Son histoire
par Henri Wallon

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L'abréviateur du procès (compilation du ms 518 d'Orléans)
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En suivant la génération des chroniques issues du récit de Jean Chartier combiné avec d'autres sources, on arrive à un ouvrage qui fut écrit vers l'an 1500 par ordre de Louis XII, à l'instigation de l'amiral Louis Malet de Graville. C'est une histoire de Jeanne d'Arc à la suite de la quelle est mis un abrégé des deux procès. Celui de 1431 y est rapporté plus au long ; l'auteur en a reproduit tous les interrogatoires ; mais effrayé du volume que faisaient les pièces de la réhabilitation, il s'est borné à indiquer sommairement le contenu des principales ; ce dont du reste il se justifie en ces termes :
  « Et fault icy entendre que ledit procez seroit trop long et ennuyeulx, qui vouldroit escripre tout ce qu'il contient, c'est assavoir les actes d'iceluy, les informacions et depposicions des tesmoings, articles et raisons, qui sont de si longue déduction que je l'ay voulu abréger et escripre le plus sommairement qu'il m'a esté possible, pour monstrer seullement la nullité, faulseté et desloyaulté dudit procez faict par lesditz esvesque, inquisiteur et leurs adhérens. »

  Après cela il ne tarde guère d'arriver à la sentence définitive qu'il a traduite intégralement ; puis il donne les noms des juges appelés pour la révision, tels qu'on les trouve dans le premier acte de la rédaction du manuscrit de d'Urfé (voyez t. III , p. 372). Enfin il conclut ainsi :
  « Ces procez brefz et sommaires, tant de condempnacion que de l'absollucion, sont extraictz de trois livres qui ne conviennent pas tousjours ensemble ; et pour ce, je pry à ceulx qui le lyront qu'il leur plaise me supporter se il leur semble que il y ait aulcune erreur ou faulte, en ayant regard à la diversité desdites euvres dont procèdent les faultes, se aulcunes en y a. »
  Jamais on n'a imprimé entièrement cet ouvrage (1), qui n'a pas de titre et dont l'auteur est inconnu ; mais à diverses époques des fragments plus ou moins longs en ont été mis au jour. Ainsi c'est de là que vient une relation qui fait suite à l'Histoire et Chronique de Normandie, imprimée à Rouen en 1581. Elle a pour intitulé : Ensuit le livre de la Pucelle natifve de Lorraine qui réduit France entre les mains du roy ; ensemble le jugement, et comme elle fut bruslée au Vieil Marché à Rouen.
  Plus tard Robert Hotot emprunta à l'Abréviateur, pour les placer en tête de son édition du Journal du Siège (Orléans 1621), toute l'histoire de Jeanne d'Arc avec les préliminaires du procès de condamnation mis en français : documents qu'il donna comme « extraits d'un ancien livre escrit à la main, et curieusement, contenant le procès de Jehanne d'Arc, dicte la Pucelle d'Orléans, auquel livre y a quelques feuillets rompus, tellement que le commencement défaut. » Effectivement l'extrait de Robert Hotot commence par une queue de phrase au milieu d'un morceau qui servait de prologue à tout l'ouvrage. Enfin en 1827 M. Buchon, dans sa Collection des Chroniques nationales (t. IX) , imprima d'après un manuscrit d'Orléans et sous le titre de Chronique et procès de la Pucelle d'Orléans, l'ouvrage en question, moins le fragment de prologue donné par Hotot, moins aussi l'abrégé de la réhabilitation qui le termine.
  Le manuscrit d'Orléans, où j'ai puisé moi-même toutes mes notions sur le travail de l'Abréviateur, est un volume en papier écrit du temps de François Ier. Il appartenait avant la Révolution au Chapitre de la cathédrale ; aujourd'hui il fait partie de la bibliothèque de la ville, catalogué sous le n° 411. M. Septier en a donné la notice dans son livre sur les manuscrits d'Orléans, et avant M. Septier, De l'Averdy en avait parlé d'après les renseignements fournis à M. de Breteuil par un savant Orléanais. Le premier feuillet a demi déchiré n'offre plus qu'un fragment de préface, absolument conforme à ce qu'a imprimé Robert Hotot ; preuve que c'est de ce même exemplaire que s'est servi l'éditeur de 1621. La mutilation du manuscrit d'Orléans est regrettable. On peut croire que l'auteur se nommait dans la partie détruite du prologue. Le texte ne fournit rien qui y supplée ; seulement on peut inférer que cet auteur était ecclésiastique, d'après un passage où, parlant de Gerson, il l'appelle notre maître. Son abrégé des deux procès est tiré des documents connus, c'est-à-dire des instruments authentiques et du manuscrit de d'Urfé. Ce sont là les trois livres ne convenant pas ensemble, sur le désaccord desquels il prétend rejeter toutes les fautes par lui commises.

  Un chanoine d'Orléans, mort depuis peu d'années, M. Dubois, prenant ces expressions à la lettre, a cru pouvoir démontrer que l'Abréviateur avait eu à sa disposition des documents judiciaires perdus aujourd'hui, et entre autres la minute française des interrogatoires de Jeanne d'Arc. La dissertation où il cherche à établir ce point, a été publiée par M. Buchon, au lieu indiqué. Cette opinion n'est pas soutenable. Elle est en contradiction formelle avec le témoignage de l'auteur lui-même déclarant son abrégé traduit du latin, dans une rubrique qu'on trouvera rapportée ci-après. D'un autre côté M. Dubois a le désavantage, dans sa dissertation, d'avoir raisonné tout le temps contre les originaux du procès, sans les connaître.

  Pour ce qui est de la partie narrative de la vie de Jeanne d'Arc, l'Abréviateur l'a faite avec Jean Chartier, avec une autre mauvaise chronique de France, écrite pour Charles VIII encore dauphin, et qui est elle-même un abrégé de Chartier assaisonné d'erreurs (il y en a un exemplaire manuscrit à la Bibliothèque royale, n° 10299, français) ; enfin avec une troisième chronique bien authentique, dit-il, laquelle il n'avait pas vue lui-même, mais dont de grands personnages lui avaient rapporté le contenu relativement au secret révélé par la Pucelle à Charles VII... (2)

* ndlr : Paul Doncoeur, en 1952, a démontré que la minute française contenue dans le ms518 d'Orléans était bien authentique contrairement aux assertions hâtives de Quicherat et Champion. Pierre Tisset reprend en partie cette minute dans sa réédition du procès en 1970.

                    

Chapitres : (suivant les chapitres fait par l'abréviateur.)
- Apprez ce que j'ay veu et leu toutes les...
- Les cappitaines et gens d'arme...
- Or en ce temps...
- Apprez lesquelles interrogacions...
- Or faut-il...
- Les préparatifs...
- Le lendemain...
- Or apprez...
- Or, fault icy...
- Le lendemain...
- Le jour ensuivant...
- Le lendemain au matin...
- Le siege levé comme dit est...
- La compagnie assemblée...
- Quattre ou cinq jours apprez...
- Les victoires dessucdictes faictes...
- Le lendemain au mattin...
- En ce lieu...
- Deux jours apprez...
   Intermède de l'auteur
- Et pour...
- Ung jour ou deux apprez...
- Ladicte Pucelle prinse...
   Copies de documents relevés dans le procès de condamnation.
- Ladicte sommation...
- Apprez...
- Certain...
- Ces preparatifz faictz...



                                         

...  n la ville de Rouen pour ses demerites. (3)
Je leur respondz qu'elle fust condampnee et executee ; mais ce fust iniquement et par envie. Ainsy qu'il est monstré clerement par le procés desdictes condempnacion et mesmes de son absolucion, lequel l'ay voulu cy apprez metre par escript.
Par lequel on pourra veoir clerement comme faulcement, iniquement, par envye, et non par justice, elle fut condampnee et executée. Lequel procés j'ay extraict par le commandement du roy Loys XIIme de ce nom, et de monseigneur de Graville, admiral de France. Je prye a ceulx qui le vouldront lyre que, se ilz y trouvent quelque faulte ou erreur, ilz leur plaise supporter et pardonner a l'escripvain.

[2] [page blanche]

[3] [A]PPREZ CE QUE J'AY VEU ET LEU TOUTES LES croniques que on appelle les grandes croniques de France, de Froissart, de Monstrelet, de Guaguin et aultres croniques escriptes par plusieurs personnes, et j'ay regardé et bien consideré tous les merveilleux cas advenus eudit royaulme, depuis le temps de Marchomire et Pharaon, filz du premier roy de France, jusques a present, je n'ay point trouvé de si singulier et merveilleux cas, ne plus digne d'estre mis par escript pour demourer en memoire perpetuelle des Françoys. Affin que les roys de France, les princes et les seigneurs, les nobles et tout le peuple dudit pays puissent entendre et recongnoistre la singuliere grace que Dieu leur fist de les preserver de cheoir et tomber en la subiection et servitute des anciens ennemys de France, les Angloys. Ou temps du roy Charles septme, en l'an de grâce mil quattre cens vintg et neuf, eu quel temps, apprez que lesdits Angloys oulrent obtenu plusieurs victoires, prins et mis en leur obaissance et subiection toutes les villes et pays de Normendye, de Picardye, de Champaigne, du Mayne, d'Aniou, de Touraine, de Beaulce, et generallement tout le pays jusques a la riviere de Loyre, les contes de Salbery et de Suffort, les sires de Talbot, de la Poulle, et aultres seigneurs et cappitaines angloys, accompaignez de grand nombre de gens d'armes allerent mettre le siege devant la ville d'Orleans, tendans affin de la prendre pour avoir passaige sur ladicte riviere, pour marcher es pays de Berry, d'Auvergne et aultres pays voisins, pour aller jusques a Lyon ; et pour plus seurement [4] y tenir ledit siege, y ediffierent quattre grosses bastilles, deux du costé de la Beaulce, et deux du costé de Soulloigne ; lesquelles ilz fortiffierent de fossez, d'artillerie et autres choses neccessaires, pour au moyen desquelles ilz tenoyent ladicte ville en si grande subiection et grefvoyent si merveilleusement ceulx du dedens qu'ilz ne povoyent avoir vivres ne secours que a bien grand peine et danger.
  Auquel siege ilz demeurerent si longuement que, quelque diligence que le roy sceust faire pour les secourir et de gens et de vivres, si furent ilz en si merveilleuse neccessité qu'ilz ne avoyent que tres pou d'esperance de povoir resister aux ennemys.

                 


                                         

ES CAPPITAINES ET GENS D'ARMES qui estoyent dedens, voyans qu'ilz ne povoyent avoir des vivres que a bien grande peine et danger, et qu'ilz avoyent tres pou d'esperance que le roy les peust secourir, congnoissans que ceulx de la ville ne voulloyent aulcunement cheoir en l'obaissance ne subiection des Angloys, appellerent les principaulx bourgoys et marchans de ladicte ville, ausquelz ils remonstrerent comment ils ne povoyent avoir vivres que a bien grande difficulté, et qu'ilz ne voyent point le moyen comment ilz pourroyent longuement tenir ladicte ville contre lesdits ennemys, actendu qu'ilz n'avoyent que trez petite ou point d'esperance que le roy leur peust donner secours. Et leur prierent qu'ilz leur declarassent ce qu'ilz voulloyent faire.
  A quoy tous ensemble [5] respondirent que, pour mourir, ilz ne se rendroyent a la subiection des Angloys. Et quelque remonstrances que lesdits cappitaines leur sceussent faire du danger euquel ilz estoyent, ilz demeurerent en leur oppinion de ne rendre point ladicte ville.
  Apprez laquelle declaracion furent faictes plusieurs ouvertures sur ce qui estoit a faire pour trouver quelque expedient pour le bien d'icelle ville ; et finablement fut advisé et conclud entre eulx de envoyer devers le duc de Bourgongne, qui alors tenoit le party des Angloys, tendans a fin qu'il voulsist prendre ladicte ville en ses mains, et qu'ilz seroyent contens de eulx rendre a luy ; et estoyent meuz a ce faire pour ce que le duc estoit de la maison de France, et pensoyent bien que l'aliance de luy et des Angloys ne dureroit pas tousiours ; et pour ce faire, envoyerent ung cappitaine nommé Poton de Sentraille devers ledit duc, pour luy faire ledit offre ; lequel il accepta voluntiers, pourveu que le duc de Bethfort, qui estoit pour lors chef des Angloys eudit siege, le voulsit consentir. Lequel de Bethfort y estoit venu apprez la mort du conte de Salbery, qui avoit esté tué d'une piece d'artillerie, luy tenant le siege du costé de la Soullongne, par ung cas fortuit, ainsy que on dit ; car on ne a point sceu [qui] mist le feu en ladicte piece d'artillerie. Ainsi qu'il est escript bien aux longues croniques.
  Ledit Pothon, venu devers ledit duc, [le duc] de Bethfort, apprez qu'il eust ouy l'offre faicte audit duc de Bourgoigne, respondit qu'il ne entendoit point avoir batu les buissons [6] et ung aultre en eust les oyseaulx. Et luy dist absolutement qu'il n'en feroit riens ; mais, se ceulx de la ville se vouloyent rendre a luy et le rembourser de tous les fraiz qui avoyent esté fais en l'armee dudit siege, ilz les prendroit a mercy et non aultrement. De laquelle responce ceulx de la ville furent fort esbahis, et mesmes le roy et ceulx de son conseil, qui ne veoient point d'expedient pour saulver la dicte ville.


                                         

R EN CE TEMPS avoit une jeune fille eu pays de Lorraine, aagee de dix huit ans ou environ, nommee Jhenne, natifve d'une paroisse nommee Dompre[my], fille d'ung laboureur nommé Jacques Tart (4), qui jamais n'avoit faict aultre chose que garder les bestes aux champs ; a laquelle, ainsy qu'elle disoit avoir esté revelé que Dieu vouloit qu'elle allast devers le roy Charles septiesme, pour luy aider et le conseiller a recouvrer son royaulme et ses villes et places, que les Angloys avoyent conquises en ses pays.
  Laquelle revelacion elle ne osa dire a ses pere et mere, pour ce qu'elle savoit bien que jamais n'eussent consenty qu'elle y fust allee. Et pour ce, se alla adresser a ung sien oncle, auquel elle declara sesdictes revelacions ; et le persuada tant qu'il la mena devers ung gentilhomme, nommé messire Robert de Baudricourt, qui pour lors estoit cappitaine de la ville ou chasteau de Vaucoulleur, qui est assez prochain de la. Auquel elle pria tres instamment [7] que il la fist mener devers le roy de France, en luy disant qu'il estoit besoing et chose tres neccessaire qu'elle parlast a luy pour le bien de son royaulme, et que elle luy feroit grand secours et ayde a recouvrer son dit royaulme, et qu'elle luy feroit grand secours, et que Dieu le voulloit ainsy, et que il luy avoit esté revelé ; et qu'il luy avoit esté revelé par plusieurs foys. Desquelles paroles, il ne faisoit que rire et se mocquer. Et la reputoit comme incensee. Toutesfoys elle persevera tant et si longuement, qu'il luy bailla ung gentilhomme nommé Ville Robert (5), et quelque nombre d'aultres gens, lesquelz la menerent devers le roy, qui pour lors estoit a Chinon ; eu quel lieu elle fut presentee audit seigneur.
  Et sitost qu'elle fut entree en la chambre ou il estoit, elle fist les inclinacions et reverences acoustumez a faire aux roys, ainsy comme si toute sa vie eust esté nourrye en court.
  Apprez lesquelles inclinacions et reverences, elle adressa sa parolle au roy, lequel elle ne avoit jamais veu, et luy dist : « Dieu vous doinct bonne vie, tres noble roy. » Et, pour ce que en la compaignie y avoit plusieurs seigneurs vestuz aussy richement ou plus que luy, dist : « Se ne suis je pas qui suis roy, Jhenne. » Et en luy monstrant quelqu'ung des seigneurs qui estoyent la presens, lu[y] dist : « Voyla qui est roy. »
  A quoi elle respondit : « C'est vous qui estes roy et non aultre. Je vous congnoys bien. »
  Apprez lesquelles parolles, le roy luy fist demander qui la mouvoit a venir devers luy. A quoy elle respondit qu'elle venoit pour lever le siege d'Orleans, et pour luy aider a recouvrer son royaulme, [8] et que Dieu le voulloit ainsy. Et si luy dit que, apprez qu'elle auroit levé ledit siege, elle le meneroit oindre et sacrer a Rains. Et qu'il ne se soussiast des Angloys ; et qu'elle les combatroit en quelque lieu qu'elle les trouveroit ; et qu'il luy baillast telle puissance de gens d'armes qu'il pourroit finer ; et qu'elle ne faisoit doubte de faire toutes les choses dessusdictes, ne mesmes de chasser lesdits Angloys hors du pays du roy.
  Apprez lesquelles parolles, le roy la feist interroguer de la foy ; et luy feist demander plusieurs questions tant de choses divines, de la guerre, que aultres questions curieuses. De toutes lesquelles elle respondit si saigement que le roy, les prelatz et aultres gens clers, qui estoyent presens, en furent si esmerveillez, et non sans cause, actendu la simplicité et la qualité de la personne qui n'avoit jamais faict aultre chose que garder les bestes aux champs.

                          


                                         

PPREZ LESQUELLES INTERROGACIONS et responces dessusdictes, le roy assembla son conseil. Eu quel fut advisé que on luy demanderoit qu'elle vouloit faire. A quoy elle respondit qu'elle vouloit lever le siege qui estoit devant Orleans et combatre les Angloys. Et supplya au roy qu'il envoyast ung de ses armuriers ou aultre a Saincte Katherine de Fierboys, et qu'il luy aportast une espee qu'il trouveroit en l'eglise, eu lieu qu'elle luy diroit. En laquelle espee, en chascun des costez, y a cinq fleurs de lys emprainctes. Et sur ce, luy fut [9] demandé si autresfoys elle avoit esté audit lieu de Saincte Katherine. Dist que non ; mais qu'elle le savoit par revelacion divine, que celle espee estoit en ladicte eglise, entre aulcunes vieilles ferailles, estant en icelle. Et si dist au roy que, avecq ladicte espee, a l'ayde de Dieu et de ses bons cappitaines et gens d'armes, elle leveroit le siege d'Orleans, et le meneroit sacrer et couronner a Rains, ainsy que ses predecesseurs roys de France ont esté par cy devant.
  Apprez lesquelles parolles, il luy fut conseillé envoyer eu dit lieu de Saincte Katherine ung de ses armuriers, lequel veritablement trouva ladicte espee et l'apporta audit seigneur ; laquelle il donna a ladicte Jhenne la Pucelle, laquelle tres humblement luy en rendit graces, et luy pria luy donner ung cheval, ung harnoys, une lance, et aultres choses neccessaires pour la guerre. Toutes lesquelles choses incontinent luy furent baillees et delivrees. Et sitost qu'elle les eult receues, elle se fist armer, et monta a cheval, et courut la lance. Et fist tous actes de gens d'armes, comme ung homme qui auroit esté toute sa vie nourry en la guerre. Et avec ce, quand elle fut appellee au conseil pour adviser et desliberer de ce qui estoit a faire, tant pour lever ledit siege d'Orleans, ou recouvrer villes et places, et faire entreprinses contre les ennemys, elle en parloit et desliberoit si saigement, et fondoit son oppinion en si bonnes raisons, que tres souvent, contre l'oppinion de tous les cappitaines, on usoit de son conseil es choses que on vouloit faire. Et qui est plus grand merveille, quand le roy et ses cappitaines tenoyent quelque conseil [10] en son absence, elle savoit tout ce qui avoit esté dit et conclud, comme si elle eust esté presente ; dont ledit seigneur et ceulx de sa compaignie estoyent moult esbahys, et non sans cause.
  C'est que, apprez que le roy oult oy parler ladicte Pucelle, il fut conseillé par son confesseur ou aultre de parler en secret, et luy demander comment il pourroit savoir certainement que Dieu l'avoit envoyee devers luy, affin qu'il se peust mieulx fier a elle, et adiouster foy en ses parolles. Ce que ledit seigneur fist.
  A quoy elle respondit : « Sire, se je vous dy des choses si secrettes qu'il n'y a que Dieu et vous qui les saiche, croirez vous bien que je suis envoyee de par Dieu ? »
  Le roy respondit que oy. La Pucelle luy demanda : « Sire, ne avez vous pas bien memoire que, le jour de la Toussains derniere, vous estant en la chappelle du chasteau de Loche, en vostre oratoire tout seul, [11] vous feistes troys requestes a Dieu. »
  Le roy luy respondit qu'il estoit bien memoratif de luy avoir faict aulcunes requestes. Et alors la Pucelle luy demanda se jamais il avoit dit ne revelé lesdictes requestes a son confesseur ne aultre. Le roy dist que non. « Et si je vous dy les troys requestes que luy feistes, croirez vous bien en mes parolles ? » Le roy respondit que ouy.
  A donc la Pucelle luy dist : « Syre, la premiere requeste que vous feistes a Dieu fut que vous luy priastes que, si vous n'estiez vray herithier de France, que ce fust son plaisir vous oster le couraige de le poursuivre ; affin que ne fussiez plus cause de faire et soustenir la guerre, dont procedent tant de maulx, pour recouvrer ledit royaulme. La seconde fut que vous luy priastes que, si les grandz adversitez et tribulacions, que le paovre peuple de France souffroit et avoit souffert si longtemps, procedoyent de vostre peché, et que en feussiez cause, que ce feust son plaisir en relever le peuple, et que vous seul en feussiez pugny, et portassez la penitence fust par mort, ou aultre telle peine qu'il luy plairoit. La tierce fut que, si le peché du peuple estoit cause desdictes adversitez, que ce fust son plaisir pardonner audit peuple et appaiser son ire, et metre le royaulme hors de tribulacions esquelles il estoit, qui ja avoit douze ans et plus. »
  Le roy, congnoissant qu'elle disoit verité, et adiousta foy en ses parolles, et creut qu'elle estoit venue de par Dieu ; et eut grand esperance qu'elle luy aideroit a recouvrer son royaulme ; et se deslibera soy aider d'elle, et croire son conseil en toutes ses affaires.


                                         

R FAULT IL retourner a mon propos.
Le roy, voyant qu'il estoit tres neccessaire de promptement secourir ceulx qui estoyent assiegez dedens la ville d'Orléans, il assembla son conseil, auquel fut appellee ladicte Jhenne, pour adviser comment on pourroit secourir et envitailler les assiegez. Laquelle chose elle entreprint faire se on luy voulloit bailler des gens d'armes. Le roy oult conseil avec ses cappitaines, lesquelz voyans et considerans la grande neccessité en quoy estoyent lesdits assiegez, la grande prosperité des Angloys, qui tousiours eu paravant estoyent venuz a chef de toutes leurs entreprinses, et l'extremité en laquelle estoyent les affaires du roy et du royaulme, ilz furent d'oppinion que le roy debvoit faire par le conseil de ladicte Pucelle ; et fut conclud ainsy faire. Et pour la conduire et accompaigner, luy furent baillez les syres de Rays et de Loré. Lesquelz la menerent a Bloitz, ou estoyent messyres Regnault de Chartres, archevesque de Rains, chancelier de France, le bastard d'Orleans, La Hyre, Poton et aultres cappitaines, par lesquelz ladicte Jhenne et sa compaignie furent receuz honorablement ; et cesdits adviserent de pourveoir a toute diligence de ce qui estoit neccessaire pour advitailler ladicte ville d'Orléans. C'est assavoir de vivres, de chariostz, charettes, chevaulx, et aultres choses requises en tel cas. Et ce pendant que on faisoit la provision des choses dessusdictes, ladicte Pucelle escripvit unes lectres au roy d'Angleterre, au duc de Bethfort, et aultres syres et cappitaines du pays, dont la teneur enssuit :

[13] Jhesus Maria(6)
  Roy d'Engleterre, et vous, duc de Bethfort, qui vous dictes regent du royaulme de France ; vous, Guillaume de la Poule, conte de Sufforlt, Jhen, syre de Talbot, et vous, Thommas, seigneur de Scalles, qui vous dictes lieutenant dudit Bethfort, faictes raison au Roy du ciel. Rendez a la Pucelle, qui est envoyee de par Dieu, le Roy du ciel, les clefz de toutes les villes que vous avez prinses et violees en France. Elle est icy venue de par Dieu pour reclamer le sang royal. Elle est toute preste de faire paix, si vous luy voulez faire raison, par ainsy que voulez vuider de France. Et que amendez les dommaiges que y avez fais. Et rendez les deniers que avez receuz, de tout le temps que l'avez tenu.
  Et entre vous, archers, compaignons de guerre, gentilzhommes et aultres qui estes devant la ville d'Orleans, allez vous en de par Dieu en vostre pays. Et sy ainsy ne le faictes, actendez les nouvelles de la Pucelle, qui vous yra veoir bresvement a voz bien grans dommaiges.
  Roy d'Angleterre, se ainsy ne le faictes, je suis chef de la guerre, et vous asseure que, en quelque lieu que je trouveré voz gens en France, je les combattray et les chasseray ; et ferais aller hors, veullent ou non. Et se ilz ne veullent obayr, je les feray tous occire. Je suis ici envoyee de par Dieu, le Roy du ciel, pour les combatre et pour les boutter hors de toute France. Et se ilz veullent obayr, je les prendray a mercy. Et ne ayez point en vostre oppinion de y demeurer plus ; [14] car vous ne tiendrez point le royaulme de France de Dieu, le Roy du ciel, filz de la Vierge Marie. Ains le tiendra Charles, le vray herithier, car Dieu, le Roy du ciel, le veult. Et luy est revelé par la Pucelle que bien bref il entrera a Paris, en bonne et belle compaignie. Et si vous ne voulez croire les nouvelles de par Dieu et de par la Pucelle, je vous advise que, en quelque lieu que nous vous trouverons, nous vous ferons et frapperons dedens. Et y ferons ung si grand hay hay, que depuis mil ans en France n'y en eust ung si grand. Et croyez fermement que le Roy du ciel envoira tant de force a la Pucelle, que vous ne voz gens d'armes ne luy sçauriez nuire, ne aux gens de sa compaignie. Et aux horions voirra l'on qui aura le meilleur droit.
  Et vous, duc de Bethfort, qui tenez le siege devant Orléans, la Pucelle vous prie que ne vous faciez point destruire. Et se vous luy faictes la raison, encoires pourrez vous venir veoir que les Françoys feront le plus beau fait qui oncques fut faict pour la chrestienté.
  Et vous pry me faire responce si vous voulez faire paix, en la cité d'Orleans, ou nous espoerons estre bien bref ; et se ainsy ne le faictes, de voz groz dommaiges, vous souviengne.

  Escript ce mardy de la sepmaine saincte.


                                         

ES PRÉPARATIFS fais pour aller advitaller ladicte ville d'Orleans, Jhenne la Pucelle, accompaignee du bastard d'Orleans, des seigneures de Rays et de Loré, La Hyre, messire de Baudricourt (7), qui estoit [15] nouvellement venu de Vaucoulleurs, et aultres cappitaines, avecq quelque nombre de gens d'armes, se partit de Bloitz, pour mener les vivres qui estoyent prestz. Et print son chemyn du costé de la Soulloingne ; et a toute diligence feist marcher toute sa compagnie. Quand les Angloys, qui estoyent en ung fort boulevert, qu'ilz avoyent faict a Sainct Jehan le Blanc, furent advertis de la venue des Françoys, ilz habandonnerent ledit boulevert, et se retirerent dedens les Augustins, qu'ilz avoyent tres bien fortifiez. Ladicte Pucelle, voyant que les ennemys s'estoyent retirez, feist passer tous ses vivres par devant eulx, et a toute diligence les fist charger en basteaux et passer la riviere. Et ce faict, passa elle et toute sa compagnie, et, avecques leurs vivres, entrerent en la ville, ou ilz furent bienvenus.


                                         

E LENDEMAIN que ladicte Jhenne et lesdits seigneurs et cappitaines eurent regardé que les vivres, qu'ilz avoyent amenez, ne leur povoyent durer que bien pou de temps, ilz adviserent de renvoyer a Bloitz de vers mondit seigneur le chancelier, pour faire provision d'aultres vivres, pour advitailler de nouveau ladicte ville. Et a ceste fin renvoyerent le bastard d'Orleans et les seigneurs de Roys et de Lorré, avecques leurs gens d'armes, pour remonstrer la neccessité de ceulx de ladicte ville, et dire que, si elle n'estoit secourue en bref, qu'ilz estoit force [16] de la rendre aux ennemys. Et demoura ladicte Jhenne la Pucelle dedens avecq aultres cappitaines et gens d'armes, pour donner couraige a ceulx d'icelle ville, et pour leur ayder a la deffendre, si les ennemys se vouloyent efforcer de la prendre d'assault.


                                         

R, APPREZ lesdictes remonstrances faictes par ledit bastard, de Rays et de Loré, a mondit seigneur le chancelier et aultres du conseil du roy estans audit lieu, fut ordonné qu'on assembleroit grand quantité de vivres ; ce qui fut faict a toute diligence ; et fut advisé que on les meneroit par le costé de la Beaulce.
  Et incontinent les choses prestes, lesdits bastard et seigneurs de Rays et de Loré, avec autant de gens d'armes qu'ilz peurent assembler, partirent de Blaitz, et prindrent le chemin du costé de la Beaulce, ainsy qu'il avoit esté conclud. Et avecq leurs vivres, allerent loger a la moictié du chemin d'entre Blaitz et Orleans ; et le lendemain, bien mattin, se deslogerent, et marcherent jusques a une petite lieue prez dudit Orleans. La Pucelle, advertye de leur venue, feist preparer tous les cappitaines et gens d'armes qui estoyent dedens ladicte ville ; et incontinent se partist, et mist ses gens en si bonne ordonnance qu'elle et sa compaignie passerent par devant les ennemys, qui ne saillirent point de leur fortz. Et par ce, passerent sans empeschement, et se vindrent joindre avecq ceulx qui admenoyent lesdits vivres. Et quand ilz furent assemblez, et qu'ils leur fut advis [17] qu'ilz estoyent assez fors, ilz marcherent vers la ville avecq leurs vivres, et passerent par devant lesdits forts ; et entrerent dedens la ville sans contredit.


                                         

R, FAULT ICY entendre que, du costé de la Beaulce, les Angloys avoyent faict faire deux fortes bastilles, l'une desquelles ilz avoyent nommee Londres, pour ce que elle estoit la plus grande et la plus forte ; et l'autre estoit moindre, qu'ilz nommoyent la bastille Sainct Leu. Et du costé de la Soulloingne
en avoyent faict deux aultres : l'une, au bout du pont, et l'autre, aux Augustins, avecq un boulevert, qu'ilz avoyent faict a Sainct Jehan le Blanc.


                                         

E LENDEMAIN au mattin, Jhenne la Pucelle print ses armes et fist armer les seigneurs, cappitaines et gens d'armes ; et, ce faict, saillit la premiere de la ville, et s'en va assaillir ladicte bastille Sainct Leu ; et quand les Angloys qui estoyent dedens la grand bastille veirent le dur assault que on faisoit a leurs gens, saillirent dehors de leur fort, pour les venir secourir ; lesquelz furent si vertueusement reboutez par les Françoys, qu'ilz furent contrainctz de eulx retirer en leurdit fort. Et ce faict, les Françoys recommencerent l'assault si fierement que ladicte bastille fut assez tost prinse d'assault.  Et tous ceulx qui estoyent dedens, tuez et prins. Et incontinent[18] ladicte Pucelle fist demolir ladicte bastille, et s'en retourna avecq sa compaignie dedens la ville.

   


                                         

E JOUR ensuivant et autres jours apprez, les seigneurs et cappitaines s'assemblerent par plusieurs foys, et eurent plusieurs parlements secretz, pour se ilz debvoyent assaillir l'autre bastille, nommee Londres. Esquelz conseilz la Pucelle ne estoyt point appellee. Et finablement fut desliberé entre eulx qu'ilz feroyent assaillir ladicte bastille, estimans que ceulx du costé de la Solloigne passeroyent la riviere pour aller secourir ceulx de ladicte bastille de Londres ; et que ilz laisseroyent leurs bastilles et forts desgarnyes. Et que aulcun petit nombre de gens pourroyent facillement prendre lesdictes bastilles dudit costé de la Souillongne. Apprez lequel advis, fut desliberé de parler a ladicte Pucelle pour savoir se il luy sembleroit bon d'assaillir ladicte bastille.
  A quoy elle respondit : « Il semble a vous, messeigneurs les cappitaines, pour ce que je suis femme que je ne sauroye celer une chose secrete. Je vous dy que je sçay tout ce que avez desliberé. Mais je vous asseure que je ne reveleray jamais les choses qui sont a celer. »
  Ceste responce oye, il fut advisé que le bastard d'Orleans, qui estoit plus privé d'elle, luy diroit ce qui avoit esté advisé entre eulx, Ce qu'il fist. Laquelle deliberacion oye par ladicte Pucelle, fut respondu qu'elle louoit ladicte deliberacion, s'il advenoit ainsy qu'ilz avoyent pensé. [19] Mais pour ce qu'elle doubtoit que non, elle ne fust pas de ceste oppinion. Pour quoy lesdits seigneurs et cappitaines n'ozerent entreprendre a executer leur deliberacion contre son voulloir, considerans que elle estoit venue a bonne fin de toutes les entreprinses qu'elle avoit faictes. Et pour ce luy feirent demander qu'ilz debvoyent faire. A quoy elle respondit qu'il luy sembloit advis que on debvoit assaillir les forts qui estoyent de l'autre costé de la riviere es faulxbourgs de Sainct Laurens. Ce qui fut conclud faire.
  Or, y avoit joingnant des murs de la ville grand nombre de basteaux, esquelz elle fist charger tous les gens d'armes qu'elle vouloit mener ; et les fist passer de l'autre costé de la riviere, et elle avecques eulx. Et a grande diligence les mist en ordre pour assaillir l'un desdits fortz. Elle les fist marcher vers celuy qui estoit au bout du pont. Lequel elle, se confiant en Dieu, le fist assaillir vertueusement. Et aussi fut par les ennemys tres bien deffendu. Et dura ledit assault jusques a environ une heure devant soleil couchant.
  La Pucelle, voyant la grande resistence que faisoyent les ennemys, elle fist signe de retraicte a ses gens, et les fist retirer vers les basteaux, sur lesquelz ilz estoyent passez. Les Angloys, voyans la retraicte des Françoys, saillirent de leur fort pour venir fraper sur les Françoys qui se vouloyent retirer, comme dit est. Ce voyant, la Pucelle mist ses gens en ordre pour leur résister ; et leur donna si bon couraige qu'ilz contraignirent les ennemys de reculer. [20] Et eulx retirez en la bastille des Augustins, laquelle elle fist si rudement assaillir que, combien qu'elle fust tres forte et bien garnye d'artillerie et de gens, toutesfoys elle la print d'assault. Et furent contraincts lesdis ennemys s'enfuyr en ladicte bastille qui estoit au bout du pont. En laquelle avoit une tres forte tour de pierre. Et ce faict, elle ordonna le guet pour la nuict ; et demoura elle et sa compaignie eudit lieu des Augustins et es faulxbourgs d'environ.


                                         

E LENDEMAIN AU MATTIN, elle mist ses gens en ordre, et leur dist qu'il estoit temps de assaillir les ennemys, et leur promist que sans difficulté le temps estoit venu que lesdits ennemys debvoyent estre vaincus et chacez du royaulme de France. Laquelle promesse donna grand couraige aux Françoys. Et en ce couraige assaillirent ladicte bastille, qui fut tres bien deffendue par les ennemys. Nonobstant laquelle deffence, les Françoys ne laisserent l'assault, mais resisterent, eulx confians es parolles de ladicte Pucelle, laquelle estoit tousiours devant. Et combien qu'elle fust blecee d'ung traict d'arbaleste en une jambe, ou comme aulcuns dyent en l'espaulle, toutesfoys elle ne feist semblant, ne se retira dudit assault ; mais donna si bon couraige a ses gens, qu'ilz se gecterent tous apprez elle es fossés dudit fort ; et avecq eschelles monterent dessus les murs, et entrerent dedens, et fut prins d'assault. Euquel furent tuez de quatre a cinq cens Angloys. Entre lesquelz y furent mortz troys cappitaines. [21] C'est assavoir les seigneurs de Moulins, Jehan de Pommays et Guillaume Glassidas, principaulx gouverneurs du siege de ce costé ; et tous les aultres prins. Les Angloys qui estoyent de l'autre costé de la riviere veirent bien l'assault et la prinse ; mais ilz ne les povoyent secourir.
  Ladicte prinse faicte, la Pucelle et sa compaignie retournerent en la ville par dessus le pont, ce qu'elle avoit dit le jour de devant au partir de ladicte ville. Les habitans de la ville, apprez ladicte victoire, commencerent a chanter Te Deum Laudamus ; et sonnerent toutes les cloches des eglises, et feirent toute la nuict grand joye et grand bruit. Et les ennemys, voyans le danger eu quel ilz estoyent, le lendemain bien mattin se deslogerent de l'autre bastille et s'en allerent a grande diligence a Mun. Et par ce fut delivree la ville dudit siege, a la grand honte, perte et confusion desdits Angloys ; au grand honneur et grand gloire du roy, de ses amys et subiectz.


                                         

E SIÈGE LEVÉ, COMME DIT EST, la Pucelle solicita fort le roy de assembler le plus de gens d'armes qu'il pourroit, affin qu'il peust recouvrer les villes et places que les ennemys tenoyent a l'entour d'Orleans. Par quoy ledit seigneur manda au duc d'Alençon venir devers luy avecq ce qu'il pourroit trouver de gens d'armes. Ce que ledit duc fist a toute diligence. Et luy venu avecq grand nombre de seigneurs et gens d'armes, lesquelz, combien qu'ilz n'eussent aulcuns gaiges du roy, toutesfoys, grand partye d'eulx, vindrent pour veoir ladicte Pucelle, qu'on disoit estre venu de par Dieu, et pour fere la guerre avec elle contre les ennemys.


                                         

A COMPAIGNIE [22] ASSEMBLEE, ilz marcherent tout droict a Gergeau, et misrent le siege devant ; laquelle ville dedens huit jours apprez, par le conseil et industrie de ladicte Pucelle, fut prinse d'assault. Et furent prins le conte de Sufîolt, le seigneur de la Poulle, et son frere tué avecq aultre grand nombre d'Angloys.


                                         

UATTRE OU CINQ IOURS APPREZ, les seigneurs et toute la seigneurie se partirent dudit Gergeau et s'en allerent a Meun, ou ilz prindrent d'assault le pont et la tour du bout d'icelluy ; en laquelle tour, ilz misrent gardes ; et a grand diligence misrent gardes et marcherent droit a Baugency. Et quand les Angloys furent advertis de la venue des Françoys, ilz habandonnerent la ville et se retirerent au chasteau ; lequel deux jours apprez, ilz rendirent par composition. Assez tost apprez la prinse dudit chasteau, il fut bruit en l'ost des Françoys que le seigneur de Tallebot et Jehan Descalles, accompaignez de cinq mil Angloys, estoyent arrivez a Yemville en Beaulce, qui pour lors estoit en l'obaissance des Angloys. Et fut dit a noz gens que ledit Tallebot et toute sa compaignie marchoyent vers Meun, cuidans que ladicte ville fust assiegee des Françoys. Ces nouvelles oyes, les cappitaines envoyerent des chevaucheurs pour savoir la verité du cas ; lesquelz rapporterent que ledit Tallebot venoit avecquez une grand compaignie. Sur quoy les seigneurs et cappitaines prindrent conseil avecq ladicte Pucelle, qui fut d'oppinion que toute la compaignie des Françoys debvoit marcher a rencontre dudit Tallebot. Ce qui fut conclud faire. [23] Et furent envoyez gens de nostre part pour veoir la contenance des ennemys. Par lesquelz les nostres furent advertis que lesdits ennemys marchoyent en bonne ordonnance. Pour quoy fut advisé mectre nostre armée en ordre.
  Et ce fait, l'advangarde alla loger en ung villaige nommé Patay, euquel avoit une forte tour en l'eglise. Et furent envoyez le syre de Beaumanoir, messyre Ambroys de Loré, La Hyre et Pothon, avecq quelque nombre de gens d'armes pour les chevaucher. Et le duc d'Alençon, le connestable, le conte de Vendosme, le bastard d'Orleans et Jhenne la Pucelle marchoyent apprez. Les Anglois qui marchoyent en ordre, quand ilz apperceurent les Françoys, et veirent leur contenance, ilz tournerent leur chemin vers ung boys qui estoit prochain, pour trouver place plus convenable pour combattre. Et quand ceulx qui les chevauchoyent veirent qu'ils voulloyent gaigner ledit boys, ilz frapperent sur eulx si rudement qu'ilz misrent en desordre et en fuite tous les a cheval desdis ennemys. Les gens de pied, voyans la fuyte de leur gens de cheval, se retirerent eudit boys, et en ung petit villaige qui estoit joignant, pour eulx saulver. Mais le duc d'Alençon et sa compaignie se hasterent et vindrent frapper sur eulx, et les desfirent. Et la furent occis troys mil hommes et plus de la part desdits Angloys, et plusieurs cappitaines prins ; entre lesquelz estoit Talbot.
  Apprez laquelle desfaicte, ladicte ville de Yenville et plusieurs aultres
places voisines se rendirent en l'obaissance du roy.


                                         

ES VICTOIRES DESSUSDICTES FAICTES, et lesdictes villes et places prinses par le conseil et industrie de ladicte Pucelle, [24] comme dit est, elle s'en alla devers le roy, et luy dist :
  « Tres cher syre, vous voyez comme a l'aide de Dieu et de voz bons serviteurs, voz affaires ont esté bien conduictes jusquez icy ; dont vous luy en debvez bien rendre graces. Or, fault maintenant que vous vous preparez pour faire vostre voyage a Rains, pour estre enoingt et sacré, ainsy que par cy devant ont esté voz predecesseurs roys de France. Car le temps en est venu. Et plaist a Dieu que ainsy soit faict. Laquelle chose sera grand advantaige pour vous. Car, apprez vostre consecration, vostre nom sera en plus grand veneracion et honneur envers le peuple de France ; et en auront les ennemys plus grand craincte et formidacion. Et ne ayez point de paour, pour ce que les ennemys tiennent toutes les villes, chasteaux et places du pays de Champaigne, par lequel il vous fault passer. Car, a l'ayde de Dieu et de voz bons cappitaines et gens d'armes, nous vous ferons voye, en maniere que vous passerez seurement. Assemblez vos gens d'armes, affin que nous executons le vouloir de Dieu. »
  Apprez lesquelles parolles, combien que ceste entreprinse semblast tres difficille au roy et a toute sa compaignie, pour ce que, comme dit est, le pays de Champaigne estoit tout entierement occuppé et possedé par les Angloys, toutesfoys la confidence qu'ilz avoyent en ladicte Pucelle leur donna grande esperance de parvenir a ce qu'elle avoit dit, tant pour ce que elle estoit venue a chef de toutes ses entreprinses, que pour la saincte et honneste vie qu'elle demenoit. Ilz veoyent qu'elle se confessoit tres souvent, et recepvoit luy veoient faire aulcune oeuvre de femme.
  [25] Apprez les remonstrances faictes par ladicte Pucelle, ainsy que dit est, le roy s'en alla a Gyen sur Loyre, et manda ceulx qui luy pourroyent ayder en son voyage. Auquel lieu s'assemblerent quelque bon nombre de gens pour l'accompaigner a aller a Rains. Et incontinent les choses preparees, il ordonna que aulcuns cappitaines, avec les gens d'armes, marcheroyent devant avecq la Pucelle, pour veoir se les ennemys feroyent quelque entreprise pour luy venir a rencontre. Ce qui fut faict. Et prindrent lesdits cappitaines et leur compaignie le chemin tout droict a Auxerre. Lesquels le roy et sa compaignie suivit.

   

  Quand ceulx de la ville de Auxerre sceurent la venue dudit seigneur, ilz firent tant par le moyen d'aulcuns qui estoyent prez de luy, que luy ne aulcun de sa compaignie ne entrerent dedens ladicte ville. Mais seullement baillerent des vivres aux gens d'armes, en les payant. Le roy passa oultre et s'en alla a Sainct Fleurentin, ou il fut receu benignement. Et luy firent les habitans le serment de fidelité. Cela faict toute la compaignie partit dudit lieu et s'en alla a Troyes. Laquelle ilz assiegirent. Et apprez que le roy et ses gens eurent demeurés six jours devant, les vivres faillirent en l'ost, et n'en povoit on recouvrer. Pourquoy ilz se trouverent en si grande neccessité de vivres que la plus grande partye des gens d'armes n'avoyent a menger que des febves et des espys de bled.
  Le roy, voyant la famine qui estoit en son ost, assembla les seigneurs et cappitaines, sans y assembler la Pucelle, pour savoir qu'ilz debvoit faire. Tous lesquelz furent d'oppinion qu'il s'en debvoit retourner et remener son ost, tant pour ce que ils n'avoyent point de vivres, que ce pour ce que ledit seigneur [26] n'avoit que tres peu d'argent pour souldoyer ses gens. Et de tous ceulx qui furent appeliez a ce conseil n'y en eust pas ung qui ne fust de cest advis, fors ung nommé Robert Le Machon, qui dist que l'oppinion de ceulx qui en avoyent parlé luy sembloit assez bonne, mais qu'il vouldroit bien oyr parler la Pucelle, qui avoit esté cause de ceste entreprinse. Laquelle le roy fist presentement venir. Et luy fist remonstrer la neccessité de vivre qui estoit en son ost, et que on n'en povoit recouvrer, la neccessité en quoy estoyent ses gens, et mesmes la force de la ville ; et luy pria qu'elle le conseillast ce qu'il avoit a faire.
  A quoy elle respondit : « Syre, si je vous dys chose que je sçays de certain,
me croirez vous ?
» Et pour ce que ledit seigneur ne luy respondit pas promptement, elle luy demanda encoires une aultre foys. Adoncq luy dist le roy : « Jhenne, si vous me dictes chose qui me soit proffitable, je vous croiray voluntiers. » — « Et je vous asseure, dit elle, sire, que devant qu'il soit deux jours, ceulx de Troyes se rendront a vous et vous rendront la ville. » — Lesquelles paroles oyes, le roy fut conseillé actendre encorres deux jours. Et commanda que homme du monde ne partist du siege. Et incontinent apprez ledit commandement, ladicte Pucelle print ses armes et monta a cheval ; et fist crier par tout l'ost que tous les gens d'armes et aultres apportassent eschelles, fagostz, bourrés et aultres choses neccessaires pour assaillir ladicte ville. Et fist le tout metre dedens les fossez, et drecer lesdictes eschelles contre la muraille. Laquelle chose voyant, ceulx de la ville incontinent envoyerent leur evesque et aulcun nombre des citoyens et des gens d'armes qui estoyent dedens, devers le roy. Auquel ilz offrirent rendre la ville, [27] se ilz vouloyent permettre que les Angloys qui estoyent dedens s'en allassent, leurs bagues saulves. Ce que le roy leur accorda. Et fut appoincté que le lendemain au mattin il entreroit dedens ladicte ville.


                                         

E LENDEMAIN AU MATTIN, les Angloys se partirent de la ville avecques leurs bagues saulves ; avecques lesquelles ilz emmenoyent des Françoys qui tenoyent prisonniers. Laquelle chose la Pucelle ne voullut souffrir ; mais les leur osta. Et pour ce que lesdits Angloys se plaingnirent que on leur faisoit tors et que c'estoit contre la composition qui avoit esté faicte, fut appoincté que lesdits prisonniers demeureroyent, mais que le roy payeroit quelque somme d'argent pour leur rançon.
  Et ce faict, le roy entra en ladicte ville ; et le receurent les habitans tres ioyeusement. Et luy feirent le serment de fidelité. Et y ordonna des officiers, tant pour la justice que pour la police. Et y laissa gens pour la garder.
  Et ce faict, deslogea, et fist marcher son ost vers Challons ; ou il fut receu en grand ioye de tous les habitans, qui luy firent le serment de fidelité. Et institua des officiers neccessaires pour la chose publicque dudit lieu de Challons ; il s'en alla tout droict a Rains. En quel lieu, combien que la ville fust en obaissance des Angloys, toutesfoys les habitans d'icelle le receurent tres ioyeusement, en le recongnoissant leur roy et souverain seigneur.


                                         

N CE LIEU vindrent les ducz de Bar et de Lorraine et le seigneur de Commery, avec grand nombre de gens d'armes [28] eulx offrir au service du roy ; lesquelz ledit seigneur receut tres benignement, et les remercya grandement de leur bon voulloir.


                                         

EUX JOURS APPREZ, il fut enoingt et sacré par monseigneur Regnault de Chartres, archevesque de Rains, la Pucelle presente, tenant l'estendart du roy en ses mains ; laquelle tres ioyeuse de ce que, a son exhortacion, par son conseil et diligence, avoit emmenné enoindre et sacrer ledit seigneur ; lequel admonnestoit de rendre graces a Dieu du bien et honneur qu'il avoit receu en sa coronacion, et des belles victoires qu'il luy avoit donnees.
  La solempnité dessusdicte parfaicte, et le serment de fidelité faict par les habitans dudit, le roy, par le conseil de ladicte Pucelle, se deslogea ; et print son chemin a Velly. Eu quel lieu, il fut bien voluntiers receu et obay ; et pareillement a Soissons. Et de la, s'en alla par le pays de Brye, ou il recouvra aulcunes places qui estoyent es mains de ses ennemys. Et eut tousiours bonne yssue de toutes les entreprinses qu'ils fist par le conseil de ladicte Pucelle.


                                         

esquelles entreprinses et faictz d'icelle je me passeray d'en escrire plus avant, pour ce que tout est escript bien au long es croniques, dont j'ay parlé ; et ce que j'en ay recité n'a esté fors que pour donner a congnoistre les grans biens qu'elle a fais en France qui est admirable et digne de memoire.
  Et combien que on ne sçauroit assez manifester et publier ses faictz [29] toutesfoys ce n'a esté, ne est mon intencion de les reciter au long ne par le menu ; mais veulx seullement escrire comment et par quel moyen elle fut prinse devant Compiengne, et depuis menee a Rouen. Eu quel lieu a la grande poursuite des Angloys, ses ennemys mortelz, son procez fut faict. Par lequel elle fut faulcement et iniquement condempnee, a estre bruslee, ainsy qu'il a esté trouvé depuis par le procez de son absolucion ; par lequel elle a esté declaree innocente de tous les cas, desquelz elle estoit accusee, nonobstant la determinacion faicte par messeigneurs de l'Université de Paris ; lesquelz, par flaterie et pour complaire au roy d'Angleterre, la declarerent hereticque, contre l'oppinion de deffunct nostre maistre Jehan Gerson, chancelier de Nostre Dame de Paris, docteur en theologie, si sçavant et saige, comme ses oeuvres le monstrent et en font le jugement. Laquelle oppinion, avecques les raisons qui le meurent a estre contre l'oppinion de ladicte Université, sont escriptes ici apprez, par lesquelles on pourra veoir ou il y a plus d'apparence de verité et de bon jugement (8).


                                         

T POUR retourner a mon propos a parler de ladicte Pucelle, de laquelle la renommee croissoit tous les jours, pour ce que les affaires du roy venoyent toutes a bonne fin, et ne failloit ledit seigneur a venir a chef de toutes les entreprinses qu'il faisoit par le conseil d'icelle Pucelle, et aussy elle avoit l'honneur et la grace de tout ce qui ce faisoit, dont aulcuns seigneurs et cappitaines, ainsy que je trouve par escript, conceurent [30] grande hayne et envie contre elle — qui est chose vraysemblable et assez facile a croire, actendu ce que advint assez tost apprez. Car elle, estant a Laigny sur Marne, fut advertye que le duc de Bourgoingne et grand nombre d'Angloys avoyent mis le siege devant la ville de Compieigne, qui avoit, n'a pas longtemps, esté reduicte en l'obaissance du roy. Se partit avecques quelque nombre de gens d'armes qu'elle avoit avec elle, pour aller secourir les assiegez dudit lieu de Compieigne. La venue de laquelle donna grand couraige a ceulx de ladicte ville.


                                         

NG JOUR OU DEUX APPREZ sa venue, fut faicte une entreprinse, par aulcuns de ceulx qui estoyent dedens, de faire une saillye sur les ennemys. Et, combien qu'elle ne fust d'oppinion de faire ladicte saillye, ainsy que j'ai vu en quelque cronicque, toutesfoys, affin qu'elle ne fust notee de lascheté, elle voulut bien aller en la compaignie ; dont il luy print mal. Car, ainsy que elle se combatoit vertueusement contre les ennemys, quelqu'ung des Françoys fist signe de retraicte ; par quoy chascun se hasta de soy retirer ; et elle, qui vouloit soustenir l'effort des ennemys, cependant que noz gens se retiroyent, quand elle vint a la barriere, elle trouva si grand presse qu'elle ne peust entrer dedens a ladicte barriere. Et la fut prinse par les gens monseigneur Jehan du Luxembourg qui estoit audit siege avecques monseigneur ledit duc de Bourgoingne.
  Aulcuns veullent dire que quelqu'ung des Françoys fut cause de l'empeschement qu'elle ne se peust retirer, qui est chose facile a croire, car on ne trouve point qu'il y eust [31] aulcun Françoys, au moins homme de non, prins ne blecé en ladicte barriere. Je ne veulx pas dire qu'il soit vray. Mais quoy qu'il en soit, ce fut grand dommaige pour le roy et le royaulme, ainsy qu'on peult juger par les grandes victoires et conquestes qui furent en si pou de temps qu'elle fut avec le roy.


                                         

ADICTE PUCELLE PRINSE par les gens dudit Luxembourg, en la maniere que dit est, icelluy de Luxembourg la feist mener au chasteau de Beaurevoir. Eu quel lieu, la feist garder bien soigneusement de jour et de nuict, pour ce qu'il doubtoit qu'elle eschapast par art magicque, ou par quelque autre maniere subtille.
  Apprez ladicte prinse, le roy d'Angleterre et son conseil, craignans que ladicte Pucelle eschapast, en payant rançon ou aultrement, fist toute diligence de la recouvrer. Et a ceste fin, envoya plusieurs foys vers ledit duc de Bourgoingne et ledit de Luxembourc. A quoy icelluy de Luxembourc ne voulloit entendre, et ne la vouloit bailler a nulle fin. Dont ledit roy d'Angleterre estoit bien mal content. Pour quoy, assembla son conseil par plusieurs foys, pour adviser qu'il pourroit faire pour la recouvrer. Et en la fin, fut conseillé mander l'evesque de Beauvoys, auquel il fist remonstrer que ladicte Pucelle usoit d'art magique et dyabolicque, et qu'elle estoit hereticque, qu'elle avoit esté prinse en son diocese, et qu'elle y estoit prisonniere, que c'estoit a luy en avoir la congnoissance, et en faire la justice ; et qu'il devoit sommer et admonnester ledit duc de Bourgoingne et ledit de Luxembourc de [32] de luy rendre ladicte Pucelle, pour faire son procez, ainsy qu'il est ordonné par disposition de droit aux prelatz faire le procez contre les hereticques ; en luy offrant payer telle somme raisonnable qu'il sera trouvé qu'elle debvera payer pour sa rançon. Laquelle chose, apprez plusieurs remonstrances, ledit evesque accorda faire par conseil, s'il trouvoit qu'il le deust et peust faire ; et pour se conseiller, se adressa a messeigneurs de l'Université de Paris, qui furent d'oppinion qu'il le povoit et debvoit faire. Et pour complaire au roy d'Angleterre, accorderent audit evesque qu'ilz escriroyent de par l'Université a messire Jehan de Luxembourc qui tenoit la Pucelle prisonniere, qu'il la debvoit rendre pour faire son procez ; et que, s'il faisoit aultrement, il ne se monstreroit pas bon catholicque ; et plusieurs autres remonstrances contenues esdictes lectres, ainsy qu'il sera veu par le double d'icelles qui est escript cy apprez. Quand ledit evesque eut ouy le conseil et l'offre de ladicte Université, il accorda faire ladicte sommacion qui fut mise par escript.
  De laquelle la teneur ensuit (9).


                                         

OUBLE DE LA CEDULLE de la sommacion faicte par l'evesque de Beauvoys au duc de Bourgoingne et messire Jehan de Luxembourg pour rendre la Pucelle.

  C'est ce que requiert l'evesque de Beauvoys a monseigneur le duc de Bourgoingne, a monseigneur Jehan de Luxembourg, et au bastard de Vendosme, de par le roy nostre syre, et de par luy, comme evesque de Beauvoys.
  Que celle femme [33] nommee Jhenne la Pucelle, prisonniere, soit envoyee au roy pour la delivrer a l'Eglise, pour luy faire son procez ; pour ce qu'elle est suppessonnee et diffamee d'avoir commis plusieurs crimes, comme sortileges, ydolatries, invocacions d'ennemys et autres plusieurs cas touchant nostre foy et contre icelle. Et, combien qu'elle ne doye point estre de prinse de guerre, comme il semble, consideré ce qui dit est, neantmoins pour la remuneracion de ceulx qui l'ont prinse et detenue, le roy veult liberalement leur bailler jusques a la somme de VI M livres ; et pour ledit bastard qui l'a prinse, [luy donner et assigner] rente pour soustenir son estat, jusques a deux ou troys cens livres.
  Item, ledit evesque requiert de par luy aux dessusdits et a chascun d'iceulx, comme icelle femme ait esté prinse en son dyocese et soubz sa jurisdicion spirituelle, qu'elle luy soit rendue pour luy faire son procez, comme il appartient. A quoy il est tout prest de entendre par l'assistence de l'inquisiteur de la foy, si besoing est, par [l'assistence] des docteurs en theologie, en decret et [aultres] notables personnes, expers en fait de judicature, ainsy que la matiere requiert ; affin qu'il soit deuement et meurement faict a [exaltacion] de la foy, et l'instruction de ceulx qui ont esté en ceste matiere deceuz et abusez, a l'occasion d'icelle femme.
  Item, et en la parfin. se, par la maniere avantdicte, les dessusdits ou aulcun d'eulx ne voulloyent estre contens ne obtemperer a ce que dessus est dit, combien que la prinse d'icelle femme ne soit pareille a la prinse de roy, prince ou aultres gens de grand estat, lesquelz toutesfoys, se prins estoyent ou aulcun de tel estat, fust le roy, le daulphin, ou aultre prince, le roy le pourroit avoir, s'il voulloit, [34] en baillant au [prenant] dix mil frans, selon le droit, usaige et coustume de France, ledit evesque somme et requiert les dessusdits, au non comme dessus, que ladicte Pucelle luy soit delivree, en baillant seureté de ladicte somme de dix mil frans, pour toutes choses quelconques ; et ledit evesque, de par luy, selon les formes et peines de droit, la requiert a estre a luy baillee et delivree, comme dessus.

     

DOUBLE DES LECTRES DE L'UNIVERSITÉ DE PARIS A MESSIRE JEHAN DE LUXEMBOURG, pour la rendicion de la Pucelle.

  TRES NOBLE, HONNORÉ et puissant seigneur, nous nous recommandons tres affectueusement a vostre haulte noblesse.
  Vostre noble prudence sçait bien et congnoist que tous bons chevaliers catholicques doibvent leur force et puissance employer premierement au service de Dieu ; en especial, le serment premier de l'ordre de chevalerie, qui est garder et deffendre l'honneur de Dieu et la foy catholicque et sa saincte Eglise. De ce serment vous est bien souvenu, quand vous avez vostre noble puissance et presence personnelle employee a apprehender telle femme qui se dict la Pucelle, au moyen de laquelle l'honneur de Dieu a esté sans mesure offensé, la foy excessivement blecee, et l'Eglise trop fort deshonnoree.
  Car, par son occasion, ydolatries, erreurs, maulvaises doctrines, et aultres maulx et inconveniens irreparables, se sont ensuiviz en ce royaulme. Et en verité tous loyaulx chrestiens vous doibvent mercyer grandement d'avoir faict [35] si grand service a nostre saincte foy et a tout ce royaulme. Et quand a nous, nous en remercyons Dieu de tous noz couraiges et vostre noble prouesse, tant comme le povons. Mais peu de chose seroit avoir faict telle prinse, s'il ne s'en suivoit ce qu'il appartient pour satisfaire a l'offense par icelle femme perpetree contre nostre tres doulx Createur, en sa foy et sa saincte Eglise, avecques ses aultres mesfectz innumerables, comment on dit ; et seroit plus grand inconvenient que onques mez ; et si seroit intolerable offence contre la maiesté divine, si ceste femme demouroit en ce point, ou que il advint que icelle femme fust delivree ou perdue, comme ont dit aulcuns adversaires soy vouloir efforcer de faire et applicquer tous leurs entendemens par toutes voyes exquises, soit par argent ou rançon. Mais nous espoerons que Dieu ne permetra pas advenir si grand mal sur son peuple ; et que ainsy vostre bonne et noble prudence ne le souffrira pas, mais y saura bien pourveoir convenablement. Car, se ainsy estoit faicte delivrance d'icelle sans convenable reparacion, ce seroit deshonneur irreparable a vostre grande noblesse et a tous ceulx qui de ce se seroyent entremis. Mais, a ce que tel esclande cesse le plus tost que faire ce pourra, comme le besoing est, pour ce que en ceste matiere le delay est trop perilleux et tres preiudiciable en ce royaulme, nous supplyons tres humblement et de cordialle affection a vostre puissante et honoree noblesse que, en faveur de l'honneur divin, a la conservacion de foy, au bien et exaltacion de tout ce royaulme, vous baillez icelle femme a la metre en justice [36] et envoyez par de ça a l'inquisiteur de la foy, qui icelle a requise et requiert tres instamment pour faire discution de ses grandz charges, tellement que Dieu en puisse estre content et le peupple ediffîé deuement et en bonne et saincte doctrine ; ou vous plaise icelle femme rendre et delivrer a reverend pere en Dieu et nostre tres honnoré seigneur, l'evesque de Beauvoys, qui icelle a pareillement requise, a la jurisdiction duquel elle a esté apprehendee ; et, comme on dit, les prelatz et inquisiteur sont juges d'icelle en la matiere de la foy ; et est tenue obayr tout chrestien, de quelque estat qu'il soit, à eulx, en ce cas present, sur les peines de droit qui sont grandes. Et en ce faisant, vous acquerrez la grace et amour de la haulte divinité ; vous serez moyen de l'exaltacion de la saincte foy ; et aussy accroisserez la gloire de vostre hault et noble non, et mesmement de tres hault et tres puissant prince, nostre tres redoubté et le vostre, monseigneur le duc de Bourgoingne ; et sera chascun tenu a prier Dieu pour la prosperité de vostre tres noble personne ; laquelle Dieu nostre Saulveur veuille conduire par sa saincte grace en tous ses affaires, et finablement luy retribuer joye sans fin.

  Escript a Paris le XIIIIme jour de juillet, mil IIIIccXXX.


Ensuit la teneur des lectres envoyees par ladicte Jhenne au roy d'Angleterre, duc de Bethfort et aultres seigneur.

  ROY DE ANGLETERRE et vous, duc de Bethfort, qui vous dictes regent le royaulme de France ; vous, Guillaume de la Poulle, conte de Suffort ; Jehan syre de Tallebot ; et vous, Thommas, syre Descalles, qui vous dictes lieutenan dudit duc de Bethfort,
  Faictes raison au Roy du ciel. Rendez a la Pucelle qui est envoyee de par Dieu le Roy du Ciel, les clefz de toutes les bonnes villes que vous avez prinses et violees en France. Elle est icy venue de par Dieu le Roy du Ciel pour reclamer le sang royal. Elle est toute preste de faire paix se vous luy vouliez faire raison, par ainsy que France vous mectez ius, et payez ce que vous l'avez tenu.
  Et oultre vous, archiers, compaignons de guerre, gentilz et aultres qui estes devant la ville d'Orleans, allez vous en, de par Dieu, en vostre pays. Et se ainsy ne le faictes, actendez les nouvelles de la Pucelle, qui vous yra veoir brefvement, a voz bien grans dommaiges.
  Roy d'Angleterre, se ainsy ne le faictes, je suis chef de guerre, et en quelque lieu que je actaindray voz gens en France, je les en feray aller, veuillent ou non. Et se ilz ne veullent obayr, je les feray tous occire. Je suis icy envoyee de par Dieu le Roy du ciel, corps pour corps, vous boutter hors de toute France. Et se ilz veuillent obayr, je les prendray a mercy. Et ne ayez point en vostre oppinion, car vous ne tiendrez point le royaulme de France de Dieu le Roy du Ciel, filz de saincte Marie. Ains le tiendra le roy Charles, vray herithier. Car Dieu le Roy du ciel le veult, et luy est revelé par la Pucelle. Lequel entrera a Paris en belle compaignie et bonne.
  Se ne voulez croire les nouvelles [38] de par Dieu et la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons, nous frapperons dedens et y ferons ung grand hahay, que encoires mil ans a que en France ne fut si grand, si vous ne faictes raison. Et croyez fermement que le Roy du Ciel envoira plus de force a la Pucelle que vous ne luy sçauriez mener de tous assaulx a elle et a ses bonnes gens d'armes. Et aux horions verra l'en qui aura le meilleur droit de Dieu du Ciel.
  Vous, duc de Bethfort, la Pucelle vous prie et requiert que vous ne vous faictes point destruire.
  Se vous luy faictes raison, encoires pourrez vous venir en sa compaignie veoir que les Françoys feront le plus beau faict que oncques fut faict pour la chretiente.
  Et faictes responce se vous vouliez faire paix en la cyté d'Orleans. Et si ainsy ne le faictes, de voz biens grands dommaiges vous souviengne brievement.

  Escript ce mardy sepmaine saincte [1429].


Ensuit la teneur des lectres envoyees par le roy de Angleterre.
TENOR LITTERARUM REGIS [un blanc] de reddicione Johanne dicte le Pucelle episcopo Balvacensi.


[H]ENRY, PAR LA GRACE DE DIEU, ROY DE FRANCE ET D'ANGLETERRE,
a tous ceulx qui ces presentes lectres verront, salut.
  Il est assez notoire et commun, comme, depuis aulcun temps en ça, une femme, qui se faict appeller Jhenne la Pucelle, laissant l'habit et vesture de sexe feminyn, c'est, contre la loy divine, comme chose abhominable a Dieu, repunee et deffendue [39] de toute loy, vestue, habillee et armee en estat et habit d'homme ; a faict et excerce cruel faict de homicides ; et, comme l'en dit, a donne a entendre au simple peuple, pour le seduire et abuser, qu'elle estoit envoyee de par Dieu, et avoit congnoissance de ses secretz divins, ensemble plusieurs aultres dogmatizacions tres pe[ri]culeuses, et a nostre foy catholicque tres preiudiciables et scandaleuses ; en poursuivant par elle lesquelles abusions, et excersant hostilite a l'encontre de nous et nostre peuple, a esté prinse armee devant Compieigne, par aulcun de noz loyaulx subiectz, et depuis emmenee prisonniere par devers nous. Et, pour ce que de supersticions, faulces dogmatizacions, et aultres crimes de leze maieste divine, comme l'en dit, a esté de plusieurs reputee suspecte, notee et diffamee, avons esté requis tres instamment par reverend pere en Dieu, nostre amé et feal conseiller l'evesque de Beauvoys, juge ecclesiasticque et ordinaire de ladicte Jhenne, pour ce qu'elle a esté prinse et apprehendee es termes et limites de son dyocese ; et pareillement exhortez de par nostre tres chere et tres amee fille, l'Universite de Paris, que icelle Jhenne voullions faire rendre, bailler et delivrer audit reverend pere en Dieu, pour la interroguer et examiner sur lesdits cas, et proceder oultre contre elle selon les ordonnances et dispositions des drois divins et canoniques, appeliez ceulx qui y feront a appeller.
  Pour ce, est il que nous, qui, pour reverence et honneur du nom de Dieu, deffence et exaltacion de saincte Eglise et foy catholicque, voulons devotement obtemperer, comme vrays et humbles enfans de Saincte Eglise, aux requestes et instances dudit reverend pere en Dieu, et exhortacions des docteurs et maistres de nostredicte fille l'Université de Paris, ordonnons et consentons [40] que, toutes et quantes foys que bon semblera audit reverend pere en Dieu, icelle Jhenne luy soit baillee et delivree reaulment et de faict par noz gens et officiers, qui l'ont en garde, pour icelle interroguer et examiner, et faire son procez, selon Dieu, raison et les droictz divins et saincts canons, par ledit reverend pere en Dieu.
  Si donnons en mandement a nosdictes gens et officiers, que icelle Jhenne
ont en garde, que audit reverend pere en Dieu baillent et delivrent reaulment et de faict, sans refuz ou contredit aulcun, toutes et quantes foys que par luy en seront requis. Mandons oultre a tous noz justiciers, officiers et subiectz, tant Françoys comme Angloys, que audit reverend pere en Dieu, et a tous aultres qui sont et seront ordonnez pour assister, vacquer et entendre audit procez, ne donnent de faict ne aultrement aulcun empeschement ou destourbier ; mais, se requis en sont par ledit reverend pere en Dieu, leur donnent garde, ayde et deffence, protection et confort, sur peine de griefve pugnicion.
  Toutesvoys, c'est nostre intencion de ravoir et reprendre par devers nous icelle Jhenne, s'ainsy a estoit qu'elle ne fust convaincue ou actaincte des cas dessusdits ou d'aulcun d'iceulx, ou d'autres touchans et regardans de nostredicte foy.
  En tesmoing de ce, nous avons faict metre nostre seel, ordonné, en l'absence du grand, a ces presentes.
  Donné a Rouen, le tiers jour de janvier, l'an de grace mil IIIIcc et XXX, et de nostre regne le IXme.

  Sic signata : Par le roy, a la relacion de son grand conseil.
  J. de Rinel.


Tenor summacionis nostri episcopi Balvacensis, domino duci Burgundie pro redicione dicte puelle.

[INSTRUMENTUM SUMMACIONIS facte pro reddicione Puelle].
  Anno Domini M° [IIIIcc] XXX°, die vero XIIIIa mensis Julii, indictione octava, pontificatus domini nostri Martini pape quinti anno XIII°, in bastillia illustrissimi principis domini ducis Burgundie, in [acie] sua, coram Compendio [statuta], presentibus nobilibus viris, dominis Nicolao de Malliaco, ballivo Viromandie, et Johanne de Pressy, militibus, cum pluribus aliis nobilibus, in copiosa multitudine testibus, etc., fuit presentata per reverendissimum in Christo patrem dominum Petrum, Dei gratia episcopum et comitem Balvacensem, prefato illustrissimo principi, domino duci Burgundie, quedam cedulla papirea, continens de verbo ad verbum quinque articulos supra scriptos ; quamquedam cedulam, ipse dominus dux realiter tradidit nobili viro Nicolao Raulini, militi, suo cancellario, ibidem presenti ; et eandem tradi precepit per eundem cancellarium nobili et potenti viro domino Johanni de Luxembourgo, militi, domino de Beaureveoir ; prout eandem cedullam realiter expedivit et deliberavit ipse dominus cancellarius, de mandato predicto, ipsi domino Johanni de Luxemburgo, ibidem supervenienti ; qui eandem cedulam, ut michi videbatur, perlegit.

[43] Sic signata : Ita actum est, presente Triquelot, publico appostolica et imperiali auctoritate tabellione.


TENOR LITTERARUM UNIVERSITATIS PARISIENSIS domino Johanni de Luxemburgo, pro redicione Puelle.

  Tres noble honore et puissant seigneur, nous nous recommandons tres
afectueusement a vostre haulte noblesse, etc... (10)


SEQUITUR TENOR LITTERARUM QUAS DOMINUS NOSTER REX prelatis Ecclesie, ducibus, comitibus et aliis nobilibus et civitatibus regni sui Francie.
C'est la teneur des lectres que le roy escripvit aux prelatz, gens d'Eglise,
ducz, contes, nobles, et cytoyens du royaulme.

  REVEREND PERE EN DIEU.
  IL EST ASSEZ COMMUNE RENOMMEE, ja comme partout divulgé, comme celle femme, qui se faisoit appeller Jehenne la Pucelle, erronee divineresse, c'estoit, deux ans et plus, contre la loy [divine] et l'estat de son sexe feminyn, vestue en habit d'homme, chose a Dieu abhominable, et en tel estat transportee devers nostre ennemy capital ; auquel et a ceulx de son party, gens d'Eglise, nobles et populaires, donna souvent a entendre qu'elle estoit envoyee de par Dieu ; en soy presumptueusement vantant qu'elle avoit souvent communicacion personnelle et visible avec sainct Michel, et grande multitude d'angelz, [44] et de sainctes de paradis, comme sainte Margueritte et saincte Katherine ; par lesquelz faulx donnez a entendre, et l'esperance qu'elle prometoit de victoires futures, divertist plusieurs cueurs d'hommes et de femmes de la voye de verité, et les convertit a fables et mensonges ; se vestit aussi d'armes appliquees pour chevaliers et escuiers ; leva estandard ; et en trop grand oultraige, orgeuil et presumption, demanda avoir et porter les tres nobles et excellentes armes de France, ce que en partie elle obtint, et les porta en plusieurs conflictz et assaulx, et ses freres, comme l'en dit ; c'est assavoir ung escu a champ d'asur, avecques deux fleurs de lys d'or et une espee, la poincte en hault, ferue en une couronne. En sest estat, se est mise aux champs ; a conduict des gens d'armes et de traict en excercice et grandz compaignies, pour faire et excercer cruaultez inhumaines ; en respandant le sang humain ; en faisant sedicions et commocions de peuple, l'induisant a pariuremens et pernicieuses rebellions, supersticions et faulces creances, en perturbant toute voye de paix, et renouvelant guerre mortelle ; en se souffrant adorer et reverer de plusieurs, comme femme sainctiffiee ; et aultrement dampnablement ouvrant et en divers aultres cas, longs a exprimer, qui toutesfoys en plusieurs lieux ont esté assez congnuz, dont prez que toute la chrestienté a esté fort scandalisee. Mais la divine puissance, ayant pitié de son peuple loyal, qui ne l'a longuement laissé en peril, n'a souffert demourer en vaines, perilleuses et nouvelles [credulitez], ou si longuement se mectoit, a voulu permettre, de sa grande misericorde et clemence, que ladicte femme ait esté prinse devant Compieigne, et mise en nostre obaissance et dominacion. Et pour ce que de lors fusmes requis [45] par l'evesque ou diocese duquel elle avoit esté prinse, que icelle, comme nottee et diffamee de crimes de leze maiesté divines, luy feissons delivrer, comme a son juge ordinaire ecclesiasticque, nous, tant pour la reverence de nostre saincte Eglise, de laquelle voulions les sainctes ordonnances preferer a noz propres fais et volentez, comme raison est, comme pour honneur aussy et exaltacion de nostredicte saincte foy, luy feismes bailler ladicte Jehenne, affin de luy faire son procez, sans en vouloir estre prinse par les gens et officiers de nostre justice seculiere aulcune vengeance ou pugnicion, ainsy que faire nous estoit raisonnablement licite, actenduz les grans dommaiges et inconveniens, les horribles homicides et detestables crimes, cruaultez et aultres maulx innumerables qu'elle avoit commis a l'encontre de nostre seigneurie et loyal peuple obaissant. Lequel evesque, avecques luy adioinct le vicaire de l'inquisiteur des erreurs et heresies, et appelle avecques eulx grand et notable nombre de solempnelz maistres et docteurs en theologie et droict canon, commença par grand solempnité et deue gravité le procez d'icelle Jehenne. Et apprez ce que luy et ledit inquisiteur, juges en ceste partie, ouïrent par plusieurs et diverses journees interrogue ladicte Jehenne, feirent les confessions et assercions d'icelle meurement examiner par lesdits maistres et docteurs, et generalement par toutes les facultez de l'estude de nostre chere et tres amee [fille] l'Université de Paris, devers laquelle lesdictes confessions et assercions ont este envoyees. Par l'oppinion et deliberacion desquelz, trouverent lesdits juges [46] icelle Jehenne supersticieuse, divineresse, ydolate, invocatrisse des dyables, blasphemeresse en Dieu et en ses sainctz et sainctes, scismatique et errante par moult de foys en la foy de Jhesus Christ. Et pour la ramener et reduyre en l'union et communion de nostre mere saincte Eglise, la purger de si horribles, detestables et pernicieux crimes et pechez, et garir et preserver son ame de perpetuelle peine et dampnacion, fut souvent et par bien longtemps tres charitablement et doulcement admonnestee a ce que, toutes erreurs par elle reiectees et mises arriere, voulsist humblement retourner a la voye de droit sentier et verite ; aultrement elle se mectoit en gref peril d'ame et de corps. Mais le tres perilleux et divise esperit d'orgueil et de oultrageuse presumption, qui tousiours se efforce de voulloir empescher et perturber l'union et seurete des loyaulx chrestiens, tellement occupa et detint en ses lyens le couraige d'icelle Jehenne, que, pour quelconque saine doctrine ou conseulx, ou aultre doulce exhortacion que on luy administroit, son cueur endurcy et obstine ne se voult humilier ne amolir ; mais souvent se vantoit que toutes choses qu'elle avoit faictes estoyent bien faictes, et du commandement de Dieu et desdictes sainctes vierges, qui visiblement s'estoyent a elle apparus ; et, qui plus fort est, ne recongnoissoit ne voulloit recongnoistre en terre fors que Dieu seulement et les sainctz de paradis, en refusant et reboutant le jugement de nostre sainct pere le pappe, du concille general et de toute [universelle] Eglise militante. Et voyans les juges ecclesiasticques sondit couraige par tant et si longue espace de temps endurcy et [obstine] [47] la feirent admener devant le clerge et le peuple [assemble] en tres grande multitude ; en la presence desquelz furent solempnellement et publicquement par ung notable maistre en theologie, ses cas, crimes et erreurs, a l'exaltacion de nostredicte foy, extirpacion des erreurs, edifficacion et amendement du peuple chrestien, preschez, exposez et declarez, et de rechef fut charitablement admonnestee de retourner a l'union de saincte Eglise, et de corriger ses faultes et erreurs ; en quoy encoires demoura pertinace et obstinee. Et ce considere, les juges dessusdits procederent a prononcer la sentence contre elle, en tel cas de droit introduicte et ordonnee. Mais devant que icelle sentence fust parleue, elle commença par semblant a muer son couraige, disant qu'elle vouloit retourner a saincte Eglise ; ce que voluntiers et joyeusement ouyrent les juges et clergé dessusdits, qui a ce la receurent benignement, esperans par ce moyen son ame et son corps estre rachaptees de perdicion et tourment.
  Adoncques se submist a l'ordonnance de saincte Eglise, et ses erreurs et detestables crimes renunça de sa bouche et [abjura] publicquement, signant de sa propre main la cedulle de ladicte renonciacion et abiuracion. Et par ainsy, nostre piteuse mere saincte Eglise, soy esioyssant sur la pecheresse faisant penitence, voulant la brebis recouvrer, qui par le desert se estoit esgaree et forvoyee, ramener avecques les aultres, icelle Jehenne, pour faire penitence salutaire, condempna en chartre. Mais gueres de temps ne fut illec, que le feu de son orgeuil, qui sembloit estre estaint en elle, ne se rembrasast [48] en flammes pestilencieuses, par les soufflemens de l'ennemy. Et tantost rencheut ladicte femme malheureuse en erreurs et faulces enrageries, que par avant avoit proferees, et depuis revocquees et abiurees, comme dit est.
  Pour lesquelles choses, pour ce que les jugemens et institucions de saincte Eglise l'ordonnent, afïin que doresnavant elle ne contemninast les aultres membres de Jhesus Christ, elle fut de rechef preschee publicquement, et, comme de rechef rencheue es crimes et faultes par elle acoustumez, delaissee a la justice seculiere, qui incontinent la condempna a estre bruslee. Et voyant approcher son finement, elle congnut plainement et confessa que les esperitz qu'elle disoit estre apparus a elle souventes foys, estoyent maulvaix et mensongers, et que la promesse que iceulx esperitz luy avoient par plusieurs foys faictes de la delivrer, estoit faulse ; et ainsy se confessa par lesdictz esperitz avoir esté mocquee et deceue.
  Icy est la fin des oeuvres et l'yssue d'icelle femme, que presentement vous signifions, reverend pere en Dieu, pour vous informer veritablement de ceste matiere ; afïin que par les lieux de vostre dyocese que bon vous semblera, par predicacions et sermons publicquez et aultrement, vous faictes notifier ces choses pour le bien et exaltacion de nostredicte foy et edifficacion du peuple chrestien, qui, a l'occasion des oeuvres d'icelle femme a esté longuement deceu et abusé ; et que pourvoyez, ainsy que a vostre dignité appartient, que aulcuns du peuple a vous commis ne presument croire de leger en telles erreurs et perilleuses supersticions, mesmement a ce present temps ouquel [49] nous voyons drecier plusieurs faulx prophetes et sepmeurs de dampnees erreurs a fole creance, lesquelz, eslevees contre nostre mere saincte Eglise par fol hardement et oultraigeuse presumption, pourroyent par adventure contaminer [de] venyn perilleux de faulse creance, le peuple chrestien [se] Jhesus Christ de sa misericorde n'y pourvoit, et vous ses ministres, ainsy comme il appartient, n'y entendez diligemment [a] rebouter et pugnir les voluntez et folz hardemens des hommes reprochez.
  DONNÉ en nostre ville de Rouen le vingt huitme jour de juing CCCC trente et ung (11).


                                         

ADICTE SOMMACION et lectres dessus escriptes et depechees (12), l'evesque de Beauvoys, nomme messyre Pierre Cauchon, accompaigné d'ung homme qui portoit l'Université de Paris et d'ung notaire appostolicque, partit de Paris et s'en alla a Compieigne ou le duc de Bourgoingne et ledit de Luxembourg estoyent au siege devant ledit Compieigne. Auquel duc ledit evesque presenta la cedulle de la sommacion. Lequel duc, apprez qu'il l'eut receue, la bailla a monseigneur Nicolle Raoulin son chancellier qui estoit present, et luy dist qu'il la baillast a messyre Jehan de Luxembourg et au seigneur de Beaurevoir (13), ce qu'il feist presentement, car tous deus survindrent la. Laquelle cedulle ledit de Luxembourg receut et leut. Et apprez luy furent presentees les lectres de l'Universite qu'il leut pareillement. Ainsy qu'il est contenu [50] en l'instrument d'ung notaire appostolicque, nomme Triquelot. Euquel est seulement faict mencion de la cedulle de la sommacion. Lequel i[n]strument j'ay translate de latin en françoys. Ainsy qu'il ensuit.

LA TENEUR DE L'INSTRUMENT DU NOTERE QUI FUT PRESENT A LA SOMMACION FAICTE POUR RENDRE LA PUCELLE.

  En l'an de grace mil quattre cens trente, le seizeme jour de juillet, en l'indicion VIIIme, du pape Martin cinqme l'an treizeme de son pontificat, en la bastille de tres illustre prince monseigneur le duc de Bourgoingne, establie au siege devant Compieigne, es presences de nobles hommes messeigneurs Nicolle de Mailly, bailly de Vermandoys, et Jehan de Pressy chevaliers, avecq plusieurs aultres nobles en grande multitude, etc., fut presentee par reverend pere en Dieu monseigneur Pierre, evesque et conte de Beauvoys, audit tres illustre prince monseigneur le duc de Bourgoingne une cedulle en pappier, contenante de mot en mot cinq articles escriptes ou double d'icelle icy devant escript ; laquelle cedulle mondit seigneur le duc bailla realement a noble homme Nicolle Raoullin son chancellier qui estoit present, et luy commanda la bailler a noble et puissant seigneur monseigneur Jehan de Luxembourg, chevalier, et au seigneur de Beaureveoir ; laquelle cedulle, icelluy chancelier [51] realement bailla audit de Luxembourg present ; laquelle il receut ainsy qu'il me sembla.
  Ces choses dessus escriptes ont este faictes en ma presence.
  Ainsy signé TRIQUELOT, notaire et tabellion apostolicque et imperial.


                                         

PPREZ ladicte cedulle et lectres de l'Université baillees et presentees, comme dit est, ledit evesque parla ausdits duc et de Luxembourg. Et apprez plusieurs parolles, il fut appoincté que, en luy baillant certaine somme d'argent, ladicte Pucelle luy seroit delivree. Ce qui fut faict troys ou quattre jours apprez. Laquelle Pucelle, receue par ledit evesque, la mist entre les mains des Angloys, qui la menerent à Rouen, et la misrent dedens le chasteau dudit lieu, en une forte prison bien enferree, bien enfermee et bien gardee.


                                         

ERTAIN bien bref temps apprez, ledit evesque de Beauvoys, sollicite par le roy d'Angleterre et les gens de son conseil, qui desiroyent la mort de ladicte Pucelle, se transporta a Rouen. Euquel lieu il feist appeller tous les plus grands personnaiges et les plus clercz et lectrez, les advocatz et notaires, les noms desquelz sont icy apprez escriptz. Et quand ilz furent assemblez, il leur dist et desclaira comme le roy de France et d'Angleterre, leur souverain seigneur, avoit esté conseillé de par les seigneurs et gens [52] de son conseil, par l'Université de Paris, de faire faire le procez d'une femme nomme Jhenne, vulgairement appellee La Pucelle, laquelle est accusee de heresie et d'art dyabolicque et de plusieurs aultres crimes et malefices. Et que, pour ce que ladicte femme avoit este prinse et apprehendee en ce dyocese, c'estoit a luy a faire son procez ; auquel il vouloit besongner par leur conseil. Et leur pria y assister avecques luy, pour y faire ce qui sera trouve par raison.
  Tous lesquelz respondirent qu'ilz estoyent prest de obayr au roy. Et qu'ilz assisteroyent voluntiers audit procez.
  Le lendemain, pour ce que alors le siege archiepiscopal estoit vaccant, et que la jurisdicion estoit es mains du chappitre de l'Eglise de Rouen, ledit evesque se trouva eudit chappitre et dist au doyen et chanoynes d'icelle eglise pareilles paroles qu'il avoit dictes le jour de devant. Mais, pour ce qu'il estoit hors de son diocese, voulloit bien avoir congié et permission de besongner eu territoire de l'archevesque de Rouen ; et leur pria luy permectre de besongner eudit territoire. Ce qui luy fut accordé. Dont il demanda lectre, ce qui luy fut octroyee.


                                         

ES PREPARATIFZ FAICTZ pour commencer le procez, combien qu'on eust remonstré audit evesque, actendu que ledit procez se faisoit en matiere de foy et par gens d'Eglise, qu'on debvoit metre ladicte Jhenne Pucelle [53] es prisons de l'archevesque de Rouen, toutesfoys le bon seigneur, voullant complaire au roy d'Angleterre et avoir la grace des Angloys, ne le voulut faire ; mais la laissa aux prisons desdits Angloys, ses mortelz ennemys. En quoy il commença a monstrer le vouloir qu'il avoit de faire bonne justice en ce procez, euquel luy et sa compaignie ne se monstrerent pas moins affectez a faire mourir ladicte Pucelle que Cayphe et Anne et les scribes et pharisees se montrerent affectez a faire mourir nostre Seigneur, ainsy qu'on pourra clerement veoir en la deduction dudit procez ; euquel y a plusieurs mensonges, ainsy que j'ay trouvé en deux livres, esquelz est escript le procez de sa condampnacion, ou il y a plusieurs diversitez, specialement es interrogacions et en ses responces. Et aussi est bien prouvé par le procez de son absolucion, le procez de sa condampnacion estoit falcifié en plusieurs lieux.

                                    


Source :
- Édition de "La minute française des interrogatoires de Jeanne la Pucelle".1952 - Paul Doncoeur.
- Présentation de Jules Quicherat - t.IV - p.254. C'est Jules Quicherat qui est à l'origine du nom de cette chronique "L'abréviateur du procès". Il serait plus judicieux de l'appeler "La compilation de l'auteur du ms518 d'Orléans".

Notes :
1 La reproduction de Paul Doncoeur ici présentée est intégrale.

2 Quelques commentaires de J.B.J Ayroles à propos de ce manuscrit : ...Le Double Procès imprimé, l'Abrégé n'a plus de valeur. Il n'en est pas de même de l'histoire de la Pucelle mise en tête. Elle renferme certaines particularités que l'on ne trouve que chez peu de chroniqueurs. Telles sont la nature des secrets révélés, la manière dont Jeanne a été prise à Compiègne, la grande part de l'Université de Paris dans le martyre, la résistance de Luxembourg à ses sommations, et aussi les débuts du procès...

3 début du texte perdu.

4 orthographe du manuscrit.

5 On suit ici Jean Chartier qui parle aussi d'un Ville-Robert.

6 Le ms d'Orléans donne de ce texte deux versions. La première, ici présentée, est assez différente de la version des mss notariés. Elle est plusieurs fois meilleure. On ne sait d'où elle provient. (Doncoeur)

7 Cette mention de Baudricourt est étrange. On la retrouve aussi une allusion dans "Le miroir des femmes vertueuses" (Quicherat IV p.268) (...lors estant en l'Ost du Roi...)

8 Quicherat (IV, 260), dans les extraits qu'il donne de O, cite ce passage. Mais son texte est notablement différent. Quoiqu'il ait déclaré (IV, 256) puiser « toutes (ses) notions dans le manuscrit d'Orléans », ce n'est pas O qu'il transcrit, mais la mauvaise copie éditée par Buchon dans Collection des Chroniques, au tome IX des Chroniques de Monstrelet. (Doncoeur).

9 Ms d'Orléans transcrit sans ordre et parfois en se répétant des documents relatifs au Procès. Il ne retient que les plus importants.

10 Lettre déjà reproduite plus haut.

11 Cette lettre, par laquelle Henri VI notifie la condamnation et la mort de Jeanne, est de nouveau transcrite par O, comme le font les mss notariés, après les actes du Procès. Le texte est établi par Doncoeur en corrigeant la première copie par la seconde copie.

12 Il s'agit de la sommation dont le texte se trouve ci-dessus.

13 l'abréviateur voit à tort 2 personnages, Jean de Luxembourg est le seigneur de Beaurevoir.
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