à l'hôtel de la Pierre, près la cour du parlement. Il est à croire que Cochon partageait vis-à-vis de la Martyre les sentiments de son ami, qui, pendant un mois, pleura au souvenir du supplice de la victime. Pierre Cochon, dans sa Chronique, embrasse, comme il pouvait la connaître, l'histoire non seulement de la Normandie, mais de la France à partir de 1108 jusqu'en 1430. Il s'arrête lorsque la Pucelle arrive à Rouen. Pourquoi n'a-t-il pas poussé plus loin son oeuvre ? MM. de Beaurepaire et Auguste Vallet pensent que c'est parce qu'il n'aurait pas pu écrire sans péril ce qu'il pensait du forfait de la place du Vieux-Marché. Le juge prévaricateur qui l'avait commis, ayant poursuivi et puni les propos accusateurs du Dominicain Bosquier, aurait, à plus forte raison, poursuivi et puni les écrits d'un officier de la cour archiépiscopale; conjecture plausible quoique sans caractère de certitude.

  Soucieux des besoins du peuple auquel il appartenait par sa naissance, le notaire Pierre Cochon est attaché au parti bourguignon, qui aux yeux de la multitude séduite défendait les intérêts populaires. Il n'aime pas les Anglais, mais il déteste les Armagnacs, défenseurs d'une noblesse immorale, oppressive et insolente. Il tient aux privilèges de l'ordre ecclésiastique et les défend vigoureusement. Son langage est trivial, quelquefois grossier, intéressant toutefois dans sa rude franchise. La Pucelle était dans les rangs de ces Armagnacs abhorrés. L'écrivain normand ne partage pas vis-à-vis d'elle les sentiments de Jean Chuffard, le faux bourgeois de Paris. S'il ne lui donne pas dans les événements la place qu'elle y a remplie, du moins il s'abstient à son égard de tout terme injurieux. Il n'est pas tellement démocrate qu'il ne rende justice aux sentiments d'humanité de Charles VII qui avait recommandé aux capitaines conquérants des places de Normandie de ne faire sentir leurs rigueurs qu'aux Anglais et d'épargner les Français. Le chroniqueur ne fait que rappeler, non sans les confondre quelquefois, les faits passés au sud de la Loire, ou même de la Seine. Il a quelques particularités remarquables sur les événements plus à portée de son observation. Tel le profond découragement des Anglais, après la défaite de Patay ils voulaient fuir la France ; la part des milices communales dans les guerres de la Pucelle ; l'inaction des Anglais immobiles derrière leurs retranchements aux journées de Senlis; la disette de vivres qui força l'armée française à ne pas prolonger l'attente de la bataille ; la cause de l'échec sur Paris ; la construction du pont sur la Seine attestée par Perceval de Cagny.

                   

Chapitres :

- 1ère partie
- 2ème partie


                                         

 'an mil .cccc. xxviiij., devant Pasques, fu mis le siège des Anglois devant la ville d'Orliens; et là se fortefierent les dits Anglois très fort de fossés, bosclevers bastilles, et y furent jusques au mois de juing l'an .cccc. xxix., euquel mois yssirent ceulz de dens la dicte ville, avec autres grant quantité de gens d'armes et une jeune fille que l'en apeloit la Pucele. Et disoient plusieurs qu'elle estoit envoié, de par Dieu, pour aidier à Charles, daulphin filz de Charles, roy de France, trespassé, à reconquester son royaume que avoit conquis ledit Henry, roy d'Engleterre, dont devant est fait mencion. Et iceulx gens d'armes et Pucelle, ainsi yessus, assaillerent à force les bollevert[s] des dits Anglois, et y boterent le feu, et tuerent une grant quantité d'Anglois, tant qu'i fallu que les dits Anglois levassent ledit siege, et s'enfouissent. Et ainssi furent tous esbahis.

  Item, en icellui an et eu dit moys de juing, environ la Sainct-Jean, se ralierent les dits Englois pour aller contre les dits Franchois qui les avoient ainsi capponnez,et les trouverent plus tôt que mestier ne leur estoit; car les dits Franchois prindrent deux forteresses, l'une nommée Gargiau, et l'autre Bojency et y tuerent grant quantité des dits Anglois, et si y gaignerent grossez finances et des canons, bombardes et autres abillements de guerre. Et incontinent vindrent lesdits Franchois vers une forteresse nommée Yenville, et trouverent et rencontrerent les dits Anglois à grosse compaignie, et là defferirent sur eulx si aprement, car les dits Anglois ne se savoient comme deffendre, et là furent plusieurs tués, et les autres prisonniers. Et demeurerent Franchois les maistres Et là furent prins .iij. grans seigneurs anglois, c'est assavoir : le conte de Sufford, monsr. de Scallez et ung nommé Tallebot, lequel estoit .j. des bons routiers des Anglois. Et n'eschappa des Anglois, sinon ung nommé messire Jehan FFalstof, avec environ .vij. ou .viij. cens Anglois qui estaient à cheval, qui s'en fuirent, quant il vidrent que mal part tournet. Et, se ilz eussent estoié à pié, comme estoient ceulx de la grosse bataille des dits Anglois, il n'y en fu jà demouré pié qui n'eust esté mort ou prisonnier. Et là furent Anglois très bien catrés, plus que onques mès n'avoient esté en France. Et s'en vouloient retourner en Angleterre et leissier ainssi le pais, se le regent leur eust souffert. Et estoient adonc Anglois si abolis que ung Franchois en eust cachié trois.

                  

  Item, en icellui an, tant eu dit moys de juing que eu moys de juillet ensuiant, prindrent les dis Franchois deux forteresses, l'une nommée Meun, et l'autre Yenville; et auxi, au dit mois de juillet, conquirent plusieurs forteresses comme Troès, Ausseurre, Rains et plusieurs aultres. Et se fit le dit dauphin sacrer à Rains par l'archevesque du lieu qui estoit à sa com-paignie. Et eust mout de grant seigneurs au sacre. Et après conquit plusieurs forteresses comme Compiengne, Senlis et plusieurs autres; et doubtoit chacun le dit Charlez. Et conquit en .ij. mois ce que les Anglois avoient mis à conquerre plus de .iij. ans. Et cregnoit l'en mout celle Pucelle ; car elle usoit de soumassions, et disoit que, se l'en ne se rendoit, elle prendroit d'assaul (1). Et avoit avec elle grant quantité de gens de pais à pié, lesquielx faisoient très bien leur devoir, et avoient fait ès batailles contre les Anglois. Car les Anglois les avoient menachiés d'ardoier : par quoy ilz estoient plus indignez contre eulx.


  L'an 1428, avant Pâques le siège fut mis par les Anglais devant la ville d'Orléans, où ils se fortifièrent très fort de fossés, boulevards et bastilles. Et ils y furent jusqu'au mois de juin de l'an 1429. En ce mois, ceux de dedans la ville sortirent avec une autre quantité de gens d'armes, et une jeune fille que l'on appelait la Pucelle. Plusieurs disaient qu'elle était envoyée de par Dieu, pour aider Charles, Dauphin, fils de Charles, roi de France, trépassé, à recouvrer son royaume, qu'avait conquis Henri, roi d'Angleterre, dont devant il est fait mention. Lesdits gens d'armes et la Pucelle sortirent ainsi, assaillirent de force les boulevards des Anglais, y mirent le feu, et tuèrent une grande quantité d'Anglais, tant qu'il fallut que lesdits Anglais levassent le siège, s'enfuissent; et ainsi ils furent tous ébahis.

  Item. En cet an, et audit mois de juin, environ la Saint-Jean, les Anglais se rallièrent pour aller contre les Français qui les avaient ainsi battus, et ils les trouvèrent plus tôt qu'ils n'en auraient eu besoin, car lesdits Français prirent deux forteresses, l'une nommée Jargeau, l'autre Baugency; ils y tuèrent grande quantité desdits Anglais, ils y gagnèrent grosses finances, des canons, des bombardes et d'autres instruments de guerre ; et incontinent ils vinrent vers une forteresse nommée Janville. Ils trouvèrent et rencontrèrent les Anglais à grosse compagnie, et là ils tombèrent sur eux si âprement que les Anglais ne savaient comment se défendre. Plusieurs y furent tués, les autres faits prisonniers, et les Français demeurèrent les maîtres. Là furent pris trois grands seigneurs anglais, à savoir le comte de Suffolk, M. de Scalles, et un nommé Talbot qui était un des bons routiers des Anglais. Il n'échappa des Anglais qu'un nommé Jean Fastoff, avec sept ou huit cents Anglais qui étaient à cheval. Ils s'enfuirent quand ils virent que la partie tournait mal ; s'ils eussent été à pied, comme ceux du gros de l'armée, il ne serait pas demeuré un seul homme qui n'eût été mort ou prisonnier ; et là les Anglais furent bien matés, plus que jamais ils ne l'avaient été en France. Ils voulaient s'en retourner en Angleterre et laisser le pays, si le régent l'eut souffert ; et les Anglais étaient alors si anéantis qu'un Français en eût chassé trois.

  Item. En cet an, tant audit mois de juin qu'au mois de juillet qui suivit, les Français prirent deux forteresses, l'une nommée Meung et l'autre Janville, et aussi audit mois de juillet ils conquirent plusieurs autres places fortes, comme Troyes, Auxerre, Reims, et plusieurs autres. Le Dauphin se fit sacrer à Reims par l'Archevêque du lieu, qui était en sa compagnie, et il y eut beaucoup de grands seigneurs au sacre (*). Après, il conquit plusieurs forteresses comme Compiègne, Senlis et plusieurs autres. Chacun redoutait ledit Charles; il reconquit en deux mois ce que les Anglais avait mis plus de trois ans à conquérir. L'on craignait beaucoup cette Pucelle ; car elle usait de sommation, et disait que si l'on ne se rendait pas, elle prendrait d'assaut. Elle avait avec elle grande quantité de gens du pays à pied ; lesquels faisaient très bien leur devoir et l'avaient fait dans les batailles contre les Anglais. Car les Anglais les avaient menacés de mettre le feu, pourquoi ils étaient plus indignés contre eux.



                                         

tem, en icellui an .cccc et .xxix., eu moys d'aoust ensuiant, prindrent les dits Franchois la cité de Beauvès. Après laquelle prinse, les Anglois firent leur crié, et allerent emprès Senlis. Et y estoit le dit duc de Bedford, regent, atout grant compaignie d'Anglois. Et fu le dit Charles atout son ost, et mit les dits Anglois en telle subjecion, car ils estoient tous en ung trouppel, et n'eussent osé iceulx Anglois partir place et ne eulx separer la longueur d'un trait d'arc. Et avoient les dits Anglois pieux de haie agus fiquiés entour eux; et ne les povoient les dits Franchois grever ne courre sur eulx pour les dits pieux. Et n'eussent esté iceulx pieux, les dits Anglois eussent eu assés à souffrir. Et finablement, par deffaulte de vivrez, pour la multitude des dits Franchois, il a fallu qu'ils se retr[a]issent; et, iceulx retrès, les Anglois s'en vindrent; et n'y eut point de bataille; et s'en vint le dit regent à Vernon.

  Item, ès dit an et mois d'aoust, fu livré le chastel d'Aubmalle (2) aux Franchois par un presbtre, lequel ne fit onques si mauvese journée; et lui vausit mieulx, après ce que il fu baptisié, que sa mere lui eust jeté la teste contre la paroy; car il i ut une maniere de larons qui apatichoient les villez (3), et prenoient gens prisonniers de tous estas, et les mestoient à grosses finanches. Et s'allerent rendre avec eulx plusieurs gens du pais de Caux, merdalle et truandalle, qui faisoient tant de maulx que c'estoit mervaille. Et fallu que les riches hommes de Caux, especialment d'Auffay, des parties d'environ et du Val-de-Dun, se rebaissent, les ungs à Rouen, les autres à Dieppe, et les autres à Caudebec. Et couroient celle merdalle-là jusques emprès Rouen, non obstant ce qu'i leur fust deffendu de par le dit Charles, roy de France (4). Car, comme l'en disoit, il ne leur avoit abandonné sinon à prendre les Anglois et les officiers dessoulx eulx et à les pillier, et leur avoit deffendu les bonnes gens du pais; mès c'estoient les varlès au diable : ils faisoient plus que commandement.

  Item, en cel an et eu dit mois d'aoust, se mistrent eu moustier de Blangy une maniere d'estrangiés, Lombards et autres, de la compaignie des dits Franchois, lesquieulx faisoient plus de mal que ceulx d'Aubmalle, et trestoient les prisonniers inhumainement : dont c'estoit pitié, tant que les nouvelles, comme l'en disoit, en allerent au dit Charlez, roy de France, qui lors estoit vers Laigny-sur-Marne. Si leur fit mandement qu'i s'en allassent; et ainsi lessierent la place: qui fu ung grant bien. Et, en ce temps, se mistrent aucuns des dits Franchois dedens .j. chastel nommé Baucen ; et là furent assegiés des Anglois, desquieulx estoit cappitaine .j. nommé messire Raoul Le Boutellier (5), à qui appartenoit le dit chastel pour lors. Mes n'y furent les dits Anglois que .ij. jours, comme cheux d'Aubmalle les vindrent asaillir, et firent lever le dit siege hativement. Et, s'i ne s'en fussent allez si tost, je doubte qu'il ne leur eust esté de pis. Mès, ce non obstant, les dits Franchois lesserent le dit chastel, par appointement fait entre le dit Boutellier et .j. chevalier de la compaignie des dits Franchois, qui disoit la terre et chastel à lui appartenir; et se fu fait pour eviter apperdition de pais.

  Item, l'an dessus dit, eu mois de septembre, fu livré le chastel d'Estrepaigny au dit Franchois. Et s'allerent rendre plusieurs merdallez du pais avec eulx; et falloit estre apatichié à eulx comme à ceulx d'Aubmalle; et faisoient autant de maulx comme ceulx d'Aubmalle. Mès n'y furent gaires; car le siege il fu mis, eu mois d'octobre ensuiant, des Anglois; et furent tous esbahis ceulx de dedens, et envoierent devers le dit Charlez et ses capitaines pour avoir secours. Mès leur fust respondu, comme l'en disoit, que point n'en auroient, pour les maulx qu'ilx avoient fais au peuple, et que l'en vouldroit que les dits Anglois les eussent tous pendus, et qu'il l'avoient bien deservi, et avoient vilenné le roy. Et alors, quant ilz ourent celle response, ilz se composerent aus dits Anglois, et s'en allerent tous en pour-poins, ung batonnet et .j. piece d'or à leur main; mes les dits Anglois retindrent ceulx qui c'estoient allez rendre avec eulx, et qui autreffois avoient fait le sere-ment aus dits Anglois, et à aucuns coupperent les testes au dit lieu d'Estrepaigny, et les autres amenerent à Rouen, qui furent mis em prison (6).

    

  Item, l'an dessus dit, la sepmaine de devant le Pardon (7), le dit regent duc de Bedford et le duc de Bourgongne firent appointement que ledit duc de Bourgongne seroit regent de France, et ledit regent gouverneroit Normandie, et partirent les Anglois tous de Paris, et n'y demouroit que Bourguegnonz. Et ainsi fu fait ; et n'y demoura onques Anglois à Paris qu'i ne s'en vensit à Rouen par terre ou par eaue. Et amenoirent leur bagages et tout ce qu'ilz y avoient,et arriverent à Rouen, c'est assavoir : l'evesque de Wyncestre d'Angleterre (8), qui estoit cardinal, et avoit autant de gens d'armes comme ledit duc de Bedford, lequel cardinal venoit de Paris, le mercredi devant ledit Pardon ; et ledit duc de Bedford, le jeudi ensuiant (9); et entrerent par la porte de Martainville. Et, en ce temps, arriverent à Rouen, par Saine, tant de ribaudes que c'estoit mervelles; et croy qu'i suaient les dits Anglois. Or, leron à parler des dits Anglois, et retournon à parler dudit Charles et de ses cappitaines.

  En ce temps, ou moys d'aoust l'an .CCCC. XXIX. dessus dit, en la fin dudit mois d'aoust, vint ledit Charlez, avec le duc d'Alençon, messire Charlez de Bourbon, la Pucelle dont devant est fait mention, le duc du Bar, acompaigniés de .XXX. à .XL. milles hommes, tant Franchois, Henniers, Liegois comme Barreis, [et] mistrent le siege devant Paris. Et estoient logiés à Saint-Denis, à Montmartre et autres lieux entour Paris, et mistrent la ville en telle subjecion qu'il n'y venoit vivrez de nul coté, et estoient vivrez si chiers en la ville que c'estoit grant mervellez. Et y furent bien prés de vj. sepmaines. Et, quant ilz virent qu'il ne se rendoient point, avisa ledit Charles et ceulx de sa compaignie que l'en leur feroit assault, lequel leur fu fait si appre et si merveleux que ceulx de dens furent tous esbahis, et n'y avoit homme qui se osast descouvrir dessus le mur pour le trait de ceulx qui assailloient. Et avoient les dits assaillans une maniere de instrumens nommés couleuvres qui jetoient pierres et plombées, mès ne faisoient point de noise, sinon ung poy siffler, et jetoient auxi droit comme ung arbalestre. Et fu l'assaut si fort que ceulx de dens avoient comme tout desemparé le mur. Et estoient les dits assaillans si près des murs qu'il ne falloit mès que lever les eschielles, dont ilz estoient bien garnis, comme ilz eussent esté de dens.

  Mès fut avisé par ung nommé messire de la Trimoulle du coté dudit Charles ; car il auroit [eu] trop grant occision; car les dits assaillans avoient intention, comme l'en disoit, d'ochire et d'ardre. Et auxi l'en disoit que monsr, de Bourgongne avoit envoié .j. herault devers ledit Charlez, en disant qu'il ten-droit l'apointement qu'il avoit fait avec le dit Charlez, et qu'il sesast lui et ses gens. Mès, s'il ui avoit appointement entre eulx, ne quel il estoit, je n'en seroie parler. Mès, toutes vois, ill ui eut treves jusques à Nouel ensuiant. Et ainssi fit ledit Charlez, audit assault, sonner de retraite; et si se retrirent; et croy qu'ilz eussent gaignié la dicte ville de Paris, se l'en les eust lessié faire. Et en y eut plusieurs, de la compaignie dudit Charlez, qui de ce furent mout courchiés, comme le duc d'Alenchon, et par especialement le conte d'Armignac; car il heoit ceulx de Paris pour ce qu'ilz avoient tué son pere pieça. Et, en faisant ledit assault, le dit conte d'Armignac et ses gens estoient en .j. des costés où il n'avoit point d'assault, affin que, se aulcun de la dicte ville s'en fust voulu issir ou fuir, qu'i l'eust prins ou mis à mort. Et, durant ledit siege, ilz firent .j. pont au dessoubz de Paris pour garder la Saine. Et, ce fait ainssi, s'en retourna ledit Charlez et ses gens par les moyens dessus dits, comme l'en disoit.


  Item. En cet an 1429, au mois d'août qui suivit, les Français prirent la cité de Beauvais. Après cette prise les Anglais firent leur criée de marche, et allèrent près de Senlis. Là était le duc de Bedford, régent, avec très grande compagnie d'Anglais. Ledit Charles y fut avec toute son armée, et il mit les Anglais en tel respect, qu'ils étaient réunis en une même masse, et qu'ils n'osaient pas sortir de leur place ni se séparer de la longueur d'un trait d'arc. Et lesdits Anglais avaient des pieux de haie aigus, fixés autour d'eux, et les Français ne pouvaient ni les grever ni courir sus à cause desdits pieux. Et n'eussent été lesdits pieux, les Anglais eussent eu beaucoup à souffrir. Finalement, par défaut de vivres (10), vu la multitude qu'ils étaient, les Français durent se retirer, et eux retirés, les Anglais s'en allèrent, et il n'y eut pas de bataille, et ledit régent s'en vint à Vernon... (11)

  ... En ce temps, au mois d'août l'an 1429, en la fin dudit mois d'août, ledit Charles vint mettre le siège devant Paris avec le duc d'Alençon, messire Charles de Bourbon, la Pucelle dont devant il est fait mention, le duc de Bar, accompagnés de trente à quarante milles hommes, tant Français, Hennuyers, Liégeois comme Barrois. Ils étaient logés à Saint-Denis, à Montmartre et autres lieux autour de Paris ; et ils mirent la ville en telle sujétion qu'il n'y venait vivres de nul côté, et les vivres étaient si chers en la ville que c'était grand merveille. Et ils y furent bien près de six semaines 2, et quand ils virent qu'ils ne se rendaient pas, le roi Charles et ceux de sa compagnie avisèrent qu'on leur ferait assaut. L'assaut fut si âpre et si merveilleux que ceux de dedans furent tout ébahis, et il n'y avait homme qui osât s'aventurer dessus le mur à cause des traits de ceux qui assaillaient. Lesdits assaillants avaient une manière d'instruments nommés couleuvres qui jetaient des pierres et des plombées, mais ne faisaient point de noise, sinon un peu siffler ; elles jetaient aussi droit qu'une arbalète ; l'assaut fut si fort que ceux de dedans avaient comme abandonné la défense du mur ; et les assaillants étaient si près du rempart qu'il ne fallait que lever les échelles dont ils étaient bien pourvus, pour qu'ils eussent été dedans.

  Mais il y fut avisé par un nommé Messire de La Trémoille, du côté dudit Charles; il y aurait eu trop occision, car les assaillants, comme l'on disait, avaient intention de massacrer et de mettre le feu. Et aussi l'on disait que M. de Bourgogne avait envoyé un héraut devers ledit Charles en disant qu'il tiendrait l'appointement qu'il avait fait avec le même Charles, et qu'il cessât lui et ses gens. S'il y avait appointement entre eux, ni quel il était, je n'en saurais parler, mais toutefois il y eut trêves jusqu'à la Noël qui suivit; Charles fit ainsi sonner la retraite durant ledit assaut, et ainsi ils se retirèrent, et je crois qu'ils eussent gagné la ville de Paris, si on les eût laissé faire. Et il y en eut plusieurs de la compagnie dudit Charles qui de ce furent moult courroucés, comme le duc d'Alençon et spécialement le comte d'Armagnac. Celui-ci haïssait ceux de Paris, parce que dans le passé ils avaient tué son père. Et en faisant ledit assaut le comte d'Armagnac et ses gens étaient sur un des côtés, afin que afin que si quelqu'un de ladite ville s'en fût voulu sortir ou fuir, on l'eût pris, ou mis à mort. Et durant ledit siège, ils firent un pont au-dessous de Paris pour garder la Seine; et cela fait ainsi, ledit Charles s'en retourna, avec ses gens par les moyens dessus dits, comme l'on disait.


                                    


Source :
- Présentation de la chronique par J.B.J. Ayroles - La vraie Jeanne d'Arc - t.III, p. 468.
- Texte : "La chronique normande de Pierre Cochon" - Édition Charles de Robillard de Beaurepaire - 1870.

Notes :
1 On voit par là qu'en dehors du parti français le sentiment que la Pucelle avait inspiré était, avant tout, un sentiment de terreur. Le siège de Paris ne fit que l'accroître.

* correction du texte de Ayroles. 2 Aumale fut prise par le seigneur de Longueval « par le moyen qu'il eut d'un prêtre demeurant en cette ville. Monstrelet.

3 Apaticher une ville, c'était s'engager à l'épargner moyennant finance. (Beaurepaire)

4 Ce titre de roy de France donné par notre chroniqueur à Charles VII est remarquable. Ce qui ne l'est pas moins, c'est le soin qu'il prend de signaler l'humanité de ce prince. — Si le siège de Paris n'aboutit pas à un succès complet, c'est que Charles VII et la Trémouille voulurent épargner la capitale du royaume et reculèrent, dans la crainte d'une trop grande effusion de sang. (Beaurepaire)

5 Le Bouteiller, plus tard bailli de Rouen. Ce fut lui qui condamna la Pucelle à périr sur le bûcher (Beaurepaire)

6 Il y eut, au sujet de quelques-uns de ces prisonniers, de graves difficultés entre la justice ecclésiastique et la justice séculière.(Beaurepaire)

7 Le Pardon saint Romain, 23 octobre, jour de l'ouverture de la plus importante foire de Rouen. Ce jour était pris très souvent, autrefois, comme terme de paiement. (Beaurepaire)

8 Le cardinal de Winchester, appelé communément le cardinal d'Angleterre, avait fait son entrée à Rouen quelques années avant l'arrivée de Henri. (Beaurepaire)

9 Bedford résida à Rouen pendant toute la fin de l'année 1429 et la plus grande partie de l'année 1430. (Beaurepaire)

10 L'armée française, alors fort nombreuse, devait promptement épuiser le pays, tandis que l'armée anglaise pouvait se ravitailler par Senlis, qui était encore anglobourguignon : elle campait aux portes de cette ville, à la Victoire. (Ayroles)

11 ndlr : les 3 paragraphes suivants non modernisés par Ayroles.
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