Son histoire par Henri Wallon Les sources Procès condamnation Procès réhabilitation Chroniques & textes Lettres de Jeanne Recherches Bibliographie Librairie numérique Dossiers Accès cartes France 1429 Nord France 1429 Environs Domrémy Environs Orléans Siège Orléans Vue & pont d'Orléans |
![]() ![]() ![]() Durant lequel siège furent trêves données, tant d'un costé comme d'autre, entre messire Jehan de Luxembourg et ceulx de la ville de Mouson , jusques au jour de le Saint Remy ensuivant , en dedens duquel jour dessusdit ceulx de ladicte ville devoient aler vers le roy Charles sçavoir se de luy auroient souscours, ou se ils se renderoient audit messire Jehan de Luxembourg. Après lesquelz traictiez ainsy achevez, ledit messire Jehan congia ses gens, et s'en retourna en son chastel de Beau Revoir. Et Guillaume de Flavi pareillement donna congié à ceulx qui l'avoient servy, et s'en ala à privée mesnie, soubz bon sauf conduit, à Liencourt en Santers, en l'ostel de monseigneur son père. Car, en tant qu'il estoit asségié en Beaumont, le duc de Bar fist démolir et abatre uue forteresse nommée Noefville sur Meuse, laquelle tenoient les gens dudit Guillaume de Flavi, et là avoit sa chevance et sa retraite. ![]() ![]() « Est assavoir que ladicte duchesse cosgnoistra et tenra son beau cousin le duc de Bourgongne estre son droit hoir et héritier de tous ses pays. Et dès lors le fist gouverneur et maimbour den dessusdiz pays, prometant ycelle mettre en ses mains toutes les villes et forteresces qu'elle tenoit, dedens lesquelles ycelui duc mettroit telx capitaines qu'il lui plairoit. Promist aussy ycelle dame de non ly jamais marier sans le consentement dudit duc. Et avec ce demouroit à ycelui duc la ville et forteresse de Zenenberghe. » Et par ainsy, ledit traictié de paix conclud et finé entre les deux parties, convindrent ensamble certaines journées ensuivans en la ville de Delf. Ouquel lieu, après qu'ilz eurent conjoy l'un à l'autre révéramment, prinrent d'un commun assentement, eulx deux ensamble ou leurs commis, les seremens de plusieurs bonnes villes. Et par ainsy ledit pays de Hollande, qui par longue espace avoit esté travaillé d'icelle guerre, demoura en paix. Et retourna le dessusdit duc de Bourgongne, donnant congié à ses Picars, en son pays de Flandres et d'Artois. ![]() ![]() En ce temps le duc de Bourgongne retourna en Hollande, accompagné de aucuns de ses plus féables hommes, pour de rechief convenir avec la duchesse Jaqueline, sa cousine, et prendre les seremens de fidélité d'aucuns nobles du pays et bonnes villes, qui point encore ne l'avoient fait. Après lesquelx receuz, grand espace de temps, vinrent ledit duc et la duchesse Jaqueline ou pays de Haynau, où ilz alèrent par les bonnes villes recepvoir les seremens pareillement comme ilz avoient fait en Hollande et en Zélande, tant des nobles, du clergié, comme des bourgois et communaultés. Desquelx en plusieurs lieux ilz furent révéramment et honorablement receuz, jà soit ce que aucuns des dessus diz pays feussent de ce petitement contens. Toutesfois ilz ne veoient mie, que ad ce poussent bonnement remédier. ![]() Au mois de mai, le comte de Salisbury, homme expert et très renommé en armes, convoqua, par l'ordre du roi Henri et de son grand conseil, jusqu'à six mille combattants ou environ, gens d'élite et éprouvés en armes pour la plupart, dans le but de les amener en France à l'aide du duc de Bedford qui se disait régent. Il en envoya d'abord trois mille à Calais, d'où ils allèrent à Paris pour toujours continuer la guerre contre les Français. Environ la Saint-Jean, le même comte de Salisbury passa la mer avec le surplus de ses gens, vint à Calais, et par Saint-Pol, Dourlens et Amiens, arriva à Paris, où il fut joyeusement reçu par le comte de Bedford, et tout le conseil de France, du roi Henri. Après l'arrivée de Salisbury, de grands conseils furent tenus durant plusieurs jours sur le fait de la guerre. Il fut conclu qu'icelui comte, après qu'ils auraient mis sous l'obéissance du roi Henri quelques méchantes places occupées par ses adversaires, irait mettre le siège devant la cité d'Orléans, qui, à ce qu'ils disaient, leur était fort nuisible. Ce plan arrêté, l'on convoqua de toutes parts et l'on manda de par le roi Henri et de par le régent les Normands et ceux qui tenaient le parti de l'Angleterre. L'on y mit une telle diligence que peu de temps après, Salisbury eut sous ses ordres jusqu'à dix mille combattants, parmi lesquels le comte de Suffolk, le seigneur de Scales, le seigneur de Talbot, le seigneur de Lille, Anglais, Glasdal et plusieurs autres vaillants et très experts hommes d'armes, qui après avoir été durant quelques jours reçus au milieu des fêtes et des honneurs à Paris, ainsi qu'il a été dit, quittèrent cette ville et ses alentours avec le comte de Salisbury... ![]() ![]() En ce temps, Renier, duc de Bar, fist asségier le chasteau de Passe-Avant (3), dedens lequel estoit ung nommé Eustache de Wernoncourt, qui par long temps avoit très inhumainement et sans miséricorde travaillé le pays à l'environ. ![]() ![]() ![]() Item, durant le temps dessusdit, le duc de Bethfort, régent, et ceulx du conseil du roy Henry estant à Paris, requirent très instamment à avoir pour le prouffit dudit roy tous les rentes et héritaiges qui au royaume de France avoient esté données depuis quarante ans par avant aux églises. Et pour ce mettre à exécucion, furent en ladicte cité de Paris tenus plusieurs parlemens et grans consaulx entre ledit duc de Bethfort et le conseil du roy d'une part, et ceulx de l'université de l'Eglise d'autre part. Toute fois ycelle requeste fut très fort débatue, et tant qu'en fin la besongne fut mise à nient, et demourèrent ceulx de l'église paisibles, quand ad ce. Ouquel temps aussy, le roy de Portingal (5) mist sus une grosse armée, et avec luy le duc de Cambre (6) qui fesoit son avant garde. Et povoit avoir sur tout dix mille combatans, à tout lesquelz il ala en ung isle sur les mescréans, où estoit le roy d'Albastra, à tout bien vint mille Sarrasins, Turquois, Tartres et Barbarins. Desquelz la plus grand partie furent mors sur la place, et le dessusdit roy d'Albastra fut détenu prisonnier. Après laquelle victoire, le dessusdit roy de Portingal, à peu de perte, retourna en son pays. ![]() ![]() ![]() Item, le roy Charles de France, sachant que les Anglois, ses anciens ennemis et adversaires, vouloient subjuguer et mettre en leur obéyssance la très noble cité d'Orliens, s'estoit conclud avec ceulx de son conseil, avant la venue d'yceulx, que de tout son povoir il deffenderoit ycelle ville, créant que se elle estoit mise entre les mains de ses ennemis, ce seroit la destruction totale de ses marches et pays, et de luy aussy. Et pour tant, il envoia grand partie de ses meilleurs et plus féables capitaines, est assavoir Boussac et le seigneur de...... (8) et avec eulx le bastard d'Orliens, chevalier, les seigneurs de Gaucourt et Granville, le seigneur de Wilan, Pothon de Sainte-Treille, La Hire, messire Theolde de Walerghe, messire Loys de Waucourt et plusieurs autres très vaillans hommes renommés en armes et de grande auctorité. Avec lesquelz estoient journèlement de douze à quatorze cens combatans, gens d'eslite bien esprouvés en armes. Si advenoit souvent qu'il en y avoit une fois plus, l'autre fois mains. Car le siège ne fut oncques fermé par quoy yceulx asségiés ne se peussent rafraischir de gens et de vivres et aler en leurs besongnes, quand bon leur sambloit et ilz avoient voulenté de ce faire. Durant lequel siège furent faites plusieurs escarmuches et saillies d'yceulx asségiés sur les asségans. Desquelles racompter chascune à par luy, qui y fist perte ou gaing, seroient trop longues et ennuyables à escripre. Mais pour les rappors qui m'en ont esté fais d'aucuns notables des deux parties, n'ay point sceu que lesdiz asségiés eu toutes ycelles saillies feyssent à leurs ennemis grand dommage, sinon par les canons et autres engiens getans de leur ville. Desquels engiens, à une d'ycelles escarmuches, fut occis ung très vaillant chevalier anglois et renommé en armes, nommé messire Lanselot de Lille. ![]() Après que le comte de Salisbury eut conquis et mis en l'obéissance du roi Henri de Lancastre, Janville, Meung et plusieurs autres villes et forteresses des pays environnants, il se disposa très diligemment pour aller assiéger la noble cité d'Orléans, et de fait, durant le mois d'octobre, il arriva avec toute sa puissance devant ladite cité. Ceux qu'elle renfermait dans ses murailles, attendant depuis longtemps sa venue, avaient disposé leurs fortifications, fait provision d'armements de guerre, de vivres, choisi des hommes exercés aux armes et belliqueux pour résister et se défendre. Et même pour qu'il ne pût pas aisément s'établir avec ses gens autour de la ville, ni se fortifier, les habitants d'Orléans avaient fait abattre et démolir de tous côtés en leurs faubourgs de bons et notables édifices, parmi lesquels furent renversées jusqu'à douze églises et plus, dont quatre des ordres mendiants; et avec ces églises beaucoup de belles et riches maisons de plaisance, qu'y possédaient les bourgeois. Ils poussèrent si loin cette œuvre de destruction qu'on pouvait voir tout à découvert les faubourgs et les environs, et décharger comme en plaine les canons et les autres instruments de guerre. Toutefois ledit comte de Salisbury ne tarda pas longtemps à s'établir avec ses Anglais près de la ville, encore que ceux du dedans se défendissent vigoureusement de tout leur pouvoir, faisant plusieurs sorties, déchargeant canons, coulevrines, et autres artilleries qui tuaient ou mettaient hors de combat plusieurs Anglais. Cependant les Anglais les repoussèrent si vaillamment et si promptement, qu'ils s'approchèrent plusieurs fois des remparts au point d'étonner les Orléanais par leur hardiesse et leur courage. Dans une de ces attaques hardies, le comte de Salisbury fit assaillir la tour du bout du pont jeté sur la Loire, qu'il prit et conquit en assez brief de temps, avec un petit boulevard qui était fort près, malgré la résistance des Français. Il établit plusieurs de ses gens dans la tour, pour que ceux de la ville ne pussent pas tomber par ce côté sur son armée. D'autre part, lui, ses capitaines et tous les siens se logèrent fort près de la ville dans des décombres, dans lesquels, ainsi que c'est la coutume des Anglais, il fit creuser plusieurs logements dans la terre, des taudis, et autres appareils de siège pour éviter les traits dont ceux de la ville les servaient très largement. Cependant le comte de Salisbury, le troisième jour après son arrivée devant la cité, entra dans la tour du Pont où il avait logé ses gens, et monta au second étage; là il se mit à une fenêtre donnant sur la ville, regardant très attentivement ses alentours, pour mieux voir et imaginer comment et par quelle manière il pourrait la prendre et la subjuguer. Comme il était à cette fenêtre, soudainement, de la ville, la pierre d'un veuglaire fend l'air, et va frapper contre la fenêtre où se trouvait le comte qui, au bruit du coup, se retirait de l'ouverture ; mais il fut atteint très grièvement, mortellement, des éclats de la fenêtre, eut une grande partie du visage entièrement emportée, tandis qu'un gentilhomme qui était à ses côtés tomba sur-le-champ raide mort. Cette blessure porta au coeur de tous ses gens grande tristesse ; car il en était fort craint et aimé; et on le tenait pour le plus habile, le plus expert et le plus heureux dans les combats de tous les princes et capitaines du royaume d'Angleterre. Toutefois il vécut encore huit jours dans cet état de blessure. Ayant mandé tous ses capitaines, il leur commanda de par le roi d'Angleterre de continuer à réduire sans retard cette ville à son obéissance, se fit porter à Meung, et y mourut au bout de huit jours des suites de sa blessure *... ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() * Item, durant le temps que les Anglois tenoient leur siége devant la noble cité d'Orliens, comme dit est dessus, estoit le roy Charles très fort au dessoubz. Et l'avoient à peu près laissié et comme habandonné, la plus grand partie de ses princes et aultres des plus notables seigneurs, véans que de toutes pars ses besongnes lui venoient au contraire. Nientmains il avoit tousjours bonne affection et espérance en Dieu, désirant de tout son cuer à avoir traictié de paix avec le duc de Bourgongne, lequel par ses ambaxadeurs il avoit requis par plusieurs fois. Mais encore ne s'y estoit peut moyen trouver qui fust au gré des parties. Durant le temps que les Anglais tenaient leur siège devant la noble cité, le roi Charles, comme il a été dit, était fort bas. Il avait été à peu près délaissé, et était comme abandonné par la plus grande partie de ses princes, et autres des plus nobles capitaines qui voyaient que de toutes parts ses affaires tournaient au pire. Néanmoins il avait toujours bonne affection et confiance en Dieu, désirant de tout son cœur avoir traité de paix avec le duc de Bourgogne; ce qu'il avait plusieurs fois requis par ses ambassadeurs ; mais on n'avait pas encore pu trouver un moyen qui fût au gré des parties. ![]() ![]() * Et pour tant, en grand diligence firent de leur charroy ung grand parc en plains champs, auquel ilz laissèrent deux yssues ouvertes, et se mirent tout ensamble dedens ycelui, c'est assavoir les archiers, gardant ycelles entrées, et les hommes d'armes, assez près ès lieux nécessaires. Et à l'un des costés, au plus fort lez, estoient les marchands, charretons, paiges et autres gens de petite deffence, avec tous les chevaux. Lesquelz Anglois, en cest estat, attendirent bien deux heures leurs ennemis, lesquelz en grand bruit se vinrent mettre en bataille devant ledit parc, hors du trait. Et leur sambloit, entendu la noblesce et le grand nombre qu'ilz estaient, et qu'ilz n'avoient à faire qu'à gens de plusieurs tires, et n'y avoit que de cinq à six cens anglois de la nacion d'Angleterre, qu'ilz ne povoient eschapper de leurs mains et seroient tantost vaincus. Nientmains, les aulcuns faisoient grand doubte que le contraire ne leur en advenist, pour ce que les capitaines d'iceulx François ne se concordoient point bien ensamble. Car les uns, et par espécial les Escossois, vouloient combatre à pied, et les aultres vouloient demeurer à cheval. Et adonc, Charles de Bourbon fut fait chevalier, du seigneur de La Faiette ; et aulcuns aultres. Et entretant, ledit connestable d'Escoce et son filz se mirent à pied et avec eulx toutes leurs gens. Sy alèrent en assez brief terme, les ungs à pied, les autres à cheval, envayr et combatre leurs ennemis, desquelz ilz furent receuz très courageusement. Et commencèrent les archers Anglois, qui estoient très bien targiés (19) de leur charroy, à tirer très raidement. Duquel trait, de plaine venue, firent redonder arrière d'eulx ceulx de cheval avec les hommes d'armes. Et lors, à l'une de leurs entrées, se combati le connestable d'Escoce et ses gens, qui, à brief comprendre, furent desconfis et mors en la place. Et fu mort messire Jehan Stouart (20), avec lequel furent mors son filz, messire Guillaume de Labreth, seigneur d'Orval, le seigneur de Chasteaubrun, le seigneur de Monpipel, messire Jehan Larigot, le seigneur de Verduisant, le seigneur d'Yvery, le seigneur de La Grève, messire Anthoine de Prully, et bien six vins gentilz hommes et aultres, jusques au nombre de cinq à six cens combatans, desquelz la plus grande partie estoient Escossois. Et les autres capitaines dessusdiz, à tout leurs gens, se départirent et s'en ralèrent ès parties dont ils estoient venus. Et les dessusdiz Anglois se rafreschirent ceste nuit oudit Rouvroy, et lendemain s'en partirent et s'en alèrent, à tout leur charroy, par aulcuns peu de jours, jusques à Orliens, moult joieusement, tant pour la bonne fortune qu'ilz avoient eue, comme pour les vivres qui leur menoient. Si fu la journée dessudicte, depuis ce jour jusques en avant [dite], en langage commun, la Bataille des harens. Et la cause de ce nom, si fut pour ce que grand partie du charroy desdiz Anglois estoit chargés de harens et autres vivres de quaresme. Pour laquelle male aventure ainsy advenue, Charles, roy de France, eut au cuer grand tristesse, véant de toutes pars ses besongnes venir au contraire et persévérer de mal en pis. La dessusdicte bataille de Rouvroy fu faite la nuit des Brandons, environ trois heures après midi (21). Et n'y eut mort de la partie des Anglois, des gens de nom, que ung seul homme nommé Bresantiau, nepveu de messire Simon Morhier, prévost de Paris. Et y furent fais chevaliers, de la partie des Anglois, Le Galois d'Aunay, seigneur d'Orville, le Grand Raulin et Loys de Luru, savoyen. Et povoient estre lesdiz Anglois environ seize cens combatans de bonne estoffe, sans les communes. Et comme dit est dessus, les François estaient bien de trois à quatre mille. Et furent fais chevaliers avec ledit Charles de Bourbon, le seigneur de (22)..... et le seigneur de Chasteaubrun. Et n'y eut ce jour prins que ung prisonnier, qui estoit escossois. ![]() ...Les Anglais firent en très grande diligence de leurs charrois, en plein champ, un grand parc auquel ils laissèrent deux issues pour ouverture, et ils se mirent à l'intérieur, les archers à la garde de ces entrées, et les hommes d'armes assez près, aux lieux convenables. A l'un des côtés, le plus fort, étaient les marchands, les charretons, les pages, et autres gens de petite défense avec les chevaux. En cet état, les Anglais attendirent bien deux heures leurs ennemis, qui en grand bruit vinrent se mettre en bataille devant le parc, hors de la portée des traits. Il leur semblait, attendu leur grand nombre, la diversité des ennemis ramassés de différents pays (il n'y avait que cinq à six cents Anglais venus d'Angleterre), qu'ils ne pouvaient échapper de leurs mains, et qu'ils seraient bientôt vaincus. Néanmoins quelques-uns craignaient beaucoup le contraire, parce que les capitaines français n'étaient pas d'accord entre eux, les uns, spécialement les Écossais, voulant combattre et livrer bataille à pied, et les autres voulant demeurer à cheval... Ils allèrent assez promptement, les uns à pied, les autres à cheval, attaquer et combattre leurs ennemis qui les reçurent très courageusement. Les archers anglais, qui étaient très bien défendus par leurs charrois, commencèrent à tirer très raidement, et de pleine venue ils firent reculer loin d'eux ceux qui étaient à cheval avec leurs hommes d'armes. Le connétable d'Écosse et ses gens combattirent dès lors à l'une des entrées, mais, pour être bref, ils furent déconfits, et moururent sur la place le connétable d'Écosse... et bien jusqu'à cent-vingt gentilshommes et d'autres jusqu'au nombre de cinq ou six cents combattants, la plus grande partie Écossais... et n'y eut de mort de la partie des Anglais, de gens de nom, qu'un seul homme nommé Bresanteau, neveu de Messire Morhier, prévôt de Paris... Et pouvaient être les Anglais environ dix-sept cents combattants de bonne étoffe, sans les communes, et, comme il est dit ci-dessus, les Français étaient bien de trois à quatre mille... Pour laquelle male aventure ainsi advenue, Charles eut au cœur grande tristesse, voyant de toutes parts ses besognes venir au contraire de mal en pis. La dessus dite bataille de Rouvray fut faite la nuit des Brandons (1er dimanche de Carême) environ trois heures après midi. ![]() ![]() ![]() En l'an dessus dit vint devers le roi Charles de France, à Chinon, où il se tenait une grande partie du temps, une pucelle, jeune fille, âgée de vingt ans ou environ, nommée Jeanne, laquelle était vêtue et habillée en guise d'homme. Elle était née des parties entre Bourgogne et Lorraine, d'une ville nommée Domrémy, assez près de Vaucouleurs. Cette pucelle Jeanne fut, pendant un grand espace de temps, chambrière en une hôtellerie ; elle était hardie à chevaucher les chevaux et à les mener boire, et à faire des tours, et autres habiletés que les jeunes filles n'ont point coutume de faire. Elle fut mise en chemin et envoyée vers le roi par un chevalier nommé Messire Robert de Baudricourt, de par le roi capitaine de Vaucouleurs, qui lui prêta des chevaux et quatre ou six compagnons. Elle disait être pucelle, inspirée de la grâce divine, et être envoyée vers le roi pour le remettre en possession de son royaume, dont il était chassé et débouté à tort et qui était en fort mauvais état. Elle fut environ deux mois en l'hôtel du roi, l'admonestant par ses paroles de lui donner gens et aide, et qu'elle relèverait son royaume. Durant ce temps, ni le roi ni son conseil n'ajoutaient que peu de foi à ses promesses, et à chose qu'elle sût dire ; on la tenait pour une folle dont l'esprit était dévoyé. Pour de si grands princes, en effet, comme pour tout noble personnage, telles et semblables paroles sont suspectes et périlleuses à croire, principalement pour ne pas attirer l'ire de Notre-Seigneur, mais aussi pour les dérisions qu'on pourrait s'attirer des parlers du monde. Néanmoins, après qu'elle fût demeurée quelque temps en l'état qui vient d'être dit, on lui vint en aide ; on lui donna et gens et équipement de guerre ; et elle arbora un étendard où elle fit peindre la représentation de notre Créateur. Aussi toutes ses paroles étaient du nom de Dieu. Ce qui faisait qu'une grande partie de ceux qui la voyaient et l'entendaient parler, avaient cette confiance et cette inclination à croire qu'elle était inspirée de Dieu, ainsi qu'elle disait l'être. Elle fut par plusieurs fois examinée par de notables clercs, par d'autres hommes sages, de grande autorité, afin de savoir plus à plein son intention ; elle fut toujours constante en son propos, disant que si le roi voulait la croire, elle le remettrait en sa seigneurie, et depuis ce temps, elle fit des œuvres dont elle acquit grande renommée, ainsi que ce sera plus à plein déclaré ci-après. Lorsqu'elle vint vers le roi, se trouvaient auprès du prince le duc d'Alençon, le maréchal de Rais, et plusieurs autres capitaines, car le roi avait tenu un grand conseil pour le fait du siège d'Orléans. De Chinon il alla à Poitiers, et la Pucelle avec lui. Bientôt après, il fut ordonné que le maréchal mènerait des vivres et d'autres approvisionnements nécessaires à Orléans, avec des renforts. Jeanne la Pucelle voulut faire partie de l'expédition; elle fit requête qu'on lui donnât ce qui était nécessaire pour s'armer et s'équiper ; ce qui lui fut donné. Bientôt après, elle arbora son étendard et elle alla à Blois où se faisait la réunion, et de là à Orléans avec les autres. Elle était toujours armée de toutes pièces, et en ce même voyage, plusieurs gens de guerre se mirent sous sa conduite. Et quand elle fut arrivée dans la cité d'Orléans, on lui fit très grand accueil, beaucoup de gens se réjouirent de sa venue, comme vous entendrez le rappeler plus longuement sans trop tarder. ![]() ![]() ![]() Au commencement de cet an, le duc de Bourgogne accompagné de six cents chevaucheurs ou environ, vint à Paris vers le duc de Bedford par lequel il fut très joyeusement reçu, ainsi que par sa soeur, femme du même duc. Là ne tardèrent pas à venir Poton de Xaintrailles, Pierre d'Orgin, et d'autres nobles ambassadeurs envoyés par le roi Charles, et par ceux de la ville et cité d'Orléans très fort molestés et resserrés par le siège des Anglais. Ils voulaient traiter avec le duc de Bedford et le conseil du roi Henri d'Angleterre, pour que la ville d'Orléans sortît de son oppression et demeurât paisible, remise qu'elle serait entre les mains du duc de Bourgogne, qui y établirait un gouverneur à son plaisir, et la tiendrait comme neutre ; d'autant plus que le duc d'Orléans et son frère, le comte d'Angoulême, qui depuis longtemps en étaient les droituriers seigneurs, étaient prisonniers en Angleterre, et n'étaient point de ladite guerre. Le duc de Bedford convoqua plusieurs fois son conseil pour avoir son avis et ses sentiments sur semblable requête. Le conseil ne put venir à s'accorder sur pareille demande. Plusieurs remontrèrent au duc de Bedford les grands frais et les grandes dépenses du roi Henri pour le siège; il y avait perdu plusieurs de ses meilleurs hommes ; la ville ne pouvait pas longtemps tenir sans être subjuguée, et les habitants étaient dans le plus grand péril ; c'était une des villes du royaume dont il importait le plus d'être les maîtres, pour des raisons qu'ils en posaient. D'autres témoignaient leur mécontentement à la pensée qu'elle serait remise entre les mains du duc de Bourgogne. Il n'était point raisonnable que le roi Henri et ses vassaux eussent eu les peines et soutenu les mises, et que le duc de Bourgogne en eût, sans coup férir, les honneurs et les profits. Un conseiller, maître Raoul le Sage, dit qu'il ne serait jamais en un lieu où l'on mâcherait [le fruit] au duc de Bourgogne, pour que ce même duc l'avalât. Finalement, l'affaire débattue et examinée, la conclusion fut qu'on n'entendrait pas les Orléanais s'ils ne voulaient traiter avec les Anglais et leur rendre la ville. En entendant cette réponse, les ambassadeurs répliquèrent qu'ils étaient sans pouvoir pour traiter sur ce pied ; et qu'ils savaient bien que les Orléanais endureraient bien des maux, avant de se mettre en l'obéissance et sujétion des Anglais. Ces conclusions données, les ambassadeurs repartirent et retournèrent en la noble ville d'Orléans, où ils firent connaître l'accueil fait à leur proposition. Cependant le duc de Bourgogne, à propos de ces affaires, fut content des ambassadeurs Orléanais. Si cela avait plu au roi et à son conseil, c'eût été bien volontiers qu'il aurait assumé le gouvernement de la cité et ville d'Orléans, tant pour l'amour de son beau cousin le duc d'Orléans que pour éviter les suites qui pouvaient résulter de sa prise ; mais les Anglais, alors en grande prospérité, ne songeaient pas que la roue de la fortune pouvait tourner contre eux ; et quoique, en ce voyage, le duc de Bourgogne eût fait plusieurs requêtes à son beau-frère le duc de Bedford, tant pour lui comme pour ses gens, peu lui furent accordées. Après environ trois semaines de séjour en la noble et royale ville de Paris, il retourna en son pays de Flandres... ![]() ![]() ![]() Le diemenche ensuivant, les capitaines anglois, est assavoir le conte de Suffort, Talbot, le seigneur d'Escalles et aulcuns aultres, voians la prinse de leurs bastilles et la destruction de leurs gens, prinrent ensemble conclusion qu'ilz se assambleroient et metteroient tous ensemble en une bataille seule, en délaissant leurs logis et fortification, et en cas que les François les vouldroient combatre, ilz les attenderoient, ou se ce non, ils se départiraient en bonne ordonnance et retourneraient ès bonnes villes et forteresces de leur party. Laquelle conclusion, ainsy qu'ilz l'avoient avisée, ilz l'entretinrent. Car ce diemenche, très matin, ilz habandonnèrent toutes leurs autres bastilles, en boutant les feux en aulcunes. Puis se mirent en bataille, comme dit est, où ilz se tinrent assez bon espace, attendant que les François les alassent combatre. Lesquelz n'eurent talent de ce faire, par l'exortacion de la Pucelle. Et adonc, les Anglois qui voyoient leur puissance malement affaiblie et trop diminuée, et qu'il estoit impossible à eulx de là plus demourer se pis ne vouloient faire, se mirent à chemin et retournèrent en ordonnance ès villes et places tenans leur party. Si firent lors par toute la ville d'Orliens grand joie et grand resbaudissement quand ainsy se virent dé livrés de leurs ennemis, et le ramanent en aler à leur confusion; lesquelz par long temps les avoient grande ment tenus en dangier. Si furent envoyés pluiseurs gens de guerre dedens ycelles bastilles, où ils trouvèrent aulcuns vivres et aultres biens très largement, qui tantost par eulx furent portés à sauveté. Si en firent bonne chière, car il ne leur avoit gaires cousté. Et lesdictes bastilles furent prestement arses et démolies jusques en terre, adfin que nulles gens de guerre ne se y peussent plus logier. Depuis sept mois environ les capitaines anglais avec leurs gens faisaient le siège d'Orléans. La ville était fort oppressée et travaillée tant par leurs machines de guerre que par les fortifications, bastilles et forteresses qu'ils avaient élevées en plusieurs lieux, jusques au nombre de soixante, et les assiégés voyaient bien que la prolongation les mettait en péril d'être mis en la servitude et obéissance de leurs ennemis. Décidés et disposés à résister de tout leur pouvoir, et à empêcher pareille extrémité par tous moyens que trouver ils pourraient, ils envoyèrent vers le roi Charles, pour en avoir secours de gens et de vivres. De quatre à cinq cents combattants environ leur furent envoyés ; depuis il en vint bien sept mille avec des vivres, qui étaient conduits par ces hommes d'armes par la rivière de la Loire; avec eux vint Jeanne la Pucelle. Jusques à ce jour elle avait fait peu de choses dont il fût quelque renommée. Les assiégeants s'efforcèrent de conquérir ce convoi de vivres ; mais il fut bien défendu par la Pucelle et par ceux qui étaient avec elle, et il fut préservé ; les habitants de la ville en furent bien ravitaillés ; et ils furent très joyeux tant de la venue de la Pucelle que des vivres ainsi introduits. Le lendemain, qui fut un jeudi 3, Jeanne se leva très matin, et, s'adressant à plusieurs capitaines de la ville et autres gens de guerre, les exhorta et les pressa très fort par ses paroles de s'armer et de la suivre, car disait-elle, elle voulait assaillir et combattre les ennemis, ajoutant qu'elle savait sans faillir qu'ils seraient vaincus. Ces capitaines et les autres gens de guerre étaient tous émerveillés de ses paroles; la plupart se mirent en armes, et s'en allèrent avec elle assaillir la bastille de Saint-Loup, qui était très forte, et que défendaient de trois à quatre cents Anglais ou environ. Ils furent très promptement vaincus, morts, pris, et mis en déplorable état ; la fortification fut entièrement démolie et livrée au feu et à la flamme. Ladite Pucelle s'en retourna ainsi dans la cité d'Orléans, où elle fut très grandement honorée et festoyée de toutes gens. Le lendemain, qui fut le vendredi, la Pucelle Jeanne sortit de nouveau de la ville avec un certain nombre de combattants, et alla assaillir la seconde bastille pleine d'Anglais. Comme la première, elle fut gagnée et emportée; et ceux qui y étaient renfermés furent mis à mort et passés au fil de l'épée. La Pucelle ayant fait mettre en feu et embraser cette seconde bastille, retourna dans Orléans, où, plus que devant, elle fut encore exaltée et honorée par tous. Le lendemain samedi, elle assaillit avec grande vaillance et grande ardeur la très forte bastille du bout du pont qui était merveilleusement et puissamment fortifiée. Là se trouvait la fleur des meilleurs gens de guerre de l'Angleterre, et la véritable élite des hommes d'armes. Ils se défendirent très longuement et très habilement; mais cela ne leur valut guère ; de vive force et par prouesse de bataille ils furent pris et conquis, et la grande partie fut mise à l'épée. Parmi les morts fut un très renommé et vaillant capitaine anglais, appelé Classidas, et avec lui le seigneur de Molins, le bailli d'Évreux, et plusieurs autres nobles hommes de grand état. Après cette conquête, retournèrent dans la ville Jeanne la Pucelle et les Français, sans n'avoir perdu que peu de leurs gens. Et quoique, d'après la commune renommée, la Pucelle passât pour avoir conduit ces trois attaques, néanmoins tous les capitaines, ou au moins la plus grande partie d'entre eux, qui durant le siège avaient été dans Orléans, se trouvèrent à ces assauts. Ils s'y comportèrent, chacun de leur côté, aussi vaillamment que gens de guerre doivent le faire en pareil cas, si bien qu'en ces trois bastilles de six à huit cents combattants furent tués, ou faits prisonniers, et les Français ne perdirent qu'environ cent hommes de tous états. Le lendemain dimanche, les capitaines anglais, à savoir le comte de Suffolk, Talbot, le seigneur de Scales et plusieurs autres, voyant la prise de leurs bastilles et la perte de leurs gens résolurent de s'assembler et de se former tous en un seul corps d'armée, en délaissant leurs logis et leurs fortifications ; si les Français voulaient les combattre, ils les attendraient ; s'ils ne le voulaient pas, ils partiraient en bonne ordonnance et retourneraient dans les bonnes villes et forteresses de leur parti. Ce qu'ils avaient résolu, ils l'exécutèrent. Ce dimanche, très matin, ils abandonnèrent les bastilles qui leur restaient, en mettant le feu à plusieurs d'entre elles ; puis se mirent en ordre de bataille et s'y tinrent un assez bon espace de temps, attendant que les Français vinssent les combattre ; ce dont, par l'exhortation de la Pucelle, les Français n'eurent pas la volonté. Les Anglais, qui voyaient leurs forces très affaiblies et bien diminuées, comprenant qu'il leur était impossible de prolonger leur séjour sans encourir pire encore, se mirent en chemin et retournèrent en bonne ordonnance dans les villes et places qui tenaient leur cause. Ce fut alors dans tout Orléans grande joie et grande exultation de se voir ainsi délivrés de leurs ennemis, de voir partir à leur confusion ce qui restait de ceux qui, pendant longtemps, les avaient tenus en grand danger. Plusieurs gens de guerre furent envoyés dans les bastilles, où très largement ils trouvèrent des vivres et d'autres biens qui promptement furent par eux mis en sûreté. Ils en firent bonne chère ; car ils ne leur avaient guère coûté. Ces mêmes bastilles furent prestement brûlées et démolies jusques aux fondements pour que nuls gens de guerre ne pussent plus s'y loger. ![]() ![]() Et yceulx capitaines, qui par avant estoient à Orliens, et les princes et grans seigneurs qui nouvellement y estoient venus, tinrent grans consaulx tous ensamble l'un avec l'autre, pour avoir advis se ilz poursuivraient les Anglois. Esquelz consaulx estoit première appellée Jehenne la Pucelle, qui pour ce temps estoit en grand règne. Finablement les François, environ la my-may, dont le siège avoit esté levé à l'entrée d'ycelui mois, se mirent sur les champs, jusques au nombre de cinq à six mille combatans, à tout charroy et habillemens de guerre, et prinrent leur chemin droit vers Gargeaux (31), où estoit le comte de Suffort et ses frères, qui des jà par avant avoient envoyé plusieurs messages à Paris devers le duc de Bethfort, pour lui noncier la perte et la male aventure qui leur estoit advenue devant Orliens, en lui requérant que brief leur voulsist envoyer souscours, ou autrement ilz estoient en péril d'estre reboutés et de perdre plusieurs villes et forteresces qu'ilz tenoient ou pays de Beausse et sur la rivière de Loire. Lequel duc de Bethfort, oyant ces males nouvelles, fut moult anoyeux et desplaisant. Nientmains, lui considérant qu'il convient pourveoir aux choses plus nécessaires, manda hastivement gens de tous pays estans en son obéyssance, et en fist assambler de quatre à cinq mille, lesquelz il fist mettre à chemin et tirer vers le pays d'Orliens, soubz la conduite de messire Thomas de Rampston, du bastard de Thian, et aulcuns autres. Auxquels il promist, que brief ensuivant il yroit après eulx, à tout plus grand puissance, qu'il avoit mandé en Angleterre ![]() Les Français qui étaient dans Orléans, à savoir les capitaines avec Jeanne la Pucelle, envoyèrent d'un commun accord plusieurs messages au roi de France, pour lui raconter les besognes victorieuses qu'ils avaient faites, et comment les Anglais ses ennemis étaient partis et retirés dans leurs garnisons, lui demandant d'envoyer sans délai le plus de gens qu'il pourrait trouver, ainsi que plusieurs grands seigneurs, afin de pouvoir poursuivre leurs ennemis effrayés par la perte qu'ils venaient de faire ; ils lui demandaient de se mettre lui-même en marche en personne, pour aller de l'avant. Pareilles nouvelles furent très agréables au roi et à son conseil ; et c'était bien raison. Incontinent furent mandés auprès du roi le Connétable, le duc d'Alençon, Charles seigneur d'Albret, et plusieurs autres grands seigneurs, qui pour la plupart furent envoyés à Orléans. D'autre part le roi, quelque temps après, se dirigea vers Gien, amenant avec lui un très grand nombre de combattants. Les capitaines qui déjà se trouvaient à Orléans, les princes et les grands seigneurs qui y étaient récemment arrivés, tinrent ensemble de grands conseils pour décider s'ils poursuivraient les Anglais ; conseils auxquels la première appelée était Jeanne la Pucelle, qui en ce temps était à l'apogée de son règne. Finalement, au milieu du mois de mai, les Français se mirent en campagne au nombre de cinq à six mille combattants, avec charrois et armements de guerre, et prirent droit leur chemin vers Jargeau, que défendaient le comte de Suffolk et ses frères. Déjà, ces derniers avaient par avance expédié plusieurs messages à Paris vers le duc de Bedford, lui annonçant les pertes et les malheureux événements survenus devant Orléans, le requérant de vouloir bien envoyer promptement des secours, sans quoi ils étaient en péril d'être repoussés, et de perdre plusieurs villes et forteresses qu'ils occupaient dans la Beauce et sur les bords de la Loire. Le duc de Bedford fut très contristé et fort chagrin de ces mauvaises nouvelles. Considérant cependant qu'il fallait pourvoir aux choses les plus nécessaires, il manda hâtivement de tous les pays de son obéissance des gens de guerre, en fit réunir de quatre à cinq mille qu'il fit mettre en chemin, et marcher droit vers le pays d'Orléans, sous la conduite de Messire Thomas de Rampston, du bâtard de Thian et de plusieurs autres ; il promettait que bientôt après il irait à leur suite avec de plus grandes forces qu'il avait demandées en Angleterre. ![]() ![]() ![]() Ainsy doncques, ceste ville et chasteau de Gargeaux conquise et subjuguée que dit est, lesdiz François se rafreschirent tout à leur aise en ycelle. Et après, eulx partans de là, alèrent à Meun, qui tantost leur fist obéyssance. Et d'autre part s'enfuyrent les Anglois qui tenoient la Frete Hubert (32), et se boutèrent tous ensamble à Bosengi (33), jusques auquel lieu ilz furent chassés et poursuivis des François, lesquelz se logèrent devant eulx en plusieurs lieux ; et tous jours, Jehenne la Pucelle, ou front devant, à tout son estandart. Et lors, par toutes les marches de là environ n'estoit plus grand bruit, ne renommée, comme il estoit d'elle, de nul aultre homme de guerre. Et adonc, les principaulx capitaines, qui estoient dedens Jadicte ville de Bosengi, voians par la renommée d'ycelle Pucelle fortune estre ainsy du tout tournée contre eulx, et que pluiseurs villes et forteresces estoient desjà mises en obéyssance de leurs ennemis, les unes par vaillance d'armes et force d'assault, les aultres par traictié, et aussi que leurs gens pour la plus grand partie estoient moult esbahis et espoentés, et ne les trouvoient pas de tel propos de prudence qu'ilz avoient acoustumé, ains estoient très désirans d'eulx retraire sur les marches de Normendie, si ne sçavoient que faire, ne quel conseil eslire. Car ilz ne sçavoient point estre adcertenés, ne asseurés d'avoir en brief souscours. Et pour tant, tout considéré les besongnes dessusdictes, ilz traictèrent avec les François, qu'ilz s'en yroient, à tout leurs biens, sauf leurs corps et leurs vies, par condicion qu'ilz renderoient la place en obéyssance du roy Charles ou de ses commis. Lequel traictié ainsi fait, lesdiz Anglois se départirent, prenant leur chemin parmy la Beausse, en tirant vers Paris. Et les François entrèrent joieusement dedens Bogensi ou Bosengi. Et prinrent conclusion, par l'exortacion de Jehenne la Pucelle, qu'ilz yroient au devant des Anglois, qui des parties vers Paris venoient pour les combatre, comme on leur avoit donné à entendre. Laquelle chose estoit véritable. Si se mirent de rechef à plains champs. Et venoient à eulx chascun jour, gens nouveaulx de pluiseurs marches. Et furent adonc ordonnés, le connestable, le mareschal de Bousach, La Hire, Pothon et aulcuns aultres capitaines, de faire l'avant-garde. Et le sourplus, comme le duc d'Alençon, le bastard d'Orliens, le mareschal de Rois (34), estoient conducteurs de la bataille ; qui suivoient d'assez près ladicte avant-garde. Et povoient estre environ de six à huit mille combatans. Si fut demandé à Jehenne la Pucelle par aulcuns des princes là estans, quel chose il estoit de faire, et que bon ly sembloit à ordonner. Laquelle respondy qu'elle sçavoit bien pour vray que leurs anciens adversaires les Anglois venoient pour eulx combatre; disant oultre, que, ou nom de Dieu, on alast hardiement contre eulx, et que sans faille ilz seraient vaincus. Et aulcuns ly demandèrent où on les trouveroit. Et elle respondy : « chevaulchez hardiement, on aura bon conduict. » Adonc, toutes gens d'armes se mirent en bataille, et en bonne ordonnance tirèrent leur chemin, ayans des plus expers hommes de guerre, montés sur fleur de coursiers, alans devant pour descouvrir leurs ennemis, jusques au nombre de soixante ou quatre vins hommes d'armes. Et ainsi, par certaine longue espace chevaulchant, vinrent par ung jour de samedi, à une grande demie lieue près d'un gros village nommé Patay (35). En laquelle marche les dessusdiz coureurs François virent de devant eulx partir un cerf, lequel adreça son chemin droit pour aler en la bataille des Anglois, qui jà s'estoient mis tous ensemble, est assavoir ceulx venans de Paris, dont dessus est faite mencion, et les autres qui estoient partis de Bogensi et des marches d'Orliens (36). Pour la venue duquel cerf, qui se féry comme dit est parmy ycelle bataille, fut desdiz Anglois eslevé ung très grand cry. Et ne sçavoient pas encore que leurs ennemis fussent si près d'eulx. Pour lequel cry, les dessusdiz coureurs François furent adcertenés que c'estoient les Anglois. Car ilz les virent adonc tout à plain. Et pour ce, renvoyèrent aulcuns d'eulx vers leurs capitaines pour les advertir de ce qu'ilz avoient trouvé. Et leur firent sçavoir que par bonne ordonnance ilz chevaulchassent avant, et qu'il estoit heure de besongner. Lesquelz prestement se préparèrent de tout point et chevaulchèrent bien et hardiement si avant, qu'ilz perçeurent et virent tout à plain leurs ennemis. Lesquelz, sachans pareillement la venue des François, se préparèrent diligamment pour les combatre, et volrent descendre à pied d'emprès une haye qui estoit assez près d'eulx, adfin que par derrière ne peussent estre surprins desdiz François. Mais aulcuns des capitaines ne furent point de ce bien contens, et dirent qu'ilz trouveroient place plus advantageuse. Pour quoy ilz se mirent au chemin en tournant le dos à leurs ennemis, et chevaulchèrent jusques à ung autre lieu, environ à ung petit demy quart de lieue loing du premier ; qui estoit assez fort de hayes et de buissons. Ou quel, pour ce que les François les quoitoient (37) de moult près, mirent pied à terre et descendirent, la plus grand partie, de leurs chevaulx. Et alors, l'avant-garde des François, qui estoit désirant et ardant en courage pour assambler aux Anglois, par ce que depuis ung peu de temps ençà les avoient assaillis et trouves de assez meschant deffence, se férirent de plains eslans dedens yceulx Anglois, et d'un hardi courage et de grand voulenté les envayrent si viguereusement et tant soudainement avant qu'ilz peussent estre mis du tout en ordonnance, que mesmement messire Jehan Fastocq (38) et le bâtard de Thian, chevalier, avec grand nombre de leurs gens ne se mirent point à pied avec les aultres, ains se départirent, en fuyant à plain cours pour sauver leurs vies. Et entretant, les autres qui estaient descendus à pied furent tantost de toutes pars environnés et combatus par yceulx François. Car ilz n'eurent point loisir d'eulx fortefier de penchons aguisés par la manière qu'ilz avoient acoustumé de faire. Et pour tant, sans ce qu'ilz feissent grand dommage aux François, ilz furent en assez brief terme et légierement rués jus, desconfis et du tout vaincus. Et y eut mort dessus la place, d'yceulx Anglois, environ dix huit cens, et en y eut de prisonniers, de cent à six vingts. Desquelz estoient les principaulx, les seigneurs d'Escalles, de Tallebot, de Hongrefort et messire Thomas de Rampston et pluiseurs aultres des plus notables, jusques au nombre dessusdit. Et de ceulx qui y furent mors furent les principaux est assavoir.... (39) et les aultres estoient tous gens de petit estat et moyen, telz et si fais qu'ilz ont acoustumé de amener de leur pays mourir en France. ![]() Après laquelle besongne, qui fut environ deux heures après midi, tous les capitaines François se rassamblèrent ensamble, en regraciant dévotement et humblement leur Créateur, menèrent grand leesce l'un avecques l'autre pour leur victoire et bonne fortune. Et se logèrent celle nuit en ycelle ville de Patay, qui siet à deux lieues près d'Yenville en Beausse. De laquelle ville ceste journée porte le nom pardurablement (40). Et lendemain, lesdiz François retournèrent, à tout leurs prisonniers et les riches despoulles des Anglois qui mors estoient, et ainsy entrèrent en la cité d'Orliens, et les aultres de leurs gens ès marches d'entour et à l'environ, où ilz furent grandement de tout le peuple conjoys. Et par espécial Jehenne la Pucelle acquist en ycelles besongnes si grand louenge, qu'il sembloit à toutes gens que les ennemis du Roy n'eussent plus puissance de résister contre elle, et que brief par son moyen le Roy deust estre remis et restabli du tout en son royaume. Si s'en ala avecques les aultres princes et capitaines devers le Roy, qui de leur retour fut moult resjoy, et fist à tous très honnourable réception. Après laquelle, brief ensuivant, fut prinse par ycelui Roy, avec ceulx de son conseil, conclusion de mander par tous les pays de son obéyssance le plus de gens de guerre qu'il pourroit finer, adfin qu'il se peust mettre plus avant en marche et poursuivir ses ennemis. Item, à la journée de la bataille de Patay, avant que les Anglois seussent la venue de leurs ennemis, messire Jehan Fastocq, qui estoit ung des principaulx capitaines et qui s'en estoit fuy sans trop férir, assambla en conseil avec les autres, et fist plusieurs remonstrances. Est assavoir, comment ilz sçavoient la perte qu'ilz avoient faite de leurs gens devant Orliens, à Jenville et en aulcuns aultres lieux, pour laquelle ilz avoient du pire, et estoient leurs gens moult esbahis et effraés, et leurs ennemis au contraire estoient moult enorguellis et resvigurés. Pour quoy il conseilloit que ilz se retrayssent ès chateaulx et lieux tenans leur party là à l'environ, et qu'ilz ne combatissent point leurs ennemis si en haste, jusques ad ce que ilz fussent mieulx rasseurés, et aussi que leurs gens fussent venus d'Angleterre, que le Régent debvoit envoyer briefment. Lesquelles remonstrances ne furent point bien agréables à aulcuns des capitaines, et par espécial à messire Jehan de Tallebot, et dist que se ses ennemis venoient, qu'il les combateroit. Et par ce que, comme dit est, ledit Fastocq s'en fuy de la bataille sans cop férir, fut pour ceste cause grandement approuchié quand il vint devers le duc de Bethfort son seigneur, et par conclusion lui fut ostée l'ordre du blanc jartière, qu'il portent entour la jambe. Mais depuis, tant en partie pour les dessusdictes remonstrances qu'il avoit faites, qui sembloient estre assez raisonnables, comme pour pluiseurs autres excusances qu'il mist avant, lui fut depuis, par sentence de proches, rendue ladicte ordre de la jartière. Jà soit qu'il en sourdist grand débat depuis entre ycelui Fastocq et sire Jehan de Thalebot, quand il fut retourné d'estre prisonnier de la bataille dessusdicte. A ceste besongne furent fais chevaliers, de la partie des François, Jaque de Nully, Gille de Saint Symon, Loys de Marcongnet, Jehan de Le Haye et pluiseurs aultres vaillans hommes. Or, il est vrai que le Connétable de France, le duc d'Alençon, Jeanne la Pucelle, et les autres capitaines français, étant ensemble en campagne, ainsi qu'il a été dit, chevauchèrent tant durant quelques jours, qu'ils vinrent devant Jargeau où se trouvait le comte de Suffolk, avec trois ou quatre cents de ses gens et les habitants de la ville, qui aussitôt se mirent en toute diligence en état de défense ; mais ils furent promptement environnés de toutes parts des Français, qui de fait commencèrent en plusieurs endroits d'attaquer avec grande activité. L'assaut dura assez longtemps, terrible et très acharné. Les Français le poursuivirent si âprement que, malgré les défenseurs, ils pénétrèrent dans la ville et la conquirent par prouesse. Dès leur entrée, trois cents combattants anglais furent tués, parmi lesquels l'un des frères du comte de Suffolk. Ce même comte et son frère le seigneur de La Pole furent faits prisonniers, ainsi que soixante de leurs gens ou même plus. La ville et le château de Jargeau conquis et subjugués, les Français s'y rafraîchirent tout à leur aise ; et, partant de là, ils allèrent à Meung, qui leur fit promptement obéissance. D'un autre côté, les Anglais qui tenaient La Ferté-Hubert s'enfuirent et se réfugièrent à Baugency. Ils y furent poursuivis par les Français qui se logèrent devant eux en plusieurs endroits. Jeanne la Pucelle était toujours en avant, en tête, avec son étendard. Et dès lors, dans toutes les marches des environs, nul homme de guerre à côté d'elle, ne faisait plus grand bruit, ni n'avait pas grande renommée. Les principaux capitaines anglais, qui se trouvaient dans Baugency, voyant que, par la renommée de cette Pucelle, la fortune s'était entièrement tournée contre eux, que plusieurs villes et forteresses, les unes forcées d'assaut par la vaillance des armes, les autres à la suite de traités, s'étaient mises en l'obéissance de leurs ennemis ; et aussi que leurs gens étaient pour la plupart très démoralisés et épouvantés, qu'ils ne leur trouvaient pas leur résolution et leur intelligence accoutumées, mais qu'ils avaient le plus grand désir de se retirer sur les marches de la Normandie, les capitaines anglais ne savaient que faire, ni à quel parti s'arrêter, n'ayant ni certitude ni assurance d'être bientôt secourus. Par suite de ces considérations, ils traitèrent avec les Français. Les conditions furent qu'ils s'en iraient avec leurs biens, leurs corps et leurs vies saufs, et ils remettraient la place en l'obéissance du roi Charles ou de ses commis. Le traité ainsi conclu, les Anglais partirent et prirent leur chemin par la Beauce, en se dirigeant vers Paris. Les Français entrèrent joyeusement dans Baugency, et, à l'exhortation de Jeanne la Pucelle, ils arrêtèrent d'aller à la rencontre des Anglais, qui, ainsi qu'on leur avait donné à entendre, et c'était vrai, venaient des parties de Paris pour les combattre. Ils se mirent donc à pleins champs, accrus chaque jour par gens nouveaux qui venaient à eux de plusieurs marches. Le Connétable, le maréchal de Boussac, La Hire, Poton et quelques autres capitaines furent ordonnés pour former l'avant-garde ; les autres chefs étaient le duc d'Alençon, le bâtard d'Orléans. Le maréchal de Rais était conducteur de l'armée qui suivait d'assez près l'avant-garde; ils pouvaient être de six à huit mille combattants. Quelques-uns des chefs demandèrent à Jeanne la Pucelle ce qu'il y avait à faire, et ce qu'il lui paraissait bon d'ordonner ; elle répondit pour vrai que leurs anciens adversaires les Anglais venaient pour les combattre, ajoutant qu'au nom de Dieu, on allât hardiment contre eux et que, sans faute ils seraient vaincus. Quelques-uns lui demandèrent où on les trouverait; elle répondit: « Chevauchez hardiment, on aura bon conduict ». Tous les gens d'armes se mirent en ordre de bataille, et en bonne ordonnance tirèrent leur chemin, ayant à leur tête les plus experts hommes de guerre montés sur fleurs de coursiers allant à la découverte des ennemis, au nombre de soixante ou quatre-vingts hommes d'armes. Chevauchant ainsi un assez grand espace de temps, ils vinrent à une grande demi-lieue d'un gros village nommé Patay. Là, les coureurs français virent partir de devant eux un cerf, qui prit droit son chemin pour tomber dans les rangs des Anglais qui s'étaient déjà réunis, à savoir ceux qui, comme cela a été dit, venaient de Paris, et ceux qui étaient partis de Baugency et des marches d'Orléans. La venue du cerf se jetant, comme il est dit, au milieu de l'armée, fit pousser aux Anglais un très grand cri; ils ne savaient pas encore que leurs ennemis fussent si près. Ce cri donna aux coureurs français la certitude que là étaient bien les Anglais ; et ils les virent aussitôt tout à plein ; aussi renvoyèrent-ils quelques-uns d'entre eux vers les capitaines pour les avertir de ce qu'ils avaient découvert, et leur faire savoir de chevaucher en avant, en bonne ordonnance et que c'était l'heure de besogner. Prestement ils se préparèrent de tous points et chevauchèrent bien hardiment, si bien qu'ils aperçurent et virent tout à plein leurs ennemis. Ceux-ci, sachant pareillement la venue des Français, se préparèrent eux aussi diligemment à les combattre; ils voulurent se mettre à pied derrière une haie qui n'était point éloignée d'eux pour n'être point surpris par derrière par les Français ; mais quelques-uns de leurs capitaines n'en furent pas bien contents, et dirent qu'on trouverait poste plus avantageux. Sur quoi ils se mirent en chemin en tournant le dos à leurs ennemis, et ils chevauchèrent jusques à un petit demi-quart de lieue loin de la première halte, en un endroit bien protégé par des haies et des buissons. Là, parce que les Français les talonnaient de très près, ils mirent pied à terre, et descendirent pour la plupart de leurs chevaux. Alors l'avant-garde des Français qui, pleine d'ardeur et de courage, désirait joindre les Anglais, parce que depuis déjà quelque temps elle les avait tâtés et trouvés d'assez méchante défense, se jeta de plein élan au milieu des Anglais ; les chargea avec un si hardi courage, avec tant de feu, les envahit si vigoureusement et si soudainement, avant qu'ils pussent se mettre en ordre de bataille, que Messire Jean Fastolf et le bâtard de Thian, chevalier, et grand nombre de leurs gens, ne se mirent pas à pied avec les autres, mais ils partirent en fuyant à plein cours, pour sauver leurs vies. Pendant ce temps, les autres, qui étaient descendus à pied, furent promptement environnés et frappés par les Français, n'ayant pas eu le temps de s'abriter derrière leurs pieux aiguisés, ainsi qu'ils avaient coutume de le faire. Par suite, sans faire éprouver grand dommage aux Français, ils furent très promptement et facilement abattus, déconfits et entièrement vaincus. Il resta bien, morts sur place, environ dix-huit cents Anglais ; il y en eut de prisonniers de cent à six-vingts, parmi lesquels les principaux étaient les seigneurs de Scales, de Talbot, d'Hongerfort, Messire Thomas Rampston, et plusieurs autres des plus notables jusqu'au nombre susdit. De ceux qui y furent morts les principaux étaient... Les autres gens du dernier ou de moyen état étaient de ceux que les Anglais amènent de leur pays, et qui sont destinés à mourir en France. Après cette affaire, qui eut lieu environ deux heures après midi, tous les capitaines français se réunirent, rendant dévotement et humblement grâces à Dieu, leur Créateur. Et ils se livrèrent ensemble à une grande joie pour leur victoire et pour une si bonne fortune. Ils se logèrent pour cette nuit en cette ville de Patay, située à deux lieues de Janville-en-Beauce, et cette journée porte à tout jamais le nom de Patay. Le lendemain, les Français repartirent avec leurs prisonniers et les riches dépouilles des Anglais morts sur le champ de bataille. C'est ainsi qu'ils rentrèrent à Orléans, tandis qu'une partie de leurs gens se logèrent aux environs, au milieu des transports de joie de tout le peuple. Jeanne la Pucelle, spécialement, acquit en ces besognes si grande louange et si grande renommée qu'il semblait à toutes gens que les ennemis du roi n'eussent plus puissance de lui résister, et que, dans peu, le roi dût, par son moyen, être entièrement remis et rétabli en son royaume. Elle alla avec les autres capitaines vers le roi qui se réjouit beaucoup de leur retour et fit à tous très honorable réception. Après quoi il décida, avec les gens de son conseil, de mander des pays de son obéissance le plus de gens de guerre qu'il pourrait afin de marcher en avant et de poursuivre ses ennemis. Item. — A la journée de la bataille de Patay, avant que les Anglais sussent l'arrivée de leurs ennemis, messire Jean Fastolf, un des principaux capitaines, celui qui devait s'enfuir sans coup férir, se trouvant en conseil avec les autres fit plusieurs remontrances ; à savoir comment tous savaient les pertes qu'ils avaient faites de leurs gens devant Orléans, à Jargeau et en d'autres lieux, où ils avaient eu du pire ; leurs gens étaient très ébahis et effrayés, et leurs ennemis au contraire très enorgueillis et très ranimés. C'est pourquoi son avis était qu'on se retirât dans les châteaux et les lieux qui, aux environs, tenaient leur parti, de ne point combattre les ennemis avec tant de hâte, d'attendre que leurs gens fussent mieux rassurés, et aussi que fussent arrivés d'Angleterre les secours que le régent devait prochainement amener. Ces observations ne furent pas agréables à plusieurs des capitaines, spécialement à Messire Jean de Talbot, qui dit que, si les ennemis venaient, il les combattrait. Et parce que, ainsi qu'il a été rapporté, Fastolf s'enfuit de la bataille sans coup férir, il fut pour ce motif grandement blâmé, lorsqu'il vint devant son seigneur, le duc de Bedford; Bedford finit par lui enlever l'ordre de la Jarretière blanche, qu'il portait autour de la jambe. Mais depuis, tant pour les observations qu'il avait faites qui semblaient assez raisonnables, que pour plusieurs autres excuses qu'il mit en avant, ledit ordre de la Jarretière lui fut rendu par sentence judiciaire ; il en sortit cependant un grand débat entre icelui Fastolf et sire Jean de Talbot, alors que ce dernier revint de sa captivité, à la suite de cette bataille. A cette besogne furent faits chevaliers, du côté des Français, Jacques de Milly, Gilles de Saint-Simon, Louis de Marconnay, Jean de La Haye et plusieurs autres vaillants hommes. ![]() ![]() Et après ces choses faites et accomplies, le duc de Bourgongne retourna en son pays d'Artois, et mena sa seur la duchesse de Bethfort avec lui, et le mist demourer et fist tenir son estat à Lens en Artois. Et ledit duc de Bethfort manda sans délay en Angleterre qu'on lui envoîast gens de guerre les plus expers qu'on pourroit finer. Et pareillement fist évocquer toutes les garnisons de Normendie et d'autres lieux de son obéissance, avec tous les nobles et aultres qui avoient acoustumé de eulx armer. Duquel pays d'Angleterre jà pieçà mandés, furent envoyés en l'ayde du dessusdit duc de Bethfort quatre mille combatans ou environ. Desquelz estoit chief et conducteur le cardinal de Wincestre. Lequel passa la mer et s'en vint à Calaix et de là à Amiens. Duquel lieu d'Amiens ledit cardinal ala à Corbie, devers le duc de Bourgongne, et sa belle nièpce, la duchesse de Bethfort, lesquelz, comme dit est dessus, venoient de Paris. Ouquel lieu de Corbie ilz eurent l'un avecques l'autre aucunes brièves conclusions. Depuis lesquelles s'en retourna ledit cardinal à Amiens, et de la mena ses gens d'armes à Rouen, devers le duc de Bethfort, son nepveu, lequel eut grand joie de sa venue. En ces jours fut envoyé Jehan, bastard de Saint-Pol, à tout certain nombre de combatans des marches de Picardie, de par le duc de Bourgongne, vers le duc de Bethfort. Lequel lui bailla en gouvernement la ville et forteresse de Meaulx en Brie et l'en fist souverain capitaine, pour le garder contre la puissance du roy Charles, qu'on attendoit chascun jour en ycelui pays. ![]() ![]() Ouquel chemin, ledit roy mist en son obeyssance deux petites bonnes villes qui tenoient le parti du roy Henri, est assavoir Saint Florentin et Jargeau (43), ycelles promettant de faire d'ore en avant au dessusdit roy et à ses commis, tout ce que bons et loyaulx subgietz doivent faire à leur souverain seigneur, en prenant aussi dudit roy seureté et promesse, qu'il les feroit gouverner et maintenir en bonne justice et selonc leurs anciennes coustumes. Et de là il vint audit lieu d'Ausserre. Si envoya sommer ceulx de la ville qu'ilz le volsissent recepvoir comme leur naturel et doiturier seigneur. Lesquelz de ce faire ne furent point contens de plaine venue. Nientmains, plusieurs ambaxadeurs furent envoyés d'un costé et d'autre. Si fut en la fin traictié fait entre les parties, et promirent ceulx de ladicte ville d'Ausserre, qu'ilz feroient au roy telle et pareille obeyssance que feroient ceulx des villes de Troyes, Châlons et Rains. Et par ainsy, en administrant aux gens du Roy, vivres et autres denrées pour leur argent, ilz demourèrent paisibles, et les tint le Roy excusés pour ceste fois. ![]() Et de là vint, le Roy, à Troyes en Champaigne, et se loga tout à l'environ. Et y fut trois jours avant que ceulx de la ville le volsissent recepvoir à seigneur. En la fin desquelz, parmy certaines promesses qui leur furent faites, ilz lui firent plaine ouverture et mirent lui et ses gens dedens leur ville; où il oy messe. Et après les seremens fais des unes parties aux autres, le dessusdit roy retourna en son logis aux champs, et fist publier par pluiseurs fois, tant en son ost que en la ville, sur le hart, que homme, de quelque estat qu'il fust, ne meffesist riens à ceulx de la ville de Troyes, ne aux aultres qui s'estoient mis en son obéyssance. En ce mesme voiage, faisoient l'avant garde, les deux mareschaulx de France, est assavoir Boussac et le seigneur de Rays, avec lesquelz estoient La Hire, Poton de Sainte-Treille, et aulcuns aultres capitaines. Durant lequel voiage, se rendirent en l'obéyssance d'ycelui roy Charles, très grand nombre de bonnes villes et chasteaulx des marches où il passoit. Desquelles reddicions, d'éclairer chascune à par ly, je m'en passe pour cause de briefté. Durant ce temps, Charles, roi de France, assembla à Bourges-en-Berry une très grande multitude de gens d'armes et d'hommes de trait. Parmi eux se trouvaient le duc d'Alençon, Charles de Bourbon, comte de Clermont, Arthur, connétable de France, comte de Richemont, Charles d'Anjou, son beau-frère et frère du roi René de Sicile, le bâtard d'Orléans, le cadet d'Armagnac, Charles, seigneur d'Albret,et plusieurs autres personnages élevés et puissants barons, des duchés et comtés d'Aquitaine, de Gascogne, du Poitou, du Berry, et de plusieurs autres bons pays. Il se mit aux champs avec eux tous, et vint de là à Gien-sur-Loire. Jeanne la Pucelle était toujours avec lui; et en la compagnie de Jeanne se trouvait un prêcheur nommé Frère Richard, de l'ordre de Saint-Augustin, qui naguère avait été débouté de Paris et de plusieurs lieux de l'obéissance des Anglais, où il avait fait plusieurs prédications dans lesquelles il se montrait trop ouvertement favorable aux Français et être de leur parti. Du lieu de Gien, le roi prit son chemin vers Auxerre. Cependant le Connétable, avec un certain nombre de gens d'armes, s'en alla en Normandie vers Évreux pour empêcher les garnisons du pays de se réunir autour du duc de Bedford. D'autre part le cadet d'Armagnac fut renvoyé et commis à la garde du duché d'Aquitaine et du Bordelais. Sur son chemin, le roi mit sous son obéissance deux petites villes déclarées pour le roi Henri : Saint-Florentin et Saint-Fargeau. Elles promirent de se conduire à l'avenir envers le roi et ses délégués comme doivent le faire de bons et loyaux sujets envers leur souverain ; elles prirent aussi du roi sûreté et promesse d'être maintenues et gouvernées en bonne justice, et selon leurs anciennes coutumes. De là il vint à Auxerre ; et il envoya sommer les habitants de vouloir le recevoir comme leur naturel et droiturier seigneur; ce que de premier abord ils ne furent point contents d'accorder. Néanmoins plusieurs ambassadeurs furent envoyés de côté et d'autre, et un traité finit par intervenir entre les deux parties. Ceux d'Auxerre promirent de faire au roi telle et pareille obéissance que feraient les villes de Troyes, Châlons et Reims. A cette condition et en fournissant aux gens du roi pour leur argent des vivres et d'autres approvisionnements, ils demeurèrent en paix et le roi les tint pour excusés pour cette fois. Le roi vint de là à Troyes-en-Champagne, et campa tout autour. Trois jours s'écoulèrent avant que les habitants consentissent à le recevoir pour seigneur. Après ces trois jours, sur certaines promesses qui leur furent faites, ils lui firent pleine ouverture ; et, avec ses gens, le mirent dans la ville, où il ouït la messe. Après les serments accoutumés qu'ils se firent mutuellement les uns aux autres, le roi retourna en son logis au dehors et fit publier par plusieurs fois, tant dans l'armée que dans la ville, que, sous peine de la pendaison, nul, de quelque état qu'il fût, ne fît en rien dommage aux habitants de Troyes, ni à aucun de ceux qui s'étaient mis en son obéissance. Dans ce voyage, l'avant-garde était sous la conduite des deux maréchaux de France, Boussac et le seigneur de Rais, avec lesquels se trouvaient La Hire, Poton de Xaintrailles et d'autres capitaines. Durant ce voyage se mirent en l'obéissance du roi Charles un très grand nombre de bonnes villes et de châteaux, dans les environs de la route qu'il suivait. Déclarer la reddition de chacune en particulier, je le passe pour cause de brièveté. ![]() ![]() ![]() Si entra le Roy dedens ladicte ville et cité de Rains, le vendredi XVIe jour de juillet, avec grand nombre de sa chevalerie. Et le diemenche ensuivant, fut par ledit archevesque consacré et couronné à Roy, dedens l'église Nostre-Dame de Rains, présens ses princes et prélas et toute la baronnie et chevalerie qui là estoit. La estoient le duc d'Alençon, le conte de Clermont, le seigneur de La Trémouille, qui estoit son principal gouverneur, le seigneur de Beaumanoir, breton, le seigneur de Mailly en Touraine (44), lesquels estoient en habis royaulx, représentans les nobles pers de France, qui point n'estoient au faire le sacre et couronnement dessusdiz. Si avoient esté, lesdiz pers absens, évoqués et appelés devant le grand autel de ladite église par le roy d'armes de France, ainsi et par la manière qu'il est acoustumé de faire. Après lequel sacre fait et accompli, le Roy ala disner en l'ostel épiscopal de l'archevesque, les seigneurs et prélats en sa compaignie. Et sist à sa table ledit archevesque de Rains. Et servirent le Roy, à son disner, le duc d'Alençon et le conte de Clermont, avec pluiseurs aultres grans seigneurs. Et fist, le Roy, le jour de son sacre, trois chevaliers, desquelz le damoiseau de Commercis en fut l'un. Et à son département laissa en la cité de Rains pour capitaine Anthoine de Hollande, nepveu dudit archevesque. Et lendemain se départy de ladite ville, et ala en pélérinage à Corbeny (45) visiter Saint-Marceau. Auquel lieu lui vinrent faire obéyssance ceulx de la ville de Laon, si comme avoient fait les aultres bonnes villes dessusdictes. Duquel lieu de Corbeny le Roy ala à Soissons et à Prouvins, qui sans contredire lui firent plaine ouverture. Et constitua lors La Hire, nouvel bailly de Vermendois, ou lieu de messire Colard de Mailly, qui par avant y estoit commis de par le roy Henri d'Angleterre. Et après s'en vint le Roy et ses gens devant Chasteauthierri, où estoit dedens le seigneur de Chastillon, Jehan de Croy, Jehan de Brimeu et aulcuns aultres nobles de la partie du duc de Bourgongne, à tout quatre mille combatants ou environ. Lesquelz, tant pour ce qu'ilz sentoient la communaulté de la ville incliner à faire obéyssance au roy Charles, comme pour ce qu'ilz n'attendoient mie brief souscours et n'estoient mie pourveus à leur plaisir, rendirent ycelle forte ville et chastel en l'obéyssance du roy Charles, et s'en partirent sauvement, à tout leurs biens. Si s'en alèrent à Paris devers le duc de Bethfort, qui lors faisoit grand assamblée de gens d'armes pour venir combatre le roy Charles et sa puissance. Item.— Charles roi de France étant encore à Troyes, des députés de Châlons-en-Champagne vinrent lui apporter les clefs de leur ville et cité, et lui promettre de la part d'icelle de lui faire toute obéissance. Le roi, après leur arrivée, vint audit lieu de Châlons, où les habitants le reçurent bénignement et en toute humilité. Là lui furent pareillement apportées les clefs de la ville de Reims, avec promesse, comme pour la ville précédente, de lui faire toute obéissance et de le recevoir comme le naturel seigneur de la cité. Le seigneur de Saveuse, avec un certain nombre de gens d'armes, avait été naguère en cette cité de Reims pour la maintenir en l'obéissance du roi Henri et du duc ; le gouverneur et grand nombre des habitants lui avaient promis de soutenir jusqu'à la mort le parti et la querelle duroi Henri et du duc, mais, nonobstant ce serment, par crainte de la Pucelle, qui, d'après ce qu'on leur donnait à entendre, faisait de grandes merveilles, ils se mirent en l'obéissance du roi Charles, quoique le seigneur de Châtillon et le seigneur de Saveuse, leurs capitaines, leur pussent remontrer pour Jeur persuader le contraire. Ces deux seigneurs, voyant leur résolution et de quel côté était leur affection, quittèrent Reims ; car les habitants de la ville n'avaient rien voulu entendre à leurs remontrances, et leur avaient fait des réponses dures et assez étranges. Après les avoir ouïes, les seigneurs de Saveuse et de Châtillon retournèrent à Château-Thierry. Ceux de Reims avaient déjà décidé de recevoir le roi Charles. Ce qu'ils firent, par l'intervention de l'Archevêque de la ville, chancelier du roi Charles, et par l'intervention de plusieurs autres. Le roi entra dans la ville et cité de Reims, le vendredi, seizième jour de juillet, avec une partie de sa chevalerie. Le dimanche qui suivit, il fut sacré et couronné en qualité de roi par ledit Archevêque, dans l'église Notre-Dame de Reims, en présence de ses princes et prélats, et de toute la baronnerie et chevalerie qui étaient dans la ville. Là se trouvaient le duc d'Alençon, le comte de Clermont, le seigneur de La Trémoille, qui était son principal gouverneur, le seigneur de Beaumanoir, Breton, le seigneur de Mailly en Touraine. Tous étaient en habits royaux ; ils représentaient les nobles pairs de France, ainsi et de la manière que la coutume était de le faire. Le sacre fait et accompli, le roi alla dîner en l'hôtel épiscopal de l'Archevêque; les seigneurs et les prélats l'accompagnaient. L'Archevêque de Reims s'assit à sa table. Le roi fut servi à son dîner par le duc d'Alençon et le comte de Clermont avec plusieurs autres grands seigneurs. Le roi fit le jour de son sacre trois chevaliers dans l'église, parmi lesquels le damoiseau de Commercy. A son départ, il laissa à Reims pour en être le capitaine Antoine de Hellande, neveu de l'Archevêque. En sortant de Reims le roi alla en pèlerinage à Corbigny, visiter Saint-Marcou. Là, les habitants de la ville de Laon vinrent lui faire obéissance, comme avaient fait ceux des villes dont il a été fait mention. De Corbigny le roi vint à Soissons et à Provins, qui, sans opposition aucune, lui firent pleine ouverture. Il constitua alors La Hire comme nouveau bailli du Vermandois, à la place de Colard de Mailly, que le roi d'Angleterre y avait précédemment commis. Le roi vint ensuite avec ses gens devant Château-Thierry. Le seigneur de Châtillon, Jean de Croy, Jean de Brimeux et quelques autres nobles, grands seigneurs, déclarés pour le duc de Bourgogne, s'y étaient renfermés avec environ quatre cents combattants. Sentant que l'ensemble de la ville inclinait à faire obéissance au roi Charles, n'attendant pas de prompt secours, n'étant pas suffisamment pourvus à leur plaisir, ils rendirent au roi cette forte ville et son château, et la quittèrent sains et saufs avec tous les biens. Ils allèrent à Paris vers le duc de Bedford, qui formait une grande assemblée de gens d'armes pour venir combattre le roi Charles et son armée. ![]() ![]() « Nous Jehan de Lancastre, régent de France et duc de Bethfort. Scavoir faisons à vous, Charles de Valois, qui vous soliés nommer Daulphin de Viennois, et maintenant sans cause vous dites Roy, que pour ce que torcionnièrement avez de nouvel entrepris contre la couronne et la seigneurie de très hault et excellent prince et mon souverain seigneur, Henri, par la grace de Dieu, vray, naturel et droiturier roy de France et d'Angleterre, par donnant à entendre au simple peuple que venez pour lui donner paix et seureté, ce que n'est pas, ne ne puet estre par les moyens que avez tenus et tenez, qui faites séduire et abuser le peuple ignorant et vous aidiés plus de gens suppersticieus et reprouvés, comme d'une femme desordonnée et diffamée, estant en habit d'homme et de gouvernement dissolu, et aussi d'un frère mendiant, appostat et sédicieux, comme nous sommes informés; tous deux, selonc la Saincte Escripture, abhominables à Dieu; qui par force et puissance d'armes avez occupé ou pays de Champaigne et aultre part, aulcunes cités, villes et chasteaulx apartenans à mondit seigneur le roy, et les subgiez demourans en ycelles constraint et induict à desloyaulté et parjurement, en leur faisant rompre et violer la paix finale des royaumes de France et d'Angleterre, sollempnellement jurée par les rois de France et d'Angleterre qui lors vivoient, et les grans seigneurs, pers, prélats, barons, et Trois Estas de ce royaume; nous, pour garder et deffendre le vray droit de mondit seigneur le roy, et vous et vostre puissance rebouter de ses pays et seigneuries, à l'ayde du Tout-Puissant nous sommes mis sus et tenons les champs en nostre personne, en la puissance que Dieu nous a donnée. Et comme bien avez sceu et sçavez, vous avons poursuivi et poursuivons de lieu en lieu pour vous cuidier trouver ou rencontrer, ce que n'avons encore peu faire, pour les advertissemeus que avez fais et faites. Pour quoy, Nous, qui de tout nostre ceur désirons l'abrégement de la guerre, vous sommons et requerrons que, se vous estes tel prince qui quérés honneur et ayez pitié et compacion du povre peuple chrestien, qui tant longuement à vostre cause a esté très inhumainement traictié, foulé et opprimé, et que briefment soit hors de ces afflictions et douleurs, sans plus continuer la guerre, prenez au pays de Brie, où, vous et nous sommes, ou en l'Isle de France, qui est bien prouchaine de nous et de vous, aulcune place aux champs, convenable et raisonnable, avec jour briefet compétent et tel que la prouchaineté des lieux, ou nous et vous sommes, pour le présent le puet souffrir et demander. Auxquelz jour et place, se comparoir y voulez en vostre personne, avec le conduict de la difformée femme, et apostat dessusdicte, et tous les parjures et aultres puissance telle que vouldrez et pourrez avoir, Nous, au plaisir de nostre Seigneur, y comparerons au nom de mondit seigneur le roy, en nostre personne. Et lors, se vous voulez aulcune chose offrir ou mettre avant regardant le bien de paix, nous l'orrons, et ferons tout ce que bon prince catholique doibt et puet faire. Et tous jours sommes et serons enclins et volontaires à toutes bonnes voies de paix, non fainte, corrompue, dissimulée, violée ne parjurée, comme à Monstreau fault Yonne celle dont, par vostre coulpe et consentement, s'ensuivit le très horrible, détestable et cruel murdre commis contre loy et honneur de chevalerie, en la personne de feu nostre très chier et très amé père, le duc Jehan de Bourgongne, cuy Dieux pardoinst. Par le moyen de laquelle paix par vous enfrainte, violée et parjurée, sont demourés et demeurent à tous jours mais, tous nobles et aultres subgetz de ce royaume et d'ailleurs, quittes et exemptz de vous et de vostre seigneurie, à quelque estat que vous ayez peu ou povez venir, et tous seremens de féaulté et de subjection les avez absolz et acquittés, comme par vos lettres patentes, signées de vostre main et de vostre seel, puet clèrement apparoir. Toutes voies, se pour le iniquité et malice des hommes ne povons proufiter au bien de paix, chascun de nous pourra bien garder et deffendre à l'espée sa cause et sa querelle, ainsi que Dieu, qui est seul juge, et auquel, et non à autre, mondit seigneur a à respondre, lui en donra grace. Auquel nous supplions humblement, comme à cellui qui scel et connoist le vrai droit et légitime querelle de mondit seigneur, que disposer en vuelle en son plaisir. Et par ainsy, le peuple de ce royaulme, sans telz foulemens et oppressions, pourra demourer en longue paix et seur repos, que tous rois et princes chrestiens qui ont gouvernement doivent quérir et demander. Si nous faictes sçavoir hastivement et sans plus délayer, ne passer temps par escriptures ne argumens, ce que faire ne vouldrez. Car se par vostre deffault plus grans maulx, inconvéniens, continuacions de guerre, pilleries, rançonnemens, occisions de gens et dépopulacions de pays adviennent, nous prenons Dieu en tesmoing et protestons devant lui et les hommes, que n'en serons point en cause, et que nous avons fait et faisons nostre debvoir. Et nous nous mettons et voulons mettre en tous termes de raison et d'honneur, soit préalablement, par moyen de paix ou journée de bataille de droit prince, quand autrement entre puissans et grans parties ne se pueent faire. En tesmoing de ce, nous avons fait seeller ces présentes de nostre seel. Donné audit lieu de Monstreau où Fault Yonne, le VIIe jour d'aoust, l'an de grace mil quatre cens vingt neuf. Ainsi signé. Par monseigneur le Régent du royaume de France duc de Bethfort. » Pendant ce même temps, le régent, duc de Bedford, ayant réuni à peu près dix mille combattants, amenés d'Angleterre ou recrutés en Normandie et en quelques autres marches de France, vint de Rouen à Paris, et partit de Paris, cherchant à rencontrer le roi Charles pour lui livrer bataille; il chemina durant plusieurs jours à travers la Brie, et arrivé à Montereau-fault-Yonne, il envoya par ses messagers des lettres scellées de son sceau, dont voici la teneur : « Nous, Jean de Lancastre, régent de France et duc de Bedford, à vous, Charles ![]() Donné audit lieu de Montereau-où-fault-Yonne, le septième jour d'août de l'an mil quatre cent vingt-neuf. Ainsi signé: Par Monseigneur, Le régent du royaume de France, Le duc DE BEDFORD. » ![]() ![]() Après lesquelles besongnes ainsi mises en conduite, est assavoir les Anglois et ceulx de leur nacion tous ensamble du costé de ladicte bataille de la main senestre, et les Picars et aultres de la nacion de France estoient à l'autre costé. Et se tinrent ainsi en bataille comme dit est, par très longue espace. Et estoient mis si avantageusement que leurs ennemis ne povoient les envayr par derrière, si non à trop grand dommage et danger. Et avec ce estoient pourveus de vivres et autres neccesitez, de la bonne ville de Senlis, dont ilz estoient assez près. D'aultre costé, le roy Charles, avec ses princes et capitaines, fist ordonner ses batailles. Et furent en son avant-garde la plus grande partie des plus vaillans et expers hommes de guerre de sa compaignie, et les aultres demourèrent en sa bataille, excepté aulcuns qui furent commis sur le derrière au lez vers Paris, par manière de arrière-garde. Et avoit avec ledit roy très grand multitude de gens, trop plus sans comparaison qu'il n'y avoit en la compaignie des Anglois. Si y estoit Jehenne la Pucelle, tousjours ayant diverses oppinions ; une fois vueillant combatre ses ennemis, et autrefois non. Nientmains, les deux parties, comme dit est, estant l'un devant l'autre prestz pour combatre, furent ainsi sans eulx désordonner par l'espace de deux jours et deux nuis, ou environ. Durant lequel temps y eut pluiseurs grandes escarmuches, lesquelles racompter chascune à par soy seroit trop longue chose. Mais entre les aultres y en eut une, dure et ensanglantée, au costé vers les Picars, laquelle dura bien l'espace d'heure et demie. Et y estoient du costé du roy Charles, grand partie d'Escoçois et aultres gens en grand nombre, qui très fort et asprement se combatirent. Et par espécial les archiers d'ycelles parties tirèrent de leur trait moult courageusement et en très grand nombre, l'un contre l'autre. Si cuidoient aulcuns des plus sachans desdictes parties, véans la besongne ainsi multipliée, que point ne se deussent partir l'un de l'autre que l'une des parties ne feust desconfite et vaincue. Toutefois, ils se traisent les ungs arrière des autres. Mais ce ne fut mie qu'il en demourast de chascune partie de mors et de bléciés largement. Pour laquelle escarmuche le dessusdit duc de Bethfort fut grandement content des Picars, pour ce que à ceste fois s'estoient portés vaillamment. Et après qu'ilz se furent retrais, vint ledit duc de Bethfort au long de leur bataille, les remercier en plusieurs lieux, moult humblement, disant : « Mes amis, vous estes très bonne gent, et avez soustenu grand fais pour nous, dont nous vous remercions; et vous prions que se, il vous vient aucun affaire, que vous persévérez en votre vaillandise et hardement, » Esquels jours ycelles parties estoient en grand hayne les ungs contre les aultres, et n'estoit homme, de quelque estat qu'il fust, qui fust prins à finance, ains mettoient tout à mort sans pitié ne miséricorde, qu'ils povoient attaindre l'un de l'autre. Et comme je fus informé, en toutes ces escarmuches [eut de mort (47)] environ trois cens hommes, des deux parties. Mais je ne sçay de quel costé il y en eut le plus. En la fin desquelz deux jours dessusdiz ou environ, les deux parties se deslogèrent, les ungs de devant les aultres sans rien faire. ![]() Après ces choses, le duc de Bedford, voyant qu'il ne pouvait rencontrer en une position avantageuse le roi Charles et son armée, et que plusieurs villes et forteresses lui faisaient soumission sans coup férir et sans résistance, se retira avec son armée sur les marches de l'Ile-de-France, dans le but d'empêcher que les principales villes ne se tournassent contre lui, ainsi qu'avaient fait les autres. D'autre part, le roi Charles, qui était déjà venu à Crépy, où il avait été reçu et obéi en souverain, se mit en marche à travers la Brie, en se rapprochant de Senlis. En ce lieu les armées du roi Charles et du duc de Bedford se trouvèrent l'une et l'autre fort près du Montépilloy, à côté d'une ville nommée Baron. De part et d'autre on fit des préparatifs, afin de prendre des avantages pour le combat qui semblait imminent. Le duc de Bedford prit position en un fort lieu, s'adossant par derrière et sur les côtés à de fortes haies d'épines. Au front de l'armée il disposa les archers, en bon ordre, tous à pied, ayant chacun devant eux leurs pieux aiguisés, fichés en terre. Le régent, avec sa seigneurie et les autres nobles, était près des archers; ils étaient massés en un seul corps de bataille ; entre autres enseignes, on remarquait les deux bannières de France et d'Angleterre. Avec elles était l'étendard de Saint-Georges, porté ce jour-là par le chevalier Jean de Villiers, seigneur de l'Isle-Adam. Dans l'armée de Bedford, l'on comptait de six à huit cents des gens du duc de Bourgogne. Les principaux étaient : le seigneur de l'Isle-Adam, Jean de Croy, Jean de Créquy, Antoine de Béthune, Jean le Fosseux, le seigneur de Saveuse, Messire Hue de Lannoy, Jean de Brimeu, Jean de Lannoy, Messire Simon de Lalaing, Jean, bâtard de Saint-Pol, et plusieurs autres hommes de guerre, parmi lesquels quelques-uns furent en ce jour faits chevaliers. Le bâtard de Saint-Pol le fut de la main du duc de Bedford ; les autres, comme Jean de Croy, Jean de Créquy, Antoine de Béthune, Jean le Fosseux, le Liégeois d'Humières, par les mains d'autres notables chevaliers. Toutes choses ainsi mises sur pied, il faut savoir que les Anglais et ceux de leur nation étaient réunis dans l'armée, sur la main gauche, tandis que les Picards et ceux de la nation de France étaient à l'opposé. Ils se tinrent ainsi en ordre de bataille, comme il a été dit, par un long espace de temps ; ils étaient campés si avantageusement qu'il ne pouvaient être envahis par derrière sans que les attaquants ne s'exposassent à de très grandes pertes et à grand danger ; avec cela ils étaient pourvus et rafraîchis de vivres et des autres choses nécessaires par la bonne ville de Senlis, qui était près. D'autre part, le roi Charles, avec ses princes et ses capitaines, fit ordonner ses combattants. L'on voyait dans son avant-garde la plus grande partie de ses plus vaillants et plus experts hommes de guerre ; les autres demeurèrent dans le corps de l'armée, où était le roi, excepté quelques-uns qui, par manière d'arrièree-garde, furent placés sur les derrières, du côté de Paris. Avec le roi se trouvait une très grande multitude de gens, bien plus sans comparaison qu'il n'en existait dans l'armée anglaise. ![]() Du côté de Charles, on voyait Jeanne la Pucelle, ayant toujours divers sentiments, tantôt voulant combattre ses ennemis, et tantôt non. Néanmoins les deux parties, ainsi l'une devant l'autre, prêtes au combat, furent sans se désordonner durant deux jours et deux nuits environ. Pendant ce temps il y eut plusieurs grandes escarmouches et plusieurs attaques, qu'il serait trop long de raconter dans le détail. Entre les autres, il y en eut une, âpre et sanglante qui dura bien une heure et demie, du côté des Picards. Ceux qui donnèrent du côté du roi Charles étaient en grande partie des Écossais, et d'autres, en très grand nombre, qui combattirent très fort et très âprement; spécialement les archers des deux armées firent des décharges nombreuses de leurs traits avec beaucoup de courage. Quelques-uns des plus experts des deux armées, voyant ainsi les rencontres se multiplier, pensaient bien qu'on ne se séparerait pas, sans que l'une des deux ne fût mise en déroute et vaincue. Elles se séparèrent cependant, non sans que dans les deux camps, il y eût largement des morts et des blessés. Le duc de Bedford fut grandement content des Picards qui dans l'engagement s'étaient cette fois comportés vaillamment. A leur retour de la mêlée, le duc de Bedford passa plusieurs fois devant leurs rangs, les remerciant très humblement à plusieurs reprises, disant : « Mes amis, vous êtes de très bonnes gens, vous avez soutenu grand faix pour nous ; ce dont nous vous remercions très grandement ; et nous vous prions, s'il nous vient quelque affaire, que vous persévériez en votre vaillance et hardiesse. » En ces jours les parties étaient fort animées les unes contre les autres ; aucun homme, de quelque état qu'il fût, n'était pris à rançon ; mais, sans pitié ni miséricorde, tous ceux qui pouvaient être atteints, tant d'un côté que de l'autre, étaient mis à mort. Ainsi que j'en fus informé, il y eut dans ces escarmouches environ trois cents morts, les deux parties comprises ; mais je ne sais de quel côté ils furent les plus nombreux. Après ces deux jours, ou environ, les deux armées se séparèrent l'une de l'autre, sans plus rien faire. ![]() ![]() Lesquelles remonstrances et pluiseurs aultres assez notablement déclairées par le dessusdit archevesque, furent dudit duc et des siens assez bénignement oyes. Et en la fin desquelles fut dit à yceulx ambaxadeurs: « Monseigneur et son conseil ont bien oy ce que vous avez dit. Il aura sur ce advis, et vous fera responce dedans briefz jours. » Et adonc ledit archevesque retourna en son ostel, avecques lui ses compaignons, qui de toutes gens estoient honuourés. Et pour lors, la plus grand partie de tous les estas du pays estoient très désirans que la paix se feist et concordast entre le Roy et le duc de Bourgongne. Et mesmement ceulx du moyen et bas estat y estoient si affectés, que dès lors, où il n'y avoit encore ne paix, ne trêves, aloient en ycelle ville d'Arras devers le dessusdit chancelier de France, impétrer en très grand nombre, rémissions, lettres de grâce, offices et aultres pluiseurs mandemens royaulx, comme se le Roy feust plainement en sa seigneurie, et que de ce feussent adcertenés. Lesquelz mandemens dessusdiz, ou en la plus grand partie, ilz obtenoient dudit chancelier. Et après, le duc de Bourgongne, avec ceulx de son privé conseil, fut par pluiseurs journées en grande délibéracion, et furent les besongnes entre lesdictes parties moult approuchiées. ![]() Pendant ce temps, les ambassadeurs du roi Charles de France étaient venus à Arras, vers le duc de Bourgogne, pour traiter de paix entre ces deux parties. Les principaux de ces ambassadeurs étaient l'archevêque de Reims, Christophe de Harcourt, les seigneurs de Dampierre, de Gaucourt et de Fontaines, chevaliers, avec d'autres gens d'état qui trouvèrent à Arras le duc et son conseil A leur arrivée, ils requirent audience dudit duc, et, quelques jours après, ils se rendirent à son hôtel où, par la bouche de l'Archevêque, l'objet de l'ambassade fut exposé très sagement et authentiquement, en présence de la chevalerie, du conseil, et de plusieurs autres admis à cette audience. Il remontra, entre autres choses, la parfaite affection, le vrai désir du roi de faire la paix avec lui et d'en venir à un traité; ajoutant que, pour y parvenir, ce même roi était content de de faire des avances et de condescendre, en faisant des offres de réparation plus qu'il n'appartenait à sa majesté royale. Il excusa le roi sur sa jeunesse de l'homicide perpétré autrefois en la personne du feu duc Jean de Bourgogne, son père, alléguant qu'en ses jeunes années il était sous le gouvernement de gens qui n'avaient pas d'égards et de considération au bien du royaume ni de la chose publique, et qu'en ce temps il n'aurait osé ni les dédire ni se les aliéner. Ces considérations et plusieurs autres fort notables, exposées par l'Archevêque, furent ouïes avec faveur par le duc et par les siens. A la fin il fut répondu aux ambassadeurs : « Monseigneur a bien ouï ce que vous avez dit : il aura avis sur ce, et vous fera réponse dans peu de jours ». L'Archevêque retourna à son hôtel, et avec lui ses collègues d'ambassade que toutes gens honoraient. Pour lors la plupart des gens du pays étaient très désireux de voir la paix et la concorde s'établir entre le roi et le duc de Bourgogne. Ceux du moyen et du bas état y étaient même si affectionnés que, dès lors, avant qu'il fût intervenu paix ou trêve, ils allaient à la ville d'Arras, vers le chancelier de France, pour en impétrer en très grand nombre des lettres de rémission, des lettres de grâce, des offices et plusieurs autres faveurs royales, comme si le roi eût été déjà pleinement en sa seigneurie, et qu'ils en eussent été certains. Ils obtenaient du chancelier la plupart des faveurs sollicitées. Par suite, le duc de Bourgogne fut, durant plusieurs jours, en délibération avec son conseil privé, et les affaires entre les parties furent très approchées. ![]() ![]() Et pareillement, en ces propres jours fut prinse d'emblée la forteresce d'Astrapagni (48), du seigneur de Rambures et de ses gens. Et d'aultre costé, sur Saine, fut réduite en l'obéyssance du Roy Charles la forteresce de Chastiau Gaillard, qui est exelentement scituée en forte place. Dedens laquelle estoit prisonnier, de long temps par avant, ce vaillant et notable chevalier, le seigneur de Barbazan. Lequel, comme dit est en autre lieu, avoit esté prins dedens Melun par la force et puissance du roy Henry d'Angleterre. Par le moyen duquel Barbazan ycelle forteresce fut mise en l'obéyssance d'yceluy Roy Charles, et lui desprisonné. Si y commist en brief aulcuns de son party, et s'en ala au plus tost qu'il pot devers le Roy Charles, duquel il fut moult conjoy et honnouré. En oultre, fut prinse et mise en la main des François la forteresce de Torsy (49), par le moyen d'aulcuns du pays, qui avoient repaire dedens avec les Anglois, lesquelz ilz trahirent et mirent ès mains de leurs ennemis. Ainsi doncques, en assez brief temps furent françoises les quatre forteresces dessusdictes, qui estoient les plus fortes, à l'eslite, dedens les pays où elles estoient assises. Pour la prinse desquelles le pays fut fort traveillé, tant par les garnisons des François, comme par celles des Anglois. ![]() ![]() ![]() Auquel lieu retournèrent devers lui son chancelier et ses autres ambassadeurs, que par avant il avoit envoyés devers le duc de Bourgongne. Avec lequel et ceulx de son conseil, ilz avoient tenu pluiseurs et destrois parlemens. Nientmains ilz n'avoient riens concordé. Mais en conclusion avoient esté d'accord que ledit duc envoieroit sa légacion vers le roy Charles, pour au sourplus avoir advis et entretenement. Si fut alors informé que la plus grand partie des principaulx conseillers dudit duc de Bourgongne avoient grand désir et affection que ycelles deux parties fussent réconciliées L'une avecques l'autre. Toutefois, maistre Jehan de Thoisy, évesque de Tournay, et messire Hue de Lannoy, qui prestement venoient de devers le duc de Bethfort et avoient de par lui charge de faire aucunes remonstrances audit duc de Bourgongne, en lui admonestant de entretenir le sairement qu'il avoit fait au roy Henry, n'estoient point bien contens que ledit traictié se fist. Sur la parole desquelz fut le traictié atargié, et prins aultre journée d'envoyer devers le roy Charles légacion, comme dit est. Pour laquelle faire furent commis, messire Jehan de Luxembourg, l'évesque d'Arras, messire David de Brimeu et aulcuns aultres notables et discrètes personnes. ![]() En ce mesme temps, messire Lionnel de Bournonville, qui avoit perdu la ville et forteresce de Creil, requist au duc de Bethfort qu'il lui baillast de ses gens pour reconquerre ung sien chastel, nommé le Bretèche, que les François avoient prins. Laquelle chose lui fut accordée. A tout lesquelz il s'en ala à sadicte forteresce. Si la print d'assault, et mist à mort ceulx qui dedens estoient. Mais en ce faisant il fut navré, dont il moru. Après la journée de Senlis, où le roi Charles et le duc de Bedford avaient été avec toutes leurs forces l'un contre l'autre, le roi revint à Crépy-en-Valois. Là lui furent apportées les nouvelles que les habitants de Compiègne voulaient lui faire obéissance ; aussi, sans nul délai, se rendit-il dans cette ville, où il fut reçu en grande liesse des habitants, et il se logea en son hôtel royal. C'est là que revinrent vers lui le chancelier et les autres ambassadeurs qu'auparavant il avait envoyés vers le duc de Bourgogne, avec lequel ils avaient tenu des conférences étroites, ainsi qu'avec ses conseillers. Cependant il n'y avait pas eu d'accord arrêté; mais, en conclusion, il avait été convenu que le duc enverrait de son côté une ambassade vers le roi Charles pour avoir son avis et continuer les conférences. Je fus alors informé que la plupart des principaux conseillers du duc de Bourgogne avaient grand désir et affectionà ce que les deux parties opérassent leur réconciliation. Toutefois Maître Jean de Thoisy, évêque de Tournay, et Messire Hue de Lannoy, qui venaient présentement de vers le duc de Bedford, et étaient chargés par lui de faire des observations au duc de Bourgogne, de l'exhorter à tenir le serment fait au roi Henri, n'étaient pas bien contents que le traité se fît. C'est sur leur parole que la conclusion fut retardée, et qu'on prît une autre journée pour envoyer une légation vers le roi Charles. Elle fut confiée à Messire Jean de Luxembourg, évêque d'Arras, à Messire David de Brimeu et à d'autres notables et discrètes personnes... ![]() ![]() Esquelz jours aussi, firent obéyssance au roy dessusdit pluiseurs bonnes villes et forteresces. Est assavoir Beauvais, Creil, le Pont-Sainte-Maxence, Choisi, Gournay-sur-Aronde, Remy, la Neufville-en-Heez ; et à l'autre costé, Mognay, Chantilly, Saintines et pluiseurs aultres. Aussi lui firent sairement de fidélité les seigneurs de Montmorenci et de Moy. Et pour vérité, se il, à tout sa puissance, fust venu à Saint-Quentin, Corbie, Amiens, Abbeville et pluiseurs aultres fortes villes et fors chasteaulx, la plus grand partie des habitans d'ycelles estoient tous pretz de le recevoir à seigneur, et ne désiroient ou monde aultre chose que de luy faire obéyssance et plaine ouverture. Toutefois, il ne lui fut point conseillé de traire si avant sur les marches du duc de Bourgongne, tant pour ce qu'il le sentoit fort de gens de guerre, comme pour l'espérance qu'il avoit que aulcun bon traictié se feist entre eulx. Et après que le roy Charles eust sousjourné dedens Senlis aulcuns peu de jours, il se party de là et s'en ala, à tout son ost, logier à Saint-Denis, qu'il trouva comme habandonnée, et s'en estoient, les gens d'ycelle, fuys à Paris, c'est assavoir grand partie des plus puissans bourgois et habitans d'ycelle ville. Et ses gens se logèrent à Aubert Villers, à Montmartre et ès villages environ, assez près de Paris. Si estoit lors avec ledit roy Jehenne la Pucelle, qui moult avoit grand renommée, laquelle chascun jour induisoit le Roy et ses princes ad ce qu'il feist assaillir la ville de Paris. Si fut conclud que le lundi, XIIe jour de septembre, ou livreroit ledit assault. Après laquelle conclusion prise, on fist apprester toutes gens de guerre. Et à ce propre lundi dessusdit, se mist le roy Charles en bataille, entre Paris et Montmartre, ses princes avec lui. Et ladicte Pucelle, avec ly ceulx de l'avant-garde en très grand nombre, s'en ala, à tout son estandart, à la porte Saint-Honnouré, faisant porter avec ly pluiseurs eschelles, fagos et aultres habillemens d'assault. Auquel lieu elle fist entrer dedens les fossés pluiseurs de ses gens, tous à pied. Et commença l'assault à dix heures ou environ, moult dur, aspre et cruel, lequel dura en continuant, de quatre à cinq heures, ou plus. Mais les Parisiens, qui estoient dedens leur ville accompaigniés de Loys de Luxembourg, évesque de Terrewane et chancelier de France pour le roy Henry, et d'aulcuns aultres notables chevaliers que le duc de Bourgongne leur avoit envoyé, comme le seigneur de Créqui, le seigneur de l'Isle-Adam, messire Simon de Lalaing, messire Walerant de Beauval et aulcuns aultres notables hommes, accompaigniés de quatre cens combatans, se défendirent viguereusement et de grand courage. Et avoient par avant ledit assault, ordonné par capitaineries, à chascun sa garde, ès lieux propices et convenables. Durant lequel assault furent renversés et abatus plusieurs desdiz François, et en y eut très grand nombre de mors et de navrés par les canons, culevrines et autre traict que leur gectoient lesdiz Parisiens. Entre lesquelz la Pucelle fut très fort navrée, et demoura tout le jour ès fossés derrière une dodenne, jusques au vespre, que Guichard de Chiembronne et aultres, l'alèrent querre. Et d'aultre part y eut navrés pluiseurs des défendans. Et finablement, les capitaines François, véans leurs gens en tel péril, considérons qu'il leur estoit chose impossible de conquerre la ville par force, entendu que yceulx Parisiens avoient une commune voulenté d'eulx défendre sans y avoir division, firent soudainement sonner la retraite, et en reportant les dessusdiz mors et navrés, retournèrent à leurs logis. Et lendemain, le roy Charles, triste et dolent de la perte de ses gens, s'en ala à Sentis, pour garir et médéciner les navrés. Et les dessusdiz Parisiens, plus que par avant, se reconformèrent les ungs avec les autres, prometans que de tout leur puissance ils résisteraient jusques à la mort contre ycelui roy Charles, qui les vouloit, comme ilz disoient, du tout destruire. Et puet bien estre qu'ilz le clamoient, comme ceulx qui grandement se sentoient fourfais par devers lui, en le ayant débouté de ladicte ville. Et avoient mis à mort cruelle pluiseurs de ses féables serviteurs, comme en aultre lieu est plus à plain déclairé. ![]() Le roi Charles de France étant encore à Compiègne reçut des nouvelles d'après lesquelles le duc de Bedford, le régent, s'en allait avec une armée en Normandie pour combattre le Connétable, qui travaillait fort le pays du côté d'Évreux. Par suite, le roi Charles quitta Compiègne après un séjour de douze jours environ, y laissant Guillaume de Flavy pour capitaine. Avec son armée il alla à Senlis qui, après traité, se rendit au roi. Il se logea dans ses murs avec une grande partie de ses gens ; les autres se logèrent dans les villages environnants. En ces jours firent obéissance au roi plusieurs villes et forteresses : Beauvais, Creil, Pont-Sainte-Maxence, Choisy, Gournay-sur-Aronde, Remy, la Neuville-en-Reez, et de l'autre côté Mognay, Chantilly, Saintines et plusieurs autres. Lui firent aussi serment les seigneurs de Montmoren cy et de Moy. Et en vérité, si, avec son armée, il fut venu à Saint-Quentin, Corbie, Amiens, Abbeville et devant plusieurs autres villes et chateaux forts, la plupart de leurs habitants étaient tout prêts à le recevoir comme seigneur, et ils ne désiraient autre chose au monde que de lui faire obéissance et pleine ouverture. Toutefois il ne fut pas conseillé de s'avancer si avant sur les marches du duc de Bourgogne, tant parce qu'il le sentait fort de gens d'armes, que pour l'espérance qu'il avait qu'il se fît entre eux quelque bon traité. Après un séjour de peu de jours à Senlis, le roi en partit et avec toute son armée alla se loger à Saint-Denis; les gens s'en étaient enfuis à Paris, je veux dire les plus grands bourgeois et plus notables habitants. Ses gens se logèrent à Aubervilliers, à Montmartre, et aux villages près de Paris. Alors était avec le roi Jeanne la Pucelle, qui avait très grande renommée. Chaque jour elle exhortait le roi et ses princes à faire assaillir la ville de Paris. Il fut conclu que cet assaut serait livré le lundi 12 septembre. Cette conclusion arrêtée, on fit apprêter tous les gens de guerre, et ce lundi le roi se mit en bataille entre Paris et Montmartre, ses princes avec lui. La Pucelle, avec l'avant-garde qui était fort nombreuse, s'en alla, son étendard en mains, à la porte Saint-Honoré, faisant porter avec elle plusieurs échelles, des fagots, et d'autres appareils nécessaires à un assaut. Là elle fit entrer plusieurs de ses gens à pied dans les fossés et elle commença l'assaut à dix heures environ ; il fut très dur, âpre et cruel, et dura sans discontinuer de quatre à cinq heures, ou même plus. Les Parisiens se défendirent vigoureusement et avec grand courage, soutenus qu'ils étaient par Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne et chancelier de France pour le roi Henri, et par plusieurs autres notables chevaliers que le duc de Bourgogne leur avait envoyés, tels que le seigneur de Créquy, le seigneur de L'Isle-Adam, Messire Simon de Lalaing, Messire Waleran de Beauval, et d'autres notables hommes qui avaient amené quatre cents combattants. Avant ledit assaut, on avait assigné à chacun, par capitainerie, la garde des lieux propices et convenables. Pendant cet assaut, plusieurs Français furent renversés et abattus, un très grand nombre furent tués et blessés par les canons, les coulevrines, et les autres armes de trait que les Parisiens déchargeaient contre eux. Jeanne la Pucelle fut très fort navrée (blessée); elle demeura tout le jour dans les fossés derrière le revers du talus, jusqu'au soir que Guichard de Thiembronne et d'autres allèrent la quérir. D'autre part il y eut plusieurs blessés parmi les défenseurs de la ville. Finalement, les capitaines français, voyant leurs gens en si grand péril, et considérant qu'il leur était impossible d'emporter la ville de force, alors que les Parisiens étaient unanimes à vouloir se défendre, sans qu'il y eût division parmi eux, firent soudainement sonner la retraite, et retournèrent à leurs logis, en emportant les morts et les blessés. Le lendemain le roi Charles, triste et affligé de la perte de ses gens, s'en alla à Senlis pour procurer la guérison et les soins des blessés. Les Parisiens se confirmèrent encore les uns les autres dans leur dessein, promettant qu'ils résisteraient jusqu'à la mort de toutes leurs forces, au roi, qui, à ce que l'on disait, voulait entièrement les détruire. Peut-être le craignaient-ils, se sentant gravement coupables envers lui qu'ils avaient privé de sa capitale, et vu qu'ils avaient mis à mort plusieurs de ses loyaux sujets, comme il a été plus pleinement exposé ailleurs. ![]() ![]() Item, en ce temps le duc de Bourgongne fist évoquer par toutes les marches de Picardie tous ceulx qui avoient acoustumé de eulx armer, et aussi ès pays à l'environ, pour estre prestz chascun jour pour aler avec lui où il les vouldroit conduire. Si furent en peu de temps en très grand nombre, et passèrent monstre à Biauquesne, en faisant sairement à messire Jaque de Brimeu ad ce commis, comme mareschal. Si se retrayrent vers Abbeville et Saint Riquier, où ilz furent maint espace, attendant que ledit duc fust prest. Dont le pays fut moult fort oppressé. ![]() ![]() Si demoura la marche de France et de Biauvoisis en grande tribulacion, pour ce que ceulx qui estoient ès forteresces et ès garnisons, tant des François comme des Anglois, couroient chascun jour l'un contre l'autre. A l'occasion desquelles courses, les villages de là entour se commencèrent à despeupler, et les bonnes gens et habitans eulx retraire ès bonnes villes. Charles, roi de France, voyant que la ville de Paris, la capitale de son royaume, ne voulait pas se mettre en son obéissance, arrêta avec ses conseillers de laisser des gouverneurs et des capitaines institués par lui dans toutes les bonnes villes, cités et châteaux rentrés en son obéissance, et de retourner ensuite ès pays de Touraine et de Berry. La chose ainsi conclue, il constitua chef principal dans l'Ile-de-France et le Beauvaisis Charles de Bourbon comte de Clermont, et avec lui le comte de Vendôme et le chancelier. Le comte de Clermont et le chancelier se tenaient le plus souvent en la ville de Beauvais, et le comte de Vendôme à Senlis, Guillaume de Flavy à Compiègne, Messire Jacques de Chabannes à Creil. Le roi, avec les grands seigneurs qui l'avaient accompagné dans son expédition, retourna de Senlis à Crépy ; et de là, par devers Sens en Bourgogne, il retourna aux pays ci-dessus indiqués. Toutefois les trêves furent confirmées entre les Bourguignons et les Français jusqu'au jour des prochaines Pâques, et avec cela le passage du Pont-Sainte-Maxence, que tenaient les Français, fut remis entre les mains de Renauld de Longueval pour en être gardé. La marche de France et de Beauvaisis demeura par là en grande tribulation. Ceux qui étaient ès forteresses et garnisons, tant les Français que les Anglais, couraient chaque jour les uns contre les autres. Par suite de ces courses, les villages des environs commencèrent à se dépeupler, et les bonnes gens et les habitants se retiraient ès bonnes villes. ![]() ![]() Si fut ledit duc moult regardé des François, qui estoient en grand nombre, de pied et de cheval, au dehors de la ville de Senlis. Et y venoient seurement armés comme bon leur sambloit, par le moyen des trèves qui estoient entre les parties. Car celui duc, armé de plain harnas (52), sinon de la teste, séoit sur ung tres bon cheval, et estoit moult gentement habillié, sept ou huit de ses paiges après lui, chascun monté sur bons coursiers; Devers lequel duc et sadicte seur vint premiers l'archevesque de Rains, chancelier de France, à plains champs, au dehors de la dessusdicte ville de Senlis, faire révérence. Et assez brief ensuivant y vint Charles de Bourbon, conte de Clermont, accompaignié de soixante chevaulcheurs ou environ. lequel venu jusques assez près dudit duc, ostèrent leurs chapperons et enclinèrent de leurs chiefs l'un l'autre, en disant aulcunes parolles de salutacions, non mie en embrassant l'un l'autre par manière de grand amour et joieuseté, ainsi que ont accoustumé de faire si prouchains de sang qu'ilz estoient l'un à l'autre. Après laquelle salutacion, ledit de Bourbon ala baiser sa belle seur de Bethfort, qui estoit assez près au dextre lez de son frère le duc de Bourgongne. Si firent aucune briève recongnoissance. Et tantost retourna devers son beau frère le duc de Bourgongne, duquel, quand alors, on ne vit point d'apparence qu'il y eust grand amour ne désir d'avoir grand parlement avec ycelui conte de Clermont, son beau frère. Ains, sans chevaulchier l'un avec l'autre, ne faire long convoy, se départirent en prenant congié l'un à l'autre en propre lieu où ilz estoient. Et retournèrent lesdiz Charles de Bourbon et chancelier dedens la cité de Senlis, à tout leurs gens. Et ledit duc de Bourgongne, comme dit est, et sa seur, s'en alèrent au giste à Louvres. Duquel lieu lendemain ilz se partirent en alant vers Paris, où desjà estoit retourné de Normendie le duc de Bethfort. A la venue duquel furent faites grandes accolés et joieuses récepcions de l'un à l'autre. Si furent, assez près de Paris, toutes les gens du duc de Bourgongne mis en bataille par bonne ordonnance, où ilz furent grand espace, tant que les fouriers eussent esté dedens ladicte ville pour ordonner les logis. Et après, yceulx princes et la duchesse entrèrent dedens ladicte ville, et généralment toutes les gens d'armes. A la venue duquel duc de Bourgongne fut faite grand joie des Parisiens. Si y crioit-on Noël par tous les quarefours où il passoit. Et convoia ledit régent et sa femme jusques à l'ostel des Tournelles, et puis s'en ala logier en son hostel d'Artois (53). Et aulcuns jours ensuivans, furent entre yceulx princes et ceulx de leur conseil tenus pluiseurs grans concilies sur les affaires de la guerre, qui estoient moult pesans. Et entre les aultres choses fut par les Parisiens requis au duc de Bourgongne qu'il lui pleust à entreprendre le gouvernement de la ville de Paris, qui moult avoit à lui grande affection, et estoient de présent tous prestz de maintenir sa querelle et de feu son père; disant oultre, qu'il estoit nécessité qu'il accordast leur requeste, considéré les affaires que avoit le régent, tant en Normendie comme ailleurs. Laquelle chose ledit duc de Bourgongne fist et leur octroia de entreprendre la charge jusques après Pasques ensuivant. Mais ce fut très envis. Si conclurent les dessusdiz ducz de Bethfort et de Bourgongne, que vers Pasques, à la saison nouvelle, se monteroient sus, chascun à tout grand puissance, pour reconquerre les villes qui s'estoient tournées contre eulx en la marche de France et sur la rivière d'Oise. Après lesquelles conclusions, le duc de Bethfort, avec sa femme et ses Anglois, se départit de ladite ville de Paris. Et ledit duc de Bourgongne commist capitaine de Paris le seigneur de l'Isle Adam, à tout petit nombre de gens. Et à Saint-Denis, au bois de Vissaines (54), au pont de Charenton, et ès autres lieux nécessaires auprès de ladicte ville, ordonna capitaine de ses gens. Et après qu'il eust sousjourné dedens ycelle ville de Paris l'espace de trois sepmaines, prenant congié premiers à la royne de France, mère du roy Charles, s'en retourna par les chemins dont il estoit venu, en son pays d'Artois, et de là en Flandres. Avec lequel se départirent pluiseurs bourgois de Paris de leur dicte ville, et aultres gens marchans. ![]() ![]() ![]() Si en fut, entre les autres courses, faite une d'un vaillant homme d'armes d'Engleterre, nommé Foucques. Avec lequel s'estoient mis aulcuns hommes d'armes de ladicte partie de Bourgongne, qui se tenoient à la Noefville le Roy (55), en ung bel chastel qu'ilz avoient réparé. Et tous ensamble atèrent acueillier la proie, de la ville de Creil. Et avoient laissié une embusche adfin que se leurs ennemis sailloient contre eulx, qu'ilz les peussent surprendre. Laquelle chose advint ainsi qu'ilz l'avoient ymaginé. Car messire Jaques de Chabonnes, qui estoit principal capitaine de la ville de Creil, tantost qu'il oyst l'effroy, s'arma incontinent sans délay, monta à cheval, et de grand voulenté ala férir de plains eslais en ses ennemis. Desquels, de première venue, fut prins prisonnier ung nommé George de Croix, el aulcuns aultres rués par terre. Et eut entre ycelles parties très grande escarmuche. Mais en conclusion, par la vaillandise et recouvrer dudit Fauques, fut le dessusdit Jaques de Chambonnes détenu prisonnier, et avec lui deux chevaliers et aulcuns autres des meilleurs gens. Toutefois, en ce faisant, ycelui Faucques fut féru à descouvert en la gorge, de la pointe d'une espée, ung bien petit cop, duquel il moru tout prestement. Pour la mort duquel, tous ceulx de son parti là estans, qui de lui avoient congnoissance, eureut au cuer moult grand tristesce. Car ilz le tenoient pour le plus vaillant et expert en armes de tout le pays d'Angleterre. Si se rassamblèrent les Anglois, desquelz pour lors estoient les principaulx, Bohort de Bazentin et Robinet Eguethin; si emmenèrent leurs prisonniers en leurs forteresces. Et en dedens assez briefz jours firent traictié avec messire Jaque de Chabennes, par sy qu'en paiant certaine somme il fut délivré, moyennant aussi qu'il rendi ledit Jorge de Croix. Item, en ces jours le duc de Bethfort, considérant que la forteresce du Chasteau Gaillard estoit scituée en moult fort lieu et advantageus pour grandement grever et guerroyer le pays de Normendie, se conclut que avant que ses ennemis qui dedens estoient fussent pourveus de vivres, ne fortifiés de gens, de les faire asségier par les Anglois. Laquelle chose il fist, et y fut le siège de six à sept mois, en la fin desquelz lesdiz asségiés rendirent ladicte forteresce, par faulte de vivres, et s'en alèrent, à tout partie de leurs biens. ![]() ![]() ![]() D'aultre costé, en ce temps, les gens qui estoient soubz Alain Gerou, Gauchier de Bruissart et aulcuns aultres capitaines, vinrent à un point du jour en la ville de Saint-Denis, dedens laquelle estoit venu nouvellement Jehan de Brimeu, à tout certain nombre de compaignons qu'il avoit amenés du pays d'Artois, et avec lui estoient les gens du seigneur de Saveuses. Si entrèrent dedens par eschielles une partie d'yceulx François, et ouvrirent une des portes par où les autres en très grand nombre se boutèrent dedens. Et commencèrent en pluiseurs lieux à crier, ville gaignée! en abatant huis et fenestres, et envayssant pluiseurs maisons où estoient leurs ennemis. Lesquelz, oyans ainsi soubdainement si grans cris parmi la ville, furent tous effraiés. Si se traisent tantost eu aulcuns fors lieux d'ycelle, est assavoir Jehan de Brimeu et pluiseurs avec lui, en l'abbaye, le bastard de Saveuse en la porte de Paris, et les aultres se mirent en aulcunes portes et tours, à sauveté. Et d'aultre part en y eut grand partie qui en yssant de leurs logis, contendans à aler devers leurs capitaines ou à eulx assambler, furent prins prisonniers, et les aulcuns occis. Entre lesquelz furent prins Florimont de......(56), Anthoine de Wistoc, Thieri de Malinghehem, et douze à seize autres, desquelz il en y avoit une partie gentilshommes. Et y furent mors Estevenin de Thenequettes, Jehan de Haute Cloche, et aulcuns aultres en petit nombre. Durant lesquelles besongnes les gens des dessusdiz seigneurs et Jehan de Brimeu reprinrent vigueur en eulx, et commencèrent à eulx assambler en aulcuns lieux, au cry et par introduction de ung vaillant homme d'armes, nommé Guillaume de Beauval, lequel en grand hardiesse rassambla aucuns de ceulx de leur parti, et envay ses ennemis, qui en pluiseurs parties, sans tenir grande ordonnance, entendoient au pillier. Finablement ilz furent reboutés dehors, et mesmement y perdirent aulcuns de leurs gens jusques au nombre de huit ou dix. Et alors, le seigneur de Saveuses, qui estoit dedens Paris, oyant ces nouvelles, assambla hastivement ce qu'il put avoir de gens, et sans délay chevaulcha viguereusement devers ladicte ville de Saint-Denis, en intencion de bailler souscours à ses gens. Mais avant qu'il y peust venir, yceulx François s'estaient retrais devers Senlis et les aultres garnisons, et avoient emmené grand nombre de chevaulx de ceulx de la ville. Item, en ce temps furent asségiés des Anglois le seigneur de Rambures dedens la forteresce d'Esterpaigni (57), appartenant héritablement au conte de Tancarville. Devant laquelle, yceulx Anglois tant continuèrent de combatre par leurs engiens et aultrement, que en conclusion ledit seigneur de Rambures, non ayant espérance d'avoir souscours, fist traictié avec yceulx Anglois en eulx rendant ladicte forteresce, par condicion que lui et ses gens, à tout leurs biens, se départiraient sauvement. ![]() ![]() Item, ou mois de janvier oudit an, messire Thomas Kiriel, anglois, à tout quatre cens combatans ou environ, dont la plus grand partie estaient anglois, se départirent de Gournay en Normandie, où alors se tenoit en garnison, et par devers Beauvais s'en ala en Beauvoisis vers la contée de Clermont. Ouquel pays il fist grand dommage en prenant bestail et autres baghes, et par espécial chevaulx. Si chevaulcha jusques ès faulxbourgs de Clermont, et lendemain print son chemin à retourner vers sa garnison. Et adonc, le conte de Clermont, qui estoit à Beauvais, sachant l'entreprinse dudit messire Thomas, assambla promptement de toutes les garnisons de la marche environ tenans le party du roy Charles, jusques à huit cens combatans et plus, avec lesquelz se mirent grand nombre de paysans, tant de la ville de Beauvais comme des villages d'entour, et tous ensamble s'en alèrent pour rencontrer et combatre ledit messire Thomas et ses gens. Lesquelz ils trouvèrent à une grande lieue ou environ dudit lieu de Beauvais, où ils s'estoient mis en bataille pour recepvoir leurs ennemis, dont ilz sçavoient assez la venue par leurs coureurs qui leur en avoient fait rapport. Et estoient lesdiz Anglois tous à pied, adossés d'un bois, et par devant eulx avoient fiché penchons, par quoy on ne les povoit rompre de cheval, sinon à grand dangier. Nientmains ilz furent desdiz François très fort envays et approchés, et y eut entre ycelles parties très dure et aspre escarmuche. Et assez brief, les François, qui estoient à cheval, furent reboutés par le trait des archiers anglois. A cause duquel trait, lesdiz François se commencèrent à desroyer, et yceulx Anglois, ce voians, saillirent vistement après eulx et s'efforcèrent de plus en plus les envayr et combatre, tant que en conclusion ilz demourèrent victorieux sur la place, et occirent de leurs ennemis, et en prinrent environ cent, est assavoir desdiz paysans. Et ceulx de cheval s'en retournèrent tous confus et anoyeux à Beauvais. Et ycelui messire Thomas, ayant grand joye de sa victoire, à tout son gaignage, s'en retourna sauvement à Gournay en Normendie. En ce temps, fut le siège mis par le conte de Suffort, anglois, de le chastel de Daumarle (58), ouquel estoit capitaine le seigneur de Rambures, avec lui de cent à six vingts combatans. Si fut ledit chastel de toutes pars advironné, et tellement furent constrains, que après que ledit siège y eust esté vingt quatre jours, ledit seigneur de Rambures et toutes ses gens se rendirent, sauf leurs vies, réservé trente ou environ, qui furent pendus, pour ce que autre fois avoient fait saire-ment auxdiz Anglois et tenu leur party. Et brief ensuivant, ledit seigneur de Rambures fut mené prisonnier en Angleterre, où il demoura prisonnier de cinq à six ans, avant qu'il peust trouver sa délivrance. Si fut ladicte forteresce regarnie de vivres et de gens. Et par ainsi yceulx Anglois reconquirent en cest an pluiseurs fortes places que les François avoient gaignées sur eulx, à peu de perte de leurs gens. ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Si commencèrent dedens briefz jours La Hire et ses compaignons à dommager le pays à l'environ en plusieurs lieux, et couroient souvent jusques bien près de Rouen. Et en estoit le povre peuple malement grevé et oppressé. Dont grandement desplaisoit aux Anglois. Mais pour le présent ne le povoient amender, considérés leurs aultres grans affaires. ![]() ![]() Premiers, y estoit ledit duc, chief et fondateur d'ycelle, en après y estoit Guillaume de Viane (61), seigneur de Saint-George, messire Renier Pot, seigneur de La Roche, le seigneur de Roubaix, le seigneur de Montagu, messire Roland de Hutquerque, messire Anthoine du Vergi, conte de Dampmartin, messire David de Brimeu, seigneur de Ligni, messire Hue de Lannoy, seigneur de Santes, messire Jehan, seigneur de Commines, messire Anthoine de Toulongon, ma-reschal de Bourgongne, messire Pierre de Luxembourg, conte de Conversen, messire Jehan de La Tremoulle, seigneur de Jonvelles, messire Jehan de Luxembourg, seigneur de Beaurevoir, messire Guillebert de Lannoy, seigneur de Willerval, messire Jehan de Vilers, seigneur de l'Isle-Adam, messire Anthoine, seigneur de Croy et de Renty, messire Florimont de Brimeu, seigneur de Massicourt, messire Robert, seigneur de Mamimes, messire Jaque de Brimeu, seigneur de Grigni, messire Baudouin de Lannoy, seigneur de Moulenbais, messire Pierre de Bauffremont, seigneur de Chargni, messire Phelippe, seigneur de Teurnant, messire Jehan, seigneur de Créqui, messire Jehan de Croy, seigneur de Tours sur Marne. ![]() Lesquelz chevaliers, comme dit est, au recepvoir ladicte ordre, firent, et debvoient faire leurs successeurs, pluiseurs sollempnelles promesses et notables ordonnances pour l'entretenement d'ycelle, desquelles cy après en ce présent livre sera faite mencion plus à plain, après que ladicte ordre sera du tout parfurnie en son droit nombre. Car depuis que les dessus nommés y furent mis, certain espace de temps après en y eut adjoustés aulcuns aultres. Si debvoient les hoirs d'yceulz chevaliers renvoyer après leur trespas audit duc de Bourgongne ledit colier, pour le bailler à ung autre chevalier. ![]() ![]() ![]() ![]() Lesquelz finablement tournèrent à garison. Et les dessusdiz François s'en retournèrent à Compiengne. En ce temps, les François, tenans les frontières de la rivière d'Oise et du pays de Beauvoisis, couroient chascun jour sur ceulx tenans le parti de Bourgongne. Et pareillement ceulx de la partie de Bourgongne couroient sur les mettes d'yceulx François, non obstant les trêves par avant seellées entre les dictes parties jusques aux Pasques en suivans. A l'occasion desquelles courses, tous les villages, ou en la plus grand partie d'yceulx pays, se commencèrent à despeupler. En après, le duc Phelippe de Bourgongne convoqua de pluiseurs ses pays très grand nombre de gens d'armes, lesquelz il assambla vers Péronne. Et lui mesme et sa femme, la duchesse, sollempnisèrent la feste de Pasques dedens ladicte ville de Péronne. Après laquelle passée il se tira, à tout ses gens d'armes, à Mondidier, où il fut par aulcuns jours. Durant ces tribulacions se rendirent en l'obéissance du roy Charles la ville et chasteau de Melun, laquelle par avant avoit esté baillée en garde au seigneur de Humières, qui pour l'entretement d'ycelle y avoit constitué aulcuns de ses frères, à certain nombre de gens d'armes. Lesquelz, par les habitans de ladicte ville, en furent déboutés et mis dehors. Dont le roy Charles et ceulx de son parti furent moult joyeux, pour tant que par le moyen d'ycelle ilz povoient par là passer à leur plaisir par la rivière de Saine. Et avec ce, estoit située et assise ou plus fort lieu de tout le pays environ. ![]() ![]() ![]() Si fut celle composicion faicte ainsy hastivement, pour ce que audit duc de Bourgongne et à messire Jehan de Luxembourg, vindrent certaines nouvelles que le damoiseau de Commercis, Yvon du Puis, et aultres capitaines, à tout grand nombre de combatans, avoient asségié la forteresse de Montagu. Laquelle chose estoit véritable. Car le dessusdit de Commercis, à cuy ladicte forteresce appartenoit, y avoit secrètement amené grand nombre de combatans, à tout bombardes, veuglaires et autres habillemens de guerre, tendans ycelle par soubdain assault ou aultrement, par force réduire en son obéyssance. Nientmains elle fut viguereusement deffendue par ceulx que messire Jehan de Luxembourg y avoit commis, ou gouvernement duquel elle estoit. Entre lesquelz y estoit commis de par lui en la garde d'ycelle comme principaulx capitaines, deux hommes d'armes dont l'un estoit d'Angleterre, nommé....... (64) et l'autre George de Le Croix. Si furent par plusieurs fois sommés et requis de rendre la forteresce, dont point n'eurent voulenté de ce faire. Car ilz n'estoient en nul doubte que dedens briefz jours ne feussent souscourus. Finablement lesdiz asségans, doubtans la venue dudit duc de Bourgongne, dont ilz estoient jà advertis, et qu'ilz seroient combattis, se départirent dudit lieu de Montagu, tous espoventés, en laissant bombardes, canons et aultres habillemens de guerre. Et se partirent à mienuit ou environ, et se retrayrent en leurs garnisons. Laquelle départie ainsi faite, les dessusdiz asségiés firent scavoir hastivement aux dessusdiz le duc de Bourgongne et messire Jehan de Luxembourg, qui en grand diligence se préparoient pour aler combatre les asségans dessusdiz. Après lequel département venu à leur cou-gnoissance, le dit duc de Bourgongne s'en ala à Noyon, à tout son exercice. En ces propres jours, messire Jehan de Luxembourg s'en ala coure devant Beauvais, sur les marches de ses ennemis. A l'instance et pour la doubte duquel, se départirent du Franc (65) messire Loys de Waucourt et ses gens, qui là par longue espace avoient esté l'iver, et boutèrent le feu en ung bel chastel qu'ilz avoient réparé. Si se retrayrent à Beauvais. Et ledit duc de Luxembourg se loga devant le chastel de Prouvanlieu, que aulcuns François avoient réédifié. Et par leurs courses traveillèrent moult fort la ville de Mondidier et aultres marches à l'environ, appartenans au duc de Bourgongne. Si furent en brief constrains d'eulx rendre en la voulenté du dessusdit messire Jehan de Luxembourg, lequel en fist grand partie exécuter, et les aultres furent mis en divers lieux prisonniers. Et de là il se retourna à Noyon devers le duc de Bourgongne. ![]() ![]() Si fist ycelui duc faire ung pont par desus l'eaue d'Oise pour lui et ses gens passer vers Compiengne au lez devers Mondidier. Durant lequel temps, avoient esté commis ![]() ![]() Item, après que le duc de Bourgongne fist du tout démolir la forteresce de Choisy, comme dit est, il s'en ala logier en la forteresce de Coudin (69) à une lieue de Compiengne. Et messire Jehan de Luxembourg se loga à Claroy (70). Si fut ordonné messire Baude de Noyelle, à tout certain nombre de gens, à logier à Margni sur la Cauchie (71), et le seigneur de Mongommery et ses gens estoient logiés à Venette, au long de la prée. Si venoient lors audit duc de pluiseurs parties de ses pays. Et avoit intencion de asségier ladicte ville de Compiengne et ycelle réduire en l'obéissance du roy Henry d'Angleterre. Après que le duc de Bourgogne eût séjourné en la cité de Noyon environ huit jours, il alla mettre le siège devant le château de Choisy-sur-Aisne, forteresse défendue par Louis de Flavy, qui la tenait de Messire Guillaume de Flavy (son frère). Le duc fit dresser plusieurs machines de guerre pour ruiner et abattre ce château, qui en fut si endommagé, que les assiégés firent avec les délégués du duc de Bourgogne un traité, d'après lequel ils se retirèrent la vie sauve en emportant leurs biens, et rendirent la forteresse. Après leur départ, elle fut sans délai démolie et rasée. Le duc fit jeter un pont par-dessus la rivière de l'Oise pour passer, lui et ses gens, vers ![]() ![]() Le duc de Bourgogne, quand il eut terminé l'entière démolition de la forteresse de Choisy, dont il a été parlé, alla se loger dans la forteresse de Coudun, à une lieue de Compiègne ; Messire Jean de Luxembourg se logea à Clairoy, Messire Baudot de Noyelle avec un certain nombre de gens reçut ordre de s'établir à Margny, sur la chaussée ; le seigneur de Montgommery, Anglais, et ses gens campèrent à Venette, le long de la prairie. Des gens venaient au duc de plusieurs parties de ses pays ; il avait l'intention d'assiéger la ville de Compiègne et de la réduire à l'obéissance du roi Henri d'Angleterre. ![]() ![]() ![]() A l'entrée du mois de mai (72), fut défait et pris un vaillant homme d'armes nommé Franquet d'Arras, du parti du duc de Bourgogne, qui avec environ trois cents hommes d'armes avait été courir sur les marches de ses ennemis, vers Lagny-sur-Marne. A son retour il fut rencontré par Jeanne la Pucelle qui avait avec elle quatre cents Français. Elle assaillit très courageusement et très vigoureusement Franquet et ses gens à plusieurs reprises ; car les archers de Franquet s'étant mis à pied en très bonne ordonnance se défendirent si vaillamment dans une première et dans une seconde attaque que la Pucelle et ses gens n'eurent aucun avantage sur eux ; mais elle finit par mander toutes les garnisons de Lagny et des autres forteresses de l'obéissance du roi Charles. Les combattants accoururent en grand nombre avec coulevrines, arbalètes, et autres pièces de guerre. Les tenants du duc de Bourgogne, après avoir fait éprouver à leurs ennemis de grandes pertes en hommes et en chevaux, finirent par être entièrement vaincus et déconfits; la plus grande partie fut passée au fil de l'épée. La Pucelle fit même trancher la tête à Franquet, qui fut grandement plaint de son parti, parce que en armes il était homme de vaillante conduite. ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Si vint assez tost après, le duc de Bourgongne, à tout sa puissance, de son logis de Coudin où il estoit logié, en la prée devant Compiengne. Et là s'assamblèrent les Anglois, ledit duc et ceulx des autres logis, en très grand nombre, faisans l'un avec l'autre gratis cris et resbaudissemens pour la prinse de ladicte Pucelle. Laquelle ycelui duc ala veoir ou logis où elle estoit, et parla avec elle aulcunes paroles, dont je ne suis mie bien record, jà soit chose que je y estoie présent (79). Après lesquelles se retraist ledit duc et toutes aultres gens chascun en leurs logis, pour ceste nuit. Et la Pucelle demoura en la garde et gouvernement de messire Jehan de Luxembourg. Lequel, dedens briefz jours ensuivans, l'envoia soubz bon conduit ou chasteau de Biaulieu, et de là à Biaurevoir (80), où elle fut par long temps, comme cy-après sera déclairé plus avant. ![]() Tandis que le duc de Bourgogne était logé à Coudun, comme il a été dit, et ses gens d'armes dans les autres villages autour de Coudun et de Compiègne, il advint la veille au soir de l'Ascension (81), à cinq heures après midi, que Jeanne la Pucelle, Poton et d'autres capitaines, appuyés de cinq à six cents combattants, bien armés, les uns à pied, les autres à cheval, saillirent de Compiègne par la porte du pont, du côté de Montdidier. Ils avaient l'intention de combattre Messire Baudot de Noyelle et de s'emparer de son logis, qui, comme il a été dit ailleurs, était à Margny, au bout de la chaussée. A cette heure même, Messire Jean de Luxembourg était venu de son logis vers celui de Messire Baudot, avec le seigneur de Créquy, huit ou dix gentilshommes arrivés tous à cheval, n'ayant qu'une assez petite suite. Ils regardaient de quelle manière on pourrait assiéger Compiègne, quand les Français commencèrent à approcher très fort de Margny où ils étaient, pour la plupart tous désarmés. Cependant ils se réunirent en assez peu de temps, et une très grande mêlée commença, durant laquelle on cria à l'arme de plusieurs côtés, tant du côté des Bourguignons que du côté des Anglais. Les Anglais se mirent en ordre de bataille contre les Français sur la prairie, en dehors de Venette où ils étaient établis. Ils étaient environ cinq cents combattants. D'un autre côté, les gens de messire Jean de Luxembourg, logés à Clairoy sachant cette surprise, vinrent, plusieurs hâtivement, secourir leur seigneur et capitaine, qui soutenait l'attaque, et autour duquel la plupart des autres se ralliaient; le seigneur de Créquy fut très durement blessé au visage durant le combat. Le combat avait duré assez longtemps, lorsque les Français, voyant leurs ennemis se multiplier en grand nombre, se retirèrent vers la ville, la Pucelle toujours avec eux, sur les derrières, faisant grande manière de soutenir ses gens et de les ramener sans perte. Mais ceux de la partie de Bourgogne, considérant que de toutes parts leur arrivaient prompts secours, les approchèrent vigoureusement, et se jetèrent sur eux de plein élan. A la fin, la Pucelle, ainsi que j'en fus informé, fut tirée en bas de son cheval par un archer auprès duquel était le bâtard de Wendonne, auquel elle se rendit et donna sa foi. Celui-ci l'emmena à Margny, où elle fut mise sous bonne garde. Avec elle furent pris Poton le Bourguignon et quelques autres, mais pas en grand nombre. Les Français rentrèrent à Compiègne, chagrins et attristés de leur perte ; ils eurent spécialement un grand déplaisir de la prise de la Pucelle. Au contraire, ceux du parti bourguignon et les Anglais en furent très joyeux, plus que d'avoir pris cinq cents combattants ; car ils ne craignaient et ne redoutaient aucun capitaine, aucun chef de guerre, autant que jusqu'à ce jour ils avaient redouté cette Pucelle. Bientôt après, le duc de Bourgogne vint avec ses gens de guerre de son logis de Coudun en la prairie devant Compiègne. Là se rassemblèrent les Anglais, le duc, et ceux des autres postes en très grand nombre, poussant ensemble de grands cris et se laissant aller à de grandes réjouissances pour la prise de la Pucelle. Le duc alla la voir au lieu où elle était, lui adressa quelques paroles dont je n'ai pas souvenance, quoique je fusse présent. Le duc et tous les autres se retirèrent ensuite, chacun en leur logis, pour la nuit. La Pucelle demeura en la garde et sous le gouvernement de Messire Jean de Luxembourg, qui dans les jours suivants l'envoya sous bonne escorte au château de Beaulieu, et de là à Beaurevoir, où elle fut longtemps prisonnière, ainsi que cela sera plus pleinement démontré dans la suite (82). ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() " Très hault, très noble et très puissant prince, Phelippe, duc de Bourgongne, conte de Flandres, d'Artois et de Bourgongne palatin, de Namur, etc. Jà soit ce que je Jehan de Heinsberghe, évesque de Liège et conte de Loz, suis par vertu de certain seur estat par vous et moy, pour nous et les nostres, pieçà donné l'un à l'autre, dont lettres appèrent, vous aye pluiseurs fois par lettres, de bouche ou autrement, fait supplicacion, prière et requeste et sommacion d'avoir restitucion et réparation selonc le contenu dudit seur estat, qui a esté assez petitement tenu de pluiseurs grans et horribles dommages commis et perpétrés de vos gens, capitaines et serviteurs, sur mes pays et subjectz, ainsy que vostre très noble et pourveue discrétion puet bien avoir mémoire que mes complaintes et requestes le contenoient plus plainement; nientmains, très noble, très hault et très puissant prince, jusques à ore, obstant voz gracieuses responces sur ce, contenans que vostre intention et plaisir estoit dudit seur estat estre entretenu, et qui encore n'ont sorti nul effet, se sont si avant entremellées ycelles choses d'un costé et d'autre que griefve chose m'est à porter, dont il me desplait tant que plus ne puet. Et toutefois, très hault, très noble et très puissant prince, votre très noble et pourveue discrétion puet assez sentir et congnoistre, que par raison et serement suis tenu de demourer d'alès mon église et pays, que sans les eslongier, considérées les choses ainsi advenues, les me convient assister et deffendre en tous drois et contre tous, de toute ma force et puissance. Pour quoy, très hault, très noble et très puissant prince, moy premièrement excusant à vostre très exèlente personne et haulte domination, de rechief vous advertis d'ycelles choses, en signifiant que se plus avant advenoit, ou en estoit par moy ou les miens fait, par nécessité ou aultrement, qui de tant vouldroie avoir mon honneur pour bien gardée. Donné soubz mon seel pendu à ces présentes, le X jour de juillet, l'an mil quatre cens et trente. Ainsy signé du commandement monseigneur propre. " « J. Berrard. » Et pareillement le deffièrent plusieurs autres seigneurs alyés d'ycelui évesque, est assavoir le conte de Beaurienne, Picart de la Gance, seigneur de Quinquenpoit, Raise de Rabel, Gérard de Edewant, Jehan de Wale, Henry le Gayel, Jehan Boileur, Jehan de La Barre, Jehan de Genblaix, Corbeau de Bellegoule, Thery Ponthey et pluiseurs aultres. ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Durant lequel temps se tenoit à Clermont en Biauvoisis le seigneur de Crievecuer et Robert de Saveuses, à tout leurs gens, pour garder la frontière contre les François, qui se tenoient à Creilg et à Beauvais, et avec ce, pour faire aconduire en l'ost les vins et toutes autres vivres nécessaires. Si se tenoit adonc la duchesse de Bourgongne à Noyon, à tout son estat. Laquelle, de fois à aultre, aloit visiter le dessusdit duc de Bourgongne son seigneur. Esquelz jours aussi, ala ledit duc de Bourgongne, à tout sa puissance, tenir la journée devant Gournay sur Aronde, laquelle on lui avoit promis de rendre et remettre en son obéissance. Et fut avec lui et pour lui assister et faire compaignie, le duc de Nortfolc, anglois, à tout mil combatans ou environ, et le conte de Hontidon. A laquelle journée ne vint homme de par le roy Charles. Et pour tant, Tristran de Maignelers, véant que point ne serait souscouru, rendit la forteresce en la main dudit duc de Bourgongne, lequel la bailla en garde au seigneur de Crievecuer, et après s'en retourna avec lui le conte de Hontidon à son siège devant Compiengne. Auquel lieu, à son département, il avoit laissié certain nombre de gens d'armes pour garder son logis. Et le dessusdit duc de Nortfolc s'en ala vers Paris. ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Si fut la mort dudit duc tantost mandée au duc de Bourgongne, qui estoit à son siège devant Compiengne, pour ce que la plus grand partie de la duchée de Brabant et des appertenances, et par espécial les nobles, en disoient ycellui duc de Bourgongne en estre vray héritier, pour tant que le devant dit duc de Brabant n'avoit nul enfant. Car il n'avoit point esté marié. Et les aultres disoient que la contesse de Haynau douagière, ante d'yceulx deux ducz, estoit plus prouchaine et qu'à elle appartenoit ladicte succession. Toutefois, ycelui duc de Bourgongne, sachant la mort dessusdicte, constitua à son siège de Compiengne aulcuns de ses plus féables capitaines et chevaliers, est assavoir messire Jaque de Brimeu, mareschal de son ost, messire Hue de Lannoy, le seigneur de Saveuses et aulcuns aultres, pour d'ycelui avoir le gouvernement et le entretenir, avec le conte de Hontiton et ses Anglois. Et avec ce remanda hastivement messire Jehan de Luxembourg, qui estoit ou pays de Soissonnois, en lui requérant instamment par ses lettres et mesaiges, que sans délay, à tout ses gens, il retournast devers Compiengne, pour du tout avoir la charge de son ost, en lui signifiant les affaires qui lui estoient seurvenues, et comment il estoit nécessaire qu'il s'en alast oudit pays de Brabant. Après lesquelles besongnes ainsi faites, et que le duc de Bourgongne eust mis provision, comme dit est, en son ost, par la manière ci-devant déclarée, et qu'il eust devant la porte du pont fait fortifier et garnir de gens d'armes et d'habillemens de guerre une grande et forte bastille, de laquelle fut capitaine messire Baude de Noyelle, prenant premier congié au conte de Hontiton, il se départit et ala à Noyon. Et de là, par aulcuns jours s'en ala à Lille, où il eut conseil avec ses principaulx conseillers, avec lesquelz il conclud de s'en aler oudit pays de Brabant prendre la possession et saisine d'ycelui et de toutes les appartenances. Au parlement duquel, s'en retourna la duchesse, sa femme, ou pays d'Artois. Et brief ensuivant, fut ledit duc receu comme seigneur et duc de toutes les villes et appartenances des duchés et aultres pays que nagaires tenoit le dessusdit Phelippe de Brabant, défunct. Toutefois, la dessusdicte contesse de Haynau doagère, sa tante, y entendoit avoir aucun droit, comme dit est dessus. Mais, non obstant ce, elle, considérant la grand puissance de son biau nepveu contre lequel ne povoit résister, véant aussi la plus grand partie des nobles et bonnes villes estre desjà contre elle, se déporta de plus avant en faire poursuite. Et pour tant, ycelui duc de Bourgongne en fut par tous les pays plus libéralment obéy. En ce mesme temps, la demoiselle de Luxembourg, seur au conte Waleran, moult ancienne, laquelle estoit ou chasteau de Biaurevoir, ou gouvernement de messire Jehan de Luxembourg, son nepveu, appréhenda et fist relever pour ly toutes les seigneuries jadis appartenans au dessusdit conte Waleran, son frère, lesquelles de nouvel ly estoient escheus comme la plus prouchaine héritière de son beau nepveu Phelippe de Brabant, nagaires trespassé. Si furent, de par elle, par tout renouvellés les seremens des officiers, et se nomma depuis ce jour en avant contesse de Ligney (92) et de Saint Pol, sa vie durant. Et pour tant qu'elle amoit moult cordialment sondit nepveu, messire Jehan de Luxembourg, ly ordonna à prendre et avoir grand partie d'ycelles seigneuries après son trespas, dont point ne fut bien content le conte de Converson, seigneur d'Enghien, son frère aisné. Et depuis eurent aucunes rédarguacions ensamble, mais en fin se concordèrent l'un avec l'autre. ![]() ![]() ![]() Item, entretant que les tribulacions dessusdictes duroient, se assamblèrent le mareschal de Boussac, Pothon de Sainte-Treille, messire Theolde de Walperghe et pluiseurs aultres capitaines François. Si alèrent asségier la ville de Pressy sur Oise (94), dedens laquelle estoit le bastard de Chevreuse, à tout quarante combatans ou environ, qui assez brief furent constrains d'eulx rendre à voulenté. Et en y eut la plus grand partie mis à mort par les guisarmiers dudit mareschal, et depuis qu'ilz se furent ainsi rendus. Et aussi fut la forteresce démolie. Et pareillement furent prinses par les dessusdiz, Catheu (95), le Fort Moustier, le Chastel, et aulcunes aultres places, esquelles furent exécutés à mort la grigneur partie des compaignons qui là estoient. Toutefois ledit mareschal de Boussac ne les aultres de la partie du roy Charles ne firent sur les asségans de Compiengne aulcune entreprinse, comme il est acoustumé de faire en tel cas, jusques au desrain que le siège fut levé, comme cy-après sera plus à plain déclairé. En ce temps, le duc de Noortfolc, anglois, se tenoit à très grand puissance sur les marches de l'isle de France, et y mist pluiseurs forteresces en l'obéyssance du roy Henry, est assavoir Dampmartin en la Gohelle, La Chasse, Montgay (96), et aulcunes aultres. Et pareillement, d'autre costé le comte de Stafort prinst d'assault la ville de Brie-Conte-Robert, par le moyen de laquelle se rendit la forteresce dudit lieu, qui estoit moult forte. Et delà ledit conte s'en ala passer l'eaue de Saine et fourer tout le pays jusques assez près de Sens en Bourgongne. Et après s'en retourna, à tout grand proie, au lieu dont il estoit parti sans ce qu'il trouvast nul de ses ennemis qui lui feissent nul destourbier. Et brief ensuivant prinst Le Quesne en Brie (97), Grand Puis, Rapillon (98). Et en fist bien pendre quatre vingts de ceulx qui estoient dedens Le Quesne. Et pareillement prinst la forte tour de Bus, laquelle avec les aultres places dessusdictes fut toute désolée. Et estoient dedens Brie-Conte-Robert, quand elle fut prinse, messire Jaque de Milly et messire Jehan de La Haye, lesquelz furent prisonniers aux Anglois, et depuis eschappèrent de leurs mains, parmy paians grans finances. ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Il est assavoir que lendemain très matin, qu'il estoit le mercredi, le conte de Hontiton, à tout ses Anglois, passeroit l'eaue vers le nuef pont et venroit vers Royaulieu pour lui mettre en bataille, avec messire Jehan de Luxembourg, et lairoit en l'abbaye de Venette (104), qui estoit forte, la plus grand partie de leurs gens, chevaulx et bagages, avec aulcuns de leurs gens qui seroient commis pour le garder et aussi pour garder le pont. Item, fut ordonné que tous les chars, charrettes, chevaulx, macaux, vivres et autres telles besongnes, seroient mis et retrais en ladicte abbaye de Royaulieu. A laquelle garde fut commis messire Phelippe de Fosseux et le seigneur de Cohem. Item, fut ordonné que messire Jaque de Brimeu, à tout trois cens combatans ou environ, demoureroient en leur bastille, et leur fut promis par les seigneurs, que se on les aloit assaillir et ilz avotent à faire, on les iroit secourir sans point de faulte, à certain signe qui fut dénommé, lequel ilz debvoient faire s'il leur sourdoit nécessité. Item, fut ordonné que la grande bastille qui estoit da lez le pont vers Marigni (105), se entretenroit, et pareillement feroient les deux aultres qui estoient sur l'eaue, au lès vers Claroy. Après lesquelles ordonnances, tous les seigneurs se retrayrent chascun en son logis, et admonestèrent et induirait, chascun endroit soy, leurs gens, de eulx préparer pour lendemain attendre leurs ennemis. Et avec ce, fut ordonné à faire bon guet en plusieurs lieux où il appartenoit, tant de pied comme de cheval. Et lendemain, selon les ordonnances dessusdictes, le dessusdit conte de Hontiton passa l'eaue, à tout sa puissance, qui povoit estre d'environ six cens combatans, et se ala mettre en bataille, avec messire Jehan de Luxembourg, entre Royaulieu et la forest, au lez où ilz pensoient que leurs ennemis deussent venir. Et les aultres, tant desdites bastilles comme de ceulx qui debvoient garder les dessusdiz logis, se mirent chascun en bonne ordonnance pour deffendre ce à quoy ilz estoient commis. Eu après, à ce mesme mercredi, les François qui estoient logiés à Verbrie comme dit est, se mirent dès le point du jour à plains champs, et fut ordonné par le mareschal de Boussacet les aultres capitaines, qu'ilz yroient, environ cent combatans, vers le lez de Choisy, à tout aulcuns vivres devant eulx, pour mettre dedens Compiengne et pour resjoyr lesdiz asségiés, et eulx faire hastivement saillir à rencontre d'eulx et assaillir la grand bastille. Et d'aultre part fut commis Pothon de Sainte-Treille, à tout de deux à trois cens combatans ou environ, à aler, par le grand chemin de Pierrefons, devers ladicte bastille. Et ledit mareschal, le conte de Vendosme et les aultres capitaines, à tout leurs gens, s'en alèrent passer entre la rivière d'Oise et la forest, et se mirent en bataille dans ladicte forest à l'encontre de leurs ennemis, environ à ung trait et demi d'arc près l'un l'autre. Si se tenoient lesdiz François à cheval pour la plus grande partie, réservé aucuns guisarmiers et autres menus gens. Et les Anglois et Bourguignons estoient tous à pied, se non aucuns en petit nombre qui avoient esté ordonnés à estre a cheval. Et alors, de la partie dudit de Luxembourg furent fais aucuns nouveaux chevaliers, est assavoir Drieu, seigneur de Humières, Ferry de Mailly, Laigle de Saint Gille, de Saucourt, et aulcuns aultres. Avec lequel de Luxembourg estoit messire Hue de Lannoy, seigneur de Santes, le seigneur de Saveuses, messire Daviot de Poix, messire Jehan de Fosseux et pluiseurs autres nobles hommes, dont la plus grand partie avoient grand désir d'assambler à bataille contre leurs ennemis, ce que bonnement ne povoient faire pour ce que, comme dit est, ilz estoient de pied et leurs ennemis de cheval, et si leur convenoit avoir regard de souscourir leurs logis et la grand bastille, se besoing en estoit. Nientmains, il y eut pluiseurs escarmuches le jour. A l'une desquelles fut rebouté le conte de Vendosme. Toutefois, d'un costé ne d'aultre n'y eut point grand dommage. Mais entre les aultres ung vaillant homme d'armes nommé..... (106), qui estoit au mareschal de Boussac, ala férir dedens les archiers Picars, pensant que ses compaignons le deussent souscourir et suivir ; ce que point ne firent, et pour ce, fut tantost, d'yceulx archiers tiré jus de son cheval et mis à mort cruelle. Et entretant, les dessusdiz François qui avoient esté ordonnés à aler devers Choisy, noncièrent aux asségiés tout l'estat et ordonnance dessusdicte. Lesquelx, sans délay, en ferveur de hardiesce et de grand voulenté, désirant sur toute riens eulx ![]() ![]() Durant lequel assault, messire Jehan de Luxembourg, qui aux dessusdiz avoit promis de les souscourir, oyant et véant ycelui assault multiplier, eut voulenté de y aler à tout sa puissance. Mais pour les empeschemens que lui bailloient et povoient faire ses ennemis, il eut conseil de lui entretenir en ordonnance de bataille pour eschever toutes malvaises adventures qui y povoient survenir. Si se commença entretant le jour à passer. Et adonc ledit mareschal de Boussac, le conte de Vendosme et les aultres capitaines François se boutèrent dedens la ville de Compiengne, à tout leurs gens, où ils furent receus à grand joye, jà soit chose que en ycelle ville fussent moult constrains de famine, et que pour ceste nuit convenist à la plus grand partie souffrir grand disette de vivres. Nientmains, pour la bonne aventure qu'ilz avoient eue contre lesdiz asségans, prinrent tout en gré, et eulx resbaudissant menèrent grand leesce les ungs avec les autres, au surplus espérans de rebouter leurs ennemis arière d'ycelle ville. Et mesmement firent hastivement uug pont de batiaux et d'aultres habillemens, par lequel ilz passèrent, et de fait alèrent assaillir une petite bastille sur la rivière, dedens laquelle povoit avoir de quarante à cinquante combatans, tant d'arbalestriers Genevois, Portingalois et d'aultres brigans d'estranges marches, comme de Boulenois et d'autres lieux. Laquelle bastille fut assez briefment subjugée et conquise, et tous ceulx de dedens mis à mort, réservé ung routier de Boulenois, raide et appert homme d'arme, nommé Kanart, qui estoit leur capitaine. Si fut prins et mené prisonnier dedens Compiengne, avec les aultres. Durant lequel temps, Aubelet de Folleville et ses gens, qui tenoient la tierce bastille sur la rivière, doublant estre prins d'assault comme les aultres, boutèrent le feu dedens, et se retraisent ès logis des Anglois. Si fut par lesdiz François livrée grande escarmuche à la quarte bastille du bout du pont, laquelle estoit grande et puissant durement. Si la tenoit messire Baudo de Noyelle. Mais pour la force d'ycelle et pour la grande deffence de ceulx de dedens, qui estoient une grosse compaignie de combatans et bien pourveus d'artillerie, ils n'y porent rien faire, et se retraisent pour ceste nuit dedens leur ville. Après ce que tous les François furent entrés en ladicte ville de Compiengne, comme dit est, et qu'il estoit desjà bien tard sur le vespre, le conte de Hontiton, anglois, et messire Jehan de Luxembourg, véant clèrement que pour ce jour ne seroient point combatus de leurs adversaires, se mirent ensamble, avec eulx grand partie de leurs capitaines, pour avoir advis sur ce qui estoit à faire et pour scavoir comment ilz se pourraient conduire. Si fut conclud entre eulx, que pour ycelle nuit ils se retrairoient en leurs logis et coucheraient tous armées, et à lendemain se metteraient sus en bataille devant ladicte ville, pour sçavoir se leurs dessusdiz adversaires se vouldroient combatre, espérans que bonnement ne se pourroient tenir si grand nombre dedens la dessusdicte ville, sans yssir, attendu que tous vivres, comme dit est, y estoient exilliés. Après laquelle question, s'en retourna ledit conte de Hantidon et ses Anglois en son logis de Venette, et promist de bien faire garder le pont, adfin que nuls de leurs gens s'en peust aler sans congié. Et messire Jehan de Luxembourg se retraist aussi, à tout ses gens, en son logis à Royaulieu, et commist à faire bon guet. Mais en celle propre nuit y eut grand partie de ses gens qui s'emblèrent de sa compaignie secrètement, et se prindrent à eulx desloger sans trompette et eulx en aler où ilz porent le mieulx. Et par espécial en repassa grand partie au pont dessusdit, pour eulx en raler en leur pays. lequel pont, comme il avoit esté promis, ne fut point bien gardé. Et pareillement s'emblèrent aucuns des gens du conte de Hontiton. Et pour tant, ce venu à la congnoissance des capitaines, muèrent ce qu'ilz avoient conclud, est assavoir eulx mettre en bataille devant la ville, et se disposa, ledit messire Jehan de Luxembourg, de lui et toutes ses gens repasser l'yaue, et aler avec ledit conte de Hontiton. Laquelle chose il fist le jeudi, bien matin. Lequel jour, les François yssirent à grand puissance hors de la ville et envoyèrent leurs coureurs en pluiseurs lieux pour sçavoir nouvelles de leurs ennemis. Lesquels coureurs perçurent tantost qu'ilz estoient partis et repassés l'eaue. Si le firent sçavoir à leurs gens, qui de ceste chose eurent grand joie. Si s'en alèrent prestement en grand nombre à l'abbeye de Royaulieu, où ils trouvèrent foison de bons vivres et vins, dont ils furent remplis à grand largesse. Si en firent tous joieuse chière, car il ne leur avoit rien cousté. Et après se assamblèrent la plus grand partie des plus nobles et des mieulx habilliés, et s'en alèrent devers le pont contre Venette, et, sans ce qu'ilz y trouvassent grand deffence, rompirent ledit pont bien avant et le ruèrent en la rivière en plaine vue des Anglois et des Bourguignons, en disant à eulx plusieurs injures et vilaines parolles. Si ne furent plus yceulx François en nulle doubte que Bourguignons, ne Anglois, les peussent grever pour cette fois, puis que ledit pont estoit rompu. En d'aultre part, en ce propre jour, asseyrent tous les gros engiens de ladicte ville contre la bastille de messire Baudo de Noyelle, desquelz la traveillèrent moult fort. Finablement, pour briève conclusion, le dessusdit conte de Hontiton et messire Jehan de Luxembourg, avec les plus notables de leur compaignie, voians que par nulle manière ne povoient surmonter leurs adversaires quand à présent, considérons qu'il estoit chose impossible de longuement entretenir leurs gens, se délibérèrent tous d'un commun accord de eulx en aler à Noyon, et de là en leurs propres lieux. Laquelle chose ils firent. Et mandèrent à messire Baudo de Noyelle qu'il boutast le feu en sa bastille, et s'en partesist. Et ainsi le fist il. Si se deslogèrent au vespre et s'en alèrent par nuit, en assez meschant aroy et petite ordonnance, jusques au Pont-l'Evesque, laissant honteusement en leurs logis, en la grosse bastille, très grand nombre de grosses bombardes, canons, veuglaires, serpentines, culevrines et autres artilleries, qui demourèrent en la main des François, leurs adversaires. Lesquelles artilleries estoient au duc de Bourgongne. Pour lequel département messire Jehan de Luxembourg eut au ceur grand desplaisance. Toutefois il n'en peut avoir autre chose. Si se départirent, le samedi ensuivant (107), lui et le conte de Hontiton, anglois, du logis de Pont-l'Evesque et s'en alèrent à Roye. Et de là, sans entretenement, se retraisent, eulx et leurs gens, chascun en leurs propres lieux et garnisons, dont ilz s'estoient partis. Et pour tant, ceulx qui estoient en la ville de Compiengne, sachans ycelle départie, firent incontinent réédifier le pont dessus l'eaue d'Oise et yssirent à grand puissance de ladicte ville, chevaulchans à estandart déployé, par plusieurs compaignies, courans en divers lieux sur les marches que avoient tenues leurs ennemis, et tout le remanant des fuians qu'ilz trouvoient, mirent à l'espée. Si ardèrent et embrasèrent en ycelle fureur pluiseurs vilages, maisons et édifices, faisans en peu d'espace très grandes cruaultés. Pour lesquelz leurs ennemis eurent grand paour, si qu'à paine les osoient atendre, sinon moult doubtablement, en quelque forteresce qu'ilz se tenissent. Et mesmement, pour la crémeur des dessusdiz, se rendirent à eulx, sans cop férir ne attendre nul assault, les forteresces cy après dénommées. C'est assavoir : Ressons sur le Mas, Gournay sur Aronde, le Pont de Remy, le Pont-Sainte-Maxence, Longueil, Sainte-Marie-la-Ville et le fort chastel de Bretheuil, le chastel de Guermesnil, La Boissière, le chastel d'Ireligni, les Chastigniers, la tour de Verdueil et aulcunes aultres places. Dedens lesquelles ilz trouvèrent très grande habondance de biens, et mirent par tout garnison de leurs gens. Dont le pays fut en brief terme moult oppressé et traveillié, et par espécial ceulx qui tenoient le parti des Anglois et des Bourguignons. ![]() ![]() ![]() ![]() Si advint que lesdiz capitaines, envoyés comme dit est de par le duc de Bourgongne, se deslogèrent au matin après qu'ilz eurent couché ès dessusdiz vilages vers Lions en Santers, et prinrent leurs chemin à aler à Garmigni en plusieurs tropeaulz, sans eulx mettre en ordonnance de bataille, ne envoyer leurs coureurs devant eulx, ainsi que le font et ont acoustumé de faire droites gens d'armes, expers en fait de guerre, et mesmement quant ilz furent près de leurs ennemis. Et adonc, vint devers eulx de la ville de Roie, dont il estoit capitaine, Gérard, bastard de Brimeu, à tout environ quarante combatans. Et chevaulchèrent les dessusdiz, l'un assez près de l'autre, jusques à une ville nommée Bouchoire (109). Si trouvèrent en leur chemin plusieurs lièvres, après lesquelz fut fait grand desroy de coure et de huer, et n'avoient adonc point, lesdiz capitaines, de regard d'entretenir, ne rassambler leurs gens ainsi qu'ilz debvoient, et aussi toute la plus grand partie d'yceulx n'avoient point tout leur harnois sur eulx. Pour laquelle négligence il leur mésavint malement. Car, ce propre jour, Pothon de Sainte-Treille estoit venu du matin audit lieu de Garmigni, et là, à tant de ses gens qu'il trouva audit chastel, comme à tous ceulx qu'il avoit amenez, tira aux champs. Et povoit avoir environ de douze vingts à trois cens combatans, dont la plus grand partie estoient droites gens de guerre, expers et esprouvés en armes, à tout lesquelz il prinst son chemin droit devers Lions en Santers. Et si fist sagement chevaulcher aucuns de ses coureurs devant, pour descouvrir et enquérir nouvelles de ses ennemis. Lesquelz, venus emprès ladicte ville de Bouchoire, oyrent la criée, et apperceurent l'estat et ordonnance de leursdiz adversaires. Et pour tant, sans délay et en grand diligence retournèrent devers leurs capitaines, auxquelz ils noncièrent ce qu'ils avoient oy et veu. Sur lequel rapport, Pothon dessusdit fist incontinent habillier ses gens de tous poins, et moult soubdainement les mena et conduisy devers ses ennemis dessusdiz, en leur admonestant que chascun se acquistast endroit soy et feist bon debvoir de combatre leurs ennemis. Lesquelz ses ennemis estoient très petitement préparés pour batailler. Et pour ce ycelui Pothon et ses gens, venans sur eulx d'un vouloir soubdain, en grand bruit et radeur, avant qu'ilz se peussent mettre en ordonnance, les eust tantost esparpilliés et mis en grand desroy. Et furent la plus grand partie portés jus, de fer de lances, de leurs chevaulx. Toutefois les capitaines avec aulcuns de leurs gens se rassamblèrent à l'estandart de messire Thomas Kiriel, et commencèrent à eulx mettre à deffence viguereusement. Mais ce riens ne leur valu. Car, comme dit est, la greingneur partie de leurs gens estoient jà tournés à grand meschief et mis en desroy, fuiant en plusieurs et divers lieux pour eulx sauver. Pour quoy, en assez brief terme, ceulx qui estoient demourés ![]() ![]() ![]() Si firent ceulx de Noyon, audit duc, prière et requeste qu'il les volsist délivrer de la forteresce d'Yne qui moult les oppressoit. Mais pour ce qu'il estoit yver et que ledit duc n'avoit point lors gens à son plaisir, il s'en retourna à Mondidier et y mist garnison, et par Corbie vint à Arras, et par Arras en son pays de Flandre. Et le conte de Staffort, à tout ses Anglois, retourna en Normendie. En cest an fut prinse la ville de Colombiers en Brie (112), par eschielles, au point du jour, par ceulx de la garnison de Meaulx en Crie qui tenoient le parti du roy Henry d'Angleterre. Dedens laquelle ville de Coulombiers estoit de par le roy Charles comme capitaine messire Denis de Chally. Lequel, oyant cest effroy, se sauva par dessus les murs et avec lui pluiseurg aultres, en habandonnant tous leurs biens. Si estoit ladicte ville pourveue de tous biens, et, de toute ceste guerre, n'avoit esté prinse de nulles des parties. Toutefois elle fut pillée et les habitans mis à grand finance, si non ceulx qui se sauvèrent par fuite. En cest an, Pierre de Luxembourg, conte de Conversen et de Braine, successeur de la contée de Saint Pol et des appertenances, fist certain traictié avec ses deux frères, est assavoir Loys, évesque de Terowane (113), et messire Jehan de Luxembourg, des terres dessusdictes, par condicion que ledit évesque deust avoir le chastel de Huches en Boulenois, la chasteleine de Tingri avec toutes les appertenances. Et ledit messire Jehan de Luxembourg eust pour sa part à lui et à ses hoirs, la contée de Lignei en Barois (114) et les terres de Cambrésis jadis appertenans à Waleran conte de Saint-Pol, est assavoir Bohain, Serain, Hellincourt, Marcoing, Cantaing et aulcunes aultres notables signouries. Et pour tant, de ce jour en avant on nomma ledit messire Jehan de Luxembourg en tous ses tiltres, conte de Ligney, seigneur de Beaurevoir et de Bohaing. Et tout le sourplus desdictes seigneuries demourèrent au dessusdit Pierre de Luxembourg, lequel se nomma, en cas pareil, conte de Saint Pol, de Conversen et de Braine et seigneur d'Enghien. ![]() Item, le XXXe et darrain jour de septembre de cest an, fut nez en la ville de Bruxelles le premier filz du duc Phelippe de Bourgongne et de la duchesse Ysabel, fille du roy de Portingal, son espeuse, lequel filz en son baptesme fut nommé Anthoine. Et à sa venue, par toute la ville de Bruxelles, fut faite grand joye et grand leesce. Et estoit lors en ycelle ville le conte de Miche, nepveu à l'empereur d'Alemaigne, lequel tenoit grand et noble estat, et aloient, lui et aulcuns de ses gens, les testes nues chascun ung chapel vert sur son chief, en signifiant qu'il estoit chaste, jà soit ce qu'il faisoit moult froit et dur temps. Et tinrent ycelui enfant sur les fons, ledit conte et l'évesque de Cambray; et les marines (115) furent la duchesse de Clèves et la contesse de Namur. Et y avoit bien trois cens torches, tant de l'ostel dudit duc, comme de ceulx de la ville. Lequel enfant ala de vie à trespas, l'an ensuivant. Et quand les nouvelles en furent portées au duc de Bourgongne, il en fut moult desplaisant, et dist à ceulx qui ce lui noncièrent : « Pleust à Dieu que je fusse mort aussi josne, je me tenroie bien heurés ! » En l'an dessusdit, fut prins dedens son chastel a Authel (116) messire Antoine de Béthune, seigneur ![]() ![]() ![]() ![]() En ce temps, fut reconquis le fort chastel de Rambures (117) par les François. Et le prinst par eschielle d'emblée ung nommé Charlot des Mares, qui estoit au seigneur de Rambures prisonnier en Angleterre, auquel ledit chastel appartenoit, lequel avoit en sa garde, pour la partie du roi Henry, messire Ferri de Mailly. Et fut, par le moyen de ceste prinse, grand entrée pour les François ou pays de Vimeu et en la marche à l'environ, comme cy après sera déclairé. ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Ledit seigneur de Barbazan avoit esté commis de par le roy Charles de France gouverneur et capitaine des pays de Brie, de Laonnois et de Champaigne, et avant qu'il asségeast Anglure, avoit conquis Norinville en Laonnois, Voisines et aultres pluiseurs places. Et fut audit siège d'Anglure environ ung mois. Si estoient avec lui le seigneur de Conflans, messire Jehan, bastard de Dampierre, et grand nombre de communes. Et quand ce vint que les Anglois et Bourguignons dessus nommés vindrent pour lever ledit siège, à une escarmuche que firent les asségiés, gaignièrent les François ycelle forteresce. Mais prestement fut reconquise par les desusdiz Anglois, et pour ce fut elle mise en feu et en flambe et du tout démolie, comme dit est desus. ![]() ![]() « Très chier et très amé oncle. La fervente dévocion que sçavons vous avoir comme vray prince catholique à nostre mère sainte Eglise et l'exaltacion de nostre sainte foy, raisonnablement nous exorte et admoneste de vous signifier et escripre ce qu'à l'onneur de nostre dicte mère sainte Eglise, fortificacion de nostre foy et extirpacions d'erreurs pestilencieuses, a esté en ceste nostre ville de Rouen fait jà nagaires sollempnellement. Il est assez commune renommée, jà comme par tout divulguée, comment celle femme, qui se faisoit nommer Jehenne la Pucelle, erronnée, s'estoit, deux ans et plus, contre la loy divine et l'estat de son sexe féminin vestue en habit d'homme, chose à Dieu abhominable, et en tel estat transportée devers nostre ennemi capital et le vostre. Auquel et à ceulx de son parti, gens d'église, nobles et populaires, donna souvent à entendre qu'elle estoit envoiée de par Dieu, en se présumptueusement vantant qu'elle avoit souvent communicacion personnelle et visible avec saint Michel et grande multitude d'angles et de saintes de Paradis, comme sainte Katherine et sainte Marguerite. Par lesquelz faulx donné à entendre, et l'espérance qu'elle promettoit de victoires futures, divertit plusieurs cueurs d'hommes et de femmes de la vérité et les convertit à fables et mençonges. Se vesti aussi d'armes appliquées pour chevaliers et escuyers, leva estendart, et, en trop grand oultrage, orgueil et présumpcion, demanda avoir et porter les très nobles et excellentes armes de France, ce que en partie elle obtint. Et les porta en plusieurs courses et assaulx, et ses frères, comme on dist, c'est assavoir, ung escu à deux fleur de lis d'or à champ d'azur et une espée la pointe en hault férue en une couronne. En cest estat s'est mise aux champs, a conduict gens d'armes et de trait en exercite et grans compaignies, pour faire et exercer cruaultés inhumaines, en expandant le sang humain, en faisant sédicions et commocions de peuple, le induisant à parjuremens, rebellions, suppersticions et faulses créances, en perturbant toute vraie paix et renouvelant guerre mortelle, en se soufflant honnourer et réverer de pluiseurs comme femme sanctifiée, et aultrement dampnablement ouvrant, en divers cas longs à exprimer, qui toutes voies ont esté en plusieurs lieux assez congneus. Dont presque toute la chrestienté a esté toute scandalisée. Mais la divine puissance, ayant pitié de son peuple, qui ne l'a longuement voulu laisser en péril, ne souffert demourer ès vaines, périlleuses et nouvelles crudelités où jà legièrement se mettoit, a voulu permettre, sa grande miséricorde et clémence, que ladicte femme ait esté prinse eu vostre ost et siège, que teniez lors de par nous devant Compiengne, et mise par vostre bon moyen en nostre obéyssance et dominacion. Et pour ce que dès lors fusmes requis par l'évesque, ou diocèse duquel elle avoit esté prinse, que ycelle Jehenne, notée et diffamée de criesmes de lèze majesté divine, lui feissions délivrer comme à son juge ordinaire ecclésiastique, nous, tant pour la révérence de nostre mère sainte Église, de laquelle voulons les ordonnances préférer à nos propres faiz et et voulentés comme raison est, comme aussi pour honneur et exaltation de nostre dicte saincte foy, luy feismes baillier ladicte Jehenne, adfin de ly faire son procès, sans ent vouloir estre prinse par les gens et officiers de nostre justice seculière aulcune vengance ou pugnicion, ainsi que faire nous estoit raisonnablement licite, attendu les grans dommages et inconvéniens, les horribles homicides et détestables cruaultés et aultres maulx innumérables qu'elle avoit commis à l'encontre de nostre signourie et loyal peuple obéyssant. Lequel évesque, adjoint avec lui le vicaire de l'inquisiteur des erreurs et hérésies, et appelle avec eulx grand et notable nombre de solempnelz maistres et docteurs en théologie et droit canon, commença, par grande sollempnité et deue gravité, le procès d'ycelle Jehenne. Et après ce que lui et ledit inquisiteur, juges en ceste partie, eurent par pluiseurs journées interrogé ladicte Jehenne, firent les confessions et assertions d'icelle meurement examiner par lesdiz maistres docteurs, et généralment par toutes les facultés de nostre très chière et très amée fille l'Université de Paris, devers laquelle lesdictes confessions et assercions ont esté envoyées. Par l'oppinion et délibéracion desquelz, trouvèrent lesdiz juges ycelle Jehenne supersticieuse, devineresse de déables, blasphemeresse en Dieu et en ses sains et saintes, scismatique et errant par moult de fois en la foy de Jhésucrist. Et pour la réduire et ramener à la unité et communion de nostre dicte mère sainte Eglise, le purgier de ses horribles et pernicieux criesmes et péchiés, et garir et préserver son ame de perpétuelle paine et dampnacion, fut, souvent et par bien long temps, très charitablement et doulcement admonestée à ce que toutes erreurs feussent par elle regettées et mises arière, voulsist humblement retourner à la voie et droit sentier de vérité, ou aultrement elle se metoit en grand péril de âme et de corps. Mais le très périlleux et divisé esperit d'orgueuil et d'oultrageuse présumpcion, qui tousjours s'esforce de vouloir empescher le unité et sceurté des loyaulx chrestiens, occupa et détint tellement en ses liens le courage d'ycelle Jehenne, que pour quelconque saincte doctrine ou conseil, ne autre doulce exortacion, qu'onques on l'y eust administrée, son cuer endurci et obstiné se ne veut humilier, ne amolier. Mais se vantoit souvent que toutes choses qu'elle avoit faites estoient bien faites, et les avoit faites du commandement de Dieu et desdictes sainctes vierges, qui visiblement s'estoient à elle aparues, et, que pis est, ne recognoissoit, ne ne vouloit recongnoistre en terre, fors Dieu seulement et les sains de Paradis, en refusant et déboutant le jugement de nostre saint père le pappe, du concille général et la universelle Eglise militant. Et véans, les juges ecclésiastiques, sondit courage par tant et si longue espace de temps endurci et obstiné, la firent mener devant le clergié et le peuple ylec assamblé en très grande multitude ; en la présence desquelz furent preschés, exposés, et déclarés sollempnellement et publiquement par ung notable maistre en théologie, à l'exaction de nostre foy, extirpation des erreurs et édification et amendement du peuple chrestien. Et de rechief fut charitablement admonestée de retourner à l'union de saincte Eglise, et de corriger ses faultes et erreurs en quoy pertinace et obstinée [restoit] (126). Et en ce considéré, les juges dessusdiz procédèrent à prononcer la sentence contre elle, en tel cas de droit introduicte et ordonnée. Mais avant ce que la sentence fust parlutte, elle commença, par samblant, à muer son courage, disant qu'elle vouloit retourner à saincte Eglise. Ce que voulentiers et joyeusement oyrent les juges et le clergié dessusdiz, qui à ce la receurent bénignement, espérans par ce moyen son ame et son corps estre rachetés de perdition et tourment. Adoncques se submist à l'ordonnance de saincte Eglise, et ses erreurs et détestables criesmes révocqua de la bouche et abjura publiquement, signant de sa propre main la cédule de ladicte révocation et abjuration. Et par ainsi, nostre piteuse mère saincte Eglise, soy esjoyssant sur la pécheresse faisant pénitence, voullant la brebis retourner et recouvrer, qui par le désert s'estoit esgarée et fourvoiée, ramener avec les aultres, ycelle Jehenne, pour faire pénitence, condempna en chartre. Mais gaire de temps ne fust ylec, que le feu de son orgueil, qui sambloit estre estaint en ycelle, rembrasa en flambes pestilencieuses par les soufflemens de l'ennemy. Et tantost, ladicte femme maleurée rechey ès erreurs et faulses esrageries (127), que par avant avoit proférées et depuis révocquées et objurées, comme dit est. Pour lesquelles causes, seloncq ce que les jugemens et institucions de saincte Eglise l'ordonnèrent, adfin que dore en avant elle ne contaminast les aultres membres de Jhésucrist, elle fut de rechief praichée publiquement. Et comme elle fust rescheue ès criesmes et faultes vilaines par elle acoustumées, fut délaissé à la justice séculière, laquelle incontinant la commanda à estre brûlée. Et véant son finement approuchier, elle congnut plainement et confessa que les esperis qu'elle disoit estre apparans à elle souvente fois, estoient malvaix et mençongiers, et que les promesses que yceulx esperis ly avoient plusieurs fois faites de la délivrer, estoient faulses, et ainsi se confessa par lesdiz esperis avoir esté deceue et démoquié. Si fut menée par ladicte justice laye en vieil marchié dedens Rouen, et là publiquement fut arsse, à la veue de tout le peuple. » Laquelle chose ainsi faite, le dessusdit roy d'Angleterre signifia par ses lettres au dessusdit duc de Bour gongne, adfin que ycelle exécucion de justice, tant par lui comme les aultres princes, fut publiée en pluiseurs lieux, et que leurs gens et subjectz dore en avant feussent plus seurs et mieulx advertis de non avoir créance en telles ou semblables erreurs, qui avoient régné pour et à l'occasion de ladite Pucelle. ![]() Suit la condamnation prononcée en la cité de Rouen contre Jeanne la Pucelle, ainsi que cela peut apparaître par les lettres envoyées de par le roi Henri d'Angleterre au duc de Bourgogne. En voici la copie: « Très cher et très aimé oncle, la fervente dilection que nous vous connaissons comme vrai prince catholique envers notre mère la sainte Église et pour l'exaltation de notre sainte foi, nous avertit et nous presse de vous exposer et de vous écrire ce qui, à l'honneur de notredite mère la sainte Église, pour la fortification de notre foi et l'extirpation d'erreurs pestilentielles, a été fait naguère solennellement en cette ville de Rouen. La commune renommée a partout divulgué comment cette femme qui se faisait appeler Jeanne la Pucelle, erronée devineresse, s'était, il y a deux ans et plus, en violation de la loi divine et contre l'état de son sexe féminin, revêtue d'habits d'homme, chose abominable devant Dieu, et en cet état s'était transportée vers notre ennemi capital et le vôtre, lui donnant souvent à entendre, à lui, à ceux de son parti, gens d'Église, nobles et peuple, qu'elle était envoyée de par Dieu, se vantant présomptueusement d'avoir de fréquentes commuuications personnelles et visibles avec saint Michel et une grande multitude d'anges et de saintes du paradis, telles que sainte Catherine et sainte Marguerite. Par ces faux donnés à entendre, par l'espérance de victoires futures qu'elle promettait, elle détourna plusieurs coeurs d'hommes et de femmes de la voie de la vérité, et les convertit à des fables et à des mensonges. Elle se revêtit encore d'armes réservées aux chevaliers et aux écuyers, leva bannière, et, par un excès d'outrage, d'orgueil et de présomption, demanda à avoir et à porter les très nobles et excellentes armes de France ; ce qu'elle obtint en partie, et elle les porta en plusieurs combats et assauts, et ses frères aussi, ainsi que l'on dit ; c'est à savoir un écu à champ d'azur avec deux fleurs de lis d'or, et une épée la pointe en haut, férue en une couronne. En cet état, elle s'est mise aux champs, a conduit gens d'armes et gens de trait en expéditions et par grandes compagnies, pour commettre et faire d'inhumaines cruautés, répandre le sang humain, provoquant séditions et commotions dans le peuple, l'induisant au parjure et à de pernicieuses rébellions, aux superstitions, à fausse créance, perturbant toute vraie paix, rallumant de mortelles guerres, se laissant adorer et révérer de plusieurs comme femme sanctifiée, faisant d'autres œuvres damnables en divers cas trop longs à rapporter, toutefois bien connus en plusieurs lieux, excès dont presque toute la chrétienté a été fort scandalisée. La divine puissance a eu pitié de son peuple fidèle ; elle ne l'a pas laissé longtemps en péril, elle n'a pas souffert qu'il demeurât dans les vaines, dangereuses erreurs et crédulités où il se jetait si malheureusement ; sa grande miséricorde et clémence a voulu permettre que ladite femme ait été prise en votre armée dans le siège que vous teniez alors devant Compiègne, et que par votre bon moyen 1, elle ait été mise en notre obéissance et domination. L'évêque dans le diocèse duquel elle avait été prise nous ayant requis de la lui faire délivrer, vu qu'il était son juge ordinaire ecclésiastique, et qu'elle était notée et diffamée pour crimes de lèse-majesté divine, nous, tant pour la révérence de notre sainte mère Eglise dont, comme il est de raison, nous voulons préférer les saintes ordonnances à nos propres faits et volontés, que pour l'honneur et l'exaltation de notre sainte foi, lui fîmes bailler ladite Jeanne pour que son procès lui fût fait, sans vouloir que les gens et les officiers de notre justice séculière en tirassent aucune vengeance ou châtiment, quoique nous eussions pu raisonnablement et licitement le faire, attendu les grands dommages et désastres, les horribles homicides et détestables cruautés, et les autres maux innombrables qu'elle avait commis à rencontre de notre seigneurie, et du peuple loyal qui nous est resté obéissant. Cet évêque, après s'être adjoint le vicaire de l'inquisiteur des erreurs et hérésies, après avoir appelé un grand et notable nombre de solennels maîtres et docteurs en théologie et en droit canon, commença le procès en grande solennité et avec la gravité réclamée par semblable affaire. Lui, et ledit inquisiteur, juges en cette partie, ayant par plusieurs et diverses journées interrogé ladite Jeanne, firent mûrement examiner ses aveux et ses assertions par lesdits maîtres et docteurs, et généralement par toutes les facultés de notre très chère et très aimée fille, l'Université de Paris, à laquelle lesdits aveux et lesdites assertions furent envoyés. Après délibération et discussion, lesdits juges trouvèrent cette Jeanne superstitieuse, devineresse, idolâtre, invoqueresse des diables, blasphémeresse envers Dieu, ses saints et ses saintes, schismatique, et, par bien des fois, errante en la foi de Jésus-Christ. Pour la réduire et ramener à l'unité et à la communion de notre mère sainte Église, pour la purifier de si horribles, détestables et pernicieux crimes et péchés, guérir son âme et la préserver de perpétuelle peine et damnation, elle fut souvent, pendant bien longtemps, très doucement et très charitablement admonestée de rejeter et de détester toutes ces erreurs, et de vouloir retourner ainsi humblement dans la bonne voie et droit sentier. Mais le très périlleux et divisé esprit d'orgueil et d'outrageuse présomption, qui s'efforce toujours d'empêcher et perturber l'union et la paix des loyaux chrétiens, occupa tellement et tint si bien en ses liens la volonté d'icelle Jeanne que, malgré toutes les saines doctrines ou conseils, malgré toutes les douces exhortations qu'on lui administra, son coeur endurci et obstiné ne se voulut humilier ni amollir ; au contraire elle se vantait souvent que toutes les choses qu'elle avait faites étaient bien faites, qu'elle les avait faites du commandement de Dieu et des saintes Vierges qui lui avaient visiblement apparu; et, ce qui pis est, elle ne reconnaissait et ne voulait reconnaître [d'autre juge] en terre que Dieu et les saints du paradis, refusant, récusant le jugement de Notre Saint-Père le Pape, du Concile général et de toute l'Église militante. Les juges ecclésiastiques, voyant sa volonté si profondément et si longtemps endurcie et obstinée la firent amener devant le clergé et le peuple assemblé en très grande multitude. Là, solennellement et publiquement, pour l'exaltation de notre foi chrétienne, l'extirpation des erreurs, l'édification et l'amendement du peuple chrétien, furent, par un notable maître en théologie, prêches, exposés et déclarés ses cas, crimes et erreurs ; et derechef elle fut charitablement admonestée de retourner à l'union de la sainte Église, et de corriger ses fautes et errements ; en quoi elle demeura encore pertinace et obstinée. Ce que considérant, les juges procédèrent à prononcer contre elle la sentence introduite et ordonnée par le droit en pareil cas. Mais avant que la sentence fût lue dans son entier, elle commença le semblant de muer son courage, disant qu'elle voulait retourner à sainte Église ; ce que les juges et le clergé ouïrent volontiers et avec joie ; ils la reçurent bénignement [à pénitence], espérant que par ce moyen son âme et son corps seraient rachetés de perdition et de tourments. Elle se soumit donc à l'ordonnance de sainte Église, révoqua de sa bouche et abjura publiquement ses erreurs et détestables crimes, signant de sa propre main la cédule de cette révocation et abjuration. Par suite, notre compatissante mère sainte Église, se réjouissant de voir la pécheresse revenir à pénitence, voulant ramener avec les autres la brebis qui, après s'être égarée et fourvoyée dans le désert, était trouvée et recouvrée, mère sainte Église condamna icelle Jeanne à la prison pour y faire une salutaire pénitence. Mais elle n'y fut guère, sans que le feu de l'orgueil qui semblait s'être éteint ne se réembrasât par les souffles de l'ennemi, et n'éclatât en flammes pestilentielles; la malheureuse femme rechuta dans les erreurs et faux emportements, qu'elle avait proférés par avant et, comme il vient d'être dit, révoqués et abjurés. Pour ces faits, conformément à ce qu'ordonnent les jugements et institutions de sainte Église, afin que dorénavant elle ne contaminât pas les autres membres de Jésus-Christ, elle fut de nouveau prêchée publiquement ; et comme retombée ès crimes et fautes par elle accoutumés, elle fut délaissée à la justice séculière qui incontinent la condamna à être brûlée. Voyant sa fin approcher, elle connut pleinement et confessa que les esprits qu'elle disait lui avoir souvent apparu étaient mauvais et mensongers, que fausses étaient les promesses qu'ils lui avaient faites plusieurs fois de la délivrer ; et elle confessa ainsi qu'elle avait été par eux moquée et déçue. Elle fut, par la justice séculière, menée, tout enchaînée, au Vieux-Marché dedans Rouen, et là elle fut publiquement brûlée, à la vue de tout le peuple. » Le roi d'Angleterre signifia par lettres ce qui s'était passé au duc de Bourgogne, afin que cette exécution de justice, fût, par le duc et par les autres princes, publiée en divers lieux, et que leurs gens et leurs sujets fussent dorénavant plus affermis et mieux avertis de ne pas donner créance à telles ou semblables erreurs que celles qui avaient régné à l'occasion de la Pucelle. ![]() ![]() ![]() Premièrement, contenoient les lettres de l'empereur, qu'il désiroit moult que le concilie de Basle ne fust dissipé, ne retardé pour l'espérance de Grieux. Car on avoit moult de fois labouré sans effect pour les atraire à l'union de nostre mère saincte Eglise, mais consilloit mieulx de arrachier et extirper les hérésies régnans. Item, car ceulx du concilie avoient escript à ceulx de Praghe (130) appelles Housses, qu'ilz venissent au présent concille, et l'empereur leur en avoit escript pareillement, et pour y venir, donné saufconduit. Et sambloit qu'ilz avoient intencion de y venir, car ilz avoient eu grand perte entre les Hongres, et si avoient esté repoussés par deux fois du duc d'Osterice (131). Item, pour ce que les Pragois sçavoient que le saint concille estoit principalment tenu pour détruire et abolir leurs hérésies, povoit-on espérer que par informacion, sans disputacion, on les convertirait à bonne créance. Item, s'il advenist qu'ilz ne se volsissent consentir, ni condescendre à raison, ceulx du concille, estans de tous pays, admonesteroient ceulx de leurs contrées à venir destruire ces Pragois. Item, pour ce qu'ilz veulent approuver leur secte par sainte escripture, se on délaissoit le concille, ilz diroient qu'on ne sçauroit que respondre à leurs raisons et que riens n'estoit du concille, et parainsi se enhardiraient en leurs faulses créances et pervers erreurs. Item, par ce que renommée couroit que le saint concilie estoit assamblé présentement pour réformer les meurs du peuple chrestien et aussi l'estat de l'Eglise, si estoit à doubter que les gens lais, qui moult parloient sur leur estat, diraient que s'en assambloit et puis qu'on départesist le concille ainsi qu'on avoit jà fait à Pise et à Constance, que c'estoit sans utilité et prouffit, et que ce n'estoit que une moquerie et confusion. Item, estoit le concille commencé pour appaisier les discencions qui par espécial estoient en la foy entre clercs et laiz, pour quoy ceulx du concille avoient jà escript et mandé aulcunes villes de venir au concille, et par espécial aulcunes villes en Saxongne, dont l'une ville est assavoir Mayerborc (132), avoit bouté hors son évesque avec le clergié, et aultres s'estoient rebellés à leurs évesques. Et pour ce qu'ilz estoient enclins aux Pragois, estoit à doubter, ou cas que le concille se départesist, que ceulx ci et aultres se metteroient avec yceulx Pragois, tant qu'à grand peine on y porroit remédier. Item, jà soit que pluiseurs princes et villes situées et assises entour les Pragois avoient fait trièves avec yceulx, toutefois la grigneur partie se tenoient encore fermemment à yceulx, espérant sur la provision du concille, mais se ilz sçavoient le département d'ycelui, si feraient aussi trièves comme les aultres, dont il s'ensuiveroit qu'ilz se ahorderoient avec les Pragois. Item, avoit on eu advis sur le concille de pacifier plusieurs rois, princes et aultres, et en ce commencé à trouver moyens de paix. Mais se le concille estoit séparé, yceulx princes estoient bien taillés d'eulx employer à guerroyer et continuer en guerre et ne remandroit (133) nulle espérance de assambler le concille, pour les sédicions et cruaultés qui advendroient. Et aussi seroient atargiés plusieurs provisions et moyens servans au prouffit commun de la chrestienté. Si advendroient grans esclandres et destructions, qui plus évidamment apparroient qu'on ne les porroit escripre, lesquelles considéracions déclarées en l'espitre de l'empereur, si estoit la conclusion en ycelle comme il s'ensuit. « Pour quoy, nous requérons à votre saincteté que incontinent escripvés au président et à ceulx du saint concille, que en nulle manière ne se départent, mais béneuréement accomplissent ce qu'ilz ont commencié et ce pour quoy ilz sont au nom de Nostre Seigneur assemblés, en rappellant et adnichillant, se aulcunes choses avez escriptes au contraire. Et vueillez considérer que les hérésies armées acroissent, se vous le faites, et déchera l'église en très piesme estat, si qu'on n'y pourra remédier par nulle puissance, par nul conseil, ne par nul engien. Et certainement, ceulx qui vous ont conseillé le département du concille n'entendoient mie les griefs maulx qui en pourraient naistre. Pleust à Dieu qu'ilz assavourassent et entendissent la fin, comme l'attente et retargement en cest cas soit moult périlleux et nullement à souffrir. Et se on doubtoit que par aventure, par les lais, peust estre usurpée aulcune chose contre l'estat de l'Eglise, pour ce qu'ilz ne doibvent jetter leur fauch en aultrui champs ou fruis. Mais pour vray, ces subtilités de retarder le saint coucille feront foursener les lais contre l'Eglise et clergié, laquelle chose on pourrait par bonne manière destourner, c'est assavoir par entretenir le concille, en quoy les lais seroient refrenés, quand ilz verraient que les clergies entenderoient au commun prouffit. Item, devez considérer qu'il est à supposer que le salut concille à ce département ne se vouldra nullement consentir, et les suivront la plus grande partie des rois, princes, prélatz et communes. Et vostre Saincteté, laquelle jusques à présent a esté bonne en sainte Eglise, sans tache, cherra par telles euvres en suspection, souspeçon et rouyl (134), et par ce département, sans royalle cause, corromperez vostre innocence. Car on pourra dire que vous nourrissiez les hérésies et occasions en terre entre les chrestiens, et persévérance de malvaix meurs et de péchiés ou peuple. Pour quoy est à doubter grandement inobédience, esclandre et discencion en l'Eglise de Dieu. Car aulcuns vous imposeront que vous avez donné matère et occasion de ces choses, et est à présumer que on trouvera assez de ceulx qui se accorderont à ce. Item, se vostre sainteté vouloit en propre personne estre présent au saint concille, ce serait bon et utile. Mais s'il ne pouvoit estre, si commandez hastivement qu'il soit entretenu ainsi qu'il est encommencié. Car ces choses, qui touchent sang et ne pueent estre sans bleceure de chrestienté, ne quièrent et ne demandent nul retardement. Item, se vostre saincteté désire au temps advenir à entendre au fait des Grigois ou autres choses, lesquelles ne quièrent mie si grand haste, si pourra bien estre célébré un autre concille, qui sera chose plus advenant et plus acceptable, que ne serait pour le présent le ralongement de cestui concille. Car il est bien à doubter, se ce concille se départ, qu'on ne pourra faire nulle assamblée dedans ung an et demi, pour les inconvéniens qui advenroient. Item, toutes lesquelles choses vuelle vostre saincteté diligamment considérer, si que ledit concille soit tantost restorré, et voelliez nostre admonicion retenir paternellement et débonnairement. Car ad ce nous constraint nostre conscience, et noz derraines nécessitez, en quoy nous véons estre mise l'Eglise de Dieu. Et aussi vostre magnificence ne vouldroit point voulentiers que de ce naquist souspeçon contre vostre saincteté, si comme plus clèrement vous donrons à congnoistre quand nous serons par devers vous. Ce que nous espérons qui sera briefment. » Lesquelles considéracions desus touchées, par nostredit saint père, il restora et restablit le saint concille dessusdit. Où se rassamblèrent pluiseurs seigneurs ecclésiastiques et séculiers, ambassadeurs d'estudes, prélatz et princes, en grand nombre et en grand multitude. ![]() Source : - Présentation : Jules Quicherat t.IV, p.360 - La chronique d'Enguerrand de Monstrelet - Tome IV (L. Douët d'Arcq - 1860) Notes : 1 Gand. 2 Classidas (Glasdale). 3 Passavant (Marne). 4 Janville (Eure-et-Loire) 5 Jean I dit le Grand. 6 Le duc de Coïmbre. 7 Henri VI. 8 Ici un mot en blanc dans le ms. 8346. Vérard met : le seigneur d'Eu. * ndlr : Monstrelet se garde bien de parler du saccage ordonné par Salisbury du sanctuaire révéré de Notre-Dame de Cléry près d'Orléans, ce qui avait scandalisé la population française. 9 Région de St-Pol sur Ternoise (Pas de Calais) - comte de St-Pol. 10 Limaçon. 11 De sa famille : c'est à dire de son entourage. 12 Le jour de la mi-carème. 13 La mort de Jean III, dit Thierri, comte de Namur, est du 1er mars 1429 (N. S.). La vente du comté avait été faite le 23 avril 1421. 14 Falstoff. 15 Simon Morhier. 16 Le 18 février 1429 (N. S.). 17 Rouvray Saint-Denis (Eure-et-Loir). 18 Janville, id. 19 Targiés de leur charroy: couverts, défendus; de targe, bouclier. 20 Stuart. 21 Le 21 février 1429. 22 Ici un mot en blanc dans le ms. 8346. Vérard ne mentionne que Charles de Bourbon et le seigneur de Chasteaubrun. 23 Servante. 24 Apertise : force, agilité, adresse. (Lacurne) 25 Dans le ms. 8346 que nous suivons, on trouve ici (fol 50 v°, en marge et d'une main plus moderne, qui pourrait être de la fin du quinzième siècle ou même du seizième, l'importante variante que voici : « Toute sa vye fut bergière, gardant les berbis, jusques a ce qu'elle fut menée devers le roy, ne jamès n'avoir eu cheval, au moins pour monter dessus. » 26 Ce nom, qui était resté en blanc dans notre manuscrit, y a été ajouté de la même main qui a écrit la note marginale reproduite plus haut. 27 L'année commençant à Pâques, qui tombait cette année le 27 mars, on doit entendre les derniers jours de mars ou les premiers d'avril. Chuffart dit que ce fut le 4 avril. 28 Ces nombres sont en chiffres dans le ms. 8346, et en toutes lettres dans Vérard. 29 La bastille de Saint Loup. 30 Classidas (Glasdal) 31 Jargeau (Loiret). 32 La Ferté-Hubert (Loiret) 33 Beaugency (id) 34 Maréchal de Retz. (ndlr : Rais) 35 Patay, petite ville de la Beauce, à cinq lieues nord-ouest d'Orléans. 36 De Baugency et des environs d'Orléans. 37 Les côtoyaient. 38 Jean Falstoff. 39 Le texte continue sans donner les noms annoncés. 40 La bataille de Patay se donna le 18 juin. 41 René d'Anjou, roi de Sicile. 42 Vérard. Le ms. 8346 laisse le nom de l'ordre en blanc. 43 Le ms. 8346 met Saint Jargeau. 44 Lisez Maillé. 45 Corbeny (Aisne), à dix-huit kilomètres de Laon. 46 Montepilloy (Oise), à quatre kilomètres de Senlis. 47 Le cas. 8346 omet ces mots, qui sont dans Vérard. 48 Estrépagni (Eure), près de Gisors. 49 Il y a un Torcy le Grand et Torcy le Petit, dans la Seine-Inférieure. 50 Il y a ici dans le ms. 8346 un blanc dont Vérard ne tient pas compte, en supprimant le mot comme 51 Lisez Le Quesnoy (Somme, arrondissement de Roye). 52 Harnois. 53 Cet hôtel était situé rue Mauconseil. 54 Vincennes. 55 Villeneuve-le-Roy. 56 Un mot en blanc 57 Estrepagny près Gisors. 58 Le château d'Aumale. 59 Ce fusil, ou briquet, qui se trouve sur les monnaies et sur d'autres monuments, avait à peu près la figure d'un B couché sur sa haste et dont les panses ne se toucheraient pas au milieu. 60 Avant lui. 61 J. Guillaume de Vienne. 62 Saint-Rémy-en-l'Eau (Oise). 63 Heaume, casque. 64 Ici, dans le ms. 8346, un blanc dont Vérard ne tient pas compte. 65 Il faut sans doute entendre ici, de France, c'est-à-dire de Ile-de-France. Dans Vérard ce passage est inintelligible. 66 Choisy-au-Bac (Oise) à une lieue de Compiègne. 67 Pont l'Evêque (Oise). 68 Achery (Aisne), à une lieue de La Fère. 69 Coudun (Oise), à cinq kilomètres de Compiègne. 70 A une demi-lieue de Compiègne. 71 Margny, à une demi-lieue de Compiègne. 72 Avant la reddition de Choisy et la tentative sur Pont-l'Évêque. 73 René d'Anjou, roi de Sicile. 74 Coudun. 75 Ce passage prouve que Monstrelet commençait le jour à midi. 76 Page. 77 Margny (Oise) a une demi-lieue de Compiègne. 78 A demi-lieue de Compiègne, comme on l'a vu plus haut. 79 Puisque Monstrelet parle ici en témoin oculaire, il s'ensuit qu'il devait faire partie de la suite du duc de Bourgogne à cette fameuse entrevue. 80 Beaulieu (Oise) et Beaurevoir (Aisne). 81 Ayroles : La nuit de l'Ascension. L'on comptait la journée à partir des premières vêpres d'une fête, ou à partir de la soirée. En 1430, l'Ascension tombait le 25 mai. La vigile était censée commencée le 23 au soir. 82 Ayroles : Monstrelet ne tient pas sa parole. Du séjour à Beaurevoir, de la vente de la prisonnière aux Anglais, du procès, il ne dit rien... 83 Sic et aussi dans Vérard. Il faut lire Rouen. 84 Le 26 mai. 85 L'abbaye de la Victoire. 86 Florennes. 87 Lis. Margny. 88 Lire Margny. 88 En Valois. 89 Verberie, en Valois. 90 Champigneul (Ardennes). 91 Sic, de ses premiers, de ses principaux serviteurs. 92 Ligny. 93 L'abbaye de Royal-Lieu. 94 Précy-sur-Oise (Oise). 95 Catheux, près Crèvecœur. 96 Montjay. 97 Lis. La Queue en Brie. 98 Rampillon (Seine-et-Marne). 99 Le 4 juin. 100 Colombier et Anthon (Isère). 101 Neuf heures du matin. 102 Le 31 octobre. 103 C'est-à-dire : la plupart furent d'avis contraire. 104 C'est-à-dire l'abbaye de la Victoire. 105 Lis. Margny. 106 Il y a ici dans le ms. 8346 un blanc, dont Vérard ne tient pas compte. 107 Le 4 novembre. 108 Il semble qu'il faudrait lire ici Germigny, mais aucun des huit Germigny que donnent les dictionnaires géographiques, ne répond à l'emplacement du lieu dont parle ici Monstrelet. II n'y a que Guerbigny (Somme) qui se trouve dans la position indiquée, c'est-à-dire entre Roye et Bouchoire. 109 Près Roye. 110 De sa famille, c'est-à-dire, de sa maison, de sa suite. 111 Une housse, brodée d'or. 112 Lisez Coulommiers. 113 Thérouanne (Pas de Calais). 114 Ligny. 115 Marraines. 116 Autheuil, en Thiérache, à quelque distance de Moncornet. 117 Rambures, à quatre lieues d'Abbeville. 118 Le Ms.8346 laisse le nom en blanc. Vérard donne la leçon absurde de Gournay. 119 C'est-à-dire quarante jours de délai pour répondre à l'appel. 120 Fouilloy, à un kilomètre de Corbie. 121 Morcourt (Somme), à dix kilomètres de Corbie. 122 Lihons, en Santerre ? 123 Anglure, Marne. 124 Le nom en blanc dans le ms 8346, Vérard passe toute la phrase. 125 « Et mirent le feu dedans. » (Vér.) 126 Vérard met en quoy elle estoit obstinée. 127 Enrageries. 128 Le pape Martin V mourut d'un coup d'apoplexie dans la nuit du 20 au 21 février de l'an 1431. Il avait indiqué, d'abord à Pavie, puis à Sienne, enfin à Bâle, le fameux concile qui se tint dans cette dernière ville, et dont l'ouverture se fit le 23 juillet. Il eut pour successeur Eugène IV. 129 Les Grecs. 130 Prague. Elle était alors au pouvoir des Hussites. 131 Albert, duc d'Autriche. 132 Vérard écrit Mayocborg. C'est Magdebourg. 133 Remandroit, remaneroit, pour resterait. 134 Ruine. |
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