Son histoire
par Henri Wallon

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La chronique de l'établissement de la fête du 8 mai
index

n 1739, Montfaucon signalait, dans le manuscrit 891, fonds de la reine Christine, à la Vaticane, comme faisant suite au Journal du siège, la relation aujourd'hui désignée sous le nom de Chronique de l'établissement de la Fête du 8 mai. Malgré cette indication du savant Bénédictin, il se passa plus d'un siècle avant qu'elle fût livrée à l'impression. Ce fut M. Salmon, qui, en 1847, la publia dans la Bibliothèque de l'École des Chartes; Quicherat la fit entrer dans sa Collection; elle a été, en 1883, de la part de M. Boucher de Molandon, l'objet d'une étude approfondie dans les Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais ; enfin, au moment où ces lignes s'écrivent, paraît le volume du Journal du siège, édité à nouveau par MM. Charpentier et Cuissart, où l'on peut la lire.
  M. Boucher de Molandon, informé qu'il existait à la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg un autre exemplaire de la Chronique susdite, s'en fit envoyer une fidèle copie ; et il publia en brochure les deux textes en regard, en les accompagnant d'une étude philologique due à M. Bailly, professeur au lycée d'Orléans. La collation a fait conclure que si le manuscrit du Vatican était du XVe siècle, celui de Saint-Petersbourg était du XVIe et que l'un et l'autre reproduisent un manuscrit antérieur. Les variantes sont légères, et altèrent peu le sens. Le second manuscrit peut servir à redresser quelques fautes de copiste que l'on trouve dans le premier; et le rajeunissement de certains mots aide à comprendre certaines locutions complètement disparues.
  L'auteur disant qu'il y a certains jeunes gens qui pourraient avoir peine à croire les faits solennisés par la fête du 8 mai, nous autorise à reculer la date de son écrit à quinze ou vingt-cinq ans après la délivrance.

  Quel est cet auteur ? Ce n'est certainement pas un écrivain maniant très prestement la langue française, même de l'époque. Sa phrase est lourde, chargée d'incidences inattendues, pénible à lire. Ce n'est pas une raison pour ne pas en faire honneur à un canoniste ou à un théologien de l'époque. Habitués à parler en latin dans leur enseignement, à lire des livres latins, ils transportaient trop aisément dans le français les inversions de la langue latine, qui avec les désinences des cas les admet plus aisément que la langue française privée de pareille ressource.
  La Chronique nous parle d'un docteur, homme très sage, du nom de Jean de Mâcon, auquel la Pucelle fît l'honneur de s'ouvrir. Loin d'y voir une raison pour ne pas attribuer à Jean de Mâcon un écrit où il aurait ainsi parlé de lui-même, Quicherat, Vallet de Viriville, et les modernes, forts de quelques autres exemples, où, grâce à l'anonyme, des auteurs du temps rendent ainsi témoignage de leur mérite, les modernes admettent volontiers que l'auteur de la relation est Jean de Mâcon en personne. Vallet de Viriville va jusqu'à conjecturer qu'il est l'auteur de l'immense drame qui a pour titre le Mystère d'Orléans. Qui est donc Jean de Mâcon ?
  Jean de Mâcon a été si peu connu que Quicherat disait qu'il n'est nommé nulle part. Il oubliait que trois témoins entendus à la réhabilitation en parlent comme d'un docteur très fameux, ayant rendu à la Pucelle le plus explicite des témoignages. M. Boucher de Molandon, dans sa brochure sur la Chronique de l'établissement de la Fête a essayé de constituer, avec quelques textes des archives d'Orléans, une Notice du célèbre inconnu. Les inductions de l'érudit Orléanais sont aujourd'hui notablement atteintes par deux publications récentes qui nous permettent d'établir le curriculum vitæ du docteur, qui fut en effet un des plus fameux de son temps. L'une est le docte ouvrage de M. Fournier, Statuts et privilèges des Universités, l'autre un article de M. Wilhelm Meyer, dans la Bibliothèque de l'École des chartes (janvier-avril 1895), sous ce titre : Nouvelles de l'Académie de Goettingue. Comme l'approbation de la Pucelle par semblable personnage ne le cède qu'à celle que lui donna Gerson, il est utile de faire connaître Jean de Mâcon (1).

                  

Chapitres :
- 1ère partie
- 2ème partie
- 3ème partie
- 4ème partie
- 5ème partie
- 6ème partie


                                         

n l'an mil quatre cens et vingt et huit, les Anglois tindrent leur conseil au païs d'Angleterre, et là fut ordonné que le conte de Salebery descendroit ou païs de France, pour conquerre les païs de monseigneur d'Orléans, lequel ilz tenoient prisonnier dès l'an quatre cens et quinze, et avoit esté pris par eulx et fait prisonnier à une journée qui fut Agincourt, en laquel journée il fut pris, et plusieurs autres seigneurs de France. Audit conte de Sallebery fut baillé de six a sept mille Anglois combatens. Et lors mondit seigneur d'Orléans averti de ces choses, considerant le dommage et destruction qu'il doubtoit advenir en ses terres et seigneuries au moyen de la dicte entreprise et mission du dit conte de Salebery, voulant obvier ad ce de son pouvoir, se adressa au dit conte de Salebery, et lui recommanda sa terre; lequel Salebery luy promist que il la supporteroit, et moyennent ce luy promist mondit seigneur d'Orléans six mille escuz d'or, c'est assavoir de luy raïmbre (1) ung jouyau qu'il avoit en France. Et de tout ce, le dit conte de Salebery n'en tint riens ; aussi il luy en prist mal, comme vous orrez, car Dieu l'en punit.
  Le dit conte de Salebery, pour accomplir sa mouvaise voulunté, non obstant la promesse par luy faicte à mon dit seigneur d'Orléans, descendit ou païs de Normendie, tint sa rotte droit à Chartres, et prist Nogent-le-Roy et se tira jusques à Yenville en Beausse, et la mist le siége, et de fait prist iceluy lieu d'Yenville d'assault. Et ce voyans ceux de Meung sur Loire, trouvèrent moyen et se rendirent sans coup ferir. Et puis alla mettre le siége devant Boisgency et devant Jargueau, et la se rendirent. Et cependant vint iceluy conte de Salebery piller le lieu et esglise de Nostre Dame de Clery, dont il fist très mal, car pour iceluy temps il n'y avoit homme d'armes qui y osast riens prendre que il n'en fust incontinant puny, comme chachun scet.


  En l'an mil quatre cent vingt et huit, les Anglais tinrent leur conseil au pays d'Angleterre, et là il fut ordonné que le comte de Salisbury, descendrait au pays de France, pour conquérir les pays de Monseigneur d'Orléans, lequel ils tenaient prisonnier depuis l'an quatre cent et quinze. Il avait été pris par eux et fait prisonnier à une journée qui fut celle d'Azincourt, en laquelle il fut pris avec plusieurs autres seigneurs de France.
  De six à sept mille combattants anglais furent baillés audit comte de Salisbury, et lors mondit seigneur d'Orléans, averti de ces choses, considérant le dommage et la destruction qu'il redoutait advenir en ses terres et seigneuries par suite de ladite entreprise et mission dudit comte de Salisbury, voulant y obvier de son pouvoir, s'adressa à ce même comte, et lui recommanda sa terre. Lequel Salisbury lui promit qu'il l'épargnerait, et, moyennant ce, Monseigneur d'Orléans lui promit six mille écus d'or, à savoir de lui donner en gage, un joyau qu'il avait en France. Et de tout cela le comte de Salisbury n'en tint rien ; aussi il lui en prit mal, comme vous l'ouïrez; car Dieu l'en punit.
  Le comte de Salisbury pour accomplir sa mauvaise volonté, nonobstant la promesse faite à Monseigneur d'Orléans, descendit au pays de Normandie, tint sa route droit à Chartres, prit Nogent-le-Roi, et vint jusqu'à Yenville-en-Beauce, y mit le siège, et de fait prit d'assaut y celui lieu d'Yenville. Ce voyant, ceux de Meung-sur-Loire négocièrent, et se rendirent sans coup férir. Et puis il alla mettre le siège devant Baugency et devant Jargeau qui se rendirent. Et durant cette expédition 6, icelui comte de Salisbury vint piller le lieu et l'église de Notre-Dame-de-Cléry, dont il fit très mal, car en ce temps il n'y avait homme d'armes qui osât y rien prendre, qu'il n'en fût incontinent puni, comme chacun sait.



                                         

' an dessusdit, le treiziesme jour d'octobre, arriva le dit conte de Salebery au Portereau d'Orléans, et fut posé le siége ; et la nuyt fut brûlé et abatu le moutier des Augustins ad ce que iceulx Anglois ne se logeassent léans. Et ne demoura guères que il, Salebery, donna assault au dit Portereau, c'est assavoir au boloart du bout du pont, lequel n'estoit fait que de fagos ; et dura de quatre à cinq heures ; et là fut blecié monseigneur de Saintrailles et Guillaume de La Chapelle, qui estoient capitaines ; et y eut telle deffence qu'ilz ne peurent riens faire ce dit jour. Et puis après copèrent ledit boloart par dessoulz, et ainsi fut advisé qu'il estoit expédiant de l'abendonner.
  Et le dimenche en après fut donné l'assault aux Torelles devers le matin, et à icelle heure ne firent riens. Et en iceluy jour, environ deux heures après midi, Sallebery donna l'assault et de fait prist les dictes Torelles, car il n'y avoit homme d'armes qui se osast tenir pour la force des bombardes et canons que iceulx Anglois gettoient. Et quant ilz les eurent prises, le dit conte de Sallebery monta au plus hault et se mist à une fenestre qui estoit devers la ville, pour veoir le pont qui estoit très bien armé ; et à ceste heure vint ung canon de la ville, lequel frappa par la teste ledit conte de Sallebery : qui fut l'avancement de sa mort.
  Et aucuns dient que ledit canon partit de Saint-Anthoine, les autres dient qu'il partit de la tour Nostre-Dame et qu'il y eut un jeune paige qui jecta ledit canon ; et qu'il soit ainsi, le canonnier qui avoit la charge de ladicte tour, trouva ledit paige qui s'enfuyoit. Et aussi estoit ce assez raisonnable, veu et considéré que iceluy conte de Sallebery avoit, comme dit est devant, pillée ladicte esglise de Nostre-Dame de Cléry, que par elle il en fust puny. Le dit conte de Sallebery ainsi heurté et frappé dudit canon, fut porté à Meung sur Loire par aucun desdits Anglois, et là morut.
  Et voyant ce, les capitaines dudit siége levèrent une partie de leur siége, et laissèrent de cinq à six mille combatens ausdictes Torelles et se retreyrent à Paris, qui pour lors estoit Anglois, et ordonnèrent ung nommé Tallebot à estre leur chef. Et les feries de Noël, vindrent devers Saint-Loup pour mettre le siége. Et ce pendant, ceulx de la ville abbatirent toutes les esglises et maisons des forsbours : qui fut une grande consolacion pour la dicte ville d'Orléans à l'encontre desdiz Anglois.
  Environ quaresme-prenant, nouvelles vindrent que monseigneur de Bourbon venoit pour secourir la dicte ville d'Orléans ; et arriva iceluy monseigneur de Bourbon, avec luy monseigneur de Toars et plusieurs autres seigneurs ; et tindrent conseil entre eulx, et fut advisé que l'on iroit au devant de leurs vivres, c'est assavoir desdits Anglois qui estoient partis de Paris. Et ainsi se partirent nos gens dudit Orléans et trouvèrent les Anglois environ Rouvray-Saint-Denis qui est en Beausse, et estoient noz gens contre iceulx Anglois six contre ung ; mais la fortune fut telle, et en demoura environ trois cens de noz gens ; et là fut blécié monseigneur de Dunois et fut tué le connestable d'Escosse. Et ce partit monseigneur de Bourbon et plusieurs autres seigneurs et chefs de guerre de la journée, et arrivèrent à Orléans environ mynuit, et entrèrent à icelle heure, et là furent neuf jours estans tous effraiés de la journé qu'ils avoient perdue, telle ment que quant ilz veirent les Anglois venir au siège, homme ne les povoit faire issir hors de la ville. Et ce voyans les bourgeois de la ville, que leurs vivres diminuoient fort, vindrent devers monseigneur de Bourbon et devers monseigneur de Touars leur faire requerir qu'ilz les envoyassent hors ; et ainsi s'en partirent.

                   


  L'an dessus dit, le treizième jour d'octobre, le comte de Salisbury arriva au Portereau d'Orléans et le siège fut posé. La nuit fut brûlé et abattu le monastère des Augustins, pour que les Anglais ne s'y logeassent pas. Icelui Salisbury ne tarda guère à donner l'assaut audit Portereau, c'est à savoir au boulevard du bout du pont, qui n'était fait que de fagots; l'assaut dura de quatre à cinq heures ; et y furent blessés Monseigneur de Xaintrailles et Guillaume de La Chapelle qui étaient capitaines ; et la défense fut telle que les assaillants ne purent rien faire ce jour. Et puis après il arrivèrent par-dessous ledit boulevard, et ainsi il fut arrêté qu'il était expédient de l'abandonner.
  Le dimanche qui suivit, l'assaut fut donné aux Tourelles devers le matin, et à cette heure ils n'y firent rien. Et en ce même jour, environ deux heures après midi, Salisbury recommença l'assaut, et de fait il prit les Tourelles ; car il n'y avait homme d'armes qui osât s'y tenir, à cause de la force des bombardes et canons que tiraient les Anglais. Les Tourelles prises, le comte de Salisbury monta au plus haut étage, et se mit à une fenêtre devers la ville pour voir le pont qui était très bien armé. Et à cette heure, de la ville partit un canon qui le frappa à la tête ; ce qui fut l'avancement de sa mort.
  Quelques-uns disent que le canon partit de Saint-Antoine, les autres qu'il partit de Notre-Dame, et que ce fut un jeune page qui le fit partir ; et qu'il en soit ainsi que le canonnier qui avait la charge de ladite tour trouva le page qui s'enfuyait. Et aussi était-ce juste et raisonnable que ledit comte de Salisbury, ayant, comme il est dit plus haut, pillé l'église de Notre-Dame-de-Cléry, en fût puni par elle. Ainsi heurté et frappé, le comte de Salisbury fut porté à Meung-sur-Loire par quelques Anglais, et là il mourut.
  Ce voyant, les capitaines levèrent en partie leur siège, laissèrent cinq à six mille combattants aux Tourelles et se retirèrent à Paris qui, pour lors était anglais, et ils ordonnèrent un nommé Talbot, pour être leur chef. Les fériés de Noël, ils revinrent vers Saint-Loup pour remettre leur siège. Pendant ce temps ceux de la ville abattirent toutes les églises et maisons des faubourgs; ce qui fut un grand moyen de conservation (2) pour la ville d'Orléans à l'encontre des Anglais.
  Environ le carême-prenant, vinrent nouvelles que Monseigneur de Bourbon venait pour secourir la ville ; icelui Monseigneur arriva, et avec lui Mgr de Thouars et plusieurs autres seigneurs ; ils tinrent conseil entre eux, et ils furent d'avis qu'on irait au-devant des vivres des Anglais qui étaient partis de Paris. Et ainsi se partirent nos gens d'Orléans, et ils trouvèrent les Anglais environ Rouvray-Saint-Denis qui est en Beauce. Nos gens étaient contre iceux Anglais six contre un ; mais la fortune fut telle que de nos gens il en demeura trois cents sur le sol; et là fut blessé Mgr de Dunois et fut tué le connétable d'Écosse. Et partit de la journée Mgr de Bourbon avec plusieurs autres seigneurs et chefs de guerre. Ils arrivèrent à Orléans à minuit environ, et ils entrèrent à cette heure. Ils furent là neuf jours tous effrayés de la journée qu'ils avaient perdue, tellement que, quand ils virent les Anglais venir au siège, homme ne pouvait les faire sortir de la ville. Ce voyant, les bourgeois de la ville, considérant que leurs vivres diminuaient fort, vinrent vers Monseigneur de Bourbon et vers Monseigneur de Thouars leur requérir qu'ils envoyassent leurs hommes dehors ; et ainsi ils partirent.



                                         

n iceluy temps, Dieu de sa saincte grace et miséricorde envoya une voix à une fille pucelle, nommée Jehanne, laquelle gardoit les bestes aulx champs ès païs de environ Vaulcoulour, qui est près de Laurraine, disant que Dieu lui commandoit qu'elle se préparast pour aller lever le siège de devant Orléans, et qu'elle menast le roy Charles coronner. Ainsi la dicte Jehanne se adressa au seigneur dudit Vaucoulour, et luy nota ces choses, qui luy fut une grant merveille ; et se prépara pour admener la dicte Pucelle devers le roy, qui pour lors estoit à Chinon. Et elle venue devers le roy, fut examinée de plusieurs évesques et seigneurs en plain conseil ; et en tout son fait ne fut
trouvé que tout bien. Lors on luy fist faire ung harnois complect et aussi une estandart, et eut licence d'estre habillée comme ung homme.
  Cependent vindrent nouvelles à Orléans de la dicte Jehanne, laquelle lors vulgaument on appelloit Jehanne la Pucelle, de quoy furent bien esmerveillés ceulx de la dicte ville d'Orléans ; et de prime face cuidoient que ce ne fust que une desrision, non obstant qu'ilz avoient grande confiance en Dieu et au bon droit du roy et de leur seigneur, lequel estoit prisonnier, comme avez ouy cy devant ; et leur corage s'en escrut de la moitié.
  Et environ la fin d'avril, fut baillé à la dicte Jehanne, monseigneur de Rais, mareschal de France, et plusieurs autres capitaines, et aussi des communes des païs d'à bas, et luy fut ordonné d'amener vivres et artillerie, et vindrent par la Sauloigne, et passèrent par Olivet ou près, et arrivèrent jusques à l'lsle-aux-Bourdons qui est devant Checi. Et saichans ceulx d'Orléans que elle venoit, furent très joyeulx et firent habiller challans à puissance ; et estoit lors la rivière à plain chantier ; et aussi le vent, qui estoit contraire, se tourna d'aval et tellement que un chalen menoit deux ou trois chalens, qui estoit une chose merveilleuse, et failloit dire que ce fust miracle de Dieu. Et passèrent par devant les bastilles des Anglois, et arrivèrent à leur port, et là chargèrent leurs vivres, et puis passa la rivière la dicte Pucelle. Et là estoient présens monseigneur de Dunois, La Hire et plusieurs aultres seigneurs, et vindrent par devant la bastille de Saint-Loup, où estoient les Anglois.
  Arriva à Orléans la dicte Pucelle et fut logée près de la porte Regnart, et de son logis povoit veoir tout le siège. Et est assavoir que ceulx de la ville d'Orléans estoient bien joyeulx. Et ce pendant monseigneur de Rais et les autres capitaines qui la dicte Pucelle avoient amenée, retournèrent à Blois quérir des autres vivres. Et elle estant audit Orléans, elle alla par deux ou trois fois sommer les Anglois qu'ils s'en allassent en leur païs et que le roy du ciel le leur mandoit : à laquelle ilz dirent plusieurs injures et entre les autres Clacidas, auquel la dicte Pucelle respondit qu'il mentoit de ce qu'il luy disoit et qu'il en mourroit sans seigner. Ainsi fust il, comme sera déclairé cy après. Et prenoit icelle Jehanne la Pucelle en bonne pacience les injures que luy cuidoient dire et faire lesdiz Anglois.
  Et après s'en alla à l'église Saincte-Croix, et là parla à messire Jehan de Mascon, docteur, qui estoit ung très sage homme, lequel luy dist : « Ma fille, estes-vous venue pour lever le siège? » A quoy elle respondit : « En nom Dé, dist elle, ouy. »— « Ma fille, dit le sage homme, ilz sont fors et bien fortiffiés et sera une grant chose à les mectre hors. » Respondit la Pucelle : « Il n'est riens impossible à la puissance de Dieu. » Et en toute la ville ne fist honneur à autre.

  

  En icelui temps, Dieu, de sa sainte grâce et miséricorde, envoya une voix à une fille pucelle, nommée Jeanne, qui gardait les bêtes aux champs ès pays des environs de Vaucouleurs, qui est près de Lorraine. La voix disait que Dieu lui commandait de se préparer pour aller lever le siège de devant Orléans, et qu'elle menât couronner le roi Charles. Par suite, ladite Jeanne s'adressa au seigneur de Vaucouleurs, et lui raconta ces choses ; ce qui lui fut une grande merveille ; et il se prépara pour amener ladite Pucelle devers le roi, qui pour lors était à Chinon. Elle venue vers le roi, fut examinée de plusieurs évêques et seigneurs en plein conseil ; et en tout son fait ne fut trouvé que tout bien. Lors on lui fit faire un harnois complet, et aussi un étendard ; et elle eut licence d'être habillée comme un homme.
  Cependant vinrent à Orléans nouvelles de ladite Jeanne, qu'alors on appelait vulgairement Jeanne la Pucelle (3), de quoi ceux de la ville furent bien émerveillés. De prime face ils pensaient que ce ne fût que dérision, encore qu'ils eussent grande confiance en Dieu, et au bon droit du roi et de leur seigneur, lequel était prisonnier, comme vous avez ouï ci-devant ; et leur courage s'en accrut de moitié.
  Environ la fin d'avril, fut baillé à ladite Jeanne Mgr de Rais, maréchal de France, et plusieurs autres capitaines, et aussi [des soldats] des communes du pays d'en bas, et il lui fut ordonné d'amener vivres et artillerie. Ils vinrent par la Sologne, passsèrent par Olivet ou près, et arrivèrent jusqu'à l'Ile-aux-Bourdons, qui est devant Chécy. Ceux d'Orléans sachant qu'elle venait furent très joyeux; ils firent préparer des chalands en grand nombre. La rivière était alors à plein chantier, et aussi le vent qui était contraire se tourna d'aval, tellement qu'un chaland menait deux ou trois chalands ; qui était une chose merveilleuse, et fallait dire que c'était un miracle de Dieu. Ils passèrent par-devant les bastilles des Anglais et arrivèrent à leur port; et là chargèrent leurs vivres, et puis la Pucelle passa la rivière. Là étaient présents Monseigneur de Dunois, La Hire et plusieurs autres seigneurs ; et ils vinrent par-devant la bastille de Saint-Loup où étaient les Anglais.
  La Pucelle arriva à Orléans, et fut logée près de la porte Regnart; et de son logis elle pouvait voir tout le siège. Et il est à savoir que ceux d'Orléans étaient bien joyeux. Et pendant ce temps Mgr de Rais, et les autres capitaines que la Pucelle avait amenés, retournèrent à Blois quérir d'autres vivres.
  La Pucelle étant à Orléans, elle alla par deux ou trois fois sommer les Anglais qu'ils s'en allassent en leur pays, et que la roi du Ciel le leur mandait, et ils lui dirent plusieurs injures, et entre les autres Glacidas, auquel elle répondit qu'il mentait de ce qu'il lui disait, et qu'il en mourrait sans saigner. Ainsi fit-il comme sera déclaré ci-après ; et Jeanne la Pucelle prenait en bonne patience les injures que les Anglais trouvaient bon de lui dire et de lui faire.
  Et après, elle s'en alla à l'église Sainte-Croix, et là elle parla à Messire Jean de Mascon, docteur, qui était un très sage homme, lequel lui dit : « Ma fille, êtes-vous venue pour lever le siège ? » A quoi elle répondit : « En nom Dieu, oui ». « Ma fille, dit le sage homme, ils sont forts et bien fortifiés, et ce sera une grande chose que de les mettre hors ». La Pucelle répondit: « Rien n'est impossible à la puissance de Dieu ». Et en toute la ville elle ne fit honneur à aucun autre.



                                         

t le mercredi, quatriesme jour de may l'an vingt et neuf, partit la dicte Pucelle pour aller au devant des autres vivres que nmenoit le sire de Rais, et allèrent avec elle tous les capitaines (et là estoit monseigneur de Dunois, La Hire, messire Florent d'Illiers, le baron de Co[lo]nches) jusques en la forest d'Orléans, et failloit passer au plus près de la bastille des dits Anglois, nommée Paris. Et quant ceulx de la ville les veirent venir, saillirent au devant pour les recepvoirà grant joye ; et eulx venus audit Orléans, prinrent leur refection et puis vindrent en l'ostel de la ville requerir habillemens de guerre, comme coulevrines, arbalestes, eschelles et autres habillemens ; et partirent pour aller à Saint-Loup. Et en iceluy jour fut pris d'assault la bastille du dit Saint-Loup ; et là estoient de six à sept vings Anglois combatens. Et ce voyans les autres Anglois, c'est assavoir le dit Tallebot et les autres capitaines des Anglois, issirent de leurs bastilles cinq à six estandars pour cuider lever le siège dudit Saint-Loup jusques près du pavé de Fleury, entre ledit Saint-Loup et leurs dictes bastilles, en belle bataille ; et à celle heure, tout homme yssit hors Orléans pour aller enclore lesdits Anglois ; mais ce voyans, se retrairent à grant haste en leurs bastilles.
  Et avoient de dix à unze bastilles, dont la première estoient les Torelles ; les Augustins, Saint-Jehan-le-Blanc, celle du champ Saint-Privé, et celle de l'Isle Charlemaigne, Saint-Lorent, et Londres, le Pressoer-Ars, Paris et Saint-Loup.

  Item, le cinquiesme may qui estoit le jour feste de l'Ascencion Nostre Seigneur, homme ne fist guerre, car la dicte Pucelle ne le vouloit pas, et chacun reposa en Dieu.

  Item, le vendredi, sixiesme jour du dit may, la dicte Pucelle passa la rivière de Loire et tous les dits seigneurs et gens d'armes, aussi communes, et vindrent devant le Portereau ; et voyans les seigneurs qu'il n'estoit pas possible de les prandre, se retrairent une partie en une isle qui est devant Saint-Jehan-le-BIanc ; et demoura derrière la Pucelle et aussi monseigneur de Dunois, les mareschaulx de France et La Hire. Et ce voyans les Anglois, issirent hors à bel estandart desploié, et venoient sur noz gens frapper. Et quant nos gens veirent ce, se retournèrent à l'encontre et les repossèrent jusques dedans leurs bastilles et prirent les Augustins de bel assault ; et ceux qui estoient en l'isle retraiz, ne demandoient nulz chalans pour venir au dit assault, car ilz passoient à gué tous armez, estans jusques aux aisselles en l'eau, et la demourèrent toute nuyt. Et ce voyans les dits seigneurs que la dicte Pucelle estoit fort folée, la menèrent en la ville pour soy refreschir; et fut crié que chacun portast des vivres au dit siège, et aussi que chacun gouvernast les paiges et chevaulx des hommes d'armes qui estoient hors. Aussi fist-on par toute la ville.

  Item, en celle nuyt, cuidèrent passer la rivière les dits Anglois au droit de la bastille du champ Saint-Privé, et estoient en deux ou trois chalans ; mais ilz furent si effrayés que il s'en noya beaucoup ; et qu'il soit ainsi, depuis a on trouvé de leur harnois en la dicte rivière.
  Et quand fut le samedi, septiesme du dit may, fut tenu conseil en la ville et fut requis de par les bourgeois à la dicte Pucelle que elle voulsist acomplir la charge que elle avoit de par Dieu et aussi du roy, et ad ce fut esmeue et s'en partit. Monta à cheval et dist : « En nom Dé, je le feray, et qui me aimera si me suyve. » Les dits seigneurs allèrent avec elle, passèrent la rivière, furent menez vivres et artillerie, et vindrent si près que dès le matin fut donné l'assault par elle ausdictes Torelles.
  Et devers ceulx de la ville aussi firent pons pour assaillir, car il y avoit trois arches rompues avant que on peust joindre ausdictes Torelles ; et fut une merveilleuse chose de faire les pons, car ilz avoient faiz grans boloars fors et aventaigeux; mais en tout ce Dieu ouvroit, car quant ung homme venoit pour bescigner ausdits pons, il estoit ouvrier ainsi que s'il eust acoustumé toute sa vie. Ceulx de la ville chargèrent ung grand chalen plain de fagotz, d'os de cheval, savates, souffre et toutes les plus puentes choses que on sceut finer, et fut mené entre les Torelles et le boloart, et là fut boté le feu, qui leur fist ung grand grief ; et à venir joindre, les dits Anglois avoient des meilleurs canons du royaulme ; mais ung homme eust aussi fort getté une bole comme la pierre povoit aller d'iceulx canons, qui estoit un bel miracle.

  Item, quant vint environ quatre heures après midi, aucuns chevaliers veirent ung colon blanc voler par sus l'estandart de la dicte Pucelle, et incontinent elle dist : « Dedans, enffens, en nom Dé, ilz sont nostres !» Et oncques on ne veit grouée d'oisillons eulx parquer sur ung buisson comme chacun monta contre le dit boloart. Et ce voyant, ledit Clacidas, qui estoit chef, avec luy de vingt à trente hommes, cheurent de dessus le pont dedans la rivière, car ils avoient copé le dit pont pour cuider tromper noz gens ; et là fut accompli la prophétie que on avoit [faict] au dit Clacidas, c'est assavoir la Pucelle, qu'il mourroit sans seigner ; aussi fist-il, car il se noya et plusieurs autres ; et furent prises les dites Torelles, et plusieurs seigneurs, comme le sire de Poains, le sire de Molins ; et estoient léans de cinq à six cens combatans et gens d'élitte, car ilz estoïent si obstinez qu'ilz ne creignoient pour quinze jours toute la puissance de France ne d'Angleterre. Et si la dicte Pucelle faisoit son devoir, ceulx de la ville le faisoient de devers la ville, tant par terre que par eaux. Et les amena on au dit Orléans deux à deux tous prisonniers, ceulx qui ne furent tuez.

  Item, quant vint le dimenche, huitiesme dudit may, les autres bastilles tindrent conseil et se partirent au plus matin ; et là estoit ledit Tallebot ; et se misdrent sus les champs. Et ce voyans ceulx de la ville, yssirent hors à toute puissance avec ladicte Pucelle pour leur courir sus ; mais elle dist que on les laissast aller, et non pour tant que chacun estoit en bataille tant d'un costé comme d'autre ; et prist on entre les deux batailles leurs bombardes et artillerie ; mais ladicte Pucelle avec les seigneurs feirent retraire tous leurs gens, et là fut faicte une haulte et grande louenge à Dieu en criant Noel. Et en la compaignie avoit plusieurs prestres et gens d'église qui chantoient belles ympnes ; et dist ladicte Pucelle que chacun allast oyr messe. Et ne doubtez pas se audit Orléans chacun faisoit grant joye, tant ès églises, comme en appert, pour le grant don que Dieu leur avoit fait.

  

  Le mercredi quatrième jour de mai l'an vingt-et neuf, la Pucelle partit pour aller au-devant des autres vivres qu'amenait le sire de Rais. Allèrent avec elle jusqu'à la forêt d'Orléans tous les capitaines, parmi lesquels Mgr de Dunois, La Hire, Messire Florent d'Illiers, le baron de Collonches, et il fallait passer au plus près de la bastille des Anglais nommé Paris.
  Et quand ceux de la ville les virent venir, ils sortirent au-devant pour les recevoir à grande joie. Arrivés à Orléans, ils prirent leur réfection, et puis vinrent en l'hôtel de la ville requérir des machines de guerre comme coulevrines, arbalètes, échelles, et autres armements ; et ils partirent pour aller à Saint-Loup ; et en ce jour fut prise d'assaut la bastille de Saint-Loup, et là étaient de six à sept-vingts combattants anglais.
  Les autres Anglais, c'est à savoir ledit Talbot et les autres Anglais de son parti, ce voyant, sortirent de leurs bastilles en belle bataille, à cinq ou six étendards, jusque près du pavé de Fleury, entre Saint-Loup et leurs bastilles, dans le but de faire lever le siège dudit Saint-Loup ; et à cette heure tout homme sortit d'Orléans pour aller enclore lesdits Anglais; mais, en ce voyant, ils se retirèrent en grande hâte dans leurs bastilles. Ils avaient de dix à onze bastilles, dont la première était les Tourelles, et les autres les Augustins, Saint-Jean-le-Blanc, celle du champ Saint-Privé, celle de l'Ile-Charlemagne, Saint-Laurent, Londres, le Pressoir-Ars, Paris et Saint-Loup.

  Le cinquième jour de mai, qui était le jour de la fête de l'Ascension de Notre-Seigneur, pas homme ne fit la guerre ; la Pucelle ne le voulait pas, et chacun reposa en Dieu.

  Le vendredi, sixième jour du même mois, la Pucelle passa la rivière de la Loire, et avec elle tous lesdits seigneurs et gens d'armes, et aussi ceux des communes, et ils vinrent devant le Portereau. Les seigneurs, voyant qu'il n'était pas possible de prendre ces bastilles, se retirèrent une partie en une île qui est devant Saint-Jean-le-Blanc. La Pucelle demeura derrière et aussi Mgr de Dunois, les maréchaux de France et La Hire. Les Anglais, ce voyant, sortirent dehors à bel étendard, et ils venaient frapper sur nos gens. Quand nos gens virent cela, ils se retournèrent à l'encontre et les repoussèrent jusque dedans leurs bastilles, et ils prirent les Augustins de bel assaut ; et ceux qui étaient retirés en l'île ne demandaient nuls chalands pour venir audit assaut ; ils passaient à gué tout armés, étant en l'eau jusqu'aux aisselles, et ils demeurèrent là toute la nuit. Les seigneurs, voyant que la Pucelle était fort fatiguée, la menèrent en la ville pour s'y reposer; et il fut crié que chacun portât des vivres aux assiégeants, et aussi que chacun gouvernât les pages et les chevaux des hommes d'armes qui étaient en dehors. Ainsi fit-on par toute la ville.
  Durant cette nuit, les Anglais essayèrent de passer la rivière en face de la bastille du champ Saint-Privé ; ils étaient en deux ou trois chalands, mais ils furent si effrayés qu'il s'en noya beaucoup ; et, qu'il en soit ainsi, on le vit depuis par leurs harnois trouvés en la rivière.

  Quand arriva le samedi, septième de mai, un conseil fut tenu en la ville, et les bourgeois requirent la Pucelle qu'elle voulut accomplir la charge qu'elle avait de par Dieu et aussi de par le roi; et à ce faire elle fut émue ; elle partit, et, montant à cheval, elle dit: « En nom Dieu, je le ferai, et qui m'aimera, qu'il me suive ! » Les seigneurs allèrent avec elle et passèrent la rivière ; des vivres et de l'artillerie furent amenés ; et ils vinrent si près que, dès le matin, la Pucelle donna l'assaut auxdites Tourelles.
  Devers la ville, ceux qui y étaient firent des ponts pour donner l'assaut ; car il y avait trois arches rompues avant que l'on pût joindre les Tourelles. Ce fut une merveilleuse chose de faire les ponts, car les Anglais avaient fait de grands boulevards, forts et avantageux ; mais en tout cela Dieu ouvrait, car lorsqu'un homme venait pour travailler auxdits ponts, il était ouvrier, ainsi que s'il eût accoutumé pareil travail toute sa vie. Ceux de la ville chargèrent un grand chaland plein de fagots, d'os de cheval, de savates, de soufre, et des plus puantes choses que l'on sût trouver ; il fut mené entre les Tourelles et le boulevard, et là le feu y fut mis, qui leur fit un grand dommage. Et, pour tirer, les Anglais avaient les meilleurs canons du royaume; mais un homme eût jeté une boule aussi loin que pouvait aller la pierre d'iceulx canons ; ce qui était un beau miracle.

  Item. Quand vint environ quatre heures après midi, quelques chevaliers virent un colombeau blanc voler par-dessus l'étendard de la Pucelle, et incontinent, elle dit : « Dedans, enfants! en nom Dieu, ils sont nôtres. » Et jamais on ne vit volée d'oisillons se parquer sur un buisson, comme chacun monta sur ledit boulevard. Et, ce voyant, Glacidas, qui était le chef, et avec lui de vingt à trente hommes, tombèrent dans la rivière, car ils avaient coupé le pont dans la pensée de tromper nos gens. Et là fut accomplie la prophétie faite audit Glacidas par la Pucelle qu'il mourrait sans saigner ; ainsi fit-il, car il se noya avec plusieurs autres. Les Tourelles furent prises, ainsi que plusieurs seigneurs comme le sire de Ponyngs, le sire de Molyns. Il y avait là de cinq à six cents combattants, si résolus qu'ils ne craignaient pas, durant quinze jours, toute la puissance de France et d'Angleterre. Tandis que la Pucelle faisait son devoir, ceux de la ville le faisaient du côté de la ville tant par terre que par eau. Quant à ceux qui ne furent pas tués, la Pucelle les amena deux à deux, prisonniers, à Orléans.

  Item. Quand vint le dimanche, huitième dudit mai, les gens des autres bastilles tinrent conseil, et partirent au plus matin; là était Talbot, et ils se mirent aux champs. Ce que voyant ceux de la ville, ils sortirent avec toutes leurs forces, la Pucelle avec eux, pour leur courir sus ; mais elle dit qu'on les laissât aller, encore que chacun fût en ordre de bataille, tant d'un côté que de l'autre ; et l'on prit entre les deux armées leurs bombardes et leur artillerie ; mais la Pucelle avec les seigneurs firent retirer tous leurs gens ; là fut faite une haute et grande louange à Dieu en criant Noël. Il y avait en la compagnie plusieurs prêtres et gens d'Eglise qui chantaient de belles hymnes ; et la Pucelle dit que chacun allât ouïr la messe. Et ne demandez pas si à Orléans chacun faisait grande joie, tant aux églises comme en plein air, pour le grand don que Dieu leur avait fait.



                                         

tem, ne demoura guères que les dits seigneurs emmenèrent la dicte Pucelle devers le roy Charles, qui estoit à Tours, et considérez quelle recepcion on leur fist ; et remercia Dieu le roy si haultement, et aussi monseigneur de Dunois et les mareschaulx, et La Hire, et tous les autres capitaines qui luy avoient tenu compaignie.
  Ledit Tallebot demoura à Meung, à Boisgency et à Jargueau et à Yenville, et aussi tous ses gens. Et ne demoura guères que le duc d'Alenson vint avec ladicte Pucelle, et fut mis le siège devant Jargueau, auquel estoit le conte de Chifort, avec luy plusieurs capitaines d'Anglois ; et estoient léans de six à sept cens combatens, et ne demoura que deux jours qu'ils ne feussent pris de bel assault ; et Dieu scet si ceulx d'Orléans se faignoient à mener artillerie et gens et aussi vivres.
  Et puis après vindrent par devant Meung sur Loire où estoit Tallebot et toute sa puissance ; mais il n'osa frapper sur noz gens, car il estoit tout esperdu. Puis vindrent noz gens mectre le siège devant Boisgency, et là se trouva monseigneur le connestable de France, et prisrent composicion les Anglois qui léans estoient, et s'en allèrent audit Tallebot.
  Et à la poursuite se trouvèrent près de Pastoy nos gens contre ledit Tallebot, et là fut pris, et furent tuez environ quatre mille Anglois, lesquieulx se estoient tous retraiz avec ledit Tallebot. Et ce dit jour se rendit Yenville et plusieurs autres forteresses ; et qui eust voulu poursuir, on eust chassé lesdits Anglois jusques à la mer, veu le courage que chacun avoit, car ung François eust abatu dix Anglois ; non pour tant il n'y eut point de forse d'omme ; mais tout procédoit de Dieu, auquel louange appartient, et non à aultre.

  

  Item, il ne tarda guère que les seigneurs amenèrent la Pucelle vers le roi Charles qui était à Tours, et considérez quelle réception on leur fit. Le roi remercia bien hautement Dieu, et aussi Mgr de Dunois et tes maréchaux, et La Hire, et tous les autres capitaines qui lui avaient tenu compagnie.
  Talbot demeura à Meung, à Baugency, à Jargeau et à Janville, et aussi tous ses gens. Le duc d'Alençon ne tarda guère à venir avec la Pucelle. Le siège fut mis à Jargeau, où était le comte de Chifort (Suffolk), ayant avec lui plusieurs capitaines anglais ; il y avait là de six à sept cents combattants ; et il ne fallut que deux jours pour qu'ils fussent pris de bel assaut. Et Dieu sait si ceux d'Orléans étaient fainéants à mener aux assiégeants artillerie, gens, et aussi vivres.
  Et puis après l'on vint par devant Meung-sur-Loire, où était Talbot et toute sa puissance, mais il n'osa frapper sur nos gens, car il était tout éperdu. Puis nos gens vinrent mettre le siège devant Baugency, et là se trouva Mgr le Connétable de France. Les Anglais qui là étaient prirent composition et s'en allèrent joindre Talbot.
  Nos gens, dans la poursuite, se trouvaient près de Patay [Pastoy] contre ledit Talbot; il fut pris, et environ quatre mille Anglais y furent tués, qui tous s'étaient retirés vers ledit Talbot. En ce jour se rendirent Janville et plusieurs autres forteresses. Si on eût voulu poursuivre, on eut chassé les Anglais jusqu'à la mer, vu le courage que chacun avait; car un Français eût abattu dix Anglais, non pourtant qu'il n'y eût point de force d'homme ; mais tout procédait de Dieu, auquel louange appartient et non à un autre.



                                         

tem, ce voyant monseigneur l'évesque d'Orléans avec tout le clergié, et aussi par le moyen et ordonnance de monseigneur de Dunois, frère de monseigneur le duc d'Orléans, avec le conseil d'iceluy, et aussi les bourgeois, manans et habitans dudit Orléans, fut ordonné estre faicte une procession le huitiesme dudit may, et que chacun y portast lumière, et que on iroit jusques aux Augustins, et partout où avoient esté le estour, on y feroit stacions et service propice en chacun lieu, et oroisons, et les douze procureurs de la ville auroient chacun ung sierge en leur main où seroient les armes de la ville, et qu'il en demourroit quatre à Sainte-Croix, quatre à Saint-Evurtre et quatre à Saint-Aignan ; et aussi que le dit jour seroient dictes vigilles audit Saint-Aignan et le landemain messe pour les trespassés, et là seroit offert pain et vin, et chacun procureur huit deniers parisis à l'offrande ; et seroient portées les châsses des églises, en espécial celle de monseigneur Saint Aignan, celle de monseigneur Saint Evurtre, lesquieulx furent moyens et protecteurs de ladicte cité et ville d'Orléans ; car en iceluy temps fut récité par aucun des Anglois estant pour lors audit siège, avoir veu durant iceluy siège deux prélas en abbit pontifical aller et circuir en cheminant par sus les murs de ladicte ville d'Orléans. Aussi autrefoiz ont esté gardes ou protecteurs lesdits sains monseigneur Saint Evurtre et monseigneur Saint Aignan de la dicte ville d'Orléans, au temps que vindrent devant icelle les mescréans ; car à la prière et requeste d'iceulx sains faicte envers Dieu, ladicte ville fut préservée des mains desdits mescréans, et en approchant à icelle, comme raconte l'istoire, furent tous évuglez ad ce qu'ilz n'eurent puissance de mal faire à la dicte ville entre cy et Saint-Loup.
  On ne peult trop louer Dieu et les sains, car tout ce qui a esté fait, ce a esté tout par la grâce de Dieu ; ainsi donc on doit avoir grant dévocion à ladicte procession, mesmement ceulx de ladicte ville d'Orléans, attendu que ceulx de Bourges en Berry en font solemnité, mais ils prenent le dimenche après l'Ascencion, car celuy an estoit le dimenche ladicte Ascencion (4).
  Et aussi plusieurs autres villes en font solempnité, car si Orléans fust cheu entre les mains desdits Anglois, le demourant du royaulme eust esté fort blécié. Et pour tant, en recognoissant tousjours la grant grace laquelle Dieu a voulu faire et démonstrer en ladicte ville d'Orléans, en la gardant des mains de ses ennemis, soit continuée et non pas delaissée ladicte saincte et dévote procession, sans cheoir en ingratitude, car par icelle viennent beaucoup de maulx. Chacun est tenu d'aller à ladicte procession et porter luminaire ardant en sa main.
  On revient autour de la ville, c'est assavoir par devant l'église Nostre-Dame-de-Saint-Pol, et là fait on grande louenge à Nostre Dame ; et de là à Saincte-Croix, et le sermon là, et la messe après, et aussi, comme dessus, les vigilles au dit Saint-Aignan, et le landemain messe pour les trespassez. Et pour ce, soit ung chacun averti de louer et de remercier Dieu, car par aventure il y a pour le présent de jeunes gens qui à grant paine pourroient ilz croire ceste chose ainsi advenue, mais croiez que c'est chose vraye et bien grant grace de Dieu ; car durant ledit siège, oncques n'y eut aucune division entre les gens d'armes et ceulx de la ville, non obstant que par avant ilz se entre-hayoient comme chiens et chas ; mais quant ils furent avec ceulx de la ville, ils estoient comme frères, et aussi ceulx de la ville ne leur faisoient avoir aucune nécessité ou souffreté à leur pouvoir, en quelque manière que ce fust.
  Et par le bon service que ont fait les manans et habitans de ladicte ville d'Orléans, sont et seront en la bonne grâce du roy, lequel leur a de fait montré et monstre de jour en jour, comme il appert par la teneur des beaulx privileiges lesquieulx il leur a donné.

  

  Item. Ce voyant, par Mgr l'évêque d'Orléans avec tout le clergé, et aussi par l'intermédiaire et l'ordonnance de Mgr de Dunois frère de Mgr le duc d'Orléans, et du conseil d'icelui, et aussi de l'avis des bourgeois, manants et habitants d'Orléans, il fut statué qu'une procession serait faite le huitième de mai ; que chacun y porterait lumière, qu'on irait jusqu'aux Augustins, et partout où avait été le combat ; on ferait station en chacun lieu, service convenable et oraisons ; les douze procureurs de la ville auraient chacun en leurs mains un cierge où seraient les armes de la ville ; il en demeurerait quatre [des cierges] à Sainte-Croix, quatre à Saint-Euverte, quatre à Saint-Aignan ; le lendemain messe pour les trépassés et là serait offert pain et vin, et chaque procureur donnerait à l'offrande huit deniers parisis ; on porterait les chasses de Mgr saint Aignan, et de Mgr saint Euverte, les médiateurs et les protecteurs de la cité et de la ville d'Orléans. En ce temps, en effet, plusieurs Anglais, qui étaient au siège, affirmèrent avoir vu, durant le siège, deux prélats en habits pontificaux aller en cheminant autour des murs de la ville. Aussi avaient-ils été, Mgr saint Euverte et Mgr saint Aignan les gardes, et les protecteurs de la ville d'Orléans, au temps que les mécréants vinrent devant icelle ; car, à la prière faite à Dieu par ces saints, la ville fut préservée des mains desdits mécréants ; et en en approchant, comme rapporte l'histoire, ils furent tous aveuglés, en sorte qu'ils n'eurent point puissance de mal faire entre ici et Saint-Loup.
  On ne peut trop louer Dieu et les saints ; car tout ce qui a été fait, l'a été entièrement par la grâce de Dieu. Aussi doit-on avoir grande dévotion à ladite procession, surtout ceux de la ville d'Orléans, attendu que ceux de Bourges-en-Berry en font solemnité ; mais ils prennent le dimanche après l'Ascension (car en l'année de la délivrance, c'était ce dimanche) (5).
  Plusieurs autres villes en font aussi solennité, car si Orléans fût tombé entre les mains des Anglais, le demeurant du royaume en eût été fort blessé. Ainsi, par reconnaissance pour la grande grâce que Dieu a voulu faire et démontrer en la gardant des mains de ses ennemis, que ladite sainte et dévote procession soit continuée et non pas délaissée, sans tomber en ingratitude, par laquelle viennent beaucoup de maux. Chacun est tenu d'aller à ladite procession, et de porter luminaire ardent en sa main.
  On revient autour de la ville, c'est à savoir par devant l'église Notre-Dame de Saint-Paul, et là on fait grande louange à Notre-Dame, et de là à Sainte-Croix, et là le sermon, et la messe après ; et aussi comme dessus, les vigiles à Saint-Aignan, et le lendemain messe pour les trépassés. Et, pour cela, qu'un chacun soit averti de louer et de remercier Dieu, car, par aventure, il y a pour le présent des jeunes gens qui pourraient à grand'peine croire que les choses soient ainsi advenues ; mais croyez que c'est chose vraie, et bien grande grâce de Dieu. Car durant le siège, il n'y eut jamais aucune division entre les gens d'armes et ceux de la ville, quoique par avance ils s'entre-haïssaient comme chiens et chats ; mais lorsqu'ils furent avec ceux de la ville, ils furent comme frères ; et aussi ceux de la ville ne les laissaient, à leur pouvoir, endurer nécessité ou souffrance, en quelque manière que ce fût.
  Et à cause du bon service qu'ont fait les manants et les habitants de la ville d'Orléans, ils sont et seront en la bonne grâce du roi, qui de fait le leur a montré et le leur montre de jour eu jour, ainsi que c'est manifeste par la teneur des beaux privilèges qu'il leur a donnés.


                                     


Sources :
- Présentation de la chronique et mise en Français moderne : "La vraie Jeanne d'Arc - t.III : La libératrice" - J.-B.-J. Ayroles - 1897, p.296 et suivantes.
Texte original : Jules Quicherat - t.V, p.285 et suiv.

Le texte original est d'un trait et n'est pas séparé en chapitres.

Notes :
1 Le texte du manuscrit du Vatican porte de lui raïmbre (remerer) ; celui de Saint-Pétersbourg, de lui rendre.

2 Le manuscrit du Vatican a écrit: ce qui fut une grande consolation, non-sens manifeste qui disparait dans le manuscrit de Saint-Pétersbourg où on lit : grande conservation.

3 Le manuscrit de Saint-Pétersbourg porte simplement : Vinrent nouvelles de ladite Jeanne la Pucelle.

4 Suppléez après entre les mots dimanche et ladite ascension, ou tout autre équivalent qui épargne à l'auteur la faute d'avoir fait tomber l'ascension un dimanche. Il veut dire que les habitants de Bourges faisaient la fête d'Orléans le dimanche après l'Ascension, parce que la délivrance était tombée ce jour-là, célébrant ainsi l'anniversaire, non pas à son quantième, mais à sa férie. Le fait se trouve ainsi rapporté d'après les registres capitulaires de la cathédrale de Bourges, dans l'Histoire du Berry (t. III, p. 25) publiée récemment par M. Raynal : « La procession dite de la Pucelle avait lieu tous les ans à Bourges, le dimanche le plus rapproché de l'anniversaire de son supplice. Elle se rendait à travers la ville, de la cathédrale à l'église des frères Prêcheurs. » Notre texte fournit de quoi corriger ce qu'il y a d'inexact dans ce passage. (Quicherat)

5 Ce membre de phrase ne se trouve pas dans le manuscrit de Saint-Pétersbourg.
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